Chapitre X. La Banque de France, La croissance économique et l’inflation (1954-1958)
p. 467-508
Texte intégral
1Entre 1954 et la chute de la IVe République, l’histoire de l’économie française apparaît globalement caractérisée par le remarquable contraste entre l’état de crise financière latente quasi-permanent et la croissance régulière et rapide de l’économie réelle.
2À l’intersection des deux niveaux d’analyse, la banque centrale offre un champ d’observation particulièrement riche : sous le long ministère d’Edgar Faure rue de Rivoli de septembre 1953 à la fin de 1955, l’ère des avances directes de la Banque à l’État et, conjointement, du financement public de l’économie semblait provisoirement se clore tandis que s’amorçait pour vingt ans la croissance résolue de l’économie française dans le contexte plus général d’un retour à la prospérité mondiale et à l’accélération des échanges internationaux, singulièrement entre les économies réunies dans la CEE. À partir de 1956 toutefois, à l’expansion dans la stabilité s’est progressivement substitué en France un mode de croissance inflationniste, en partie sous le poids des événements d’Algérie, replaçant la Banque face au défi de l’instabilité monétaire.
3Dans cette conjoncture encore bousculée, la politique du crédit a eu sa part, par le biais notamment de la progression accrue des crédits à moyen terme mobilisables, mais sous l’angle particulier aussi des crédits à la consommation qui, à pas comptés, introduisaient à une société nouvelle, tandis que la renaissance du marché financier modifiait peu à peu les conditions du financement de l’économie et, partant, le rôle de la banque centrale ; la question d’une rénovation de ses missions était posée une fois de plus dans le climat politique différent de la période ouverte par l’expérience Mendès France et poursuivie par la victoire électorale du Front républicain. La question des responsabilités de la banque d’émission et plus généralement du système financier qu’elle était censée contrôler, commença également, à mesure que s’accentuait l’inflation, à être posée. La réapparition de la contrainte des finances extérieures à partir de 1957 coïncida avec la rupture politique majeure de mai 1958 qui aboutit à modifier radicalement la place jusqu’alors occupée par les autorités monétaires dans l’évolution économique de la France.
LE FINANCEMENT DE LA CROISSANCE DES TRENTE GLORIEUSES
4Après le ralentissement de l’activité économique et l’apparition des tendances déflationnistes qui avaient caractérisé les années 1952-1953, la croissance, à partir de 1954 et jusqu’à la fin de 1955 connut une nouvelle période d’accélération, à un rythme de 5 à 6 % par an, et dans la stabilité des prix. C’était le début véritable des Trente Glorieuses. La politique du crédit connut dans le même temps une évolution parallèle : aux mesures restrictives prises à l’automne 1951 et qui restèrent en vigueur en dépit des critiques pendant près de deux ans, succéda à partir de septembre 1953 et jusqu’au printemps 1957 une nouvelle détente dont l’évolution à la baisse du taux de l’escompte témoigne1. Peut-on pour autant conclure à une relation de cause à effet ? Il est en tout cas intéressant de s’interroger sur les rapports possibles entre la politique, au sens large, des autorités monétaires entre 1954 et 1958 et la forte progression des investissements productifs qui fut une des manifestations les plus marquantes de la croissance de ces années-là.
5Dans leur analyse causale désormais classique de la croissance française de l’après-guerre, J.-J. Carré, P. Dubois et E. Malinvaud n’abordent le problème qu’à travers l’étude des effets de l’évolution de l’offre générale d’épargne sur le financement de l’activité économique2. La politique monétaire, nulle part nommée, n’est prise en compte que comme l’un des éléments susceptibles d’agir sur l’offre de financement. Or, leur conclusion est que « l’ensemble des modifications qui ont affecté les conditions du financement des investissements productifs après la deuxième guerre mondiale […] ne constitue pas un facteur explicatif de l’essor des investissements après la guerre »3. Ils admettent, en revanche, pour la période suivante, que la politique d’encadrement du crédit décidée en 1963 explique le ralentissement de la formation brute de capital fixe entre 1963 et 19674. Doit-on en conclure que l’action des autorités monétaires n’a d’efficacité que restrictive ? C’est un des problèmes principaux posés par la politique de la Banque de France en 1954-1958.
6À sa façon, Sylviane Guillaumont-Jeanneney considère aussi que le rôle « indéniable » de la politique monétaire dans la croissance consista d’abord dans son abstention : « Tant que la situation des finances extérieures le permettait, les autorités monétaires ont usé des instruments à leur disposition avec une grande modération afin de ne pas compromettre la croissance de l’économie »5. Wilfrid Baumgartner pour sa part semblait bien près de partager déjà cette opinion. « Il ne faut pas sur ce point se faire trop d’illusions, reconnaissait-il devant le Conseil Économique et Social, les mouvements profonds de l’économie ne dépendent pas du crédit »6. Tout au plus était-il prêt à concéder à la politique du crédit « une certaine influence, […] un peu plus aisément d’ailleurs dans le sens de la restriction que dans le sens de l’expansion ». Il concluait en effet qu’il était « plus facile de limiter le recours au crédit privé qu’ensuite de faire boire, comme l’on dit en Angleterre, l’âne qui n’a pas soif »7. Dans cette reconnaissance de la primauté des forces profondes du marché s’exprimait peut-être le mieux le libéralisme foncier de Wilfrid Baumgartner, la limite naturelle aussi qu’il assignait à l’action monétaire de la banque d’émission :
« Il est bien évident qu’elle est sans pouvoir pour injecter, proprio motu, dans l’économie des masses considérables de moyens de paiement, et selon les mots des étudiants un peu novices, pour jeter sur le marché des quantités supplémentaires de monnaie. Dans sa fonction d’émetteur de billets, la Banque de France est en effet agie du dehors par la pression de tous les usagers de monnaie. »8
7C’était marquer clairement les limites de l’action possible de la politique du crédit sur le courant des affaires. Entre septembre 1953 et décembre 1954 pourtant, la Banque de France abaissa graduellement le taux de l’escompte d’un point, le ramenant de 4 à 3 %. Mais la part qui revient dans cette évolution à la volonté d’Edgar Faure, qui occupa le portefeuille des Finances continûment entre juillet 1953 et la fin de 1955, n’est pas douteuse.
UNE POLITIQUE DE « L’EXPANSION DANS LA STABILITÉ »
8Le père de « l’expansion dans la stabilité », cette formule que Baumgartner avec une pointe d’ironie jugeait toute pleine d’un relativisme « einsteinien »9, a raconté comment il obtint du gouverneur, autour d’une table discrète de Chez Laurent et d’une poule au gros sel, la promesse d’un abaissement du taux de l’escompte10. Edgar Faure a attribué cette soudaine complaisance du banquier central à l’effet de l’improbable remords qui aurait tenaillé par la suite l’auteur de la lettre de remontrances du 29 février et qui, à en croire sa victime d’alors, l’aurait rendu désireux de faire pardonner « son attitude ambiguë » de l’époque11. La psychologie, en effet, a généralement sa part parmi les causes des évolutions du prix de l’argent, mais l’histoire des rapports compliqués entre Wilfrid Baumgartner et Edgar Faure, le « pape » et le « grand vicaire », ne doit pas masquer la réalité de causes plus objectives.
9L’allégement des conditions de crédit était en effet au cœur des mesures de reprise économique du programme que le ministre des Finances du gouvernement Laniel avait établi au cours de l’été 195312. Parmi les raisons qui poussèrent les autorités monétaires à détendre quelque peu les taux d’intérêt, l’amélioration croissante de la balance des paiements avait été déterminante. Le gouverneur admit devant le Conseil national du crédit au lendemain du premier abaissement des taux encore modeste de septembre 1953, que les mesures de détente « balançaient, en fait, entre les arguments pour et les arguments contre », mais que sa décision avait été emportée par « le fait, expliquait-il, que la Banque d’Angleterre a pris ce matin même des décisions exactement analogues »13. Mais la situation encore globalement défavorable à cette date des finances extérieures ne permettait pas encore d’aller beaucoup plus avant dans la voie du desserrement du crédit. Au début de 1954, en revanche, le gouverneur put exposer que les bons résultats désormais enregistrés dans l’UEP rendaient « opportun » un nouvel aménagement du loyer de l’argent14. À L’amélioration de la balance des paiements s’ajoutaient de plus dans l’esprit de Baumgartner bien d’autres « signes favorables », comme le développement de la production industrielle et surtout agricole : « L’amélioration de la production agricole est, dans un pays comme le nôtre, un fait capital […] : par l’abondance des produits qu’elle détermine, elle a une influence monétaire nécessairement très considérable »15.
10C’était donc d’abord le retournement d’ensemble de la conjoncture économique et financière qui se trouvait à l’origine de l’assouplissement de la politique monétaire en 1954-1955, et non le contraire. La conception que le gouverneur de la Banque de France avait en effet à cette date de la politique des autorités monétaires apparaît dénuée de tout volontarisme économique. Il résumait en un raccourci frappant cette position essentiellement passive, dans les courtes notes télégraphiques qui servaient habituellement de cadre à l’improvisation brillante qui faisait ensuite le fond de ses interventions orales :
« Le rôle des banques centrales – Ne pas l’exagérer : position inévitablement plutôt conservatrice et défensive – Plus facile de commettre des erreurs que d’accomplir des progrès – Subir, agir – la monnaie est une résultante. »16
11Cette forte conviction permet de comprendre l’influence limitée que le gouverneur accordait en définitive au maniement de l’escompte : « Je n’attache pas aux taux d’intérêt une importance excessive »17, admettait-il en novembre 1954 devant le Conseil économique et social que présidait, pour l’occasion, l’économiste Jacques Dumontier, polytechnicien, intimement lié aux milieux du Plan puis de l’INSEE. La politique du crédit, en fait, passait d’autant plus au second plan dans la période 1954-1955 que la rapide croissance de l’économie soulignait, aux yeux du gouverneur, le retour à la primauté des forces profondes du marché. L’objectif de la politique monétaire consistait dès lors modestement à ne pas porter à faux sur les tendances réelles de l’économie.
BAUMGARTNER : UN ANTI-MODÈLE POUR LES « MODERNISATEURS » ?
12La croyance si souvent affichée de Wilfrid Baumgartner dans la primauté des mécanismes du marché explique en partie les rapports complexes qu’il entretenait avec la nouvelle génération de techniciens de l’économie et des finances regroupés, sous l’impulsion notamment de Pierre Mendès France, autour de Claude Gruson dans l’expérience globale de la Comptabilité nationale et du Service des études économiques et financières (SEEF) du ministère des Finances. Les débuts de la grande croissance économique de l’après-guerre, l’arrivée aussi de Pierre Mendès France aux affaires ont contribué à faire de la période 1954-1955, à bien des égards, le point de naissance d’une France enfin moderne, tournée vers l’expansion rationnelle de son économie, solidement appuyée sur les vues à la fois globales et précises d’une information statistique véritablement scientifique. Cette histoire est maintenant bien connue. Quelle place occupa alors, entre « l’Ordre et le Mouvement », le gouverneur de la Banque de France ? Il faut tenter de comprendre à cette occasion les termes de l’accusation que nombre des hauts fonctionnaires « modernisateurs » de cette période lui ont dressée depuis : Baumgartner, mais aussi bien Rueff ou Couve de Murville, écrit ainsi François Fourquet sur la base des entretiens qu’il a pu mener avec la plupart des hauts fonctionnaires de l’époque « représentent […] le libéralisme d’État incapable de mettre fin à la crise de 29, la non-intervention et la non-prévision »18 et il ajoute qu’il faut bien comprendre « le rôle d’anti-modèle que ces hommes ont pu jouer »19. Jean Saint-Geours qui a succédé à Claude Gruson à la tête du SEEF en 1962 insiste par exemple sur la « doctrine orthodoxe » du gouverneur de la Banque de France et rappelle qu’il fut directeur du Trésor au moment de la politique déflationniste décidée avant guerre par Pierre Laval :
« Ni l’aggravation de la crise par la déflation en 1935, ni le succès du financement de l’économie hitlérienne par les méthodes du docteur Schacht, ni les démonstrations de Keynes ne lui ont servi de leçon »20.
