Chapitre VIII. La Banque de France et l’État dans le « drame de la trésorerie » : le pouvoir politique du gouverneur (1952-1954)
p. 391-437
Texte intégral
1Au cœur du « drame de la trésorerie »1 dépeint par Edgar Faure qui en fut entre 1952 et 1954 l’un des acteurs les plus en vue, la question des avances de la Banque de France à l’État a été le plus passionnément disputée. C’est qu’elles posaient depuis la fondation de l’Institut d’émission une série de problèmes aussi essentiels qu’épineux2. Elles motivaient l’accusation de nourrir l’inflation, « le péché monétaire de l’occident », et mettaient en cause l’indépendance même de l’Institut d’émission. Elles touchaient de la sorte à des valeurs aussi fondamentales que la foi dans la monnaie et le droit régalien de battre cette monnaie. La sanction parlementaire qu’elles nécessitaient aggravait encore leur solennité, mêlait surtout à une procédure au vrai assez ordinaire de trésorerie des considérations politiques où le jugement de l’opinion interférait. Surtout, les concours de la Banque à l’État plaçaient le gouvernement du moment en position de demandeur vis-à-vis d’une institution qui, au moins jusqu’à sa nationalisation, pouvait ne pas partager ses options politiques. Les précédents fameux de la faillite du Cartel des gauches ou de l’opposition des régents à Flandin en janvier 1935, étudiés par Jean-Noël Jeanneney3, ont montré que ce n’est pas là pure hypothèse d’école. Entre 1952 et 1954, de la célèbre lettre du gouverneur Wilfrid Baumgartner au président du Conseil Edgar Faure à la systématisation des vertus du « circuit » du Trésor, l’histoire des relations de trésorerie entre la Banque et l’État projette une vive lumière sur les pouvoirs de la banque d’émission nationalisée ; elle permet de mieux saisir les rapports entretenus par la Banque, par son gouverneur, avec les jeux très changeants de la vie politique du moment, mais aussi de façon plus inattendue peut-être avec les milieux d’affaires. Surtout, elle illustre la façon dont, au sein même de la Banque, entre le conseil général et le « gouvernement » de la Maison, les pouvoirs étaient répartis, les débats tranchés, les décisions adoptées. La part qui revient à l’Institut d’émission dans la gestion de la trésorerie de l’État met en question aussi bien la réalité de son appartenance toute récente à l’État que le problème très discuté de l’indépendance, affichée, souhaitée ou déplorée, d’une banque centrale moderne4.
LA BANQUE DE FRANCE, « BANQUIER NATUREL » DU TRÉSOR ?
2À compter de 1952, l’évolution des charges publiques, sous le poids conjugué des dépenses militaires, des dépenses à finalité économique et de la diminution de l’aide américaine, contribua à accroître régulièrement le montant de l’impasse budgétaire. « Un mot assez inquiétant, ironisait Baumgartner, parce qu’il semble indiquer que ce déficit, on ne le comblera pas ! »5 Il croyait d’ailleurs discerner dans cette expression la marque du nouvel esprit du ministère des Finances « où un certain relâchement de style parmi les nouvelles recrues de l’Inspection des finances a donné un goût récent et assez développé pour les images »6. Simple conflit de générations entre la vieille inspection et les jeunes inspecteurs sortis des rangs de l’ENA depuis 1947, ou expression de divergences de vues plus essentielles sur le rôle économique des finances publiques ? L’évolution des dépenses publiques et du déficit budgétaire entre 1949 et 1957 fournit en tout cas une vue cavalière assez précise du problème des avances de la Banque à l’État (cf. figure n° 21).
3La croissance des dépenses publiques, continue dans toute la période, apparaît à l’évidence particulièrement accusée en 1952 (+ 20 % par rapport à 1951) et en 1956 (+ 15 % par rapport à 1955). Le fait saillant est que l’impasse a augmenté plus vite que les dépenses : + 50 % entre 1951 et 1952 ; + 40 % entre 1955 et 1956. Quelle influence eut cette évolution sur les modes de financement du déficit ? Le problème des avances de la Banque à l’État amène à distinguer, classiquement, entre les ressources de caractère d’épargne et les ressources monétaires. Celles-ci comprennent essentiellement les portefeuilles bancaires des bons du Trésor, les CCP et les concours directs et indirects de la Banque à l’État ; celles-là recouvrent les emprunts publics à moyen et long terme et les dépôts des correspondants du Trésor.
4Au vu du graphique, la première surprise consiste dans l’importance relative, pendant toute la période, du financement au moyen de ressources longues, à caractère d’épargne et donc non-inflationnistes. La couverture de l’impasse au moyen de ressources à caractère monétaire concerna surtout les années 1951-1953. La prédominance du recours au marché financier et aux dépôts des correspondants réduisit d’autant le poids des concours de l’Institut d’émission au Trésor et aboutit à ramener la question des avances directes à de plus justes proportions. Ceci est d’autant plus vrai qu’au sein des ressources dites monétaires, les concours de la Banque, globalement sur l’ensemble de la période, sont loin de représenter la plus grande part..
5À l’évidence, le recours à la Banque de France fut globalement marginal : ses concours financèrent à peine 10 % du total des déficits cumulés de la période 1949-1956. En revanche, la part des ressources apportées par les CCP, dont la progression était interrompue depuis 1945, et par les concours du système bancaire est autrement plus importante. Il n’en demeure pas moins que certaines années la part des concours de la Banque couvrit dans une plus large proportion le déficit, contrastant d’autant plus nettement avec la modicité de leur apport pour l’ensemble de la période. De ce point de vue, les années 1952 et plus encore 1953 apparaissent exceptionnelles.
6L’importance des concours de la Banque au Trésor en 1952-1953 s’éclaire davantage encore si l’on considère la nature de ces concours : à côté des avances directes, autorisées par le Parlement dans le cadre d’un plafond également fixé par la loi, la banque d’émission pouvait également accorder à l’État des concours de trésorerie indirects, d’une part par le moyen marginal de la frappe de monnaie divisionnaire, mais d’autre part surtout par la voie de l’escompte des obligations cautionnées. Comparables aux acceptations du Crédit national créées en octobre 19407, les obligations cautionnées représentaient des crédits consentis par l’État à des entreprises, à un taux plus avantageux que par le système bancaire, pour une durée de 3 ou 4 mois, en règlement de certains impôts et des droits de douane. Déjà pratiqué au xixe siècle, le mécanisme s’enrichit, à partir du printemps 1948, de la possibilité d’une mobilisation par l’Institut d’émission. Le montant des obligations cautionnées dans le portefeuille de la Banque connut dès lors une vigoureuse progression, passant de 14 milliards en 1949 à plus de 200 milliards en 19588. Leur part dans le financement de l’impasse en 1952 était loin d’être négligeable en regard des autres types de concours de la Banque à l’État, mais elle diminua en revanche de façon notable en 1953, comme le montre clairement la comparaison des concours de la Banque de France à l’État pour ces deux années (cf. figure n° 25).
7Le recours accentué à la procédure des avances directes en 1953 et concurremment le recul significatif du refinancement des obligations cautionnées, qui ont fait alors l’objet d’un remboursement massif, posent une série de questions qui dépassent le seul horizon des différentes techniques d’alimentation de la trésorerie de l’État. L’escompte des obligations cautionnées constituait en effet, à la différence des avances légales, un concours indirect de la Banque à l’État, fourni en dehors de toute sanction parlementaire. Que signifiait alors la préférence pour les avances directes quand d’autres solutions techniques existaient ? La question est loin d’être secondaire ; elle renvoie avec force aussi bien au problème de l’autonomie de l’Institut d’émission qu’à la possibilité d’une intervention de la Banque de France dans le champ proprement politique. Si les avances de la Banque sont un moyen d’influence possible, leur poids relativement faible, au total, dans le financement global de l’impasse, pose du point de vue du Trésor cette fois la question de leur nécessité : pourquoi le gouvernement sollicite-t-il les concours de la banque d’émission, au risque de marchander sa souveraineté, alors que les apports du système bancaire et des CCP lui donnent les moyens de boucler le circuit de son financement ? La question des avances directes de la Banque à l’État semble donc, sous la Quatrième République encore, avoir été au cœur d’enjeux où les options techniques pouvaient atteindre à des considérations plus nettement politiques. L’histoire des avances consenties en 1952 et 1953 fait en tout cas apparaître avec quelque netteté l’étendue et les limites des pouvoirs dont pouvaient alors disposer la Banque et son gouverneur.
LA LETTRE À EDGAR FAURE DU 29 FÉVRIER 1952
8Au début de 1952, le plafond des avances provisoires à l’État, fixé à 175 milliards depuis le 31 mars 1949, était quasiment atteint. Or l’aggravation du déficit budgétaire au cours des mois de janvier et de février fut rapide, sous le poids sans cesse accru des dépenses militaires. Les difficultés de la trésorerie conduisirent donc le gouvernement Edgar Faure à se tourner vers la Banque pour assurer l’échéance de la fin février. Ce fut l’occasion que choisit Wilfrid Baumgartner pour adresser au président du Conseil une lettre de remontrances restée depuis dans les annales.
9Mais la lettre du 29 février 1952 n’était qu’un des maillons du lien épistolaire noué entre le gouverneur de la Banque de France et le président du Conseil également chargé du portefeuille des Finances dans le gouvernement qu’il avait formé le 20 janvier. À la vérité, Edgar Faure était déjà un familier de la rue de Rivoli ; il y était entré dans le sillage de Maurice Petsche qui en avait fait son secrétaire d’État aux Finances au tout début de 1949, c’est-à-dire au moment où Baumgartner était nommé à la Banque de France. La lettre à E. Faure s’enracinait donc dans une histoire déjà ancienne et comportait une genèse dont il importe de dégager les étapes successives.
10Dès le 30 janvier, soit dix jours à peine après la formation du nouveau cabinet, Baumgartner avait composé un premier mémorandum d’une dizaine de feuillets à l’intention du ministre des Finances9 : ce document, très éclairant sur l’évolution des conceptions du gouverneur à cette date, comportait, d’une part, une analyse des difficultés financières de la France assortie des mesures immédiates à prendre et, d’autre part, les grands traits d’un programme de redressement à plus long terme. Le ton, d’emblée, était dramatique et faisait de la défense du franc une priorité nationale :
11« Je suis extrêmement anxieux des conditions dans lesquelles évolue le problème monétaire français. La monnaie, c’est l’expression de la valeur d’un pays, Le franc, c’est la France. La dégradation du franc, c’est l’abaissement de la France ».10 Or, dans l’immédiat, le péril était, selon lui, double : il provenait à la fois « d’un déficit en francs dans la balance du Trésor et d’un déficit en devises dans la balance de la France »11. Mais la gravité de la situation, à l’en croire, n’était malheureusement pas bien perçue :
« Le scepticisme profond des milieux d’affaires quant à la valeur du franc, […] la croyance des milieux politiques que tout s’arrange toujours […] risquent de nous mener à l’abîme. »12
12Le chemin du redressement, selon le gouverneur de la banque centrale, appelait la mise en œuvre d’une série de mesures dont il entreprit de dresser une liste détaillée, traçant ainsi sans équivoque les grandes lignes « de l’action gouvernementale à entreprendre ». Le contenu de ce programme mérite l’attention car il projette un jour assez neuf sur la politique économique suivie en 1952-1953, à l’occasion notamment de « l’expérience » Pinay.
13Renouant avec les options qu’il avait déjà défendues en 1948, Wilfrid Baumgartner, au début de 1952, continuait à préconiser un alourdissement de la fiscalité : conjointement à une amélioration du rendement fiscal, il fallait aussi « des impôts nouveaux ». Il suggérait par exemple l’instauration, « à l’instar de l’Angleterre », « d’une lourde taxe sur les automobiles à la sortie de l’usine »13. Pour lutter contre l’inflation, il fallait mettre fin au soutien artificiel des prix et réformer le fonctionnement de l’échelle mobile des salaires qui « est, en soi, un symbole de l’instabilité monétaire ». Cependant, ajoutait Baumgartner, elle pouvait aussi jouer le rôle d’un utile garde-fou « à la condition que la détermination de la base de départ soit fixée de façon adéquate ». Pour la première fois aussi se faisait jour, sous la plume du gouverneur, la possibilité d’une réduction des investissements publics :
« En ce qui concerne les investissements économiques, il est certain que leur poids, compte tenu du fardeau militaire jugé nécessaire du point de vue de l’intérêt national, reste lourd. Il faudrait à tout le moins supprimer ou réduire, en dépit du vote déjà acquis des crédits, certains chapitres qui ne sont pas compatibles avec la situation présente. »14
14Les coupes préconisées affectaient aussi bien les investissements agricoles que le financement du fonds routier ou du FIDES. « Allant plus loin », Baumgartner proposait même la suspension temporaire des prêts aux collectivités territoriales, le ralentissement du rythme de la reconstruction ainsi que l’aggravation du « filtrage déjà rigoureux que la Banque […] appliqu[ait] aux investissements industriels ». Il excluait, par ailleurs, tout aménagement des conditions nettement restrictives faites à la politique du crédit depuis l’automne 1951, rappelant « que tous les pays étrangers, toutes les banques centrales, quelles que soient les tendances des gouvernements au pouvoir ont orienté leur action dans le même sens ». C’était commencer à percevoir, idée enseignée par les répercussions de la guerre de Corée et destinée à faire carrière, que la France faisait désormais partie d’un tout et que les jours de l’exception française étaient comptés. C’est pourquoi il jugea bon d’avertir que la possibilité d’un retour sur les libérations déjà admises de conserve avec les partenaires de la France au sein de l’UEP serait au plus haut point « grave et discutable ». Il écartait, dans le même ordre d’idée, l’éventualité d’une dévaluation qui, selon lui, ne pourrait alors être effectuée que « dans le vide ». Un appel au travail, à l’épargne, à l’effort continu de l’État et des particuliers concluait le programme, bien dans la manière du gouverneur que semble toujours habiter la sévère mais confiante vision d’un prédicateur :
« C’est la voie qui mène à plus de bonheur et aussi à plus de force. Sur cette voie, il faut dès à présent s’engager. […] La France a toujours été admirable dans la catastrophe et après la catastrophe. Ne peut-elle l’être avant ? »15
15Le message fut apparemment bien reçu par le président du Conseil qui alla jusqu’à citer devant l’Assemblée nationale, à l’appui de ses projets d’aggravation de la fiscalité, un passage du mémorandum qu’« un grand économiste [sic] [lui] écrivait ces jours-ci »16.
