Préface
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Texte intégral
1Le Comité pour l’histoire économique et financière de la France (CHEFF) a fort opportunément décidé, à l’occasion de l’introduction de la monnaie unique européenne, d’organiser un cycle de conférences destiné à retracer, dans ses grandes lignes, l’histoire de la monnaie en France depuis le Moyen Age.
2Ces différentes conférences, menées par des historiens de renom entre octobre 2001 et février 2002, ont permis de dresser un panorama d’ensemble de l’évolution de la monnaie depuis 1360, d’explorer les péripéties qui ont jalonné l’histoire du franc et de découvrir, à travers les diverses étapes de cette histoire, des éléments de permanence, qui sont autant de leçon pour comprendre la monnaie d’aujourd’hui.
3Dès le Moyen Age et sous l’Ancien Régime, la diffusion des pièces de frappe royale représentait un des principaux instruments et indicateurs de la lente unification du royaume. Aujourd’hui la création de l’euro est encore bien l’expression la plus concrète de la construction européenne. Elle est la preuve qu ’économie et politique sont l’avers et le revers d’une même pièce.
4Comme l’affirme Jean Tulard dans son analyse de la monnaie sous la révolution, la monnaie est avant tout une question de confiance. La valeur métallique d’une pièce ne correspond jamais réellement à sa valeur faciale mais sa valeur fiduciaire reflète en revanche toujours le crédit qu ’on accorde à la puissance émettrice.
5Avec l’euro, aujourd’hui cette démonstration est toujours aussi juste. C’est la monnaie de 300 millions d’Européens qui ont immédiatement cru en cette monnaie et se la sont appropriée rapidement. Ils savent qu ’ils lui doivent, notamment, des taux d’intérêt extrêmement bas et une inflation contenue à un niveau historiquement faible. Ils doivent également reconnaître qu’un euro fort par rapport au dollar amortit, dans une certaine mesure, les hausses de prix des matières premières. L’euro n’a certes pas supplanté le billet vert comme monnaie de référence. On constate toutefois que face au yuan dont le monde attend la réévaluation ou au yen qui se relève à peine de la profonde crise économique qui a frappé le Japon, il est une monnaie forte. Les pays émergents et les pays pétroliers n ’hésitent plus à diversifier leurs réserves monétaires en achetant des euros.
6Tous doivent cependant rester conscients que cette confiance n ’est jamais définitivement acquise. La valeur d’une monnaie reflète en effet l’état des économies qui l’utilisent et par symétrie la situation des concurrentes. La compétitivité et l’attractivité de l’économie européenne, notamment de celles des principaux Etats, la volonté réformatrice des pays membres de la zone euro, la capacité à s’adapter et à innover de l’ensemble des Européens définissent la valeur de l’euro plus certainement que les spéculateurs des marchés monétaires.
7L’ouvrage publié par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France retrace donc l’histoire de la relation des Français avec leur « argent », qu’il se nomme livre, denier, sou, agnel, royal, franc, écu, louis ou encore napoléon. En réalité – c’est ce qui fait l’intérêt de cette parution –, la monnaie est ici étudiée sous tous ses aspects : outil du commerce, médium politique au symbolisme codifié, attribut de la souveraineté et instrument de la politique économique.
8C’est en 1360, que l’on fait remonter la création d’une nouvelle monnaie d’or : le franc pour financer le paiement de l’énorme rançon exigée pour la libération de Jean le Bon, roi de France alors prisonnier des Anglais. Jean Favier explique que cette circonstance exceptionnelle fournit au pouvoir royal l’occasion de diminuer le cours légal de l’or et de faire coïncider la monnaie réelle avec l’unité de compte. Il souligne également que cette nouvelle pièce présente le roi à cheval et, autre détail atypique, qu ’il brandit son épée de la main gauche. Cette attitude moins propre à un roi qu’à un chevalier soulève la question du symbolisme dévoyé de cette représentation monétaire inédite : n’y aurait-il pas quelque perfidie, suppose l’historien, dans cette figure d’un roi ici menaçant et pourtant sévèrement défait il y a peu ? Enfin, à propos du choix du terme « franc », le roi ne pouvant être « affranchi » tel un serf, l’auteur opte pour une analogie avec la monnaie des peuples francs. L’allusion à ce peuple mythique d’origine troyenne exprimerait un besoin d’affirmation nationale vis-à-vis des ennemis d ’outre-Manche.