13Plus qu’une différence de génération, c’est d’abord une différence d’expériences vécues qui se manifeste ici : Jean Saint-Geours, né l’année où Baumgartner était reçu à l’inspection, avait dix ans au moment de la déflation Laval. C’est l’explication déjà d’une évidente différence de style. Sur le classicisme au moins formel du gouverneur de la Banque de France les témoignages ainsi abondent : à Jean Denizet occupé à théoriser en 1953-1954 les flux financiers entre le Trésor et l’économie nationale, il aurait ainsi reproché l’expression « intermédiaires financiers », jugée trop peu euphonique21 ; à Jean Serisé, recruté dans la petite équipe du SEEF, il aurait demandé, acide, pourquoi il fallait préférer au mot « investissement » la barbare « formation brute de capital fixe »22. Querelle de mots qui n’étonne pas vraiment de la part de cet inspecteur des Finances formé à l’École libre des sciences politiques et à la faculté de droit entre 1919 et 1923, de surcroît amateur de belles-lettres. Mais l’étonnant en l’espèce n’est-il pas plutôt qu’il ait prêté malgré tout attention à ces outils théoriques nouveaux ? Le soutien matériel que le gouverneur de la Banque accorda au SEEF sans défaillance de 1954 à 1959 invite à nuancer encore la vision sans doute trop schématique que François Fourquet a retirée de la consultation d’une source presque exclusivement orale et donc inévitablement tributaire du paysage intellectuel et politique propre à la période, la fin des années 1970, où ces témoignages, recueillis en outre sur la base d’un échantillon a priori trop homogène, ont été produits. Le souvenir que Claude Gruson, vingt-cinq ans après, a conservé du financement de son service naissant par la Banque est à cet égard assez éclairant :
« Le personnel du SEEF m’a été fourni par la Banque de France, grâce à Mendès d’ailleurs. Grâce aussi à Baumgartner : décision stratégique d’importance capitale ! Et Dieu sait si ce n’était pas un homme de gauche, ni un progressiste. »23
14Une note du 16 décembre 1954 de J. Serisé au président du Conseil, Pierre Mendès France, également citée par François Fourquet, renvoie pourtant une tonalité un peu différente :
« Gruson voudrait savoir si vous avez pu, au cours de votre entretien avec le Gouverneur de la Banque de France, avoir le temps de lui dire un mot de l’intérêt que vous portez au SEEF. »24
15Même en faisant la part des genres différents dont relève chacun des témoignages cités, une note administrative ici, un recueil de témoignage là, il est manifeste qu’en 1954 l’hypothèse d’un soutien de la Banque au SEEF n’avait pas le caractère pour ainsi dire contre-nature qu’elle semble a posteriori avoir revêtu. C’est que la Banque, notamment par le rôle que joua alors Pierre Besse, son directeur du Crédit, entretint avec l’expérience Mendès France de juin 1954 à février 1955 des rapports que l’évolution ultérieure du mendésisme n’a plus laissé supposer.
LA BANQUE ET « L’EXPÉRIENCE MENDÉSISTE » DE 1954
16Investi le 18 juin 1954, Pierre Mendès France, on le sait, fut d’emblée accaparé par le règlement de la crise indochinoise. Mais il avait pourtant chargé un groupe de travail, placé sous la conduite d’Edgar Faure, son ministre des Finances, d’élaborer dans un délai d’un mois « un programme cohérent de redressement et d’expansion économique »25. Or la Banque de France fut associée dès le début aux travaux de cette commission : le président du Conseil y fit une claire allusion au tout début de juillet dans une lettre à Wilfrid Baumgartner :
« Mon cher Gouverneur,
Je vous remercie des vœux que vous m’avez adressés. Ils me seront très précieux venant de vous et puisqu’il se prépare un travail que nous auront à faire ensemble, à bientôt j’espère, et croyez à mes sentiments les plus dévoués »26.
17C’est Pierre Besse qui représenta la banque d’émission au sein du groupe de travail réuni entre le 23 juin et le 20 juillet 1954. Entré comme rédacteur au ministère des Finances dans la période du Front populaire, au moment du second cabinet Blum dont Mendès France déjà était le sous-secrétaire d’État aux Finances, il fut admis à l’inspection des Finances en 1942. Nommé en 1946 secrétaire général du Conseil national du crédit, il représentait assez bien à la Banque une tendance « modernisatrice », dont témoignent les projets de rénovation des missions de la banque centrale qu’il soumit au gouverneur entre 1953 et 1954.
18La banque centrale, analysait ainsi le directeur du Crédit en 1954, devait assumer davantage ses responsabilités « d’acteur essentiel de la vie économique »27 : autrefois « critiquée ou brocardée », l’action qu’elle menait désormais depuis la Libération était admise « à peu près sans discussion par tout le monde »28. Le projet de Besse consistait d’abord à doter enfin la banque d’émission « d’un Service d’Études et de Recherches Économiques digne de ce nom »29, appuyé sur « l’organisation solide » de son réseau de succursales étendu « à l’ensemble du pays »30. Seule une information économique très poussée permettait de déterminer une conduite appropriée de la politique monétaire, à une époque où « les besoins de monnaie, le niveau des prix, les variations des taux de change, sont commandés par les courants de la production et par les perspectives qu’elle peut offrir à plus ou moins longue échéance »31. Il y avait là l’expression d’une préoccupation qui resurgit sur des bases assez proches dans la seconde moitié des années 1960, notamment sous l’impulsion de Pierre Berger, et qui devait déboucher sur la création en 1969 du service d’études économétriques de la Banque de France. La modernisation de la banque centrale, de l’avis de Pierre Besse, impliquait donc aussi une réforme des instruments de politique monétaire : il proposait ainsi de substituer au mécanisme traditionnel du réescompte, « l’organisation systématique d’un marché de titres de la Dette publique arbitré par la Banque Centrale […], pratique courante dans les pays Anglo-Saxons, où elle a fourni un système monétaire particulièrement souple » et adapté à l’évolution globale de la situation économique et monétaire de chaque pays32. L’existence de ces vues sur la nécessaire modernisation de la Banque de France donnait un écho au débat qui avait eu lieu quatre ans auparavant entre François Bloch-Lainé et le gouverneur à l’occasion du rapport sur les comptes de la Banque, débat jamais tout à fait clos depuis. Mais les analyses de Pierre Besse renouaient aussi avec celles qui avaient été développées entre 1926 et 1930, on l’a vu, dans l’entourage du gouverneur Moreau par Pierre Quesnay et Charles Rist33. Mais il est significatif que ce fût à partir du milieu des années 1950 seulement que la Banque ait renoué « de l’intérieur » avec la recherche d’un projet modernisateur. Les propositions de Pierre Besse, dont Baumgartner prit alors, comme en témoignent ses scrupuleuses annotations en marge, une connaissance précise, prouvent aussi que la pensée de la Banque n’était pas monolithique. Mais elles démontrent également les résistances qu’un projet de rénovation des missions de la Banque centrale pouvait encore susciter, et d’abord aux yeux du gouverneur lui-même. C’est ainsi que globalement d’accord sur la nécessaire modernisation des mécanismes d’intervention de la politique monétaire, il qualifiait sans nuance « d’absurde » l’idée que la nationalisation de l’Institut d’émission pût être pour lui à l’origine de responsabilités accrues34. Il n’était toutefois pas sans signification que ce fût Pierre Besse qui représentât la Banque dans le groupe de travail formé par Mendès France à la fin de juin 1954.
19Contre toute attente, le Programme d’équilibre financier, d’expansion économique et de progrès social qui sortit des travaux du groupe le 29 juillet 1954 trahissait une influence plus libérale que dirigiste. C’est que les travaux du groupe avaient donné lieu à un débat assez vif entre partisans d’une planification revigorée dont Claude Gruson était le chef de file, et tenants d’un certain désengagement de l’État appuyé sur le maintien de la stabilité monétaire que défendait au premier chef Edgar Faure, débat qui avait finalement été tranché par Mendès France en faveur des seconds35. Dès le 22 juillet, Besse avait transmis au gouverneur, sous la forme d’une note, les principaux aspects du programme qui résumaient, lui écrivait-il, « l’esprit général des propositions du groupe » : l’impératif monétaire était au centre des mesures proposées. Pierre Mendès France lui-même eut l’occasion d’enfoncer ce coin au cours du débat avec Reynaud qui suivit à l’Assemblée la présentation du programme. Pierre Besse fit à Baumgartner, alors en villégiature en Corse, un récit circonstancié de « la passe d’arme » qui opposa un Paul Reynaud « très en forme, très en verve » à Pierre Mendès France « dont la réponse, rapportait Besse, a été aussi énergique, aussi forte que nous pouvions le penser »36. Et Besse de citer in extenso à l’intention de Baumgartner la réponse du président du Conseil ce jour-là :
« J’ai souvent proclamé que dans un pays moderne aucun progrès économique et social, aucune défense nationale efficace ne pouvait être obtenue si la monnaie était abandonnée à un vagabondage qui se termine toujours par une catastrophe. »37
20Il restait au directeur du Crédit de conclure son bulletin de victoire de façon éloquente : « La prise de position de M. Mendès France, commenta-t-il, est spécialement intéressante pour ceux qui, comme moi, dans le groupe d’experts, depuis le début des travaux, ont défendu la position qu’il a affirmée comme sienne de manière aussi éclatante »38. La part prise par la Banque de France dans les projets économiques du gouvernement Mendès France à l’été 1954 est donc indéniable. Pour autant il est juste aussi de souligner que le souci de rigueur financière était partagé par Pierre Mendès France depuis au moins aussi longtemps que par le gouverneur de la Banque de France. Déjà relevée à propos de la question de l’intégration européenne, la convergence d’opinion entre les deux hommes au moins sur le problème monétaire, au sens large, était à cette période encore assez étroite : en témoignent sans conteste les positions adoptées par le député de l’Eure, en février 1952, sur la crise des finances extérieures39, en mai 1953 à propos de la politique du logement40, ou encore en juillet 1953 dans le débat sur le retour à la convertibilité des monnaies41. Si tout séparait en apparence les deux hommes, certains traits de leur histoire individuelle pourtant à la fois les rapprochaient et les opposaient. Décrire de façon croisée le destin dans le siècle de l’un et de l’autre, ce n’est pas seulement sacrifier au genre antique des Vies parallèles, c’est tenter aussi d’examiner, une fois de plus, la pertinence historique de la notion de génération, de groupes ou de réseaux.
