Chapitre XII. Sortir de l’économie d’endettement ? Logiques nationales et dynamiques internationales du plan de redressement financier de 1958
p. 555-596
Texte intégral
1La rupture de 1958 est évidente à l’échelle de l’histoire de la France contemporaine. Elle a correspondu à un changement de régime politique, entraînant le passage de la IVe à la Ve République. Mais elle est également en général considérée comme une inflexion majeure dans l’évolution de l’économie française. Au protectionnisme aurait ainsi succédé l’ouverture internationale, au repli sur les marchés de l’outre-mer, l’engagement européen, et au dirigisme de l’État le choix du retour aux mécanismes du marché, le plan de redressement financier adopté en décembre 1958 faisant office de charnière décisive, pour reprendre les mots souvent cités du général de Gaulle dans ses mémoires, entre « le miracle ou la faillite »1.
LE PLAN DE 1958 : SORTIR DE L’ÉCONOMIE D’ENDETTEMENT ?
2Jacques Rueff, auquel revient sans conteste la paternité intellectuelle du plan de 1958, avait lui-même d’emblée présenté son « programme de rénovation économique et financière » sous un jour particulièrement dramatique :
« Pour le succès de notre plan, il est indispensable que le pays comprenne qu’il n’est pas pour lui d’autre issue acceptable. […] S’il l’admet, tout sera sauvé. S’il ne l’admet pas, il se retrouvera à nouveau atteint dans sa possibilité de durer et sera acculé à des solutions qui menaceront à la fois sa grandeur, son bien-être et sa liberté. »2
3Il ne fait pas de doute que le plan de 1958, ainsi conçu, a constitué une tentative de réforme radicale du système financier français. Son auteur – ce n’est pas son moindre mérite – en était dès le début parfaitement conscient. Dans la note qu’il remit dès le 10 juin 1958 à Antoine Pinay, ministre des Finances du gouvernement de transition qui venait d’être formé par De Gaulle, Rueff définit ainsi les grandes lignes d’une réforme complète de ce qu’il appelait « la gestion financière française »3. Cette gestion, selon lui, pouvait se résumer tout entière à un trait unique : l’inflation. Or cette inflation permanente était la conséquence du fonctionnement même du système financier français qui aboutissait à créer « du pouvoir d’achat sans cause économique »4.
4La dénonciation par Rueff de l’inflation était déjà ancienne. Sans remonter à l’étude statistique qu’il consacra dès 1925 à l’inflation de guerre en France et aux hyper-inflations qui avaient caractérisé les économies d’Europe centrale et orientale au lendemain du conflit5, c’est dans L’Ordre social, dont la rédaction entreprise en 1933 ne donna lieu à une première publication qu’en 19456, que se trouvait exprimée son analyse de la monnaie, entendu comme « contenu particulier et occasionnel des droits de propriétés »7 et donc sa dénonciation de l’inflation comme créatrice de « faux droits »8 : en créant un pouvoir d’achat purement nominal, c’est-à-dire ne correspondant pas à la création d’une richesse réelle, n’entraînant donc aucun apport véritable sur le marché, l’inflation faussait fondamentalement le droit de propriété qui reposait bien en dernière analyse sur la faculté qu’a tout propriétaire de disposer librement de son bien et notamment de l’échanger, au moment où il le souhaite, contre un autre bien de valeur réelle équivalente. C’est la notion de « droit, récipient à valeur ». Sapant ainsi le droit de propriété, l’inflation menaçait donc l’ordre social qui était à la base même de la civilisation occidentale. La grande vertu de l’étalon-or, de ce point de vue, était bien pour Rueff de garantir qu’à tout moment il n’y aurait sur le marché d’autre pouvoir d’achat qu’à mesure des richesses à acheter. Sa suspension avec la Première Guerre mondiale avait logiquement ouvert « l’Âge de l’inflation ». Cette analyse découlait fondamentalement d’une approche originale des phénomènes monétaires, plaçant au centre du système la banque d’émission, dont le fonctionnement idéal, calqué sur celui de la Banque de France jusqu’en 1914, assurait au moyen du maniement du taux d’escompte, « le fonctionnement en régime », c’est-à-dire l’équilibre de tous les marchés.
5Les évolutions monétaires des années 1950, en France mais aussi en RFA et en Grande-Bretagne, ont donné à Rueff l’occasion de préciser à la fois son analyse du « problème institutionnel de la monnaie » et de donner à sa critique de l’inflation un contenu plus pratique9. D’abord centrée de manière classique sur le déficit budgétaire de l’État, entendu comme « un producteur de services publics et qui en touche le prix en prélevant des impôts »10, son analyse des causes de l’inflation française s’est progressivement orientée vers des facteurs de nature plus structurelle, ressortissant de manière plus globale aux modalités d’ensemble du financement de l’économie. La politique de la Banque de France s’est trouvée ainsi progressivement mise en cause, particulièrement dans le domaine de la mobilisation des crédits à moyen terme. Dès 1952, devant le Conseil économique et social, il expliquait, reprenant les éléments théoriques de L’Ordre social, que le mécanisme de base de l’inflation résidait dans la faculté donnée à certains agents économiques de demander sur le marché plus qu’ils n’offraient. Mais cela n’était possible dans la réalité, expliquait Rueff, que si « quelqu’un vous donnait, gratuitement, des billets de banque »11, créant un « faux revenu » qui ne correspondait pas à une production réelle, et aboutissant de la sorte à la détention d’une encaisse proprement excédentaire. Or, précisait-il, « le canal important par lequel passent des encaisses excédentaires, c’est celui qui résulte du déficit lorsqu’une partie prenante a eu la chance d’accéder à la source magique du déficit, c’est-à-dire d’obtenir que la Banque d’émission donne de la monnaie contre rien ou contre quelque chose qui ne vaut pas le montant de la monnaie qu’elle en obtient »12. C’était, rappelait-il, la signification profonde des statuts donnés à la Banque de France au début du xixe siècle qui visaient fondamentalement, dans le cadre juridique contraignant de la convertibilité métallique, à instituer l’obligation pour l’Institut d’émission « de n’escompter, c’est-à-dire de ne monétiser que des effets représentant des valeurs réelles »13. C’était critiquer déjà, sans y faire encore de référence explicite, le mécanisme des crédits à moyen terme mobilisables dont le développement, on l’a vu, était croissant depuis 1950. Il faut attendre toutefois 1955 pour trouver une première analyse complète par Rueff des « graves problèmes » posés « pour les autorités responsables du système monétaire autant que pour les théoriciens de la monnaie » par l’admission d’effets de crédits à moyen terme à l’escompte de la banque d’émission14. L’allongement à cinq ans de la durée des effets éligibles à l’escompte aboutissait à rigidifier la capacité spontanée du marché à ajuster l’offre à la demande globale de telle sorte que le niveau des prix n’ait pas à varier. Rueff calculait ainsi que l’admission à l’escompte d’effet à moyen terme réduisait de vingt fois la flexibilité du système monétaire, par rapport à la plasticité d’un système fondé sur l’escompte d’effets à trois mois15. Ainsi compris, l’escompte du moyen terme entraînait inéluctablement une « dégradation » de l’ensemble du système bancaire et des équilibres fondamentaux du système de crédit. De cette façon s’esquissait aussi chez Rueff, plus globalement, une mise en cause, au-delà de la Banque de France, du rôle des banques et de leur responsabilité potentielle dans l’inflation.
6Le rôle des banques dans « la genèse des unités monétaires » avait été mis en évidence très tôt par Jacques Rueff à un moment où la nature monétaire des crédits de banques faisait encore l’objet d’un débat théorique et pratique. Dès 1927, il soulignait ainsi dans sa Théorie des phénomènes monétaires, le fait que « les banques privées » possédaient « une véritable faculté d’émission, de tous point comparable par sa nature, sinon par la forme de la monnaie émise, à celle qui a été conférée dans notre pays à la Banque de France »16. C’était par le mécanisme du réescompte et en vertu des règles statutaires qui en limitait l’usage qu’il revenait donc à la Banque d’émission d’assurer la stabilité d’ensemble de « l’édifice monétaire » qui reposait bien en dernière analyse sur le respect d’une stricte proportionnalité entre la monnaie légale – les billets de banque – et la monnaie de crédit17. Tout l’appareil conceptuel d’une analyse en terme d’économie d’endettement était donc bien présent chez Rueff dès avant la guerre18. La question de la responsabilité des banques dans l’inflation, seulement implicite en 1927, s’est trouvée traitée par Rueff de manière très explicite, encore qu’incidente, à l’occasion d’une conférence qu’il prononça en février 1956 à l’université de Nice et au cours de laquelle il s’efforça de faire comprendre à son auditoire les mécanismes de l’inflation à travers une manière de fable, celle, pourrait-on dire, de la ménagère et du banquier : sur le marché du village, place de l’église, une ménagère arrivée de bon matin souhaitait repartir chez elle le soir avec, dans son porte-monnaie, la même somme d’argent dont elle disposait à l’arrivée (« l’encaisse désirée »). Pour cela, exposait Rueff, elle ne devra acheter du beurre, par exemple, que dans la mesure où elle aura vendu des œufs. « Ainsi l’équilibre du marché du village sera parfaitement assuré, parce qu’il n’y aura jamais de demande sans offre, jamais de pouvoir d’achat sans richesse à acheter »19. C’est-à-dire que pour demander plus qu’elle n’aurait offert, la ménagère aurait bien dû accepter que diminue le montant de l’argent qu’elle avait dans son porte-monnaie. Mais, poursuivait Rueff, il existe « une deuxième possibilité de demander plus que ce que l’on a offert : le cas où l’on rencontre un banquier. Cela arrive quelquefois. Si l’on a la bonne fortune de rencontrer un banquier et de lui inspirer confiance, il peut vous dire : “Je vous ouvre un crédit de cinq cents francs, que vous me rembourserez dans trois mois” »20. De la sorte, la ménagère pouvait « demander sans offrir » et donc créer, modestement, de l’inflation. Avec cet innocent apologue, Rueff, bien dans son style, soulevait précocement la question de la responsabilité des banques dans l’inflation du second xxe siècle qui devait ressurgir en France sous la forme du débat à prétention plus théorique lancé en 1972 par l’économiste Serge-Christophe Kolm21. Il n’en demeure pas moins qu’au cœur des années 1950, par la voix de Jacques Rueff encore très isolée dans le désert, s’était trouvé posé le problème des formes spécifiques prises par le système financier français depuis la Seconde Guerre mondiale et dénoncées à travers le rôle du Trésor, de la banque centrale et, plus largement de l’ensemble du système de crédit, les traits principaux d’une « économie d’endettement ».
7Ce n’est toutefois qu’en 1958, à la faveur du – changement de régime « politique », que fut véritablement instruit pour la première fois le procès de l’économie d’endettement qui à bien des égards caractérisait le régime économique et social de la France à la fin des années 1950. La critique de Rueff s’est trouvée formulée de la manière la plus explicite dans la note déjà mentionnée remise par lui à Pinay le 10 juin 195822. Cette note est très importante car Rueff y exprime sans détours, et bien plus complètement que dans le texte du rapport du comité qui porte son nom, le diagnostic du mal qui frappait selon lui le système financier français et les remèdes qu’il convenait à son avis de lui porter. « Si l’on veut mettre un terme à l’inflation française, était-il dit d’emblée, il faut en préciser les causes. Elles peuvent se trouver soit dans la politique du Trésor, soit dans celle de l’Institut d’émission »23. D’une part, en effet, il était bien certain que le déficit final du budget de l’État – « l’impasse » – , qui avait atteint 1 041 milliards de francs en 1957, contribuait à l’inflation dans la mesure où il contraignait le Trésor à obtenir du système bancaire, et en dernier ressort de la banque d’émission, les ressources monétaires qui lui étaient nécessaires pour assurer au jour le jour la continuité des paiements de l’État. Mais, soulignait Rueff, les besoins du Trésor, ainsi compris, ne sont qu’un facteur secondaire de l’inflation. La cause principale devait plutôt être recherchée dans l’évolution du portefeuille de la Banque de France. C’est ainsi, calculait-il sur la base des chiffres publiés à l’actif des bilans de l’Institut d’émission, qu’entre décembre 1952 et mai 1958 le poste des créances sur l’État n’avait représenté qu’un peu plus de 19 % de la création de monnaie centrale dans la période (billets en circulation et comptes courants figurant au passif de la Banque) contre 68 % résultant de l’admission d’effets à moyen terme dans le portefeuille de l’Institut d’émission. Le reste, 12 % à peine, résultait du jeu normal de l’escompte du papier commercial, des avances sur valeurs et des opérations d’open market. La responsabilité de l’inflation incombait donc bien, pour l’essentiel, à la politique menée par la Banque de France qui faisait ainsi sans conteste figure de principal accusé.
8En mettant ainsi l’accent sur le mécanisme des crédits à moyen terme mobilisables, Rueff ne s’y trompait pas : il visait au cœur de l’économie d’endettement, dont le crédit à moyen terme mobilisable résumait de manière immédiate la réalité complexe, un peu à la manière dont cette figure de rhétorique qu’est la synecdoque permet de rendre compte, par un audacieux raccourci, du tout par la partie, du genre par l’espèce ou encore du pluriel par le singulier. Les remèdes indiqués confirmaient du reste la validité du diagnostic d’ensemble : il fallait d’urgence procéder à la « débudgétisation » des investissements productifs jusque-là financés par le Trésor de façon à orienter les demandes de capitaux « directement » vers l’épargne, c’est-à-dire le marché financier. Mais, pour espérer restaurer de la sorte les bases d’une économie de marché, il fallait, insistait Rueff, « avant tout mettre un terme aux errements qui [avaient] détruit la monnaie française » et donc « interdire à la Banque de France, immédiatement et rigoureusement, l’escompte de papier à moyen terme »24.
9Il peut donc être tenu pour établi que Rueff avait préconisé en juin 1958 une sortie immédiate de l’économie d’endettement. Telle était bien la portée principale du projet de réforme dont à cette date il était porteur. Il s’en fit encore l’écho en août 1958 devant le groupe de Bilderberg et en septembre à Princeton à l’occasion d’une réunion de la Société du Mont-Pèlerin25 : l’inflation qui « mine les sociétés libérales », avait-il expliqué devant un auditoire cette fois acquis d’avance, ne pourra être éradiquée que « si des dispositions institutionnelles efficaces » empêchent « la partie dépensière – État ou entreprise – » de se constituer des « encaisses indésirées » par création de monnaie, « la monnaie étant émise par escompte en banque de Bons du Trésor ou d’effets rendus éligibles à l’escompte »26. On ne pouvait être plus explicite. Pourtant les travaux du comité finalement constitué le 30 septembre 1958 et, plus encore, le plan de redressement adopté par le gouvernement De Gaulle le 27 décembre 1958 paraissent avoir largement perdu de vue l’essentiel du projet réformateur de Rueff.
