Chapitre V. Le nerf de l’après-guerre : la reconstruction à crédit (Juin 1945-Janvier 1949)
p. 271-310
Texte intégral
1À la Libération, le problème de la reconstruction et de la modernisation de l’économie française se posa dans des conditions nouvelles. Jusqu’à l’annonce du plan Marshall le 5 juin 1947, la question du financement du relèvement économique se présenta, comme Wilfrid Baumgartner et d’autres l’avaient prévu, avec une particulière acuité. Le Crédit national joua-t-il alors un rôle qui fut à la hauteur des ambitions nourries par son directeur général entre 1940 et 1943 ? La place des crédits à moyen terme à partir de 1945, innovation financière majeure de la période, préparée dès l’Occupation, voire dès l’avant-guerre, demande à être plus particulièrement étudiée. Quelle a été leur importance dans le financement global de l’économie, à une période où la France dut encore pour l’essentiel compter sur ses propres forces, et durant laquelle néanmoins elle acheva quasiment sa reconstruction, soit avant même d’avoir commencé à disposer des fonds Marshall proprement dits et de leur contrepartie en francs ? C’est bien là le véritable enjeu de l’histoire des modalités du financement de l’économie française entre 1944 et 1948 et de son inscription dans un temps plus long1.
2Pour autant, la France d’avant le plan Marshall ne fut pas totalement réduite à ses propres forces qui fondamentalement restaient dramatiquement faibles et insuffisantes. La question d’une aide internationale se trouva donc posée dès la Libération, notamment sous l’égide du Conseil économique et social de l’ONU à peine née, puis dans le cadre des organismes créés à l’issue de la conférence de Bretton Woods en 1944, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Wilfrid Baumgartner, du fait de ses fonctions au Crédit national et de la part que, depuis 1940, il entendait lui faire prendre dans la phase de reconstruction, pouvait-il demeurer à l’écart des négociations menées en 1946 et 1947 dans le but d’obtenir de l’extérieur l’indispensable financement en devises du relèvement national2 ? Tant son rôle à la présidence de la sous-commission des Nations unies pour la reconstruction économique des régions dévastées réunie à Londres à partir de juillet 1946, que les difficiles pourparlers qu’il mena pour l’obtention du premier prêt de la Banque mondiale (BIRD) de juin 1946 à mai 1947 montrent l’implication réelle du président du Crédit national dans le domaine de l’aide économique extérieure avant l’annonce du plan Marshall. Que révèlent ces négociations, où Baumgartner fit ses premiers pas véritables dans le domaine de la diplomatie financière, de l’état des forces en présence et des équilibres internationaux au cours de cette période transitoire à bien des égards, au sortir de la Seconde Guerre mondiale et avant l’entrée dans la Guerre froide rendue soudain explicite avec l’aide américaine et la coupure du monde en deux blocs qu’elle concrétisa ? Quels enseignements tirer aussi de ces négociations internationales sur la question de l’articulation – inévitablement de nature financière – entre l’économie nationale et l’économie internationale ?
3En ce sens la période est riche aussi, par-delà les continuités qu’elle recèle peut-être et des évolutions qu’elle prépare, d’incontestables ruptures : comment le grand commis de la fin de la Troisième République, le haut fonctionnaire de Vichy qu’il demeura jusqu’à son arrestation, se situa-t-il à son retour de captivité en mai 1945 au sein des équipes en partie renouvelées arrivées au pouvoir dans la suite de la Résistance extérieure et intérieure ? Quelle place occupa-t-il enfin aux débuts de la Quatrième République, de la mise en place du tripartisme au retour aux affaires des hommes du parti radical, ceux-là mêmes que le directeur du Mouvement des fonds avait déjà longuement fréquentés avant guerre ? En d’autres termes, la carrière de Wilfrid Baumgartner de la fin de la guerre à l’achèvement de la reconstruction semble poser une fois de plus le problème des pouvoirs du technicien des finances, dans une conjoncture économique difficile caractérisée par le rationnement, la dépendance extérieure, une forte inflation, et dans un contexte politique marqué par la mise en place non moins malaisée d’un régime constitutionnel nouveau porteur des aspirations mais aussi des forces multiples et parfois contradictoires qui s’exprimèrent à la Libération.
RETOUR AU CRÉDIT NATIONAL ET ÉPURATION ADMINISTRATIVE
4Le 7 mai 1945, au lendemain de la capitulation allemande, Wilfrid Baumgartner atterrissait sur l’aéroport du Bourget après une période de captivité de près de deux ans en Allemagne. René Pleven en personne vint l’accueillir à sa descente d’avion et il fut ramené en voiture officielle à son domicile de la rue Saint-Dominique, tandis que le gros de ses compagnons d’infortune rapatriés le même jour subirent, eux, au préalable un interrogatoire de police en règle3. Les circonstances de ce retour posent clairement tous les problèmes de la situation de l’Administration dans sa grande majorité à la Libération : l’assimilation avec les équipes nouvelles formées dans la Résistance, dont René Pleven, l’ancien condisciple de Wilfrid Baumgartner à l’École libre des sciences politiques, promu en novembre 1944 ministre des Finances du gouvernement provisoire, était une parfaite illustration ; la question ensuite de l’épuration du haut personnel administratif demeuré, même temporairement, en poste sous le régime de Vichy4 ; le débat enfin autour des permanences de la politique économique de l’Occupation à la Libération et, semble-t-il même, dans le cas de Baumgartner et des questions du financement de l’économie, de possibles continuités avec l’immédiat avant-guerre.
5À peine de retour dans ses murs au Crédit national, où il rentra sous les applaudissements du personnel réuni « au grand complet » dans la cour d’honneur « pour le fêter et l’accueillir »5, Wilfrid Baumgartner eut à répondre à la mise en demeure du procureur Brun de la Cour des comptes chargé de présider le jury d’honneur du ministère des Finances « destiné à donner son avis sur l’activité du haut personnel de l’Administration des Finances […] ayant exercé pendant la durée de l’Occupation allemande »6. Or, soulignait le procureur, « durant cette période, vous avez quitté le service de l’Inspection des Finances et avez été nommé directeur général du Crédit national. Le jury tient en conséquence à être fixé sur votre activité. »7 Ayant d’abord fait remarquer assez sèchement au président Brun l’inexactitude matérielle « tout à fait inadmissible » que contenait sa demande, lui précisant que sa nomination au Crédit national datait du 8 décembre 1936 et ne devait donc rien aux circonstances de l’Occupation, il dut néanmoins justifier de son activité à la tête de l’établissement jusqu’au 10 août 1943 :
« Depuis l’armistice jusqu’à mon arrestation, je me suis strictement confiné dans l’accomplissement technique de ma mission. Il est de notoriété publique que j’ai été mal considéré [par le régime]. Le Gouvernement de Vichy ne m’a jamais tenu pour un de ses partisans. Je n’ai donc aucun mérite à revendiquer dans le fait que l’on ne m’a jamais vu à Vichy, que je n’ai jamais vu le Maréchal, que je n’ai même vu que rarement le ministre des Finances »8.
6En outre, il pouvait, appuyé par son personnel, revendiquer une gestion irréprochable de l’établissement dont il avait eu la charge, tant vis-à-vis de l’application dès octobre 1940 de la législation antisémite qu’au moment de l’instauration du STO à compter de février 1943 :
« Dans la gestion de mon Établissement, je crois être resté fidèle aux principes qui devaient guider dans ces heures sombres tout républicain et tout patriote. Sur le plan des affaires du personnel, aucune épuration d’ordre politique, maintien en fonction en dépit de l’interprétation restrictive du Commissaire aux affaires juives des employés israélites, efforts constants pour soustraire les employés aux réquisitions pour l’Allemagne, maintien des relations avec des délégués du personnel élus avant l’occupation. »9
7L’évocation enfin des contacts noués à partir de 1943 avec la Résistance et les circonstances de son arrestation achevèrent de convaincre le jury d’honneur de l’absence de compromissions de Wilfrid Baumgartner sous l’Occupation. Peu après, René Pleven lui faisait savoir que les conclusions de jury du ministère des Finances avaient définitivement établi que l’activité du président du Crédit national, « depuis le 16 juin 1940, s’[était] exercée conformément aux intérêts de la Nation et avec l’esprit patriotique le plus élevé. »10 Au-delà du cas particulier et tout en soulignant le décalage existant entre la réalité, telle qu’on a pu en fournir certains éléments, des fonctions de Baumgartner sous l’Occupation et la présentation qu’il en donna immédiatement après la guerre, l’épisode est néanmoins révélateur de la remise en cause généralisée des responsables de l’administration des Finances dans son ensemble à la Libération.
8L’« esprit » de la Résistance, tel qu’on peut le déceler dans les principes du programme du CNR11 ou, sur un autre plan, dans la formation d’un parti neuf comme le MRP ou dans la politique nationale alors suivie par le Parti communiste, comportait la remise en cause des élites traditionnelles, globalement accusées de s’être ralliées au régime de Vichy et à la collaboration avec l’occupant12. Le ministère des Finances et en son sein l’inspection des Finances furent particulièrement la cible de ces critiques. À l’automne 1945, Wilfrid Baumgartner s’en fit l’écho dans le cadre de son cours de finances publiques dont il avait, dès son retour, accepté de reprendre la charge, après un intérim de deux ans assuré par Henri Deroy : « Instruisons le procès du ministère des Finances », proposa-t-il d’entrée à son auditoire :
« C’est un fait que l’animation est faite par l’inspection des Finances. Malaise d’en parler en toute objectivité. Culte naturel pour mon Corps. Il n’est guère aimé. Mais les attaques ne visent pas sa technique et son efficacité, mais sa manière d’être […]. Peut-être les critiques chargées contre elle sont à la mesure de son emprise. Elles sont aussi dues à des allures patriciennes que les plus plébéiens y prennent volontiers. »13
9L’inspection des Finances, dont Wilfrid Baumgartner, on l’a souligné, était apparu avant guerre comme l’un des phares, se trouvait alors en effet particulièrement soumise à la critique par l’engagement sous l’occupation de certains de ses membres, tels Henry du Moulin de Labarthète, Yves Bouthillier, Joseph Ripert ou Jacques Lacour-Gayet au service du régime de Vichy. Et en avril 1946, le ministre des Finances du cabinet Gouin, le socialiste André Philip, mit même à l’ordre du jour de l’Assemblée constituante un projet de loi visant à la suppression pure et simple de l’inspection des Finances, « peu à peu conduite, estimait le texte, à négliger sa tâche véritable au profit d’activités diverses et le plus souvent sans grand rapport avec cette dernière »14. Alertée, l’Association des membres de l’inspection convoqua ses adhérents dès la mi-mars 1946. Wilfrid Baumgartner était du nombre. Un plaidoyer fut rédigé le 26 mars qui mettait au contraire en avant l’engagement de l’inspection dans la Résistance : 63 membres sur 175, estima le document, « ont pris une part très active à la lutte sous toutes ses formes »15. Le projet fut enterré en commission parlementaire et demeura sans suite. Il témoigne pourtant de la persistance, près de deux ans après la Libération, de la volonté de remise en cause des pouvoirs traditionnels et explique aussi que le temps de Baumgartner, fortement symbolique à plus d’un titre de la haute administration d’avant-guerre, ne soit pas revenu immédiatement au lendemain de la guerre. En outre, sa captivité, si elle écarta de lui tout soupçon de compromission avec les autorités d’occupation, l’avait néanmoins, on l’a déjà souligné, tenu à l’écart des équipes en partie renouvelées formées à Alger ou dans la Résistance intérieure16. Pourtant, Baumgartner participa sans conteste du renouvellement théorique et pratique qui marqua aussi la Libération dans le domaine de l’État et plus particulièrement de son rôle dans l’économie et la société.
