Chapitre XI. La sanction des finances extérieures et la convergence monétaire en Europe (1956-1958)
p. 509-546
Texte intégral
1Les dernières années de la IVe République furent marquées par la plus forte crise des finances extérieures que la France ait connue depuis les difficultés extrêmes des lendemains immédiats de la Seconde Guerre mondiale. La chute du régime trouva bien entendu dans les événements du 13 mai à Alger et dans les impuissances manifestes du pouvoir exécutif une cause autrement plus directe. Mais les difficultés chroniques de la balance des comptes entre 1956 et 1958 peuvent-elles pour autant être comprises coupées des données mouvantes de la politique extérieure de la France et des problèmes du fonctionnement de son régime constitutionnel ?
2Gestionnaire de l’encaisse or et devises et des avoirs du Fonds de stabilisation des changes, la Banque de France, au moins autant que la direction des Finances extérieures du ministère des Finances, était a priori concernée au premier chef par le financement du déficit croissant de la balance des paiements. Mais il convient d’examiner plus précisément son rôle dans les négociations, sans cesse recommencées, que la France endettée mena entre 1956 et 1958 pour obtenir de l’étranger subsides et facilités de règlement. Les responsabilités du sous-gouverneur, Pierre Calvet, au sein du comité de direction de l’UEP, l’action personnelle du gouverneur auprès de ses collègues européens plus fortunés et auprès du FMI à l’autorité renouvelée ont ainsi pu tenir dans la conduite de la politique monétaire extérieure de la France une place non négligeable et cependant encore mal appréciée, à un moment où la conclusion à Rome du traité instituant à très brève échéance la CEE conférait à la solution du déséquilibre des paiements une urgence redoublée. Au-delà, ce sont les pouvoirs mêmes de la banque centrale qui étaient en jeu, ou plus généralement des banques centrales européennes dont les politiques et les buts poursuivis semblent avoir alors été caractérisés par une indéniable convergence.
3Comme deux ans auparavant à l’occasion du débat sur le retour à la convertibilité des monnaies, la crise des finances extérieures plaçait une fois de plus les autorités monétaires face au défi de la construction européenne. On peut donc être curieux de l’évolution des conceptions des responsables de la banque centrale, de son gouverneur et de son entourage, tandis que se précisaient les perspectives d’une ouverture commerciale désormais inéluctable. Question d’autant plus importante qu’elle touchait aux conditions du redressement monétaire intérieur, dont la réalisation, aux yeux aussi des dispensateurs de l’aide étrangère, passait à l’évidence par une réforme radicale de la politique du crédit et des concours de la Banque au Trésor public. Quelle fut la marge de manœuvre dont disposa alors le gouverneur de la Banque de France placé par ses fonctions, par ses relations personnelles, à l’intérieur comme à l’extérieur, pour ainsi dire entre le marteau et l’enclume, entre la contrainte extérieure, de plus en plus pressante, et les impératifs nationaux qui commandaient le maintien de la croissance économique, la permanence du crédit de l’État et, aussi bien, l’exercice de sa pleine souveraineté sur l’autre rive de la Méditerranée ? Jamais peut-être sous la IVe République les pouvoirs de Wilfrid Baumgartner ne semblent avoir été à la fois si vastes, au sein de l’appareil financier de l’État, et si réduits sous la contrainte extérieure d’un rapport de forces international défavorable à la France. L’examen de son rôle dans la mise en œuvre du redressement progressif de la situation financière de la France devrait le montrer et permettre de dire quelles continuités existent entre les premières mesures prises à la fin de 1957 par Félix Gaillard et, enjambant la rupture politique majeure de mai 1958, l’adoption décisive six mois plus tard du plan Pinay-Rueff sous un régime politique différent, et à la veille de l’entrée en vigueur de la CEE.
LA « SANCTION DES FINANCES EXTÉRIEURES »
4La détérioration des comptes extérieurs de la France était patente dès la fin de 1955. Mais elle se manifesta surtout avec netteté au début de 1956 et perdura jusqu’à la fin de 1958. André de Lattre, à cette date sous-directeur à la direction des Finances extérieures, a noté que 1956 commença « par le coup de tonnerre d’un lourd déficit dans l’UEP »1. L’évolution du solde de la France au sein de l’UEP, à un moment où le commerce de la France avec l’Europe représentait plus du tiers de ses échanges extérieurs2, illustre en effet assez bien la crise continuelle des paiements français dans la période (cf. figure n° 35).
5Source : Procès-verbaux du conseil de direction de l’UEP, 1955-1958, ABF, BRI, 7e série, J274.
6Le déficit de la France au sein de l’UEP ne cessa, à l’évidence, de s’aggraver globalement de janvier 1956 à juillet 1957. La dévaluation de facto d’août 1957 permit un certain redressement, mais la France resta débitrice nette jusqu’à la dissolution de l’Union à la fin de 1958. Dès janvier 1956, Wilfrid Baumgartner avait averti de l’évolution défavorable des finances extérieures Pierre Mendès France qui, dans l’attente de la formation d’un gouvernement issu de la nouvelle majorité du 3 janvier, était donné comme le futur ministre des Finances. Le déficit prévisible de la France dans l’UEP pour janvier, justement estimé à 60 millions, n’était pas encore perçu par le gouverneur comme l’indication d’un retournement de tendance, mais simplement comme une « réaction psychologique » après la victoire électorale du Front républicain. « Bien entendu, assurait Baumgartner, un déficit, même de 50 ou 60 millions, ne pose aucun problème dans l’état actuel de nos réserves de devises »3. Mais l’annonce d’un déficit important risquait d’accroître encore les inquiétudes et d’alimenter la spéculation contre le franc. Aussi le gouverneur avait-il proposé d’obtenir un crédit croisé à quinze jours avec la banque centrale hollandaise ou allemande, avouant dans le même temps qu’il n’était « pas très chaud pour cette solution »4. La suite des événements montra que le retournement de la balance des paiements n’était pas momentané. Le financement du déficit global des finances extérieures mit sérieusement en péril les réserves, pourtant confortables, accumulées en 1954-1955.
7Source : Tableau de la direction des Services étrangers de la Banque de France, AWB, 2BA31, Dr1 et Compte rendu des opérations de la Banque de France, 1957-1958.
8À la fin de 1956, l’encaisse en devises avait donc été divisée par 4 et se trouva réduite à peu de chose à la fin de 1957. Même l’encaisse métallique, comme aux heures de grande détresse de 1947, fut amputée en 1957 à hauteur d’un tiers au profit du Fonds de stabilisation des changes exsangue. Au total, l’ensemble des moyens de paiements extérieurs avait été divisé par deux entre 1955 et 1957. Dès l’automne 1956, cette dilapidation accélérée passa au premier plan des préoccupations du gouverneur ; il tâcha de l’expliquer à la tribune du Conseil national du crédit :
« Le problème le plus sérieux reste le problème des réserves de devises. […] C’est comme cela que se traduisent, dans la concurrence entre les peuples, les mérites et les non-mérites des uns et des autres. »5
9Les causes de l’épuisement rapide des réserves de change en 1956, toujours selon Baumgartner, tenaient aussi bien aux événements d’Afrique du Nord, aux rigueurs exceptionnelles de l’hiver, qu’à l’ampleur du déficit des finances publiques. Il s’en ouvrit à Fernand Baudhuin, professeur d’économie à l’université de Louvain, qui venait de publier dans La Revue générale belge de février 1957 une analyse sévère de la situation financière française. Le gouverneur souligna ainsi la charge des importations de blé destinées à pallier les insuffisances de la mauvaise récolte, le coût des matériels militaires, notamment des hélicoptères utilisés sur le théâtre des opérations en Algérie et importés des États-Unis, l’élévation enfin des prix du pétrole, du charbon et du fret entraînée par la fermeture du canal de Suez6. Surtout, répondant dans une seconde lettre à des questions plus précises de l’économiste belge, le gouverneur admit que l’ampleur persistante du déficit budgétaire avait contribué à gonfler continûment la demande globale et abouti à augmenter les importations et qu’en outre, expliquait-il, on avait « choisi délibérément le déficit de la balance des paiements pour éviter en 1956 la hausse des prix intérieurs »7. Il visait par là les importations de produits alimentaires destinées à abaisser les prix de détail des articles qui entraient dans la composition de l’indice et dont dépendait un éventuel ajustement à la hausse des salaires. Les réserves accumulées entre 1954 et 1955 avaient donné à la France les moyens de mener pendant quelque temps une telle politique, mais dès la rentrée de 1956, la nécessité du recours à une aide étrangère, envisagée dès le dernier trimestre de 1956 à la Banque comme à la direction des Finances extérieures, s’imposa alors avec une évidence cruelle. Wilfrid Baumgartner joua à l’occasion de la onzième session du FMI à Washington un rôle personnel déterminant dans l’obtention d’un premier concours du FMI.
L’APPEL AU FMI ET LA LOGIQUE DE LA COOPÉRATION MONÉTAIRE INTERNATIONALE
10Dès l’automne 1956, la France décidait en effet de faire appel au FMI. Le 17 octobre, elle obtint de pouvoir bénéficier d’un accord de confirmation (stand by arrangement) portant sur la première tranche de son quota, soit l’équivalent de 262,5 millions de dollars. L’action personnelle du gouverneur de la Banque dans l’obtention sans condition de ce concours était évidente. Per Jacobsson, récemment nommé à la tête du Fonds monétaire, l’avertit d’ailleurs personnellement le jour même de l’heureux aboutissement de la requête de la France :
« La demande française d’un accord de confirmation fut approuvée ce matin à l’unanimité. Un splendide esprit de sympathie et de coopération a prévalu et nous étions tous ravis que le Fonds ait eu cette occasion de rendre concrètement service à votre pays. »8
11Le directeur général du Fonds achevait sa missive en priant le gouverneur « de ne pas hésiter à faire appel à lui, s’il pouvait lui être, à lui ou à son pays, d’une quelconque utilité en une occasion future »9. L’avenir montra que ce futur était proche.
12Jacobsson avait été pressenti par la Trésorerie américaine pour succéder à son compatriote Ivar Rooth à la tête du FMI dès avril 195610. Or, l’administration américaine, désireuse de mettre un terme à la paralysie du Fonds monétaire, avait dans un premier temps sollicité pour ce poste le gouverneur de la Banque de France lui-même. Dès le début de mars, Andrew Overby, de passage à Paris, puis son successeur au Fonds monétaire, Horace M. Cochran, lui avaient fait part de cette éventualité11. Mais Baumgartner à tous deux avait répondu que son devoir lui dictait dans les circonstances présentes de rester à son poste à Paris. Le 6 avril, pourtant, George Humphrey, le secrétaire d’État au Trésor américain, le pressa une fois encore d’accepter :
« Je peux vous assurer que nous avons tous la plus profonde estime pour la très grande valeur de l’action que vous menez présentement dans votre propre pays. Néanmoins, je suis contraint, face à la nécessité de placer à la tête du Fonds une personnalité d’expérience et ayant une réelle stature, de vous demander d’envisager cette question le plus attentivement possible avant que nous cherchions ailleurs. »12
13Que le choix de l’administration américaine se soit porté au printemps 1956 sur le gouverneur de la Banque de France montre le large crédit dont il bénéficiait alors outre-Atlantique. Humphrey le lui fit valoir sans détour : tous savaient, à Washington comme à Londres, qu’il avait les capacités requises pour rénover « la politique mondiale du Fonds » et, au reste, il pouvait compter dans cette entreprise sur « le soutien total » de la Trésorerie américaine. Devant le refus réitéré de Baumgartner, le choix des Américains se porta donc sur Per Jacobsson. Randolph Burgess, le sous-secrétaire d’État au Trésor, s’en ouvrit à Baumgartner et sollicita son avis. Or la réaction du gouverneur fut pour le moins mitigée13 : selon lui, Jacobsson n’était pas le candidat le plus indiqué, car c’était avant tout « un érudit sans expérience administrative et ses analyses, à l’en croire, manquaient parfois fâcheusement de discernement, comme l’avait démontré son engagement récent pour un retour précoce à la convertibilité monétaire. Guillaume Guindey, aux yeux de Baumgartner, eût fait à tous égards un bien meilleur candidat. L’épisode n’aurait guère d’intérêt en soi s’il ne mettait en évidence les liens étroits existant à cette date entre Baumgartner et les hommes de la Trésorerie américaine. Déjà anciennes, comme avec Cochran qu’il connaissait depuis 1936, ces relations avaient été nouées pour la plupart en marge des assemblées annuelles du Fonds et de la Banque mondiale auxquelles Baumgartner, depuis 1948, ne manqua jamais de prendre part.