10L’histoire du plan de redressement financier de 1958 auquel ont abouti les travaux du comité Rueff est bien connue et il ne semble pas utile de revenir ici en détail sur les conditions de sa genèse et les étapes qui ont présidé à son adoption27. À examiner cependant de près le contenu du rapport remis au ministre des Finances le 8 décembre 1958, on ne peut pas ne pas être frappé, en dépit de la volonté insistante de Rueff d’inscrire a posteriori dans son autobiographie le plan de 1958 dans l’exacte continuité de sa note du 10 juin28, de la profonde différence d’analyse qui existe entre les deux documents. Centré de manière assez banale sur la seule dénonciation du déficit des finances publiques et sur l’inventaire des mesures propres à y remédier, le texte du rapport escamote presque totalement la critique du système financier français et plus particulièrement la mise en cause de la politique de la Banque de France et, à travers elle, de la responsabilité directe des banques dans l’inflation. C’est à peine si l’existence des crédits à moyen terme mobilisables, pourtant au cœur de son analyse du 10 juin, est ici mentionnée. Seuls les crédits à la construction étaient évoqués dans la mesure, se justifiait l’auteur du rapport, où aux termes de la loi du 21 juillet 1950 qui en avait institué le mécanisme, « l’État [en] assum[ait] la responsabilité ». Le raisonnement était mutatis mutandis étendu aux crédits accordés aux entreprises nationalisées. Dans ces conditions, le rapport préconisait de transformer dans les deux cas les crédits ainsi alloués en concours directs du Trésor ! La mesure était peu conforme à la philosophie générale du reste du plan et aurait eu pour conséquence, comme ne manqua pas de le souligner alors le gouverneur de la Banque de France, d’alourdir à hauteur de 150 milliards de francs les charges portées au budget de l’État alors même que l’objectif principal consistait, comme on le sait, à ramener le déficit public de 1 200 à moins de 600 milliards29. Dans le même temps, admettait le rapport du comité Rueff, « aucun changement ne sera[it] apporté aux crédits à moyen terme consentis au secteur privé ». La retenue du rapport était au moins aussi évidente dans le domaine de la monnaie. Ce n’est en effet que sous la forme d’une « lettre secrète », datée du 15 décembre 1958, adressée au ministre des Finances, signée de Rueff mais rédigée en fait par Jean Guyot, qu’étaient évoquées les mesures monétaires qui devaient accompagner la mise en œuvre des recommandations du comité30. Ce texte, finalement annexé au rapport, recommandait en des termes très généraux et prudents une « révision de la parité monétaire » qui pouvait constituer « le complément et le couronnement » du programme de redressement. Si la lettre suggérait également « l’établissement d’un franc lourd », rien n’était dit en revanche de l’éventualité d’un retour à la convertibilité externe de la monnaie. Le recul par rapport au projet de réforme dont était porteur Rueff depuis au moins le début des années 1950 était donc patent.
11Tout se passe en effet comme si les mesures, pourtant importantes, préconisées par le rapport du comité et qui furent effectivement prises par ordonnances à la fin de 1958 et au tout début de 1959 se situaient toutes à la périphérie du problème monétaire qui était au centre de la réforme radicale du système financier français voulue par Rueff. La monnaie et le crédit ont constitué ainsi en 1958, pour reprendre le témoignage d’Antoine Dupont-Fauville à l’époque conseiller technique au cabinet de De Gaulle à Matignon, une « espèce de zone fermée »31. Le comité Rueff était donc d’une certaine manière condamné, si l’on nous passe l’expression, à « tourner autour du pot ». Ainsi du traitement du déficit des finances publiques au moyen de mesures au vrai très classiques de réduction des dépenses liées aux nombreuses subventions économiques à charge du Trésor et d’augmentation des recettes fiscales, accompagné d’une réforme radicale de la procédure budgétaire. Ainsi de la suppression du régime des indexations généralisées, à l’exception notable du SMIG, destinées à renouer avec une « vérité des prix », aussi bien sur le marché des biens et services que sur celui du travail. Ainsi, enfin, de la dévaluation du franc au taux de 17,4 % propre à renforcer la compétitivité internationale de l’économie française au moment où, pour satisfaire aux obligations résultant du traité de Rome sur la CEE, la France, comme on le sait, acceptait également dans le cadre du plan de décembre 1958, d’abroger à hauteur de 90 % le contingentement de ses importations avec les pays de l’OECE et de 50 % avec la zone dollar, d’abaisser dans un premier temps de 10 % ses droits de douanes vis-à-vis de ses partenaires de la CEE et de rétablir en même temps que les principaux pays d’Europe de l’Ouest la convertibilité « externe » de sa monnaie, c’est-à-dire le droit pour les non-résidents de transférer librement à l’étranger, sous forme d’or et de devises, les francs qu’ils pouvaient détenir en France à la suite d’opérations « courantes » (transactions commerciales et revenus immobiliers).
12Toutes ces mesures, à n’en pas douter, ressortissaient davantage d’un traitement des symptômes de l’inflation qu’elles ne s’attaquaient aux causes mêmes du mal. Que servait-il de limiter ponctuellement l’ampleur de l’impasse si dans le même temps rien n’était changé aux modes de financement captifs du Trésor ? Pourquoi décréter le retour d’un coup à la vérité des prix alors que les mécanismes qui mettaient le système de crédit au cœur de la création de « faux droits » demeuraient intacts ? Quelle utilité enfin à dévaluer le franc si la conservation à l’identique des mécanismes inflationnistes du système financier français pouvait demain réduire à rien les marges de compétitivité/prix externes dégagées dans l’instant ? Tel est bien le problème historique principal du plan de 1958 et de sa postérité. Dans la foulée du plan de 1958 fut également institué, on l’a dit, le « nouveau franc ». En pratique, toutefois, il fut décidé de ne pas procéder à un échange massif de billets. Le gouverneur de la Banque de France, à l’en croire, s’était en effet « vigoureusement opposé » lors des débats préparatoires à la réforme, à introduire le nouveau franc « en quelque sorte d’un seul coup et en un jour »32. De fait, on se contenta dans un premier temps d’apposer sur les billets libellés en anciens francs une simple « surcharge » à l’encre rouge. Les premiers billets ainsi surchargés ne commencèrent à circuler qu’à partir du 15 juillet 1959. Dans le même temps, il était décidé de mettre en fabrication de nouvelles vignettes directement libellées en nouveaux francs, mais qui conserveraient les types déjà existants. Les Napoléon, Henri IV, Richelieu et Victor Hugo poursuivraient donc au-delà du 1er janvier 1960 leur existence, simplement amputés de deux zéros. « Il est à souhaiter, avait souligné le gouverneur, que le public comprenne que pratiquement rien n’est changé »33. Décidément le neuf semblait bien, par-delà la césure de 1958, avoir été condamné à durablement continuer à composer avec l’ancien.
13L’exclusion de la monnaie et du crédit du domaine de compétence du comité Rueff constitue un fait avéré, maintenant bien établi. Cette lacune a été particulièrement mise en lumière et de façon unanime par l’ensemble des acteurs de cette époque réunis à l’occasion du colloque que l’Institut Charles de Gaulle a consacré en janvier 1985 au plan de 1958 et à ses suites. « Je puis témoigner, soulignait ainsi Jean Guyot qui comme membre du Comité s’était trouvé au cœur des événements, qu’une des préoccupations majeures de Jacques Rueff était l’interdit touchant aux questions de crédit »34. Et Maurice Couve de Murville, qui était alors titulaire du portefeuille des Affaires étrangères, de confirmer comme en écho : « En fait, interdiction avait été faite au Comité de 1958, interdiction renouvelée en 1959-1960 au Comité Rueff-Armand, de se mêler des questions monétaires »35. L’origine de cette stricte démarcation est clairement identifiée à suivre le témoignage de Roger Goetze : « La Banque de France avait de toute façon mis son veto absolu à ce que soit abordée par le Comité, toute question qu’elle estimait être de sa compétence et de celle du Conseil national du Crédit »36. Plus explicite encore dans les entretiens qu’il avait accordés en 1989 au Comité pour l’histoire économique et financière de la France, il expliquait sans plus de périphrase qu’au moment où fut envisagée la constitution du comité Rueff, « Baumgartner [avait] tout suite eu la bonne idée de faire exclure toutes les questions de trésorerie ou de monnaie de la compétence du comité qui devenait un super comité budgétaire »37.
14L’affaire semble donc entendue. La volonté de Jacques Rueff de réformer en profondeur le système financier français n’avait pu en 1958 se traduire en mesures concrètes devant l’opposition résolue des « autorités monétaires » – celle du gouverneur de la Banque de France au premier chef –, à toute intrusion dans ce qu’elles tenaient pour leur domaine réservé. Il resterait pourtant à tenter d’expliquer les raisons de cette opposition. Car le problème n’est pas sans portée historique. Il donne son sens principal et une unité possible à toute l’histoire de la politique économique des débuts de la Ve République. La question se pose tout particulièrement pour la période 1959-1962 qui voit Baumgartner, justement, passer en janvier 1960 de son fauteuil de la Banque de France à celui de ministre de l’Économie et des Finances et qui a été marquée également, comme le soulignait Couve de Murville, par la seconde tentative réformatrice de Rueff à travers les travaux entre novembre 1959 et juillet 1960 du comité d’étude Armand-Rueff « sur les obstacles à l’expansion économique ». Mais la question assurément continue à se poser bien après le départ de Wilfrid Baumgartner du ministère des Finances en janvier 1962. Elle fournit à vrai dire et sans trop forcer le trait une direction de recherche forte, dont la validité globale est illustrée par les études déjà menées en ce sens par Paul Fabra ou Sylviane Guillaumont-Jeanneney38, sur l’ensemble des évolutions économiques et financières qu’a connues la France jusqu’au milieu des années 1980 au moins. Tout le problème est bien d’essayer de comprendre pourquoi la France n’est pas sortie en 1958 et par la suite, de l’économie d’endettement alors même que dans le reste de l’Europe d’autres pays comme par exemple la RFA, la Belgique ou les Pays-Bas avaient déjà largement entamé leurs mutations vers une économie de marché. Évoquer, dans le cas de la France, l’opposition des autorités monétaires à toute réforme du système financier n’aboutit qu’à déplacer le problème. Il est donc nécessaire de s’interroger véritablement sur les raisons de cette longue résistance.
RUEFF VERSUS BAUMGARTNER
15Il est singulier de constater que la clef du conservatisme du système financier français jusqu’au milieu des années 1980 au moins ait été le plus souvent réduite, pour reprendre l’expression de Couve de Murville, « à des questions en réalité de personnes »39. Les acteurs de cette époque sont en effet tous d’accord pour expliquer les limites évidentes du plan de 1958 par « la vieille rivalité Rueff-Baumgartner »40. Maurice Pérouse qui avait suivi le genèse du plan de 1958 à la fois du point de vue du Conseil national du crédit dont il était le secrétaire général depuis 1957 et comme conseiller technique officieux du cabinet De Gaulle à Matignon, confirme à sa façon, non dénué de prudence administrative, la vigueur et les conséquences lourdes de cette opposition entre les deux personnages :
« Il est dommage que des problèmes de personnes se soient posés. J’ai pour l’un et l’autre des hommes qui étaient en charge de ces questions, dans la pensée et dans l’action, un grand respect, une grande estime, la ferme conviction que l’un et l’autre étaient des serviteurs passionnés de l’État et de l’intérêt public. Il est seulement un peu – et c’est peut-être un euphémisme – regrettable que ces divergences de pensée aient empêché […] la refonte de nos institutions en ce qui concerne les marchés monétaires et financiers et les techniques de crédit, en même temps que le redressement politique emportait dans son sillage un exceptionnel redressement économique. »41
16La concordance des témoignages est telle qu’elle conduit l’économiste Sylviane Guillaumont-Jeanneney à retenir elle aussi, un peu à contre-emploi, au nombre des facteurs d’immobilisme du système financier français sous la République gaullienne, « l’antipathie entre Jacques Rueff, principal instigateur du Plan de redressement de 1958, et Wilfrid Baumgartner, gouverneur de la Banque de France, puis ministre des Finances »42.
17La réalité historique de la « robuste antipathie », pour reprendre cette fois l’expression de Raymond Aron43, qui a pu exister entre Rueff et Baumgartner est évidente. Elle s’enracinait en effet, on l’a montré, très en amont dans la période de l’entre-deux-guerres44. Aux débuts de la Ve République, néanmoins, la rivalité de carrière qui avait caractérisé les relations entre les deux hommes à l’époque de leurs fonctions à la direction du Mouvement général des fonds pouvait être considérée comme terminée, à l’avantage final, il est vrai, de Baumgartner. Démissionnaire en janvier 1941, en application des mesures d’exclusion antisémites de Vichy,45 du poste de sous-gouverneur de la Banque de France auquel il avait accédé en septembre 1939, Rueff avait traversé la période de l’Occupation dans une retraite forcée en zone sud, protégé par les liens étroits et antérieurs au début de la guerre qu’il entretenait avec Pétain, qui avait été l’un des témoins de sa femme lors de leur mariage en avril 1937 et qui était également le parrain de leur fille aînée, née en novembre 193846. À la Libération, en dépit de ses contacts à compter de février 1943 avec René Courtin dans le cadre des travaux de réflexion du Comité général d’étude, et peut-être en raison de la relative protection dont il avait bénéficié sous l’Occupation47, Rueff ne devait pas retrouver de responsabilités véritablement importantes dans l’administration française. D’abord nommé en janvier 1945 à la tête de la délégation économique et financière de la mission militaire pour les affaires allemandes et autrichiennes, il est choisi en juillet 1945 pour être le délégué de la France à la commission des réparations formée à la suite des accords de Yalta en février 1945 mais à laquelle la France n’avait pas été immédiatement représentée. C’est à ce titre qu’il se vit proposer la présidence de l’Agence interalliée des réparations finalement constituée en novembre 1945 sans l’URSS après l’échec de la conférence quadripartite de Moscou. Installée à Bruxelles au début de 1946, l’importance de l’Agence fut bientôt réduite à peu de choses avec la fin rapide des prélèvements alliés dans les zones d’occupation occidentales de l’Allemagne et les débuts de l’aide à la reconstruction de l’ennemi d’hier. Ayant finalement résigné ses fonctions à l’Agence à la fin de 1952, Rueff retrouva un poste comme juge français à la cour de justice de la Communauté européenne du charbon et de l’acier qui venait d’être créée et établie à Luxembourg. C’est toujours à ce poste, non sans intérêt, mais sans conteste très éloigné de la gestion quotidienne des affaires monétaires et financières que Jacques Rueff tentera entre 1958 et 1962 de réformer le système financier français et, au-delà, le système monétaire international.