LES RÉGULATIONS FINANCIÈRES NOUVELLES DE LA LIBÉRATION
10La Libération est réputée avoir correspondu à une rupture profonde de la doctrine et des pratiques financières de la haute administration. Le contenu de son enseignement rue Saint-Guillaume, tribune familière où trouvèrent une fois de plus à s’exprimer les pensées du haut fonctionnaire dès la rentrée de 1945, plaide en faveur de la réalité de cette évolution : à l’issue de la longue dépression des années trente, « la vraie liquidation de la guerre [de 1914- 1918] », puis des épreuves de la défaite et de l’Occupation, la France, expliquait-il, sortait « affaiblie, usée par cette longue suite de difficultés. Elle a manqué un cycle de prospérité »17. C’était bien le thème du retard français, exprimé exactement au même moment par Jean Monnet18, mais tout autant perçu avec acuité, il faut le souligner, hors du cercle restreint du futur commissaire au Plan. Ce constat, le directeur général du Crédit national le plaçait au départ d’une vision d’avenir qui rend assez bien compte des analyses qu’il conçut à la fin de la guerre, en même temps qu’elle illustre excellemment l’art et la manière du personnage à cette date :
« Demain nous allons peut-être connaître cette chance unique de ne pas acquitter tout le prix de la défaite que nous avons subie. Alors pas un Français ne saurait, comme le vieillard d’Horace, n’éprouver plus d’admiration que pour le passé. Humiliés, appauvris, nous avons le facteur moral et le facteur matériel de l’action. Saurons-nous saisir cette chance inspirée et accomplir cet effort de redressement dont nos amis et nos ennemis s’accordent à nous prédire qu’il sera difficile et long ? Saurons nous l’entreprendre et surtout y persévérer ? Saurons-nous comme faisait jadis l’humble ouvrier d’église aussi bien que le maître-architecte travailler à la cathédrale dont nous ne verrons pas l’achèvement ? Ou bien retournerons-nous à la léthargie et entendrons-nous les fameux réalistes murmurer quelque chose comme “ rien n’est perdu fors l’honneur ” ? »19
11Cet appel à la mobilisation du travail et des énergies, cet enthousiasme pour le redressement de la Nation participait bien entendu de l’air du temps qui était tout autant à l’origine de la « bataille de la production » à laquelle le Parti communiste français conviait au même moment les ouvriers et paysans. Mais, l’analyse de Baumgartner comportait des vues plus précises encore sur les modalités financières de ce relèvement ardemment souhaité :
« Le risque pour la Nation, c’est le ciel trop clément, la nature trop généreuse, l’abondance trop tôt rétablie. Faut-il craindre que si les galions nous rapportent peu à peu l’or qu’ils ont emporté, la France se remette à couver un stock trop fabuleux du fabuleux métal ? Ainsi Siegfried après avoir chanté au rythme puissant de sa forge le poème de l’énergie abandonna la Walkyrie pour ne garder que l’anneau d’or. »20
12Cette analyse, au-delà du tour rhétorique que Baumgartner persistait à employer et qui commençait à être en décalage sur l’air plus technocratique du temps, marquait pourtant une étape importante dans l’évolution mentale qui fut la sienne depuis la stabilisation du franc sous Poincaré : à l’évidence, le grand commis des Finances tirait désormais explicitement les leçons de la longue crise des années 1930 qui avait vu conjointement le marasme persistant de l’activité économique et l’existence d’une masse considérable de capitaux thésaurisés. La politique de préservation de l’encaisse-or de l’Institut d’émission en était le meilleur symbole. Le haut fonctionnaire du Trésor avait fait l’expérience avant guerre de l’attachement quasi irrationnel que l’opinion et les pouvoirs publics avaient porté durant toute la période au niveau du stock d’or, notamment à l’occasion des mouvements de retraits sporadiques et au total assez limités qui l’affectèrent en mai et en novembre 1935 ou à l’été 1936 par exemple. À la déclaration des hostilités, l’encaisse-or atteignait encore 2 850 tonnes, soit à peu près le niveau déjà atteint au moment de la stabilisation du franc en 1928. Évacuée entre 1939 et juin 1940 vers les États-Unis, la plus grande partie du métal jaune se trouvait à la Libération en dépôt bloqué à la Federal Reserve Bank de New York21. C’est au rapatriement progressif de cet or que Wilfrid Baumgartner faisait allusion devant ses étudiants. Toutefois, et c’est le point notable, à l’opposé de cette manière de néomercantilisme qui avait caractérisé la France des années trente et à laquelle la référence au fabuleux métal et aux galions immanquablement faisait penser, le président du Crédit national mit en garde contre l’illusion de richesse que donnait la thésaurisation et insista sur la seule vraie richesse qui était, selon lui toujours, la production et le travail. « L’épargne, précisait-il, n’est pas une vertu sans mélange. Peu à peu, elle s’est opposée en France à l’enrichissement conseillé par Guizot. Si même elle ne compromet pas l’avenir de la Race, elle nuit au moins à l’action. On travaille peu, on économise beaucoup. Aujourd’hui, il faudrait beaucoup mieux travailler beaucoup, quitte à peu économiser. »22 Notable évolution de la mentalité monétaire d’un haut fonctionnaire des Finances, sans aucun doute révélatrice, à plus d’un titre, comme l’estimait Pierre Vilar après Marc Bloch, de la réalité d’un tournant historique majeur dans les mentalités économiques d’une époque23.
13Cette indéniable évolution avait son correspondant dans la conception nouvelle que Wilfrid Baumgartner se faisait désormais de la notion même d’équilibre budgétaire. Il s’en ouvrit non sans enthousiasme à ses étudiants de la rue Saint-Guillaume, l’année suivante, de retour d’un premier voyage aux États-Unis. Il avait pu y constater, exposait-il, la réalité du « déclin évident, terrible, de l’Europe dans son ensemble, […] face au développement extraordinaire des États-Unis d’Amérique [mais aussi] de certaines contrées comme le Cap, l’Australie, les Indes… »24 Ce choc, qu’on peut supposer véritable, modifiait selon lui la définition même des finances publiques :
« Tout ceci fait que le problème financier est aujourd’hui infiniment plus difficile à résoudre que par le passé, qu’il y faut vraiment une politique, une politique qui ne soit plus seulement ce que j’appellerai l’ancienne conception, la conception étroite de l’équilibre budgétaire, celle où l’on regarde la colonne des dépenses et la colonne des recettes. Ce qu’il faut, c’est une conception infiniment plus large. »25
14C’était à l’évidence, dans l’esprit du haut fonctionnaire des finances, l’aboutissement d’une longue évolution amorcée dès la crise des années trente et d’un coup mûrie à la faveur de la fin de la guerre et des urgences nouvelles du redressement de l’économie française soudain placée devant l’alternative fameuse, énoncée au même moment au commissariat au Plan, de la modernisation ou de la décadence. La mise en œuvre à partir de 1944, sous l’impulsion décisive de Wilfrid Baumgartner, du financement de la reconstruction et de la modernisation de la France par le moyen du crédit à moyen terme mobilisable, donna à ces principes nouveaux une application immédiate.
15Au début de janvier 1947, sollicité par Henri Bourdeau de Fontenay, son premier directeur, pour assurer l’enseignement des finances publiques dans le cadre de la toute jeune ENA, Wilfrid Baumgartner faisait constater que lorsque le revenu national, déduction faite des consommations, était insuffisant pour investir dans l’activité économique, alors « il faut créer des capitaux et il faut les créer par la voie monétaire »26. Le pas théorique était cette fois considérable. Nul doute que les expériences de la crise de l’entre-deux-guerres en furent à l’origine. L’influence de la théorie générale de Keynes, découverte en captivité, sinon dans la traduction de Jean de Largentaye, du moins, on l’a dit, à travers le traité de Pose sur la monnaie publié en 194227, était perceptible aussi dans la vision macroéconomique sur laquelle, à l’ENA, il appuya pour la première fois son propos, ayant pris soin au préalable de relever d’entrée de jeu que « la bibliographie sur les finances publiques [était] extrêmement courte » ; « en réalité, poursuivait-il, il n’y a rien à indiquer », sinon « des ouvrages relativement anciens et par conséquent périmés. »28 L’invention de la formule du crédit à moyen terme mobilisable à la fin de la guerre, « le moyen nouveau de financement externe » de l’après-guerre29, s’inscrivait donc bien dans un paysage théorique en grande partie renouvelé.
UNE PETITE « RÉVOLUTION CULTURELLE » (J. BOUVIER) : L’INVENTION DU CRÉDIT À MOYEN TERME MOBILISABLE
16Baumgartner, au cours de la première assemblée générale de l’établissement qu’il présida à son retour de captivité, indiqua clairement l’importance que la formule des crédits à moyen terme mobilisables revêtait à ses yeux dans le contexte particulier de la reconstruction :
« Nous n’avons pas cessé depuis 1940 de songer aux responsabilités qui nous incomberaient à l’heure de la Libération et de nous préparer à n’y être pas inégal […]. D’importants besoins de capitaux apparaissent dans les entreprises industrielles. À cet égard, l’accueil réservé aux facilités récemment apportées par le Crédit national dans le domaine du crédit à moyen terme fait augurer favorablement d’une initiative qui paraît bien répondre à un besoin réel de l’économie. »30
17Cette initiative avait en effet été préparée par une réflexion déjà ancienne : le problème du développement du crédit à moyen terme avait fait l’objet dès avant la guerre, on l’a montré31, d’une réflexion déjà poussée et de pourparlers entre les banques et les établissements financiers dépendant de l’État auxquels le président du Crédit national avait été étroitement associé. Au lendemain de la défaite, Wilfrid Baumgartner, de son propre chef, avait repris l’étude de la question et à la veille de son arrestation, en août 1943, les négociations avec la Caisse des dépôts dont Henri Deroy était demeuré le directeur général et avec la Banque de France étaient déjà bien engagées. Dès le 12 janvier 1943, le président avait évoqué devant son conseil d’administration que le Crédit national, « devant l’ampleur des besoins qui peuvent se manifester dans ce domaine à l’issue du conflit », devait « se préparer à assumer un rôle éventuellement plus large qui serait celui d’organisme de réescompte des opérations de crédit à moyen terme »32. Ainsi, à côté du département des prêts directs pratiqués depuis 1920, l’établissement, expliquait-il, créerait « un département d’escompte », chargé « d’assurer, dans la mesure où le besoin s’en ferait sentir, la mobilisation, définitive ou temporaire, des avances consenties en vue du rééquipement des entreprises par l’ensemble des banques et des établissements de crédit. »33 En juin de la même année, le président put annoncer à son conseil que suite à une réunion du comité des statuts et des conventions de l’établissement, il serait procédé au cours de l’assemblée extraordinaire du 29 juin 1943 à une modification de l’article 58 des statuts du Crédit national lui permettant d’escompter au profit des banques des effets à moyen terme.
18Mais, nota-t-il aussitôt, cette modification, importante en soi, ne résolvait en rien le problème à la vérité fondamental de l’éventuel refinancement du Crédit national, car, admettait-il, « si les opérations d’escompte venaient à prendre un grand développement, les seules ressources de la trésorerie du Crédit national ne suffiraient pas »34. Dès cette date, Wilfrid Baumgartner avait donc parfaitement vu que la principale nouveauté de la formule était qu’elle revenait à rendre possible, en dernière analyse, un financement purement monétaire de l’activité économique : « c’est dans l’utilisation des ressources provenant du marché monétaire que résident l’originalité et l’intérêt du nouveau mécanisme en même temps que les difficultés de sa mise au point. »35 Henri Deroy, au nom de la Caisse des dépôts, s’était donc engagé à mettre à la disposition du Crédit national un volant de trésorerie lui garantissant la faculté d’un certain réescompte. À cette date, en revanche, peu de progrès avaient été enregistrés dans les négociations avec la Banque de France qui, notait Baumgartner, aurait pu utilement jouer en l’occurrence le rôle « d’une sorte de soupape de sûreté » fonctionnant soit au bénéfice de la Caisse des dépôts soit à celui du Crédit national36. Le 29 juin 1943, une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de l’établissement approuvait le rapport présenté par Wilfrid Baumgartner qui, de façon très explicite, présentait la formule comme particulièrement propre à faciliter « l’obtention par les entreprises des ressources dont elles peuvent avoir besoin pour rénover ou pour étendre leurs moyens d’exploitation »37. Dès cette date – point d’une importance non négligeable –, la reconstruction de l’économie nationale était inséparable dans l’esprit de certains responsables financiers de l’État de l’idée de la nécessaire modernisation de l’appareil productif. La reconstruction, cette fois, ne devait pas s’opérer à l’identique. En l’absence de Baumgartner retenu en captivité, les pourparlers avec Yves Bréart de Boisanger, le gouverneur de la Banque de France, se poursuivirent à l’instigation de Jacques Brunet, directeur du Trésor et censeur depuis 1940 du Crédit national, et d’Henri Deroy. Le 11 mai 1944, enfin, le conseil général de la Banque de France prit un arrêté qui fixait les modalités de mobilisation par l’Institut d’émission d’effets à moyen terme, revêtus de quatre signatures dont celle du Crédit national. C’était le résultat d’une longue négociation durant laquelle la Banque et le Crédit national s’étaient disputé la haute main sur le crédit à moyen terme.
19Il semble bien en effet qu’à la Banque de France aussi furent développées durant la guerre des analyses qui rejoignaient sur bien des points celles menées au même moment dans l’entourage de Wilfrid Baumgartner, sur le problème du financement de la reconstruction et de la modernisation de la France une fois advenue sa libération. En avril 1944, le gouverneur présenta ainsi, en conseil, les « principes dont, à l’issue de la guerre, la Banque, annonçait-il, devra s’inspirer en matière de crédit »38 :
« La Banque entend, à l’issue de la guerre, pratiquer un politique libérale de crédit […]. Quelle que doive être la surabondance des signes monétaires, il ne peut être question d’observer une politique de resserrement rigoureux du crédit, qui ne pourrait jouer que sur quelques milliards. Elle n’aurait donc pas de réelle influence sur le volume de la circulation ; elle entraverait toute reprise économique et nuirait ainsi à notre pays : ce serait une politique funeste et à courte vue »39.