BAUMGARTNER ET MENDÈS FRANCE : VIES PARALLÈLES
21La réalité de relations entre Wilfrid Baumgartner et Pierre Mendès France pendant plus de vingt ans est attestée par leur correspondance régulière, quelque vingt-cinq lettres conservées dans les papiers, et échelonnées de novembre 1946 à octobre 1967. Le ton de ces échanges épistolaires ne témoigne certes pas de cette proximité presque familière immédiatement perceptible dans les rapports entretenus, par exemple, avec un Paul Reynaud. C’est que l’inspecteur des Finances et le député de l’arrondissement de Louviers n’appartenaient pas totalement au même courant de pensée, même si, on l’a montré, leur famille politique à tous deux était bien le radicalisme. Dès 1930, un article de Pierre Mendès France avait commenté la nomination de Wilfrid Baumgartner, âgé de vingt-huit ans seulement, à la sous-direction du Mouvement des fonds en des termes fort explicites ; rappelant que Baumgartner faisait partie de ces fonctionnaires « qui ont fait rapidement leurs preuves », il ajoutait :
« Parce qu’ils sont jeunes, nous serions tentés d’applaudir à leur nomination et à leur succès brillant. Mais nous ne pouvons nous dissimuler que leur réussite signifie, à brève échéance le succès d’une technique qui nous paraît détestable. »42
22Et le jeune Mendès France, âgé quant à lui de vingt-trois ans à cette date, concluait :
« Nous invitons donc nos amis à veiller. Le grand mouvement administratif qui vient d’avoir lieu n’a pas qu’une valeur administrative. Sous peu, il pourrait avoir une inquiétante signification politique et sociale. »43
23La ligne de partage était donc d’entrée clairement tracée entre d’un côté le bouillant secrétaire général de la Ligue d’action universitaire républicaine et socialiste, le précoce juriste critique de la stabilisation Poincaré, le futur élu radical de Louviers et de l’autre le jeune inspecteur des Finances parisien, étroitement associé en 1928 à l’œuvre du sauveur du franc, participant à l’occasion aux réunions de Redressement français. À un autre niveau même éclatait l’opposition de tempérament. Aux yeux de Baumgartner, du causeur prisé dans les dîners pour son art de la citation littéraire, du quatrain de circonstance et, quelquefois, du calembour facile, pour le technicien de réputation affectant sur ces matières un dilettantisme de bon goût, Pierre Mendès France, par contraste, apparaissait d’une sévérité et d’une sobriété à la limite de l’ennuyeux : Mendès France, « ce doctrinaire du sérieux », pour reprendre l’expression assassine du gouverneur de la Banque44, était donc aux antipodes de Wilfrid Baumgartner. Et pourtant, leurs trajectoires individuelles se croisèrent, à l’occasion par exemple des assemblées annuelles du FMI ou des consultations que tout président du Conseil pressenti se devait d’effectuer auprès du gouverneur, et leurs analyses financières souvent se recoupèrent, sur l’inflation, le déficit des finances publiques ou le retour à la convertibilité monétaire. Plus que l’appartenance à une génération, la communauté d’expériences vécues, déjà notée pour comprendre a contrario l’opposition d’un Saint-Geours, peut expliquer ici, par-delà les différences, la réalité d’une certaine convergence : Mendès France comme Baumgartner sont entrés dans la carrière au moment où la stabilisation Poincaré mettait fin à l’expérience nouvelle et traumatisante de l’inflation des années 1920. Tous les deux ont commencé à prendre des décisions dans le contexte de la grande dépression économique, du déficit chronique des finances publiques et de l’atonie de l’investissement privé. Les humiliations de la défaite et de l’Occupation enfin, à eux comme à beaucoup d’autres, leur ont été imposées, agissant sur l’idée qu’ils se faisaient, chacun à leur manière, d’une certaine grandeur perdue de la France. Cette proximité en 1954- 1955, alors que s’achevait l’ère de la reconstruction massive, s’exprimait plus particulièrement sur la question du financement public des investissements.
CONVERGENCES EN FAVEUR D’UNE POLITIQUE FINANCIÈRE « NÉO-LIBÉRALE » ?
24S’il est délicat de dire ce qui appartient à César dans la conduite de la politique économique menée en 1954-1955 sous Edgar Faure et Pierre Mendès France45, il n’en demeure pas moins qu’elle fut marquée par une volonté de désengagement de l’État que traduisait bien la tendance à la débudgétisation de certaines catégories d’investissements et à la suppression de certaines subventions économiques. Le texte de loi du programme économique d’août 1954 se fit l’écho de ces préoccupations en demandant de disposer de pouvoirs spéciaux pour arriver à « l’équilibre financier », entre autres mesures « par la diminution des charges publiques, […] par l’extinction graduelle de tous les privilèges et subventions de caractère économique, de tous les modes artificiels de soutien d’une activité économique aux dépens de la collectivité »46. Dans La Science Économique et l’Action que Pierre Mendès France et Gabriel Ardant firent paraître, pour la première fois, à la fin de 1954, la nécessité du choix était de nouveau affirmée, singulièrement à propos de la politique des investissements sur fonds publics : « Que le Gouvernement se refuse à un choix, qu’il veuille tout faire à la fois », la conséquence était inévitable : « C’est l’inflation »47. À cette date, les vues du gouverneur de la Banque de France sur les investissements publics n’étaient pas très différentes. Les pratiques de l’immédiat après-guerre, du temps de la pénurie et de l’aide américaine, devaient être révisées. Il s’en ouvrit dans une lettre datée du 13 octobre 1954 au président du Conseil. Mendès France aussitôt lui répondit qu’il avait été particulièrement intéressé par cet aspect de l’analyse du gouverneur :
« Je relève le passage dans lequel vous visez certaines habitudes qui ont été prises à l’époque du plan Marshall et qui n’ont peut-être plus lieu de se prolonger encore. Serait-il possible de me donner ici et là les indications nécessaires ? »48
25Il n’est pas contestable qu’à partir de 1952, Wilfrid Baumgartner commença à remettre en doute la nécessité de certaines catégories d’investissements publics, rejoignant sur bien des points les analyses développées autour du président du Conseil en 1954-1955. Il avouait ainsi sa perplexité sur l’utilité économique de certains d’entre eux quand il parcourait « les listes de cet étonnant pandémonium que constitue ce qu’on appelle le Fonds de Modernisation et d’Équipement »49. S’il continuait à considérer à part les travaux d’EDF qui étaient « quelque chose de sacré », il laissait paraître une indignation non feinte à propos d’investissements « manifestement inutiles et quelquefois stupides » : il citait pêle-mêle les fonds débloqués au bénéfice des collectivités locales depuis 1950 dans le cadre de la loi Minjoz « qui a permis aux Caisses d’Épargne de distribuer pour des salles de fêtes et des bains-douches une partie de l’argent qui était antérieurement réservé à de grands investissements »50 ; les réalisations du Fonds routier : « ces espèces de petits ajoutis, de petits embellissements qu’on voit à tous les coins des routes de France avec des panonceaux remplis d’orgueil »51 ; les investissements outre-mer surtout, « ce qui a été fait sous l’égide du FIDES » : « Je fais de très grandes réserves et je ne suis pas le seul à les faire. Toutes les enquêtes qui ont été faites dans nos régions d’Afrique Noire aboutissent à la conclusion qu’on a gaspillé beaucoup d’argent »52. Expression de l’austérité profonde d’un libéral dans l’âme ou, bien plutôt, indication qu’à cette date les temps exceptionnels de la reconstruction et de la pénurie étaient révolus ? W. Baumgartner le soulignait ainsi, à demi-mot encore, en mars 1955, devant le Conseil national du crédit :
« Il est certain que nous avons des motifs de réconfort, auxquels, je dois dire, après tous les ennuis des dernières années, je suis le premier à avoir une certaine peine à croire. »53
26À cette date, où les prémisses d’un retour à la normale commençaient seulement à être perçues par les responsables de la politique économique, le débat sur les investissements prenait donc une tournure nouvelle : si, dans la conception du gouverneur, les investissements de base continuaient à jouir d’une certaine immunité, la nécessité devenait forte aussi, avec la fin des largesses américaines, de mettre fin au financement tous azimuts de l’économie par l’État ; au marché désormais d’opérer de nouveau, en fonction des critères qui étaient les siens, des choix entre les demandes de financement. C’était dépasser assurément sur ce point la pensée d’un Pierre Mendès France pour qui cette capacité de choix restait naturellement de l’ordre des prérogatives de l’État. Parmi les mécanismes du marché propres à permettre le désengagement financier de l’État figurait au premier chef pour Wilfrid Baumgartner comme pour beaucoup d’autres, la reconstitution du marché financier.
LA BANQUE, L’OR ET LA RENAISSANCE DE LA BOURSE
27L’attention de Wilfrid Baumgartner pour les évolutions des marchés de l’argent, déjà constatée dans l’entre-deux-guerres, se trouva confirmée après 1945 par le souci constant qu’il manifesta alors pour la reconstitution du marché financier. Quelques semaines à peine après son arrivée à la Banque, le gouverneur avait ainsi prononcé devant le Conseil national du crédit une profession de foi sans ambiguïté en faveur de la restauration de la Bourse de Paris :
« Si nous voulons continuer à vivre en régime capitaliste, il nous faut une Bourse active et puissante. C’est la Bourse qui constitue le point de contact entre les entreprises et le capital. Pour attirer le capital, il faut d’abord éviter de le pénaliser. »54
28Peu de temps après cette déclaration, les autorités monétaires avaient obtenu de l’Association française des banques que ses adhérents consentissent à réduire de 25 % leurs commissions sur les opérations boursières55.
29La surveillance que la Banque de France, notamment par l’intermédiaire de son service des Titres, exerçait sur les évolutions du marché financier, constitua un autre aspect de son action en faveur du rétablissement des circuits privés de l’argent. Ce rétablissement était indéniable à compter de la fin de 1952. Faisant suite au marasme depuis 1945 d’un marché financier miné par l’inflation et traumatisé par les nationalisations de la Libération, la soudaine réanimation de la Bourse se traduisit par l’augmentation extrêmement rapide jusqu’en 1958 des émissions de valeurs mobilières. Ainsi, entre 1954 et 1957, ces émissions connurent un véritable boom, le deuxième dans l’histoire de la Bourse de Paris après celui de 1925-1929, enregistrant alors une progression en valeur réelle de plus de 90 %, soit près de 23 % par an56. Les causes de cette soudaine et tardive renaissance du marché financier de Paris sont comme toujours en pareil domaine difficile à déterminer. Il semble toutefois qu’une nette tendance à la déthésaurisation de l’or manifestée à partir de 1953-1954 ait été à l’origine de l’afflux vers la Bourse des capitaux ainsi libérés et en quête d’un nouvel emploi plus rémunérateur. L’évolution des cours du métal jaune sur le marché libre de Paris depuis son instauration au début de 1948, à laquelle l’action de la Banque de France n’a pas été étrangère, conforte assez clairement cette hypothèse57. Amorcée dès 1953, la diminution du prix de l’or est évidente en 1954 et 1955 ; plus prononcée encore qu’à la veille de la guerre de Corée, la chute des cours du milieu de la décennie 1950 est la meilleure indication du retour à la stabilité monétaire. Elle correspond assez exactement, sans qu’on puisse bien entendu faire de cette corrélation une relation de cause à effet, à la nette tendance haussière qu’a connue la Bourse de Paris à cette période. Wilfrid Baumgartner, pour sa part, attribuait tout de bon cette évolution aux succès incontestables de la politique de l’or menée par l’Institut d’émission sur le marché libre sans discontinuer depuis 194958.
30Les tensions provoquées à partir de juin 1950 par la guerre de Corée sur les cours de l’or avaient amené le Fonds monétaire international à s’enquérir en février 1951, par questionnaire, auprès de la France de la réalité des achats et des ventes d’or par les autorités monétaires sur le marché libre de Paris. Par l’intermédiaire de l’administrateur français au Fonds, Jean de Largentaye, Maurice Petsche, étroitement conseillé par Baumgartner, avait opposé une fin de non-recevoir à la demande du FMI : il rappelait l’opposition de principe de la France à la politique de l’or imposée par le Fonds depuis 1945 qui, en empêchant le libre jeu de l’offre et de la demande sur le marché de l’or, contribuait à accroître la prime sur le métal jaune et « par conséquent, à saper la confiance dans les monnaies et à ébranler leur stabilité »59. La Banque de France procédait en effet à des ventes et à des achats d’or sur le marché libre de Paris « avec le seul objectif de stabiliser et si possible d’abaisser le prix de l’or ». Cette action, encore intensifiée avec le début de la crise coréenne, expliqua le ministre des Finances, avait porté de rudes coups à la spéculation sur l’or et avait contribué « de façon non négligeable au cours des deux dernières années à la stabilisation de facto du franc »60. Un mois plus tard, Baumgartner avait jugé bon d’envoyer directement à William Tomlinson, responsable de la division des finances de l’ECA, une note justifiant l’action menée par la Banque de France sur le marché de l’or :
« Il faut comprendre combien la question du cours de l’or est importante en France. Non seulement il a toujours existé dans notre pays, notamment dans les classes paysannes, une certaine thésaurisation de métal jaune, mais les lourdes épreuves subies par le pays du fait des deux guerres mondiales et de leurs conséquences monétaires n’ont pu que renforcer cette tendance. »61
31L’action des autorités monétaires, même marginale, visait donc à combattre cette tendance d’autant plus nuisible « qu’il existe en France une liaison à la fois psychologique et physique entre le cours de l’or et le cours des changes » ; la baisse de l’or avait par conséquent aussi des vertus pour équilibrer la balance des paiements. La base des interventions de la Banque sur le marché de l’or consistait pour l’essentiel à acheter massivement des lingots contre des napoléons, dont le cours affichait une prime d’environ 30 % sur les barres de métal précieux. Non seulement la transaction contribuait en augmentant l’offre à détendre les cours, mais elle procurait aussi à la Banque de non négligeables bénéfices. Dans la chaude ambiance de fin de banquet que tenait en avril 1955 le Comité républicain du commerce, de l’industrie et de l’agriculture sous les ors du pavillon Dauphine et devant plus de deux cents convives, le gouverneur de la Banque de France dressa un bilan pour le moins flatteur de son action depuis 1949. Les résultats sur le front de l’or, plus particulièrement, excitaient sa verve :
« Quand je suis arrivé à la Banque de France, l’or était à un prix insensé. J’ai donné publiquement de solennels avertissements. Ils ont été peu suivis. J’ai alors entrepris ce qu’on appelle pudiquement, dans les comptes rendus de la Banque, une action de contrôle sur le marché de l’or ; […] j’ai vendu une vingtaine de millions de Napoléons, – c’est plus que ce que l’on croit en général, – et j’ai gagné net sur le marché de Paris environ 150 tonnes d’or ! J’espère maintenant que les gens sont suffisamment avertis que l’or, placement improductif, n’est pas conforme à l’intérêt national. À bon entendeur salut ! (Applaudissements) »62.