14Du 22 au 28 septembre 1956, Wilfrid Baumgartner dirigea donc la délégation française en l’absence du gouverneur français, Pierre Mendès France, retenu en France par « une masse de travail en retard »14 et du ministre des Finances, Paul Ramadier, accaparé par la préparation du budget et le lancement proche de l’emprunt national. Il lui revint alors de sonder la Trésorerie américaine sur l’éventualité d’un tirage de la France sur le Fonds. Il rencontra le 24 septembre le secrétaire d’État Humphrey, flanqué de Burgess et d’Overby, passé à cette date du FMI à la Banque mondiale15. Après avoir dépeint à ses interlocuteurs américains « l’évolution satisfaisante du crédit et de l’économie » en France, et « la bonne situation de la trésorerie grâce au succès de l’emprunt », il avoua les craintes que lui inspirait l’évolution de la balance des paiements, causée par les rigueurs de l’hiver passé, mais aussi par « les dépenses en francs et en devises que nous impose la pacification de l’Algérie » et par les charges supplémentaires entraînées par la fermeture récente du canal de Suez16. Humphrey, sur ce point, lui indiqua certes que « les États-Unis ne sauraient en aucun cas admettre que le pétrole du Moyen-Orient cessât d’être disponible »17, mais il lui laissa peu d’espoir sur l’éventualité d’une aide financière américaine : aucun crédit n’était disponible et le Congrès y serait de toute façon opposé. « Il me paraît clair, commentait Baumgartner à l’intention de Paris, que de ce côté nous n’avons rien à espérer pour le moment »18. En revanche, soulignait-il, la Trésorerie américaine ne mettait pas d’obstacle à un tirage de la France sur le FMI :
« M. Humphrey semblant peu averti de ces problèmes, M. Burgess a confirmé nettement que le recours au FMI était en effet tout à fait normal. Mais un refus à cet égard eût été inconcevable. L’accueil a été aimable, sans plus. »19
15Le tirage de la première tranche du quota d’un pays membre au FMI était du reste considéré par la Trésorerie américaine comme une procédure « normale ». Son obtention n’entama donc en rien le crédit personnel dont jouissait le gouverneur de la Banque de France dans les cercles administratifs de Washington et les milieux financiers de New York. L’emploi du temps de Baumgartner en marge de la session du FMI de 1956 en donne une idée assez fidèle et permet de mesurer l’étendue de ses relations et la réalité de son introduction dans les cercles financiers américains.
16Ayant atterri à New York le 21 septembre à bord d’un Constellation d’Air France, via l’escale obligée à Gander en Terre-Neuve pour le ravitaillement en carburant20, le gouverneur, accompagné de Pierre Calvet et de Julien Koszul, était accueilli par Maurice Pérouse, l’attaché financier français. Il était prévu de longue date qu’il passerait le week-end dans la maison de campagne de Randolph Burgess et de sa femme Helen, dans le Maryland. Au cours de la semaine suivante, il était invité pour un dîner familial chez Eugène Black, le président de la Banque mondiale, qu’il connaissait depuis la négociation de 1946 ; il participa à la requête de Sloan Colt, le directeur général de la Bankers Trust Company, à un « informal get-together » au Racquet & Tennis Club de Park Avenue, puis au déjeuner convié par Alfred Hayes, le président de la Federal Reserve de New York. Il y rencontra des patrons de la grande industrie, comme Benjamin Fairless, le président de l’United States Steel Corporation. Parmi ses interlocuteurs habituels, on remarque aussi André Meyer de Lazard Brothers-New York, souvent croisé l’été dans la villa de Pierre et Berthe David- Weill à Cap d’Ail, ou encore Winthrop Aldrich, le chairman de la puissante Chase Manhattan Bank21, en compagnie duquel il lui était déjà arrivé de traverser l’Atlantique et qui lui avait déjà offert l’hospitalité à plusieurs reprises dans sa propriété de Long Island. Intercalées entre les temps forts d’une vie sociale de la sorte très remplie, les réunions proprement dites de l’assemblée du Fonds apparaissaient à vrai dire quelque peu formelles. Baumgartner dans l’allocution qu’il prononça lors de la séance qui clôturait dès lors rituellement les sessions du FMI fit à sa grande habitude des réunions internationales une élégante allusion, célébrant l’atmosphère d’une réunion « qui dépass[ait] la simple conférence pour atteindre à la cérémonie » et, en un audacieux parallèle avec la composition chatoyante des couleurs de l’été indien à Washington, vantant des débats « l’harmonieuse symphonie où l’on entend[ait] résonner les thèmes alternés de la sagesse et du progrès. »22 Il conclut son discours par un hommage obligé mais qui rendait, pour ceux qui savaient l’entendre, quelque chose encore des préventions qu’il avait avoué nourrir à l’endroit de Per Jacobsson, le nouvel administrateur général du Fonds :
« Je souhaiterais enfin redire combien je crois utile l’effort accompli par le Fonds dans son rôle de conseiller des Trésoreries ou des Banques Centrales. […] C’est peut-être sur ce terrain que le Fonds peut remplir sa tâche le plus efficacement. C’est du moins ce qui apparaît au praticien que je suis, qui […] considérerait assez volontiers que la doctrine perd souvent en clarté ce qu’elle gagne en profondeur. Pour faire face victorieusement au flot montant de la littérature économique et monétaire, il ne faut rien moins qu’un homme comme M. Jacobsson, à la fois explosif et serein, qui me rappelle toujours, d’autant qu’il est suédois, que le prix Nobel est sorti de la dynamite. »23
17Témoignage de l’art oratoire si particulier qui fit la réputation de Wilfrid Baumgartner, son discours final prouve, s’il en est besoin, que les assemblées annuelles du FMI tenaient leur place dans la diplomatie financière dont le gouverneur de la Banque de France, indéniablement, fut à cette époque l’un des acteurs majeurs. L’année qui suivit cette onzième assemblée du FMI le démontra amplement.
LA FRANCE, « L’HOMME MALADE DE L’EUROPE MONÉTAIRE »
18L’obtention pour la France d’un premier droit de tirage sur le Fonds monétaire ne résolvait en effet qu’à très court terme le problème de ses besoins en devises. À son retour, Wilfrid Baumgartner l’exposa sans détour au conseil général :
« Cet arrangement, s’il apporte une sécurité pour les mois qui viennent, ne constitue pas une victoire et ne contribue en rien à résoudre le problème fondamental de nos ressources en devises, sur lequel il faudra probablement revenir d’ici à la fin de l’année. »24
19À la fin de décembre, en effet, une note du directeur des Finances extérieures, Jean Sadrin, qui avait succédé à Guillaume Guindey, estima le coût en devises de la fermeture du canal de Suez à 300 millions de dollars. Le moment, selon lui, était donc venu de tenter d’obtenir aux États-Unis une aide substantielle de l’ordre des facilités considérables, plus de 1 300 millions de dollars, dont le Royaume-Uni venait de bénéficier sous la forme d’un accord de confirmation portant sur la totalité de son quota au FMI25. Au début de janvier 1957, le déficit prévisible de la balance des comptes de la France pour l’ensemble de l’année fut évalué à 1 000 millions de dollars26. Le recours aux subsides du FMI grâce à la bénédiction bienveillante des Américains apparut rapidement plus délicat que ne l’avait espéré Jean Sadrin à la fin de 1956. L’histoire des difficiles négociations d’une aide étrangère tout au long de 1957 et de ses répercussions sur l’évolution de la politique économique intérieure de la France, encore peu étudiée27, illustre clairement l’importance du rôle alors tenu par le gouverneur de la Banque de France dans le jeu d’une diplomatie financière malaisée qui aboutit au crédit global de janvier 1958 et, par-delà la coupure politique de mai 1958, semble bien avoir préparé les conditions du redressement de la fin 1958.
20Dès le début de 1957, il apparut que l’éventualité d’une aide financière étrangère serait étroitement liée à l’adoption par la France d’un programme de redressement financier à même de lui permettre un retour à l’équilibre définitif de sa balance des comptes et de respecter ses engagements internationaux dans le domaine de la libération des échanges. Hervé Alphand, dans les premiers jours de février, dépeignit nettement au gouverneur l’état d’esprit de l’administration de Washington :
« Le Gouvernement américain est très disposé à aider la France, mais à condition que le concours qu’il pourra apporter ne serve pas seulement à permettre quelque temps encore le maintien de notre déficit extérieur. Une assistance exceptionnelle doit, dans l’esprit de nos interlocuteurs, constituer le couronnement d’une politique de redressement, mais non pas le moyen d’échapper à celle-ci. »28
21Pour l’ambassadeur, il ne faisait aucun doute que le dessein des Américains était de placer la France devant un « dilemme » : ou bien la France décidait d’elle-même certaines mesures, qui, dans l’esprit des Américains, paraissaient « devoir tendre à la fois à réduire le déficit budgétaire, à restreindre les facilités de crédit et aussi à éliminer certaines pratiques exceptionnelles de notre commerce extérieur »29 ; ou bien la France n’avait rien à attendre d’eux. Cette résolution de l’administration américaine apparemment bien arrêtée constituait à l’évidence, de l’avis d’Alphand, « une donnée de fait qui command[ait] tout le déroulement des négociations »30. Si l’assistance des États-Unis semblait difficilement assurée, l’éventualité d’un nouveau recours aux facilités de l’UEP n’était pas moins aléatoire. La situation de la France fut examinée par le comité de direction de l’Union tout au long du mois de mars 195731. C’est à Pierre Calvet que revint la charge de présenter les difficultés françaises, d’expliquer avec éloquence les charges exceptionnelles que la mauvaise récolte de l’hiver, les opérations en Algérie et l’affaire de Suez avaient entraînées. Il s’efforça aussi de présenter les quelques mesures prises dans le but de réduire le niveau des importations comme « un pas vers une restriction du crédit »32. Mais l’exposé du sous-gouverneur se heurta à un certain scepticisme de la part de ses collègues du comité de direction que présidait Karl von Mangoldt, le représentant allemand à l’OECE. Dans son rapport final du 5 avril33, le comité estima en effet que « sans vouloir minimiser » les causes exceptionnelles des difficultés françaises que Calvet avait mises en avant, la cause principale en était le niveau excessif de la demande intérieure, alimenté tant par une consommation, publique et privée, trop élevée, que par le rythme trop rapide des investissements. La France, estimait le comité, devait donc s’employer à restreindre le volume de la demande intérieure globale et à ralentir « le rythme actuel d’expansion » qui dépassait manifestement « les possibilités de l’économie française »34. Le représentant britannique, John Owen, qui venait de la Trésorerie, fut apparemment le plus virulent : il démontra l’absolue nécessité pour la France de redresser ses finances intérieures au moyen d’un renforcement significatif de sa fiscalité et d’un resserrement sensible de sa politique du crédit. Il insista surtout sur l’obligation de mettre un terme au réescompte par la banque d’émission des effets de crédit à moyen terme35. Aux yeux de ses partenaires européens, la France ne pouvait donc, sans cette cure, espérer prendre la place qui était la sienne dans l’édifice communautaire en voie d’achèvement :
« Pour que les buts que se sont assignés l’Union et l’Organisation soient atteints et pour que, comme on l’espère, le Marché commun et la Zone de Libre Échange puissent être mis en œuvre en 1958, la France doit être en mesure d’apporter à ces institutions sa contribution totale. Il est donc urgent et nécessaire que des mesures adéquates soient prises pour rétablir l’équilibre de la balance des paiements de la France. »36
22Encore implicites, les pressions de l’OECE n’en étaient pas moins déjà fort claires. Elles s’étaient exprimées en fait dès la fin de l’année 1956, à l’occasion d’une conversation informelle qui eut lieu au château de la Muette entre Von Mangoldt et Calvet37. Les positions du comité directeur de l’UEP étaient bien entendu parfaitement connues du gouverneur de la Banque de France dont l’intimité avec Pierre Calvet était grande ; la présence dans ses papiers de toutes les notes du sous-gouverneur sur le sujet en témoigne éloquemment. D’autre part, les impressions qu’il avait retirées aussi de ses nombreux contacts à Washington en septembre avaient pu rendre Wilfrid Baumgartner plus conscient qu’aucun autre de la tournure des événements et de la nécessité pour la France de donner enfin à sa politique économique un tour plus conforme aux vues de ses partenaires européens et américains.