16Le 19 février pourtant, la pression de la Banque se fit un peu plus forte. Un deuxième mémorandum17 avertissait le président du Conseil que les périls annoncés trois semaines auparavant étaient devenus réalité et que le Trésor serait obligé « dans les tout prochains jours » de demander à l’Institut d’émission une augmentation des avances directes à l’État. Baumgartner entendait ainsi prévenir E. Faure que, placé devant cette éventualité, le conseil général de la Banque afficherait « la plus extrême réticence ». C’était donc la première semonce faite au nom du conseil général, la deuxième fit l’objet de la fameuse lettre du 29 février, la seule à avoir été rendue publique.
17Le cabinet Faure avait été désavoué dans la nuit du 28 au 29, alors qu’il avait décidé, à la hâte « car la trésorerie était à sec »18, de soumettre aux députés ses projets financiers qui comportaient de fait un effort fiscal accru. Le lendemain matin, le gouverneur donna lecture au conseil général réuni en séance extraordinaire d’une lettre du président démissionnaire, datée du matin même, lui demandant de « bien vouloir soumettre au conseil général de la Banque, dans les meilleurs délais possibles, le projet d’une convention assurant au
18Trésor le concours immédiat qui lui [était] indispensable »19. Or le conseil, « après en avoir délibéré, s[e] refus[a] à augmenter la marge des avances provisoires de la Banque à l’État »20. Toutefois, il considérait qu’ « il ne pouvait pas refuser, au moment où la France [était] privée de pouvoir, le concours immédiat nécessaire pour éviter l’interruption des paiements de l’État ». L’Institut d’émission acceptait donc libéralement d’acheter pour 25 milliards de bons du Trésor à l’échéance fort rapprochée du 20 mars 1952. Et le conseil général profita de l’occasion pour évoquer l’indispensable redressement « qu’il réclam[ait] » et pour faire savoir que son « sentiment profond » était que « l’État comme les particuliers, viv[aient] au-dessus de leurs moyens »21. Rendue publique par Edgar Faure, à qui le gouverneur avait laissé sur ce point toute latitude22, la mercuriale fut reprise les jours suivants dans l’ensemble de la presse, y compris à l’étranger, avec un indéniable retentissement. Faure s’était-il trompé pour une fois ? Il admet complaisamment dans ses mémoires23 avoir sans doute commis « une erreur tactique » en publiant la lettre et s’interroge, comme l’historien, sur la partie jouée par Baumgartner dans cette affaire.
19Mais peut-on définitivement écarter l’hypothèse selon laquelle le président du Conseil lui-même aurait commandé la lettre dans le but de mettre le Parlement devant ses responsabilités ? L’épisode de la lettre à Edgar Faure est en effet l’objet d’une double tradition orale, avantage et inconvénient de l’histoire toujours contemporaine, qui rend sa paternité incertaine24. Les sources écrites disponibles en tout cas confirment plutôt que le président du Conseil était étranger à l’initiative : le témoignage peu avantageux qu’il a livré dans des mémoires où le souci de la postérité est pourtant considérable, le récit que fit Vincent Auriol de la froide colère du président démissionnaire à la réception de la lettre25, la version que donna Baumgartner lui-même au conseil général de l’accueil irrité qu’il réserva à la missive26 semblent bien indiquer que l’idée de cette lettre n’avait sans doute pas reçu l’adhésion préalable de celui-ci. Mais la suite de la correspondance entre les deux hommes, restés proches, ne permet pas de l’établir de façon certaine : le 29 juillet 1952, E. Faure écrivit en effet à W. Baumgartner pour exprimer son agacement à la suite de la présentation « déformée, tendancieuse et désobligeante » que l’Agence française de presse, de son propre avis « agence officielle », venait de donner à la radio de l’affaire de la lettre27. Le commentaire, selon lui, avait « donné l’impression » que la lettre constituait « une réprimande adressée au Gouvernement qu’[il avait eu] l’honneur de présider »28. Il concluait, d’une façon plutôt elliptique, en priant Baumgartner de bien vouloir faire connaître son « point de vue à cet égard ». Un mois plus tard, par une lettre datée du 29 août, le gouverneur pouvait lui confirmer que « les observations nécessaires avaient été présentées à Matignon et [que] le président du Conseil [lui avait] parlé de l’incident au cours d’un entretien qu’il [lui avait] accordé dans la semaine »29. De fait, Baumgartner, de retour de vacances, s’était rendu le 28 août chez Antoine Pinay30. La lettre du 29 février, répondait encore le gouverneur à Faure, « que vous aviez publiée, n’était aucunement, pour reprendre votre expression, une réprimande adressée à tel gouvernement mais une tentative parmi d’autres pour éveiller une opinion un peu trop indifférente à l’égard de la monnaie »31. Si une ambiguïté, décidément, subsiste, il n’en reste pas moins que la responsabilité pleine et entière de la lettre fut endossée par le gouverneur et le conseil général de la Banque. Et l’analyse des débats du conseil général qui ont préludé à la rédaction de la lettre permet d’illustrer la réalité des pouvoirs dont la Banque en cette occasion semble bien avoir fait usage.
20La lettre du 29 février n’est-elle, comme l’estime François Bloch-Lainé, que le « dernier éclat d’un astre éclipsé »32, ou bien peut-elle nourrir au-delà de 1945 la liaison nécessairement discrète et donc facilement exagérée qui, à plusieurs reprises depuis sa fondation, a rapproché la Banque des jeux quelquefois délétères du pouvoir ? Le conseil général de la Banque paraît en tout cas avoir joué dans cette partie un rôle non négligeable, peu compatible avec la docilité qu’on lui suppose le plus souvent33. Il réunissait depuis 1945 dix-huit personnes. En l’absence donc des nouveaux statuts, les dispositions établies en juillet 1936 continuaient à prévaloir : sur les vingt membres qui formaient le Conseil avant la Libération, seuls les deux représentants des actionnaires avaient disparu du fait de la nationalisation. Le conseil en 1952 était, certes, composé alors en majorité de fonctionnaires mais leur docilité à l’égard du gouvernement n’apparaît pas plus marquée que celle manifestée dans la même période par les présidents des grandes banques nationalisées. Les voix de Georges Gaussel, de Pierre Grimanelli, directeur des programmes aux Affaires économiques, ou encore de Marcel Lambert des établissements du même nom, se faisaient en effet entendre plus souvent qu’à leur tour, face à ceux que la rumeur appelait les « mages » : Jacques Brunet, directeur général du Crédit national, Henri Deroy, gouverneur du Crédit foncier, et Wilfrid Baumgartner. Le gouverneur de la Banque lui-même fit, non sans bonheur, allusion à cette qualification dans l’hommage qu’il rendit en 1955 à Deroy qui quittait le conseil général de la Banque :
« Hier soir, sur la pente de la rêverie, en pensant au discours que je devais vous tenir, le hasard malicieux m’a fait tomber sur ce poème de Hugo qui est intitulé Les Mages, et j’ai détaché ce vers qu’au moment où vous franchissez une nouvelle étape de votre vie vous me laisserez vous dédier : L’aspect change, l’unité reste. »34
21L’appellation pour être poétique n’en posait pas moins la question du pouvoir de ces hommes qui tenait sans doute moins de la magie que de la technique. En face, au moins en apparence, se tenaient les deux censeurs de l’État. C’étaient à cette date Guillaume Guindey, le directeur des Finances extérieures et le directeur du Trésor, François Bloch-Lainé. Voilà donc les personnages principaux de cette séance extraordinaire du conseil général du vendredi 29 février 1952 consacrée à l’examen de la demande d’un nouveau concours de l’Institut d’émission à l’État35. Ce drame en trois actes jette une lumière assez crue sur les pouvoirs de la Banque après 1945 et sur la nature des rapports qui pouvaient lier son destin à celui du gouvernement.
22D’emblée, l’exposé liminaire du gouverneur évoqua non sans solennité « l’hypothèse dans laquelle, la Banque refusant les concours, le Trésor se trouverait inscrit en rouge sur les livres de la Banque ce soir »36. Mais c’était pour souligner aussitôt le caractère terrible « des conséquences que pourraient avoir la fermeture des caisses publiques et l’arrêt des paiements de l’État à partir de demain matin ». D’autant que la vacance du pouvoir – on le sait, le cabinet Faure avait dans la nuit été mis en minorité au palais Bourbon – dictait son devoir à la Banque qui n’allait pas se couvrir de la gloire douteuse, pour reprendre la forte expression de F. Bloch-Lainé, de « tirer sur une ambulance »37. Pour Georges Gaussel aussi, les conséquences d’une banqueroute de l’État « seraient immenses et, ajoutait-il, nous nous repentirions, un jour, d’avoir eu cette audace ». Cependant, poursuivait-il, la Banque pouvait aussi bien mettre le gouvernement devant ses responsabilités, en le contraignant, par son refus d’accorder les avances demandées, à recourir à la force d’une loi : la Banque se serait contentée dès lors d’obéir à une décision d’ordre juridique. Et Gaussel de rappeler que cette éventualité avait déjà été évoquée aux heures sombres de l’Occupation, Baumgartner et lui siégeaient déjà à la table du conseil, au moment où l’Institut d’émission, confronté aux demandes financières des Allemands, avait examiné la possibilité de refuser d’y accéder rejetant sur l’État seul la responsabilité d’une décision qui n’aurait pas engagé la banque d’émission. La réponse de Baumgartner est du plus haut intérêt : il rappela qu’à l’occasion du débat évoqué par Gaussel il avait précisément soutenu, contre l’avis du gouverneur de l’époque, Bréart de Boisanger, que la Banque ne devait pas se soumettre d’elle-même à une stricte obéissance juridique, laissant l’État seul maître des décisions intéressant la politique monétaire. La Banque de France, ajouta Baumgartner, garderait certainement les mains propres si elle n’avait plus de mains. En 1952, le gouverneur était toujours partisan de ne pas se retirer sur l’Aventin : « Pour ma part, si faibles que nous soyons, je crois que nous représentons encore quelque chose ». Il fut alors épaulé par H. Deroy qui fit remarquer « que mieux vaut, en effet, garder le caractère contractuel qui permet des discussions, des conversations, et qui peut permettre de dire certaines choses ». Jacques Brunet, à son tour, vint à la rescousse, soulignant que « la pire solution serait celle qui consacrerait la mainmise totale de l’État sur la Banque en admettant qu’une loi permît à la Banque d’apporter directement son concours au Trésor ».
23Dès lors, le champ était libre pour que s’imposât la solution préconisée par le gouverneur : une fois accepté le principe de l’avance demandée, il restait à définir ce concours « dont les modalités, rappela Baumgartner, ne nous ont pas été précisées. […] En s’en remettant à la Banque, le Gouvernement, au fond, nous laisse juges des modalités qui seraient le plus opportunes ». Après avoir rappelé l’existence des deux aide-mémoire parvenus par ses soins à Faure, il entreprit de dévoiler sa pensée :
« Ce que nous pouvons faire, c’est choisir des modalités, un montant et une durée qui, tout en remédiant à l’immédiat, soulignent la nécessité impérieuse et urgente à la fois de la constitution du Gouvernement et de la réalisation d’un programme et qui, si possible par leur teneur même, aident à cette constitution et aident à l’élaboration de ce programme ».
24On ne pouvait être plus clair : la détermination par le conseil des modalités techniques du concours demandé devait avoir une incidence politique directe. Commentant le texte de la convention que la Banque avait décidé de soumettre au gouvernement, Baumgartner montra l’importance d’un délai de remboursement court, d’à peine un mois ; d’un point de vue technique, sans doute, cette brièveté était discutable, et « M. Bloch-Lainé nous dira tout à l’heure certainement les réserves qu’il se doit, de son point de vue, de formuler quant aux possibilités, à l’échéance, de rembourser cette avance ». Mais, si cette vue était justifiée du point de vue précisément technique où se plaçait un directeur du Trésor, « du point de vue, si j’ose dire politique, reprit le gouverneur, je crois pour ma part que, si un Gouvernement se constituait vite, si son programme était tel qu’il permît de renverser la tendance, nous pourrions avoir du côté de la trésorerie des surprises heureuses ». C’était désigner à mots couverts les vertus quelque peu magiques d’un retour à la confiance. Invoquant explicitement les mannes de Poincaré, Baumgartner concluait : « C’est cette carte-là que nous devons essayer, dans la mesure même de nos faibles moyens, de favoriser ».
25La nécessité de la lettre à E. Faure en découlait ainsi naturellement. Pour peu que le président du Conseil acceptât de lui donner toute la publicité voulue, elle pouvait aboutir à créer un mouvement d’opinion à même de peser sur un Parlement coupé des réalités et, martelait Marcel Lambert, ignorant « de la gravité de la situation ». Ce sentiment de défiance vis-à-vis du corps législatif paraît avoir été partagé par la majorité des membres du Conseil. C’est un point à souligner, quand on connaît la nature des rapports pour le moins circonspects qu’Antoine Pinay devait précisément entretenir avec les députés au cours de son passage au pouvoir38. L’étude des réactions multiples provoquées dans la presse, surtout locale, de Nogent-le-Rotrou à Oran39, montre que cette défiance a rencontré l’expression d’un antiparlementarisme fortement répandu dans de larges couches de la société. La lettre à E. Faure a correspondu, sans équivoque possible, au désir de la Banque de prendre part au jeu politique en favorisant, par un appel direct à l’opinion et dans le but de peser par là sur la décision du Parlement, la constitution d’un gouvernement dont le programme, fondé sur la confiance, aurait pu s’inspirer de l’essentiel des mesures de redressement préconisées par Baumgartner depuis le début de l’année. Mais, entre les différentes figures qui peuplaient alors la scène politique et n’allaient pas tarder à se succéder comme dans un jeu d’ombres chinoises, laquelle pouvait prétendre aux faveurs du gouverneur et de sa banque ?