32Étroitement associé dans sa péroraison à cette victoire sur l’or, Wilfrid Baumgartner détaillait ensuite ses efforts, eux aussi couronnés de succès, en faveur de la renaissance du marché financier :
« Il y a environ quatre, cinq ans, j’ai commencé à acheter des actions, modestement ; je n’ai joué qu’un rôle de catalyseur. Personne ne croyait à ce moment-là à la résurrection de la Bourse de Paris. […] Nous étions alors en retard sur les Bourses de New York et de Londres. nous sommes maintenant en avance ! À bon entendeur salut ! »63
33Éloquent témoignage, sur le vif, où perce de façon inaccoutumée un gouverneur plus subjectif, moins en retrait derrière sa maison, plus offensif aussi, moins embarrassé de couvrir son action de l’autorité de l’État, et que la version rédigée au lendemain de la fête s’efforça de polir quelque peu avant diffusion. Éloquente confirmation aussi de la vitalité encore à cette date des pratiques oratoires, des rites de sociabilité et de notabilité datant du siècle précédent et qui étaient à Wilfrid Baumgartner un cadre familier, à lui qui, s’étant levé au début de son allocution, face à l’assemblée, repoussa le microphone qu’on lui tendait, prétextant d’une voix claire qui savait porter loin qu’il ne fallait y voir que la « preuve supplémentaire de modestie d’un modeste commis ».
34Par-delà la rhétorique de victoire d’une fin de banquet, il reste que la réalité des interventions de la Banque de France sur le marché financier au milieu des années 1950 était incontestable. « La puissance de nos réserves, expliquait le gouverneur, nous permet un certain nombre d’actions dans ce domaine »64. Les modalités d’intervention de la banque centrale à la Bourse de Paris apparurent avec une particulière netteté au moment de la crise boursière de mai 1955.
LA BANQUE DE FRANCE FACE À LA CRISE BOURSIÈRE DE MAI 1955
35Le mouvement de hausse rapide des valeurs mobilières à revenu variable à partir de la fin de 1953 prit à la fin de cette année un tour encore plus accentué à caractère nettement spéculatif. Aussi la tendance s’inversa-t-elle brutalement en mai 1955 ; l’indice des valeurs à revenu variable retomba en deux jours au niveau de la fin de 1954, avant de reprendre dès juin un cours ascendant, mais globalement plus modéré (cf. figure n° 29).
36Dès le 11 mai 1955, une note de la direction générale des Titres de la Banque avertit le gouverneur d’un premier décrochage de la cote des 76 valeurs à revenu variable cotées à terme : l’indice avait chuté en deux jours de plus de 18 %. La Banque intervint une première fois pour soutenir les cours, en achetant ce jour-là 360 titres Rhône-Poulenc pour 12 millions de francs et 160 titres Peugeot pour 13 millions. Mais le 12, « la panique », à en croire le service des titres, gagnait le palais Brongniard ; l’indice recula en une séance de 14 %. « Aux dégagements de spéculateurs préoccupés de la prochaine liquidation vinrent s’ajouter les réalisations d’une clientèle capitaliste inquiète du comportement du marché »65. Une nouvelle fois, la Banque intervint en mettant ses réserves à la disposition du Syndic des agents de change :
37« Le Syndic débordé ne put assurer de nombreuses cotations, fait qui ne s’était pas produit depuis longtemps, même lors du krach de 1929. Tenus au courant de ce climat de panique, nous décidions de mettre à la disposition du Syndic 50 millions. »66
38En définitive, la Banque consacra ce jour-là 66 millions, essentiellement au soutien de Péchiney et de Kuhlmann qui purent grâce à ce renfort être malgré tout cotés en clôture. Mais dans l’après-midi de cette bourse désastreuse, le gouverneur réunit dans son bureau « les éléments marquants du marché financier » : François Bloch-Lainé pour la Caisse des dépôts et consignations, Jean Reyre de la Banque de Paris et des Pays-Bas, François de Flers de la Banque de l’Indochine et Christian Valensi de la banque Lazard. Le principe d’une intervention commune fut adopté et la détermination d’une masse de manœuvre d’un milliard décidée. Le lendemain, 13 mai, juste avant l’ouverture de la Bourse, Baumgartner soumettait son plan au président du Conseil Edgar Faure qui l’approuva. Près de 672 millions furent nécessaires pour enrayer durablement la tendance baissière : ESSO à lui seul bénéficia d’un soutien de 330 millions ; venaient ensuite Citroën, l’Omnium des pétroles, les Chargeurs réunis et l’Alsacienne. Baumgartner, de son côté, intervint auprès de la Banque de l’Union parisienne et de Rothschild pour qu’ils ne fissent pas obstacle à l’action de la Banque et de ses alliés67. À la clôture, la crise était stoppée. Le ministre des Finances, Pierre Pflimlin, fit savoir au pays que la catastrophe avait été évitée et que « la bourrasque » avait atteint des valeurs qui avaient connu une hausse anormale : la crise, au total, avait frappé tous ceux qui avaient fait « des achats spéculatifs ou irréfléchis, fondés sur l’espoir de gains trop rapides et trop faciles »68. Dès la semaine suivante, la Bourse retrouvait sa physionomie d’avant la crise : « Le Syndic est très optimiste, l’argent est abondant. Les ordres d’achat sont nombreux », pouvait noter en manière d’épilogue le gouverneur le 20 mai69. Tous les titres achetés par la Banque et ses alliés en soutien au cours de la semaine précédente avaient été revendus en hausse, dégageant un bénéfice de l’ordre de 60 millions, soit un rapport de 10 % relativement aux fonds engagés, réparti au prorata des apports de chaque partenaire. Baumgartner, pour sa part, annonça son intention de reverser la part des bénéfices revenant à la Banque, 21 millions de francs hors impôt, soit à la Croix-Rouge, soit à l’Institut du cancer, « tout en faisant observer que chacun restait libre d’utiliser à sa convenance les bénéfices provenant des interventions » ; il demandait seulement aux banques intervenantes « de réfléchir à cette question »70. Témoignage lumineux sur une époque où la notion de délit d’initié était encore très floue.
39Le rôle de la banque centrale dans la crise boursière de mai 1955, remarquablement explicité par la documentation disponible, permet de préciser la nature du contrôle exercé par les autorités monétaires sur l’évolution du marché financier à cette période. Décisif à une époque où le mouvement des affaires à la Bourse de Paris demeurait très limité, notamment du fait du contrôle des changes qui interdisait toute internationalisation des opérations, l’engagement de la Banque de France suffit à enrayer la baisse en moins de trois séances. L’alliance avec les principales banques d’affaires de la place montre aussi l’étroitesse des liens existant alors entre la banque d’émission et les banques privées, dont les dirigeants, pour la plupart, étaient des connaissances déjà anciennes de Wilfrid Baumgartner : François de Flers, par exemple, était, on l’a vu, un inspecteur des Finances qui « tourna » avec Wilfrid Baumgartner en 1926 ; Christian Valensi, lui, l’assista, on l’a déjà noté, à Washington en 1946-1947 tout au long de la négociation du crédit de la BIRD. Les milieux boursiers, étroitement encadrés par le Syndic des agents de changes, étaient encore relativement étroits et l’action des « spéculateurs », avides « de gains faciles », était opposée au comportement de la « clientèle de capitalistes » plus stable, moins sujette à des comportements « irréfléchis ». Cette distinction aux implications morales transparentes exprimait encore au milieu de la décennie 1950 une certaine éthique de l’argent, dont la déclaration de Pierre Pflimlin était imprégnée et qui motiva aussi l’affectation par la Banque des bénéfices à des œuvres charitables. Parmi les causes de la crise déclenchée le 10 mai 1955, les journées tumultueuses vécues par le parti radical réuni en congrès extraordinaire à partir du 4 auraient figuré, selon le gouverneur lui-même, en bonne place71 : le coup de force de Mendès France et de ses partisans contre Martinaud-Déplat et ses amis avait de fait été perçu comme le signe d’une radicalisation globale du parti au pouvoir, crainte encore accrue par une hausse récente de l’impôt sur les sociétés. Mais le rapide rétablissement des cours prouvait aussi et surtout que la tendance générale à la reconstitution du marché financier était fondée sur la croissance incontestable de l’économie réelle. Ni les aléas de la vie politique à la fin de 1955, ni même l’aggravation de la situation en Algérie à compter de l’automne 1954 n’exercèrent ainsi une influence visible sur la croissance de la Bourse jusqu’en 195872. Dans toute cette période, l’action des autorités monétaires sur le marché financier comme sur le marché de l’or, pour avoir été marginale, n’en avait pas moins eu une efficacité indéniable. La Banque de France, en partie grâce à l’autorité reconnue de son gouverneur sur la place, joua donc aussi un rôle déterminant dans la réanimation des circuits classiques de l’argent sous la Quatrième République. C’est bien, comme le suggère Hicks, que des formes d’économies d’endettement ne sont pas exclusives de formes d’économies de marché. Le maintien de la stabilité des prix, au moins entre 1953 et 1955, offrait, il est vrai, un cadre favorable à cette action. La réapparition de l’inflation au début de 1956 contribua à modifier les données de la conjoncture et à remettre en cause les responsabilités de l’Institut d’émission.
LA BANQUE FACE AU RETOUR DE L’INFLATION : POUSSÉE DE L’ÉCONOMIE D’ENDETTEMENT (1956-1958)
40Jusqu’en 1958, le cycle d’expansion de l’économie amorcé dès la fin de 1953 se poursuivit à un rythme rapide, mais à partir de 1956, la croissance s’accompagna de nouveau de tendances inflationnistes73. L’évolution comparée des indices mensuels officiels des prix et de la production industrielle illustre assez passablement ce retournement de la conjoncture (cf. figure n° 30).
41Entre 1954 et 1958, l’expansion de la production industrielle, nonobstant les variations saisonnières, apparaît particulièrement continue et forte, particulièrement en 1956 et 1957 où elle affiche les taux de croissance les plus élevés de l’après-guerre, avec un accroissement moyen annuel de respectivement 11 % et 9 %. C’est également à partir de 1956 que le niveau général des prix tend à s’élever, progressivement dans un premier temps, puis de plus en plus nettement à partir de 1957 et de façon plus visible pour les prix de gros que pour les prix de détail dont l’indice est longtemps resté contenu par un contrôle des prix très rigoureux. Mais la période se caractérise aussi par un crédit abondant et en forte expansion. La part des crédits à l’économie dans les contreparties de la masse monétaire, majoritaire depuis 1952, progresse soudain en 1956, en valeur, de 22 %, et de 13 % encore en 195774 (cf. figure n° 31).