23Au tout début de 1957, le conseil général de la Banque, à l’initiative du gouverneur, bien épaulé par Jacques Brunet et avec la totale approbation des autres membres, rédigea ainsi à l’intention du ministre des Finances une mise en garde fort explicite devant la montée des périls financiers à l’intérieur comme à l’extérieur :
« 1956 a été, dans la période qui s’est écoulée depuis la fin de 1948, époque du premier rétablissement d’après-guerre, l’année où nous avons enregistré le plus fort déficit en devises et la plus forte impasse budgétaire. »38
24C’est à cette occasion que la contrainte de l’intégration européenne fut pour la première fois mise en avant par la Banque pour peser sur le pouvoir politique et l’inciter à prendre des mesures de redressement financier :
« Moins nos affaires seront en ordre sur le plan économique et financier, moins nous seront à même de profiter des avantages du marché commun à l’ouverture duquel nos voisins sont mieux préparés. »39
25Encore incertain sur la nécessité de restreindre le rythme des investissements, notamment destinés au financement du logement, car, concédait le mémorandum du conseil général, « il vaudrait mieux sauvegarder […] ce qui conditionne le futur d’une population en croissance »40, le conseil général préconisait néanmoins « l’austérité, […] non point pour détruire le progrès, mais bien au contraire pour l’assurer en détruisant l’inflation »41. L’ampleur du déficit budgétaire jugé incompatible avec l’entrée dans la Communauté européenne, le choix de l’austérité contre les illusions de l’inflation : ce sont les thèmes qui ont fondé l’action de la banque centrale et de son gouverneur en 1957 et 1958.
26À la fin de février 1957, Jean Saltes dans une de ses notes officieuses destinées au seul gouverneur analysait plus crûment encore la situation, forçant le trait d’une France au ban des nations européennes :
« Nous savons que nous allons tout droit à la faillite. […] La France fera une fois de plus piètre figure dans le monde. Car dans cette misère nous sommes seuls. La puissance économique et monétaire de l’Allemagne s’accroît de jour en jour. L’Angleterre, même si son avenir demeure sombre, a réussi à rétablir l’équilibre de ses paiements courants […]. L’Italie elle-même peut dresser pour 1956 un bilan plus satisfaisant que le nôtre. La France est, de nouveau, l’homme malade de l’Europe, gêne et inquiète ses partenaires, alors qu’elle prétend avoir jeté avec eux les bases d’une association durable et plus intime que jamais. »42
27Le tournant à partir de 1957 est donc indéniable : les autorités monétaires, à l’extérieur de la Banque par la voix de son gouverneur, comme à l’intérieur de la Banque, commencèrent alors à remettre en cause les formes prises par la croissance au nom des disciplines impliquées par l’intégration européenne. Cette position prenait dans l’analyse du premier sous-gouverneur une forme extrême mais bien révélatrice de la prise de conscience soudaine que la spécificité de la croissance française était à terme incompatible avec la norme européenne commune :
« Le diagnostic est parfaitement clair […] : il est évident que l’expansion, tant recherchée, tant célébrée, a pris une allure qui n’est pas compatible avec nos ressources. […] La France consomme trop de charbon, trop de pétrole, trop d’acier, trop d’aluminium, trop de coton, trop de laine, trop de papier […]. La population française consomme trop de viande et de denrées alimentaires de toute nature. »43
28Un programme de restriction globale des investissements et des consommations finales suivait cette étonnante litanie formulée au cœur des Trente Glorieuses. « L’ensemble apparaîtra comme abominablement rétrograde, et la cure est nécessairement fort amère », concédait Saltes, mais, concluait-il, elle « est conforme à l’exemple de plusieurs pays étrangers »44. Les convictions déflationnistes marquées et le monétarisme avant la lettre du sous-gouverneur contrastent assurément avec les positions qu’il avait affichées avant guerre, autour du plan de la CGT ou encore au sein de la commission Antonelli chargée en juin 1936 d’étudier les conditions de la nationalisation de la Banque de France45. Sur tout ce passé, comme l’a souligné après coup Louis Franck, le directeur des Prix qui siégeait alors au conseil général, « un grand rideau noir semblait tiré »46. Bel exemple d’une « conversion » aux vertus de la politique monétaire, assez exactement inverse de la tendance qui avait pu porter certains hauts fonctionnaires des Finances à pratiquer au lendemain immédiat de la Seconde Guerre mondiale une politique de la demande et à accepter, provisoirement, les disciplines de la planification. Signe aussi que les temps avaient changé : en 1957, son relèvement achevé, son retard rattrapé, la France progressivement faisait le constat de l’internationalisation de l’activité économique et des disciplines monétaires qui en étaient la condition première. Baumgartner, pour sa part, résuma admirablement devant le Conseil national du crédit cette prise de conscience d’une phrase en mars 1957, quatre jours après la signature des traités de Rome : « On ne peut pas construire la prospérité d’un pays en vase clos. »47
29Les difficultés des finances extérieures étaient la manifestation la plus directement éloquente de cette réalité nouvelle. Et le gouverneur pouvait noter avec quelque satisfaction, rapportant le 7 mars 1957 au conseil général la teneur des conversations qu’il venait d’avoir avec Guy Mollet et Paul Ramadier, qu’il avait retiré de cette entrevue « une impression plus favorable que celle qu’il avait encore la semaine dernière, et cela tient en partie au fait même de l’évolution de la situation, de son aggravation indiscutable, notamment sur le plan où se concrétise la sanction, c’est-à-dire celui de nos réserves en devises. »48 La France venait en effet de connaître à l’échéance de la fin février dans l’UEP un solde débiteur de 88 millions de dollars, déficit d’une ampleur qui n’avait plus été atteinte depuis le début de 1952 ; et pourtant, Baumgartner, au même moment, mettait en garde Ramadier contre l’éventualité d’un retour de la France sur les mesures de libération commerciales auxquelles elle s’était soumise dans le cadre de l’OECE :
« Elle ne manquerait pas de soulever une hostilité générale à l’étranger. On ne manquerait pas, d’autre part, d’y opposer la politique suivie par l’Angleterre qui s’efforce de redresser sa situation sans mesures restrictives des échanges. »49
30En avril 1956, la France s’était en effet engagée à combler son retard sur les autres pays de l’OECE et à libérer à 90 % son commerce extérieur avant la fin de 195750. L’autonomie de sa politique économique s’en trouvait réduite d’autant. Les différentes mesures de restriction du crédit que les autorités monétaires furent amenées à prendre à partir d’avril 1957 s’inscrivaient donc assurément dans une logique de normalisation européenne. La présentation que Baumgartner en donna le 11 avril 1957 devant le Conseil national du crédit, présidé en la circonstance et pour la première fois depuis 1947 par le ministre des Finances, Paul Ramadier en personne, en est une preuve évidente : « Je n’ai pas besoin de vous dire, expliqua ainsi le gouverneur, à quel point est devenue préoccupante la balance des comptes, ni de vous répéter que son rétablissement est commandé par la réduction de la demande intérieure »51. Le taux d’escompte fut donc porté de 3 à 4 % et ce relèvement, pour la première fois, s’appliquait aussi à la mobilisation des effets à moyen terme qui avaient toujours été épargnés jusque-là. En outre, le crédit à la consommation fut de nouveau réduit : les facilités de crédit ne pouvaient plus désormais porter que sur 70 % de la valeur d’achat total et la durée maximale du crédit était ramenée de 21 à 15 mois. Ces mesures de resserrement provoquèrent les protestations inquiètes de Pierre Dumont, le président de la chambre de commerce de Paris :
« Nous craignons, pour notre part, que ces mesures compromettent des investissements absolument indispensables […], d’autant plus indispensables que nous sommes à la veille d’entrer dans un marché commun où nous devons être compétitifs. […] Vous frappez le moyen terme, or le moyen terme est la seule issue pour le commerce et pour l’industrie pouvant intervenir à un moment où les disponibilités monétaires sont insuffisantes. »52
31L’argument de l’intégration européenne était ainsi retourné. Mais Baumgartner y répondit en soulignant l’impact d’abord psychologique des mesures décidées : la hausse des taux, expression d’une « volonté de défense monétaire », devait, plaidait-il, produire « sur l’opinion internationale une influence dont nous avons le plus grand besoin. »53 La politique du prix de l’argent apparaissait donc avant tout avoir été, en avril 1957, déterminée sous la pression étrangère. Le gouverneur le reconnaissait volontiers. Une note de son directeur des services étrangers le lui avait d’ailleurs, à sa demande, confirmé peu de temps auparavant : si l’on ne pouvait guère escompter d’amélioration « mécanique » sur la balance des paiements d’un relèvement des taux d’intérêt, en revanche « on ne saurait passer sous silence, lui avait-il écrit, l’effet psychologique incontestablement heureux qu’aurait sur une bonne partie de l’opinion étrangère l’annonce d’un renchérissement du prix de l’argent en France. »54 Il n’est pas douteux que la pression étrangère exerça alors une influence directe sur la politique économique du gouvernement toujours dirigé par Guy Mollet. Une note des services étrangers de la fin mars 1957 envisageait explicitement cette possibilité d’agir sur le gouvernement à l’occasion des modalités de recours au ratissage de devises.
32Déjà employé en 1952 et 1953, le procédé du ratissage de devises avait pu contribuer alors à alléger ponctuellement le poids du déficit à chaque échéance mensuelle de l’UEP aboutissant à la marge à diminuer les surplus donnant lieu à des règlements en or et en devises. Au printemps 1957, devant la grave diminution des réserves de change, la direction des Services étrangers étudia la possibilité de pratiquer un ratissage des avoirs en dollars des banques françaises en Amérique du Nord, dont le montant au 28 février 1957 était estimé à 305 millions de dollars, soit tout de même près de 30 % des réserves de change dont disposait alors le Fonds de stabilisation des changes. Pourtant, à la fin mars, le service étranger conseilla au gouverneur de ne pas avoir recours trop tôt à cette manne, faisant état de motivations d’ordre purement intérieur :
« Le moment est-il déjà venu de recourir à une appréhension des avoirs des banques en dollars ? L’état de notre trésorerie en dollars, bien qu’inquiétant, nous permet encore d’attendre deux ou trois mois. Au surplus, il ne faudrait pas qu’un retour prématuré à cette sorte de ballon d’oxygène que constitue un ratissage dollars retardât la mise en vigueur d’un plan général de redressement. »55
33Mais deux mois plus tard, le 21 mai, le gouvernement était renversé lors du vote du programme financier qui comportait une nette aggravation de la fiscalité, et destiné, pour reprendre les termes de l’exposé des motifs, « à comprimer la demande intérieure par la réduction des dépenses publiques et une fiscalité accrue et la réduction des dépenses privées »56. L’impasse budgétaire devait s’en trouver réduite et passer de 1 050 à 883 milliards. L’OECE n’avait pas demandé beaucoup plus en avril. Au cours de la crise ministérielle ouverte par la démission de Guy Mollet, Calvet s’efforça une fois de plus de plaider la cause décidément difficile de la France devant le comité directeur de l’UEP, exceptionnellement réuni à la BRI à Bâle. Le rejet du programme de redressement par l’Assemblée nationale, expliqua le représentant de la France, ne signifiait pas nécessairement que le projet qui serait proposé par le futur gouvernement ne bénéficierait pas d’un soutien parlementaire : « en fait, assurait- il, l’opinion publique apparaît plus consciente de la nécessité de mesures énergiques »57. Il laissait aussi entendre que le recours aux avances de la Banque de France était inévitable, mais insistait sur leur caractère très provisoire et assurait que la Banque n’accorderait pas d’autres concours sans la garantie de voir mettre en œuvre par le gouvernement un programme de redressement véritable58. Le conseil de direction de l’UEP ne put se dissimuler en conclusion de l’exposé de Pierre Calvet que l’évolution de la situation de la France à l’UEP risquait de la mettre dans l’obligation de suspendre ses mesures de libération commerciale.