18Au-delà de la vieille querelle, somme toute banale, qui continuait à opposer Rueff à Baumgartner, l’ostracisme dont a été l’objet l’auteur de L’Ordre social au sein de l’administration des finances après 1945 est manifeste. Rueff, en juin 1961, s’en plaignit ouvertement à Baumgartner, devenu ministre des Finances, dans une lettre sans fards qui accompagnait le texte d’une série d’articles destinés à paraître les jours suivants dans Le Monde, sur le danger imminent que faisait, selon lui, courir à l’Occident le Gold Exchange Standard :
« Je pense que vous ressentirez, comme moi, l’anomalie d’une situation qui m’oblige à passer par la presse pour acheminer mes idées monétaires vers les autorités françaises ou étrangères susceptibles de les mettre en œuvre. Mais vous m’avez donné tant de preuves de votre désir de m’éloigner de tous les lieux où se discutent et se décident les questions monétaires qu’il n’était pour moi d’autre recours. Nonobstant les difficultés de la situation paradoxale où je me trouve, j’y fais entièrement abstraction de ma modeste personne. Je continuerai à ne pas ajouter aux difficultés de votre lourde tâche, comme je l’ai fait dans le passé, notamment en acceptant de ne pas évoquer dans mon dernier comité [le comité Armand-Rueff] les questions dont vous prétendiez garder le monopole […]. Je me demande seulement si c’est vraiment servir l’intérêt général que de traiter hors de moi et sans contact avec moi des questions auxquelles je crois avoir réfléchi plus que tout autre et où, après tout, mes vues hétérodoxes ne se sont pas révélées sans pertinence et sans efficacité. »48
19Sur une carte de visite à en tête du ministère, Baumgartner avait crû devoir répondre par retour du courrier et de sa main : « Mon cher Ami, merci d’avoir pris la peine de m’envoyer votre article. Mais je ne comprends rien à votre lettre. On m’a demandé d’être Ministre. Je ne le souhaitais pas. Je le suis. Qu’y puis-je ? […] Si vous avez des idées, je suis toujours prêt à les discuter avec vous. Mais les responsables sont les responsables, en tous pays »49. Même si cette réponse, dans laquelle ne put s’empêcher de percer un certain triomphalisme, ne fut finalement pas envoyée à son destinataire, il n’en reste pas moins que l’échange atteste que l’inimitié personnelle persistante entre Rueff et Baumgartner constitue bien un facteur d’explication des blocages du système financier français entre 1958 et 1962 au moins. Preuve supplémentaire, s’il en était besoin, que les évolutions de la vie économique ne sont que difficilement réductibles au jeu supposé purement rationnel des agents.
20Pour autant on ne peut pas non plus valablement soutenir que l’échec de la réforme incarnée par Rueff ait eu pour cause unique ni même principale l’opposition d’un homme et réduire ainsi, par un excès en quelque sorte inverse, l’histoire économique et financière à un théâtre d’ombres où s’affronteraient les ambitions rivales de vains prétendants au pouvoir monétaire et à ses signes extérieurs. La critique de Jacques Rueff a toujours été, du reste, dirigée contre un système, caractérisé par un certain agencement institutionnel, plus que contre des hommes. Les résistances rencontrées par la nouvelle tentative, après les mesures du plan Jacobsson de 1957, de sortir de l’économie d’endettement qui a marqué la période 1958-1962 amènent ainsi à examiner de plus près, dans un premier temps, la place et le rôle de la Banque de France dans la genèse des mesures économiques et financières de décembre 1958 et dans un second temps, plus globalement, l’état du système bancaire français et sa capacité à se réformer à la charnière des années 1950 et 1960.
LA BANQUE DE FRANCE ET LE PLAN DE 1958 : RÉALITÉS NATIONALES ET STRATÉGIES INTERNATIONALES
21Le rôle joué par la Banque de France dans le plan de décembre 1958 a-t-il été aussi effacé qu’on le suppose le plus souvent ? Le veto réel ou supposé de son gouverneur visant à soustraire la politique du crédit de la compétence du comité Rueff ne doit pas, en effet, amener a priori à penser, par simple retour des choses, que la Banque se soit tenue à l’écart de la genèse des mesures économiques et financières importantes prises à la fin de 1958 et au début de 1959. Le rôle décisif de la Banque de France et de son gouverneur dans l’effort de redressement de 1957, la proximité avérée entre Baumgartner et Pinay depuis 195250, la réputation de technicien hors pair dont il jouissait auprès du général de Gaulle qui lui a proposé, dès juin 1958, une première fois, le portefeuille des Finances51, la participation enfin du sous-gouverneur Jean Saltes comme membre à part entière aux travaux du comité Rueff, autant d’éléments connus qui inciteraient plutôt à réexaminer, notamment à la lumière des sources primaires, si la contribution de l’Institut d’émission et de son gouverneur au plan de 1958 fut aussi limitée, voire négative, que le témoignage de bien des acteurs tendrait à l’indiquer, au premier rang desquels celui de Jacques Rueff lui-même dont le récit publié dès 197252 a servi de source principale, sinon unique, à bon nombre d’analyses ultérieures53.
22Ce n’est que le 26 décembre 1958, soit le matin même du jour où fut réuni à Matignon le long conseil de cabinet où furent présentées pour la première fois aux membres du gouvernement les mesures du plan de redressement, que le gouverneur mentionna incidemment devant le conseil général de la Banque l’existence « d’un comité officieux – qui a pris une sorte d’existence officielle depuis lors – présidé par M. Rueff »54. Les travaux de ce comité, précisait-il encore, consacrés au problème de la réduction du déficit des finances publiques, s’inscrivaient au nombre « des études plus ou moins approfondies [menées] au ministère des Finances » depuis quelques mois dans la perspective de l’entrée en vigueur au 1er janvier 1959 du Marché commun. « Le premier facteur, insistait-il en effet, [était] d’ordre international »55. L’événement le plus important de ce point de vue était, selon lui, le retour imminent de la livre sterling et des autres monnaies européennes à la convertibilité externe qui mettrait fin ipso facto à l’Union européenne des paiements. C’est dans le contexte radicalement nouveau des relations monétaires européennes ainsi créé qu’il convenait de replacer, au terme d’un enchaînement à la logique en apparence fort rigoureuse, la décision de dévaluer le franc français :
« Dès l’instant où l’ensemble des pays européens faisait des pas très nets dans la voie de la convertibilité et où il était indispensable pour la France d’en faire autant, dès l’instant où un tel effort apparaissait égale ment nécessaire pour notre tenue dans le Marché commun, il était évident que la perspective de mesures budgétaires consistant à augmenter d’une manière générale les tarifs et les impôts – ce qui doit entraîner sinon nécessairement du moins probablement une certaine tendance à la hausse des prix de revient – devait conduire à envisager un ajustement monétaire. »56
23Le changement de perspective dénotée par l’analyse de Baumgartner à la fin de 1958 est remarquable. Il explique la réaction spontanée de Georges Gaussel, au sein du conseil général, qui, à la suite de l’exposé du gouverneur, s’était déclaré « atterré à l’idée que c’[était] l’étranger qui dict[ait] à la France sa politique monétaire »57. Cette logique invite, quoi qu’il en soit, à reconsidérer le plan de 1958 à une échelle internationale et non plus seulement nationale58.
24L’histoire des mesures de décembre 1958 doit ainsi sans aucun doute être replacée dans l’histoire plus globale du tournant majeur qui a caractérisé alors les relations internationales. Après l’échec du projet de créer une vaste zone de libre-échange en Europe, consommé à l’initiative de la France par la rupture des pourparlers du comité Maudling le 14 novembre 1958, on devait en effet assister à brève échéance à une recomposition d’ensemble de l’espace économique européen : un centre continental émergeait avec la constitution de la CEE, commercialement fortement intégrée, sur la base de plus en plus affirmée d’un axe franco-allemand, et délimitant de fait une périphérie européenne dont les membres étaient regroupés derrière la Grande-Bretagne dans un ensemble aux liens commerciaux plus lâches, l’Association européenne de libre-échange (AELE), dont la constitution envisagée dès le 30 novembre 1958 fut finalement décidée à Stockholm en juillet 195959. Cette mutation brutale des régimes douaniers en Europe, mais aussi dans une moindre mesure entre l’Europe et la zone dollar, s’accompagnait également d’une évolution non moins sensible du système des paiements internationaux. À l’Union européenne des paiements (UEP), officiellement dissoute le 27 décembre 1958 en même temps qu’était simultanément rétablie de jure la convertibilité externe non seulement de la livre, mais de toutes les autres monnaies européennes, succédait en effet immédiatement l’Accord monétaire européen (AME), conformément à l’accord qui avait été conclu entre les pays membres de l’UEP dès le 29 juillet 1955 dans la perspective que l’on pensait alors proche du retour généralisé à la convertibilité60. Cette évolution traduisait d’une part la réalité d’un retour au principe d’un régime de paiements internationaux décentralisé fondé sur l’activité au jour le jour des marchés des changes et non plus sur le système de compensation centralisé, à échéance bimensuelle, qu’avait été depuis 1950 l’UEP61. Elle signifiait aussi, d’autre part et dans le même esprit, la fin de l’attribution des facilités automatiques de crédit qui avaient jusque-là été accordées dans le cadre de l’UEP aux pays membres dont le solde mensuel vis-à-vis du reste de l’Union se révélait ponctuellement débiteur. L’AME mettait donc fin à ce dispositif d’assistance mutuelle entre États dont les conditions, il est vrai, n’avaient cessé de se durcir à chacun des renouvellements périodiques de l’Union. Le Fonds monétaire européen prévu par les accords et qui était essentiellement destiné à recueillir la contribution initiale de 271,5 millions de dollars dont les États-Unis avaient doté l’UEP à sa création, ne pouvait accorder de nouvelles facilités, désormais dénommées « financement intérimaire », que selon une stricte conditionnalité et pour des montants très limités en volume et dans le temps. Incontestablement, comme le pressentait dès le début de 1959 Pierre Esteva alors jeune conseiller technique au cabinet du ministre des Finances, « les mesures monétaires du mois de décembre 1958 apparaissent comme la consécration de la politique libérale suivie depuis plusieurs années par les pays voisins de la France » et « d’une manière générale, tendront à gagner le Gouvernement français à une politique sans cesse plus ouverte sur l’extérieur »62. C’est dans le contexte de cette mutation d’ensemble qu’il faut s’efforcer de retracer le rôle de la Banque de France et de son gouverneur dans les trois mesures du plan de 1958 les plus directement liées aux évolutions internationales auxquelles la banque centrale était associée de façon croissante depuis le début des années 1950 : la dévaluation, le retour à la convertibilité externe du franc et le désarmement douanier.
25Il ne fait pas de doute que les mesures préconisées par le comité Rueff ont largement rencontré, dès le mois de novembre 1958, l’adhésion du gouverneur de la Banque de France. En témoignent les quelques notes manuscrites jetées par lui au brouillon et résumant en quelques mots sa position : « Adhésion à la vue d’ensemble du Comité (BF collaborera). J’apporte mon adhésion sous réserve de quelques nuances à la ligne de pensée – le mal F. P. – , à la philosophie générale des conclusions – investissement contre consommation »63. Mais Baumgartner exprimait aussitôt sa principale préoccupation liée à l’entrée de l’économie française dans le Marché commun : les « conséquences sur [les] prix et [les] salaires », estimant que la libération des échanges provoquerait un mouvement de hausse des prix qui accentuerait encore la surévaluation de quelque 10 % déjà existante entre les prix français et les prix étrangers. Il en concluait sans détour à la « nécessité d’un ajustement », mais soulignait dans le même temps que c’était là une « décision très délicate ». « La suppression de toutes les indexations » et le retour simultané à la convertibilité rendraient en effet tout « habillage impossible ». La dévaluation poserait donc « un problème politique et psychologique ». Tout allait dépendre « de l’accueil de l’opinion française et étrangère ». La question du « calendrier » était donc essentielle. Il devait être arrêté à la fois en fonction du « budget » et de « l’affaire anglaise »64. Même en tenant compte du caractère par nature très allusif de ce genre de source – hélas si fréquente dès qu’il s’agit de cerner la pensée propre de Wilfrid Baumgartner – on peut tenir pour acquis que le gouverneur de l’Institut d’émission a non seulement globalement approuvé les conclusions du comité Rueff, mais semble avoir également personnellement pesé en faveur de la dévaluation, alors même, on le sait, que jusqu’au bout, sa nécessité fut fortement combattue par le ministre des Finances et qu’elle se heurta longtemps aux préventions du général de Gaulle65.
26Bien que la paternité de la décision de dévaluer ne puisse pas en l’état actuel de la documentation être formellement attribuée à son gouverneur, la responsabilité directe de la Banque de France dans la détermination du taux de la dévaluation est, en tout cas, admise par tous. Jacques Rueff lui-même l’a reconnu : « Je dois marquer cependant que, sur le choix d’un cours de stabilisation, ce fut mon collègue Wilfrid Baumgartner qui présenta le dossier. Il avait fait faire par ses services de savantes études sur le niveau des prix français et étrangers et concluait à une dévaluation de 17,5 % »66. Henri Koch, qui au moment des événements qu’il relate était détaché à la direction générale des Études et du Crédit, confirme le rôle de la Banque dans la préparation de la dévaluation du 26 décembre 1958 mais s’indigne qu’il soit réduit par Rueff à « un simple chiffrage », insistant sur le fait que la Banque étudiait depuis longtemps déjà la question d’une dévaluation67. Et, aussi bien, il ne s’agit pas ici de chercher à rendre à César ce qui lui revient. L’enjeu est plutôt, à travers la résurgence du débat sur la dévaluation qui s’est posé alors de manière continue entre l’été de 1957 et la fin de 1958 au sein de la Banque de France, de tenter de comprendre pourquoi l’économie française à la fin de la IVe République était parvenue sans conteste à un moment « critique » de son évolution depuis la fin de la guerre. De ce point de vue, le plan de décembre 1958, comme le veut la geste gaullienne, a bien constitué une rupture forte. Mais sa portée ne peut s’expliquer, et cette fois plus que ne le voudrait la mémoire gaullienne, par la conjonction historique de logiques nationales fortes – le changement de régime politique et l’engagement personnel du général de Gaulle – et de dynamiques internationales tout aussi prégnantes, à l’œuvre depuis le début des années 1950, dans le sens de l’ouverture toujours croissante des économies nationales.