20Au contraire, la banque d’émission envisageait de directement « concourir au financement des achats de matériel et d’outillage nécessaires à la reprise de l’industrie », mais aussi au « renouvellement de l’outillage » et à « l’aide à l’exportation ». Vastes ambitions qui, d’une certaine manière, heurtaient au Crédit national des prétentions semblables.
21Lors de la séance du conseil général du 11 mai 1944, le débat prit un tour plus accusé entre d’une part le gouverneur Boisanger et d’autre part Jacques Brunet et Henri Deroy qui se firent en l’absence de Wilfrid Baumgartner les défenseurs des prérogatives du Crédit national, et au-delà de l’État lui-même. Le gouverneur examinait en effet quelles seraient, au lendemain de la guerre, les responsabilités respectives de la Banque et de l’État dans la conduite de la politique économique, dans l’hypothèse, à son avis très probable, où seraient maintenus après guerre les contrôles instaurés sous l’Occupation. Dans cette perspective, Boisanger inclinait à penser que la Banque devait pouvoir revendiquer le contrôle complet de la distribution du crédit. L’Institut d’émission, ainsi rendu maître de la politique de crédit, pourrait par exemple, expliquait le gouverneur, de plein droit « refuser d’accorder du crédit à une entreprise à laquelle l’État aurait donné des possibilités d’achat »40. Jacques Brunet, pour le Trésor, intervint alors pour exposer au contraire la nécessité, selon lui, d’une coopération future entre l’Institut d’émission et l’État dans le domaine du crédit. « La Banque, plaida-t-il, devra s’inspirer de la politique que suivront les Pouvoirs publics, pour ne pas annihiler leurs efforts, mais au contraire les seconder. »41 Deroy alla pleinement dans ce sens, rappelant en outre le rôle que devait être appelé à jouer l’établissement dirigé par Wilfrid Baumgartner dans l’organisation future du crédit :
« Il a été reconnu, soulignait le directeur général de la Caisse des dépôts, que le crédit à moyen terme a manqué dans le passé d’une organisation pleinement satisfaisante et que son développement a été entravé […]. Il est apparu que le Crédit national, qui fait depuis assez longtemps des prêts aux entreprises, était bien placé pour accorder des garanties de mobilisation aux crédits à moyen terme consentis par les banques. »42
22Alors que les premières demandes de mobilisation commencèrent à affluer à partir de l’été 1944, la concurrence entre la Banque et le Crédit national s’affirma davantage. Le 20 juillet, quelques semaines à peine avant la Libération de Paris, Boisanger, gouverneur pour quelque temps encore avant son remplacement par Emmanuel Monick, exposa au Conseil que la Banque avait cru devoir refuser une bonne moitié du montant total des crédits présentés au réescompte par le Crédit national, soit 317 millions de francs sur les 518 proposés. Il n’avait ainsi été admis au bénéfice du réescompte de la Banque qu’un crédit de 100 millions au profit de la Lyonnaise des eaux, de 200 millions pour l’Énergie électrique du littoral méditerranéen et de 17 millions pour la Société des produits azotés. « Le Crédit national, commenta froidement le gouverneur, a passé outre et a accepté ces crédits ; il ira à la Caisse des dépôts, mais celle-ci n’aura pas accès au réescompte de la Banque. »43 En revanche, ajouta Boisanger, la Banque avait accepté de réescompter directement, c’està- dire sans passer par le Crédit national, une traite de six millions tirée par les distilleries du Gâtinais sur le Crédit lyonnais. Devant cette manière de provocation, Jacques Brunet réagit et rappela, avec une certaine vigueur, l’esprit et la lettre de la formule défendue avant son arrestation par le président du Crédit national :
« Je me réfère aux conversations que nous avons eues avec M. Baumgartner […]. Nous nous sommes mis d’accord et cela n’a pas été très facile. Il est difficile d’interpréter la pensée d’un absent, mais je considère que je suis obligé d’intervenir très vigoureusement parce que je ne veux pas mettre Baumgartner, à son retour, en face d’une situation qu’il n’approuverait pas. La position de la Banque devrait être claire : une banque, le Crédit national, la Caisse des dépôts, soit trois signatures de banques réunies ».44
23Sous la critique du directeur du Trésor, le gouverneur se montra plus conciliant :
« Les craintes de M. Baumgartner que tout se passe chez nous, en dehors de lui, sont tout à fait hors de question maintenant. […] Avec M. Baumgartner, rappela-t-il, nous étions restés sur un désaccord [Mais] actuellement, sur les opérations faites le mois dernier, le Crédit national nous a apporté 400 millions et le Crédit Lyonnais 6 millions ! »45
24Au-delà de la concurrence entre les deux institutions bancaires qu’elle met en lumière, au-delà aussi des oppositions personnelles qu’elle révèle, la difficile mise au point de la formule de mobilisation traduit des enjeux plus essentiels, à la hauteur de cette sorte de « révolution culturelle », pour reprendre l’appréciation parlante de Jean Bouvier46, qu’a pu représenter l’introduction de cette modalité nouvelle de financement : la multiplication des filtres voulue par Baumgartner entre les besoins de l’économie et la banque d’émission trahissait ainsi la volonté de doter le mécanisme de plusieurs garde-fous. La vive réaction, au conseil général, du directeur du Trésor placé par la Banque devant le fait accompli d’une liaison en prise directe pouvait du reste s’interpréter ainsi : « je suis brutal, je m’en excuse, ajouta-t-il à sa décharge, je crains tous les glissements […]. J’aime mieux cela que de marcher les yeux fermés. »47 En fait, il s’agissait bien d’un saut dans l’inconnu. Jean Raty, le patron sidérurgiste des Hauts fourneaux de Saulnes, souligna ce point devant le conseil de la Banque au lendemain de l’adoption du mécanisme, rappelant non sans réalisme que le financement de la reconstruction atteindrait des montants considérables, bien supérieurs aux ressources des organismes réescompteurs du premier degré : « Pour la seule métallurgie, fit-il remarquer, on envisage un plan de rééquipement qui coûterait 50 milliards. Dans l’industrie automobile, pour maintenir seulement la production à son niveau d’avant-guerre, il faudrait 30 milliards. »48 Le risque était donc considérable d’ouvrir, par le biais de la mobilisation, une vanne monétaire dont on aurait peut-être quelque peine à contrôler parfaitement le débit. Mais à la Libération, face à l’insuffisance du marché financier, réduite pour l’essentiel à ses seules forces et à la générosité encore peu affirmée des véritables vainqueurs de la guerre, la France disposait-elle de beaucoup d’autres sources de financement pour reconstruire et moderniser son économie ? Le premier plan de modernisation et d’équipement établi à ce moment laissait d’ailleurs en grande partie dans l’ombre, de manière significative, la question très délicate des modalités de son financement49. Dans cette période transitoire des débuts du relèvement, le crédit à moyen terme mobilisable semblait donc devoir jouer un rôle non négligeable. Mais seule une analyse des crédits de ce type effectivement consentis entre le deuxième semestre 1944 et 1947, de la veille de la Libération jusqu’au déblocage de l’aide intérimaire annonciatrice de la manne américaine, peut permettre de prendre une exacte mesure de l’importance alors revêtue par un mécanisme de financement nouveau dont la paternité, à bien des égards, revient au président du Crédit national.
LE CRÉDIT À MOYEN TERME MOBILISABLE : LE NERF DE L’APRÈS-GUERRE
25Entre 1945 et 1949, la progression en valeur absolue et en francs courants des crédits à moyen terme à l’économie est incontestable : leur montant total a été multiplié par 30, passant de 6 milliards au 31 décembre 1945 à 178 milliards en 1949. Bien entendu, la forte inflation des années d’immédiat après-guerre amène à tempérer la réalité de cette progression en franc constant. Mais il reste que dans le même temps, le total de tous les crédits à l’économie confondus a augmenté à un rythme globalement trois fois moins rapide, passant entre les mêmes dates de 170 à 1 762 milliards de francs courants50. Pour autant, cette progression rapide des encours à moyen terme ne doit pas occulter le fait que leur part dans le total des crédits à l’économie est toujours restée modeste entre 1945 et 1949 : les crédits à moyen terme qui représentaient 3,5 % de l’ensemble des crédits à l’économie en 1945 n’en représentaient pas plus de 10 % en 1949, après une pointe, il est vrai, en 1947, juste avant le début de l’aide américaine, avec près de 14 % du total51. Il reste que ce type de crédit, à la différence du crédit commercial à court terme qui constitua la grande majorité du total des crédits à l’économie dans la période, était, lui, spécifiquement destiné au financement du rééquipement. Le crédit à moyen terme mobilisable occupe donc sans conteste une place particulière dans l’histoire du redressement de l’économie française entre 1944 et 194752. Les relevés périodiques de la direction de l’Escompte de la Banque de France entre juin 1944 et juillet 1947, source précieuse, permettent de préciser quelque peu le rôle alors joué par la formule élaborée par Wilfrid Baumgartner dans la reconstruction et la modernisation de la France53.
26Au début de juillet 1947, alors que les pays d’Europe occidentale venaient d’accepter le principe du plan Marshall, le montant des crédits à moyen terme réescomptés par la Banque de France via le Crédit national atteignait 48 milliards de francs, somme non négligeable mais qu’il faut bien entendu rapporter aux 2,5 milliards de dollars, soit quelque 90 milliards de francs, que la France reçut globalement au titre de l’aide américaine entre avril 1948 et juin 195154, et plus encore aux 2 250 milliards estimés nécessaires au financement des investissements prévus par le plan Monnet55. Si l’hypothèse d’un relèvement économique autochtone de la France relève de la seule histoire contre factuelle, il reste qu’entre 1944 et 1947, le rééquipement du pays fut de fait amorcé et que les crédits à moyen terme y tinrent une place prépondérante en l’absence de tout autre forme de ressource longue. Quel visage prit, dans cet intervalle, la reconstruction de l’économie nationale ? L’analyse des crédits à moyen terme alors réescomptés par l’Institut d’émission permet de faire apparaître les grands traits de ce relèvement autochtone. Dans la description justificative des projets financés par cette procédure, l’impératif de modernisation est très tôt présent : crédit de 100 millions consenti dès juillet 1944 à la Compagnie des mines d’Anzin pour « modernisation des installations et du matériel » ; financement d’un « programme de travaux neufs » engagé à hauteur de 100 millions par les Forges et Aciéries de la marine & d’Homécourt en octobre 1944 ; 100 millions encore accordés aux Aciéries de Longwy en vue de « travaux de remplacement et de perfectionnement » ; en février 1945, c’est la Société marseillaise de sulfure de carbone qui obtint 30 millions pour « l’achèvement du programme de modernisation de ses usines ». Dans chaque cas, « la modernisation », « l’extension », « la concentration », dès avant la fin de la guerre, étaient mises en avant, au moins aussi souvent que la simple nécessité de « réparation », de « réfection » et de « remise en état ». Il n’est pas indifférent que les projets auxquels le Crédit national, à qui revenait d’établir par une enquête préalable la recevabilité de chaque demande, aient pour la plupart mis l’accent sur la modernisation des conditions de production. La France, comme il était évident aux yeux du président du Crédit national et de bien d’autres, dont Jean Monnet, à la même époque, devait impérativement rattraper son retard. Cette préoccupation est manifeste au début de 1946, soit avant même la définition des objectifs du premier plan de modernisation et d’équipement, la répartition par grands secteurs d’activité du total des crédits à moyen terme mobilisés (cf. figure n° 12).