26Paul Dehème, dans sa très confidentielle Lettre, fort prisée des hommes politiques de la période, n’était pas si éloigné de la vérité quand il écrivait, au cœur de la crise politique ouverte par la démission de Faure, que le gouverneur de la Banque de France était un peu « l’arbitre de la situation » dans la mesure où la lettre du 29 devait être rien moins que « la Charte du prochain Gouvernement »40. En fait, si l’historien doit sans doute renoncer à sonder les reins et les cœurs, il importe cependant de bien prendre la mesure du large écho rencontré par la lettre dans l’ensemble de la presse, y compris à l’étranger. Dans une période où les journaux étaient encore le principal moyen d’information, leur rôle dans la naissance d’un véritable mouvement d’opinion était déterminant. C’est ainsi qu’Étienne Weill-Reynal, professeur de droit à Toulouse, proche de Ramadier, s’efforçait dans l’éditorial du Populaire de percer « l’obscurité » de la lettre du gouverneur, tout imprégnée de « la solennité tragique d’un oracle de Delphes »41. La rumeur d’un gouvernement « technicien » confié à Wilfrid Baumgartner lui-même prit aussi une certaine consistance, particulièrement dans la presse de la France rurale de l’ouest, jusqu’à parvenir, sous la plume de Rémy Roure, dans les colonnes du Monde42. Baumgartner était replacé dans la lignée des grands commis qui ont fait la France, de Colbert au baron Louis et à Poincaré43 ; à l’opposé, l’hebdomadaire du Parti communiste, France Nouvelle, citant à l’appui la généalogie du gouverneur, le présentait toujours comme « l’homme des deux cents familles et de la pire réaction, ayant fait reposer les finances françaises sur l’aide américaine »44, alors que Paris Match choisissait de consacrer un grand reportage photographique à la Banque et à son gouverneur sous le titre : « Dans la crise, une place forte : la Banque de France »45. À un autre niveau, Gaston Jèze se réjouissait de « la révolte du Conseil général » car, avançait-il, « l’indépendance de l’Institut d’émission est la condition sine qua non du redressement financier »46 ; dans un même ordre d’idée, mais partant de prémisses opposées, L’Observateur demandait s’il fallait « nationaliser la Banque de France » et concluait que la nationalisation de 1945 était « un intéressant exemple de nationalisation manquée, d’une de ces transformations juridiques qui apaisent les esprits sans changer le fond des choses »47. Les réactions, à gauche, à l’audace du gouverneur furent d’ailleurs dans l’ensemble très vives. Le Canard enchaîné, sous la plume de Morvan Lebesque, fut le plus en pointe et le plus caustique aussi :
« Ça y est ! On l’attendait au cadran de nos médiocrités, l’heure de la Pénitence ! On les flairait au virage, nos Longues-Figures, nos Mains- Jointes, nos Moralistes-Pas-Morts ! De M. Baumgartner, régent [sic] de la Banque de France, à l’éditorialiste du Daily Mirror, c’est à qui fera sa rentrée, l’index tendu et la poitrine gonflée de soupirs. Un pays qui vit au-dessus de ses moyens… Tragique insouciance de tout un peuple… Une fois de plus, la France est envoyée au petit coin de la classe, comme une gamine dissipée. Pénitence ! Qu’elle s’agenouille, la petite fille, et qu’elle demande pardon ! Elle a mangé ! Elle a bu ! Elle est allée au cinéma ! Elle a dansé ! Pénitence ! Pénitence ! »48
27Pour une large fraction de l’opinion de gauche, sept ans après la fin de la guerre, la lettre du gouverneur fut perçue comme l’expression de la pire réaction politique et l’indice du retour au pouvoir, sinon des hommes, du moins de valeurs alors identifiées au régime de Vichy. C’était le sens profond du commentaire que L’Observateur donna, quelques semaines après, de l’épisode qu’il interprétait comme la marque « du libéralisme retrouvé », et il concluait que « le lecteur de L’Agence économique et financière n’[avait] jamais rien demandé d’autre »49.
28Cette revue de presse n’est pas exhaustive ; elle témoigne du retentissement de la lettre du 29 février et éclaire la réalité de l’audience dont fut alors crédité de tout bord et avec une ampleur inédite le gouverneur de la banque centrale.
29À l’étranger également, comme le soulignait déjà Le Canard enchaîné, l’avertissement de la Banque fit l’objet d’un commentaire dans la plupart des quotidiens européens. Aux États-Unis, au moins dans les milieux proches du Congrès, l’audience du gouverneur fut réelle. C’est Maurice Frère, le gouverneur de la Banque nationale de Belgique, dont la proximité avec Baumgartner était comme on l’a vu très grande, qui se chargea apparemment de la diffusion de la lettre dans les milieux politiques américains. Pierre-Paul Schweitzer, l’attaché financier de la France, s’en fit l’écho dans un courrier confidentiel à Guillaume Guindey, le directeur des Finances extérieures, en avril 1952 : il soulignait la coïncidence entre le séjour de Frère à Washington et le soudain intérêt des parlementaires pour la lettre de Baumgartner, qui, écrivait-il, « a été ronéotée et distribuée très largement à tous les membres du Congrès »50. Et, toujours selon Schweitzer, lorsque David Bruce, chef de la mission économique américaine à Paris, vint plaider devant la Chambre des représentants le dossier de l’aide à accorder à la France, « tous les membres du Comité présents avaient bien entendu cette lettre devant eux et ils s’en sont servis pour prétendre, en s’appuyant sur l’autorité du Gouverneur, que toutes nos difficultés étaient dues à notre politique inflationniste et que l’Administration américaine avait grand tort de continuer à nous aider malgré cela »51. Il apparaît ainsi que passée outre-Atlantique, la lettre avait même ajouté des pressions américaines au mouvement destiné, en France, à peser sur l’évolution des finances publiques.
30Ainsi, la lettre à E. Faure a-t-elle d’abord été le moyen d’un appel direct à l’opinion, contribuant à créer une atmosphère propice à la désignation par le Parlement d’un gouvernement qui placerait le redressement monétaire au premier plan de ses préoccupations. Ce point acquis, est-il possible d’aller plus loin et d’attribuer à la Banque et à son gouverneur une ambition allant au-delà de ce simple appel à l’opinion ? L’Aurore notait qu’après avoir rencontré le 5 mars pendant près de deux heures Antoine Pinay, Wilfrid Baumgartner s’était rendu à la Comédie française, dont il était un fidèle, pour la reprise de Six personnages en quête d’auteur de Pirandello. Le gouverneur, pour sa part, avait-il l’intention et le pouvoir de mettre en scène l’un des personnages politiques du moment ?
TROIS PERSONNAGES EN QUÊTE D’AUTEUR
31Le champ de l’influence est par définition difficile à saisir et, en pareille matière, le risque de l’affabulation est grand. Bornons-nous ici à l’avéré et au vérifiable. L’hypothèse d’une connivence avec Edgar Faure ne pouvant pas être établie et l’avenir du président démissionnaire apparaissant alors de toute façon temporairement bouché, il reste à envisager l’existence d’un rapport possible entre Baumgartner et Paul Reynaud, pressenti par Auriol dès le 29, puis avec Antoine Pinay, reçu à l’Élysée le 3 mars52. Faure, Reynaud, Pinay : ce sont bien là les trois personnages de la crise politique de mars 1952.
32On le sait, les liens qui unissaient Baumgartner à Reynaud étaient anciens et étroits, et depuis 1930, la correspondance entre les deux hommes n’avait pas cessé53. Le 4 février 1952, Reynaud écrivait ainsi à son « cher Baum » depuis Marrakech pour le remercier de lui avoir fait parvenir le texte de ses interventions devant le CNC ; il en profitait pour développer son analyse de la crise de trésorerie, dont « la source du mal » était à chercher dans l’inflation monétaire.
« Il serait temps d’être sérieux, lui confiait-il, au lieu d’affirmer comme l’a fait le Comité national du MRP que l’adoption prochaine de l’échelle mobile peut être un facteur de paix sociale. […] Ils appuient sur l’accélérateur en dirigeant vers le gouffre la voiture dans laquelle nous sommes tous embarqués. Et ils tiennent des discours philanthropiques. Affectueusement à vous »54.
33Le discours sur la monnaie n’avait rien d’original ni rien qui pût trahir une influence directe du gouverneur de la Banque, et l’envoi des textes du CNC était somme toute très normal à l’intention d’un ami qui était aussi président de la commission des Finances de l’Assemblée. La communauté d’esprit entre les deux hommes est toutefois indéniable, particulièrement sur le chapitre de la défense de la monnaie et de l’imminence de la catastrophe financière. Elle peut suffire à expliquer la fréquence avec laquelle ils se rencontrèrent avant et après la chute du cabinet Faure : le dimanche 17 février, Baumgartner déjeunait chez Reynaud et, deux jours plus tard, « P. R. », car c’est dès lors sous ces deux initiales qu’il apparaît dans l’agenda du gouverneur55, lui rendait visite à la Banque. Le 29, revenu à la hâte de Londres, Reynaud se rendit à l’invitation d’Auriol, qui lui proposa de former le gouvernement. Le lendemain, Baumgartner fut chez lui dès neuf heures et le revit une seconde fois, toujours chez lui, vers 17 heures. Mais l’échec de Reynaud devant les députés, le dimanche, mit un terme provisoire à ces entrevues répétées. En admettant que Reynaud avait eu la préférence du gouverneur, cette faveur avait trouvé une limite autrement plus forte dans les réalités politiques du moment et les règles du calcul partisan qui prévalaient au palais Bourbon.
34Le lundi, Pinay fut à son tour pressenti. Auriol, qui l’avait convoqué, évoqua d’emblée devant lui la lettre du gouverneur : « L’homme qui a vu clair, lui aurait-il dit, c’est Baumgartner » et Auriol conseilla à Pinay de demander à Baumgartner « un petit programme ». Mais Pinay lui aurait répondu : « Je sais ce que je veux, et cela cadre d’ailleurs avec ce qu’il a dit »56. Dès le soir en tout cas, Baumgartner rencontrait le maire de Saint-Chamond à son hôtel parisien, vers 21 heures. Ils devaient encore se revoir la veille de l’investiture, mais l’entretien fit partie cette fois de la série de consultations préalables menées par Pinay ce jour-là57. De ce calendrier, il ressort que le gouverneur de la Banque, tout le temps que dura la crise politique, avait sans aucun doute possible tenu sa partie dans un ballet compliqué, dont le dénouement dépendait en définitive bien davantage du palais Bourbon que de la place forte de la rue de la Vrillière. Rien n’indique toutefois, dans les papiers du gouverneur, qu’une machine ait alors été conçue, dont la lettre à E. Faure aurait été le Cheval de Troie, pour faciliter l’arrivée au pouvoir de Pinay, ou même de Reynaud. Il n’en demeure pas moins vrai que la politique financière mise en œuvre par Antoine Pinay de mars à décembre 1952 autour du thème de la défense du franc rejoignit sur bien des points, même s’il s’en écarta notablement aussi, essentiellement sur la question de l’emprunt, le programme de redressement confectionné par Wilfrid Baumgartner au début de 1952. La Banque, dans cette affaire, ne fut donc ni le foyer d’une sombre conspiration, ni non plus le lieu d’une expertise neutre et cantonnée dans un rôle seulement technicien. L’action personnelle de son gouverneur, dont l’autorité morale était fondée précisément sur sa réputation technicienne, par exemple auprès d’Auriol, avait su rencontrer un large écho dans l’opinion par le biais de la lettre à E. Faure, qui n’était rien d’autre, déjà, qu’une opération de communication parfaitement menée. Mais Baumgartner n’avait pu pour autant faciliter le retour, pourtant souhaité, de Paul Reynaud aux affaires. L’étude de la politique de la Banque du temps de « l’expérience » Pinay permet de préciser encore les limites du pouvoir d’influence du gouverneur.
35Au début de novembre 1952, les Informations politiques et économiques, le bulletin de liaison du MRP, dénoncèrent le soutien consenti « en silence » depuis plusieurs mois par la Banque de France au gouvernement d’Antoine Pinay au moyen de concours indirects de trésorerie alors que pareille assistance n’avait été accordée à Edgar Faure qu’au prix de la lettre de remontrances du 29 février. « Alors pourquoi deux poids, deux mesures ? »58 demandaient les parlementaires du MRP, Charles Barangé et Lionel Tinguy du Pouët. « Et quelle sera l’attitude [de la Banque] si d’aventure, un malheur est toujours possible, M. Pinay était remplacé par Monsieur X ou Monsieur Z ? »59 Sans insister ici sur les raisons qui poussèrent alors le MRP à se démarquer du « conservatisme » incarné à leurs yeux par Pinay et qui l’amenèrent à lui retirer ses suffrages à la fin de décembre 195260, il faut s’interroger en effet sur le soutien apporté par la Banque à l’homme « de la confiance en politique »61.
36Quelques jours à peine après la formation de son gouvernement, Antoine Pinay annonça publiquement son intention de demander à la Banque le renouvellement de l’avance consentie le 29 février, dont le remboursement avait été alors été fixé par le conseil général à la date fort rapprochée du 10 mars. Ce n’est pourtant que le 13 mars que le ministre des Finances sollicita une nouvelle convention. Pareille désinvolture apparemment avait ému certains membres du conseil général puisque le gouverneur jugea bon devant lui « de se porter garant »62 des intentions du nouveau président du Conseil, plaidant son inexpérience de la procédure. Sur le fond, Baumgartner appuyait sans détour la requête d’Antoine Pinay : « Il n’est pas surprenant, justifiait-il, qu’un nouveau gouvernement qui commence à peine à définir sa politique exprime le souhait d’obtenir de la Banque une aide dont la durée soit un peu moins brève »63. Surtout, le gouverneur exposa au Conseil que la Banque se devait de soutenir « le pari risqué » que constituait le projet du grand emprunt décidé par le président du Conseil. Le revirement était manifeste et bien des membres du conseil général regimbèrent à couvrir de leur autorité ce qui pouvait passer aux yeux de l’opinion comme une palinodie grossière. La réaction de Pierre Grimanelli fut la plus virulente :
« À un moment où la politique du Gouvernement vise à restaurer la confiance, je me demande si la proposition dont est saisi le Conseil et qui tend à accorder à l’État […] des facilités dont on n’est même pas certain qu’elles soient suffisantes, entre bien dans le cadre d’un programme d’assainissement. »64
37Mais la résolution de Baumgartner d’appuyer l’action de Pinay était telle que le conseil, cette fois encore, s’inclina et vota à l’unanimité, moins la voix du directeur des Programmes, la convention de renouvellement. Les raisons de ce soutien méritent examen.