34Le nouveau gouvernement fut formé le 12 juin sous la présidence du radical Bourgès-Maunoury. Félix Gaillard y détenait le portefeuille des Finances. L’aggravation de la position de la France à l’UEP à l’échéance de juin était en effet indéniable : le déficit dépassa alors les 100 millions. Le cabinet décida dans l’urgence de suspendre aussitôt les mesures de libération commerciale. Calvet justifia cette mesure devant le comité de direction de l’UEP le lendemain même de sa parution au Journal officiel. Il insista sur le caractère d’urgence de la décision qui était avant tout destinée, exposa-t-il, « à donner au gouvernement le temps nécessaire pour étudier les termes du problème et préparer les mesures essentielles du redressement. »59 La Banque de France et son gouverneur s’appliquèrent en effet, les jours suivants, à définir les grandes lignes d’un tel programme de redressement. La demande d’une nouvelle convention d’avance lui fournit, une fois de plus, l’occasion d’infléchir dans le sens qu’elle estimait favorable la politique économique du gouvernement.
35Les besoins de la trésorerie contraignirent Félix Gaillard à solliciter le 24 juin 1957 une avance de la Banque pour un montant de 300 milliards de francs, mais aussi une cession d’or pour une valeur de 100 milliards au profit du Fonds de stabilisation des changes. Il était en effet cette fois impossible de recourir comme au premier semestre de 1956 à un financement indirect de la trésorerie par le biais de la mobilisation des effets à moyen terme. Et l’aggravation du déficit extérieur dépassait de beaucoup les rentrées provisoires qui pouvaient être procurées par le ratissage. Les papiers ont conservé les sténotypies des séances officieuses des 24 et 25 juin 1957 où furent discutées les modalités de ce nouveau concours de la Banque à l’État. Baumgartner qui venait de s’en entretenir avec le ministre exposa au Conseil que la Banque avait toute latitude pour fixer ses conditions : « Finalement, rapporta le gouverneur, il s’en est un peu remis, si j’ai bien compris, à nos bons soins. »60 Exploitant les circonstances, le Conseil soumit donc l’accord de la Banque à une série de conditions qu’il jugeait indispensables au redressement financier : premièrement, les règles du financement du Trésor par le moyen du marché monétaire devaient être modifiées. Le conseil général demandait la suppression du réescompte obligatoire des effets publics bancables qui prévalait depuis la loi du 24 juillet 1936. De cette façon, Wilfrid Baumgartner qui avait été au Mouvement des fonds le rédacteur principal de cette loi, apurait en quelque sorte le passé. Cette réforme, de l’avis du conseil général, était d’ailleurs pleinement « conforme à une saine pratique monétaire et à l’usage qui est suivi dans tous les pays étrangers »61. Deuxièmement, les autorités monétaires entendaient limiter avec précision l’extension des crédits à moyen terme. Les entreprises nationalisées devaient limiter leurs encours à moyen terme à 20 % de leur programme annuel d’investissement ; les crédits à moyen terme destinés à la construction se voyaient, eux, affectés d’un plafond global qui devait stabiliser leur encours aux alentours de 750 milliards. « J’ai fait valoir au ministre, rapporta Baumgartner, que c’était un des points sur lesquels on jugerait de la qualité de notre redressement, non seulement en France mais surtout à l’étranger. »62 Le lien entre l’énoncé de ces mesures et la crise des finances extérieures était donc patent. Le gouverneur le rappela encore dans la lettre qu’il adressa à Félix Gaillard pour lui présenter les conditions de la Banque : la nécessité de ces mesures de redressement était « soulignée par la crise des devises […] qui risque de mettre en péril l’activité de la nation. »63 La politique de la Banque de France visait à l’évidence à faire adopter par le gouvernement un programme de redressement conforme aux attentes des bailleurs de fonds potentiels de la France. Per Jacobsson, de retour de Bâle, à la fin juin64, rendit ainsi à Wilfrid Baumgartner une visite qui devait un peu à la courtoisie et beaucoup à la volonté qu’il avait de s’informer de l’évolution de la situation financière de la France. Il lui écrivit quelque temps après pour lui confirmer qu’il suivait de près les évolutions en France :
« J’ai beaucoup repensé aux points que nous avons soulevés au cours de nos discussions à Bâle et à Paris et j’essaie de rester au fait des développements de la situation française. À vrai dire, j’ai pris l’habitude de lire Le Monde chaque jour et je suis en mesure de prendre au moins la mesure du débat public qui me semble en train de gagner en réalisme. »65
L’EXPÉDIENT DE L’OPÉRATION 20 % (AOÛT 1957)
36Ce même réalisme, dans l’immédiat, commanda au gouvernement de procéder à une dévaluation de fait de l’ordre de 20 % le 10 août 1957, officiellement pour mettre un point d’arrêt au mouvement de spéculation contre le franc alimenté par la dégradation continue depuis juin de la balance des paiements français. Le relèvement du taux d’escompte intervenu une semaine auparavant s’était en effet révélé impuissant à en freiner le développement. La « simili-dévaluation » d’août 195766 consistait ainsi, tout bonnement, à imposer aux importateurs un prélèvement immédiat de 20 % sur leurs recettes et, à l’inverse, à faire bénéficier les exportateurs d’un versement tout aussi immédiat de 20 % venant accroître d’autant le produit de leurs ventes à l’étranger. À charge, donc, pour les importateurs français, de répercuter sur leurs prix de ventes en francs la ponction qui leur était imposée. Mais à charge aussi pour le Trésor de fournir au Fonds de stabilisation des changes, qui centralisait bien entendu toujours les écritures des opérations, les sommes qui pourraient résulter dans le dispositif d’un excédent des versements aux exportations sur les prélèvements aux importations. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit, l’opération 20 % aboutissant au total à un débours du Trésor de quelque 27 milliards de francs67. Néanmoins, dans l’immédiat, la mesure permettait de majorer de fait de 20 % le prix des devises étrangères contre francs, mais sans modifier en rien leur cotation sur le marché libre et sur le marché officiel.
37Ainsi conçue, « l’opération 20 % » visait, pour l’essentiel, à soulager sans délai le déficit commercial de la France tout en évitant au maximum les risques inflationnistes puisqu’un régime dérogatoire excluait du mécanisme de prélèvement de 20 % les importations vitales de matières premières et d’énergie68. Véritable retour aux taux de change multiples ! L’effet sur le déficit de la France dans l’UEP fut, du reste, immédiat. Il s’en trouva réduit à l’échéance d’août de 35 % par rapport à la fin juillet. Mais l’artifice, comme on pouvait s’y attendre, fut jugé sévèrement à Washington. Baumgartner qui y retourna dans le courant du mois de septembre pour participer comme chaque année à l’assemblée du FMI put y prendre une juste mesure de la réprobation des milieux administratifs américains : les autorités françaises savaient pertinemment que l’opération aboutissait à rétablir des taux de change multiples ; par conséquent, « un taux de change unique devait être établi à la première occasion »69. Dans l’allocution qu’il prononça cette année-là encore lors de la séance de clôture le 26 septembre, le gouverneur de la Banque de France s’appliqua, faisant front, à défendre la manipulation monétaire qui venait d’intervenir :
« Malgré leur caractère dans le détail un peu compliqué, ces mesures que mon gouvernement a jugées nécessaires répondaient dans leur essence à la fois aux exigences de notre situation et aux conseils qu’assez libéralement on voulait bien nous donner. »70
38Il s’attacha à démontrer que l’« opération 20 % » s’inscrivait « dans la voie d’un assainissement » et permettait d’espérer à terme revenir à la libération des échanges. Il profita de l’occasion pour célébrer à la tribune les qualités des « bons docteurs » du Fonds monétaire et admit, souriant, que la France pouvait bien dans un avenir proche avoir besoin d’une telle médecine :
« D’aucuns pourraient être tentés de me dire : si vous êtes si gentil avec les docteurs, c’est peut-être qu’étant malade vous en avez besoin. »71
39Au début de l’automne, en effet, Wilfrid Baumgartner, en accord avec Pierre Pflimlin qui avait succédé à Félix Gaillard dans le cabinet que ce dernier avait formé le 5 novembre à l’issue d’une crise de trente-cinq jours, prit l’initiative de contacts avec l’ambassade américaine à Paris pour envisager les modalités d’une aide extérieure que l’évolution dramatique des réserves de change désormais exigeait.
L’ÉCONOMIE D’ENDETTEMENT, LA GUERRE D’ALGÉRIE ET LES CONTRAINTES DE LA COOPÉRATION MONÉTAIRE INTERNATIONALE
40Entre novembre 1957 et janvier 1958, la Banque de France, en étroite association avec le ministère des Finances, s’efforça de négocier tant auprès des Américains que de l’UEP une aide financière globale destinée à rétablir durablement l’équilibre des comptes extérieurs de la France. Ces négociations eurent toutefois pour pendant l’élaboration d’un plan de redressement posé par les bailleurs de fonds étrangers comme condition sine qua non à tout concours extérieur.
41Le 12 novembre 1957, un déjeuner réunit à la Banque de France, outre le maître des lieux et son sous-gouverneur Calvet, Pierre-Paul Schweitzer et Jean Sadrin pour la partie française, et Randolph Burgess, le nouvel ambassadeur américain à Paris, accompagné de son attaché financier, Donald Mc Grew. La teneur des propos échangés est connue grâce au procès-verbal que l’ambassade américaine confectionna à l’issue de la rencontre et qu’elle soumit pour approbation aux participants français72. Baumgartner leur exposa donc franchement la gravité de la situation des finances extérieures de la France, les avoirs en devises du Fonds de stabilisation des changes ramenés à l’équivalent de 30 millions de dollars seulement à la fin d’octobre, son encaisse-or déjà fortement diminuée et qui pouvait, « morally if not in strictly legal terms », être considérée comme déjà gagée puisqu’elle servait de garantie aux obligations à court terme que la France avait en cours, comme le crédit de 100 millions de dollars contracté en février auprès de banques américaines conduites par la Chase Manhattan Bank et destiné à financer les importations françaises de pétrole. Schweitzer décrivit ensuite les grandes lignes du plan de redressement projeté par Félix Gaillard pour lequel il comptait demander des pouvoirs spéciaux au Parlement. La principale mesure consistait à réduire, dans le budget de 1958, l’impasse à 600 milliards par un accroissement de la fiscalité indirecte et des économies. Le directeur du Trésor plaida qu’un programme plus ambitieux « aurait été irréaliste, car politiquement inacceptable »73. En outre, les coupes budgétaires devaient préserver le niveau jugé indispensable des investissements de base. Baumgartner insista aussi sur cette nécessité, assurant que dans le domaine des crédits à moyen terme, par exemple, si des abus avaient sans doute été commis dans le secteur du logement, rien de tel en revanche n’était à reprocher aux crédits d’équipement accordés, soulignait-il, avec toujours beaucoup de discernement par le Crédit national. Dans le cas des crédits à la construction, il admit toutefois qu’un plafonnement de leurs encours était nécessaire et qu’il fallait envisager leur consolidation, peut-être en recourant à un financement par le Trésor.
42Les représentants américains manifestèrent un certain scepticisme sur la capacité du gouvernement français à appliquer ces mesures d’assainissement. La question du coût de la guerre d’Algérie, avant tout, les inquiétait. Le gouvernement français avait-il estimé les charges qu’elle représenterait en 1958 ? Schweitzer répondit qu’en fait, le budget de 1958 avait tablé sur la permanence d’une année sur l’autre des charges financières entraînées par l’Algérie, qui étaient estimées à 500 milliards de francs74. L’engagement français en Afrique du Nord, à un moment où aux États-Unis, l’opinion, le Congrès et certains membres du département d’État inclinaient ouvertement en faveur d’un soutien au FLN75, était naturellement au cœur des préoccupations américaines. À l’évidence, la guerre d’Algérie pesa lourdement sur les négociations financières franco-américaines de la fin 1957. Baumgartner, par les contacts réguliers qu’il avait outre-Atlantique, ne pouvait rien ignorer des réticences américaines. Il en avait eu d’ailleurs, quelques mois auparavant, en février, au moment de la « bataille d’Alger », une claire confirmation avec le témoignage que lui avait alors livré Paul Leroy-Beaulieu, à cette date conseiller financier français à Londres, proche des milieux américains depuis son passage à New York comme conseiller financier déjà de 1937 à 1940. Lui rapportant la conversation qu’il avait eue avec le chef du service des agences internationales au département d’État, il lui avait donné la mesure de la réprobation suscitée en Amérique par la poursuite de la guerre en Algérie et des conséquences financières qui risquaient d’en découler pour la France :
« J’ai compris de la conversation que les Américains désiraient essentiellement éviter qu’une aide de leur part, sous une forme ou une autre, ne nous incite à poursuivre les opérations militaires en Algérie, et à retarder ainsi un règlement inévitable, comme cela a été le cas de l’aide qu’ils nous ont fournie en Indochine. Les Américains en effet ne voudraient à aucun prix que l’on puisse plus tard leur imputer une responsabilité quelconque dans le pourrissement de la situation en Algérie. »76
43Au début de novembre 1957, alors que le conflit s’étendait aux zones de prospection pétrolière du Sud saharien, dans la région de Timimoun77, l’enlisement de la France dans ce qui était perçu par beaucoup aux États-Unis comme un conflit colonial d’un autre âge était patent. Ce contexte international explique que Wilfrid Baumgartner ait alors jugé utile de donner à ses interlocuteurs américains son sentiment sur le sens de l’engagement français en Afrique du Nord. Comme trois ans auparavant pour l’Indochine, l’argument principal, expliqua le gouverneur, était qu’en se maintenant à grands frais en Algérie, la France servait la cause du « monde libre ». C’était du moins le sens des propos que le mémorandum rédigé après coup par les services de l’ambassade américaine retint :
« Aux yeux du gouverneur, c’était la politique qu’il convenait de mener, et il en allait de l’intérêt de toute l’Alliance occidentale, car, croyait-il, cette région deviendrait inévitablement communiste si les Français en étaient chassés »78.