27Or la dévaluation, par nature, est précisément au croisement des logiques nationales et internationales parce qu’elle consiste à redéfinir l’articulation de la face interne et de la face externe de la monnaie. Elle constitue aussi un acte légal qui, au xxe siècle, a exprimé le mieux le pouvoir régalien attaché à la monnaie, plus même que l’émission dont le contrôle a tendu à échapper aux pouvoirs publics en raison des mutations à la fois structurelles et qualitatives qu’a connues dans la période la masse monétaire. La dévaluation, au contraire, est toujours demeurée une décision relevant en dernière instance du pouvoir politique. Comme telle, elle est assurément un outil de régulation nationale, intervenant au point de contact direct entre le gouvernement et les différents groupes économiques et sociaux qu’elle pénalise ou avantage selon les cas. Mais parce qu’elle modifie par définition les parités de la monnaie nationale vis-à-vis de toutes les autres devises, elle est tout autant un instrument de régulation (ou de dérégulation) internationale. C’est dire qu’à travers les débats récurrents sur la dévaluation qui ont régulièrement surgi en France, en 1926-1928, 1934-1936, 1952-1953, 1957-1958, comme encore en 1968-1969, 1974-1976, 1981-1983, c’est à chaque fois le même problème qui est posé : dans quelle mesure et à quelles conditions concilier les formes prises à un moment donné par la régulation nationale des rapports économiques et sociaux avec l’évolution des modalités de la régulation des rapports internationaux ? La question s’est trouvée, en tout cas, au cœur des analyses menées en 1957-1958 à la Banque de France sur l’éventualité d’une dévaluation.
28Parmi les cadres dirigeants de l’Institut d’émission, Jean Bolgert, prototype de la figure de l’expert monétaire international durant l’entre-deux-guerres et qui avait pris, on l’a vu, une part déterminante depuis la fin de la guerre dans la conduite de la politique monétaire extérieure de la France68, analysa avec le plus de lucidité les enjeux à la fois nationaux et internationaux de la dévaluation. La question, à vrai dire, n’avait pratiquement jamais cessé de se poser depuis que la guerre de Corée avait remis en cause la validité économique des parités internationales définies par les dévaluations en chaîne de septembre 1949. À l’été 1953, on le sait, le débat autour de la dévaluation avait connu un premier développement important69. Bolgert s’était alors nettement déclaré en faveur d’un ajustement monétaire immédiat, mais insistait également sur le fait que la dévaluation ne devait en aucun cas « être considérée comme une opération isolée »70. Elle devait au contraire s’accompagner, déjà, d’un mouvement irréversible de suppression des contingents aux importations et de retour rapide à la convertibilité du franc de façon « à mettre fin à la mortelle économie fermée » au sein de laquelle protections multiples et chasses gardées aboutissaient au « malthusianisme économique » et à la « sclérose » croissante des structures productives et des réseaux de distribution71. Ce schéma d’ensemble – dévaluation, convertibilité, libéralisation commerciale – et ces arguments étaient repris par Bolgert en avril 1957, alors qu’il était devenu après sa mise à la retraite conseiller personnel du gouverneur. Il recommandait, comme en 1953, une dévaluation immédiate du franc de l’ordre d’environ 15 %, intégrée dans « une politique d’ensemble, ferme et cohérente », propre à éliminer « les béquilles » de l’économie française soudain ouverte au « vent salutaire de la concurrence internationale »72. D’emblée, en effet, l’accent était mis sur « les facteurs nouveaux » intervenus depuis 1953, au premier rang desquels les « engagements internationaux contractés par la France » dans la perspective de l’institution du marché commun et vis-à-vis de l’OECE73. Il préconisait dans ce contexte nouveau « d’insérer l’ajustement du franc dans une opération internationale », comportant par exemple une réévaluation légère du deutsche mark. Enfin, il suggérait que la dévaluation « pourrait être suivie de la définition d’un nouveau franc, égal à 100 unités actuelles : réforme d’une immense portée qui s’imposera quelque jour si l’on veut rendre au pays une monnaie digne de ce nom et mettre fin à la psychose inflationniste née de la cascade de dévaluations subies depuis trente ans »74. L’idée de changer la dénomination et l’expression numérique de l’unité monétaire était assurément dans l’air à la fin des années 1950, en France comme dans d’autres pays marqués par l’inflation, l’Italie par exemple. Elle pouvait se fonder, comme le soulignait d’ailleurs Bolgert, sur le précédent de la réforme monétaire allemande de 194875.
29La nécessité de la dévaluation était également affirmée au sein de la Banque par Maurice Pérouse qui venait d’être nommé secrétaire général du Conseil national du crédit à son retour de Washington où il avait séjourné, on l’a vu, comme attaché financier de 1953 à 1957. Né en 1914, il s’était destiné d’abord à une carrière d’ingénieur, comme son père qui avait fait, lui, l’École des mines. Reçu en 1936 à l’École centrale, il partit dès 1937 aux États-Unis pour y suivre la formation du master of science du Massachusetts Institute of Technology.
30Admis en 1945 à l’inspection des Finances, il s’était d’abord illustré à Sarrebrück comme directeur des Finances de la Sarre auprès du haut-commissaire Gilbert Grandval. De retour à Paris, il avait fait partie entre 1948 et 1953 de l’équipe restreinte rassemblée sous le magistère exigeant de Guillaume Guindey à la direction des Finances extérieures du ministère des Finances. Comme Bolgert, sa carrière avait donc jusque-là été fortement tournée vers l’étranger, à l’intersection des logiques nationales et internationales. Quoi d’étonnant, dès lors, si son analyse à l’été 1957 de la nécessité de la dévaluation conjuguait à merveille un point de vue à la fois interne et externe : « Le franc, écrivait-il d’entrée de jeu, doit être dévalué. Il faudrait, pour n’en point convenir, être, volontairement ou non, aveugle aux réalités économiques les plus évidente »76. Ces réalités renvoyaient d’abord au déficit structurel de la balance des paiements de la France. Tant que l’offre interne, pourtant « sur une lancée d’accroissement sans précédent », continuera à excéder la demande interne dans le cadre d’une « économie en vase clos »77, le « coup de fouet » procuré par la dévaluation aux exportations ne se traduirait, à brève échéance, que par un renforcement du déséquilibre interne entre offre et demande et donc par de nouveaux progrès de l’inflation. Il était donc bien évidemment indispensable d’accompagner l’ajustement monétaire de mesures de libéralisation des importations susceptibles de faire baisser par le jeu de la concurrence nouvelle ainsi créée le niveau des prix intérieurs. Mais cette ouverture même n’éliminait pas pour autant le risque de voir se poursuivre à l’intérieur la croissance trop rapide de la demande entraînant celle de l’offre « au prix d’un volume sans cesse croissant – malgré leur valeur accrue – d’importations de produits étrangers », conduisant comme en 1956 à une forte aggravation de l’inflation et du déficit de nos comptes extérieurs78. Il ne fallait donc pas se dissimuler, poursuivait logiquement Pérouse, que la dévaluation ne pouvait apparaître comme « un geste de force » propre notamment à faire revenir les capitaux à court terme évadés, que si elle survenait « dans une conjoncture rendue préalablement déflationniste, ou du moins désinflationniste, par une politique rigoureuse en matière d’impôts, de dépenses budgétaires, de restrictions de crédit et d’encouragement à l’épargne »79. De la réalité de ce que Pérouse lui-même appelait dès 1957 « la désinflation » – néologisme promis à l’avenir que l’on sait à compter de la fin des années 1970 – dépendait donc étroitement le succès de la dévaluation. C’était le choix d’une politique véritable de « désinflation », non l’ajustement monétaire, qui donnerait le signal du retour « massif et durable » des capitaux flottants. À cet égard, soulignait Pérouse, « les réactions de nos visiteurs du Fonds Monétaire la semaine dernière » avaient bien montré qu’ils « n’estimaient manifestement pas assez énergique notre politique actuelle de redressement »80. Il était d’ailleurs, concluait-il, « difficile en toute objectivité de penser autrement »81. Sur ces bases, on comprend que lorsque le texte du rapport Rueff, achevé le 8 novembre, fut dans les jours qui suivirent diffusé à l’intérieur de la Banque, il fut jugé plutôt favorablement par Pérouse :
« Le rapport Rueff modifie profondément – ou du moins éclaire sous un jour complètement nouveau – les conditions dans lesquelles se présente la question de l’ajustement monétaire. Si ses conclusions sont adoptées, la dévaluation devient absolument inévitable, en même temps que ses difficultés sont considérablement accrues. »82
31Il peut donc être tenu pour acquis que la genèse du dispositif d’ensemble du plan de redressement de décembre 1958, articulant de façon étroite mesures internes et externes, ne date pas de la formation du comité Rueff. Comme tel, le plan de 1958 plongeait ses racines fort avant dans les années 1950. Le programme préconisé par le comité Rueff à l’automne 1958 s’est greffé en quelque sorte sur une réflexion préexistante, menée de longue date, notamment au sein de la Banque de France, dans un milieu humain situé par fonction à l’intersection du système financier national et international, au contact fréquent, notamment, du FMI, de l’OECE ou encore de la BRI.
32Pour autant, cette position demeurait à n’en pas douter minoritaire dans la France de la fin des années 1950. Au sein même des cadres dirigeants de la banque d’émission, les résistances à l’opération d’ajustement ainsi comprise ne manquaient pas. Ainsi Saltes, qui s’y était déjà montré fortement hostile à l’été 1953, ne dissimula pas jusqu’au bout son opposition persistante à une nouvelle dévaluation, qu’il estimait encore au début de 1958 être une « opération dangereuse et regrettable », dans une économie « où tout est indexé »83. Dès la fin d’octobre 1958, cependant, la direction des Études et du Crédit de la Banque se mit à multiplier les notes techniques sur les différentes modalités d’un ajustement monétaire. La nécessité d’une dévaluation, pouvait-on ainsi lire dans une note datée du 29 octobre, découlait directement de la perspective de l’entrée en vigueur prochaine du Marché commun, dont l’incidence serait « particulièrement sensible dans le cas de la France, qui est parmi les pays de la Communauté celui dont le protectionnisme est le plus accusé »84. Rejetant une dévaluation « coup de fouet » qui aboutirait à donner aux exportateurs français une trop grande facilité et les détournerait de « l’indispensable effort d’adaptation », la note préconisait seulement une dévaluation « coup de balai », soit à un taux d’environ 12 %, propre à gommer la surévaluation du niveau des prix français par rapport au niveau des prix étrangers85. Mais dans une nouvelle note, datée cette fois du 4 novembre, il était proposé « de donner à une opération monétaire davantage le caractère d’un coup de fouet » et de porter, en conséquence, le taux de la dévaluation à 15 %86. Ce nouveau chiffre tenait compte non seulement de la disparité entre prix français et étrangers, mais aussi de l’effet des mesures de libération douanière qui exigerait un effort d’exportation important, propre à compenser au niveau du solde de la balance des paiements, « l’accroissement prévisible de nos exportations d’environ 140 millions de dollars »87. Le 14 novembre, Pérouse abondait dans le même sens, insistant une nouvelle fois sur la nécessité d’insérer en effet la dévaluation dans un programme d’ensemble : « Une dévaluation n’est jamais une panacée. En soi, elle est même toujours un événement malheureux. [Elle] ne peut pas réussir si elle est considérée comme une simple mesure isolée de technique des changes. Elle ne doit être qu’un élément dans un ensemble économique cohérent »88. Replaçant ainsi à son tour la dévaluation dans le contexte de l’entrée dans le Marché commun, il mettait en outre en évidence qu’il s’agissait bien là d’un ensemble de décisions « politiques et non plus techniques », qui impliquaient de renoncer à d’autres options : « améliorer le niveau de vie de l’ensemble de la population » ou bien encore « prélever sur la production nationale une part […] pour l’administration, la défense et l’équipement de l’Afrique »89. Notable lucidité qui confirme la réalité du choix proprement historique qui fut opéré en décembre 1958.
33C’était bien, du reste, par opposition à ce choix politique qu’elle impliquait que la dévaluation s’est trouvée alors combattue de multiples côtés. Ainsi au sein même de la banque de Jean Saltes, qui, contraint de battre en retraite alors que la dévaluation était cette fois imminente au lendemain du dépôt du rapport Rueff dont il était l’un des cosignataires, s’élevait encore au début de décembre 1958 contre le taux de combat de 17 % finalement retenu pour l’ajustement monétaire et qu’il jugeait « aberrant »90. Ainsi de Jean Sadrin, directeur des Finances extérieures au ministère des Finances, qui le 12 décembre s’élevait encore contre le principe même d’une dévaluation « à froid » :
« On peut regretter que la France soit amenée à envisager une nouvelle diminution de la valeur de sa monnaie pour des raisons qui, cette fois, ne tiennent ni à une évolution brutale des disparités de pouvoirs d’achat ni à une crise grave de balance des paiements, mais uniquement au désir d’équilibrer les finances intérieures par un ensemble de moyens ayant des répercussions sur les prix »91.
34Ainsi d’Olivier Wormser, l’influent directeur des affaires économiques au Quai d’Orsay qui au lendemain immédiat des mesures finalement adoptées à la fin de 1958 écrivait, « en tant qu’économiste et en tant que diplomate », à Wilfrid Baumgartner : « Plus je réfléchis aux mesures prises ces jours-ci, plus je suis convaincu que nous venons de faire un pari très risqué »92. Il attirait donc l’attention du gouverneur sur la nécessité de ne pas renoncer trop vite, en dépit des mesures de libération qui venaient d’être décidées, à toute forme de contrôle sur le commerce extérieur de la France, suggérant par exemple de continuer à contingenter de fait les importations en faisant exiger par la Banque de France « une couverture en devises avant tout accord d’importation »93. Le choix « politique » à l’origine des mesures « techniques » du plan de 1958 allait décidément à rebours d’une opinion fort répandue.