38Wilfrid Baumgartner et Antoine Pinay n’appartenaient pas au même monde. L’opposition entre les deux hommes est facile à brosser : d’un côté, le major de l’inspection des Finances, le technicien reconnu au Mouvement des fonds comme à la Banque de France, grandi entre la rue de Grenelle et la rue Sainte- Clotilde, familier du faubourg Saint-Germain et des banquiers de New York, l’orateur mondain toujours brillant, aux complets anglais parfaitement coupés65 ; de l’autre, le petit patron tanneur d’une ville moyenne de 16 000 habitants entre Forez et Lyonnais, dépourvu même du certificat d’études, célèbre pour son franc-parler et son banal couvre-chef, si semblable en tout à ses électeurs dont Herriot, cruellement, l’accusait de singer la physionomie66. À l’origine cependant des débuts du maire de Saint-Chamond comme secrétaire d’État aux Affaires économiques du cabinet Queuille de septembre 1948, on retrouve Maurice Petsche67, membre également du parti des indépendants et paysans. C’était donc également, on l’a vu, le milieu politique où évoluait depuis 1947-1948 le gouverneur de la Banque de France. L’appartenance à cette famille commune peut contribuer à expliquer l’incontestable soutien apporté par l’Institut d’émission aux mesures préconisées par Pinay et son entourage et la fréquence avec laquelle Baumgartner rencontra le nouveau président du Conseil entre mars et décembre 195268. Après coup, Baumgartner, au soir de sa vie, confia avoir alors été séduit par les aspects psychologiques du programme d’Antoine Pinay, mais avoua aussi les réticences que lui aurait alors inspirées le projet d’un grand emprunt69. Au printemps 1952 pourtant, le gouverneur n’hésita pas à appuyer de son autorité le lancement d’une opération perçue en effet par ses services comme la « pièce-maîtresse du redressement financier et de la stabilisation monétaire »70. Aux tout premiers jours de l’emprunt, il appela sur les ondes hertziennes les Français à « réhabiliter l’esprit d’épargne » en souscrivant massivement aux nouveaux titres de rentes indexés sur l’or71. Henri Libersart, au nom du cabinet d’Antoine Pinay, le remercia de ce soutien, lui rappelant qu’il lui devait le goût de l’éloquence et l’art de la synthèse « qui donnèrent à vos exposés leur célébrité, et à notre jeunesse l’ambition de les imiter » et plaça l’appel de Baumgartner à l’opinion en faveur de l’emprunt dans une continuité significative avec la publication de la lettre du 29 février :
« L’expérience montre aujourd’hui que l’art de l’expression est étroitement lié au sort des événements, puisqu’entre votre lettre au Chef du précédent gouvernement et votre allocution sur l’emprunt, s’insèrent le point de départ d’une nouvelle situation politique, et le point d’arrivée d’une nouvelle réussite financière. »72
39Le miracle vite attribué à Pinay trouve sans doute une manière d’explication dans cette reconnaissance de la magie du verbe et des appels directs à l’opinion. Au poids de l’éloquence, la Banque ajouta aussi sa force d’intervention financière et les capacités de placement de son réseau de comptoirs, contribuant à assurer un débouché conséquent aux titres de l’emprunt : ainsi la part des titres souscrits à ses guichets fut cette fois de 20 %, alors qu’elle n’avait été que de 10 % à l’occasion du précédent emprunt de 1949 ; tandis que la souscription de la Banque elle-même à l’emprunt s’éleva à trois milliards, contre deux milliards en 194973. Pourtant, malgré l’engagement résolu de la Banque en sa faveur, l’emprunt, « un succès, sans être un grand succès » reconnut Baumgartner quelques mois plus tard74, ne permit pas de mettre un terme aux difficultés chroniques de trésorerie de l’État.
LA BANQUE DE FRANCE ET ANTOINE PINAY
40En dépit de la politique de compressions budgétaires annoncée et qui comportait en effet, comme Baumgartner l’avait préconisé dans son memorandum du 30 janvier, une réduction des dépenses publiques d’investissement de l’ordre d’une centaine de milliards, le déficit ne cessa de s’aggraver au cours de 1952, notamment sous le poids grandissant des dépenses militaires. La situation resta donc extrêmement tendue, comme l’établissait après coup sans détour une note de trésorerie :
« À chaque échéance mensuelle, le montant des réserves de la trésorerie est réduit aux environs de zéro. Après avoir été obligé de demander entre le 29 février et le 15 mai un accroissement de 25 milliards des avances de la Banque de France, le Trésor n’a pu éviter que d’extrême justesse de crever à nouveau le plafond […]. Il termine finalement l’année 1952 avec un volant insignifiant de disponibilités. »75
41Face à l’impécuniosité du Trésor, le soutien de l’Institut d’émission au deuxième semestre 1952 fut incontestable. Il prit exclusivement la forme de concours indirects, de préférence à la procédure autrement plus voyante des avances directes : ainsi s’explique le gonflement dans le portefeuille de la Banque des obligations cautionnées dont la valeur fit plus que doubler entre décembre 1951 et décembre 1952, passant de 71 à 121 milliards76. Elles constituèrent de la sorte le mode principal du financement monétaire de l’impasse en 195277. Mais bien d’autres palliatifs furent utilisés, dont Baumgartner lui-même dressa sans complaisance la liste devant le conseil général à la fin de l’année78 : prise en pension par la Banque d’effets représentatifs de disponibilités du Trésor auprès de la Banque d’Algérie, crédits croisés avec la BRI à deux reprises, et même – « opération, avouait-il, vraiment peu orthodoxe » – conclusion d’un swap pour un montant de 7 milliards avec une banque privée américaine. Guillaume Guindey souligna d’ailleurs, au cours de la même séance du conseil général, la gravité des opérations de swap conclues, et indiqua qu’elles portaient sur des chiffres encore jamais atteints et que l’accord conclu entre le Fonds de stabilisation et la banque américaine revenait à la conclusion d’un contrat de change à terme et donc à hypothéquer l’encaisse de la Banque. Il fallait donc, insistait-il, que l’opération demeurât « isolée et secrète »79.
42Pourtant, en dépit de tous les artifices comptables, l’échéance de la fin de l’année apparut encore problématique : Baumgartner proposa donc de verser par avance au Trésor le dividende qui revenait à l’État actionnaire sur les bénéfices conséquents que la Banque avait dégagés en 1952. Il n’excluait pas non plus, en ultime recours, une intervention sur l’open market, dont il regrettait pourtant, claire allusion à l’article polémique du bulletin du MRP, « qu’on ait un peu trop discuté ces derniers temps ». Mais, concéda-t-il, « dans l’hypothèse où, un 31 décembre par exemple, un écart de quelques milliards serait constaté entre les avoirs et les charges de trésorerie, [il est possible] qu’on soit amené, comme la chose s’est parfois produite dans le passé, à agir par la voie de l’open market pour donner un peu d’aisance au Trésor »80. Le décret du 17 juin 1938 avait en effet autorisé la Banque d’émission à opérer sur le marché monétaire, sauf au profit direct du Trésor. Mais en se portant acquéreur de bons du Trésor détenus par les banques et devenus bancables, c’est-à-dire à échéance de deux ans n’ayant plus que trois mois à courir, l’Institut d’émission augmentait d’autant les capacités d’achat par les banques de bons du Trésor supplémentaires. Le système n’était donc pas dépourvu d’une certaine souplesse et la Banque ne s’était pas fait faute d’en user pour assurer alors avec discrétion les échéances de l’État.
43Le soutien ainsi procuré par la Banque de France au gouvernement d’Antoine Pinay entre mars et décembre 1952 est-il l’indication d’un rôle clairement politique de l’Institut d’émission ? Il serait certes abusif de conclure que le tournant de politique économique et sociale qui a correspondu à l’expérience Pinay ait pu trouver rue de la Vrillière une source d’inspiration directe. L’autonomie de décision du président du Conseil demeurait entière et pouvait se manifester avec éclat, comme par exemple sur la question de la dévaluation, alors conseillée par les techniciens, dont le gouverneur de la banque centrale, refusée sans appel par Pinay et son entourage. Edgar Faure dans ses trop étincelants mémoires l’a déjà dit, du reste, et avec mordant : « Je suis persuadé que la politique financière d’Antoine Pinay ne pouvait lui être entièrement dictée ; dans une large mesure elle était réellement la sienne. C’est ce qui fit sa faiblesse »81. Il n’en demeure pas moins qu’une certaine concordance de vues a pu se faire jour entre les deux hommes que rapprochait, outre leur appartenance, avec de notables nuances, à une même grande famille politique, une conception identique du poids déterminant en matière économique et financière des facteurs d’ordre purement psychologique. François Bloch-Lainé, dont la mutation de la direction du Trésor à la Caisse des dépôts coïncida avec le passage aux affaires d’Antoine Pinay, a reconnu bien après, on l’a déjà relevé, que nombre de hauts fonctionnaires du ministère avaient peut-être sous-estimé alors l’impact du charisme de « l’homme au petit chapeau » et qu’ils auraient pu mêler à la rationalité de leurs techniques un peu du pouvoir magique de l’action psychologique82. Wilfrid Baumgartner, pour sa part, par tempérament et par formation, ne plaçait alors pas si haut la rationalité et la technique. Le directeur du Mouvement des fonds qui avait dans la crise des années 1930 si souvent eu l’occasion, on l’a dit, de mesurer les effets instables mais incontestables de la « confiance », était sans aucun doute mieux disposé qu’un autre pour comprendre une politique qui reposait sur la nécessité de son prompt rétablissement. Lui-même sous la forme de brèves notations préparatoires à une conférence résuma deux ans plus tard, en un raccourci parlant, le sens de son adhésion globale à ce qu’il nommait déjà « l’expérience Pinay »83 :
« Apparition de M. Pinay – la nuit du choix – deux lignes de conduite – Il n’a pas hésité : peut-être a-t-il eu raison. La politique monétaire n’est pas pure mathématique – Surtout en France la psychologie est essentielle »84.
44Mais, ajoutait-il, passé « un succès psychologique initial incontestable », le demi-succès de l’emprunt 3,5 % faisait que « l’expérience Pinay dès cette époque ne p[ouvait] plus réussir à fond […]. Le Cabinet, concluait-il, tombera à la limite de ses ressources »85. Le nouvel appel fait à la Banque de France par René Mayer, qui avait succédé à Antoine Pinay le 6 janvier 1953, était donc, estimait-il, parfaitement « inévitable »86.
45Les avances de la Banque de France atteignirent en 1953 leur niveau le plus élevé depuis 1945. Elles n’approchèrent plus jamais ces sommets par la suite. Elles constituèrent de loin le mode principal du financement du déficit budgétaire cette année-là87. Or, comme en février 1952, mais dans des proportions beaucoup plus importantes, les négociations parfois tendues entre le gouvernement aux abois et les autorités monétaires apparaissent étroitement mêlées à des considérations de politique générale. C’est ainsi que les avances consenties à Maurice Bourgès-Maunoury, ministre des Finances du cabinet Mayer, à deux reprises, le 22 janvier et le 23 mars, furent liées à la mise en œuvre d’un programme de redressement qui provoqua la chute du gouvernement et ouvrit la plus longue crise ministérielle de la IVe République. Le problème de la trésorerie se trouvait ainsi en bonne place parmi les écueils entre lesquels les présidents du Conseil pressentis durent essayer de louvoyer. Que révèle cette longue crise sur la politique de la Banque de France à cette date ?
46Dans la lettre adressée à Bourgès-Maunoury qui accompagnait la convention d’avance du 22 janvier 1953, Baumgartner avait attiré l’attention du ministre sur la persistance de la crise financière que « seule ou presque seule parmi les pays d’Europe, la France continu[ait] de connaître »88. C’était replacer le problème de la trésorerie dans la perspective, encore vague mais que les difficultés croissantes de la France au sein de l’UEP rendaient tangible, d’une intégration de l’économie française dans un cadre plus large. D’autre part, la permanence du déficit budgétaire était condamnée dans la mesure, et ce point nouveau mérite d’être relevé, où elle aboutissait à entraver le développement économique en dirigeant vers l’État « une trop large part des disponibilités du marché » ; c’était poser sans le nommer le problème de l’effet d’éviction. La réponse à ces deux inquiétudes passait selon le gouverneur et le conseil général par un renforcement de la fiscalité et un abandon rapide des protections de toutes sortes dont bénéficiaient les producteurs français. À bien des égards, le discours de la Banque au début de 1953 était précurseur d’évolutions futures. Dans l’immédiat pourtant, la Banque accepta le relèvement du plafond légal de 175 à 200 milliards et consentit une avance de 50 milliards dont 25 par achat de bons du Trésor à échéance des 22 avril et 22 mai 1953. Dès le mois de mars cependant, le Trésor se trouva de nouveau incapable de faire face à ses charges et Pierre-Paul Schweitzer qui avait remplacé François Bloch-Lainé à la tête de la direction du Trésor, conserva du gouverneur de la Banque un souvenir pour le moins mêlé :
« Il aimait à faire sentir sa puissance au gouvernement, en empêchant le marché monétaire de faire son travail et en maintenant des rênes courtes à la trésorerie de l’État […]. Enfin, quand il voulait, il pouvait !89 »
47C’est ainsi qu’au début de mars, la Banque avait par exemple accepté de verser par anticipation une fraction des sommes dues à l’État au titre de l’impôt sur les sociétés90. Mais ces expédients, toujours chichement accordés, n’évitèrent pas au gouvernement Mayer de demander une nouvelle avance à la Banque le 23 mars 1953. Réuni en séance extraordinaire, le conseil général, fait unique dans les annales de la Banque depuis 1945, refusa d’accéder à la requête du ministre. Les circonstances de la nouvelle avance de la Banque à l’État à la fin mars 1953 et ses conséquences au cours de la crise politique du printemps, demandent à être éclaircies, car, moins bien connues que l’épisode de la lettre à Edgar Faure, elles mettent au jour des enjeux restés masqués en 1952 et ont assurément marqué une extension maximale mais temporaire des pouvoirs de la Banque dans la conduite de la politique financière du gouvernement. Elles nous renseignent aussi sur le rôle du gouverneur dans ses rapports avec les gouvernements successifs et sur la conception que lui-même en avait.
LA CRISE DE TRÉSORERIE ET LA CRISE POLITIQUE DU PRINTEMPS 1953
48La crise de trésorerie du printemps 1953 a fait l’objet d’interprétations qui ne donnent pas le beau rôle à la Banque et à son gouverneur. Témoignant après coup, Paul Delouvrier qui était à cette date membre du cabinet de René Mayer se fit l’écho des soupçons formés au ministère sur les intentions réelles de l’Institut d’émission : « Rien dans les relevés des jours précédents n’autorisait à penser que la situation était aussi catastrophique. Nous n’avons jamais compris ce qui s’était passé. Sans doute une erreur de calcul »91. Le témoignage de Claude Tixier, un autre inspecteur des Finances, conseiller technique, au cabinet, quant à lui, de Bourgès-Maunoury, confirme la surprise provoquée au ministère des Finances par l’attitude de la Banque :
49« Le Gouverneur de la Banque, c’était tout à fait surprenant, a expliqué à René Mayer qu’il fallait immédiatement une loi pour augmenter le plafond des avances. Ce qui, malgré tout le respect que je dois à Baumgartner qui a été mon professeur aux Sciences Po, n’était pas à faire »92.
50Les raisons d’une éventuelle erreur d’appréciation de la Banque demeurent néanmoins obscures. Baumgartner avait-il vis-à-vis de René Mayer joué alors, comme le confiait Delouvrier, « un rôle peu clair », d’autant, ajoutait celui-ci, que le système des avances « donnait au Gouverneur, qu’on le veuille ou non, une action politique »93 ? L’histoire de la Banque, même après 1945, ne peut décidément pas s’écrire coupée des questions héritées du passé et qui, bien au-delà du Cartel des gauches, au-delà même du coup d’État du 2 décembre, relient son action à la mémoire lointaine des circonstances de sa création sous le Premier Empire.