44Le trait sembla peut-être forcé à Baumgartner qui jugea bon de retoucher la version qui lui fut soumise avant diffusion à Washington dans le sens d’une sensible atténuation. Il biffa le passage sur le risque communiste et nuança son appréciation sur le conflit : la politique menée en Algérie était « probablement » la bonne79. En revanche, il maintint qu’il était « du moins juste que les Français devaient retirer le bénéfice des efforts considérables qu’ils avaient déployés pour inventer les gisements pétroliers du Sahara. »80 La poursuite de la guerre en Algérie ne devait donc selon lui pas constituer un obstacle à l’obtention d’une aide financière américaine. D’autant, exposa pour finir Baumgartner, que les États-Unis n’apparaîtraient pas comme les créditeurs uniques de la France.
45Il s’agissait, expliqua Baumgartner, de négocier un crédit global (package) qui comprendrait aussi bien un recours au FMI et à la Banque mondiale qu’un appel à l’UEP. Pierre Calvet exposa alors aux Américains qu’il s’était très récemment entretenu avec Von Mangoldt de la possibilité d’un crédit de l’Allemagne à la France d’un montant total en deutsche Mark équivalent à 200 millions de dollars. Le directeur général du Fonds monétaire, ainsi que le président de la BIRD, précisa Baumgartner qui confia les avoir longuement rencontrés à Washington en septembre, avaient pour leur part donné un accord de principe pour un nouveau tirage sur le Fonds et pour un crédit de la Banque mondiale destiné au financement de certains investissements en Afrique française. L’ambassadeur Burgess demanda naturellement un délai de réflexion mais laissa déjà clairement entendre qu’à son avis le plan de redressement français, aux yeux par exemple du FMI, paraîtrait encore trop timide. Deux jours plus tard, l’ambassade des États-Unis fit parvenir à la Banque et au ministère des Finances une demande de compléments d’information extrêmement précise et assez sèche : même ramené à 600 milliards, le déficit budgétaire restait excessif aux yeux des Américains. Comment la France espérait-elle le financer, demandaient-ils, sans recourir une fois de plus à l’inflation ?81 Le taux de change de 420 francs pour un dollar adopté uniformément en octobre était-il le plus adapté ? La Banque de France pouvait-elle fournir à l’ambassade les études qu’elle avait dit avoir menées sur cette question ? Serait-il possible de disposer également d’un état précis du projet d’investissements en Afrique pour lequel un concours de la Banque mondiale avait été sollicité ? La note demandait enfin que tous ces renseignements fussent communiqués en conformité avec les normes et définitions utilisées par l’OECE afin de faciliter les comparaisons. Surtout, la France devait s’engager plus nettement sur le programme de redressement qu’elle envisageait :
« Il serait extrêmement utile d’obtenir des autorités françaises quelques précisions pour démontrer comment le programme de stabilisation du Gouvernement est censé parvenir à un double équilibre à la fois interne et externe, et à quelle échéance. »82
46Ces rigoureuses exigences américaines trouvèrent du côté du comité directeur de l’UEP un écho similaire. Calvet rendit compte à Baumgartner, le 15 novembre, des réticences des partenaires européens de la France à lui accorder une aide inconditionnelle83. Il avait ainsi rencontré une nouvelle fois Karl Von Mangoldt, « à titre privé et confidentiel », les 14 et 15 novembre 1957, en présence du représentant britannique, Sir Horace Wilson. Von Mangoldt avait en effet estimé que la présence de ce dernier « pourrait accélérer les négociations ». Pour le représentant de la RFA, la France ne pouvait espérer bénéficier d’une aide de la part de l’UEP que dans la mesure où elle avait élaboré, rapporta Calvet, « un programme général de redressement d’une ampleur, d’une vigueur et d’une précision suffisante pour que, en tant qu’experts, les membres du comité de direction puissent présenter au Conseil de l’OECE une recommandation tendant à l’octroi de l’assistance nécessaire à la France, fondée sur la conviction que le programme français assurera le redressement financier et monétaire de notre pays. »84 Dans l’esprit de Von Mangoldt, ce programme aurait été plus convaincant encore s’il avait pu recevoir l’approbation « d’un ou, de préférence deux experts étrangers de grand renom […] et donner ainsi à l’OECE l’assurance que ce programme est adéquat »85. Il cita à ce propos devant Calvet les noms de Per Jacobsson et de Wilhelm Holtrop, président de la banque centrale des Pays-Bas et président depuis peu du conseil d’administration de la BRI. Il semble bien que le représentant allemand ait éprouvé à ce moment la satisfaction d’une certaine revanche sur le passé, du moins était-ce l’impression recueillie alors par Pierre Calvet :
« Bien entendu, M. Von Mangoldt m’a rappelé le précédent de la fin de l’année 1950 où l’Union Européenne des Paiements a accordé, dans les mêmes conditions, son assistance à l’Allemagne, sur la base des analyses et des recommandations faites par deux experts étrangers, dont l’un était précisément M. Jacobsson. »86
47L’appel à un expert reconnu était donc la condition première mise par le comité directeur à une éventuelle aide à la France. « Je crois devoir souligner, insistait Calvet, que l’accord ou le refus sur ce point sera d’une importance capitale pour la suite des événements. »87
48Quelques jours après le rapport que lui fit Calvet, Baumgartner reçut de Mc Grew, l’attaché financier américain, une note extrêmement sévère opposant aux demandes financières de la France une fin provisoire de non-recevoir aussi longtemps qu’un véritable programme de redressement n’était pas élaboré : la crise des paiements, expliquait l’ambassade américaine, n’était que « le symptôme visible » du problème économique français ; la « cause profonde » devait en être recherchée dans les pressions inflationnistes internes. « La solution de la crise économique de la France, insistait Mc Grew, implique que la pression inflationniste intérieure soit éradiquée à sa source. »88 Par conséquent, le niveau du déficit budgétaire, même ramené à 600 milliards, restait trop élevé. Il fallait, soulignait le représentant américain, envisager d’aller plus loin et cesser de se voiler la face :
« C’est une pratique courante des Français de présenter les réductions opérées par rapport au niveau initialement prévu comme une coupe dans les dépenses. C’est ainsi qu’en présentant devant l’Assemblée nationale son programme politique le 5 novembre dernier, M. Gaillard a déclaré : En juillet dernier, le Gouvernement à réduit les dépenses publiques dans une mesure jamais atteinte dans notre histoire budgétaire. Mais en réalité le total des dépenses en 1957 excédera le total des dépenses de l’année dernière […]. Le Gouvernement français continuera à être incapable de faire autrement, à moins qu’il reconnaisse qu’aucune catégorie de dépenses, – pas même, et ceci doit être souligné, les dépenses d’investissement –, ne puisse être considérée comme exempte d’un examen très minutieux et soumise à de sévères restrictions. »89
49La population française, concluait la note américaine, devait donc accepter de réduire son train de vie : était-il normal que la consommation en France ait augmenté dans les années récentes au rythme annuel de 6 %, alors que dans le même temps les syndicats hollandais acceptaient une réduction volontaire de 5 % du niveau général des salaires pour permettre à leur pays d’équilibrer leur balance des comptes ? Mais la politique de la banque centrale était elle aussi mise en cause. L’expansion des crédits à l’économie devait cesser ; il fallait mettre un terme à l’accès à la mobilisation des effets à moyen terme, procédure qui « portait, pour une très large part, une cancéreuse [sic] responsabilité dans le processus inflationniste des dernières années. »90 Enfin, la note mettait en doute le caractère « réaliste » du taux de change adopté en octobre et estimait qu’une fois la stabilisation revenue, « il serait avisé d’examiner de nouveau l’inadéquation du cours de 420 francs pour un dollar américain. »91
50Ainsi les pressions extérieures, tant du côté des Américains que de l’UEP, convergeaient : la possibilité d’une aide financière dont la France avait le plus urgent besoin passait sans échappatoire possible par l’élaboration d’un plan de redressement crédible. Soumis aux deux sources de pression, à l’intersection des exigences américaines et européennes, Wilfrid Baumgartner, avec l’aval du ministre des Finances Pierre Pflimlin, prit l’initiative de télégraphier en code le 20 novembre à Per Jacobsson :
« Le ministre et moi-même, serions très heureux si vous pouviez venir à titre privé à Paris dans le but de discuter de façon officieuse de nos problèmes. »92
51Le lendemain, Jacobsson lui annonça sa venue prochaine à Paris ; il était désireux de pouvoir rencontrer le gouverneur de la Banque dès son arrivée à Orly et « avant toute autre personne »93. La part prise par Per Jacobsson, le directeur général du Fonds monétaire international, dans la conception du plan de redressement français et les négociations financières de décembre 1957 à janvier 1958 fut prépondérante.
PER JACOBSSON ET WILFRID BAUMGARTNER
52Le directeur général du Fonds monétaire, de presque dix ans l’aîné de Baumgartner, avait alors soixante-deux ans. Sa fille a donné de Jacobsson à cette date un portrait très vivant :
« À soixante ans, PJ donnait une impression de force, de dynamisme et de hauteur. Malgré sa taille de six pieds seulement, ses larges épaules et sa large tête produisaient sur bien des personnes de plus grande taille l’impression qu’il était plus grand qu’elles. […] Quand il parlait, PJ utilisait force gestes pour souligner son propos – un large mouvement vers le bas de son bras droit, un index gauche dressé pour attirer l’attention sur un exposé peut-être chuchoté, mais parfaitement audible. »94
53Né en 1894 à Vinbeck, au nord de Göteborg, sur la côte occidentale de la Suède, d’un père vétérinaire et d’une mère institutrice, Per Jacobsson mena des études d’économie à la prestigieuse université d’Uppsala. Puis il participa après la guerre, comme expert, aux travaux de la commission des Finances de la Société des nations, partageant alors son temps entre Londres et Genève. Il y fut l’un des artisans du règlement de la question des réparations allemandes. Il fraya dès cette époque avec Pierre Quesnay, le directeur de la BRI. Après une brève expérience dans le monde des affaires, comme conseiller économique du « roi des allumettes », le suédois Ivar Kreuger, Jacobsson entra à la Banque des règlements internationaux en septembre 1931. Il demeura vingtcinq ans à la tête de son département économique et monétaire, rédigeant chaque année avec un soin scrupuleux le rapport de la Banque et s’y forgeant une doctrine économique solidement assise sur les dogmes de la stabilité monétaire, des bienfaits de la libre circulation des capitaux et des marchandises et de la nécessité de la coopération monétaire internationale, dont les banques centrales devaient être les instruments les plus précieux. En septembre 1956, il fut nommé à la tête du Fonds monétaire international après que Wilfrid Baumgartner, son contraire à bien des égards, eut décliné l’offre américaine. La suite montra que le choix de la Trésorerie américaine avait été judicieux.