27Au début de 1946, alors que le montant total des crédits à moyen terme escomptés par la Banque dépassait 10 milliards, les secteurs les plus largement bénéficiaires de la procédure nouvelle de financement étaient à l’évidence celui des transports, suivi de la grosse métallurgie, de la chimie et de l’énergie. La part prépondérante des transports s’explique par la vaste opération de financement montée à l’été 1945 sous l’égide d’un consortium de banques dont le CNEP était le chef de file, destinée à permettre le renouvellement en quatre ans du parc des transporteurs routiers et des compagnies d’autocars, à hauteur de 70 milliards de francs. Dans l’immédiat, une première tranche, pour un montant de 2 milliards, fut engagée et aussitôt mobilisée à la Banque de France avec l’aval inconditionnel de la Caisse nationale des marchés de l’État. Parmi les entreprises du secteur de la métallurgie, on relève, par exemple, la Société minière et métallurgique de Penarroya à laquelle un prêt de 250 millions fut consenti en décembre 1945 par un groupe de banques comprenant les grandes banques de dépôt, la Société générale, le CCF, la BNCI, le Crédit du Nord, le Crédit lyonnais par l’intermédiaire de sa filiale l’UCINA, mais aussi nombre de banques d’affaires de la place : la Banque de Paris et des Pays-Bas, les maisons Mirabaud, Rothschild et Demachy. Dans le domaine de la chimie lourde, la principale opération concernait les établissements Kuhlmann avec un crédit de 400 millions consenti à la fin de 1945 par les principales banques commerciales et l’Union des mines, en vue de « travaux d’amélioration ». De même, la Compagnie française de raffinage obtint-elle 300 millions pour la « reconstruction de la distillerie de Normandie et l’achat de matériel aux États-Unis », les pétroles Jupiter, 200 millions, avec la participation de la maison Lazard frères, pour « rééquipement et extension en camions et emballages ». Les exemples pourraient ainsi être multipliés. Ils démontrent que, dès la Libération, le redressement économique français, aperçu à travers le prisme particulier du crédit à moyen terme, privilégia les industries lourdes, l’énergie et les transports c’est-à-dire déjà les activités de base telles que le premier plan les définit à la fin de 1946, à l’issue du travail des commissions de modernisation. Les nationalisations du secteur de l’énergie à partir de 1946 et la mise en œuvre des priorités définies dans le cadre du plan Monnet ont-elles abouti à modifier ces orientations premières ? La même répartition sectorielle observée, cette fois en juillet 1947, permet d’esquisser une réponse (cf. figure n° 13).
28Il apparaît que les réformes de structures de 1945-1946, un an après leur application, ne modifièrent au total que peu les orientations générales de la politique du crédit à moyen terme mobilisable et, partant, la physionomie d’ensemble de la reconstruction et de la modernisation de l’économie française telle qu’elles s’étaient amorcées depuis l’été 1944 : la priorité aux secteurs de base naturellement fut maintenue, avec cette seule différence notable que la part relative des transports accusa une nette régression au profit du secteur de la chimie et surtout de l’énergie dans le cadre nouveau des entreprises publiques. Le secteur nationalisé reçut en effet plus du tiers du total des crédits mobilisables à moyen terme consentis à cette date. EDF-GDF, à lui seul, représentait près de 15 milliards sur un montant total de 48 milliards. Il est Mines privées 2 % Cinéma 1 % Textiles 2 % BTP 9 % Transports 5 % Chimie-Verrerie 19 % indéniable que l’apport du moyen terme mobilisable fut essentiel, en 1947, pour les entreprises nationalisées56. La régie Renault, elle-même, bénéficia alors d’un crédit d’un milliard de francs. Mais, pour autant, il est inexact d’avancer que le bénéfice de la mobilisation des crédits à moyen terme ait été réservé majoritairement de fait au secteur public : la métallurgie, avec Schneider pour 400 millions, Ugine pour 300 millions, les Forges et Aciéries du Nord et de l’Est et les hauts-fourneaux de Denain et Anzin pour plus de 2 milliards également bénéficièrent amplement de la procédure. De même, dans l’automobile, Peugeot, Ford France, Panhard Levassor reçurent des crédits à hauteur d’un milliard de francs et encore Saint Gobain et Francolor pour 300 millions, les BTP pour 1,7 milliard de francs, etc. Il ressort donc que les crédits à moyen terme à cette date constituèrent pour le Plan cruellement dépourvu de moyens de financement57 un utile palliatif dans une période à tous égards transitoire. Il reste à examiner comment le secteur bancaire, réticent à l’origine, fut associé au développement de la formule nouvelle.
29Il apparaît que les banques se sont en fait diversement associées entre 1944 et 1947 à une procédure qui leur garantissait pourtant des engagements d’une liquidité absolue mais qui, toutefois, ne comportait dans la plupart des cas aucune garantie de bonne fin et n’était donc pas tout à fait sans risque pour la banque contractante58. La répartition des établissements financiers prêteurs par grande catégorie juridique permet de préciser la réalité de cet engagement au printemps de 1946 (cf. figure n° 14).
30Les grandes banques de dépôt, à l’évidence, furent à l’origine de la plus grande part des crédits à moyen terme distribués, avec près de la moitié des encours mobilisés en avril 1946, mais selon une hiérarchie peu habituelle : si le Lyonnais vient, comme à l’accoutumée, au premier rang, il est suivi cette fois du Crédit commercial de France, puis de la Générale et du Crédit industriel et commercial. L’engagement des banques d’affaires est moindre et voit la Banque de l’Union parisienne arriver en tête, précédant de peu la Banque de Paris et des Pays-Bas et l’Union européenne. Plus notable est la part prise par les filiales des banques commerciales spécialisées dans le moyen terme, l’UCINA, l’UBR, la CALIF, et par les groupements professionnels faisant office de société de cautionnement mutuel. Cette répartition démontre en tout cas que l’ensemble du système bancaire, bon gré mal gré, fut associé à la forte croissance du crédit à moyen terme entre 1944 et 1947. Mais l’édifice, assurément, reposa bien davantage sur l’existence d’un prêteur en dernier ressort, la Banque de France, qui constituait à la fois la clef de voûte, la principale innovation et le risque majeur du financement par le moyen terme mobilisable. Là était aussi, en période de très forte inflation structurelle, sa véritable limite.
31Wilfrid Baumgartner n’avait du reste jamais conçu le crédit à moyen terme mobilisable autrement que comme un expédient, légitimé par les urgences de l’heure : « Au lendemain de la Libération, expliqua-t-il en effet devant l’Union des industries textiles en décembre 1948, la situation n’était pas arrangeable »59. Le déséquilibre qui existait alors entre l’offre et la demande de capitaux était tel qu’il était « fatal, plaidait le président du Crédit national, que ce soit en fin de compte le marché monétaire, et, en dernière analyse, l’Institut d’émission qui procure la différence »60. Le crédit à moyen terme mobilisable fut un des biais destiné à permettre le financement du relèvement par appel au marché monétaire et son importance ne doit donc pas être négligée. Son principal inventeur, si tant est qu’il soit possible en matière d’innovation financière de rendre à César ce qui lui appartient, percevait en tout cas fort bien, en 1948, la part qui revenait à la formule trois ans après la fin de la guerre :
« Sur ce plan du crédit monétaire substitué au crédit financier, des mécanismes comme ceux d’escompte à moyen terme, des mécanismes comme ceux des crédits professionnels […] ont permis de résoudre un très grand nombre de problèmes d’équipement et de reconversion qui se posaient au lendemain de la Libération et ceci pour des montants qui représentent un chiffre considérable, presque astronomique, de milliards. »61
32Une fois admise la nécessité de ce mode de financement, on pouvait bien entendu se demander quelle limite assigner à la création monétaire ainsi provoquée. Wilfrid Baumgartner, à cette occasion encore, affichait sur le sujet un pragmatisme dont il ne devait pas se départir dans les années suivantes, une fois lui-même nommé à la tête de l’Institut d’émission : « Dans quelle mesure cette intervention de la Banque est-elle légitime ? » demandait-il, évoquant devant les stagiaires de l’ENA la question plus générale de l’action de la Banque centrale dans le domaine du refinancement d’effets publics ou privés. « À la vérité, reconnaissait-il, il n’y a aucune mesure précise que l’on puisse fixer à l’avance. C’est une pure question tactile pour ceux qui dirigent la politique monétaire »62.
33Cet empirisme fournit à la fois la clef et les limites du développement des crédits à moyen terme mobilisables à partir de 1944 : solution technique originale au problème du financement du redressement économique de la France réduite à la Libération pour ainsi dire à ses propres forces, la procédure de mobilisation de crédits à 5 ans fut une tentative de réponse aux urgences de l’heure. Elle marquait une notable évolution, sinon une révolution, par rapport à la doctrine monétaire qui avait prévalu depuis au moins les statuts primitifs de la Banque de France de 1808. Mais le mécanisme demeurait néanmoins fondamentalement dans le cadre d’une économie de marché et se présentait en ce sens comme une alternative à une planification autoritaire de la reconstruction. En ce sens, elle était parfaitement compatible, au moins au début, avec la forme qu’adopta le plan Monnet. Néanmoins, la place du crédit à moyen terme, essentielle à un moment où les moyens de financement long étaient dramatiquement rares, ne doit pas être exagérée, au regard notamment des montants bien plus considérables qu’exigeaient la reconstruction et la modernisation de la France après 1945. Seule l’intervention directe et massive du Trésor, appuyé dès 1948 sur les fonds de l’aide américaine, permit de dégager les moyens requis. La limite d’un financement purement bancaire du redressement apparaissait en outre dans l’ampleur des besoins en devises de l’économie française dont la modernisation impliquait un programme d’importation, notamment de matières premières et de sources d’énergie, dont le financement ne relevait évidemment pas de mécanismes de création monétaire interne. Wilfrid Baumgartner, le premier, était conscient de cette contrainte et de la précarité de tout plan de redressement tant que subsisterait le goulot d’étranglement majeur des ressources de la France en devises. Son rôle dans les négociations de l’aide internationale entre 1946 et 1947 le démontra pleinement.
LA NÉGOCIATION DE L’AIDE AMÉRICAINE (1946-1947)
34À la Libération, Wilfrid Baumgartner, comme la plupart des responsables de l’économie et des finances, reconnaissait la nécessité de conserver le régime de contrôle de changes en vigueur depuis 1939. Car, notait-il en préparant son cours de rentrée aux Sciences politiques à l’automne 1945, les besoins externes de la France étaient énormes. Aussi bien, poursuivait-il, elle « ne pourra pas se permettre d’acheter n’importe quoi. […] Un dirigisme du change subsistera sans doute. Après vingt ans de paix, si on les a, ce sera peut-être autre chose. »63 La nécessité d’une aide étrangère s’imposait donc et elle ne pouvait provenir que des États-Unis. Baumgartner l’exprimait sans détours à l’ENA en décembre 1946, quelques mois après les accords Blum-Byrnes :
« La Trésorerie américaine a consenti de nombreux prêts. Je ne sais pas ce que sera sa politique dans l’avenir, mais c’est une chose à la fois nécessaire et même inévitable, car s’il y a une chose certaine au lendemain d’une guerre, c’est que ceux qui se sont enrichis ne peuvent pas matériellement, sous peine d’en souffrir eux-mêmes, ne pas restituer à ceux qui se sont appauvris à peu près l’équivalent des capitaux qu’ils leur ont pris. »64
35Belle intuition au sortir de la guerre de ce que fut en effet la politique d’aide des États-Unis à l’Europe à partir de juin 1947 et des mobiles commerciaux profonds qui la motivèrent en grande partie : comme l’avait perçu à cette date le président du Crédit national, la prospérité future de l’économie américaine impliquait aussi la reconstitution rapide du pouvoir d’achat européen. Toute l’évolution ultérieure des années cinquante était donc déjà contenue dans cette analyse. À dire vrai, elle était nourrie dès cette époque de l’expérience que Wilfrid Baumgartner avait faite des limites de la coopération internationale à l’occasion des négociations préliminaires engagées au cours de l’été de 1946 sous l’égide du Conseil économique et social de l’ONU en vue de définir les modalités d’une aide internationale destinée à faciliter la reconstruction des régions du monde touchées par la guerre65. Le président du Crédit national dirigea en effet la délégation française qui se rendit de juillet à septembre 1946 à Londres où se réunit la sous-commission temporaire pour la reconstruction économique des régions dévastées, créée en vertu de la résolution des Nations Unies en date du 21 juin 194666.
36Dans le discours d’ouverture qu’il prononça le 29 juillet 1946 dans la grande salle de la Royal Empire Society à Londres, devant les délégués de vingt pays dont l’URSS et la Chine, Wilfrid Baumgartner, chef de la délégation française, désigné en outre comme chairman de la conférence, présenta les objectifs de la sous-commission : « Inventaire d’abord des dommages de guerre subis par toutes les nations »67, y compris celles d’Europe orientale et « la Russie des Soviets qui, rappelait Baumgartner, a souffert au cours de sa résistance héroïque contre l’envahisseur des destructions énormes qu’il convient de relever ». En revanche, aucune des nations ex-ennemies, absentes du reste de la conférence de Londres, n’était a priori concernée. Au-delà du simple inventaire des besoins, l’objectif, ambitieux, était d’envisager cette fois la reconstruction de l’Europe « dans son ensemble », afin d’éviter de réitérer les erreurs et les « incohérences » du premier après-guerre qui, selon le président du Crédit national, expliquaient en grande partie le déclenchement de la crise des années 1930. Une harmonisation des politiques, poursuivit le chairman, était souhaitable. Il importait donc « de savoir comment les États, avec plus ou moins d’aide extérieure, [avaient] déjà réussi à remettre en ordre certains rouages de leur économie » ; de savoir s’il [fallait] reconstruire, comme on [disait] en France, en définitif ou en provisoire » ; de chercher à résoudre, enfin, et c’était le point crucial, « le problème de l’emploi des crédits extérieurs qui ont été ou seront encore consentis ». Wilfrid Baumgartner insista enfin sur la volonté de la France, « encore demanderesse » pour le moment, de prendre part, sitôt son relèvement achevé, à l’effort de redressement du reste du monde, mettant à profit son expérience de nation plusieurs fois détruite au cours de son histoire récente. « Nous savons en France, ajoutait le président du Crédit national, ce que signifient les régions dévastées, les problèmes de reconstruction qu’elles posent et les difficultés qui en résultent. »68 Mais l’expérience, poursuivit Baumgartner, pouvait aussi bénéficier des acquis nouveaux de la pensée économique :
« À vrai dire, nous sommes, je crois, un peu mieux armés que jadis pour résoudre ce problème majeur, qui est au fond celui que Lord Keynes, le premier, a qualifié de problème de l’emploi. Nous sommes mieux armés, parce que nous avons beaucoup souffert, commis beaucoup d’erreurs aussi, entre les deux guerres, et nécessairement beaucoup appris. »69
37La conférence, à l’évidence, participait encore pleinement en apparence de l’esprit de coopération internationale qui avait présidé à la signature de la charte des Nations unies à peine un an auparavant.