51Les sources capables de nous renseigner sur les rapports difficiles de la Banque et des gouvernements successifs au premier semestre 1953 sont exceptionnellement riches : les papiers ont en effet conservé la retranscription des sténographies prises au cours des séances officielles et surtout officieuses du conseil général94 qui fut réuni de cette manière informelle au moins dix fois entre le début de la crise politique ouverte par la démission du cabinet Mayer le 21 mai et l’investiture de Joseph Laniel le 26 juin 1953.
52Sans faire la chronique au jour le jour de la politique de la Banque au cours de la plus longue crise politique du régime, il est utile d’essayer de représenter les mécanismes qui ont joué et abouti à placer, jusqu’à un certain point, l’Institut d’émission et son gouverneur en situation d’arbitre. L’acuité des problèmes financiers était en effet une des composantes majeures de la crise politique du printemps 1953. Joseph Laniel le rappela bien après : « Première urgence : faire face à la crise de trésorerie »95, écrivit-il dans ses mémoires. Mais les difficultés de trésorerie n’étaient qu’un des aspects de la crise qui trouvait aussi dans la politique extérieure un aliment au moins aussi important : l’incertitude de l’issue de la CED, l’aggravation surtout de la situation militaire en Indochine à partir d’avril pesèrent d’un poids considérable96. « On use le régime par les deux bouts, par le bout de la politique financière et par le bout de la crise extérieure », avait confié peu de jours avant sa chute René Mayer à Vincent Auriol97. Or, les deux aspects étaient liés, comme l’ont bien montré les débats qui eurent lieu à la Banque en mai-juin 1953.
53La détérioration subite de la situation du Trésor en mars surprit la Banque autant que le Trésor. Les télégrammes codés que le sous-gouverneur Jean Saltes faisait parvenir régulièrement à Baumgartner qui participait alors, en compagnie entre autres d’Edgar Faure, à la croisière d’inauguration du paquebot Les Antilles, en témoignent sans ambiguïté : le 20 mars, Saltes était encore confiant : « État de santé du docteur S. au moins pour cette semaine ne nous donne aucune inquiétude »98. Mais le 21, l’ampleur du déficit était apparu d’un coup : « Santé décline rapidement stop opération deux fois plus importante que précédente stop René désire te voir dimanche soir »99. C’est en fait dans la soirée du 20 que l’importance du déficit, repérée par la Banque dans la matinée seulement, avait été admise par Schweitzer. René Mayer avait alors envisagé d’affréter un avion pour ramener Baumgartner le plus rapidement possible à Paris de Marseille où il devait débarquer100. « Tout le monde au fond a été surpris » résumait quelques semaines après Baumgartner devant le conseil général101. Les charges de trésorerie s’étaient en fait gonflées d’un bloc sous la pression des entreprises nationalisées qui avaient alors tiré plus de 50 % des crédits budgétaires qui leur avaient été alloués pour l’année ; Pierre-Paul Schweitzer reconnut alors sans fard que toutes les prévisions du Trésor avaient été déjouées102. Ces circonstances, ajoutées au flottement qui avait suivi le remplacement de François Bloch-Lainé à la direction du Trésor, suffisent à expliquer la brutale aggravation de la situation du Trésor dans la deuxième quinzaine de mars. Il semble donc bien qu’il n’y a pas lieu d’imaginer une quelconque machination de la Banque ou de son gouverneur. L’affaire des faux bilans n’était décidément, après 1945, plus de saison. En revanche, l’ampleur du déficit était telle qu’il était impensable « de faire en quelque sorte par la bande, expliqua Baumgartner en désignant par-là un recours marginal à l’open market, la solution du problème de trésorerie qui se trouvait ainsi posé »103. Le recours au Parlement était donc inévitable.
54Réuni le 23 mars, le conseil général refusa cependant d’accorder l’avance de 100 milliards demandée par Bourgès-Maunoury. Le gouverneur plaida en vain l’urgence de la situation, rappelant que René Mayer devait s’envoler pour Washington le surlendemain. Gaussel, soutenu pour une fois par Deroy et Brunet, mena la fronde : les promesses d’un redressement financier contenues dans la lettre du ministre, à ses yeux, étaient trop vagues. Au total, à part le gouverneur et les deux sous-gouverneurs, seuls François Bloch-Lainé et Jacques Brunet votèrent en faveur de la convention. Deroy, Grimanelli et Mondou, le représentant du personnel de la Banque, s’abstinrent tandis que Gaussel, Lambert, Laurent et Langlois-Berthelot votèrent contre. Il fallut consulter les textes et se rendre à l’évidence : la majorité des présents était requise. « Il n’y a pas de doute, conclut manifestement troublé le gouverneur, la Convention est repoussée. Eh bien, voilà une situation nouvelle. Bien. Ceci étant, je vous propose de suspendre la séance »104. La reprise de séance eut lieu après qu’une explication aux dires mêmes du gouverneur « assez animée » entre lui et René Mayer eut permis de rabaisser les prétentions du gouvernement de 100 à 80 milliards, pour une durée d’à peine plus d’un mois au lieu des trois mois initialement demandés, et assorties de l’engagement cette fois explicite de faire voter « dans les délais les plus brefs » un programme de redressement. L’Assemblée fut en effet saisie le jour de la rentrée parlementaire d’une demande de pouvoirs spéciaux par le cabinet Mayer afin de prendre toutes les mesures indispensables au retour à l’équilibre budgétaire. C’est à cette occasion que la confiance fut refusée au gouvernement le 21 mai. La crise ouverte par la démission de René Mayer dura, on le sait, quarante-six jours pendant lesquels la marge de manœuvre de la banque d’émission et le jeu alors mené entre les candidats à la présidence du Conseil, le Parlement et l’opinion publique apparurent avec une singulière clarté.
55En assignant des délais très courts aux remboursements des avances consenties, le conseil général entendait bien se donner les moyens de maintenir une pression assez forte pour obtenir les mesures de redressement demandées : il s’agissait selon la forte expression de Deroy de « ne donner aucun jeu, parce que, ajoutait-il, malheureusement, je dis cela entre nous car il n’y a pas de procès-verbal, nous savons bien que chaque fois qu’il y a une marge de trésorerie, on en profite pour ajourner les décisions »105 ; « dans une certaine mesure, résuma d’un mot Baumgartner, il n’est pas inutile de se mettre le dos au mur »106. Ainsi quel que fût le gouvernement finalement investi, la Banque gardait un droit de regard sur son programme par le fait même que le problème des avances se trouverait posé dès les premiers jours de son existence. Deroy exposa crûment les ressorts de cette machine : le conseil général devait trouver des solutions techniques « qui obligent le futur gouvernement à apporter des choses solides dès le jour même de sa constitution, sauf alors à se trouver obligé d’accepter une cessation de paiements ou de « violer » la Banque de France, ce qui pour un nouveau gouvernement le jour de sa constitution ne serait pas très fameux »107. La convention conclue avec Bourgès-Maunoury le 24 mars était ainsi prolongée le 24 mai, jusqu’au 16 juin seulement. Le lendemain, Baumgartner se rendit chez Paul Reynaud qui venait d’être pressenti par Auriol pour former le nouveau gouvernement. Reynaud surprit l’opinion et l’Assemblée en se présentant devant les députés sans avoir consulté au préalable les groupes politiques et en annonçant à la tribune son intention de procéder à une révision constitutionnelle limitant les pouvoirs du Parlement sur l’exécutif. Alors que l’investiture lui était refusée, il écrivit pourtant aussitôt au gouverneur : « Merci, mon cher Baum, la résonance dans l’opinion semble plus grande que je l’avais espéré, affectueusement à vous »108. Cet échange dispose sous un jour particulier les forces en présence durant toute la crise du printemps 1953 : d’un côté, les candidats à l’exécutif, sur lesquels les techniciens peuvent peser ; en face le Parlement ; enfin, troisième élément, plus lointain, mais d’autant plus souvent invoqué, l’opinion. La permanence de cette configuration déjà relevée dans les années trente renvoie aussi à la continuité des personnels : Baumgartner en 1932-1934, on l’a vu, partageait déjà ces mêmes sentiments de défiance envers un Parlement ressenti comme un frein à l’action technicienne de l’administration. Il avait d’ailleurs reçu de Jean Du Buit, au début de 1953, un billet qui avait singulièrement bien ressenti la situation. Faisant référence à Saint Simon, il lui en avait en effet vivement conseillé la relecture :
« Si vous voulez voir comment on force la main, non pas à une assemblée nationale, mais à un Parlement d’ancien régime, lisez le récit du lit de justice qui se tint aux Tuileries le 25 ou le 26 août 1718 […]. Vous vous demandez pourquoi je remue ces poussières ? Eh bien, cher Ami, c’est pour me détourner de vous parler des choses présentes : de politique ou de finances. »109
56Les vœux de nouvel an de Du Buit avaient ainsi placé l’année 1953 sous de bien funestes auspices. Face au pouvoir législatif, l’exercice d’une influence personnelle du gouverneur sur les candidats au pouvoir pouvait être déterminant. Or cette influence est difficilement niable, même si elle semble un peu moins forte sur un Pierre Mendès France que dans le cas de Paul Reynaud. La presse relevait avec insistance les entretiens du gouverneur avec chacun des présidents du Conseil pressentis. Jacques Fauvet dans Le Monde écrivait ainsi la veille de la tentative d’André Marie : « En sa quatrième semaine la crise continue de tourner autour d’une institution, la Banque de France, et d’un homme, son Gouverneur M. Baumgartner. M. André Marie l’a vu et revu comme l’avaient vu et revu MM. Reynaud, Mendès France et Bidault. »110
57La capacité d’influence du gouverneur de la Banque de France paraît effectivement avoir été assez grande. Avec Georges Bidault, par exemple, qu’il avait rencontré le 4 juin, Baumgartner reconnaissait avoir dû « parler le langage des professeurs »111 : le problème de la France, comme en 1934, était un problème d’équilibre. Pour y remédier, il fallait que le gouvernement, conseillait Baumgartner, disposât de pouvoirs étendus. « Je demanderai des pouvoirs considérables, lui avait alors assuré Bidault, beaucoup plus considérables que ceux fort vagues qui avaient été fixés par [Mendès France] »112. Mais le fond du problème, aux yeux du gouverneur, résidait dans la fiscalité dont il souhaitait une réforme profonde et « de très longue haleine » assortie dans l’immédiat d’impôts nouveaux, et dans une réduction des dépenses de l’État. Sans avoir voulu s’« engager dans la grande politique étrangère », il poussait néanmoins au transfert des charges de la guerre d’Indochine sur les États-Unis : « cette carte indochinoise que nous jouons si durement depuis si longtemps pourrait être l’occasion de marchandages »113. Il était plus net encore sur la nécessité de réduire certaines catégories d’investissements : « on doit s’efforcer de pratiquer une politique des investissements et pas une religion des investissements »114. Il jugeait, par exemple, « démesurés » les investissements dans les territoires d’outre-mer, « disproportionnées » les dépenses du fonds routier115. « Jouant du pot de colle », l’expression est de Deroy, Bidault incorpora des passages entiers de la lettre-programme du gouverneur dans son discours d’investiture. Le même discours fut tenu, au lendemain de l’échec de Bidault, à Marie, puis à Laniel : « Notre seule préoccupation, confiait Baumgartner au Conseil, doit être que le nouveau Président du conseil qui va être désigné à son tour emboîte en quelque sorte le pas à ses prédécesseurs et adopte sur le terrain qui nous intéresse les mêmes conclusions »116. Quoi d’étonnant dès lors si le memorandum établi le 21 juin par les soins des anciens présidents du Conseil convoqués en conférence par Auriol reprenait lui aussi, par la voix de Paul Reynaud, les observations de la Banque ? Il apparaît donc bien que par l’influence directe qu’il exerçait sur les présidents du conseil désignés, le gouverneur a alors joué un rôle de tout premier plan dans la crise.
58Après l’échec de Pierre Mendès France qui avait évoqué dans son discours l’éventualité de nouvelles avances de la Banque et provoqué de la sorte un certain agacement chez le gouverneur, le Conseil à l’initiative de Gaussel décida de durcir ses exigences : aucun concours nouveau ne serait désormais accordé si la convention d’avance ne prévoyait pas l’affectation de ressources destinées à son amortissement à court terme. Et l’ambassadeur Corbin, d’ordinaire plus réservé, exprima bien la pensée du Conseil lorsqu’il souligna « la nécessité de faire sentir que les avances de la Banque n’ont pas un caractère automatique […]. Les membres de l’Assemblée le considèrent un peu comme trop acquis »117. Brunet renchérit : « il faut nous donner des garanties, parce que les Gouvernements qui n’inspirent pas confiance doivent donner des garanties »118. Et Grimanelli alla plus loin encore :
« Il est bon que, vis-à-vis de l’opinion, vis-à-vis de l’opinion parlementaire notamment, le Conseil général de la Banque de France, le Gouvernement de la Banque apparaisse en somme comme un môle de résistance contre la facilité, et que cela se sache. »119
59Précisant sa pensée, Gaussel donnait explicitement un rôle politique à l’Institut d’émission : « il faut bien avoir présent à l’esprit que l’attitude de la Banque est un facteur peut-être décisif d’un redressement ultérieur du fonctionnement de l’appareil gouvernemental »120. Jamais la tentation pour la Banque d’agir sur les structures mêmes de la vie politique n’était apparue aussi évidente depuis 1935. On admettra en tout cas qu’à cette occasion, comme en d’autres, la docilité généralement attribuée au conseil général de la Banque d’émission nationalisée n’allait pas de soi. Il est remarquable que dans cette partie, le Parlement ait bien souvent fait figure dans l’esprit de la plupart des membres du conseil général de véritable adversaire. Baumgartner et Brunet, mieux que d’autres, semblent l’avoir compris très vite et redouté de voir mise au jour cette confrontation par-delà « l’écran assez ténu » que représentait le gouvernement démissionnaire de René Mayer préposé aux seules affaires courantes. Soumettre publiquement les concours de l’Institut d’émission au vote de nouvelles ressources, « c’est mettre la Banque de France, s’alarmait Brunet, en prise directe avec le Parlement »121. Baumgartner, pour sa part, exposa avec force le risque de pousser le Parlement à voter de son propre chef une loi contraignant la Banque à fournir une avance dont les modalités seraient élaborées au palais Bourbon : « Ce jour-là, le Conseil général serait dessaisi, c’est entendu, de la responsabilité, mais ce qui est beaucoup plus grave, du contrôle de l’octroi des avances »122. C’était reconnaître une première limitation de nature proprement politique au pouvoir d’influence de la Banque. Une deuxième limite de nature dirait-on plus idéologique apparut lors de l’exploration poussée que le Conseil mena le 20 juin 1953 de l’hypothèse d’une banqueroute de l’État.