35À ces nombreuses inquiétudes, concernant, sur un plan national, la capacité de l’économie française à ouvrir son commerce sur l’extérieur, faisaient directement écho, sur un plan international, les réticences tout aussi fortes exprimées par le second sous-gouverneur de l’Institut d’émission, Pierre Calvet, devant la perspective du retour généralisé à la convertibilité des monnaies en Europe à la suite du rétablissement programmé de la convertibilité de la livre sterling. La décision britannique, exposait-il, aurait en effet pour corollaire la suppression, à plus ou moins brève échéance, de toutes les entraves au commerce extérieur britannique, tant vis-à-vis de l’Europe que de la zone dollar. La restauration d’un tel « système d’échanges et de paiements, multilatéralisés on a world basis », écrivait Calvet, « peut avoir d’importantes conséquences, d’un caractère essentiellement négatif, pour les efforts de construction européenne, et nous entendons par là l’Europe à dix-sept aussi bien que l’Europe à Six »94. Sous la plume de Calvet se trouvait ainsi explicitée, au lendemain de la rupture des négociations du comité Maudling sur la zone de libre-échange, une certaine conception de la construction européenne qui tendait bien à opposer la « forteresse Europe » au reste du monde. L’UEP, dont le retour de la livre à la convertibilité impliquait la suppression, illustrait bien, dans l’esprit de Calvet, cette conception : « Mécanisme d’entraide déjà si ancien, si installé, qu’on a tendance à en oublier l’élément essentiel, lequel consiste, non pas seulement dans l’automatisme des crédits, mais dans le fait que les crédits sont en règles générales remboursables que si et lorsque le pays débiteur redevient excédentaire »95. C’était admettre que l’UEP avait eu pour conséquence de figer progressivement, au sein d’un système d’endettement automatiquement reconduit, les rapports entre ses membres devenus structurellement débiteurs, au premier rang desquels la France, suivie de la Grande-Bretagne, de la Norvège et du Danemark, et ses membres structurellement créditeurs : l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas. La « terminaison de l’UEP », que ne remplacerait en aucun cas l’AME, « construction hâtive », dépourvu précisément du mécanisme des crédits automatiques qui était au cœur de l’UEP, devait donc déboucher, selon Calvet, sur « une situation profondément nouvelle ». Les pays débiteurs, avertissait-il, « devront se précipiter pour négocier avec les créanciers, Allemagne en premier lieu, des accords pour le remboursement de leurs dettes, et si les créanciers refusent des facilités auxquelles rien en droit ne les oblige, les dettes devront être remboursées en trois ans »96. Sombre tableau auquel le sous-gouverneur ajoutait pour faire bonne mesure, mais trahissant aussi une hantise toujours bien présente dans la France des années 1950, que ce retour soudain aux réalités des rapports de forces en Europe mettrait « au grand jour la suprématie financière de l’Allemagne qui [était] restée jusqu’[alors] remarquablement discrète »97.
36Face à ces évolutions, concluait-il sans détour, il ne faisait pas de doute que « pour la France, le statu quo [était] à tous égards préférable ». Mais ajoutait-il aussitôt sans illusion : « Ces réflexions sont peut-être un peu vaines, car la décision nous échappe. C’est la Grande-Bretagne qui réglera le destin de l’UEP en décidant ou non du rétablissement de la convertibilité de la livre, sans s’embarrasser, surtout dans les circonstances actuelles, de recueillir notre avis ou de tenir compte de nos préoccupations »98. Ce pessimisme teinté de réalisme constitue un élément d’explication non négligeable de l’histoire de la genèse, mais aussi des suites, du plan de 1958. Il renvoie sans aucun doute à cette conception amplement répandue au sein de l’administration française, tant au ministère des Finances qu’aux Affaires étrangères, mais aussi dans bien des milieux patronaux et syndicaux, selon laquelle l’économie et la société française n’étaient pas prêtes, en 1958, à affronter le vent du grand large, même à l’abri du môle de la «construction» européenne.
LE RETOUR À LA CONVERTIBILITÉ MONÉTAIRE : LA PARTIE DU GOUVERNEUR
37Au sein de ce débat, qui traversait l’institution même qu’il dirigeait, quelle a été alors la ligne de conduite de Wilfrid Baumgartner ? Comme souvent en pareil cas, sa prise de position intime nous échappe. Elle apparaît donc, une fois de plus, comme la résultante d’un jeu de forces multiples au centre duquel le gouverneur s’est tenu en équilibre, assez longtemps pour être à même d’en recueillir, et cette fois dans le sens de la réforme, la poussée ultime. Dès juin 1958, il donna la preuve de cette capacité à anticiper l’événement, donc à attendre, qui n’est pas forcément, loin s’en faut, marque de faiblesse. La question s’est trouvée en effet posée devant le conseil général de la Banque de procéder alors à la réévaluation de son encaisse métallique et des devises détenues à l’actif du Fonds de stabilisation des changes, suite à l’officialisation par le nouveau gouvernement, le 21 juin 1958, de l’opération 20 % d’août 195799. Contre toute attente, le gouverneur se déclara plutôt favorable à une solution d’attente consistant à repousser à la fin de l’année toute décision définitive et expliquant qu’il convenait de ne pas aller trop vite « dans une voie sur laquelle nous ne sommes pas encore assurés »100. Ces réticences se heurtèrent à l’avis de la majorité du conseil dont Brunet se fit le porte-parole : la réévaluation de l’encaisse produirait « une espèce d’impression de consolidation dans l’esprit du public, […] car on y verrait la preuve que l’on ne s’attend pas à de nouveaux changements »101. À quoi, Baumgartner répondit justement que l’on pouvait opposer à cette thèse « un argument que chacun devine, à savoir que l’on n’est pas, en cette période un peu agitée, dans le même état de relative certitude où l’on se trouvait lors de la précédente dévaluation »102. Cet art consommé de l’understatement, à vrai dire toujours de mise quand il a été question en France de débattre de la dévaluation, ne doit pas masquer ici le fait que, même si la réévaluation des réserves de la Banque fut finalement décidée le 24 juillet, l’éventualité de procéder avant la fin de l’année à un nouvel ajustement du franc était présente à l’esprit du gouverneur dès la formation du gouvernement De Gaulle. Cette conviction peut s’expliquer par la connaissance très précise qu’avait Baumgartner, tant par ses contacts personnels réguliers à Bâle à la BRI que par les liens directs qu’il n’avait pas cessé d’entretenir avec le FMI et son directeur général, Per Jacobsson, de l’évolution rapide des rapports monétaires internationaux depuis le début de 1958.
38C’est de Grande-Bretagne qu’est partie, pour la dernière fois au xxe siècle, une initiative qui aboutit à redéfinir le cadre des relations monétaires internationales avec l’opération Unicorn (Licorne) lancée au début d’octobre 1958, au moment même où en France était constitué le comité Rueff. L’histoire d’Unicorn est maintenant bien connue, au moins pour le côté britannique et allemand de l’opération et du point de vue qui était alors celui des institutions monétaires internationales103. En revanche, comme l’ont bien montré Paul Pitman et Monika Dickhaus, le problème de son articulation au retour simultané à la convertibilité du franc français laisse subsister bien des interrogations. Leur examen peut donc contribuer à compléter encore l’histoire de la coopération monétaire du second xxe siècle, mais il peut permettre de préciser aussi l’histoire plus strictement franco-française du plan de décembre 1958. L’objectif de l’opération Unicorn consistait, comme on sait, à rétablir la convertibilité externe de la livre sterling en unifiant le taux de change officiel et le taux de marché qui régulait les livres dites « transférables » finalement instituées en mars 1954 après l’échec des tentatives menées depuis 1952 par la Grande-Bretagne pour rétablir la convertibilité de sa monnaie104. C’est une fois encore sous l’impulsion de la Banque d’Angleterre que le dossier fut rouvert au début de février 1958. Mais l’affaire en demeura là, devant l’opposition de la Trésorerie et les réticences du chancelier de l’Échiquier, Derick Heathcoat Amory, inquiet des conséquences négatives qu’un retour à la convertibilité de la livre aurait pu avoir tant sur l’économie nationale que sur le déroulement des pourparlers toujours en cours à l’OECE au sein du comité Maudling105. Il n’est pas indifférent de noter qu’à travers les échanges multiples de points de vue qui eurent lieu à cette occasion entre la banque d’émission et la trésorerie britanniques, resurgissait une nouvelle fois le débat qui avait dominé toute la politique monétaire de la Grande-Bretagne dans l’entre-deux-guerres : le rôle international de la livre était-il compatible avec la croissance de l’économie nationale ? Fallait-il véritablement choisir entre les intérêts de la City et ceux des milieux industriels106 ? Un débat qui s’était posé en France avec une vigueur au moins aussi forte avant la Première Guerre mondiale, mais qui depuis 1918 et plus encore depuis 1945, avait grosso modo toujours été tranché en faveur de l’économie nationale, sans doute du fait du rôle international structurellement plus faible du franc français et de la place de Paris.
39Pour l’heure, la rapide reconstitution des réserves de change britanniques au lendemain de la crise de Suez, la perspective aussi de pouvoir le cas échéant bénéficier de l’augmentation prévisible des quotas du FMI, ajoutée, semble-t-il, à des considérations de calendrier électoral, décidèrent le cabinet Macmillan à relancer le processus à la fin de l’été 1958. Dès le 27 septembre, le chancelier de l’Échiquier en informait à New York Anderson, le secrétaire d’État au Trésor américain. Mais c’est à l’occasion de l’assemblée annuelle du FMI tenue à New Delhi du 6 au 10 octobre que l’opération Unicorn, comme elle fut dès lors baptisée, s’enclencha véritablement. Amory, accompagné de son directeur du Trésor, Roger Makins et de Maurice Parsons qui à la Banque d’Angleterre venait de succéder à Bolton comme executive director, fit part en privé à Jacobsson, mais aussi au ministre de l’Économie de RFA, Ludwig Erhard, et au nouveau président de la Bundesbank, Karl Blessing107, des intentions de la Grande-Bretagne de revenir à brève échéance à la convertibilité de la livre. Il semble bien que les représentants français aient été alors tenus à l’écart de ces confidences. Baumgartner qui s’était rendu en Inde sans Pinay, mais accompagné de Schweitzer et de Calvet, rapporta de retour à Paris le 16 octobre que l’assemblée du Fonds avait donné lieu à « une grande démonstration par les délégués britanniques des progrès de leur situation monétaire ». Et il ajoutait à l’intention du conseil général de la Banque qu’on laissait volontiers entendre, « dans tout ce qui touch[ait] aux milieux anglais – avec lesquels [il allait] avoir l’occasion d’être de nouveau en contact ce soir à Londres – , que les circonstances semblaient de plus en plus favorables au rétablissement de la convertibilité de la livre et [que] des mesures pourraient intervenir dans la période qui se situe à partir de décembre et qui s’étend jusqu’à février ou mars »108. De fait, le gouverneur atterrissait en fin d’après-midi à Heathrow et prenait part le soir même à Londres au dîner annuel du lord-maire, y retrouvant, comme chaque année à cette occasion, tout l’establishment de la City109.
40L’audience de Wilfrid Baumgartner au sein du milieu financier international est sans nul doute à son zénith à la fin des années 1950. Elle se manifeste alors tout particulièrement à travers l’étroite relation que le gouverneur entretenait depuis la crise de décembre 1957 avec Per Jacobsson. Il est ainsi établi que le gouverneur de la Banque de France fut le go between tout désigné de la première rencontre qui réunit Jacobsson et Pinay à l’occasion d’un déjeuner rue de Rivoli le 24 juin 1958. La veille, le directeur général du FMI avait été convié par Baumgartner à un déjeuner à la Banque de France auquel avaient également été conviés Maurice Couve de Murville et Pierre-Paul Schweitzer110. La fréquence des rencontres entre le gouverneur et Jacobsson semble bien s’être accrue encore à l’automne 1958. C’est ainsi que les deux hommes avaient convenu d’un déjeuner commun à la Banque de France, le 25 septembre 1958, à la veille de l’assemblée du Fonds à New Delhi111. Dès le 20 octobre, à son retour de Londres, Baumgartner écrivait de nouveau à Jacobsson :
« Nous vivons ici des temps agités, mais cependant dans la balance des bonnes et des mauvaises nouvelles les bonnes semblent, pour le moment, l’emporter surtout si on considère l’évolution politique […]. Un court passage de vous à Paris, s’il est possible, me paraîtrait souhaitable. Nous avions parlé de la fin de la semaine prochaine. Le mieux serait que je vous téléphone à ce moment »112.