38C’était dans le même esprit que furent formés à l’issue de la première session de la sous-commission, le 2 août, quatre sous-comités, un par région du monde concernée, chargés de dresser un état des besoins à court terme de chaque pays, mais aussi dans une perspective plus longue, à 5 ou 10 ans70. Il était entendu que la fin de l’été serait mise à profit pour organiser des missions d’enquête sur place qui rassembleraient les informations préliminaires nécessaires au rapport de synthèse destiné à être soumis au Conseil économique et social courant septembre. Mais derrière cette unanimité de façade, des dissensions majeures, dès cette date, étaient clairement perceptibles. Wilfrid Baumgartner en donna un écho fidèle dans les comptes-rendus périodiques qu’il transmit durant toute la durée de la négociation à Paris, au ministère des Affaires étrangères.
39La veille de l’ouverture de la conférence, le président de la délégation française avait ainsi rencontré, grâce à l’entremise de Pierre Calvet, alors attaché financier à Londres, Noël Baker, le ministre britannique des Affaires étrangères. Ce dernier lui confia que l’intérêt de la sous-commission était d’amener les États-Unis à s’engager plus nettement dans l’aide au redressement européen. « J’ai compris, ajoutait Baumgartner à l’intention du Quai d’Orsay, que la Grande-Bretagne appréhendait en effet de sérieux retards dans le démarrage de la Banque internationale »71. Le véritable objectif de la réunion était donc bien d’impliquer les Américains dans un vaste plan de redressement économique. Le président de la conférence le reconnaissait au détour d’une phrase de son commentaire : « La première séance a été de pure forme […]. Il a été convenu d’attendre, pour tenir une deuxième séance, l’arrivée du représentant américain, M. Lubin, dont le départ des États-Unis avait été retardé. Les deux journées suivantes ont été de ce fait pratiquement perdues »72. L’opinion du représentant américain, enfin arrivé à Londres, et aussitôt nommé rapporteur des débats, semblait au reste correspondre aux desseins des Français et des Anglais : « Je dois souligner le fait, concluait Baumgartner, que ce sont manifestement les délégués américains qui attachent le plus d’importance aux travaux de la sous-commission. Ils déclarent que ceux-ci peuvent exercer aux États-Unis une influence très utile sur l’opinion. »73 Le président de la délégation française soulignait donc toute l’importance de la mission d’enquête qui devait se rendre en France conformément aux résolutions de la conférence. « Il me semble qu’il ne serait pas inutile qu’en particulier le rapporteur, M. Lubin, prenne des contacts à Paris et visite une partie de nos régions dévastées »74. La logique qui conduisit un an plus tard au plan Marshall était donc clairement déjà amorcée. De même, les problèmes de fond qui se posèrent à ce moment-là en pleine lumière étaient déjà inscrits en filigrane dans les débats de la conférence d’août 1946. Les comptes-rendus de Baumgartner en donnent une preuve explicite : c’était ainsi que les représentants britanniques avaient fait savoir en aparté au délégué français leur volonté que la commission prît en compte « non seulement les régions dévastées faisant partie de l’ONU, mais aussi les pays ex-ennemis autres que l’Allemagne »75, position bien entendu, notait Baumgartner, totalement irrecevable, notamment aux yeux des représentants soviétiques. L’URSS, d’ailleurs, s’exclut d’elle-même de fait, dès le début de la conférence, du projet d’ensemble en se refusant à accueillir une mission d’enquête sur son territoire. Mais le principal obstacle, soulignait Baumgartner à l’issue de la deuxième session le 8 septembre, demeurait l’attitude de l’Angleterre vis-à-vis de l’Allemagne : « La délégation britannique, rapportait-il, a fourni un mémorandum à la vérité assez tendancieux en ce sens qu’à presque chaque page l’accent était mis sur les difficultés de l’Allemagne et l’opportunité d’aider à sa reconstruction. »76 Cette opposition sur la question allemande contribuait fortement à diviser les pays rassemblés à Londres, à un moment où les tensions sur ce point étaient avivées encore par la question du charbon de la Ruhr sur lequel la France, contre l’avis des Anglais et secondairement des Américains, estimait avoir des droits77. Wilfrid Baumgartner tenta de défendre devant la sous-commission les revendications françaises :
« Je ne peux m’empêcher, parlant au nom de la France, de songer à ce problème du charbon si délicat pour nous ; je me souviens qu’un homme politique qui était aussi un économiste disait ironiquement quelques années avant cette guerre que le charbon plus tard serait monté en épingle de cravate. Il est certain que le diamant est simplement au fond un charbon, mais pour la France, à l’heure actuelle, c’est plutôt le charbon qui serait le diamant. »78
40L’existence de ces divergences de fond entre les participants condamnait d’avance la sous-commission aux solutions moyennes et sans portée immédiate. Baumgartner le comprit très vite et fit nettement savoir à Paris que les conclusions finalement adoptées n’engageaient guère l’avenir. « Le moins qu’on puisse dire, notait-il, est que ces recommandations n’apportent guère d’éléments nouveaux. Elles ne présentent, par contre, semble-t-il, aucun inconvénient. »79 On ne saurait dresser meilleur constat d’impuissance ! Le rapport final soumis le 18 septembre 1946 à l’approbation du Conseil économique et social n’était pourtant pas sans valeur puisqu’il revenait à démontrer que l’économie européenne ne pourrait pas se relever sans aide extérieure, autrement dit américaine, et le rapport plaçait habilement la nécessité de cette aide dans l’optique du rétablissement des échanges commerciaux sur une base multilatérale :
« Nous reconnaissons que les délais nécessaires pour que les différents pays soient à mêmes d’accepter le principe des échanges multilatéraux dépendront dans une large mesure de la rapidité avec laquelle ils pourront rétablir leur stabilité financière […], la durée de cette période de transition dépendra à son tour principalement de l’assistance financière que les pays pourront recevoir de l’extérieur en vue de développer leur production nationale. »80
41Le ressort principal du plan Marshall était déjà formulé. Mais l’échec, dans l’immédiat, des travaux de la sous-commission révéla aussi l’absence d’unité européenne et le caractère déterminant de l’attitude américaine. La longue négociation qui occupa également Wilfrid Baumgartner dès cette période et jusqu’en mai 1947 pour l’obtention du premier prêt de la Banque internationale au bénéfice de la France mit ce dernier point en lumière avec plus de netteté encore.
42Les accords Blum-Byrnes du 28 mai 1946 avaient laissé entrevoir pour la France la possibilité d’un prêt complémentaire de 500 millions de dollars consenti par la Banque internationale pour la reconstruction81. Dès le 1er juin 1946, Henri Bonnet, l’ambassadeur français à Washington, déposa une demande officielle auprès de la Banque mondiale. Il fut décidé à Paris que le Crédit national, établissement semi-public, au conseil d’administration duquel siégeaient de nombreux banquiers, et dont la vocation depuis 1919 était le financement de la reconstruction, contracterait en son nom le prêt. C’est donc tout naturellement son président qui fut désigné pour diriger les négociations82.
43Wilfrid Baumgartner se rendit donc une première fois aux États-Unis pour près d’un mois, entre la fin septembre et la fin octobre 1946. Il était accompagné de Michel Denis, inspecteur des Finances, représentant du commissariat au Plan83. Sur place, il s’adjoignit également la collaboration de Christian Valensi, l’attaché financier français à New York84.
44Il fallut cependant attendre près d’un an et deux autres voyages de Wilfrid Baumgartner furent nécessaires, avant qu’un accord pût être signé, le 9 mai 1947, et encore pour un montant deux fois moindre qu’espéré. Dès le début des négociations, Wilfrid Baumgartner fit part à Alexandre Parodi, présentement en poste à Washington comme délégué général de la France à l’ONU, des possibles atermoiements de la Banque mondiale. Le montant de 500 millions surtout, expliquait-il, risquait d’être jugé trop élevé :
« Si par hasard, écrivait-il à Parodi, tu entends dire que notre demande est trop forte, voici la position : si la World Bank fondée en capital de quelque 10 milliards de dollars n’est pas capable de prêter 500 millions à la France, c’est à désespérer des organismes internationaux et de la politique américaine. […] Il nous faut 500 millions, ni plus, ni moins, en 47. Je ne transigerai pas sur le chiffre. […] C’est, au surplus, le gouvernement américain qui nous a conseillé en juin dernier lors des accords Blum de nous adresser à la World Bank (et pour une somme supérieure) »85.
45En fait, il fallut bien accepter de diviser par deux ces prétentions devant le peu d’empressement du conseil d’administration de la Banque mondiale, encore désorganisée par la démission, au début de 1947, de son premier président, Eugene Meyer, remplacé début mars par John Mac Cloy. Parmi les raisons des délais mis à la conclusion de l’accord, il est certain que les négociateurs français durent tenir compte de la confiance très relative inspirée dans les milieux bancaires américains, dont dépendait étroitement la BIRD, par l’évolution politique française et la présence de ministres communistes au gouvernement86. Wilfrid Baumgartner, dès le début des pourparlers, exprima du reste à Parodi un jugement similaire : « Note bien que je crois que nous aurons satisfaction. Mais je me méfie des banquiers américains pour qui nous sommes encore de dangereux révolutionnaires. »87
46Il reste que l’établissement de la procédure prit également beaucoup de temps, du fait notamment du luxe de précautions juridiques dont la Banque mondiale crut devoir s’entourer avant de conclure un accord destiné à servir de précédent88. Les scrupules des juristes de la Banque mondiale, compréhensibles dans le cadre d’une opération régie par le droit commercial privé, pouvaient donc être au moins autant invoqués que les appréhensions sur l’évolution politique de la France. Ce fut d’ailleurs au cours de ces longues discussions sur chaque virgule du texte que John Mac Cloy, avocat d’affaires de son métier, crut devoir reprendre le président du Crédit national, manifestement indigné par l’arsenal juridique déployé, d’un ironique : « Wilfrid, don’t speak like Louis XIV ! »89 Heurt de deux cultures : les hauts fonctionnaires de l’État français, sûrs de leur bon droit, affrontés à la méfiance professionnelle des lawyers américains traitant une affaire avant tout commerciale. Dans ces conditions, la signature définitive de l’accord de crédit le 9 mai 1947, quatre jours après le renvoi des ministres communistes, semble au vrai avoir relevé davantage de la coïncidence chronologique que de considérations proprement politiques. À suivre Christian Valensi, la BIRD avait en effet donné son accord dès la fin mars, soit bien avant la rupture du tripartisme, et le mois d’avril fut tout entier consacré à la rédaction définitive du contrat. Il est toutefois difficilement niable que les conditions du prêt, notamment son taux, étaient peu avantageuses pour la France. Les débats auxquels donna lieu le 23 mai 1947 à l’Assemblée nationale, en présence d’ailleurs de Wilfrid Baumgartner convié à y siéger comme commissaire du gouvernement, la promulgation de la loi autorisant le gouvernement à contracter le prêt, ne manquèrent pas de souligner la rudesse des conditions faites à la France. L’article 7 du texte surtout apparut comme une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures françaises.