60La crise se prolongeant, une troisième prorogation des avances consenties trois mois auparavant devint nécessaire et le gouverneur ne voyait pas sans inquiétude « s’émietter », c’était son expression, avec le temps, l’autorité de la Banque obligée de renouveler avec un gouvernement démissionnaire les avances consenties sans pouvoir réellement exiger la création des impôts nouveaux et la mise en œuvre du programme de redressement qu’elle avait pourtant publiquement lié à l’octroi de nouvelles facilités. C’est dans ce contexte que fut menée assez loin l’étude d’une possible cessation de paiements qui n’avait été agitée jusqu’alors, selon les termes mêmes du gouverneur, que comme un simple « épouvantail ». Personne ne pouvait prendre la responsabilité d’un accident de trésorerie. Mais « en regardant plus près, demanda Pierre Grimanelli, en quoi consiste l’accident ? » « Qu’est-ce qui se passe le jour où il n’y a plus d’argent ? reprit Brunet. Évidemment, ce sont des choses qui ne sont pas arrivées en France depuis très longtemps »123. L’État pouvait alors choisir de ne payer que certaines catégories de dépenses, de n’assurer les paiements des fonctionnaires que pour la moitié de leurs traitements, de proroger le paiement des bons du Trésor ou encore de fermer purement et simplement tous ses guichets. Schweitzer reconnaissait que ses services « avaient un peu regardé la question à titre théorique » et, en effet, selon lui, « le Trésor ne peut pas être plus ou moins en rouge. À partir du moment où il est en rouge, nous suspendons les paiements ». « Je crois que tout ceci est amusant comme jeu d’esprit, mais je ne vois pas… », glissa alors François Bloch-Lainé pour qui « l’État employeur [était] maître de la monnaie et il [était] donc inconcevable qu’il ne payât pas ». Surtout, poursuivit à un autre point de vue Pierre-Paul Schweitzer, « il est vain de penser que les perceptions ouvrent avec des guichets de paiement fermés et des guichets de versement ouverts, il n’y aurait plus de recettes ». Les membres du conseil général touchaient là à la véritable limite de leur pouvoir de refus : contraindre le Trésor à la cessation de paiement, c’était mettre en péril l’ensemble du crédit public et Jacques Brunet, directeur général du Crédit national le reconnut avec spontanéité : « Ça ne m’amuserait pas davantage de voir proroger les bons du Crédit national que les bons du Trésor ». Sans compter qu’une cessation de paiements aurait eu des répercussions immédiates sur les caisses d’épargne, les chèques postaux, peut-être la monnaie elle-même. « Je ne crois pas qu’on puisse autrement qu’à titre d’épouvantail agiter la question d’une fermeture des caisses, concluait Baumgartner, je crois qu’il faut être conscient que tout se tient ». La limite était cette fois parfaitement circonscrite : si le conseil général de la Banque était dans l’impossibilité de refuser ses concours à l’État, ce n’était pas en vertu, à ce niveau, d’un improbable devoir d’obéissance de fonctionnaires, ni même peut-être par souci du seul crédit de l’État dont chacun, comme le directeur du Crédit national, était partie prenante, mais plus essentiellement encore parce que l’hypothèse d’une faillite du Trésor public remettait en cause l’ensemble du système financer et mettait en péril des notions aussi fondamentales que le crédit, l’épargne, la foi attachée à la signature, et jusqu’à la valeur du signe monétaire lui-même. Tout l’édifice de la confiance apparaissait en fait menacé sur ses bases. C’était la perspective de ce formidable écroulement que les membres du conseil général avaient entraperçue et qu’aucun d’entre eux, ni l’ancien directeur du Trésor, François Bloch-Lainé par sens profond de l’État, ni, par respect de la parole d’un banquier, Georges Gaussel, le président du Comptoir national d’escompte, ne pouvaient décidément concevoir. Baumgartner l’avait résumé d’une formule simple : tout se tenait. Là était la limitation la plus essentielle, parce que touchant lato sensu à l’idéologie, apportée aux pouvoirs du conseil général de la Banque de France.
61Quelques jours après cette séance du conseil, l’investiture de Joseph Laniel le 26 juin dénoua enfin la crise ; le nouveau président du Conseil, qui s’était lui aussi longuement entretenu avec Wilfrid Baumgartner la veille de son investiture124, arrivait aux affaires avec la ferme résolution de prendre toutes les mesures nécessaires pour « réaliser la transition entre une trésorerie en détresse et un retour à l’aisance »125. Sous la houlette d’Edgar Faure qui avait retrouvé le portefeuille des Finances, la Banque consentait de nouvelles avances mais obtenait en contrepartie l’affectation à leur remboursement des ressources nouvelles, majoration des taxes sur les alcools et l’essence, finalement votées par le Parlement le 11 juillet. Laniel en avait averti les députés lorsqu’il avait sollicité leurs suffrages :
« L’Institut d’émission demande que les avances à consentir demain à l’État soient progressivement amorties par l’affection spéciale de ressources nouvelles du type dont bénéficiait jadis la Caisse d’amortissement créée par Poincaré. J’estime non moins catégoriquement que c’est le devoir de l’État de satisfaire à cette demande »126.
62Pleine satisfaction était donc donnée à la Banque et le discours d’investiture reprenait même jusqu’à l’invocation souvent entendue à la table du conseil des mânes de Poincaré. En outre, le 10 juillet, le nouveau gouvernement obtint le vote par le Parlement de pouvoirs spéciaux dans le cadre du projet de loi « portant redressement économique et financier ». Les décrets pris le 17 septembre 1953 aboutirent à l’annulation de 70 milliards de crédits, dont 35 % aux dépens du budget de fonctionnement et d’investissement des sociétés nationales et des crédits d’outre-mer127. La similitude avec les mesures préconisées par le gouverneur de la Banque de France tout au long de mai et juin 1953, une fois encore, est indéniable. Mais l’influence du gouverneur sur la conduite de la politique économique de l’État à travers les questions de trésorerie gagne à être aussi analysée d’un autre point de vue, à travers les jugements que son action, entre 1952 et 1953, suscita alors dans les milieux d’affaires avec lesquels il gardait une proximité évidente.
LE MAGISTÈRE DU GOUVERNEUR DE LA BANQUE DE FRANCE
63Les très nombreux messages de félicitations, plus de 1220, que Wilfrid Baumgartner reçut à l’occasion de son élévation au grade de grand officier de la Légion d’honneur le 10 octobre 1953, laissent une fois de plus apercevoir, et pour ainsi dire en coupe, l’étendue et la nature de son entourage socioprofessionnel. Employant à fins de comparaison la présentation déjà utilisée pour les messages qui lui étaient parvenus, deux fois moins nombreux cependant, cinq ans plus tôt, on arrive à des résultats assez semblables dans leurs grandes lignes. Comme pour 1949, on n’a pris en compte que les messages de félicitations parvenus sous forme d’une lettre, laissant de côté les simples cartes de visite qui ne témoignaient pas d’une relation assez personnelle. La part de correspondants indéterminés est cette fois inférieure à 10 %. On peut, comme précédemment, présenter les résultats du dénombrement sous la forme d’un tableau.
64En outre, les inspecteurs des Finances et les correspondants de l’étranger au sein des différentes catégories ont fait une fois encore l’objet d’un dénombrement supplémentaire.
65Comparés aux résultats obtenus pour 1949, ces chiffres marquent d’abord la stabilité d’ensemble du réseau ainsi dessiné : le poids des milieux d’affaires, avec 47 % du total des correspondants, y est toujours prédominant, quoiqu’en légère diminution relative (– 4 % par rapport à leur part en 1949). Elle est compensée par l’augmentation, en soi significative, puisque leur poids relatif est multiplié par deux, de la part des hommes politiques et, dans une moindre mesure, de la part des correspondants issus des professions intellectuelles ou artistiques. Tout se passe donc comme si une fois à la Banque, Wilfrid Baumgartner avait étendu son entourage hors de sa sphère proprement professionnelle, en direction de milieux où jouaient davantage le prestige social du gouverneur et sa relative notoriété dans l’opinion publique. Cette notoriété explique la présence de correspondants aussi divers qu’Henri Berr, le fondateur de la Revue de synthèse historique, Jean Borotra, l’ancien champion de tennis, mais aussi le directeur du Figaro, Pierre Brisson, le publiciste Bertrand de Jouvenel, ou l’académicien André Maurois. L’autre modification du réseau concerne l’apparition d’une proportion notable de correspondants de l’étranger : Français expatriés pour une part, mais aussi hauts fonctionnaires, financiers et même grands industriels, américains et anglais pour la plupart et, dans une moindre mesure, suisses et hollandais, dont la présence s’explique directement par les activités du gouverneur hors des frontières, dans le cadre du FMI, de la BRI ou des échanges avec d’autres banques centrales. En 1949, cette proportion était pour cette raison encore peu significative. La part de camarades de l’inspection reste stable avec à peu près un dixième de l’ensemble, comme en 1949. La place particulière de Wilfrid Baumgartner au sein du corps apparaît d’ailleurs à cette occasion avec le plus de netteté : c’est Louis Cruse, inspecteur de la promotion 1915, qui avait opté depuis 1946, selon ses propres termes pour une « babouche » dans une banque marocaine et qui ne le connaissait pas personnellement mais tenait à lui dire son admiration. Et cette lettre vaut d’être citée car elle éclaire bien le statut de Baumgartner, toujours phare incontesté de l’inspection à cette date :
66« Je voudrais vous dire le simple plaisir que m’a procuré cette nouvelle, peut-être par esprit de caste. N’ayant jamais eu le privilège d’être de vos familiers, ni même de vos élèves directs, votre nom néanmoins a toujours pour moi, et pour les promotions voisines de la mienne, un vrai prestige. […] C’est à ce titre que je me suis cru autorisé à joindre mes félicitations à celle des grands ténors. »128
67C’est aussi André Fayol, le chef du service de l’inspection lui-même qui lui reconnaissait son rôle de meilleur ambassadeur de toute la corporation :
« Vous n’avez pas comme moi un poste qui vous confère officiellement un rôle représentatif à l’égard de notre Corps, mais vous savez bien que ce rôle, vous l’assumez en fait de la façon la plus plénière. C’est donc sans craindre la banalité que je vous dirai que l’Inspection tout entière est glorifiée par le nouvel honneur qui vous échoit. »129
68C’est encore Jacques de Fouchier qui lui rappelait quelle influence exerça sur de jeunes esprits le déroulement de sa carrière « par les routes royales que vous avez en quelque sorte balisées » : « Vous savez quelle place vous avez tenu dans l’orientation de nombreux camarades plus jeunes. »130 C’est enfin un mot du directeur de la Comptabilité publique, Gilbert Devaux, qui l’assurait que l’honneur rejaillissait sur l’ensemble du ministère : « Toute la rue de Rivoli est fière de cette promotion à laquelle nous nous sentons tous un peu associés.131 » Nul doute que cette reconnaissance quasi officielle de son prestige par l’ensemble de l’inspection ait renforcé le poids personnel du gouverneur face aux différents gouvernements dans le besoin. L’action de Wilfrid Baumgartner entre 1952 et 1953 illustrait en effet remarquablement cette continuité de la haute fonction publique qui contrastait en apparence fortement avec l’instabilité chronique du pouvoir proprement politique132. Paul Delouvrier, en fonction à cette date au SGCI et ancien directeur de cabinet de René Mayer, exprimait fort clairement cette idée dans ses félicitations :
« Mieux que beaucoup d’autres, les circonstances m’ont permis de mesurer l’extraordinaire difficulté de votre tâche et les responsabilités exceptionnelles que notre malheureux système politique font peser sur les épaules de celui que tout le monde appelle le Gouverneur. »133
69Or, la mise en avant de la continuité de son action allait de pair dans la plupart des messages avec la reconnaissance de l’indépendance du « grand commis ». Ce dernier trait, significativement, était surtout relevé par la presse financière. Selon Le Capital, « cette haute distinction [était] la juste consécration de la carrière d’un grand Commis de l’État »134, tandis qu’Aux Écoutes de la Finances vantait en Baumgartner « un des très grands commis que la France possède encore. »135 Cette idée était particulièrement nette chez Jacques Berthoud, à cette date passé de la Cour des comptes à la sphère de l’industrie privée : « Le grand commis dont on nous parlait rue Saint-Guillaume n’existe plus très souvent en chair et en os : mais vous en êtes un, indiscutablement. »136 Or, c’est là un sentiment que l’on retrouve exprimé, sous une forme ou une autre, par le plus grand nombre des correspondants du gouverneur issus des milieux d’affaires, y compris par ceux dont la carrière avait toujours été étrangère à l’administration proprement dite. C’était le cas des grands industriels : R. Boyer, le président de Kleber Colombes, Jean Dollfus, le filateur de Mulhouse, A. Dutreux, le président de Dunlop France, Bernard d’Halluin, le président de la Fédération des industries textiles, Pierre Hély d’Oissel de Saint Gobain, Maurice Jordan, le directeur général des Automobiles Peugeot, Pierre Lefaucheux de la Régie Renault, Henri T. Pigozzi, directeur général de Simca France, Louis Pommery des Chargeurs réunis, Charles Schneider, Léon Songeur et André Grandpierre de Pont-à-Mousson, Arnaud de Voguë, le président de Saint Gobain, etc. Mais aussi des banquiers privés, Pierre Louis-Dreyfus, André Mallet, R. Maynial de Worms, Alain de Rothschild, Christian Monnier de Neuflize, Varin-Bernier, Pierre Vernes et tant d’autres. Tous, d’une façon ou d’une autre, célébraient l’indépendance supposée du grand commis bien dans la tradition, ajoutaient-ils, de l’administration française. Cette unanimité mérite examen, car elle éclaire singulièrement la question de l’indépendance de l’Institut d’émission et corrobore, d’une autre manière, l’idée que la Banque de France était décidément une pièce maîtresse de l’édifice de la confiance et donc d’un type de société donné. Pour les milieux d’affaires aussi et peut-être surtout, le postulat de l’indépendance de la Banque et de son gouverneur était nécessaire. Il en allait en quelque sorte du devenir de leurs affaires propres, auxquelles l’indépendance de la banque d’émission et donc la foi attachée à la monnaie, au crédit, à la parole donnée, garantissaient sinon l’éternité, du moins la promesse d’un avenir. L’indépendance supposée de la Banque centrale apparaissait bien comme une condition même de possibilité du fonctionnement régulier du marché, parce qu’elle donnait à penser que la monnaie vaudrait demain ce qu’elle valait aujourd’hui137. C’est une idée aussi qui éclaire d’un jour différent les péripéties qui affectèrent les relations entre l’Institut d’émission et l’État au cours des années 1952-1953.