9Cet épisode montre combien la politique monétaire est parfois fille de la nécessité et de quelle manière la monnaie constitue à la fois un support et un moyen du politique. Sous l’Ancien Régime, la monnaie et l’administration fiscale, son corollaire, sont les plus petits dénominateurs communs entre les provinces. La monnaie du roi devait matérialiser l’unité et la force du royaume. Or, des monnaies étrangères ont longtemps cohabité avec celle-ci. La monnaie en France n ’est jamais une affaire purement franco-française. Sa valeur ne s’apprécie qu ’au regard des autres monnaies. En outre, l’usage d’une monnaie d’or en France fluctue au cours des siècles en fonction des échanges commerciaux, avec Venise ou Constantinople par exemple, ou encore au gré des découvertes des mines aurifères et argentifères d’Amérique centrale et du Sud.
10À la lecture de ces communications, on saisira de surcroît la distinction entre monnaie d’échange et monnaie de compte, qu’elle s’appelle livre tournois à l’époque moderne ou écu européen (European Currency Unit en anglais) dans le dernier tiers du XXe siècle. On découvrira également les techniques de fabrication des espèces et de manipulation monétaire.
11Si les faux-monnayeurs ou les rogneurs ont contribué à déprécier la valeur de la monnaie, les gouvernants ont, pour leur part, utilisé la dévaluation ou la dépréciation du titre pour alléger les finances royales ou publiques. Cette histoire de la monnaie est donc aussi celle de l’inflation, de la spéculation, des crises monétaires et financières. Dans cette optique, Guy Antonetti souligne les raisons du succès du louis d’or et de l’écu d’argent aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais rappelle également les causes de la crise financière de la fin du règne de Louis XVI. Celle-ci fut à l’origine de la convocation des Etats généraux et indirectement de la Révolution française. Parallèlement, la faillite du Système de Law en 1720 et la mésaventure des assignats révolutionnaires expliquent la difficile introduction en France de la monnaie de papier. Pour la période suivante, Jean Tulard évoque les expédients et les désordres financiers en France à partir de 1789 ainsi que les conditions de l’avènement du franc germinal en 1803, qu’il faut considérer comme une synthèse de la livre tournois d’Ancien Régime et du franc thermidor de la Révolution. Puis, suivant la chronologie, Alain Plessis examine ce XIXe siècle du franc-or trop hâtivement considéré comme une période de stabilité monétaire exceptionnelle. Jean-Charles Asselain, enfin, explique que si le XXe siècle est synonyme de « long calvaire du franc » avec dix-sept dévaluations et plusieurs graves crises monétaires, il peut aussi être présenté comme la longue marche vers le franc fort des années 1980.
12Pour ma part, je voudrais mettre en exergue la place nouvelle qu’occupe la circulation de la monnaie sous forme électronique. Le développement spectaculaire des moyens de paiement modernes dématérialisés (carte de crédit, porte-monnaie électronique, virements informatiques, service de micro-paiements...) depuis une vingtaine d’années sera encore accentué par le déploiement du commerce irréversible et massif par internet ainsi que par les services de la téléphonie mobile en pleine croissance. Le commerce sur internet représente déjà 3 % du commerce de détail. Ces nouveaux enjeux appellent une vigilance de la part des autorités de surveillance et le développement de compétences nouvelles pour maîtriser le risque technologique.
13Une table ronde a complété ce cycle de conférences. Le débat, qui a regroupé des acteurs de la politique monétaire française et européenne des trente dernières années, a éclairé notamment le processus et les circonstances politiques de l’unification monétaire européenne. Replacé dans une perspective historique, l’euro apparaît ainsi à la fois comme une conséquence naturelle de l’intensification des échanges intra-européens et de l’interpénétration des économies du Vieux Continent, et comme le prolongement logique d’une politique de la monnaie forte menée bien avant le traité de Maastricht par la France et l’Allemagne.
14Cet ouvrage est donc l’occasion de faire le lien entre le passé et le présent. À la lueur de l’éclairage que nous donnent ces cinq historiens, on comprend que la monnaie est le miroir de l’histoire, une histoire au jour le jour qui concerne le quotidien de tous.
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