41Jacobsson avait donc fait une nouvelle étape à Paris, de retour du Caire et avant une autre escale prévue à Londres. Le 23, il participa à un nouveau déjeuner rue de la Vrillière, auquel cette fois assistaient en outre Jacques Rueff lui-même, mais aussi Guillaume Guindey, le directeur général de la BRI, Louis Franck, le directeur des Prix au ministère des Finances, Adéodat Boissard, le gouverneur du Crédit foncier, et Alfred Hayes, le président de la Banque de réserve fédérale de New York113. À l’issue de ce déjeuner, une réunion de travail avait réuni Rueff et Jacobsson dans le cabinet du gouverneur114. Le lendemain, de nouveau à la Banque, Jacobsson rencontrait cette fois Schweitzer et Pierre David Weill de la banque Lazard, puis il devait se rendre une nouvelle fois, toujours accompagné du gouverneur, chez Pinay au ministère des Finances115, avant de prendre part enfin, chez les Baumgartner, à un dîner où avaient été conviés, cette fois avec leurs épouses, tous les membres de l’état-major de la Banque116. Dans cet emploi du temps déjà bien rempli avait, en outre, était également organisée de bon matin, à la Banque de France toujours, une entrevue avec le rédacteur en chef de La Vie française, René Sédillot qui n’avait rien à refuser au gouverneur de l’Institut d’émission : « La France, avait alors déclaré Jacobsson au journal financier, comble mes espoirs […]. Voyez les cours pratiqués sur les marchés des changes et de l’or : le franc y fait bonne contenance, il commence à inspirer la confiance […]. L’on approche du moment où l’on pourra songer à une stabilisation définitive »117. Il ne fait donc pas de doute que le directeur général du FMI n’est pas non plus resté étranger à l’histoire de la genèse du plan de 1958. Le contact alors établi avec Rueff et dont pourtant l’auteur de L’Âge de l’inflation nulle part ne dit mot, l’atteste. Sa capacité d’influence est-elle allée plus loin et convient-il de lui attribuer, comme le fait sans hésiter Harold James, une responsabilité directe dans l’adoption du programme de redressement par le gouvernement français118 ? Il est en tout cas avéré que dès le 24 juin 1958, le jour même de sa première rencontre avec Pinay, Jacobsson s’est entretenu également avec le général de Gaulle, qu’il avait croisé une première fois en Alsace au printemps 1945119. Il aurait alors tenu à De Gaulle qui lui faisait part de ses projets de renouveau politique après les errements de la IVe République le discours suivant : « Mon Général, vous parlez de restaurer l’estime que l’on doit avoir pour la France. Je ne pense pas qu’on puisse avoir de l’estime pour un pays qui a une monnaie faible »120. « Probablement pas » lui aurait répondu le général. Jacobsson aurait alors retracé en quelques mots et à sa façon l’histoire monétaire de la France depuis le début du xixe siècle :
« En 1802 [sic], Napoléon [sic] donna à la France le franc-or – qui demeura inchangé jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914. Il survécut aux deux guerres napoléoniennes malheureuses ; à la guerre de 1870-1971 ; il survécut aux révolutions de 1830 et de 1848 ; et à tous les changements de gouvernements durant la IIIe République. Et la solidité de la nation française se manifesta d’elle-même durant la terrible épreuve de 1914-1918. Vous voyez, les Français sont un peuple intelligent, laborieux et économe. Et pour peu qu’on leur donne la stabilité monétaire, ils peuvent supporter une bonne dose d’instabilité politique. Mais après 1919, ils eurent à la fois l’instabilité politique et l’instabilité monétaire et ça, c’est trop, même pour un Français. Mon Général, je suis certain que vous donnerez aux Français une meilleure constitution, mais on ne sait jamais : les Français ont une mentalité terriblement politique. Mais si vous pouviez, comme Napoléon, donner une bonne monnaie au peuple français, vous auriez certainement rendu un service durable à la France. »121
42Le général, à en croire Jacobsson, le fixant dans les yeux, lui aurait alors simplement répondu : « Je veux me rappeler ce que vous m’avez dit »122. Décidément, l’histoire monétaire, comme l’histoire-bataille, semble pouvoir aussi revendiquer ses grands hommes et ses paroles historiques… Mais, sans faire pour autant du directeur général du FMI, le père véritable du nouveau franc, il reste qu’à travers l’influence qu’il a pu exercer au cours du second semestre de 1958, tant sur Pinay ou de Gaulle que sur l’opinion financière française, la réalité de la dimension internationale du plan de 1958 est clairement indiquée. Il est revenu au gouverneur de la Banque de France, par fonction et par inclination personnelle, d’assurer par une stratégie appropriée l’articulation des deux dimensions, nationale et internationale, du programme en cours de préparation à l’automne 1958.
43À partir d’octobre 1958, en effet, une double chronologie se met en place, aboutissant à mettre en étroite interférence d’une part le déroulement des négociations internationales sur la convertibilité et la zone de libre-échange et, d’autre part, la définition par le gouvernement de Gaulle du programme de redressement national sur la base des conclusions du comité Rueff. Conformément aux directives du cabinet britannique, un premier échange de vues entre banquiers centraux eut lieu début novembre sur les modalités d’un retour conjoint à la convertibilité lors de la réunion mensuelle du conseil de la BRI à Bâle. Baumgartner y dîna notamment avec son homologue britannique, le 9 novembre à leur table attitrée de l’hôtel des Trois Rois123. Le gouverneur de la Banque de France, à en croire le compte rendu qu’en fit dès son retour à Londres le gouverneur de la Banque d’Angleterre, y déclara, « à titre privé et personnel » qu’il était préférable en tout état de cause d’attendre la tenue des élections législatives des 23 et 30 novembre. Il aurait enfin assuré Cobbold qu’il ferait de son mieux pour gagner De Gaulle au projet, mais qu’il ne pouvait pas garantir le résultat de ses efforts124. Dès son retour, le gouverneur, de fait, s’était rendu chez Pinay rue de Rivoli, avant de prendre part à un dîner à l’invitation du général de Gaulle. Le lendemain encore, c’était cette fois à Georges Pompidou, directeur du cabinet du président du Conseil, qu’il rendait visite125. Cet emploi du temps indique assez combien les événements internationaux de cet automne 1958 se sont trouvés reliés, à travers la personne et la fonction du gouverneur de la Banque de France, aux affaires intérieures.
44Le 17 novembre, alors que venaient d’être suspendues par la France, les discussions du comité Maudling, Baumgartner téléphonait à la Banque d’Angleterre. En l’absence du gouverneur, c’est l’un de ses collaborateurs qui reçut l’appel et, par chance pour l’historien, transcrivit les paroles du gouverneur de la Banque de France :
« Tout en pesant ses mots, il déclara que ses plans suivaient leurs cours, mais que “cela prendrait du temps”. Il se dit également très préoccupé par l’évolution présente des relations provoquée par la rupture des pourparlers sur la Zone de Libre Échange. J’en déduis qu’il souhaitait que nous ne fassions rien qui soit susceptible d’exacerber la situation dans un proche avenir : il allait de toute façon nous écrire »126.
45Le message téléphonique de Baumgartner contribua sans aucun doute à bloquer le processus du côté britannique où l’on était soucieux de ménager la France dans la perspective, estimait-on, d’une reprise à brève échéance des négociations sur la zone de libre-échange. Baumgartner avait-il pris l’initiative de cet appel en fonction de considérations exclusivement internationales ? Incertitude difficilement réductible et qui est le propre de cette histoire somme toute « diplomatique ». Le soir même, le gouverneur assistait à l’Opéra à une représentation du Bal Masqué de Verdi. C’est, en tout cas, le lendemain de son appel à la Banque d’Angleterre, le 18 novembre donc, que s’est tenue à Matignon la réunion décisive où furent examinées pour la première fois et en petit comité les conclusions du rapport Rueff en présence de son auteur, du général de Gaulle, flanqué de son directeur de cabinet, Georges Pompidou, et de son conseiller financier, Roger Goetze, du ministre des Finances, Antoine Pinay et du gouverneur de la Banque de France127. C’est à cette occasion que Baumgartner préconisa une dévaluation de 17,4 %, sur la base des études précises qu’il avait fait entreprendre à la Banque, on l’a vu, dès la fin du mois d’octobre. Contrairement à ce qu’a ultérieurement laissé entendre Rueff, le programme contenu dans son rapport semble bien n’avoir pas immédiatement recueilli l’adhésion sans réserve du général de Gaulle. Quant à Antoine Pinay, comme l’admet Rueff lui-même, ses réticences étaient profondes, nourries notamment de sa fidélité à la ligne politique générale du Centre national des indépendants et paysans. La question de la dévaluation tout particulièrement demeurait en suspens. Tout au long des jours qui suivirent se sont multipliées les rencontres entre Baumgartner et Rueff : le 19 à la Banque de France en présence de Saltes, Pérouse et Calvet. Le samedi 22, au domicile du gouverneur rue de Valois. Le 25 encore, au lendemain du premier tour des élections législatives, dans le cabinet de Pinay au ministère des Finances. Dans le même temps, le gouverneur voyait Pinay seul, puis de nouveau Pompidou, et encore De Gaulle accompagné de Pinay. Le 26, dans le bureau de Pompidou à Matignon, il retrouvait une dernière fois Rueff, mais aussi Schweitzer, Gilbert Devaux, le directeur du Budget et Jean Guyot. Intense ballet, jeu d’ombres qui s’agitent, tantôt côté cour, tantôt côté jardin et dont il est bien difficile de déterminer l’exacte teneur. Mais la fréquence soudain plus élevée de ces contacts traduit l’action, exprime la difficulté aussi à faire passer dans le chas de l’histoire les décisions de grande portée, propres à en infléchir le cours. À la fin de novembre, le balancier, à l’évidence, ne s’était pas encore immobilisé dans un sens donné. C’est ce que Baumgartner fit comprendre à demi-mot au cours du déjeuner auquel il prit part à l’ambassade des États-Unis le 5 décembre et auquel assistait également l’ambassadeur britannique128. C’est encore ce qu’il déclara, en l’absence de Cobbold en voyage à Washington, à John Stevens, executive director à la Banque d’Angleterre, lors du meeting de la BRI à Bâle les 7 et 8 décembre, insistant sur le fait que De Gaulle n’avait pas encore à cette date accepté le principe de la dévaluation129. Comme le soulignait alors à l’intention du gouverneur Julien Koszul, son directeur général des services étrangers, après un entretien particulier avec Stevens, tout était question de timing :
« Les autorités britanniques ne peuvent pas ne pas procéder très rapidement. [La Bank of England] souhaite toutefois procéder à la réforme dans la mesure du possible à un moment qui ne soit pas trop gênant pour nous en ce qui concerne d’éventuels et prochains remaniements monétaires en France. […] Les autorités britanniques se déclarent donc extrêmement soucieuses d’adopter un timing tenant compte autant que possible des projets monétaires éventuels de la France »130.
46Indéniablement le tempo, en ce début de décembre 1958, avait tendance à s’accélérer. « Les Français, avait fait demander Stevens, ont-ils une période qu’ils préfèrent ? »131 Le 8 décembre, Baumgartner de retour de Bâle, se rendait directement d’Orly à Matignon où une nouvelle réunion au sommet eut lieu avec le général de Gaulle, à laquelle assistaient également Rueff, Pinay, Goetze et Pompidou132. Dès le 10 décembre, par un nouvel appel téléphonique à la Banque d’Angleterre, Baumgartner faisait savoir que la France serait heureuse de s’associer à un retour à la convertibilité si celui-ci avait lieu « après Noël »133. D’une éventuelle dévaluation, il ne souffla mot134. Suite à l’appel du gouverneur, le soupçon enfla du côté britannique que les Français, aussi bien, pouvaient chercher à les prendre de vitesse ou bien au contraire à les pousser en quelque sorte à la faute en les amenant à déclarer unilatéralement le retour à la convertibilité. C’est le raisonnement non totalement dénué de pertinence qui fut tenu le 12 décembre au cours d’un conseil restreint du cabinet Macmillan : « les informations qui nous ont été transmises par la Banque de France pourraient nous avoir été livrées à la seule fin de nous inciter à lancer l’opération Unicorn, notre initiative obligeant alors le gouvernement français à accepter une dévaluation du franc justifiée par un rétablissement de la convertibilité qu’il pourrait nous accuser de l’avoir forcé à adopter »135. Si rien ne permet d’étayer avec certitude l’hypothèse britannique, il reste qu’on ne peut totalement exclure l’éventualité que « l’affaire anglaise » ait pu être simultanément utilisée par Baumgartner comme joker dans les deux parties difficiles qu’il dût mener sur deux fronts à l’automne 1958 et où les bonnes cartes à sa disposition étaient rares : la partie pour la dévaluation, à l’intérieur, où les oppositions à vaincre étaient nombreuses, la partie pour la négociation de la fin de l’UEP, à l’extérieur, dans laquelle la France, premier débiteur de l’Union, ne partait pas, loin s’en faut, en position de force. Sur l’un et l’autre tableau, son succès fut incontestable.
47Le dimanche 14 décembre, Baumgartner recevait chez lui, à son domicile de la rue de Valois, John Stevens envoyé aux nouvelles par la Banque d’Angleterre, préoccupée de sonder la véritable stratégie de la France136. Nul doute qu’à cette date, le gouverneur de la Banque de France eût repris la main. Il assura au Britannique que la France était d’accord pour rétablir simultanément la convertibilité du franc et de la livre et qu’il serait très désirable que cette opération coïncidât avec la dévaluation française. Or l’annonce d’un ajustement monétaire, ajoutait-il, ne pouvait pas en tout état de cause être faite avant le 21 décembre137. C’était en effet, comme on le sait, la date prévue pour l’élection présidentielle avec laquelle devait s’achever l’installation de la Ve République. Auprès de Stevens qui se montra sur ce point très réservé, Baumgartner s’enquit également ce jour-là des conditions dans lesquelles l’UEP aurait pu continuer à exister en dépit du retour à la convertibilité. Le lendemain, Koszul qui recevait Stevens à la Banque de France, envisagea une nouvelle fois avec son homologue britannique, l’hypothèse d’un arrangement pour maintenir, au moins à titre transitoire, les structures de l’UEP au-delà du 1er janvier 1959138. Cette préoccupation avait déjà été exprimée par Calvet. Elle s’expliquait uniquement par l’obligation pour la France de solder la dette importante qu’elle avait contractée dans le cadre de l’Union européenne des paiements le jour où l’Union serait dissoute. Dès le début de novembre, les services étrangers de la Banque avaient calculé que si « l’hypothèse pessimiste » – à savoir la suppression de l’UEP au 31 décembre 1958 – devait se réaliser, la France aurait à rembourser rapidement, de 1959 à 1962, la somme de 634 millions de dollars139. L’importance de ce chiffre est évidente rapportée à l’évolution des avoirs publics en or et en devises depuis le début de 1958.
48Cette évolution reflète combien la situation des finances extérieures de la France est demeurée préoccupante tout au long de 1958. Au cours du premier semestre, le Fonds n’avait pu faire au rythme toujours élevé de ses débours que grâce aux tirages de la France sur le FMI, à des prêts d’or ponctuels de la BRI et aux ratissages périodiques des intermédiaires agréés. Au second semestre, le niveau des réserves resta médiocre, malgré l’amélioration sensible provoquée par le lancement à compter du 17 juin de l’emprunt 3,5 % à garantie-or, sur le modèle de l’emprunt déjà émis par Antoine Pinay en 1952. L’opération, en effet, fut à l’origine de ventes d’or contre francs sur le marché libre, dans une mesure quatre fois plus importante qu’en 1952, puisqu’au total ce sont 155 tonnes de métal qui furent ainsi acquises par le Fonds de stabilisation des changes, soit l’équivalent de 170 millions de dollars. Mais à la veille de l’annonce des mesures de redressement, la valeur totale des avoirs disponibles du Fonds dépassait encore à peine 800 millions de dollars. C’était la moitié à peine du total à cette date des engagements officiels à court et à moyen terme de la France, soit 1 520 millions de dollars, dont les 634 millions dus à l’UEP et 394 millions envers le FMI, le reste étant constitué par des créances diverses vis-à-vis des intermédiaires agréés au titre de multiples formes de « ratissage »140. La marge de manœuvre demeurait donc sans conteste très faible.