54Sous l’impulsion de Jacobsson, l’organisme quelque peu ensommeillé du 1818 H Street inaugura en effet, selon les termes mêmes de son directeur général, « une nouvelle tradition »95. De fait, le montant des tirages accordés par le Fonds en 1956-1957, soit 1 478 millions de dollars, dépassa de loin le montant total des tirages accordés depuis sa création96. Or la France fut, derrière la Grande-Bretagne, le principal bénéficiaire de ces facilités. En fait, Per Jacobsson, l’« érudit », donna au Fonds monétaire l’importance que les statuts fondateurs de Bretton Woods lui avaient conférée. C’est cet homme qui s’installa tout un mois dans un bureau proche du cabinet du gouverneur à la Banque de France97, discrètement conduit chaque matin par une Citroën DS noire rue de la Vrillière ou rue de Rivoli depuis l’hôtel Meurice voisin, où Baumgartner lui avait réservé ses quartiers. C’est alors qu’en étroite collaboration avec la Banque de France et le ministère des Finances, il examina à la loupe la situation financière de la France et conçut les grandes lignes du plan de redressement qui était le préalable obligé à l’obtention de crédits extérieurs.
55Dès le printemps 1957, il en avait conçu l’idée et s’en était d’ailleurs ouvert à l’époque à Henri Deroy, qu’il avait croisé durant de longues années au conseil d’administration de la BRI et qu’il avait revu à New York à l’occasion du meeting annuel de l’American Banker’s Association. Jacobsson avait exposé à l’ancien gouverneur du Crédit foncier qu’il fallait que la France établît d’elle-même un plan de redressement financier :
« Le Fonds Monétaire pourrait l’aider de ses conseils, mais confidentiellement, sans publicité, pour que le plan soit un plan français. Si tout était alors en ordre et si on avait des garanties qu’il sera mené à bien, il pourrait être utilisé ici comme base pour des crédits. »98
56C’est donc fidèle à ce dessein que Jacobsson se livra à Paris, tout au long de décembre 1957, à un véritable audit de l’économie française sur la base d’un questionnaire qu’il soumit dès le 2 décembre au ministère des Finances et à la Banque de France99. Il orienta ses investigations dans deux directions principales : le budget et la politique monétaire. Il y fit preuve ainsi d’une attention toute particulière pour les différentes formes prises par le financement public des investissements, notamment par le moyen des « subventions » dont il demandait qu’on lui expliquât la signification précise ; il s’interrogea aussi sur l’évolution prévisible de la sécurité sociale et sur les liens de trésorerie existant entre le Trésor public et les entreprises nationalisées. Il voulut qu’on lui exposât pourquoi la taxe sur le chiffre d’affaires était réputée déjà trop élevée, alors qu’elle était encore inférieure aux taux pratiqués en Allemagne fédérale ou au Royaume-Uni. C’est à la direction du Trésor qu’il incomba d’apporter des réponses à ces questions. À la Banque d’émission, il demanda une description exacte des crédits à moyen terme en cours et une projection de leur évolution jusqu’en 1960. Il se montra particulièrement curieux de l’évolution du bilan de l’Institut d’émission cherchant à comprendre pourquoi la masse monétaire avait augmenté si vite entre 1955 et 1956, pour sembler s’être stabilisée en 1957. Jacobsson mena sans relâche ses consultations, tant au ministère des Finances, pour l’essentiel avec Pierre- Paul Schweitzer, mais aussi avec Jean Sadrin et Bernard Clappier, le directeur des Relations économiques extérieures (DREE), qu’à la Banque où il travailla avec Baumgartner bien sûr, mais aussi en étroite collaboration avec les hommes du gouverneur : Bolgert, Saltes, Calvet et Pérouse100, récemment nommé secrétaire général du Conseil national du crédit.
57Mais Jacobsson rencontra aussi Jean Monnet, retiré depuis 1955 de toute activité proprement administrative, et qui, à soixante-sept ans, se consacrait tout entier à sa tâche de président fondateur du Comité pour les États-Unis d’Europe. Félix Gaillard, qui avait été son proche collaborateur entre 1944 et 1947, à Alger d’abord, puis au Plan, avait en effet jugé bon dans les derniers jours de novembre de lui confier la direction des négociations financières à venir101. Bien que les papiers soient muets sur cette éventualité, on peut penser que le gouverneur de la Banque de France ne vit pas alors sans déplaisir le retour impromptu de Monnet dans le jeu des pourparlers franco-américains ; l’ancien commissaire au Plan risquait de cueillir ainsi les fruits d’une négociation qu’il avait lui-même entamée de nombreux mois plus tôt, depuis au moins le passage de Jacobsson à la Banque en juin 1957. La façon dont Monnet s’attribua après coup dans ses mémoires tout le bénéfice de l’opération, sans souffler mot d’ailleurs du rôle de Jacobsson à Paris ni du travail préparatoire du gouverneur de la Banque de France, confirme assez cette interprétation102. Elle se fonde aussi sur la nature des rapports entretenus entre Wilfrid Baumgartner et Félix Gaillard : le gouverneur ne semble pas avoir bénéficié auprès du jeune président du Conseil de l’audience qui avait jusque-là été la sienne à l’hôtel Matignon du temps de Queuille, Pinay, Laniel et même Mendès France ou rue de Rivoli, quand les titulaires du ministère s’appelaient Petsche, Faure et même Ramadier. Entre Baumgartner et Gaillard, nettement plus jeune que tous ses prédécesseurs, un certain décalage était perceptible. On connaît le mot cruel de Gaillard : alors que le gouverneur venait de lui dépeindre les périls monétaires menaçant le pays, il aurait à l’intention de ses collaborateurs, dont Saint-Geours qui rapporte l’anecdote, salué le départ de Baumgartner de ce commentaire fort peu respectueux : « C’est vraiment le Bonaparte du napoléon. »103 Par-delà le trait d’esprit, révélateur déjà d’une mentalité nouvelle, il est certain que l’arrivée de Félix Gaillard aux affaires annonçait aussi le début d’une ère administrative différente : l’espace d’une génération séparait presque Baumgartner du président du Conseil. Sans doute étaient-ils tous deux inspecteurs des Finances, mais Gaillard, venu de la Résistance active, entré à l’Inspection en 1943 juste avant de passer à Alger, élu dès 1946 député radical-socialiste de la Charente, rompait décidément à bien des égards avec la « vieille » inspection dont Baumgartner commençait, insensiblement, à devenir le symbole. Il n’en reste pas moins que son rôle dans les négociations financières de la fin 1957 et de début de 1958 fut central encore.
LE RAPPORT JACOBSSON ET LA POLITIQUE DU « FRANC FORT »
58C’est en effet les conclusions de la longue enquête de Jacobsson à Paris en décembre 1957 qui servirent de base de discussion lors des délicates négociations que la délégation française conduite par Jean Monnet, mais qui comprenait aussi Schweitzer, Saltes et Sadrin, mena en janvier 1958 à Washington. Le directeur général du FMI donna à ses propositions la forme d’une longue note, datée du 21 décembre 1957104. Son programme reposait sur l’idée qu’il fallait rétablir la confiance, aussi bien dans l’opinion publique française qu’à l’étranger. L’octroi de crédits étrangers y était lié. le retour à la confiance impliquait qu’un terme fût enfin mis à l’inflation française, en passe de devenir une spécificité, alors qu’il semblait « que l’on ait atteint la fin du mouvement d’inflation d’après-guerre dans la plupart des grands pays. »105 L’action des pouvoirs publics devait par conséquent s’orienter dans deux directions : la disparition à court terme de l’impasse budgétaire et la fin de toute intervention de la banque centrale dans le refinancement des crédits à moyen terme. Selon Jacobsson toujours, l’action sur le budget demandait que le gouvernement disposât de pouvoirs constitutionnels plus vastes, lui assurant sur le Parlement des prérogatives étendues et lui garantissant une liberté d’action dans le domaine budgétaire totale. En même temps, la publicité la plus large serait donnée à cette action de façon à sensibiliser l’opinion publique à la nécessité de l’effort fourni. Elle accepterait ainsi plus facilement le nécessaire ralentissement de l’activité en 1958 : « Mettre en construction un peu moins d’usines en 1958 est la politique la plus sage pour obtenir un franc fort »106. Mais c’est sur le chapitre des crédits à moyen terme que le directeur général du FMI était le plus incisif : « Les véritables difficultés, estimait Jacobsson, ont leur source dans le refinancement des crédits à moyen terme par la Banque de France. »107 Par nature inflationniste, le refinancement des crédits à moyen et long terme ne devait pas être pratiqué par une banque centrale. Seul le réescompte d’effets commerciaux « se liquidant automatiquement » pouvait être pratiqué sans dommage pour la stabilité monétaire :
59« Désireuses d’appliquer de tels principes dans leurs propres modalités d’octroi de crédits, les Banques Centrales des principaux pays s’attendent naturellement à ce que les mêmes principes soient appliqués en France. »108
60Dans l’esprit du directeur général du FMI, la mise aux normes impliquait de la part de la France qu’un terme définitif fût apporté à la pratique du réescompte par l’Institut d’émission des effets portant crédit à moyen terme, tout particulièrement dans le secteur de la construction. Les encours devaient être plafonnés dans un premier temps, puis progressivement consolidés par la création d’une Caisse pour le bâtiment, alimentée par le budget général et des émissions du Crédit foncier. Enfin, sur la question délicate des mesures de libération commerciale et d’un éventuel ajustement monétaire, la note de Jacobsson était plus discrète, renvoyant leur discussion au moment où s’ouvriraient les négociations à Washington. Il concluait néanmoins sur les vertus d’une monnaie forte et citait en exemple l’Allemagne qui avait, « montré quel magnifique développement économique on pouvait édifier sur une monnaie qui est maintenue stable et qui inspire confiance. »109 Par bien des aspects, l’analyse que le directeur général du Fonds monétaire fit à la fin de 1957 de la situation française et des conditions de son redressement financier préfigurait les constats et les solutions qui allaient prévaloir exactement un an plus tard. Mais dans l’immédiat, aucune promesse d’aide n’était formellement faite par Jacobsson. Le problème, assurément, ne pouvait être tranché qu’à Washington. Une réserve semblable semble avoir été émise de la part de l’OECE.
