Transformation fiscale et non governo. Les enseignements de l’expérience italienne (1972-1992)
p. 385-414
Texte intégral
1Quiconque se serait risqué à prévoir vers la fin des années 1940 que le revenu par tête des Italiens aurait dépassé en l’espace d’une génération à peine celui des Anglais n’aurait rencontré qu’un scepticisme fort compréhensible. Et la prédiction que le poids relatif des impôts sur le revenu (effectivement payés) serait plus élevé au milieu des années 1990 en Italie qu’au Royaume-Uni ou en Allemagne – et presque le double de la France – aurait paru plus incroyable encore.
2La rapidité des transformations qu’a connues la société italienne depuis un demi-siècle peut expliquer le caractère contradictoire, presque schizophrénique parfois, des jugements portés à son sujet. La reconnaissance du « miracle italien » va de pair avec une forte dominante d’appréciations sévères, qui insistent sur la persistance de traits archaïques, sur les incohérences sociales qui se sont multipliées comme un sous-produit des bouleversements économiques, sur les carences de la classe politique face aux exigences de réforme radicale. Et certains vont jusqu’à mettre en doute, explicitement ou implicitement, la capacité de l’Italie à devenir une nation industrielle avancée « comme les autres ». Déterminer quelle part de validité conservent les vieux clichés sur l’Italie requiert un examen précis, au cas par cas ; mais rien ne serait plus facile, par exemple, que de présenter comme anachronique un système fiscal qui au seuil des années 1990 comporte toujours des accises sur l’huile et le sucre, mais détaxe l’essentiel des plus-values boursières.
3Les jugements les plus critiques sont ceux qui émanent des observateurs italiens eux-mêmes : ils ironisent sur la prolifération des impôts (évoquant à leur propos la fontaine d’Aquila, la fontana delle 99 cannelle, ou encore, puisqu’on l’absence de véritable décompte toute précision serait illusoire, les cento tasse degli italiani), ils s’exaspèrent de l’ampleur de la fraude fiscale, souvent considérée a priori comme un phénomène spécifiquement italien, et reviennent fréquemment sur la question1, ils s’inquiètent de la situation chaotique provoquée par l’abus d’interventionnisme et les changements incessants de la réglementation, ils font un large écho aux manifestations de « révolte fiscale » et s’exaspèrent de la sclérose des institutions, puisque les gouvernements successifs n’ont toujours pas réussi à pallier des carences reconnues par tous. La longue histoire des réformes fiscales en Italie, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, semble à première vue justifier l’accusation d’immobilisme : car la répétition même des réformes, jalonnées par toute une série d’amnisties fiscales et d’engagements pour l’avenir rarement tenus, dénote effectivement une incapacité à mettre en œuvre des solutions radicales, à la hauteur des problèmes chroniques qui se posent à la fiscalité italienne.
4Pourtant, cette impression première est partiellement trompeuse, et ne devrait pas conduire en tout cas à méconnaître l’impressionnante transformation des structures fiscales advenue en Italie depuis le début des années 1970. Les comparaisons franco-italiennes, trop souvent négligées, apportent à cet égard des enseignements propres à rectifier les perspectives et qui vont clairement à l’encontre des idées reçues. Un rapprochement entre les deux pays apparaît d’autant plus justifié en l’occurrence que leurs structures fiscales présentaient encore au seuil des années 1970 une similitude frappante, au moins en ce qui concerne l’architecture globale des prélèvements. On opposait alors couramment le « modèle » fiscal des pays avancés de l’Europe du Nord-Ouest, assez disciplinés pour appliquer efficacement l’imposition progressive des revenus, et la fiscalité beaucoup plus traditionnelle des peuples méditerranéens, voués à des prélèvements plus indolores (tel l’impôt sur la consommation)2. Mais lorsque vingt ans plus tard, vers 1990, on invoque encore une spécificité fiscale des « pays latins », caractérisée par un faible taux de prélèvement global, un faible poids relatif de l’impôt sur le revenu et la prédominance des impôts indirects et des cotisations sociales, par contraste avec les pays Scandinaves et les pays anglo-saxons3, ce schéma simplificateur – comme nous chercherons à le montrer ici – a désormais perdu toute validité, du moins en ce qui concerne l’Italie.
5La présente communication portera donc sur la période d’une vingtaine d’années où l’Italie s’est engagée dans une transformation décisive de ses structures fiscales : une période qui va de la réforme fiscale de 1973-1974 jusqu’au « tremblement de terre » politique de 1992-1994.