« Pendant toute la vie de l’emprunt, était-il en effet stipulé, l’emprunteur fournira ou fera fournir à la Banque tous les renseignements que la Banque pourra raisonnablement demander en ce qui concerne : l’utilisation des produits achetés au moyen de l’emprunt […], la situation économique et financière de la France au point de vue intérieur et extérieur. »90
47Cette clause fut en effet à l’origine de certaines frictions dans les mois qui suivirent entre les représentants à Paris de la Banque mondiale et le Crédit national. En août 1947 ainsi, la Banque fut amenée à interrompre ses versements au motif qu’une partie des fonds précédemment consentis, ainsi qu’une enquête de la Banque internationale l’établit, avait été utilisée pour l’achat de pétrole destiné à l’Armée et à la Marine et non à des fins de reconstruction91. De même, à la fin de septembre, la Banque alla jusqu’à demander le reversement, à concurrence d’environ 750 000 dollars, de la contre-valeur de produits non ferreux financés sur l’emprunt au motif que ces produits avaient été réexportés. Pourtant, la France, estimait-on au Crédit national, ne s’était bien sûr jamais engagée à ne pas revendre à l’étranger les produits ouvrés grâce aux matières premières acquises sur les fonds de la BIRD. Ces contrôles tatillons froissèrent à l’évidence la susceptibilité des cadres du Crédit national, comptables auprès de la Banque de l’emploi des fonds prêtés. À l’occasion de la visite de Mc Cloy à Paris, l’établissement demanda au ministre des Finances, Paul Ramadier, d’essayer d’obtenir du président de la Banque internationale un assouplissement de contrôles « qui ne présent[aient] de toute évidence aucun intérêt »92. Au début du mois d’octobre, John Mc Cloy se rendit en effet en France où il fut reçu par Wilfrid Baumgartner qui lui fit entre autres rencontrer à l’occasion d’un dîner en parvulo, sous les lambris de l’hôtel du président rue Saint-Dominique, les relations choisies dont il disposait dans le monde de la banque et de la grande industrie. Il y avait là, parmi quelques autres, Georges Villiers, le président du CNPF, l’influent Henry Lafond, à la charnière de la banque et de l’industrie, Léon Daum, le patron des Aciéries et Forges d’Homécourt, et d’autres patrons sidérurgistes, comme Jean Raty, Charles Schneider, mais aussi le banquier Pierre David-Weill, et Ernest Mercier toujours, Guy de Carmoy et Jacques Georges-Picot encore93. En revanche, le fait est notable, aucun patron du secteur nationalisé n’était présent. Le président de la Banque mondiale remercia du reste Baumgartner une fois de retour à Washington du dîner donné en son honneur au Crédit national et de l’opportunité qui lui avait été ainsi donnée « de discuter de la situation de la France avec les grands industriels » invités ce soir-là94. Au début de 1948, selon la suggestion faite par le président du Crédit national afin de couper court aux tracasseries administratives qui avaient ponctuellement assombri les rapports entre les deux établissements au cours de l’été, un rapport général rendit compte à l’état-major de la Banque mondiale, par le détail, mais a posteriori, de l’utilisation des crédits consentis en mai 1947. John Mc Cloy répondit à Wilfrid Baumgartner que le rapport trouverait certainement une utilité dans le cadre des opérations de relations publiques de son établissement ! Il commenta également favorablement la dévaluation intervenue en France à l’initiative de René Mayer dans les premiers jours de janvier 1948 : « Comme vous pouvez l’imaginer, elle fut ici à l’origine de nombreux commentaires, mais je crois que le sentiment dominant est qu’il s’est agi, quels qu’en aient été les détails techniques, d’un pas décisif dans la bonne direction. »95 Concomitante au retour d’un radical, René Mayer, au ministère des Finances, la dévaluation de janvier 1948, accompagnée par la mise en œuvre de l’aide intérimaire d’abord, puis du plan Marshall, marqua en effet le tournant véritable de l’histoire économique de l’après-guerre. Elle signifiait aussi que l’esprit de la Libération tendait à retomber et à se mouler sur des patrons plus traditionnels, hérités de l’avant-guerre. Dans le contexte politique ainsi redéfini, l’ancien grand commis du Mouvement des fonds, persuadé du caractère indispensable de l’aide américaine, pouvait espérer renouer plus nettement avec les voies de l’influence.
« DANS LE TROU DU SOUFFLEUR » : LE TECHNICIEN ET L’HOMME POLITIQUE
48En mai 1947, la rupture du tripartisme enclencha un retour progressif de balancier vers le centre et la droite de l’échiquier politique. Wilfrid Baumgartner retrouvait dès lors un paysage politique plus familier, où il pouvait de nouveau compter sur le réseau qui était le sien avant la guerre et même avant 1936 : le retour dans l’orbite du pouvoir, à partir de 1947-1948, d’hommes comme Paul Reynaud, Henri Queuille ou Maurice Petsche permettait au haut fonctionnaire de reconstituer certains circuits que la guerre puis la Libération et la promotion d’hommes nouveaux qu’elles favorisèrent avaient contribué à interrompre. La formation du gouvernement Schuman à la fin novembre 1947 en donna une première confirmation.
49L’investiture de Robert Schuman, le 22 novembre 1947, aboutit, lorsque la composition du gouvernement deux jours plus tard fut connue, à placer le radical René Mayer rue de Rivoli. Mais dans l’intervalle l’attribution du portefeuille des Finances fit l’objet d’intenses tractations96 : le nom de Paul Reynaud, infatigable ténor du parti des indépendants et président depuis 1946 de la commission des Finances de l’Assemblée, était cité, dès avant la démission prévisible du cabinet Ramadier, comme possible ministre des Finances, voire comme président du Conseil. C’est de cette période, marquée par les fortes tensions sociales de l’automne, que date un projet de déclaration ministérielle rédigé par Wilfrid Baumgartner dont les thèmes donnent à penser qu’il était destiné à Paul Reynaud, avec lequel des liens n’avaient jamais cessé d’exister :
« Constitué dans de graves circonstances, le Gouvernement qui se présente devant vous veut d’abord affirmer sa foi dans la France […]. Trois ans après la Libération, nous payons encore par une inflation qui pourrait devenir mortelle le prix de nos malheurs surtout, mais aussi de nos erreurs. »97
50L’inflation qui atteignit dans cette période des niveaux jusque-là inédits98 était au centre de la déclaration d’intention conçue par Baumgartner. Paul Reynaud en fit en effet son cheval de bataille. La convergence de vues entre les deux hommes était sur ce point totale.
« Il ne suffit plus aujourd’hui d’un simple redressement financier. Plus que jamais nos finances sont solidaires de notre économie. Il s’agit à la fois de bannir la démagogie et d’avoir la largeur d’esprit nécessaire, d’éviter de tout céder, mais aussi d’éviter de tout entraver. Il faut établir l’équilibre entre les besoins et les moyens de la Nation, mieux animer la production, mieux gérer l’État »99.
51Sous le discours politique affleuraient, bien reconnaissables, les formules du professeur des Sciences politiques. Elles traduisaient aussi dans son discours public le souci de manifester plus de libéralisme. En témoignent admirablement les hésitations encore de sa plume à cette date, appelant à renouer avec certaines libertés du marché dont Paul Reynaud passait alors pour le meilleur défenseur. Le président du Crédit national en appela donc d’abord à « la restauration de l’autorité publique » et à « l’essor de l’initiative privée », puis ratura ces deux membres de phrases, jugeant plus opportun de les lier l’une à l’autre : « la restauration de l’autorité publique doit assurer l’essor de l’initiative privée », avant de supprimer une fois encore la proposition et de lui préférer définitivement : « le pays est las de la duperie que constitue cette course des salaires et des prix », ce qui était une manière moins directe d’énoncer la même nécessité. Mais ce fut précisément en raison des options supposées libérales de Reynaud que les socialistes finalement s’opposèrent à son entrée dans le gouvernement comme ministre des Finances lors des pourparlers préalables à la constitution du gouvernement Schuman, le 23 novembre. Il était manifestement encore trop tôt pour que le libéralisme passât, à cette date, du domaine du discours à celui des pratiques.
52Le même jour, Reynaud, par une lettre à Schuman rendue publique, déclara en effet renoncer au portefeuille des Finances afin de ne pas compliquer la tâche du nouveau président du Conseil100. Pour la première fois, la presse fit alors mention de Wilfrid Baumgartner lui-même pour l’attribution du ministère des Finances. La Seine du 24 novembre fit ainsi paraître une liste officieuse du cabinet Schuman où figurait le nom du président du Crédit national. « L’entrée de M. Baumgartner au ministère des Finances, soulignait le quotidien, réintroduirait les grands commis dans les conseils de Gouvernement. »101 Le même jour, Jacques Merlin, directeur au Crédit commercial de France, de retour des États-Unis, lui rapportait avoir vu là-bas son nom cité dans les journaux comme futur ministre des Finances : « ce qui apparaît dès maintenant certain, commentait-il, comme il apparaissait certain à la plupart de mes amis la semaine dernière à New York, c’est que votre heure approche, pour le bien de nos intérêts généraux. »102 Pour la première fois, le nom de Baumgartner passait ainsi potentiellement du champ de la technique à celui de la politique. Comme le prouve la lettre du directeur du CCF, sa simple invocation suffisait à conforter la « confiance », qui n’est somme toute qu’un synonyme du crédit. Ce mécanisme est inséparable de l’installation dans des logiques d’économie d’endettement. Comme tel, il allait rejouer dès lors plus souvent qu’à son tour, tout au long de la IVe République, et culminer au début de la Cinquième. Il fournit très certainement l’une des clés de la trajectoire singulière de Wilfrid Baumgartner dans le siècle, grand commis libéral au temps de l’économie d’endettement. Mais dans l’immédiat, c’est à René Mayer qu’échut au bout du compte le portefeuille des Finances. L’Agence économique et financière expliqua que l’éventualité de l’entrée de Baumgartner au gouvernement n’avait été évoquée la veille que pour tenter de résoudre le problème de l’opposition de la SFIO à l’attribution des Finances à Reynaud comme à Mayer. « La controverse a été assez longue et assez vive, écrivait le journal, pour qu’il ait été question à un moment de trancher le débat en faisant appel à un technicien. »103 C’était donc aussi l’indubitable réapparition, en même temps que le retour aux règles du dosage partisan d’avant-guerre, de la figure du « technicien » réputé apte, par la neutralité supposée de son expertise, à « trancher » chaque fois que la nécessité s’en faisait sentir le nœud gordien des intérêts politiques contradictoires. Technique et politique, discours libéral et pratiques d’endettement. La longue crise de l’été 1948 permet encore de préciser la réalité de ces intrications qui ont joué au cœur de la IVe République et qui ont sous-tendu, en fait, toute la carrière de Wilfrid Baumgartner.
53La chute du cabinet Schuman, le 19 juillet 1948, sur le vote des crédits militaires et plus encore en raison des projets de réforme économique annoncés par le ministre des Finances, René Mayer, à qui l’on prêtait de surcroît l’intention de demander des pouvoirs spéciaux entraîna une nouvelle vacance du pouvoir104. C’est au radical André Marie que Vincent Auriol demanda de former le gouvernement suivant. Paul Reynaud qui, cette fois, faisait partie de la nouvelle équipe gouvernementale, revenait au pouvoir après une mise à l’écart de près de huit ans, avec le portefeuille des Finances et des Affaires économiques. Sitôt installé rue de Rivoli, il s’attela en étroite collaboration avec plusieurs techniciens des finances, dont le président du Crédit national, à la définition d’un programme, largement inspiré des projets de René Mayer, destiné à couper court à l’inflation en stoppant la spirale auto-entretenue des prix et des salaires et en réformant la fiscalité. Le 6 août 1948, un projet de loi « tendant au redressement économique et financier » fut déposé à la commission des Finances de l’assemblée puis fut discuté le lendemain en séance plénière. Le ministre, dans la présentation du texte qui prévoyait le vote de pouvoirs réglementaires, insista fortement sur la part prise par les experts dans son élaboration : « J’ai réuni d’éminents techniciens des finances publiques – ce sont de grands serviteurs de l’État – et je leur ai dit : où irions-nous si nous laissons aller ? »105 Parmi ces grands commis, Wilfrid Baumgartner indéniablement figurait en bonne place : la totalité de l’article 5 portant réforme de la fiscalité fut ainsi rédigée par lui ainsi qu’en témoignent les brouillons conservés dans les papiers106. Le vote du texte ne put intervenir avant le 17 août tant l’obstruction du groupe communiste au vote des pouvoirs spéciaux fut forte. Jacques Duclos, surtout, mena sans relâche l’attaque contre le projet qui, soulignait-il, lui « rappelait de vieux souvenirs » :
« En 1940, Paul Reynaud faisait appel à de vieux chevaux de retour de la réaction […] et aujourd’hui, ce sont d’autres vieux chevaux de retour de la réaction que l’on remet en piste. Pour faire une vieille politique réactionnaire avec de vieilles méthodes, on choisit de vieux réactionnaires. »107
54En fait, le cercle qui conseillait Reynaud en 1948 n’était pas composé des mêmes hommes qu’en 1940. Outre Wilfrid Baumgartner, on y trouvait aussi bien le gouverneur de la Banque de France, Emmanuel Monick, Jacques Brunet, devenu le directeur général de la Banque de l’Algérie que le directeur des Prix, Louis Franck. On discuta alors assez avant l’hypothèse, émise au courant d’août par Gaston Cusin, le secrétaire général du Comité économique interministériel, de mettre fin à la fuite devant la monnaie par la création d’une monnaie de compte, la Germinal, gagée sur l’or et destinée seulement à servir à libeller les transactions commerciales à terme, à l’exemple du Rentenmark, que Baumgartner connaissait bien pour lui avoir consacré jadis sa thèse de droit, et du tchervonetz soviétique108. La dislocation du cabinet Marie, le 27 août, du fait de l’opposition des ministres socialistes, dont Léon Blum et Jules Moch, aux projets financiers de Paul Reynaud coupa court à ces projets de réforme.