42La progression de la part du crédit à moyen terme mobilisable dans le total des crédits à l’économie depuis 1953 explique pour une bonne part ce rythme d’accroissement à partir de 1952 :
43Amorcée en 1952, la croissance du crédit à moyen terme mobilisable est continue jusqu’en 1958 ; elle représente alors plus d’1/5 du total des crédits à l’économie. Cette progression des crédits bancaires, à court comme à moyen terme, pose au premier chef la question du rôle de la banque d’émission. La part des crédits à l’économie nourrie par l’Institut d’émission n’a en effet jamais été négligeable depuis 1945 :
44En 1956, la part de la Banque de France dans les crédits à l’économie est passée d’1/5 à 1/4 du total et s’est maintenue à ce niveau jusqu’en 1958. Cette hausse s’explique essentiellement par la part croissante des effets à moyen terme réescomptés par la banque d’émission et de moins en moins portés par les banques ou les organismes spécialisés intermédiaires :
45La monétarisation des crédits à moyen terme apparaît donc évidente : déjà importante en 1953 où elle atteignait 60 %, la fraction des effets à moyen terme portés par la banque d’émission dépassait 80 % en 1956. Au bilan de l’Institut d’émission, le montant des effets de mobilisation de crédit à moyen terme passait dans le même temps de 356 à 1 036 milliards de francs courants, soit une augmentation de près de 200 %, alors que le poste correspondant à l’escompte traditionnel de papier commercial, passant de 518 milliards de francs en 1953 à 679 milliards en 1956, n’augmentait, lui, que de 30 %75. Cette évolution du portefeuille de la Banque se poursuivit en 1957 et 1958. Mais la singularité de la période des années 1950 apparaît de ce point de vue avec plus d’évidence encore si l’on considère l’évolution en plus longue durée de la part des crédits à moyen terme monétisés auprès de l’Institut d’émission, rapportés à ceux nourris jusqu’à échéance par le système bancaire (banques inscrites et établissements financiers spécialisés).
46Il ne fait pas de doute qu’entre 1950 et 1960, la banque d’émission a rempli le rôle de prêteur en premier ressort du système bancaire, assurant la monétisation de plus de 80 % des créances à moyen terme accordées par les banques et les établissements financiers spécialisés, Crédit foncier, Crédit national et Caisse des dépôts au premier chef. La Banque de ce point de vue a bien été dans les années 1950 la clef de voûte de l’économie d’endettement. Sans reprendre une nouvelle fois l’étude des rapports très discutés pouvant exister entre la création monétaire due aux banques et l’inflation, on peut néanmoins s’interroger sur la façon dont les autorités monétaires perçurent en 1956-1957 la réapparition des tendances inflationnistes et sur l’analyse que la banque d’émission ou son gouverneur faisaient alors de l’extension difficilement contestable des crédits à moyen terme mobilisables.
LA BANQUE DE FRANCE, LA CONFIANCE ET LA GUERRE D’ALGÉRIE
47Dès le second semestre 1955, dans la plupart des pays occidentaux, les autorités monétaires avaient jugé nécessaire de prendre des mesures visant à prévenir un retour de l’inflation. Le président de la banque centrale allemande l’avait annoncé sans ambiguïté en novembre 1955 :
« À l’étranger, ces derniers temps, des tendances inflationnistes apparaissent, en particulier dans les pays qui ont atteint le plein-emploi avant l’Allemagne […]. Lors de la réunion du FMI à Istanbul, la lutte contre l’inflation a été le thème principal des conversations de couloirs. Tous étaient d’accord sur le fait qu’il fallait tuer les germes inflationnistes. »76
48La Bank deutscher Länder avait en effet relevé son taux d’intervention d’un demi-point au début d’août et son président pouvait se faire rassurant : « Je dis aux ménagères, aux petites gens, aux rentiers, aux épargnants : soyez sans crainte, nous veillons ! »77 Au même moment, le gouverneur de la Banque de France avait justifié au contraire devant le Conseil national du crédit l’absence de toute mesure restrictive, jugeant qu’il n’y avait pas « à court terme, de risque sérieux » et « dans ces conditions, avait conclu Baumgartner, le maniement des armes monétaires ne me paraît pas à envisager. »78 Ce n’est donc qu’au printemps 1957 que les autorités monétaires françaises adoptèrent à leur tour une politique monétaire plus restrictive, avec plus de dix-huit mois de retard sur les autres pays occidentaux. Les raisons de cette « grande inertie »79 des autorités monétaires, pour reprendre l’expression d’Henri Koch, demandent à être éclaircies.
49La politique de la Banque de France et de son gouverneur en 1956 dut tenir compte de deux éléments nouveaux : la formation d’un gouvernement socialiste et radical sous la présidence de Guy Mollet au début de janvier, d’une part ; l’aggravation de la guerre en Algérie d’autre part. La marge laissée à la politique monétaire s’en trouva fortement réduite, dans la mesure où toute manipulation du taux d’escompte, comme l’expliquait en juillet 1956 Wilfrid Baumgartner à Georges Gaussel dont les impatiences à agir une fois de plus étaient visibles, était « une arme à double tranchant »80 : un relèvement des taux pouvait sans doute, « du point de vue psychologique », combattre certains comportements inflationnistes, comme l’achat d’or ou le gonflement des positions à terme sur le marché des changes. Mais, ajouta le gouverneur, « il faut aussi prendre garde qu’une telle mesure risque, du seul fait qu’elle est prise, d’enclencher à son tour d’autres mouvements, par les réactions psychologiques qu’elle est susceptible de provoquer. »81 Là était la véritable contrainte de la situation politique nouvelle née de la victoire du Front républicain : le glissement à gauche de la majorité parlementaire, les projets sociaux et fiscaux du gouvernement qui en était issu, en fragilisant la confiance des milieux d’affaires, rendaient douteuse l’efficacité d’une politique monétaire dont le caractère soudain restrictif pouvait paraître confirmer le bien fondé de la méfiance et aggraver de ce fait les réflexes encore latents de fuite devant la monnaie.
50Les autorités monétaires eurent la confirmation au début de l’été de la détérioration de la confiance. L’échéance de la fin juin en effet fut exceptionnellement difficile pour les banques qui furent contraintes de recourir plus massivement que d’habitude au refinancement auprès de la banque centrale. Des signes plus tangibles encore étaient portés à la connaissance du gouverneur par l’enquête menée à sa demande au début de juillet 1956 auprès des succursales de la Banque82 : le renforcement attendu de la fiscalité après l’adoption en juin de la création du Fonds national de solidarité contribua à fortement détériorer la confiance des agents économiques. « La possibilité d’un retour à une période d’instabilité de la monnaie […], notait ainsi le directeur de la succursale de Lyon, est désormais envisagée dans tous les milieux »83. « Achats considérables d’or et de valeurs étrangères », retraits « surprenants » sur les comptes en banques, « évasion de capitaux vers l’Étranger » sont les expressions qui reviennent le plus souvent dans les rapports des succursales. « Le climat de méfiance vis-à-vis du franc est indéniable », résumait le rapport de la succursale de Strasbourg. Pourtant, nulle part n’était signalée la constitution de stocks spéculatifs ; l’expansion générale de la production se poursuivait et la « nervosité » était encore limitée à la clientèle qualifiée dans les rapports de « capitaliste »84. La nécessité de ne pas rompre cet équilibre était aux yeux du gouverneur une raison suffisante pour « maintenir l’attitude d’expectative observée au cours des derniers mois »85. La contrainte politique nouvelle apparue en janvier 1956 pouvait expliquer ainsi la retenue de la Banque d’émission. L’aggravation de la situation en Algérie constituait une autre contrainte qui permet aussi de comprendre le soutien apporté par la Banque au Trésor en 1956-1957.
51Le déficit budgétaire, longtemps contenu aux alentours de 650 milliards de francs, dépassa 1 000 milliards en 1956, en partie du fait d’une augmentation des charges en Algérie86. Parmi les différents moyens de trésorerie alors fournis par l’Institut d’émission au Trésor, la décision de relèvement des planchers d’effets publics en juillet 1956 mit particulièrement en lumière les motivations de la Banque et de son gouverneur en même temps qu’elle contribuait à expliquer le soudain gonflement en 1956 de la part des crédits à moyen terme portés par l’Institut d’émission.
52Dès le début du mois de juin 1956, les services de la direction des Titres évaluaient les concours exceptionnels à fournir au Trésor jusqu’en septembre entre 120 et 170 milliards de francs87. Des pourparlers s’engagèrent à la fin du mois entre Baumgartner et le ministre des Finances, Paul Ramadier. Le sous-gouverneur Jean Saltes joua un rôle non négligeable dans ces négociations. Par des contacts fréquents avec le cabinet de Guy Mollet, notamment avec Alexandre Verret qui le dirigeait, Saltes s’était efforcé dès le début de 1956 de peser sur la politique financière du nouveau gouvernement, l’avertissant sans relâche des risques d’une « aventure monétaire »88. La figure de Jean Saltes complète bien le portrait des lieutenants dont Baumgartner fut flanqué à la Banque : très différent de Pierre Calvet, le second sous-gouverneur chargé plus particulièrement des affaires internationales, le premier sous-gouverneur, lui, était arrivé à la Banque dès la Libération, nommé à ce poste, où il succédait à Henry de Bletterie, dès le 22 décembre 1945. Né en 1906, polytechnicien de formation, reçu à l’inspection des Finances en 1930, Jean Saltes était protestant lui aussi, mais d’un protestantisme méridional, très différent sur ce point de Baumgartner. Originaire du Tarn, à l’accent marqué, il représentait assez bien la tradition socialiste du Sud-Ouest, à laquelle Vincent Auriol appartenait également. Saltes avait d’ailleurs participé à son cabinet aux Finances en 1936-1937, avant de diriger même le cabinet de Léon Blum en mars 1938. Membre dans la résistance du Comité général d’études, il avait été déporté, on l’a relevé, à l’occasion de la vague d’arrestations qui atteignit aussi Wilfrid Baumgartner en août 1943. Les deux hommes avaient alors été proches. Cette intimité ancienne dans l’infortune explique la grande liberté de ton des notes rédigées par Saltes à l’intention du gouverneur. L’opposition du premier sous-gouverneur à une modification des planchers d’effets publics détenus par les banques était totale. Il s’en ouvrit par une lettre à Baumgartner datée « de mes champs, ce samedi 30 juin » :
« Une telle opération n’est en réalité qu’une avance pure et simple au Trésor. [Or] nous n’avons aucune raison d’accorder à Ramadier ce que nous avons refusé à Edgar. »89
53Son refus de modifier les planchers s’expliquait plus largement par une condamnation sans appel et de prime abord quelque peu surprenante chez cet esprit que la rumeur plaçait plutôt à gauche, de la politique financière, à l’en croire, toute de facilités menée depuis la Libération :
« Ce que je condamne, ce n’est pas seulement la modification du mécanisme des planchers, mais toute habileté destinée à masquer la situation du Trésor […]. Nous savons tous que depuis dix ans, nous crevons d’habilités, de demi-mesures, et que nous vivons comme des mendiants de la charité publique. […] Je viens de lire La Guerre et ses occasions perdues, procès de la carence intellectuelle, du conservatisme, des spéculations hors du réel, et, en bref, des colossales erreurs de notre commandement. On pourra faire l’histoire financière de ces dix dernières années et condamner dans les mêmes termes la gestion de tous ceux qui, de Pleven à Ramadier, n’ont pas été capables de comprendre le problème monétaire. Si nous n’avons pas pu faire prévaloir de solutions raisonnables, au moins pouvons nous éviter de laisser croire que la Banque a approuvé cette absence de politique, et surtout de laisser croire qu’elle en a été dupe. »90
54La franche position de Jean Saltes éclaire d’un jour particulièrement net la réalité des débats au sein même de l’état-major de la Banque qui prolongeaient en quelque sorte les oppositions qui s’exprimaient déjà au conseil général. Elle met en évidence aussi que l’exercice de l’autorité pour le gouverneur, au Conseil, comme à la direction de la Banque, comme également aux sommets de l’État, revêtait essentiellement les formes d’un art du compromis. Et il est difficile de faire le partage ici entre l’effet d’un trait de caractère qui serait une pente naturelle ou acquise de Wilfrid Baumgartner à éviter le conflit, et les obligations d’une fonction depuis toujours située au point d’intersection de pouvoirs différents et souvent contradictoires. À la fin juin 1956, le gouverneur finit par arbitrer néanmoins en faveur du Trésor et accepta le principe d’une réforme des planchers. Pourtant, dans les jours qui suivirent, certains journaux colportèrent le bruit d’une démission imminente de Baumgartner en opposition supposée totale à Ramadier. La rumeur s’enfla, principalement alimentée par Les Échos et relayée par les innombrables feuilles prétendues confidentielles, comme Aux Écoutes du Monde de la Finance, qui faisaient alors florès. Les marchés, alarmés, commencèrent à s’agiter. En marge d’un entrefilet particulièrement affirmatif de L’Office Français d’Études et de Documentation du 10 juillet 1956, Baumgartner, visiblement déconcerté par la persistance de la rumeur, s’en ouvrit, d’une brève annotation au crayon, à son sous-gouverneur : « M. Saltes, que penses-tu que je doive faire ? »91 Le même jour, Frédéric Jenny, dont les chroniques financières avaient fait avant guerre les beaux jours du Temps ou de la Revue Politique et Parlementaire92, et qui exerçait à cette date sa plume dans les colonnes de L’Information, téléphona au sous-gouverneur pour lui faire part de la nervosité de la Bourse, cristallisée sur l’éventualité d’un relèvement des planchers.