49Au poids de ces échéances massives à court terme s’ajoutait le risque de la forte pression qui s’exercerait à la baisse sur les réserves officielles de change si la rumeur d’une dévaluation venait à se répandre, les exportateurs retardant au maximum le rapatriement de leurs devises, les importateurs au contraire précipitant leurs achats de devises. C’est bien en effet ce qui se produisit dans les jours qui précédèrent l’annonce de la dévaluation. La « flambée » spéculative de la seule journée du 19 décembre, comme le rapportait le gouverneur devant son conseil, avait ainsi coûté au Fonds de stabilisation « une centaine de millions de dollars »141. André de Lattre, pour sa part, estime à plus de 200 millions de dollars les pertes dans les trois jours, soit entre le 23 et le 27 décembre, qui ont précédé la dévaluation142. Ces ordres de grandeur suffisent à justifier le souci de la Banque de France et de son gouverneur pour obtenir une nouvelle fois au nom de la coopération monétaire internationale des crédits à court terme, sous la forme de swaps, destinés à procurer à la France la masse de manœuvre dont elle aurait éventuellement besoin au moment de l’annonce conjointe du retour à la convertibilité et de la dévaluation de sa monnaie. De fait, en l’espace de quelques jours seulement, la Banque de France parvint à s’assurer au sein du réseau des banques d’émission européennes d’une ligne de crédits à trois mois renouvelables, ouverte le 23 décembre, pour un montant total équivalent à 242 millions de dollars répartis de la manière suivante : 80 millions de dollars pour la BRI, 70 millions (25 millions de £) pour la Banque d’Angleterre, 60 millions (250 millions de DM) par la Bundesbank, 20 millions de dollars pour la Banque nationale de Belgique, 12 millions (100 millions de florins) pour la Nederlandsche Bank143. Il semble que le principe de cet accord de crédit ait été obtenu par la Banque de France auprès de ses consœurs européennes dès la mi-décembre144. C’est dans le cadre de cette diplomatie des banques centrales que prirent place la visite du gouverneur de la banque centrale des Pays-Bas, Holtrop toujours, à la Banque de France les 10 et 11 décembre, mais aussi les visites presque simultanées que rendit Julien Koszul à la Banque d’Angleterre le 18 décembre, au cours de laquelle il rencontra Parsons et Roy Bridge, le directeur des changes, et la mission du 19 décembre à la Bundesbank accomplie par Serge Kogan, le directeur du service bancaire étranger de la Banque de France145. Stevens se concerta une dernière fois à Paris avec Baumgartner et Calvet le 21 décembre et dans l’après midi, il prit part à la Banque à une réunion générale à laquelle assistaient aussi Guindey, Holtrop, Van Zeeland et Wormser146. C’est à cette occasion qu’un accord définitif fut scellé aux termes duquel l’annonce du retour à la convertibilité de la livre et du franc serait faite simultanément le 27 décembre et prendrait effet à compter du 29 décembre. Forte de cet accord, la Banque d’Angleterre put envoyer enfin dans les jours suivants ses émissaires auprès de toutes les banques centrales européennes concernées par le retour à la convertibilité147. La coopération monétaire internationale était parvenue finalement à lever l’obstacle que représentait dans le processus du retour généralisé à la convertibilité des monnaies européennes, le franc français, maillon faible de la chaîne.
50Aux concours à court terme ainsi obtenus par la Banque de France sur la base technique de l’assistance mutuelle entre banques d’émission, devait, en outre, s’ajouter, au lendemain de l’annonce de la dévaluation, un crédit de confirmation de 200 millions de dollars, conclu, selon Pierre-Paul Schweitzer qui rentrait de Washington, « dans une atmosphère qu’on p[ouvait] qualifier d’euphorique »148. Cette ligne de crédits supplémentaire était consentie cette fois à la France par un groupe de vingt et une banques privées américaines, « tout ce qui compte en fait de banques américaines », soulignait le gouverneur, conduites par la Chase Manhattan Bank, dont le président était Mac Cloy, et la First National City Bank of New York149. Les considérables concours ainsi rassemblés n’eurent d’ailleurs pas à être utilisés puisque l’annonce de l’adoption du plan de redressement devait immédiatement entraîner, comme l’on sait, un grand mouvement de retour des capitaux. Mais à la veille de l’opération, l’hypothèse d’un retour de la confiance n’était en rien assurée. D’où l’importance, comme le souligna alors Baumgartner devant le conseil général, « sur le plan technique », des « conversations engagées entre banques centrales, […] marquées par un très grand esprit de coopération ». De la sorte, poursuivait-il, « la Banque de France [avait] en main des autorisations d’emprunts à court terme qui représent[aient] des montants importants et qui pourr[aient] aider notre action sur le marché des changes au cours de prochaines journées »150. Assurée par ce filet protecteur, la France notifia à l’OECE le retour à la convertibilité externe de sa monnaie le 27 décembre 1958, le même jour que la Grande-Bretagne, la RFA, la Belgique, le Luxembourg, le Danemark, l’Italie et les Pays-Bas. Ce même jour était adopté par le gouvernement français l’essentiel des mesures du plan de redressement financier, comportant bien une dévaluation de 17,5 % du franc. La simultanéité des deux opérations, interne et externe, n’est pas sans portée. Elle fut d’ailleurs amplement soulignée par le général de Gaulle dans le discours où il présenta le programme de redressement au pays :
« Dans le monde d’aujourd’hui rien ne vaut que par comparaison. Or nous sommes actuellement vis-à-vis de l’extérieur, dans une situation économique diminuée. […] C’est pourquoi nous devons placer notre franc sur une base telle qu’elle soit inébranlable. Nous le faisons donc, regrettant d’en abaisser le taux, mais tirant les conséquences de négligences prolongées. Du même coup notre monnaie devient convertible au dehors en toutes monnaies étrangères, en même temps et au même titre que plusieurs de nos partenaires européens le font pour leur livre, leur mark, leur lire, leur florin, etc. »151
51Cette coïncidence, on a tenté de le montrer, n’en était pas une. Elle résultait d’une stratégie habilement conduite qui avait abouti en quelque sorte à étalonner la chronologie internationale sur la chronologie nationale. L’initiative du retour à la convertibilité était certes bien britannique et on ne peut valablement attribuer à la France la responsabilité principale du retour à la convertibilité des monnaies européennes152. En revanche, il est indubitable que l’argument du retour généralisé à la convertibilité des monnaies en Europe a pu peser d’un poids non négligeable, au niveau national, dans la décision finalement prise de libérer les échanges et de dévaluer. Et, à l’inverse, l’incertitude longtemps maintenue sur la volonté politique de la France de procéder à la dévaluation qui s’imposait a pu peser, au plan international cette fois, sur l’ampleur de l’aide procurée à la France par ses partenaires européens dans la perspective des lourdes échéances qui lui incomberaient du fait de la suppression de l’UEP. Comme l’expliquait Baumgartner à la veille de l’annonce des mesures du plan de 1958, « toutes ces décisions s’engrènent, s’enchaînent et se commandent »153. Le pari qu’il avait fortement contribué à engager était néanmoins risqué. S’il réussit finalement, c’est en raison, au-delà de l’action isolée d’un homme, de trois facteurs généraux qui se sont trouvés parfaitement combinés à l’automne de 1958 : le niveau atteint par l’endettement extérieur de la France, premier débiteur de l’UEP, qui la mettait paradoxalement en position de force – la force du plus gros débiteur – , au nom de la coopération monétaire internationale, dans la perspective de la suppression de l’Union ; l’achèvement du processus diplomatique qui amorcé dès le début des années 1950 aboutit précisément à la fin de 1958 à l’entrée en vigueur de la CEE où la France avait joué un rôle directeur ; la transition, enfin, entre la IVe et la Ve République incarnée, sur fond de crise nationale, par la légitimité d’un homme, le général de Gaulle, qui sut au dernier moment s’engager de toute son autorité en faveur de l’ensemble cohérent que constituait de toute évidence le plan de décembre 1958.
***
52Si la volonté de réforme financière portée par Jacques Rueff à l’automne 1958 s’était trouvée limitée de manière circonstancielle par le souci de la Banque de France et de son gouverneur de préserver leur pré carré, elle s’était donc aussi trouvée relayée par une évolution internationale qui semblait bien marquer qu’une page de l’histoire monétaire de l’Europe d’après guerre se tournait. C’était en tout cas le sens qu’attribuait au retour généralisé à la convertibilité Pierre Dieterlen dans le numéro spécial de la Revue d’Économie politique qu’il consacra au début de 1960 à « la restauration des monnaies européennes ». « Le statut des principales monnaies de l’Europe occidentale peut être considéré comme revenu à la normale […]. La voie est ouverte, au sein de la communauté européenne, à une politique durable de liberté monétaire. Il y a là un tournant historique dont l’importance mérite d’être soulignée »154. La question des suites du plan de 1958 mérite donc doublement d’être posée. Quelle fut la réaction du système financier français, et au-delà de la société française dans son ensemble, face à un courant de réforme à la fois issu du sommet de l’État et porté par les transformations rapides de l’environnement international de la France ? Pouvait-on à bon droit redouter comme l’exprimait encore Georges Gaussel devant le conseil général de la Banque à la veille de l’adoption des mesures de 1958 que « cette coïncidence » n’aboutisse à renforcer « singulièrement le courant de nationalisme » qui se manifestait alors, selon lui, en France ? Et il se disait, de surcroît, « vraiment étonné de voir son ami Rueff, un grand libéral, couvrir cette opération de son autorité ». À quoi, Baumgartner répondit tout à trac qu’il y avait « d’une part, le libéralisme, et, d’autre part, les nécessités de la politique »155. Aveu qui jette assurément une lumière particulière sur les évolutions du système financier français au lendemain de l’adoption du plan de 1958.
Notes de bas de page
1 De Gaulle (Charles), Mémoires d’espoir, Le Renouveau, 1958-1962, Paris, Plon, 1970, p. 146.
2 Rueff (Jacques) et alii, Rapport sur la Situation Financière (présenté à M. le ministre des Finances et des Affaires Économiques en exécution de sa décision du 30 septembre 1958), Imprimerie nationale, Paris, 1958. Réédité in Rueff (Jacques), Œuvres complètes, tome III, Politique économique, vol. 2, Paris, Plon, 1980, p. 415.
3 « Éléments pour un programme de rénovation économique et financière », note remise par J. Rueff à A. Pinay le 10 juin 1958, reproduite in Rueff (Jacques), Œuvres complètes, tome III, Politique économique, vol. 2, op. cit., p. 365-375.
4 Ibid., p. 368.
5 Rueff (Jacques), « Sur une théorie de l’inflation », Journal de la Société de Statistique de Paris, n° 66, février 1925, p. 41-42 et mars 1925, p. 83-108.
6 Rueff (Jacques), L’Ordre social, Paris, Sirey, 1945, 2 volumes, 747 p.
7 Ibid., vol. 1, p. 291
8 Ibid.
9 Rueff (Jacques), « La régulation monétaire et le problème institutionnel de la monnaie », Revue d’économie politique, n° 63, janvier-février 1953, p. 5-43.
10 « Exposé sur la remise en vigueur d’une monnaie librement convertible en or », Conseil économique et social, 27 février 1952, reproduit in Rueff (Jacques), Œuvres complètes, tome III, Politique économique, vol. 2, op. cit., p. 18.
11 Ibid., p. 27.
12 Ibid., p. 28.
13 Ibid. [souligné par nous].
14 Simon (Philippe) et Paves (Léon), Le crédit à moyen terme, Paris, PUF, 1955, préface de Jacques Rueff, p. vii-xx.
15 Ibid., p. xvi.
16 Rueff (Jacques), Théorie des phénomènes monétaires, statique, Paris, Payot, 1927, p. 128.
17 Ibid., p. 130.
18 Lévy-Garboua (Vivien) et Maarek (Gérard), « La théorie monétaire de Jacques Rueff », Cahiers économiques et monétaires, n° 1, Banque de France, 1980 ; Maarek (Gérard), La question monétaire, op. cit., p. 76-78.
19 Conférence prononcée par Jacques Rueff à l’université de Nice le 13 février 1956 reproduite in Rueff (Jacques), Œuvres complètes, tome III, Politique économique, vol. 2, op. cit., p. 88.
20 Ibid.
21 Serge-Christophe Kolm, « Qui sont les fauteurs d’inflation ? », Le Monde du 22 février 1972. C’est d’ailleurs dans le débat ainsi créé, abondement alimenté par les économistes et les praticiens de la banque, que prit également place la grande enquête historique « Système bancaire et inflation au xxe siècle » menée à l’Institut d’histoire économique et sociale de la Sorbonne, sous la direction de Jean Bouvier en 1977-1978. Cf. « Pour une enquête : système bancaire et inflation au xxe siècle », Recherches et travaux de l’IHES, n° 5, janvier 1977, p. 1-14.
22 Cette note ne fut communiquée qu’ultérieurement, le 31 août 1962, par Rueff à De Gaulle qui semble donc jusque là en avoir ignoré l’existence (cf. Rueff (Jacques), De l’aube…, op. cit., p. 229). On notera également qu’elle est absente des papiers Baumgartner. Ce qui renforce l’hypothèse émise par Sylvie Guillaume selon laquelle Antoine Pinay ne jugea pas opportun d’en divulguer le contenu au-delà du cercle restreint de son cabinet (Guillaume (Sylvie), Antoine Pinay…, op. cit., p. 169-170).
23 « Éléments pour un programme de rénovation économique et financière », note citée, p. 368.
24 Ibid., p. 371.
25 Rueff (Jacques), « La coopération occidentale, l’inflation et le bon sens », exposé devant le groupe de Bilderberg, août 1958, texte repris sous le titre « Inflation et liberté », devant la Société du Mont-Pèlerin en septembre 1958 et reproduit in Rueff (Jacques), Œuvres complètes, tome III, Politique économique, vol. 2, op. cit., p. 94-100.
26 Ibid., p. 96-98.
27 Arnaud-Ameller (Paule), Mesures économiques et financières de décembre 1958, Paris, Armand Colin, 1968 ; Institut Charles de Gaulle, 1958, la faillite ou le miracle, Le plan de Gaulle-Rueff, Paris, Économica, 1986 ; Institut Charles de Gaulle, De Gaulle en son siècle, t. III, Moderniser la France, Paris, Plon/La Documentation française, 1992, p. 17-109. On doit néanmoins noter que ces analyses reposent toute sur des sources publiées ou sur le témoignage des acteurs concernés à l’exclusion de toute source d’archive primaire.