61Parallèlement Pierre Calvet, en effet, présenta entre le 13 et le 21 décembre la demande officielle d’aide de la France à l’UEP portant sur 250 millions de dollars de compte. Selon son propre témoignage, l’atmosphère de cette session fut assez « lourde »110 : après avoir entendu les exposés des experts, ceux-là mêmes que Per Jacobsson rencontrait de son côté au même moment, les partenaires européens de la France ne ménagèrent pas leurs critiques et exprimèrent les « doutes sérieux » que leur inspirait toujours le plan de redressement français111. En fait, analysait Calvet, la présence à la même date de la délégation américaine venue à Paris pour la conférence de l’OTAN expliquait cette soudaine réserve du comité directeur de l’UEP. Les Européens étaient avant tout soucieux de subordonner leur aide à une décision du FMI et donc à un accord de la Trésorerie américaine. Pour le sous-gouverneur, il ne faisait désormais aucun doute que la décision de l’OECE serait prise non à Paris, mais à Washington. Or, comme l’écrivait confidentiellement à Baumgartner Gabriel Ferras, l’adjoint de l’administrateur français, issu pour la première fois des services étrangers de la Banque, « la Trésorerie américaine conserv[ait] toujours des doutes quant au succès du plan français »112. Surtout, Franck Southard, l’administrateur américain au Fonds, lui avait dit que les autorités américaines jugeaient « le taux de change présent dépassé ». Et Ferras ajoutait : « J’ai eu l’impression que seule une révision du taux de change […] pourrait les inciter à se montrer plus libérales. »113
62Jacobsson reparti, une longue réunion de travail réunit à l’hôtel Matignon le 8 janvier 1958, autour de Félix Gaillard et Pierre Pflimlin, les principaux protagonistes de décembre : Jean Monnet, Pierre-Paul Schweitzer et Wilfrid Baumgartner. La délégation s’envola peu après pour les États-Unis. Baumgartner fut tenu assez exactement au courant du déroulement des négociations par Jean Saltes, mais aussi par les télégrammes que Monnet lui fit parvenir à intervalles réguliers. Sans entrer dans le détail de pourparlers auxquels Baumgartner ne prit pas une part directe, il faut insister sur le climat difficile et même, pour reprendre le mot de Jean-Maxime Lévêque, « humiliant » pour la France, dans lequel ils se déroulèrent114. Surtout, comme Monnet le télégraphiait le 16 janvier à Paris, la difficulté majeure provenait du « scepticisme que l’instabilité gouvernementale française a créé à la longue chez nos interlocuteurs. Ils doutent de notre faculté d’exécuter sur une assez longue période notre programme financier »115. Devant le conseil général de la Banque, Baumgartner se faisant l’écho des difficultés rencontrées tant par Saltes à Washington que par Calvet au château de la Muette, nota « la méfiance subsistante » des éventuels créditeurs étrangers de la France et concédait que cette « attitude n’[était] pas absolument dénuée de tout fondement. »116 Finalement, un accord fut trouvé le 30 janvier pour un crédit global de 655 millions de dollars. Le FMI accordait un nouvel accord de confirmation pour un montant de 131 millions de dollars correspondant à la deuxième tranche du quota de la France, l’UEP un crédit de 250 millions de dollars, tandis que le gouvernement des États-Unis acceptait de rééchelonner pour 274 millions de dollars la dette contractée par la France à la Libération auprès de l’Eximbank. Comme le rappela Baumgartner au conseil général le même jour, l’obtention de ces concours ne devait pas « donner le signal d’une nouvelle ère de facilité ». Le rétablissement de la libération des échanges ne pouvait plus dès lors être retardé. Et Pierre Calvet, pour sa part, rappela tout le poids de l’engagement contractuel de la France sur la base du programme de redressement qui lui était désormais imposé. « La parole et l’honneur de la France sont engagés », conclut-il. Il était d’ailleurs prévu que le comité de direction de l’UEP se livrerait à la fin juin à un nouvel examen de la situation française avant de débloquer la deuxième moitié de son crédit. L’évolution de la situation à Alger et ses conséquences politiques à Paris rendirent difficile l’application stricte de ce programme, mais son esprit et une partie non négligeable de sa lettre furent à l’origine du redressement effectif cette fois de la fin 1958. Cette continuité entre la note Jacobsson et le plan de redressement de décembre 1958 fut d’ailleurs, à en croire Jacobsson lui-même, relevé quelques années plus tard par le jeune secrétaire d’État Valéry Giscard d’Estaing qu’il rencontra à l’occasion d’une conférence de l’ECOSOC à Genève :
« Je rencontrai à une réception aux Eaux Vives Giscard d’Estaing. Il me dit entre autres choses, qu’il avait eu l’occasion d’étudier les dossiers de stabilisation conservés au ministère et qu’il avait vu ma note de décembre 1957 qui, dit-il, contenait en fait toutes les idées qui furent par la suite connues comme “ les idées de Monsieur Rueff ”. Ce fut une étonnante prouesse, ajouta-t-il, que d’avoir formulé tout cela si tôt. »117
63Outre cette notable continuité dans les conditions du redressement financier de la France d’une République à l’autre, la crise des paiements français de 1957-1958 est révélatrice tout autant des changements qui caractérisèrent la situation internationale de la France à l’orée de la décennie soixante.
64L’émergence de la puissance financière allemande au sein d’une Europe en construction en fut la manifestation la plus spectaculaire. L’aisance financière permanente de la RFA depuis 1952 et les difficultés chroniques des paiements extérieurs de la France dans la même période furent en partie à l’origine de la formation du couple franco-allemand en Europe. La part directement prise par l’Allemagne dans le total des crédits accordés à la France entre 1956 et 1958 était de loin la plus importante : en octobre 1956 déjà, le premier accord de confirmation avec le FMI avait comporté une proportion tirée en deutschmark, avec l’accord explicite de Wilhelm Vocke que Baumgartner rencontra pour cela à Bâle118. En janvier 1958, de même, l’Allemagne consentit 80 % du prêt accordé par l’UEP119 et accepta dans une même proportion que le tirage de la France sur le Fonds monétaire se fît en deutschmark, alors même que les dirigeants de la banque centrale allemande doutaient fortement de la capacité véritable de la France à mettre en œuvre son plan d’assainissement financier120. Baumgartner s’était entendu sur ce point à Bâle au début de février avec Karl Blessing, le successeur de Wilhelm Vocke à la tête de la banque centrale allemande, d’ailleurs devenue depuis août 1957 la Deutsche Bundesbank. Il fut alors entendu que la France n’utiliserait pas les devises allemandes obtenues au FMI pour acheter des dollars121. À la fin février encore, la Bundesbank épaula la Banque de France en acceptant d’être réglée par anticipation pour alléger le déficit de nouveau grandissant de la France au sein de l’UEP122. La consolidation des relations de coopération monétaire entre les banques d’émission des deux pays peut donc être assez exactement datée de la crise des paiements français de la fin de la IVe République dans le contexte de la marche à l’unification européenne. C’est aussi de ce moment que l’on peut dater la reconnaissance du rôle de modèle joué depuis par la banque centrale allemande, sous l’angle notamment de la réalité unanimement célébrée de son indépendance, gage de stabilité monétaire123. Comme le soulignait alors Wilhelm Holtrop, « la création d’un large marché commun européen » impliquait indissolublement la naissance « d’une Europe financièrement forte » : « si l’on veut atteindre, ajoutait-il visionnaire, le but final de l’intégration, […] une monnaie saine et stable constitue une condition aussi importante que la réalisation même de l’intégration économique. »124 Wilfrid Baumgartner, le gouverneur de la banque d’émission française, pouvait-il, à Bâle ou à Washington, ne pas partager les vues de ses collègues allemands, hollandais ou belges ? Par-delà les choix individuels d’un homme, les options d’un milieu, c’était d’une certaine manière, en ces années 1957-1958, la question de la fin de la spécificité économique française qui était en jeu. De ce point de vue, la crise de la balance des paiements de 1957-1958 a marqué l’entrée dans une phase nouvelle de l’histoire de la France. Son appartenance à la Communauté économique européenne a fait peser dès lors sur les choix de sa politique une contrainte externe dont la réalité ne s’est pas démentie jusqu’à nos jours125.
***
65Jamais la gestion de la trésorerie en devises n’est donc apparue entre l’automne 1956 et le printemps 1958 si fortement reliée aux données de la politique extérieure de la France : déclenchée à la fin de 1955, puis entretenue par les tensions diplomatiques et militaires en Afrique du Nord, la crise des paiements français s’est inscrite aussi dans le contexte très contraignant du processus d’intégration européenne. La naissance de la solidarité monétaire franco-allemande, les exigences de la libération commerciale avec pour corollaire la nécessité d’une monnaie stable en ont découlé, faisant apparaître l’impossibilité d’une spécificité économique de la France en Europe.
66En effet, rarement dans l’histoire nationale au xxe siècle, la pression de l’étranger sur l’évolution de la politique économique française a été aussi directe et explicite : la sanction des finances extérieures et l’aide sous condition alors sollicitée en Europe et à Washington semblent bien avoir été au point de départ des mesures du redressement financier qui, enjambant la rupture politique majeure de juin 1958, ont pris leur source dans la crise des paiements de 1957 pour aboutir au plan Rueff-Pinay de décembre 1958. Placé par ses fonctions et par ses contacts personnels au cœur des formidables enjeux alors dessinés, fort aussi des années déjà passées à la tête de sa grande maison, Wilfrid Baumgartner paraît avoir pesé dans cette conjoncture mouvementée et instable, à l’extérieur comme à l’intérieur, d’un poids, au total, non négligeable. Le changement de régime politique en mai 1958 marqua dans sa carrière une forte rupture : l’expérience Félix Gaillard, déjà, en avait été un signe avant-coureur. Avec les débuts de la Ve République, l’exercice des pouvoirs du gouverneur de la Banque de France ne pouvait demeurer ce qu’il avait été jusque-là. Là aussi, une révision semblait devoir s’imposer.
Notes de bas de page
1 De Lattre (André), Les Finances extérieures de la France, op. cit., p. 343.
2 Arnaud-Ameller (Paule), La France à l’épreuve de la concurrence internationale, 1951-1966, Paris, Armand Colin et FNSP, 1970, p. 56 sqq.
3 Lettre de W. Baumgartner à P. Mendès France du 18 janvier 1956, AWB, 2BA23, Dr4.
4 Ibid.
5 Sténotypie de la séance du Conseil national du crédit du 25 octobre 1956, ABF, p. 32.
6 Lettre de W. Baumgartner à F. Baudhuin du 1er avril 1957, AWB, 2BA32, Dr2.
7 Lettre de W. Baumgartner à F. Baudhuin du 25 avril 1957, AWB, 2BA32, Dr2.
8 Lettre de Per Jacobsson à Wilfrid Baumgartner du 17 octobre 1956, AWB, 2BA25, Dr7, traduite par nous de l’anglais.
9 Ibid.
10 Jacobsson (Erin E.), A Life for Sound Money, Per Jacobsson, his Biography, Oxford, Clarendon Press, 1979, p. 283.
11 Lettre de W. Baumgartner à H. Cochran du 2 mars 1956, AWB, 2BA24, Dr3.
12 Lettre de G. M. Humphrey à W. Baumgartner du 6 avril 1956, AWB, 2BA24, Dr3, traduit par nous de l’anglais.
13 Lettre de W. Baumgartner à R. Burgess du 22 juin 1956, AWB, 2BA24, Dr3.
14 Lettre de P. Mendès France à W. Baumgartner du 27 août 1956, AWB, 2BA25, Dr4.
15 Éléments de télégramme, compte rendu par W. Baumgartner de la réunion du 24 septembre 1956, remis à l’ambassadeur Alphand le 25 septembre 1956, 3 feuillets manuscrits, AWB, 2BA25, Dr4.
16 Ibid., p. 1.
17 Ibid., p. 2.
18 Ibid., p. 3.
19 Ibid.
20 Faure (Edgar), Mémoires, op. cit., t. I, Avoir toujours raison…, p. 513.
21 Cf. le témoignage de Valensi (Christian), Un témoin…, op. cit., p. 380.
22 Allocution de W. Baumgartner lors de l’assemblée générale de clôture du FMI le 26 septembre 1956, AWB, 2BA25, Dr5.
23 Ibid., p. 5.
24 Procès-verbal de la séance du conseil général du 18 octobre 1956, AWB, 2BA25, Dr7.
25 « Propositions en vue d’une éventuelle aide américaine », copie à W. Baumgartner d’une note de J. Sadrin au ministre du 27 décembre 1956, 9 p. dactyl., AWB, 2BA31, Dr1.
26 Note de la direction des Finances extérieures à W. Baumgartner du 8 janvier 1957, AWB, 2BA31, Dr1.
27 Pitman (Paul M.), « The French Crisis and the Dissolution of the European Payments Union, 1956-1958 », in Griffiths (Richard T.) (éd.), Explorations in OEEC History, Paris, OCDE, 1996 ; Kaplan (Jacob) et Schleiminger (Günther), The European Payments Union, op. cit., chap. 15 « French Crisis of 1957-58 », p. 266-286.
28 Télégramme d’Hervé Alphand à Wilfrid Baumgartner du 9 février 1957, AWB, 2BA31, Dr6.
29 Ibid.
30 Ibid.
31 « Comments by M. Calvet on the Occasion of the Examination of the Situation of France at the 82nd Session of the Managing Board of the European Payments Union, 13th, 14th and 15th March, 1957 », Note de L’OECE, TDF/PC/454, 26 mars 1957, Historical Archives of the European Communities (HAEC), Florence, Fonds OECE, cote 365.
32 Ibid., p. 9 : « a step to retrict credit ».
33 « Situation de la France », Rapport du comité de direction de l’UEP du 5 avril 1957, 6 p. dactyl., AWB 2BA32, Dr7.
34 Ibid., p. 6.
35 « EPU-France », Memo to the Governor (4 Apr. 1957), Archives de la Banque d’Angleterre, OV 46/22 cité par Kaplan (Jacob) et Schleiminger (Günther), The European Payments Union…, op. cit., p. 274.
36 « Situation de la France », Rapport du comité de direction de l’UEP du 5 avril 1957, doc. cité, p. 5.
37 Kaplan (Jacob) et Schleiminger (Günther), The European Payments Union…, op. cit., p. 272.
38 Mémorandum adressé à Paul Ramadier le 15 janvier 1956, 6 p. dactyl., AWB, 2BA31, Dr2, p. 1.
39 Ibid., p. 3.
40 Ibid., p. 5.
41 Ibid., p. 6.
42 Note pour le gouverneur de Jean Saltes du 24 février 1957, 4 p. dactyl., AWB, 2BA31, Dr7, p. 2.
43 Ibid., p. 3.
44 Ibid., p. 4.
45 Margairaz (Michel), L’État, les finances et l’économie…, op. cit., p. 237.
46 Franck (Louis), 697 ministres, Souvenirs d’un directeur général des prix 1947-1962, Paris, CHEFF, s.d., [1989], p. 132.