« Il pensait, rapporta Saltes, que nous préférions qu’on n’en parlât pas dans les journaux […]. Il m’a rappelé hier soir, me disant que le bruit prenait consistance et qu’il était impossible de n’en pas parler. Nous sommes alors convenus, en gros, de la présentation qu’il allait adopter »93.
55Cet épisode illustre d’une part la permanence des liens personnels que, sous la IVe République comme du temps du gouverneur Tannery, la Banque continuait à entretenir avec certains journalistes financiers, les mêmes parfois qu’en 1935, qui avaient l’oreille des marchés de l’argent. Il montre, d’autre part, que l’hypothèse de la démission du gouverneur, propagée par une certaine tendance de la presse opposée au gouvernement de Guy Mollet, pouvait devenir un épouvantail politique propre à précipiter les évasions de capitaux et à encourager la spéculation contre le franc. C’était en tout cas le sens du démenti que le cabinet de Wilfrid Baumgartner publia le 19 juillet 1956 : la rumeur d’une démission du gouverneur n’était le fait que de milieux attachés à spéculer contre la stabilité de la monnaie94. Cette interprétation éclaire d’une lumière nouvelle la campagne de presse de fait réellement alarmiste qui s’était développée depuis la fin juin. On comprend ainsi mieux l’étonnant conseil donné à Paul Ramadier par Les Échos du 30 juin, lui suggérant d’abandonner ses projets fiscaux et de recourir plutôt à « l’aide discrète et pratiquement invisible de la Banque de France »95, ou encore ce dialogue imaginaire, si peu dans le style du gouverneur, reproduit par Aux Écoutes du Monde de la Finance du 13 juillet, sous le titre « La rue de la Vrillière contre la rue de Rivoli » : « Vous ne pouvez pas prétendre, aurait donc déclaré Baumgartner au ministre, me lier à mon fauteuil gubernatorial [sic]. Ni la dévaluation, ni l’inflation n’apparaissaient nécessaires il y a six mois encore. Je ne paierai pas les pots cassés par les autres ! »96 Il apparaît donc clairement, une fois de plus, combien réduite était alors la marge de manœuvre du gouverneur. L’hypothèse de sa démission, comme celle d’une faillite du Trésor public, étaient en fait inconcevables, moins par l’effet d’une prétendue subordination de la Banque à l’État que parce que l’Institut d’émission était désormais partie intégrante de l’État. Par un paradoxe apparent, la marge d’action de la Banque et de son gouverneur paraissait encore plus restreinte face à une majorité socialiste dont les projets fiscaux et sociaux, avérés et supposés, en nourrissant la méfiance potentielle des marchés et des détenteurs de capitaux, faisaient des armes dont disposait le gouverneur, maniement des taux ou menace de démission, des remèdes pires que le mal. La complexité de la question historique de l’indépendance de la Banque centrale s’en trouve une fois de plus bien mise en évidence.
56À la mi-juillet, le gouverneur annonça à la tribune du Conseil national du crédit que les planchers d’effets publics étaient relevés de 20 à 25 % des exigibilités bancaires. Saltes, à cette occasion, put lui écrire, sans rancune : « J’ai constaté une fois de plus, sans surprise, que le gouverneur de la Banque n’oubliait jamais qu’il avait été directeur du Mouvement des Fonds. […] N’en parlons plus. »97 La réforme des planchers, contre toute attente fut acceptée sans difficulté apparente par les banques. Cette bonne volonté s’explique en partie par les négociations que Baumgartner, au préalable, avait menées avec les dirigeants des principales banques de dépôt de la place ; ces pourparlers illustrent également l’art et la manière du gouverneur, notamment vis-à-vis des grands banquiers, en même temps qu’elles explicitent le lien entre les besoins de trésorerie de l’État et l’augmentation des encours à moyen terme dans le portefeuille de la Banque.
LA BANQUE, CLEF DE VOÛTE DE L’ÉCONOMIE D’ENDETTEMENT
57C’est un fait que sous la IVe République les dirigeants des grandes banques de dépôt étaient tous issus de l’inspection des Finances, conséquence durable de l’importance du pantouflage dans la décennie 1920. Dans le cabinet du gouverneur, le 4 juillet 1956, n’étaient de fait réunis que des inspecteurs : face à Olivier Moreau-Néret, président du Crédit lyonnais, à Charles Farnier, président du Comptoir général d’escompte, à Maurice Lorain, directeur général de la Société générale, à Ludovic Tron, président de la BNCI, le gouverneur de la Banque de France n’était certes pas le plus âgé. Seuls Tron et Calvet, également présent, étaient de promotions plus récentes. Mais au-delà des différences d’ancienneté, le plus remarquable n’était-il pas que tous ces banquiers fussent passés à leurs débuts par la direction du Mouvement général des fonds au ministère des Finances ? L’angle d’attaque de Wilfrid Baumgartner était donc judicieux : il avait provoqué cette réunion, leur exposa-t-il d’entrée, pour recueillir leur avis, « à titre strictement confidentiel » sur « certains problèmes que pos[ait] l’alimentation du Trésor Public. »98 Les besoins du Trésor pour passer l’été avaient été estimés par la Banque et la direction du Trésor à quelque 100 milliards. La procédure du recours à une avance directe « qui vient immédiatement à l’esprit » pouvait cependant difficilement être retenue, car, plaida le gouverneur, « elle risquerait d’assombrir l’atmosphère au moment où la question algérienne est particulièrement aiguë »99. L’avant-veille, en effet, un attentat à la grenade avait été perpétré en plein centre de Constantine et les autorités militaires avaient interdit la grève générale prévue pour le lendemain 5 juillet, date anniversaire de la prise d’Alger par les Français en 1830100. L’autre solution, expliqua plutôt finement le gouverneur, était de faire escompter par la Banque des effets publics directement au profit du Trésor sur le marché monétaire. « Le Ministère des Finances aurait préféré que la Banque agisse par la voie de l’Open Market », mais, ajouta-t-il aussitôt, « j’ai écarté cette suggestion qui conduirait l’Institut d’émission à consentir, en fait, une avance au Trésor de façon occulte »101. Seule la voie d’une modification des planchers était donc envisageable. Aux banquiers préoccupés de maintenir à un niveau inchangé la liquidité de leurs actifs, le gouverneur assura par avance que les banques seraient amenées, pour satisfaire aux exigences des nouveaux planchers, à mobiliser leur papier moyen terme jusque-là conservé dans leur portefeuille et il conclut : « La Banque sera toujours appelée, en définitive, à fournir les fonds »102. La réforme des planchers procura d’un coup environ 80 milliards au Trésor, mais entraîna dans le même temps un accroissement proportionnel des effets à moyen terme portés par la banque d’émission, soit 20 % des encours à moyen terme supplémentaires nourris par la Banque en 1956 par rapport à 1955. À hauteur d’1/5 au moins, l’accroissement du montant des effets à moyen terme dans le portefeuille de la Banque correspondait donc à un concours indirect de l’Institut d’émission à l’État. Il convenait aussi d’y ajouter les effets jusque-là portés par la Caisse des dépôts et également présentés au réescompte de la Banque afin d’accroître à due proportion les liquidités qu’elle pouvait mettre à la disposition du Trésor. Il apparaît donc bien que la Banque de France, par le biais de la mobilisation des effets à moyen terme, se trouvait de fait intégrée au circuit du Trésor, dont elle assurait in fine le financement ultime. Une bonne part du gonflement des effets à moyen terme dans le portefeuille de la Banque s’expliquait de cette manière et aboutissait en effet à un financement par la Banque de l’impasse budgétaire. Mais l’ancien directeur du Mouvement des fonds jugea ce concours à l’État inévitable dans le contexte particulier de la guerre d’Algérie, contrainte estimée de fait plus pressante que des considérations d’ordre seulement monétaire. C’est un jugement similaire qui semble avoir été à l’origine de l’incontestable poussée de la part des crédits à moyen terme entre 1952 et 1956 dont le développement, avant de concourir secondairement au financement indirect du Trésor, était apparu avant tout motivé par leur utilité proprement économique.
LE CONSENSUS AUTOUR DU CRÉDIT À MOYEN TERME MOBILISABLE
58Largement à l’origine de l’invention du crédit à moyen terme mobilisable, on l’a vu, Wilfrid Baumgartner sembla n’avoir jamais vraiment cessé d’être convaincu, au moins jusqu’en 1957, de son utilité économique et donc, à terme, financière103. Déjà évidente au moment des débats qui avaient accompagné en 1950 l’extension de la procédure au financement des exportations et de la construction, sa volonté de maintenir et de développer encore le mécanisme de la mobilisation ne faiblit pas vraiment par la suite. Il avait fort lucidement expliqué sa conception des crédits à moyen terme devant le Conseil économique et social en mars 1953 :
59« Qu’on ne dise pas qu’il n’y a pas eu d’effort de crédit à moyen terme, nous travaillons pour que cet effort continue d’être développé ; […] par conséquent, dans le même temps où nous maintenons une restriction de crédit […] se poursuit un mouvement de développement des crédits à moyen terme. […] C’est par ce canal que la masse monétaire française a augmenté. Évidemment on pourrait dire : n’est-ce pas là une politique malsaine ? N’est-ce pas là une politique dangereuse ? Nous sommes obligés de tenir compte, d’une part de l’impératif monétaire, d’autre part de l’impératif économique, ces deux aspects fondamentaux de la politique du crédit […]. Nous essayons de naviguer au plus près des écueils. »104
60De 1951 à 1952, en effet, les encours à moyen terme dans le portefeuille de la Banque avaient progressé en valeur de 94 %, doublant en volume leur proportion dans le total du portefeuille de la Banque ; dans le même temps, la part du papier commercial à court terme non seulement n’avait pas augmenté, mais avait diminué même de près de 3 %105.