70En définitive, la crise de trésorerie permit à la Banque, à l’issue du jeu difficile mené par le conseil général et le gouverneur, de faire entendre sa voix, aboutissant au vote par le Parlement, qui l’avait refusé à René Mayer en mai, du programme de redressement financier demandé par Joseph Laniel en juillet. Mais la grave crise de trésorerie du printemps 1953 contribua aussi à faire mieux apparaître les vertus d’un système de financement de l’État qui ne dépendrait plus directement de la banque d’émission. Sous l’action concomitante d’Edgar Faure rue de Rivoli et du retournement désormais durable de la conjoncture économique à compter de la fin de 1953, cette idée prit soudain une forme plus précise.
LE DRAME DE LA TRÉSORERIE SOUS LA IVe RÉPUBLIQUE
71Les péripéties du premier semestre de 1953 avaient en effet parfaitement illustré « le drame de la trésorerie » dont Edgar Faure, orfèvre en la matière, avait donné à la fin de 1952 une analyse assez pertinente138. Évoquant l’épisode de la lettre que le gouverneur avait jugé bon de lui adresser en février, « je ne l’ai pas considérée comme un acte d’hostilité, et je n’avais pas à le faire », il avait souligné le caractère, selon lui, ordinaire de la crise de trésorerie :
« Tous les ministres des finances qui se sont succédé depuis plusieurs années ont connu ce drame de la trésorerie. Aujourd’hui malgré tant de déclarations triomphantes, il n’est pas retiré de l’affiche : mais comme de tradition, il se joue à bureaux fermés. »139
72Faure avait perçu que le Trésor pouvait aussi bien s’alimenter par le biais des souscriptions d’effets publics par le système bancaire grâce à la soupape du réescompte par la Banque. C’était une première approche, encore rudimentaire, de la notion de « circuit » qui se trouva encore précisée en 1953. Soumis par Edgar Faure à Baumgartner avant publication, l’article avait suscité une certaine réserve chez le gouverneur : le mécanisme décrit, avait-il répondu à l’ancien ministre des Finances, ne résolvait en rien « le vrai problème, celui que j’ai visé aussi bien dans la lettre de février que dans mon rapport d’ensemble de juillet […], celui des finances publiques dans leur ensemble »140. Quelques mois plus tard, ce fut au tour de Paul Reynaud d’exposer dans la presse beaucoup plus complètement les mérites du système :
« Le ravitaillement du Trésor est assuré presque automatiquement par le mécanisme du circuit. Ce qui revient à dire que l’argent dépensé par l’État revient à l’État parce que les particuliers qui l’ont reçu le rendent à l’État soit sous forme d’impôts, soit indirectement en déposant cet argent dans les banques qui souscrivent des bons du Trésor ou encore sous la forme de dépôts en comptes postaux ou dans les caisses d’épargne. »141
73La Banque engagée depuis janvier 1953 dans la procédure des avances à l’État devait se faire une opinion sur la question du circuit. Baumgartner lui-même se fit ainsi l’écho devant le conseil général des préoccupations qu’éveillaient chez lui « un certain développement doctrinal, un certain approfondissement qui s’est fait chez pas mal de nos collègues techniciens, des problèmes de trésorerie [et] qui minorent l’importance de l’appel à la Banque de France »142. À ces auteurs novateurs, le gouverneur reprochait d’affaiblir de la sorte « cette vieille règle qui empêchait la sottise humaine et qui était le côté sacro-saint du recours ou du non-recours à l’Institut d’émission ». « C’est le cas de le dire, commenta Grimanelli, un peu de science éloigne de l’orthodoxie… »143 La Banque étudia donc la question du circuit et démontra qu’« un circuit perfectionné serait un simple artifice de comptabilité permettant au Gouvernement d’obtenir une avance de la Banque sans avoir à demander l’autorisation du Parlement. » La note de la Banque concluait donc sans appel : « Circuit et inflation sont deux mots synonymes »144. De retour au ministère des Finances au début de l’été 1953, Edgar Faure, à croire ses mémoires, fut alors initié aux « mystères » du circuit par Gilbert Devaux son directeur de la Comptabilité. « La leçon essentielle, concluait Faure, c’est que je me sentais désormais déterminé à ne plus me laisser bluffer par les techniciens de la rue de Rivoli et par les chapeaux pointus de la rue de la Vrillière »145.
74Sans détailler ici l’histoire, amorcée dès la période de l’Occupation146, de la progressive compréhension théorique du circuit du Trésor par le ministère des Finances, on doit faire apparaître qu’elle aboutissait, comme Edgar Faure l’avait peut-être pressenti en juillet 1953 et Baumgartner un peu avant, à réduire la nécessité d’une intervention de la Banque dans le financement de la trésorerie de l’État. Une note de la direction du Trésor de février 1955147 établit parfaitement cet avantage du système. Étudiant les opérations de trésorerie « n’affectant pas les relations du Trésor avec la Banque de France », elle montrait comment le Trésor pouvait assurer son alimentation en recourant de façon rationnelle aux disponibilités de ses divers « correspondants » : comptes des collectivités locales, des entreprises nationales, de la Caisse des dépôts, du Crédit foncier ou du Crédit national. Surtout, il disposait avec « la monnaie postale » d’une possibilité de financement quasi illimitée : « aucune limite n’est en effet assignée aux dépenses que les comptables publics peuvent effectuer par virements postaux ». De la sorte, se trouvait défini « un circuit de règlement » s’effectuant à l’extérieur du système bancaire coiffé par la Banque d’émission. La seule limite, tout de même aperçue, résidait dans la volonté des détenteurs de monnaie postale de la convertir en billets ou en devises, réintroduisant alors la Banque dans le circuit du Trésor dont elle assurait, mais en dernier ressort seulement, la cohérence. La découverte du circuit, dans la mesure où elle coïncida à partir de 1954 avec le démarrage véritable de la croissance exceptionnelle de l’après-guerre, marqua aussi, comme avait semblé le pressentir Wilfrid Baumgartner, le début d’une ère nouvelle dans l’histoire des rapports entre l’État et la Banque de France.
***
75L’analyse du drame de la trésorerie, qui atteignit son acmé en 1952-1953, a ainsi mis en évidence à la fois l’étendue et les limites des pouvoirs de l’Institut d’émission. « Est-ce l’apothéose ? Est-ce le martyre ? » se demandait Wilfrid Baumgartner lui-même, sollicité pour décrire dans La Nef de l’été 1953, revue qu’animait Lucie Faure, l’épouse du président du Conseil, le rôle des banques centrales dans la politique monétaire148. Peut-on déjà en conclure, comme le fit pour caractériser la période la plus récente un autre banquier central de renom, l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, Paul Volcker, qu’on assista déjà à cette date à une manière de « triomphe de la banque centrale »149 ? Il est certain que jamais la capacité d’influence de la Banque et de son gouverneur n’avait été si grande depuis la nationalisation, amenant la Banque tant avec Antoine Pinay que René Laniel à peser dans le sens du rétablissement des équilibres, mais moins contre l’État qu’au sein même de l’État dont elle était, du moins aux yeux de son gouverneur, partie intégrante et même partie prenante. C’était marquer aussi bien aux pouvoirs de la Banque une indéniable limite.
76En réalité, Wilfrid Baumgartner au cours de cette longue crise est apparu davantage en position d’intermédiaire entre le gouvernement et son Conseil dont certains membres affichèrent à cette occasion des positions nettement plus maximalistes. On a vu le gouverneur préférer l’exercice de l’influence personnelle, que son autorité lui assurait sur les candidats à la présidence, au jeu politique dangereux d’une confrontation directe avec le pouvoir législatif. L’inspecteur des Finances, l’ancien directeur du Mouvement des fonds n’était-il pas au fond intimement persuadé que la Banque, pièce maîtresse d’un système social et idéologique cohérent, ne pouvait de toute façon pas se refuser à alimenter encore et toujours le Trésor public ?
77Le problème de l’indépendance de l’Institut d’émission, « sujet sur lesquels on peut discuter interminablement », prévenait Baumgartner, paraît, à la lumière des événements de la période 1952-1953, revêtir une dimension qui dépasse de loin la simple opposition institutionnelle entre le pape et l’empereur, entre la Banque et le ministère des Finances. Sans doute cette opposition était-elle fortement ressentie par les acteurs eux-mêmes des négociations parfois véritablement difficiles auxquelles la crise de trésorerie les contraignait. Baumgartner en témoignait pour son compte d’une façon non équivoque : « C’est une situation délicate, je dirai presque douloureuse pour les deux parties qui sont face-à-face »150 :
« Celui qui a connu les deux côtés de la rue de Rivoli mesure la différence de difficultés entre le malheureux qui a une Caisse à gérer et qui pense à ses échéances, et la situation un peu hautaine qui est celle de celui qui doit faire des remontrances. Ici s’ajoutent des différences d’atmosphère, de confort, presque d’odeurs… On répand dans les couloirs de la Banque un certain parfum à la rose, je ne sais pourquoi, tandis que les sous-sols ou même les escaliers de la Trésorerie sont encore parfumés, diton, par la senteur des chevaux de Napoléon III ! Il y a là tout un drame. »151
78Ce témoignage étonnamment concret et personnel replace bien le « drame de la trésorerie » sous l’angle de la biographie : Baumgartner, par tempérament, n’était sans doute pas porté de toute façon à la rupture qu’aurait entraînée un refus sans appel de la Banque et auquel, en définitive, personne n’avait proprement intérêt. Imposée, on l’a vu, par une certaine logique du système en place, la résolution inévitable de la crise de trésorerie renvoyait donc aussi au poids des hommes tels qu’en eux-mêmes. Le gouverneur en était alors le premier persuadé :
« Ce qui paraît faux, c’est de croire que l’on peut organiser constitutionnellement l’indépendance de la Banque d’émission, et plus généralement de la monnaie – la monnaie est une résultante – […] assurer à l’Institut d’émission une totale indépendance politique me paraît une vue idéale […]. On fait ce que l’on peut avec le tempérament que l’on a, avec la liberté de jugement et de pensée que l’on croit avoir. »152
79Mais si en l’occurrence la pesée de l’homme s’est exercée dans le sens des tendances profondes, la période, riche de développements futurs, était également soumise au jeu de forces nouvelles, plus contraignantes encore. Le processus d’intégration européenne semble avoir été entre 1952 et 1955 une de ces forces, requérant du gouverneur de faire la preuve de capacités d’adaptation encore supérieures.
Notes de bas de page
1 Faure (Edgar), Mémoires, Paris, Plon, 1982, t. I, Avoir toujours raison… c’est un grand tort, p. 458.
2 Les passions contradictoires longtemps agitées autour de l’hypothèse d’un financement direct par la Banque du coup d’État du 2 décembre 1851, dont Alain Plessis a montré qu’elle tenait pourtant de la « légende sans fondement », en fournissent un exemple extrême. Plessis (Alain), La politique de la Banque de France 1851-1870, Genève, Droz, 1985, p. 67-80. Et plus généralement sur les relations entre la Banque et l’État au xixe siècle, du même auteur : « Les rapports entre l’État et la Banque de France jusqu’en 1914 : tutelle ou indépendance ? », Administration et contrôle de l’économie, 1800-1914, Genève, Droz, 1985, p. 47-62.
3 Jeanneney (Jean-Noël), Leçon d’histoire pour une gauche au pouvoir, la faillite du Cartel, 1924-1925, op. cit., p. 79 sqq et Id., François de Wendel…, op. cit. p. 200 sqq et p. 507 sqq.
4 Bouvier (Jean), « La Banque de France et l’État des années 1850 à nos jours », in L’Historien sur son métier, études économiques xixe-xxe siècles, Paris, éditions des archives contemporaines, 1989, p. 369-395.
5 Problèmes financiers et monétaires, conférence de Wilfrid Baumgartner du 21 février 1951, doc. cité, p. 8.
6 Ibid., p. 7.
7 Cf. supra p. 243.
8 Koch (Henri), Histoire de la Banque de France…, op. cit., p. 134-135.
9 Aide-mémoire de W. Baumgartner à E. Faure du 30 janvier 1952, AWB, 2BA6, Dr4, 11 p. dactylographiées (version définitive), 12 feuillets manuscrits (version primitive).
10 Ibid., p. 1.
11 Ibid.
12 Ibid.
13 Ibid., p. 5.
14 Ibid., p. 7.
15 Ibid., p. 11.
16 JO, Assemblée nationale du 7 février 1952.
17 Mémorandum du 19 février 1952, 7 p. dactyl., AWB, 2BA6, Dr4.
18 Faure (Edgar), Mémoires, op. cit., p. 390.
19 Lettre d’E. Faure à W. Baumgartner du 29 février 1952, 1 page dactylographiée, AWB, 2BA6, Dr4
20 Lettre de W. Baumgartner à E. Faure du 29 février 1952, AWB, 2BA6, Dr4.
21 Ibid., passim.
22 « Il dépendra de M. Faure de la lire ou de ne pas la lire devant le Parlement. Ce soir je peux, dans l’entretien que je lui demanderai aussitôt après le déjeuner, lui marquer que nous préférerions que cette lettre fût lue – et dans son intégralité. Ceci dit, la chose dépend de lui » (Baumgartner aux membres du conseil général de la Banque le 29 février 1952, AWB, 2BA6, Dr4, p. 31).
23 Faure (Edgar), Mémoires, op. cit., p. 392-393.
24 C’est ainsi, exemple parmi d’autres, que Pierre Barre, à cette date tout jeune inspecteur de la Banque, a pu affirmer, pour sa part, que Baumgartner en 1952 avait écrit la lettre à la demande expresse de Faure (Intervention au colloque Du franc Poincaré à l’ECU, ministère de l’Économie et des Finances, séance du 2 décembre 1992). En revanche, pour François Bloch-Lainé, toujours directeur du Trésor au moment de l’épisode, l’initiative de Baumgartner en cette affaire ne fait pas l’ombre d’un doute. La France restaurée…, op. cit., p. 242, témoignage confirmé lors de l’entretien accordé par l’ancien directeur du Trésor à l’auteur le 17 janvier 1994 : « L’hypothèse que cette lettre ait pu avoir été écrite à la demande du cabinet de Faure lui-même est peu crédible. J’ai vu Faure quelques jours après, il paraissait vraiment très affecté de cette lettre. Aux Finances, nous étions plutôt d’accord avec son contenu ; c’était vrai que nous vivions au-dessus de nos moyens, mais on ne s’attendait vraiment pas à cette lettre ». L’absence de toute trace de la lettre dans les archives de la direction du Trésor semble confirmer cette ignorance.
25 Auriol (Vincent), Journal du Septennat, t. VI, 1952, Paris, A. Colin, 1978, p. 157-158.
26 Baumgartner rapporta en effet au conseil général que, dès le 29, muni de la lettre, il avait exposé à E. Faure le souhait « manifesté par un grand nombre de ses collègues de marquer, par une démarche officielle, le souci que leur inspirait la situation présente ; [mais] le Président du Conseil n’a pas adhéré à l’idée de cette démarche », ABF, PV du conseil général du 6 mars 1952, p. 190.
27 Émission radiophonique du 23 juillet 1952, texte dans AWB, 2BA7, Dr6.