47 Sténotypie de la séance du CNC du 29 mars 1957, ABF, p. 39-40.
48 Procès-verbal de la séance du conseil général de la Banque du 7 mars 1957, AWB, 2BA32, Dr2, p. 2, souligné par nous.
49 Lettre de W. Baumgartner à P. Ramadier du 7 mars 1957, AWB, 2BA32, Dr5.
50 Arnaud-Ameller (Paule), La France à l’épreuve de la concurrence internationale, 1951-1966, op. cit., annexe I, p. 106-108.
51 Sténotypie de la séance du CNC du 11 avril 1957, ABF, p. 2.
52 Ibid., p. 43.
53 Ibid., p. 54.
54 « Note rapide pour le Gouverneur sur les conséquences d’un éventuel renchérissement des taux d’intérêt en France en ce qui concerne les opérations de change », note de Julien Koszul directeur général des Services étrangers, le 21 mars 1957, AWB, 2BA32, Dr2.
55 « Modalités pratiques d’un ratissage des avoirs en dollars des banques françaises aux Etats- Unis », note de la Direction générale des Services étrangers du 22 mars 1957, 6 p. dactyl., AWB, 2BA32, Dr2, p. 6.
56 L’Année politique 1957, Paris, PUF, 1958, p. 143.
57 « Statement made by Mr Calvet to the Managing Board on 4th June, 1957 in Basle », Note de l’OECE, TFD/PC/507, 24 juin 1957, HAEC, Fonds OECE, cote 365, 3 p. dactyl. en anglais : « In fact public opinion appeared more alive to the necessity for vigorous action ».
58 Ibid. : « This is a provisional measure only and the Bank of France would no provide further aid unless fresh steps to restore the situation were brought into operation ».
59 « Statement made by Mr Calvet at the 86th Session of the Managing Board on 19th June, 1957 in Basle », Note de l’OECE, TFD/PC/508, 2 juillet 1957, HAEC, Fonds OECE, cote 365, 3 p. dactyl. en anglais : « to give the authorities the necessary time to study the problems involved and to prepare the basic measures of recovery ».
60 Sténotypie de la séance officieuse du conseil général du 24 juin 1957, AWB, 2BA34, Dr6, p. 6.
61 Lettre du gouverneur de la Banque de France au ministre des Finances du 26 juin 1957, 3 p. dactyl., AWB, 2BA34, dr7, p. 2.
62 Sténotypie de la séance officieuse du conseil général du 24 juin 1957, doc. cité, p. 14-15.
63 Lettre du Gouverneur de la Banque de France au ministre des Finances du 26 juin 1957, doc. cité, p. 3.
64 Jacobsson (Erin E.), A Life for Sound Money…, op. cit., p. 293.
65 Lettre de P. Jacobsson à W. Baumgartner du 23 juillet 1957, AWB, 2BA36, Dr4.
66 Koch (Henri), Histoire de la Banque de France…, op. cit., p. 309.
67 Ibid., p. 311.
68 De Lattre (André), Les Finances extérieures de la France…, op. cit., p. 115.
69 « An uniform exchange rate should be established at the earliest opportunity », note en anglais datée du 24 septembre 1957, sans indication de provenance, remise à Baumgartner lors de la 12e session du FMI à Washington, 2 pages dactyl., AWB, 2BA36, Dr4.
70 Allocution de W. Baumgartner à la séance plénière du FMI le 24 septembre 1957, AWB, 2BA36, Dr4, p. 2.
71 Ibid., p. 1.
72 Memorandum of conversation, november 12, 1957, 7 p. dactyl., AWB, 2BA38, Dr3.
73 Ibid., p. 2.
74 Jean-Charles Asselain, sans fournir de chiffres, mais en se fondant sur les estimations de Robert Delorme et Christine André, estime que les charges proprement militaires de la France en Algérie ont culminé en 1957, puis plafonné avant de décroître à partir de 1959. En revanche, les dépenses à caractère civil effectuées en Algérie ont continué à augmenter jusqu’en 1959, sous l’influence notamment des mesures de développement du plan de Constantine. Asselain (Jean-Charles), « Boulet colonial et redressement économique (1958-1962) », art. cité, p. 295-298.
75 Mélandri (Pierre), « La France et le jeu double des États-Unis », in Rioux (Jean-Pierre) (dir.), La Guerre d’Algérie et les Français, op. cit., p. 433-440.
76 Lettre de P. Leroy-Beaulieu à W. Baumgartner du 18 février 1957, AWB, 2BA31, Dr6.
77 L’Année politique 1957, op. cit., p. 260.
78 Memorandum of conversation, november 12, 1957, doc. cité, p. 4 : « In Governor Baumgartner’s view, this is the correct policy and it is the interrest of the entire Western Alliance, for he believes the aera would inevitably go communist if the French were driven out. »
79 Ibid., p. 4, corrections de la main de Baumgartner.
80 Ibid : « It is only fair that the French should have the benefit of the considerable efforts they have made in finding the petroleum deposits in the Sahara. »
81 Information desired from the French on their Current Economic and Financial Position and their Stabilization Program, november 14, 1957, note en anglais de l’ambassade américaine à Paris, 3 p. dactyl., en anglais, AWB, 2BA38, Dr3.
82 Ibid., p. 2 : « It would be extremely helpful to have some comments by the French authorithies to demonstrate how the Government’s Stabilization program is designed to achieve both internal ans external economic equilibrium, and over what period of time. »
83 « Présentation éventuelle par la France d’une demande d’assistance à l’UEP », note de P. Calvet à W. Baumgartner du 15 novembre 1957, 3 p. dactyl., AWB, 2BA38, Dr3.
84 Ibid., p. 2.
85 Ibid.
86 Ibid., p. 3.
87 Ibid.
88 Note sans titre, du 20 novembre 1957, identifiée par une annotation manuscrite de Baumgartner comme émanant de D. Mc Grew, 4 p. dactyl., en anglais, AWB, 2BA38, Dr3, p. 1 : « The solution of France’s economic crisis requires that this internal inflationary pressure be cut off at its source. »
89 Ibid., p. 1-2 : « It is a common French practice to describe reductions from initial-request levels as cuts. Thus, in his policy statement before the National Assembly on November 5, 1957, M. Gaillard said : Last july the Government cut expenditures to an extent unprecedented in our budgetary history. But in fact total actual expenditures in 1957 will again exceed total actual expenditures in the preceding year […]. The French Government will continue to be unabale to do so unless it recognizes that no category of expenditures – not even, it should be emphasized, the investment categories of expenditures – can be regarded as exempt from the closest scrutiny and the severest restraint. »
90 Ibid., p. 4 : « Bears a cankerous responsability for a very considerable part of the inflationary process in recent years. »
91 Ibid. : « It would be wise to look again at the appropriateness of the rate of 420 francs to the U. S. dollar. »
92 Texte du télégramme de W. Baumgartner à P. Jacobsson du 20 novembre 1957, avec la mention « envoyé en code secret », AWB, 2BA38, Dr3, en anglais : « The minister and myself would be very glad if you could come to Paris privately with a view to discussing unofficialy our problems ».
93 Télégramme de Jacobsson à Baumgartner du 21 novembre 1957, AWB, 2BA38, Dr3.
94 Jacobsson (Erin E.), A Life for Sound Money…, op. cit., p. 3 et passim pour toutes les indications sur sa biographie.
95 Horsefield (J. Keith), The International Monetary Fund, 1945-1965, Twenty Years of International Monetary Cooperation, Washington, D. C., IMF, 1969, p. 427.
96 De Lattre (André), Les Finances extérieures de la France…, op. cit., p. 164.
97 Koch (Henri), Histoire de la Banque de France…, op. cit., p. 302.
98 Journal de Per Jacobsson du 27 mars 1957, traduit de l’anglais par nous, cité par Jacobsson (Erin E.), A Life for Sound Money…, op. cit., p. 292.
99 Questionnaire Jacobsson, 2.12.57, 2 p. dactyl., AWB, 2BA38, Dr3.
100 Lettre de P. Jacobsson à W. Baumgartner du 31 décembre 1957, AWB, 2BA38, Dr5.
101 Copie remise à Baumgartner de la lettre de Jean Monnet à Félix Gaillard du 30 novembre 1957, AWB, 2BA38, Dr3.
102 Monnet (Jean), Mémoires, Paris, Fayard, 1976, p. 500-501.
103 Saint-Geours (Jean), Pouvoir et Finance, op. cit., p. 109.
104 Note on the measures to restore balance to the French economy, datable du 21 décembre d’après une correspondance ultérieure de Jacobsson à Baumgartner, 26 p. dactyl. ; une traduction en français de cette note figure également dans le dossier ; c’est à cette dernière que nous ferons référence, AWB, 2BA38, Dr3.
105 Ibid., p. 3.
106 Ibid., p. 5 (dans l’original : « to get a good Franc »).
107 Ibid., p. 6, souligné par Jacobsson.
108 Ibid.
109 Ibid., p. 11.
110 Présentation de la demande française à l’Union européenne des paiements, compte-rendu de la session des 10 au 13 décembre et 19 au 21 décembre 1957, note de Pierre Calvet à W. Baumgartner, mention secret, 13 p. dactyl., AWB, 2BA38, Dr5, p. 10.
111 Ibid., p. 7-8.
112 Lettre de G. Ferras à W. Baumgartner du 30 décembre 1957, AWB, 2BA38, Dr5.
113 Ibid.
114 Lévêque (Jean-Maxime), En première ligne, op. cit., p. 54-55.
115 Télégramme de Jean Monnet au gouverneur de la Banque de France du 16 janvier 1958, 4 pages, AWB, 2BA41, Dr1, p. 1.
116 Procès-verbal de la séance du conseil général du 23 janvier 1958, AWB, 2BA41, Dr1.
117 Journal de Per Jacobsson du 31 janvier 1962, cité par Jacobsson (Erin E.), A Life for Sound Money…, op. cit., p. 296.
118 Lettre de Paul Ramadier à Jean Sadrin du 12 octobre 1956, P.S. de Pierre Calvet, AWB, 2BA25, Dr7.
119 Facilités de crédit accordées à la France par l’UEP, note de P. Calvet du 29 janvier 1958, AWB, 2BA41, Dr1.
120 Archives historiques de la Deutsche Bundesbank (AHDB), B330/1282, note de O. Emminnger du 17 janvier 1958, « Stellungsnahme M. Jacobssons französischen Sanierungs programm », p. 1.
121 Lettre de W. Baumgartner à K. Blessing du 14 février 1958, AWB, 2BA42, Dr2.
122 Lettre de W. Baumgartner à K. Blessing du 3 mars 1958, AWB, 2BA42, Dr2.
123 Holtfrerich (Carl-Ludwig), « Relations between Monetary Authorities and Governmental Institutions : The Case of Germany from the 19th Century to the Present », in Toniolo (Gianni) (éd.), Central Bank’s Independence in Historical Perspective, Berlin New York, Walter de Gruyter, 1988, p. 105-159.
124 « Les aspects monétaires de l’intégration économique », conférence de W. Holtro, président de la Nederlandsche Bank à la chambre de commerce néerlandaise pour la Belgique et le Luxembourg à Bruxelles, le 30 novembre 1956, publiée dans La Revue commerciale-Handelsoverzicht de la chambre de commerce néerlandaise pour la Belgique et le Luxembourg, janvier 1959, p. 7-8, AWB, 2BA32, Dr1.
125 Cf. par exemple Bussière (Éric), « La Banque de France et les débats monétaires à l’époque de la première union économique et monétaire : la difficile émergence d’une identité monétaire européenne (1968-1973) », in Politiques et pratiques des banques d’émission en Europe (xviie-xxe siècle), Paris, Albin Michel, 2003 ; cf. aussi Bottex (Agnès), Naissance d’une identité monétaire en Europe, 1957- 1972 : de la CEE à l’UEM, l’intégration monétaire à la lumière des flux internationaux de capitaux, thèse de doctorat sous la direction d’Alain Plessis, université de Paris X, 2003, 2 vol., 625 p. dactyl.
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