61En février 1955, le gouverneur s’était fait l’avocat de la rapide extension que connaissaient depuis 1952 les crédits à moyen terme accordés au profit du secteur de la construction :
« Il y a trois ans, nous avons décidé, à la Banque de France, d’accueillir au réescompte, c’est-à-dire dans une certaine mesure de faire de l’inflation, des crédits du Crédit Foncier et du Sous-Comptoir des entrepreneurs. Je crois fondamentalement que nous avons eu raison. »106
62Pour autant, il serait excessif de conclure de cette profession de foi que le gouverneur était inconscient des incidences inflationnistes de ce mode de financement. Il l’avait tout aussi clairement souligné devant le Conseil national du crédit dès juillet 1954 :
63« Bien entendu ce financement intensif par la voie du moyen terme de la construction de logement n’est pas sans appeler, du point de vue de l’orthodoxie monétaire, un certain nombre de réserves. Nous croyons cependant qu’il a été sage de susciter ce mouvement de construction de logements qui est si essentiel, et du point de vue social et du point de vue économique, et plus simplement du point de vue national, mais il faut penser que l’avenir nous réserve sur ce point des problèmes de consolidation qui ne sont pas sains. »107
64Les mesures d’incitation à la construction prises en mars 1953 dans le cadre du plan Courant avaient en effet contribué à considérablement élargir les demandes de financement d’opérations immobilières, en particulier au profit de logements économiques et familiaux (logécos)108. Entre 1952 et 1955, les encours de crédit à moyen terme mobilisable destiné au secteur de la construction exprimés en francs courants avaient été multipliés par cinq, dépassant en valeur absolue la part des crédits d’équipement qui n’avaient progressé, eux, dans le même temps que de 27 %. Cette croissance des crédits à moyen terme était alors perçue par W. Baumgartner comme une des causes de la croissance économique constatée depuis 1953 :
65« Nous avons pris ce risque […] il y a trois ans avec l’arrière-pensée de ranimer une production dont nous étions à même de nous inquiéter à la veille de la Guerre de Corée. En fait, avec les décalages d’usage, cet effort s’est trouvé commencer à porter ses fruits dans le même temps où une certaine récession caractérisait l’économie française ; il nous a aidés à en sortir. »109
66En 1956, le financement par crédits à moyen terme enregistra une pointe, puisqu’il représenta cette année-là 14 % des ressources des entreprises, contre 7,5 % en moyenne entre 1954 et 1957110. À la fin de l’année, cette progression fut l’objet d’un débat riche d’enseignements au sein du conseil général de la Banque.
67C’est à l’initiative de Georges Gaussel encore, personnage qui décidément joua avec prédilection tout au long de la période, au sein du conseil général, le rôle de gardien de l’orthodoxie, qu’un débat sur le mécanisme du crédit à moyen terme mobilisable était lancé : l’extension prise par ce mode de financement depuis quelques années n’était-elle pas excessive ? Et Gaussel d’indiquer que l’importance atteinte par les encours était en contradiction avec le rôle assigné en 1944 à ce mécanisme :
« Nous sommes très peu, autour de cette table, à nous rappeler dans quelles conditions a été institué ce mécanisme d’aide à l’économie par l’intermédiaire du crédit à moyen terme. Mais ceux-là se souviennent qu’à l’origine, il était question de montants extrêmement modérés, se chiffrant par milliards […]. Nous en sommes fort loin. »111
68Il suggérait, en conclusion, que la Banque était peut-être allée trop loin et envisageait la possibilité de devoir « faire machine arrière ». Les critiques de Georges Gaussel provoquèrent au sein du Conseil un vif mouvement de défense de la politique menée en matière de crédit par la Banque depuis la Libération. C’est Jacques Brunet, le premier visé comme directeur général du Crédit national, qui se porta aussitôt en première ligne : « il ne paraît pas raisonnable d’affirmer qu’on se livre en France à une débauche d’investissements ». L’état de la France à la Libération, continua-t-il, rendait de toute façon nécessaire un « énorme effort de rééquipement » et il fallait « comparer la situation du revenu national telle qu’elle se présentait à l’époque avec ce qu’elle est devenue maintenant pour porter un jugement impartial sur les résultats obtenus »112. Adéodat Boissard, qui avait remplacé Henri Deroy à la tête du Crédit foncier, vint à la rescousse : « la Banque a rendu un immense service en rendant possible ce financement », sans elle « la construction n’aurait pas pris en France un essor appréciable, ce qui eût été inacceptable économiquement, socialement et psychologiquement »113. La Banque de France devait donc, s’enflammait quelque peu le gouverneur du Crédit Foncier, être louée pour le service immense rendu à l’économie nationale :
« Il apparaît que c’est au concours de la Banque de France que l’on doit d’avoir de n’avoir pas laissé tomber le rythme de la construction à un niveau de détresse, peut-être aussi bas qu’en Espagne […] On peut donc affirmer que la politique suivie dans le domaine de la construction a été la meilleure possible ; il faut ajouter que c’est elle qui dans une large mesure a déterminé l’expansion de l’économie. »114
69Au nom des intérêts du monde agricole aussi, hommage fut rendu au crédit à moyen terme mobilisable par la bouche d’André Cramois, le directeur général du Crédit agricole, bientôt secondé par Marcel Lambert, un des représentants du commerce et de l’industrie, au nom de la défense de la compétitivité de l’économie française dans le monde. François Bloch-Lainé intervint aussi pour défendre plus globalement la politique d’investissement qu’il avait contribué à mettre en œuvre aux lendemains de la guerre. Il se disait conscient que cet effort n’avait pu s’accomplir sans entraîner une certaine inflation, « mais, ajouta-t-il incisif, c’est grâce à la dépréciation monétaire que la période 1946-1956 n’a pas ressemblé à la période 1926-1936, durant laquelle dans un système parfaitement orthodoxe, ce pays a gravement négligé d’investir pour se moderniser »115. Ramenant le débat à son point de départ et opposant d’une certaine manière à l’ancien directeur du Trésor une origine différente à la grande geste de l’investissement d’après guerre, Brunet entendait aussi restituer les circonstances de la naissance du crédit à moyen terme mobilisable sous l’Occupation : « En réalité, précisait-il à Gaussel, on visait à ce moment-là à apporter une contribution importante à la reconstitution de l’économie française et non à la limiter à une fraction négligeable »116. Il restait au gouverneur à conclure le débat en rappelant à tous qu’il avait été à l’origine du moyen terme mobilisable. Il était certes en captivité au moment des débats de 1944 à la Banque, mais les mesures alors adoptées par l’Institut d’émission n’étaient que la conséquence logique de l’initiative qu’il avait lui-même prise dès 1940 au Crédit national et dont il convenait de ne pas amoindrir rétrospectivement les ambitions originelles :
« Dès l’origine, en tout cas c’était la pensée personnelle qui, au Crédit National, m’avait guidé avant mon arrestation, la mobilisation ne devait pas se limiter purement et simplement à quelques prises en pension faite de temps à autre par l’Institut d’émission, mais constituait le moyen auquel, à cette époque, on avait compté recourir pour permettre la reconstruction industrielle française au lendemain d’une guerre dont il était alors évident qu’elle aurait appauvri considérablement le pays. »117
70Une forme de consensus semble donc avoir existé dès la fin de 1956, dix ans après la fin de la guerre, autour de la nécessité de la politique menée en matière d’investissement depuis la Libération. Et Baumgartner semble en avoir été le premier convaincu : soulignant la réalité du retard français en 1945, il apparaît tout à fait conscient des conséquences positives de la politique de crédit menée depuis par la Banque de France :
« Point n’est besoin d’insister sur les mérites de la politique du crédit à moyen terme. Je sais parfaitement qu’elle sort du cadre de l’orthodoxie traditionnelle en matière de crédit, mais je crois qu’on a bien fait d’accomplir cet effort, tant sur le plan industriel, que sur le plan de la construction »118.
71Revendiquée, défendue, la formule du crédit à moyen terme, au moins jusqu’au début de 1957, a donc été appliquée en connaissance de cause par les autorités monétaires de la période. Baumgartner, incontestablement à l’origine du procédé, en a encouragé le développement tout au long de son passage à la tête de la banque d’émission. Sans doute convient-il de ne pas non plus exagérer la place tenue au total par les crédits à moyen terme dans le financement de la croissance sous la IVe République ; ils n’ont jamais représenté plus de 20 % de l’ensemble des crédits à l’économie, mais, mode de financement principal de la construction et des industries du secteur nationalisé entre 1954 et 1958, ils ont sans conteste joué un rôle d’entraînement non négligeable. Selon Jacques-Henri David le mécanisme pourrait même expliquer en grande partie la rapidité de la croissance française d’après-guerre119. Enfin, ils illustrent également assez bien une des spécificités de la croissance française, même si des mécanismes semblables ont été également développés, mais à des degrés moindres, en Europe occidentale dans la même période120. Pour Wilfrid Baumgartner, la monnaie était fondamentalement, il le répéta souvent depuis 1949, une résultante. L’expansion économique en était le gage le plus sûr. Il s’en réjouissait à la fin de 1956 devant le Conseil national du crédit, constatant que l’évolution économique restait alors « dominée par la persistance de l’essor industriel » :
« Indiscutablement nous devons nous en réjouir, car c’est l’élément fondamental et celui qui commande les développements futurs de notre situation : les progrès de la production [française] se sont poursuivis à une cadence presque inégalée dans le monde »121.
72Entre croissance et inflation, les autorités monétaires ont incontestablement accompagné les progrès de l’activité par une politique du crédit plus souple en 1954 et 1955, en retardant jusqu’au printemps 1957 les mesures restrictives que la renaissance de l’inflation au début de 1956 auraient pu exiger, mais que la victoire du Front républicain et la guerre d’Algérie commandaient de différer. L’économie d’endettement dont le mécanisme du crédit à moyen terme mobilisable dans les années 1950 exprime le mieux la réalité nouvelle au sein du système financier français n’a pas résulté d’un choix politique. Elle a été la résultante d’un consensus largement dicté par les circonstances. De ce point de vue, elle apparaît aussi comme le cadre d’un compromis technique, propre à garantir la conservation d’une certaine cohésion politique et sociale.
73Les rapports que la Banque a entretenus avec le gouvernement de Pierre Mendès France de juin 1954 à février 1955 ont ainsi montré qu’entre le gouverneur et le député de l’Eure les oppositions pouvaient être fortes, notamment sur le rôle de l’État dans l’économie, mais que des convergences pouvaient aussi se faire jour, par exemple sur les questions financières et monétaires, preuve d’une communauté d’expériences vécues, mais aussi, largement, d’un accord plus profond sur une certaine conception du devenir de la France et des Français en une période toujours marquée, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, par une forte instabilité.
74Le poids des expériences explique aussi la politique d’extension du crédit à moyen terme menée en toute connaissance de cause par Wilfrid Baumgartner entre 1950 et 1956. Procédé discret d’alimentation du Trésor en 1956 quand les circonstances politiques l’exigeaient, le mécanisme du crédit à moyen terme mobilisable n’en a pas moins constitué un mode nouveau de financement externe de l’économie. Parfaitement justifié pour les crédits d’équipement et de modernisation, notamment au profit des entreprises publiques, plus discutable d’un point de vue strictement monétaire dans le cas de la construction, ce type de financement, notamment par les effets d’entraînement qu’il comportait, a joué un rôle indéniable dans la croissance économique sans précédent de la décennie 1950. Conscient du risque monétaire qu’il comportait, le gouverneur de la Banque de France a néanmoins estimé que le développement de l’investissement auquel il concourait était à terme le meilleur gage de la stabilité monétaire. La réapparition progressive des difficultés des finances extérieures à compter de l’automne 1956 changea les données du problème. Une fois de plus, c’était la contrainte extérieure qui indiqua aux yeux de Wilfrid Baumgartner qu’une certaine limite avait été atteinte dans la conduite interne de la monnaie.
Notes de bas de page
1 Évolution du taux de base de la Banque de France (1945-1959), figure n° 17, p. 339.
2 Carré (Jean-Jacques), Dubois (Paul) et Malinvaud (Edmond), Abrégé de la croissance française, Paris, Éditions du Seuil, 3e édition, 1973, p. 166 sqq.
3 Ibid., p. 195.
4 Ibid., p. 197.
5 Guillaumont-Jeanneney (Sylviane), Politique monétaire et croissance économique en France, Paris, Armand Colin et FNSP, 1969, p. 149.
6 Audition de W. Baumgartner devant le Conseil économique et social le 11 mars 1953, doc. cité, p. 6.
7 Ibid., p. 17.
8 Projet de préface de W. Baumgartner à Distribution et contrôle du crédit, Paris, A. Colin, 1951, AWB, 2BA7, Dr5.
9 Allocution de W. Baumgartner au banquet du Comité républicain le 27 avril 1955, doc. cit., p. 3.
10 Faure (Edgar), Mémoires, op. cit., t. 1, p. 513.
11 Ibid.
12 Intervention d’Edgar Faure lors du Conseil des ministres du 20 août 1953, rapportée par V. Auriol, Journal du Septennat, op. cit., t. VII, p. 367-368.