55Durant la crise ouverte par la chute d’André Marie, Wilfrid Baumgartner, une nouvelle fois, apparut comme un titulaire possible du ministère des Finances. Henri Queuille fut en effet pressenti comme président du Conseil le 8 septembre après un éphémère cabinet Schuman mort-né du fait de l’attribution des Finances à un socialiste, Christian Pineau en l’occurrence. Devant l’impossibilité de trouver un ministre des Finances acceptable à la fois par la gauche et par la droite de la troisième force, Queuille finit par prendre lui-même le portefeuille de la rue de Rivoli. L’on reparla alors, dans les journaux, de la probable nomination du président du Crédit national aux côtés du président du Conseil, ministre des Finances :
« M. Queuille, écrivit ainsi Libération, s’entourera d’un état-major de techniciens. Il est assez significatif que le nom le plus souvent mis en avant soit celui de M. Baumgartner. C’est le Crédit national, ne l’oublions pas, non la Banque de France, qui reçoit en dépôt – jamais pour très longtemps – les milliards de l’aide américaine. Et M. Baumgartner fut l’un des conseillers les plus écoutés de M. Paul Reynaud. »109
56Le même jour, Le Monde sous la plume de Jacques Fauvet, évoquait à son tour la possibilité de voir confiées à Wilfrid Baumgartner des responsabilités ministérielles :
« On a tant puisé dans la commission des Finances qu’il ne reste plus guère de spécialistes disponibles. M. Mendès France est un peu marqué économiquement, M. René Pleven l’est politiquement et M. René Mayer s’est récusé. Force serait alors d’en appeler à un technicien. »110
57Le recours au grand commis, une fois de plus, apparaissait donc comme le moyen de résoudre une impasse politique. Cette position, toujours demeurée aux « marges » de la vie politique, est proprement structurelle. Elle éclaire parfaitement la réalité de l’influence que le haut fonctionnaire exerça sur les hommes politiques de la IVe République. Il n’est pas sans signification que le secrétariat d’État aux Finances revint finalement le 11 septembre 1948 à Maurice Petsche, Wilfrid Baumgartner restant dans le rôle de conseilleur qui était finalement le sien. Dès le lendemain de la constitution du nouveau gouvernement, du reste, Wilfrid Baumgartner, en compagnie de Paul Delouvrier, rencontrait pour une réunion de travail rue de Rivoli Maurice Petsche et Henri Queuille, pour élaborer les modalités de la réforme fiscale dont la nécessité était proclamée depuis le début de l’année111. L’Humanité du 14 septembre commenta d’ailleurs en ce sens le maintien du président du Crédit national à son poste et son rôle dans l’ombre du ministre des Finances radical :
« M. Petsche et M. Baumgartner ont commencé la mise au point du tour de vis fiscal. Ce dernier personnage apparaît de plus en plus comme la véritable éminence grise du ministère Queuille […]. Tout compte fait, les grands trusts ont préféré laisser Baumgartner dans la coulisse ou plus exactement dans le trou du souffleur où son action n’en sera pas moins efficace. »112
58Sans le savoir, le quotidien communiste reprenait l’expression qu’Alexandre Duchatel, inspecteur des Finances de la promotion 1885, alors à la retraite, employa dans le court billet qu’il fit parvenir à Wilfrid Baumgartner au lendemain de la constitution officielle du cabinet Queuille :
« Mon cher ami,
Il y a deux jours, j’aurais dit, cher Ministre, mais vous devez rester l’Éminence grise de ce vieux radical dont mes amis Paul Peytral (j’étais son chef de cabinet en 86) et J. Caillaux (j’ai collaboré toute ma vie avec lui) m’avait déjà parlé.
[…] Bien cordialement vôtre, Duchatel, doyen des anciens Inspecteurs des Finances. »113
59Remarquable filiation de Caillaux et Peytral, ministre radical lui aussi, à Henri Queuille et de l’ancienne inspection, celle d’avant 1914, à Baumgartner… Elle jette un jour particulier sur les liens tissés depuis les débuts de la Troisième République entre le radicalisme et une certaine fraction de l’inspection des Finances, la « vieille » inspection, dont Wilfrid Baumgartner, à bien des égards, était l’héritier en droite ligne. Il n’est pas sans intérêt de remarquer du reste que le retour du haut fonctionnaire dans les cercles du pouvoir coïncida avec la renaissance politique du parti radical à partir précisément de la fin de 1947114. C’était là, bien davantage qu’une hypothétique conspiration du grand capital, le ressort de la capacité d’influence réelle du technicien des Finances. La nomination de Wilfrid Baumgartner à la tête de la Banque de France au tout début de 1949, quelques semaines donc après la formation du cabinet Queuille, renforçait encore cette hypothèse : entre le technicien des Finances et les hommes du radicalisme d’avant-guerre des liens particuliers existaient qui renvoyaient à une commune vision du monde, dont il n’est pas indifférent de souligner qu’ils ont perduré bien au-delà de la coupure de la Seconde Guerre mondiale.
***
60De son retour de captivité en mai 1945 à son départ du Crédit national pour la Banque de France en janvier 1949, Wilfrid Baumgartner vit sa carrière reprendre un cours plus ample. Sous sa direction, l’établissement de la rue Saint- Dominique devint un maillon essentiel du financement de l’économie et acquit de ce fait une importance non négligeable dans la période qui vit la reconstruction et la modernisation de la France. Le rapide développement du crédit à moyen terme mobilisable, innovation financière principale de la Libération dont la paternité revient en grande partie au président du Crédit national, y prit une part quantitativement réduite mais essentielle, à une époque où la France, ramenée à ses seules forces, amorça son relèvement. Son rôle en particulier dans le redémarrage des industries de base, placées à partir de la fin de 1946 au cours du premier plan de modernisation et d’équipement fut déterminant, notamment dans le financement des entreprises nationalisées. En ce sens, le développement rapide du crédit à moyen terme mobilisable entre 1945 et 1949 a bien correspondu, comme l’avance Michael Loriaux, à une phase d’institutionnalisation de l’économie d’endettement en France.115.
61La nécessité d’une aide extérieure apparut néanmoins dès la Libération à Wilfrid Baumgartner, qui eut l’occasion d’éprouver les limites de la coopération internationale et des organismes fondés à Breton Woods. Le déclenchement du plan Marshall créa les conditions d’une véritable reconstitution des capacités productives de la France et, partant, d’une stabilisation monétaire. L’évolution politique, de l’esprit de la Libération et de la Résistance à la renaissance du parti radical et au retour des Indépendants aux affaires, accompagna assez étroitement le mouvement de restauration économique et financière, ramenant dès la fin de 1947 Wilfrid Baumgartner, le technicien, à proximité immédiate du pouvoir.
Notes de bas de page
1 Cette question a été explicitement posée par Maurice Lévy-Leboyer dans la conclusion qu’il a donnée au colloque Le plan Marshall et le relèvement économique de l’Europe, Paris, CHEFF, 1993, p. 777-784. L’historiographie anglaise et allemande, pour sa part, a fait de ce problème un objet d’étude et de débat depuis une dizaine d’années au moins. Cf.Milward (Alan), The Reconstruction of Western Europe (1945-1951), Londres, Methuen, 1984. Sur le débat qui l’opposa peu après la publication de sa thèse à Michael Hogan, cf. Milward (Alan), «Was the Marshall Plan Necessary ? », Diplomatic History, vol. 13, n° 2, 1989 ; Abelshauser (Werner), Wirtschaft in Westdeutschland 1945-1948. Rekonstruktion und Wachstumbedingungen in der amerikanischen und britischen Zone, Stuttgart, Deutsche Verlagsanstalt, 1975 ; Id., Wirtschaftsgeschichte der Bundesrepublik Deutschland 1945-1980, Francfort sur le Main, 5e édition, 1989. Cf. aussi Feiertag (Olivier), « Le nerf de l’après guerre : le financement de la reconstruction entre l’État et le marché (1944-1947) », Matériaux pour l’histoire de notre temps, juillet-déc.1995, p. 46-51.
2 Mélandri (Pierre), Les États-Unis face à l’unification de l’Europe, 1945-1954, Lille, Service de reproduction des thèses de l’Université de Lille III, 1979 ; Wall (Irwin M.), L’influence américaine sur la politique française, 1945-1954, Paris, Balland, 1989, chap. II-III ; Margairaz (Michel), L’État, les finances et l’économie…, op. cit., chap. XXIII-XXIV ; Bossuat (Gérard), La France, l’aide américaine et la construction européenne, 1944-1954, Paris, CHEFF, 1992, chap. I-II.
3 « Monsieur Baumgartner est rapatrié », L’Aurore du 12 mai 1945 ; « Déportés rapatriés », Le Monde du 12 mai 1945 ; « Le chemin du retour », Franc-Tireur du 12 mai 1945 ; « Prisonniers et déportés », Le Figaro du 12 mai 1945 et entretien de l’auteur avec Guy de Carmoy, source citée.
4 Margairaz (Michel), L’État, les finances et l’économie…, op. cit., p. 772-781, ainsi que le tableau p. 783 ; Novick (Peter), L’épuration française, 1944-1949, Paris, Balland, 1985 ; Baruch (Marc-Olivier), « Épuration et réforme de l’État : régénération ou restauration ? », in Baruch (Marc- Olivier) (dir.), Une poignée de misérables, l’épuration de la société française après la Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 2003, p. 401-416.
5 Déclaration d’André de Lattre, directeur général du Crédit national, faite au conseil d’administration de l’établissement le 20 juin 1978, après le décès de Wilfrid Baumgartner, ACN, Extrait du procès-verbal du 20 juin 1978, p. 2.
6 Lettre du procureur Brun à W. Baumgartner du 29 mai 1945, copie manuscrite de W. Baumgartner, AWB, 1BA30 Dr1.
7 Ibid.
8 Note de M. Baumgartner pour le jury d’honneur du ministère des Finances, 14 juin 1945, version définitive, 1 feuille dactyl., AWB, 1BA30, Dr1.
9 Ibid.
10 Lettre de R. Pleven à W. Baumgartner du 12 juillet 1945, AWB, 1BA30, Dr1.
11 Andrieu (Claire), Le programme commun de la Résistance. Des idées dans la guerre, Paris, Les Éditions de l’Érudit, 1984.
12 Pour la remise en cause du patronat, cf. Jeanneney (Jean-Noël), « Un patronat au piquet », in L’argent caché, op. cit., p. 242-264. Sur l’attitude vis-à-vis de l’administration de l’économie et des finances, cf. Margairaz (Michel), loc. cit.
13 Cours de finances publiques de 1945-1946, notes manuscrites préparatoires, leçon inaugurale, 9 feuillets au crayon recto verso, AWB, 1BA5, Dr3.
14 Projet de loi du 10 avril 1946, AWB, 1BA34, Dr4, p. 2.
15 Plaidoyer de l’association de l’inspection des Finances rédigé lors de la réunion du 26 mars 1946, 3 p. dactyl., p. 3. AWB, 1BA34, Dr4.
16 Carmoy (Guy de), Otages à Plansee…, op. cit., p. 207 et 216.
17 Cours de finances publiques 1945-1946, doc. cité, p. 4.
18 Monnet (Jean), Mémoires, Paris, Fayard, 1976, p. 275.
19 Cours de finances publiques 1945-1946, doc. cité, p. 9.
20 Ibid.
21 Sur les mouvements et déplacements de l’or de la Banque de France en 1939-1940, cf. Prate (Alain), La France et sa monnaie, essai sur les relations entre la Banque de France et les gouvernements, Paris, Julliard, p. 146-150.
22 Cours de finances publiques 1945-1946, doc. cité, p. 7.
23 Vilar (Pierre), Or et monnaie dans l’histoire, 1450-1920, Paris, Flammarion, 1974, p. 19-20.
24 Cours de Finances publiques de W. Baumgartner, 1946-1947, polycopié de la première leçon du 27 novembre 1946, 19 p., AWB, 1BA34, Dr1, p. 14.
25 Ibid., p. 15.
26 Cours de finances publiques à l’ENA, 1946-1947, leçon du 4 janvier 1947, exemplaire polycopié, p. 12, AWB, 1BA34, Dr2.