28 Lettre d’E. Faure à W. Baumgartner du 29 juillet 1952, AWB, 2BA7, Dr6.
29 Lettre de W. Baumgartner à E. Faure du 29 août 1952, AWB, 2BA7, Dr6.
30 Agenda de W. Baumgartner pour le troisième trimestre 1952, AWB, 2BA61, Dr4.
31 Lettre de W. Baumgartner du 29 août, op. cit.
32 Bloch-Lainé (François), La France restaurée…, op. cit., p. 242.
33 C’est l’idée défendue par F. Bloch-Lainé dans le cours qu’il professait cette même année 1952 à l’École libre des sciences politiques : « Le Conseil général est composé, en majeure partie, de fonctionnaires, de telle sorte qu’il est peu porté à entrer en conflit avec le Gouvernement », Le Trésor public et la politique financière, op. cit., p. 227.
34 Déclaration de Wilfrid Baumgartner devant le conseil général de la Banque le 3 mars 1955, doc. cité, p. 4.
35 PV de la séance extraordinaire du conseil général du 29 février 1952, ABF pour le texte intégral des débats et extraits aux AWB, 2BA6, DR4.
36 Ibid. comme pour toutes les références qui vont suivre, sauf indication contraire.
37 Bloch-Lainé (François), La France restaurée…, op. cit., p. 242.
38 Guillaume (Sylvie), Antoine Pinay ou la confiance en politique, Paris, Presses de la FNSP, 1984, p. 70 sqq.
39 L’Écho républicain de la Beauce et du Perche du 2 mars ou L’écho d’Oran du 5 mars.
40 Lettre de Paul Dehème du lundi 3 mars 1952.
41 Le Populaire du 4 mars 1952.
42 Le Monde du 4 mars 1952.
43 Sans fil du 4 mars 1952.
44 France Nouvelle du 7 mars 1952.
45 Paris Match du 4 mars 1952.
46 Le Journal des Finances du 7 mars 1952.
47 L’Observateur du 7 août 1952.
48 Le Canard enchaîné du 5 mars 1952.
49 L’Observateur du 7 août 1952.
50 Lettre de P.-P. Schweitzer à G. Guindey du 1er avril 1952, AWB, 2BA7, Dr6.
51 Ibid.
52 Auriol (Vincent), Journal…, op. cit., p. 166 sqq.
53 Cf. supra p. 69-74.
54 Lettre de P. Reynaud à W. Baumgartner du 4 février 1952, AWB, 2BA7, Dr6.
55 Agenda de W. Baumgartner du premier trimestre 1952, AWB, 2BA 61 Dr4.
56 Auriol (Vincent), Journal…, op. cit., p. 179.
57 Il semble bien qu’il n’y ait pas lieu de faire de cette entrevue à la veille du discours d’investiture de Pinay la preuve d’un rôle particulier du gouverneur de la Banque dans la conception du programme soumis aux députés le lendemain. C’est néanmoins l’avis de Guillaume (Sylvie), Antoine Pinay, op. cit., p. 53, reprise par Rimbaud (Christiane), Pinay, Paris, Perrin, 1990, p. 118. Il faut préciser, en effet, que juste avant Baumgartner, Pinay avait rencontré Pierre Mendès France, Guillaume Guindey et François Bloch- Lainé. La visite du gouverneur de la Banque de France n’était donc ce jour-là qu’une consultation parmi d’autres, cf. L’Aurore du 6 mars 1952.
58 Informations politiques et économiques du 14 novembre 1952, AWB, 2BA8, Dr5.
59 Ibid.
60 Callot (Émile-François), Le Mouvement Républicain Populaire, Paris, Éd. M. Rivière et Cie, 1978, p. 358-359.
61 C’est le titre de la biographie que Sylvie Guillaume lui a consacrée (op. cit.).
62 Procès-verbal du conseil général du 13 mars 1952, ABF, p. 210.
63 Ibid., p. 212.
64 Ibid., p. 214-215.
65 Entretien de l’auteur avec Mademoiselle Ernie, secrétaire du comité d’entreprise de la Banque de France de 1949 à 1972 et délégué syndical de la CFTC, le 21 janvier 1993.
66 Elgey (Georgette), La République des contradictions, 1951-1954, Paris, Fayard, 1968, p. 48.
67 Guillaume (Sylvie), Antoine Pinay, op. cit., p. 29.
68 L’agenda du gouverneur pour 1952 témoigne avec éloquence de la grande fréquence des rencontres entre les deux hommes à cette période : entre mars et août 1952, il rencontra personnellement plus de vingt-trois fois le président du Conseil, une fois par semaine en moyenne, à Matignon pour déjeuner, à dîner chez lui, ou encore en vacances à Aix-Les-Bains. Et il faut y ajouter les rendez-vous, aussi fréquents, avec les membres de l’entourage de Pinay, Henri Yrissou ou Henri Libersart. Agenda de Wilfrid Baumgartner pour 1952, AWB, 2BA61, Dr4.
69 Cité par S. Guillaume, Antoine Pinay, op. cit., p. 53-54.
70 Note de Jean Bolgert à Wilfrid Baumgartner du 3 mai 1952, AWB, 2BA7, Dr5.
71 Allocution radiodiffusée de W. Baumgartner du 3 juin 1952, AWB, 2BA7, Dr5.
72 Lettre d’H. Libersart à W. Baumgartner du 6 juin 1952, AWB, 2BA7, Dr5.
73 Procès-verbal de la séance du conseil général du 26 juin 1952, ABF. Il faut noter que, pour sa part, la Caisse des dépôts et consignations avait souscrit pour 35 milliards de titres, soit 20 % de l’apport total en numéraire. Le succès de l’emprunt était, comme on le voit, tout relatif.
74 Schéma de l’exposé de Zurich, plan de la conférence de W. Baumgartner prononcée le 28 avril 1954 devant la Société d’économie politique de Zurich, AWB, 2BA17, Dr1.
75 Note de trésorerie du 8 janvier 1954, AEF, B 51009.
76 Koch (Henri), Histoire de la Banque de France…, op. cit., p. 134.
77 Cf. supra figure n° 25, p. 398.
78 Procès-verbal de la séance du conseil général du 18 décembre 1952, ABF, p. 759 sqq.
79 Ibid., p. 763.
80 Ibid., p. 761.
81 Faure (Edgar), Avoir toujours raison…, op. cit., p. 398.
82 Bloch-Lainé (François), Profession fonctionnaire, op. cit., p. 121.
83 Schéma de l’exposé de Zurich, doc. cité, p. 4.
84 Ibid.
85 Ibid., p. 5.
86 Ibid., p. 6.
87 Cf. supra figure n° 25, p. 398.
88 Lettre de W. Baumgartner à M. Bourgès-Maunoury du 22 janvier 1953, AWB, 2BA9, Dr3.
89 Entretien avec Pierre-Paul Schweitzer du 8 décembre 1989, AO du CHEFF, entretien n° 7, cassette n° 8, 750-1009.
90 Note du Trésor à la direction de la Dette publique du 12 mars 1953, AEF B50977, dossier aménagements de la trésorerie.
91 Témoignage oral de Paul Delouvrier cité par Elgey (Georgette), op. cit., p. 120.
92 Entretien avec Claude Tixier du 3 avril 1990, AO du CHEFF, entretien n° 9, cassette n° 14, 931-1020.
93 Témoignage oral de Paul Delouvrier cité par Elgey (Georgette), op. cit., p. 124.
94 L’existence de ces documents dénués de tout rajout ou suppression a posteriori fait apparaître le conseil général de la Banque sous un jour très différent de l’impression que peut laisser la lecture des procès-verbaux officiels au rituel et à la formulation assez compassée et infiniment prudente dont la réécriture est apparue plus d’une fois avec évidence. Jean-Noël Jeanneney l’a montré pour les procès-verbaux de l’entre-deux-guerres (François de Wendel, op. cit., p. 522, n. 48) ; la précaution d’emploi de cette source reste donc de mise même après la nationalisation.
95 Laniel (Joseph), Jours de gloire et jours cruels, 1908-1958, Paris, Presses de la Cité, 1971, p. 149.
96 Grosser (Alfred), La IVe République et sa politique extérieure, Paris, Armand Colin, 1961, p. 286.
97 Auriol (Vincent), Journal du Septennat, t. VI, 1953-1954, op. cit., p. 103.
98 Télégramme de Jean Saltes à Wilfrid Baumgartner du 20 mars 1953, AWB, 2BA9, Dr6.
99 Télégramme de Jean Saltes à Wilfrid Baumgartner du 21 mars 1953, AWB, 2BA9, Dr6.
100 Petite histoire d’une avance à l’État (convention du 24 mars 1953), note non signée, 4 p. dactylographiées, AWB, 2BA10, Dr1.
101 Sténographie de la séance officieuse du conseil général du 5 juin 1953, AWB, 2BA10, Dr4.
102 Sténographie de la séance extraordinaire du conseil général du 23 mars 1953, p. 13, AWB, 2BA10, Dr1.
103 Ibid., p. 4.
104 Ibid., p. 32-33.
105 Sténographie de la séance officieuse du conseil général du 22 juin 1953, AWB, 2BA10, Dr6, p. 10.
106 Sténographie de la séance officieuse du conseil général du 5 juin 1953, AWB, 2BA10, Dr4, p. 1, 2e série.
107 Sténographie de la séance officieuse du conseil général du 22 juin 1953 au matin, AWB, doc. cité, p. 18.
108 Lettre de Paul Reynaud à Wilfrid Baumgartner du 28 mai 1953, AWB, 2BA10, Dr3.
109 Lettre de Jean Du Buit à Wilfrid Baumgartner du 9 janvier 1953, AWB, 2BA9, Dr1.
110 Le Monde du 16 juin 1953.
111 Sténographie de la séance officieuse du conseil général du 5 juin 1953, doc. cité, p. 4.
112 Ibid.
113 Ibid., p. 5.
114 Ibid., p. 6.
115 Programme pour Georges Bidault du 6 juin 1953, 10 p. dactylographiées, AWB, 2BA10, Dr4, p. 6.
116 Sténographie de la séance du conseil général du 11 juin 1953, AWB, 2BA10, DR4, p. 2. Le texte définitif du procès-verbal de cette même séance donnait une version assez édulcorée de cet objectif, évoquant seulement la nécessité que « le nouveau président du conseil reste dans la ligne de ses prédécesseurs », AWB, 2BA10, Dr4, p. 8.
117 Sténographie de la séance officieuse du conseil général du 5 juin 1953, doc. cité, p. 13.
118 Ibid., p. 16.
119 Ibid., p. 19.
120 Sténographie de la séance officieuse du conseil général du 20 juin 1953, AWB, 2BA10, Dr6, p. 22.
121 Sténographie de la séance du conseil général du 11 juin 1953, doc. cité, p. 9.
122 Sténographie de la séance officieuse du conseil général du 20 juin 1953, doc. cité, p. 5.
123 Ibid., p. 26-27.
124 L’Agence économique et financière du 26 juin 1953.
125 Laniel (Joseph), Jours de gloire…, op. cit., p. 159.
126 Déclaration d’investiture de J. Laniel le 26 juin 1953, AWB, 2BA10, Dr7.
127 L’année politique 1953, Paris, PUF, 1954, p. 116-117.
128 Lettre de L. Cruse à W. Baumgartner du 20 octobre 1953, AWB, 2BA12, Dr6.
129 Lettre d’André Fayol à Wilfrid Baumgartner du 13 octobre 1953, AWB, 2BA12, Dr7.
130 Lettre de J. de Fouchier à W. Baumgartner du 14 octobre 1953, AWB, 2BA12, Dr7.
131 Lettre de G. Devaux à W. Baumgartner, s. d. [oct. 1953], AWB, 2BA12, Dr6.
132 Siegfried (André), De la IIIe à la IVe République, Paris, Grasset, 1957, p. 220 ; cf. aussi Williams (Philip), La vie politique sous la 4e République, Paris, Armand Colin, 1971, (traduction française), p. 582 sqq ; Birnbaum (Pierre), Les sommets de l’État, op. cit., p. 59-66.
133 Lettre de P. Delouvrier à W. Baumgartner du 15 octobre 1953, AWB, 2BA12, Dr6.
134 Le Capital du 14 octobre 1953.
135 Aux Écoutes de la Finance du 15 octobre 1953.
136 Lettre de J. Berthoud à W. Baumgartner du 13 octobre 1953, AWB, 2BA12, Dr5.
137 Cette idée rejoint d’une certaine manière l’analyse que R. S. Sayers a donnée des bases théoriques du métier de banquier central : « The Theoretical Basis of Central Banking », in Collins (Michael), Central Banking in History, Discretion and Autonomy, Cambridge, Edward Elgar Publishing Company, 1993, p. 218-224.
138 « Le drame de la trésorerie », article d’Edgar Faure dans Le Monde du 11 et du 12 décembre 1952, AWB, 2BA8, Dr5.
139 Ibid.
140 Lettre de W. Baumgartner à E. Faure du 5 décembre 1952, AWB, 2BA8, Dr5.
141 L’Information du 22 avril 1953, AWB, 2BA10, Dr3.
142 Sténographie de la séance officieuse du conseil général du 5 juin 1953, doc. cité, p. 8.
143 Ibid.
144 Quelques remarques sommaires sur la question du circuit, note non signée mais très certainement de Jean Saltes, placée avec l’article de Reynaud dans l’Information du 22 avril 1953, 6 p. dactyl., AWB, 2BA10, Dr6.
145 Faure (Edgar), Avoir toujours raison…, op. cit., p. 456-457.
146 Margairaz (Michel), « Le franc et les politiques publiques de 1940 à 1952 : du dogme au paramètre », in Du Franc Poincaré à l’ECU, op. cit., p. 279-284.
147 Les mouvements de fonds du Trésor, note de février 1955 émanant de la direction du Trésor, 13 p. dactyl., AEF, B 50 977.
148 Projet de contribution au dossier Le Franc, mythes et réalités, La Nef, AWB, 2BA12, Dr3, p. 3.
149 Volcker (Paul A.), « The Triumph of Central Banking ? », leçon donnée dans le cadre des Per Jacobsson Lectures, à Washington en avril 1990, 19 p. dactylographiées (le texte de cette causerie nous a été obligeamment communiqué par Paul Fabra que nous remercions aussi des suggestions et remarques dont cette étude de la carrière de W. Baumgartner à la Banque de France a pu bénéficier).
150 La Banque de France, tradition et progrès, doc. cité, p. 31.
151 Ibid.
152 Audition de W. Baumgartner devant la commission des Finances, du crédit et de la fiscalité du Conseil économique et social du 11 mars 1953, AWB, 2BA9, Dr6, p. 19.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946
Les hommes, le métier, les carrières
Nathalie Carré de Malberg
2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006