13 Procès-verbal de la séance du CNC du 17 septembre 1953, ABF, direction du crédit, p. 57.
14 Procès-verbal de la séance du conseil général de la Banque de France du 4 février 1954, AWB, 2BA14, Dr4, p. 1.
15 Audition de W. Baumgartner devant le Conseil économique et social du 26 novembre 1954, AWB, 2BA16, Dr5.
16 Schéma de l’exposé de Zurich, doc. cité, p. 1.
17 Audition de W. Baumgartner devant le Conseil économique et social du 26 novembre 1954, doc. cité, p. 11.
18 Fourquet (François), Les Comptes de la puissance, histoire de la comptabilité nationale et du plan, Paris, Encres, 1980, p. 309-310.
19 Ibid., p. 25.
20 Saint-Geours (Jean), Pouvoir et finances, Paris, Fayard, 1979, p. 107.
21 Cité par Fourquet (François), Les Comptes de la puissance, op. cit., p. 158.
22 Ibid., p. 185.
23 Ibid., p. 187. Le fait est également mentionné par Claude Gruson dans Programmer l’espérance, Paris, Stock, 1976, p. 88-89.
24 Note de J. Serisé à P. Mendès France du 16 décembre 1954, archives privées S. Nora, citée par Fourquet (François), Les Comptes de la puissance, op. cit., p. 187.
25 Cf. Feiertag (Olivier), « Pierre Mendès France, acteur et témoin de la planification française (1943-1962) », in Pierre Mendès France et l’économie, Paris, O. Jacob, 1989, p. 384-385.
26 Lettre de Pierre Mendès France à Wilfrid Baumgartner du 1er juillet 1954, AWB, 2BA15, Dr6.
27 Note de Pierre Besse à Wilfrid Baumgartner du 30 juin 1954, 64 p. dactyl., AWB, 2BA15, Dr3, deuxième partie, p. 9
28 Ibid., note introductive, p. 2.
29 Ibid., p. 1.
30 Ibid., deuxième partie, p. 10.
31 Ibid., troisième partie, p. 1.
32 Ibid., p. 3.
33 Cf. supra p. 65-68.
34 Ibid., deuxième partie, p. 11, annotation au crayon de W. Baumgartner.
35 Feiertag (Olivier), « Pierre Mendès France… », art. cité, p. 387-388.
36 Lettre de Pierre Besse à Wilfrid Baumgartner du 9 août 1954, AWB, 2BA15, Dr6.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 « Le redressement du commerce extérieur », La Vie française du 22 février 1952, Mendès France (Pierre), Œuvres complètes, t. II, Une politique de l’économie, 1943-1954, p. 368.
40 « Des crédits pour le logement », L’Officiel du Tourisme de mai 1953, Œuvres Complètes, op. cit., p. 420.
41 « La convertibilité internationale des monnaies », Paris-Normandie du 22 juillet 1953, Œuvres Complètes, op. cit., p. 464.
42 Mendès France (Pierre), « Un grand mouvement administratif », La Renaissance Politique du 11 octobre 1930, AWB, 1BA10, Dr2.
43 Ibid.
44 Sténographie de la séance officieuse du conseil général de la Banque de France du 5 juin 1953, doc. cité, p. 8.
45 Bouvier (Jean), La France restaurée…, op. cit., p. 245 sqq.
46 « Loi n° 54-809 du 14 août 1954 autorisant le Gouvernement à mettre en œuvre un programme d’équilibre financier, d’expansion économique et de progrès social », reproduite dans L’Année Politique 1954, Paris, PUF, 1955, p. 541.
47 Mendès France (Pierre) et Ardant (Gabriel), La Science économique et l’Action, Paris, Unesco-Julliard, 1954, p. 212.
48 Lettre de P. Mendès France à W. Baumgartner du 14 octobre 1954, AWB, 2BA16, Dr1.
49 Causerie de W. Baumgartner à l’Institut des Hautes Études de défense nationale le 22 juillet 1953, doc. cité, p. 12.
50 Ibid., p. 13.
51 Ibid.
52 Ibid., p. 12.
53 Sténographie de la séance du CNC du 3 mars 1955, ABF, p. 54.
54 Déclaration de W. Baumgartner à la séance du CNC du 31 mai 1949, AWB, 2BA2, Dr3.
55 Aux Écoutes de la Finance du 30 juin 1949, AWB, 2BA2, Dr3.
56 Carré (Jean-Jacques), Dubois (Paul) et Malinvaud (Edmond), Abrégé de la croissance française, op. cit., p. 190.
57 INSEE, Mouvement économique en France de 1944 à 1957, op. cit., graphique 18, « Évolution des cours du Napoléon et du gramme d’or fin sur le marché libre de Paris de 1948 à 1958 » (hors texte).
58 Audition de W. Baumgartner devant le Conseil économique et social du 26 novembre 1954, doc. cité, p. 14.
59 Lettre de Maurice Petsche à Jean de Largentaye du 19 avril 1951, projet avec annotations manuscrites de W. Baumgartner, AWB, 2BA5, Dr2.
60 Ibid.
61 Lettre de W. Baumgartner à W. Tomlinson du 21 mars 1951, AWB, 2BA5, Dr2.
62 Allocution de W. Baumgartner au banquet du Comité républicain du 27 avril 1955, doc. cité, p. 21 (version prononcée effectivement).
63 Ibid.
64 Audition de W. Baumgartner devant le Conseil économique et social du 26 novembre 1954, doc. cité, p. 15.
65 Interventions de la Banque de France du 11 au 13 mai, note de la direction des titres du 13 mai 1955, AWB, 2BA19, Dr5.
66 Ibid., p. 2.
67 Procès-verbal de la réunion du 16 mai 1955, direction des Titres, AWB, 2BA19, Dr5.
68 Déclaration de Pierre Pflimlin à l’AFP le 13 mai 1955, AWB, 2BA19, Dr5.
69 Procès-verbal de la réunion chez le gouverneur du 20 mai 1955, AWB, 2BA19, Dr5.
70 Ibid.
71 Déclaration de W. Baumgartner, procès-verbal du conseil général du 20 mai 1955, AWB, 2BA19, Dr5.
72 Plessis (Alain), « La guerre à la Bourse de Paris », Rioux (Jean-Pierre) (dir.), La Guerre d’Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990, p. 304-309.
73 Carré (Jean-Jacques), Dubois (Paul) et Malinvaud (Edmond), Abrégé de la croissance française, op. cit., p. 202-203.
74 INSEE, Mouvement économique en France 1944-1957, op. cit., p. 220.
75 Compte rendu des opérations de la Banque de France pour 1953, op. cit., p. 30 et pour 1956, op. cit., p. 31.
76 Conférence de Wilhelm Vocke à l’Übersee-Klub de Hambourg, le 7 novembre 1955, AWB, 2BA19, Dr1.
77 Ibid.
78 Intervention de W. Baumgartner devant le CNC le 10 novembre 1955, AWB, 2BA19, Dr1.
79 Koch (Henri), Histoire de la Banque de France…, op. cit., p. 334.
80 Procès-verbal de la séance du Conseil Général du 19 juillet 1956, AWB, 2BA24, Dr6, p. 18.
81 Procès-verbal de la séance du Conseil Général du 12 juillet 1956, AWB, 2BA24, Dr6, p. 3.
82 « Enquête auprès des succursales sur le comportement des entreprises », note de la direction du Crédit, 10 juillet 1956, AWB, 2BA24, Dr6.
83 Note du directeur de la succursale de la Banque de France de Lyon à E. de Sèze, directeur général du Crédit, du 12 juillet 1956, 10 p. dactyl., AWB, 2BA24, Dr6, p. 1.
84 Enquête auprès des succursales sur le comportement actuel des entreprises, note de la direction du Crédit, 10 juillet 1956, AWB, 2BA24, Dr6.
85 Procès-verbal du Conseil Général de la Banque de France du 12 juillet 1956, doc. cité, p. 2.
86 Asselain (Jean-Charles), « Boulet colonial et redressement économique (1958-1962) », in Rioux (Jean-Pierre) (dir.), La Guerre d’Algérie et les Français, op. cit., p. 295 sqq.
87 Prévisions sur l’évolution de la trésorerie du 8 juin au 13 septembre, note d’Henri Morant de la direction générale des titres, bureau des comptes courants de titres, du 8 juin 1956, AWB, 2BA24, Dr4, p. 3.
88 Note de J. Saltes à A. Verret du 14 avril 1956, 11 pages dactyl., AWB, 2BA24, Dr2, p. 1.
89 Lettre de Jean Saltes à Wilfrid Baumgartner du 30 juin 1956, AWB, 2BA24, Dr4.
90 Ibid.
91 L’Office français d’études et de documentation du 10 juillet 1956, AWB, 2BA25, Dr1.
92 Jeanneney (Jean-Noël), François de Wendel…, op. cit., p. 511, n. 14 et p. 517, n. 38.
93 Note de J. Saltes à W. Baumgartner du 13 juillet 1956, AWB, 2BA25, Dr1.
94 La Correspondance Économique du 19 juillet 1956, AWB, 2BA25, Dr1.
95 Les Échos du 30 juin 1956, AWB, 2BA25, Dr1.
96 Aux Écoutes du Monde de la Finance du 13 juillet 1956, AWB, 2BA25, Dr1.
97 Billet de Jean Saltes à Wilfrid Baumgartner, s. d., mais très vraisemblablement des premiers jours de juillet 1956, AWB, 2BA24, Dr4.
98 Procès-verbal de la réunion du 4 juillet 1956 à la Banque de France sous la présidence de M. le Gouverneur Baumgartner, 7 p. dactyl., AWB, 2BA24, Dr6, p. 1.
99 Ibid., p. 2.
100 L’Année Politique 1956, Paris, PUF, 1957, p. 210.
101 Procès-verbal de la réunion du 4 juillet 1956 à la Banque de France sous la présidence de M. le Gouverneur Baumgartner, doc. cité, p. 3.
102 Ibid., p. 4.
103 Henri Koch dans les analyses qu’il consacre au développement du crédit à moyen terme dans son Histoire de la Banque de France et de la monnaie sous la Quatrième République, op. cit., passim, ne parvient pas vraiment à rendre compte de cet attachement du gouverneur pour un procédé de financement qu’il juge au fond lui-même condamnable ; il n’est pas non plus très convaincant quand il estime que dès 1953, Baumgartner était hostile au procédé (p. 246 sqq).
104 Audition de Wilfrid Baumgartner devant le Conseil économique et social le 11 mars 1953, AWB, 2BA9, Dr6, p. 42-45.
105 Compte rendu des opérations de la Banque de France pour l’exercice de 1952, Paris, Imprimerie Paul Dupont, 1953, p. 28.
106 Allocution de W. Baumgartner au banquet du Comité républicain du 27 avril 1955, doc. cité, p. 19 (version effectivement prononcée).
107 Sténotypie de la séance du CNC du 28 juillet 1954, ABF, p. 44.
108 Topalov (Christian), Le logement en France, Histoire d’une marchandise impossible, Paris, Presses de la FNSP, 1987, p. 331 sqq. et Effosse (Sabine), L’invention du logement aidé en France, op. cit., p. 359 sqq.
109 Sténotypie de la séance du CNC du 3 mars 1955, ABF, p. 51-52.
110 Carré (Jean-Jacques), Dubois (Paul) et Malinvaud (Edmond), Abrégé de la croissance française, op. cit., p. 192.
111 Sténotypie de la séance du conseil général du 6 décembre 1956, ABF, boîte 7e, H 192, p. 5-6.
112 Sténotypie de la séance du conseil général du 20 décembre 1956, ABF, boîte 7e, H 192, p. 5-6.
113 Ibid., p. 13-14.
114 Ibid.
115 Ibid., p. 17.
116 Ibid., p. 9.
117 Ibid., p. 10.
118 Ibid.
119 David (Jacques-Henri), « Le rôle du crédit à moyen terme mobilisable dans le financement de la croissance d’après-guerre », Bulletin d’Information économique de la Caisse nationale des marchés de l’État, n° 79, automne 1978, p. 61-77.
120 Feiertag (Olivier), « Les banques d’émission et la croissance économique en Europe (1945- 1973) », Politiques et pratiques des banques d’émission en Europe…, op. cit., p. 596-622.
121 Sténotypie de la séance du CNC du 25 octobre 1956, ABF, p. 23.
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