27 Carmoy (Guy de), Otages à Plansee…, op. cit., p. 137.
28 Cours de finances publiques à l’ENA, 1946-1947, doc. cité, p. 2.
29 Teneul (Georges-François), Contribution à l’histoire du financement des entreprises…, op. cit., p. 162.
30 Allocution de W. Baumgartner devant l’assemblée générale ordinaire des actionnaires du Crédit national, le 29 juin 1945, p. 4, AWB, 1BA30, Dr5.
31 Cf. supra, chap. IV, p. 229-234.
32 Extrait du procès-verbal du conseil d’administration du Crédit national du 12 janvier 1943, p. 3, ACN, secrétariat du conseil d’administration.
33 Ibid.
34 Extrait du procès-verbal du conseil d’administration du Crédit national du 8 juin 1943, p. 3, ACN, secrétariat du conseil d’administration.
35 Ibid.
36 Ibid., p. 4.
37 Rapport présenté au nom du conseil d’administration du Crédit national par M. Baumgartner à l’assemblée extraordinaire des actionnaires de l’établissement du 29 juin 1943, 3 p. dactyl., copie, ACN, p. 2.
38 Définition des principes dont, à l’issue de la guerre, la Banque devra s’inspirer en matière de crédit, déclaration du gouverneur de Boisanger à la séance du conseil général de la Banque le 27 avril 1944, ABF, boîte 7e, H192, Crédit à moyen terme, 1937-1971.
39 Ibid., p. 1.
40 « Discussion des projets de politique de crédit pour l’après-guerre », Procès-verbal de la séance du conseil général du 11 mai 1944, extrait, ABF, boîte 7e, H192.
41 Ibid., p. 3.
42 Ibid., p. 5.
43 Sténographie de la séance du conseil général du 20 juillet 1944, ABF, boîte 7e, H192.
44 Ibid., p. 3.
45 Ibid.
46 Bouvier (Jean), « À propos de la lente histoire du crédit à moyen terme en France… », art. cité, p. 4.
47 Sténographie de la séance du conseil général du 20 juillet 1944, doc. cité, p. 3.
48 « Discussion des projets de politique de crédit pour l’après-guerre », Procès-verbal de la séance du conseil général du 11 mai 1944, doc. cité, p. 4.
49 Cette sous-estimation des besoins financiers qui caractérisa en effet la première mouture du plan Monnet fut à l’origine aussi de la principale critique que Pierre Mendès France adressa au plan dès 1947. Cf. Feiertag (Olivier), « Pierre Mendès France, acteur et témoin de la planification française, 1943-1962 », in Pierre Mendès France et l’économie, Paris, Odile Jacob, 1989, p. 375-379.
50 Rapport du Conseil national du crédit pour 1955, annexe n° 25, p. 87.
51 Baubeau (Patrice), « Le Crédit National dans l’évolution des circuits de financement », in Berstein (Serge) et Milza (Pierre), L’année 1947, Paris, Presses de Sciences Po, 2000.
52 Bouvier (Jean) et Bloch-Lainé (François), La France restaurée…, op. cit., p. 151.
53 17 notes de la direction de l’Escompte de la Banque de France, 20 juillet 1944-9 juillet 1947, relevés récapitulatifs des engagements de mobilisation d’effets à moyen terme, ABF, boîte 7e, H192, Crédit à moyen terme, 1937-1971. Ces états détaillent à un rythme à peu près mensuel les accords de mobilisation donnés par la Banque de France sur présentation directe du Crédit national ou par le détour de la Caisse des dépôts des effets portant crédit à moyen terme, avec mention du nom de la société bénéficiaire, des banques prêteuses et de l’objet du prêt. En revanche, cette source n’indique pas quelle a été la fraction du montant autorisé effectivement utilisé par l’emprunteur. Toutes les données qui suivent, sauf indication contraire, proviennent de cette source.
54 Bossuat (Gérard), L’Europe occidentale à l’heure américaine, 1945-1952, Bruxelles, Complexe, 1992, p. 139.
55 Rapport général sur le premier Plan de modernisation et d’équipement, novembre 1946, p. 87-88.
56 François Bloch-Lainé, à cette date directeur du Trésor, témoigna après coup dans ce sens, expliquant même que les entreprises nationalisées en 1947-1948 ne fonctionnèrent en grande partie que grâce à ce moyen de financement et en dépit des réticences des banques à leur consentir ce type de prêt qui pourtant, rappellait-il, « ne leur coûtait que l’encre du stylo » (Entretien avec l’auteur du 17 janvier 1994 et intervention de F. Bloch-Lainé à la séance du 2 mai 1994 du séminaire organisé par le CHEFF sur l’histoire du Trésor). Sur le financement du secteur public par ce biais, cf. Lemaire (Virginie), Le rôle de l’État dans le financement des grandes entreprises nationalisées sous la IVe République, mémoire de maîtrise, Université de Paris X-Nanterre, 1993.
57 Margairaz (Michel), L’État, les finances et l’économie…, op. cit., p. 845 sqq.
58 Simon (Philippe) et Paves (Léon), Le crédit à moyen terme, Paris, PUF, 1955, p. 44-49.
59 « Les problèmes du crédit », Conférence prononcée par Wilfrid Baumgartner le 16 décembre 1948 devant les membres de l’Union des industries textiles, 18 p. dactyl., AWB, 1BA34, Dr3, p. 7.
60 Ibid., p. 5.
61 Ibid., p. 9.
62 Cours de finances publiques donné à l’ENA en 1946-1947, leçon du 2 janvier 1947, doc. cité., p. 18.
63 Cours de finances publiques 1945-1946, doc. cité, p. 5.
64 Cours de finances publiques donné à l’ENA en 1946-1947, leçon du 30 décembre 1946, doc. cité., p. 30.
65 Premier rapport présenté au Conseil économique et social de l’ONU le 25 mai 1946 a/s de la création d’une sous-commission de la reconstruction des régions dévastées, AWB, 1BA30, Dr8.
66 Lettre du ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, à W. Baumgartner du 25 juillet 1946, AWB, 1BA31, Dr1.
67 Allocution inaugurale de Wilfrid Baumgartner devant les délégués de la sous-commission pour la reconstruction, le 29 juillet 1946, 5 p. dactyl., AWB, 1BA31, Dr2.
68 Ibid., p. 2.
69 Ibid., p. 3.
70 Plan de travail de la sous-commission temporaire de la reconstruction, 2 août 1946, 3 exemplaires en anglais, AWB, 1BA31, Dr2.
71 Compte-rendu n° 1 de Wilfrid Baumgartner aux Affaires étrangères, 1 exemplaire manuscrit au crayon, 5 feuillets, AWB, 1BA31, Dr2.
72 Ibid., p. 2.
73 Ibid., p. 4.
74 Ibid.
75 Ibid., p. 2.
76 Compte-rendu n° 2 de W. Baumgartner aux Affaires étrangères du 8 septembre 1946, 3 p. dactyl., AWB, 1BA31, Dr3.
77 Margairaz (Michel), L’État, les finances, l’économie…, op. cit., p. 948 sqq et Bossuat (Gérard), La France, l’aide américaine et la construction européenne…, op. cit., p. 76 sqq.
78 Allocution d’ouverture de la sous-commission, doc. cité, p. 4.
79 Compte-rendu n° 2 du 8 septembre 1946, doc. cité, p. 2.
80 Rapport préliminaire de la sous-commission temporaire de la reconstruction économique des régions dévastées, le 18 septembre 1946, AWB, 1BA31, Dr4, p. 9-10.
81 Margairaz (Michel), « Autour des accords Blum-Byrnes : Jean Monnet entre le consensus national et le consensus atlantique », Histoire, économie et société, 3e trimestre 1982, p. 439-471, et sur le prêt de la BIRD : L’État, les finances et l’économie…, op. cit., p. 876-878 et 882-883.
82 Lettre de Robert Schuman, ministre des Finances, à Eugene Meyer, président de la BIRD, du 8 octobre 1946, copie, accompagnant un Mémorandum qui présentait la demande de prêt de la France à La BIRD, 12 p. dactyl., en anglais, et Memorandum concerning the Crédit national, 5 p. dactyl., AWB, 1BA31, Dr6.
83 AO du CHEFF, Entretien avec Michel Denis, n° 4, 056-175.
84 Valensi (Christian), Un témoin sur l’autre rive, Washington 1943-1949, Paris, CHEFF, 1994, p. 346-354.
85 Lettre de Wilfrid Baumgartner à Alexandre Parodi du 28 octobre 1946, de New York, Hôtel The Roosevelt, 8 feuillets manuscrits, FNSP, Papiers Parodi, PA45.
86 Margairaz (Michel), L’État, les finances et l’économie…, op. cit., p. 877-878.
87 Lettre de Wilfrid Baumgartner à Alexandre Parodi du 28 octobre 1946, doc. cité.
88 Valensi (Christian), Un témoin…, op. cit., p. 353.
89 Témoignage d’André de Lattre à la journée d’étude Les hauts fonctionnaires et le Plan Marshall organisé le 21 janvier 1991 par le CHEFF et le Comité d’histoire industrielle, confirmé par Valensi (Christian), Un témoin…, op. cit., p. 352.
90 Projet de loi n° 1382, 1947, portant promulgation de l’accord de prêt entre la Banque internationale et le Crédit national du 9 mai 1947, AWB, 1BA31, Dr7, p. 18.
91 Note du Crédit national pour le ministre des Finances du 24 septembre 1947, copie, 3 p. dactyl., AWB, 1BA31, Dr6.
92 Ibid., p. 1.
93 Plan de table du dîner donné en l’honneur de John Mc Cloy [octobre 1947], AWB, 1BA31, Dr7, annexe III.
94 Lettre de J. Mc Cloy à W. Baumgartner du 30 octobre 1948, AWB, 1BA31, Dr7 : « My thanks for the delightful dinner that you were kind enough to give me in Paris. I valued very much the opportunity of discussing the French situation with the representative industrialists whom you invited ».
95 Lettre de J. Mc Cloy à W. Baumgartner du 19 mars 1948, AWB, 1BA31, Dr7 : « As you can imagine it caused considerable comment here but I think the general feeling is that, watheter the technicalities, it was definitively a step in the right direction. »
96 L’Année politique 1947, Paris, Éditions du Grand Siècle, 1948, p. 216-221.
97 Projet de déclaration d’investiture, brouillon, 3 feuillets de la main de W. Baumgartner, [novembre 1947], AWB, 1BA33, Dr2.
98 Caron (François) et Bouvier (Jean), « Guerre, crise, guerre, 1914-1949 » in Braudel (Fernand) et Labrousse (Ernest) (dir.), Histoire économique…, op. cit., t. IV, 1-2/1880-1950, p. 680-683.
99 Projet de déclaration d’investiture, doc. cité, p. 3.
100 Dépêche AFP du 23 novembre 1947, texte de la lettre de P. Reynaud à R. Schuman, AWB, 1BA33, Dr2.
101 La Seine du 24 novembre 1947, AWB, 1BA33, Dr2.
102 Lettre de Jacques Merlin à Wilfrid Baumgartner du 24 novembre 1947, AWB, 1BA33, Dr2.
103 L’Agence économique et financière du 24 novembre 1947, AWB, 1BA33, Dr2.
104 L’Année politique 1948, Paris, Éditions du Grand Siècle, 1949, p. 114-117.
105 JO, n° 102, Assemblée nationale, séances du dimanche 8 août et du lundi 9 août 1948, p. 5543.
106 Projet de rédaction de l’article 5 du projet de loi du 8 août 1948, 1 feuillet manuscrit de l’écriture de W. Baumgartner, sur papier à en-tête de l’Assemblée nationale, AWB, 1BA33, Dr2.
107 JO, n° 102, doc. cité, p. 5529.
108 2 notes de Gaston Cusin [fin juillet 1948] et 30 juillet 1948, 24 p. dactyl. et 12 p. dactyl., AWB, 1BA33, Dr4 et Note pour le ministre de la direction du Trésor, compte-rendu d’une réunion avec E. Monick, W. Baumgartner et J. Brunet au ministère des Finances, 20 août 1948, 9 p. dactyl., AWB, 1BA33, Dr4.
109 Libération du 10 septembre 1948.
110 Le Monde du 10 septembre 1948 (souligné par J. Fauvet).
111 Le Monde du 12-13 septembre 1948.
112 L’Humanité du 14 septembre 1948.
113 Lettre de A. Duchatel à W. Baumgartner du 13 septembre 1948, AWB, 1BA33, Dr3.
114 Le Béguec (Gilles) et Duhamel (Éric), La reconstruction du parti radical 1944-1948, Paris, Éditions L’Harmattan, 1993.
115 Loriaux (Michael), France after Hegemony…, op. cit., p. 136 sqq.
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