28 « Le Comité commença à siéger le 30 septembre 1958 […]. Il n’y eut dans ses débats que très peu d’hésitation. Ses conclusions étaient entièrement préfigurées dans la note que j’avais remise le 10 juin à M. Pinay et que tous les membres du Comité connaissaient », Rueff (Jacques), De l’aube…, op. cit., p. 231.
29 ABF, PVCG, séance du 26 décembre 1958, p. 801.
30 « Recommandations relatives à la monnaie », lettre de Rueff à Pinay du 15 décembre 1958, publiée in Rueff (Jacques), Combats pour l’ordre financier, Paris, Plon, 1972, p. 247-248.
31 Institut Charles de Gaulle, 1958, la faillite ou le miracle…, op. cit., p. 110.
32 ABF, PVCG, séance du 26 décembre 1958, p. 806.
33 ABF, PVCG, séance du 26 décembre 1958, p. 845.
34 Institut Charles de Gaulle, 1958, La faillite ou le miracle…, op. cit., p. 103.
35 Ibid., p. 114.
36 Institut Charles de Gaulle, De Gaulle en son siècle, t. III, op. cit., p. 53.
37 Carré de Malberg (Nathalie) (éd.), Entretiens avec R. Goetze…, op. cit., p. 344.
38 Fabra (Paul), « Le plan de 1958 dans l’histoire économique contemporaine, une voie alternative aux politiques d’austérité », 1958, la faillite ou le miracle…, op. cit., p. 123-148 ; Guillaumont-Jeanneney (Sylviane), « La politique monétaire française pendant la présidence du général de Gaulle », De Gaulle en son siècle, t. III, Moderniser la France, op. cit., p. 74-93.
39 Institut Charles de Gaulle, 1958, la faillite ou le miracle…, op. cit., p. 103.
40 Ibid.
41 Institut Charles de Gaulle, 1958, la faillite ou le miracle…, op. cit., p. 103-104.
42 Guillaumont-Jeanneney (Sylviane), « La politique monétaire française pendant la présidence du général de Gaulle », art. cité, p. 89.
43 Aron (Raymond), Mémoires, op. cit., p. 612.
44 Cf. supra, p. 139 sqq.
45 Carré de Malberg (Nathalie) (éd.), Entretiens avec R. Goetze…, op. cit., p. 342.
46 Rueff (Jacques), De l’aube…, op. cit., p. 167.
47 C’est l’explication avancée par Louis Franck, 697 ministres…, op. cit., p. 148-149.
48 Lettre de Jacques Rueff à Wilfrid Baumgartner du 26 juin 1961, AWB, 3BA34, dr7.
49 CdV manuscrite de W. Baumgartner à J. Rueff du 27 juin 1961, AWB, 3BA34, dr7.
50 Guillaume (Sylvie), Antoine Pinay…, op. cit., p. 158. Cf. aussi supra, p. 410 sqq.
51 Ibid., p. 156 ; cf. aussi De Lattre (André), Servir aux Finances, Paris, CHEFF, 1999, p. 107
52 Rueff (Jacques), Combats pour l’ordre financier (Mémoires et documents pour servir à l’histoire du dernier demi-siècle), Paris, Plon, 1972.
53 Cf. par exemple, Lacouture (Jean), De Gaulle, vol. II, Le Politique, Paris, Seuil, 1985, p. 670 sqq ; Bévant (Didier), « De l’opération de décembre 1958 au discours sur le Crédit (décembre 1961) de Jacques Rueff », in Du Franc Poincaré à l’ECU, op. cit., p. 471-497.
54 ABF, PVCG, séance du 26 décembre 1958, p. 796.
55 Ibid., p. 793.
56 Ibid., p. 799.
57 Ibid., p. 813.
58 Il revient à Paul Pitman d’avoir le premier démontré toute la pertinence de cette approche du plan de 1958. Cf. Pitman (Paul M.), « Le programme de réforme financière français et le rétablissement de la convertibilité en Europe occidentale », in Du Franc Poincaré à l’ECU, op. cit., p. 448-470.
59 L’Année politique 1959, Paris, PUF, 1960, p. 431 et 458-459.
60 De Lattre (André), Les finances extérieures de la France, op. cit., p. 234-237 ; Kaplan (Jacob) et Schleiminger (Günther), The European Payments Union…, op. cit., p. 319-321.
61 Esteva (Pierre), « De l’Union Européenne de Payements à l’Accord Monétaire Européen », Bulletin de Liaison et d’Information de l’Administration centrale des Finances, janvier-février 1959, p. 45.
62 Esteva (Pierre), « Les conséquences du retour à la convertibilité des monnaies européennes », Bulletin de Liaison et d’Information de l’Administration centrale des Finances, mars-mai 1959, p. 29.
63 Deux feuillets manuscrits de la main de Baumgartner, [novembre 1958], le premier étant le brouillon du second, AWB, 2BA47, Dr4.
64 Ibid.
65 Guillaume (Sylvie), Antoine Pinay…, op. cit., p. 175-176.
66 Rueff (Jacques), De l’aube…, op. cit., p. 233.
67 Koch (Henri), Histoire de la Banque de France et de la monnaie…, op. cit., p. 318-321.
68 Cf. supra, p. 367 sqq.
69 Cf. supra, p. 460-464.
70 Nécessité, modalités et conditions d’un ajustement monétaire, note de Jean Bolgert pour le gouverneur du 25 juillet 1953, 24 p. dactyl., p. 16, ABF, DGE-DDPE, 4e S, boîte 57.
71 Ibid., p. 15.
72 L’ajustement monétaire nécessaire, note de Jean Bolgert pour le gouverneur du 6 avril 1957, 18 p. dactyl, p. 18, ABF, DGE-DDPE, 4e S, boîte 57.
73 Ibid., p. 2.
74 Ibid., p. 10.
75 Ibid.
76 « Les conditions d’un ajustement monétaire », note de M. Pérouse au gouverneur du 17 juillet 1957, transmise au ministre des Finances, Félix Gaillard, le 29 juillet 1957, 5 p. dactyl., p. 1, ABF, DGE-DDPE, 4e S, boîte 57.
77 Ibid., p. 2
78 Ibid.
79 Ibid., p. 2-3 [souligné dans le texte].
80 Ibid., p. 3.
81 Ibid., p. 5.
82 « Le rapport Rueff modifie… », note de M. Pérouse du 16 novembre 1958, 5 p. dactyl., p. 1, AWB 2BA47, Dr4.
83 « Depuis le mois d’août dernier s’est posée maintes fois la question du taux de change… », note de Jean Saltes du 12 février 1958, 3 p. dactyl., p. 1, ABF, DGE-DDPE, 4e S, boîte 57.
84 « Note sur le problème du taux de change », note de la direction des Études et du Crédit de la Banque de France du 29 octobre 1958, 13 p. dactyl., p. 4, AWB, 2BA47, Dr2.
85 Ibid., p. 12.
86 « Incidence sur la Balance des paiements courants d’un alignement de la parité externe du franc », note de la direction des Études et du Crédit du 4 novembre 1958, 8 p. et annexe statistique, p. 8, AWB, 2BA47, Dr4.
87 Ibid., p. 7.
88 « Note sur un éventuel ajustement monétaire », note de Maurice Pérouse du 14 novembre 1958, 7 p. dactyl., p. 5, AWB, 2BA47, Dr4.
89 Ibid., p. 6.
90 Note de J. Saltes du 8 décembre 1958, 3 p. dactyl., p. 1, AWB, 2BA48, Dr4.
91 Note du directeur des Finances extérieures du ministère de l’Économie et des Finances du 12 décembre 1958, 6 p. dactyl., AWB, 2BA48, Dr4.
92 Lettre de O. Wormser à W. Baumgartner du 30 décembre 1958, 4 feuillets manuscrits, AWB, 2BA49, Dr5.
93 Ibid., p. 3.
94 Note de P. Calvet du 4 décembre 1958, 13 p. dactyl., p. 4, AWB, 2BA48, Dr4.
95 Ibid., p. 7
96 Ibid.
97 Ibid., p. 8.
98 Ibid., p. 10.
99 Cf. supra, p. 528 sqq.
100 ABF, PVCG, séance du 26 juin 1958, p. 377.
101 Ibid., p. 378.
102 Ibid., p. 379.
103 Kaplan (Jacob) et Schleiminger (Günther), The European Payments Union…, op. cit., p. 303-321 ; Fforde (John), The Bank of England…, op. cit., p. 585-605 ; Pitman (Paul M.), « Le programme de réforme financière… », art. cité ; Dickhaus (Monika), Die Bundesbank…, op. cit., p. 239-247 ; James (Harold), International Monetary…, op. cit., p. 103-108.
104 Cf. supra, chap. IX, p. 451-456.
105 Fforde (John), The Bank of England…, op. cit., p. 586-592.
106 Boyce (Robert W.), British Capitalism at the Crossroads, 1919-1932, A Study in Politics, Economics and International Relations, Cambridge…, Cambridge University Press, 1987.
107 Dickhaus (Monika), Die Bundesbank…, op. cit., p. 242.
108 ABF, PVCG, séance du 16 octobre 1958, p. 628-629.
109 Agenda personnel de W. Baumgartner, 4e trimestre de 1958, AWB, 2BA61, Dr4.
110 Invitation à déjeuner de W. Baumgartner à A. Pinay du 24 juin 1958, AWB, 2BA50, Dr 3 et Agenda personnel de W. Baumgartner, 2e trimestre de 1958, AWB, 2BA61, Dr4.
111 Télégramme de Baumgartner à Jacobsson du 15 septembre 1959, AWB, 2BA46, Dr1.
112 Lettre de Baumgartner à Jacobsson du 20 octobre 1958, AWB, 2BA47, Dr1.
113 Invitation au déjeuner de la Banque de France du 23 octobre 1958, AWB, 2BA50, Dr3.
114 Agenda personnel de W. Baumgartner, 4e trimestre de 1958, AWB, 2BA61, Dr4.
115 L’Agence économique et financière du 28 octobre 1958.
116 Ibid.
117 La Vie Française du 31 octobre 1958.
118 James (Harold), International Monetary…, op. cit., p. 106-107.
119 Jacobsson (Erin E.), A Life…, op. cit., p. 295.
120 Jacobsson (Per), « The Monetary Background of International Finance », conférence prononcée par Jacobsson le 1er mars 1962 à New Haven dans le Connecticut, reproduite in International Monetary Problems, 1957-1963, Selected Speeches of Per Jacobsson, Washington, IMF, 1964, p. 255-256. Le contenu de cette conversation avec De Gaulle est également attestée par Jacobsson (Erin E.), A Life…, op. cit., p. 295-296. Elle est également attestée, mais cette fois sur la base du Journal de Jacobsson, avec d’ailleurs des différences mineures, par James (Harold), International Monetary…, op. cit., p. 107.
121 Jacobsson (Per), « The Monetary Background… », art. cité, p. 255-256.
122 Ibid. [en français dans le texte].
123 Agenda personnel de W. Baumgartner, 4e trimestre de 1958, AWB, 2BA61, Dr4.
124 Fforde (John), The Bank of England…, op. cit., p. 596.
125 Agenda personnel de W. Baumgartner, 4e trimestre de 1958, AWB, 2BA61, Dr4.
126 Ibid., p. 597.
127 Rueff (Jacques), De l’aube…, op. cit., p. 232-233.
128 Pitman (Paul M.), « Le programme de réforme… », art. cité, p. 461.
129 Fforde (John), The Bank of England…, op. cit., p. 598.
130 « Retour de la £ à la convertibilité », note de Julien Koszul datée de Bâle le 8 décembre 1958, 5 p. dactyl., AWB, 2BA48, Dr4.
131 Ibid., p. 5.
132 Agenda personnel de W. Baumgartner, 4e trimestre de 1958, AWB, 2BA61, Dr4.
133 Agenda personnel de W. Baumgartner, 4e trimestre de 1958.
134 Kaplan (Jacob) et Schleiminger (Günther), op. cit., p. 312 et Fforde (John), op. cit., p. 598.
135 « Exchange Rate Policy : Note of a Meeting held at 10 Downing Street, S.W., 1. Friday, 12th December, 1958, at 10.00 a.m. », cité par Pitman (Paul M.), « Le programme de réforme… », art. cité, p. 462.
136 Agenda personnel de W. Baumgartner, 4e trimestre de 1958.
137 Fforde (John), op. cit., p. 598-599.
138 Compte-rendu de la visite de John Stevens à la Banque de France le 15 décembre 1958 par Julien Koszul, AWB, 2BA48, Dr4.
139 « Obligations de remboursement de la France dans le cadre de l’UEP à la fin de l’année 1958 », note de la direction générale des Services étrangers de la Banque de France du 6 novembre 1958, AWB, 2BA47, Dr4.
140 Koch (Henri), op. cit., p. 292.
141 ABF, PVCG, Séance du 26 décembre 1958, p. 801.
142 De Lattre (André), Les finances extérieures…, op. cit., p. 357.
143 Koch (Henri), Histoire de la Banque de France…, op. cit., p. 305-306.
144 Dickhaus (Monika), Die Bundesbank…, op. cit., p. 246.
145 « Mission auprès de la Banque d’Angleterre du jeudi 18 décembre 1958 », note de Julien Koszul au gouverneur du 19 décembre 1958 et « Mission auprès de la Bundesbank, vendredi 19 décembre », note de Serge Kogan du 22 décembre 1958, AWB, 2BA48, Dr4.
146 Agenda personnel de W. Baumgartner, 4e trimestre de 1958.
147 Fforde (John), op. cit., p. 600-601.
148 ABF, PVCG, séance du 9 janvier 1959, p. 31.
149 Ibid.
150 ABF, PVCG, séance du 26 décembre 1958, p. 807.
151 Allocution du général de Gaulle relative aux mesures économiques et financières du 28 décembre 1958, reproduite dans L’Année Politique 1958, Paris, PUF, 1959, p. 568.
152 James (Harold), International Monetary Cooperation…, op. cit., p. 103.
153 ABF, PVCG, séance du 26 décembre 1958, p. 805.
154 Dieterlen (Pierre) (dir.), La restauration des monnaies européennes, numéro spécial de la Revue d’économie politique, Paris, Sirey, 1960, p. 5.
155 ABF, PVCG, séance du 26 décembre 1958, p. 814.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946
Les hommes, le métier, les carrières
Nathalie Carré de Malberg
2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006