6On a donc choisi comme point de départ la réforme, issue d’une gestation de plusieurs années, qui s’est appliquée aux impôts indirects à partir de 1973, et aux impôts directs à partir de 1974. Elle s’inscrit dans une longue lignée de réformes fiscales italiennes, depuis la réforme Vanoni au début des années 1950 jusqu’à la réforme Visco de 1998, en passant par la réforme Visentini de 1985. La récurrence de ces réformes peut être considérée en soi comme un handicap initial pour chacune d’elles (dans la mesure où les promesses – de simplification, d’allégements, voire d’amnistie fiscale – qui constituent l’accompagnement habituel de la réforme produisent d’emblée une impression de déjà vu) et, rétrospectivement, comme un signe d’échec au moins partiel, puisque aucune n’a suffi à apporter « la » solution définitive au problème fiscal italien. Néanmoins, la réforme de 1973-1974 présente une importance particulière, ne serait-ce que parce qu’elle a déterminé les traits essentiels de la fiscalité italienne jusqu’au début des années 1990 au moins, c’est-à-dire durant une période critique marquée par l’aggravation de tous les déséquilibres.
7Quant à la date terminale de la période envisagée ici, 1992, elle correspond avant tout à une césure politique : la fin de ce que l’on a appelé « la Première République italienne ». Mais elle présente aussi une signification financière, que l’on peut caractériser par deux traits à première vue contradictoires. On relèvera d’abord symboliquement que c’est en 1992 que le poids relatif de l’impôt sur le revenu – 11,5 % du PIB – dépasse pour la première fois en Italie la moyenne de celui de l’Union européenne. Mais cette même année 1992 n’en représente pas moins aussi un sommet du déficit public italien (7,5 % du PIB). L’Italie est alors montrée du doigt, non sans raison : elle apparaît responsable à elle seule des deux-tiers du déficit cumulé de l’Union européenne, alors que le coefficient d’endettement public a déjà dépassé 100 % du PIB.
8Comme le suggèrent les rapprochements effectués à l’instant, notre période est également susceptible d’une lecture « européenne »4. Le cadre chronologique ainsi défini s’étend en effet de 1973, l’année où l’Italie parvient non sans retard à se conformer à la première directive européenne sur la généralisation de la TVA (datant de 1967), jusqu’à 1992, l’année du traité de Maastricht, qui devait donner une nouvelle impulsion au redressement fiscal et financier de l’Italie.
9La réforme fiscale est donc manifestement inachevée en 1992 : c’est la phase ultérieure qui permettra à l’Italie de passer en quelques années d’un déficit budgétaire massif à des excédents primaires5 et de rejoindre dans des conditions inespérées le groupe des pays fondateurs de l’Union monétaire. Si l’on a choisi néanmoins d’exclure du champ de cette contribution le redressement particulièrement énergique des années 1990, c’est parce qu’il appartient à un autre chapitre de l’histoire politique. La période étudiée ici se caractérise quant à elle par une conjonction paradoxale entre la vigueur (ou la brutalité) des évolutions fiscales et la faiblesse du pouvoir politique. La réforme de 1972-1974, enjeu de tractations difficiles et prolongées, n’apparaît pas comme un tournant politique majeur : de l’« automne chaud » de 1969 à la montée du terrorisme, des événements autrement plus dramatiques occupent le devant de la scène. Face à de pareils défis, les blocages et le manque de capacité d’initiative des gouvernants auront rarement été aussi flagrants que durant ces années 1969-1973, qui s’inscrivent entre la retombée de l’élan du centre-gauche et les espoirs (d’ailleurs éphémères) du Compromis historique. En juillet 1973, le gouvernement Rumor, à qui incombe entre autres la mise en application de la réforme fiscale, n’hésite pas, selon G. Di Palma6, à se fixer ouvertement comme objectif pur et simple... de survivre jusqu’aux élections suivantes quatre ans plus tard. Pour caractériser cette carence gouvernementale chronique, on a proposé les termes de non governo7 (un pays qui n’est plus gouverné), de « modernisation sans réforme », de « révolution passive », où le nouveau se coule dans le moule de l’ancien et où la continuité finit par l’emporter sur les tentatives de rupture8.
10Comment la faiblesse de l’autorité politique a-t-elle pu être compatible en Italie avec les exigences d’une réforme fiscale énergique ? Telle est la question centrale qui dominera notre étude, puisqu’il existe durant cette période une disproportion manifeste entre les enjeux de la réforme fiscale et la capacité des gouvernants à affronter les problèmes et à faire prévaloir des solutions tranchées. Quelles motivations et quelles impulsions trouve-t-on à l’origine de la réforme fiscale ? Comment son dispositif a-t-il été arrêté ? Sa mise en œuvre a-t-elle été affectée par des compromis indus, ou par de soudains accès de rigueur s’avérant à terme intenables, ou par des excès contraires (paradoxalement explicables dans une certaine mesure par une même cause, la faiblesse du pouvoir) ? Et peut-on apprécier objectivement les résultats obtenus avec un certain recul, au-delà des jugements impressionnistes formulés « à chaud » par les contemporains ?
I. La fiscalité italienne au seuil de l’harmonisation européenne
11Au tournant des années 1970, le système fiscal italien, dont les traits essentiels remontent à la réforme Vanoni de 1951, comporte des divergences très marquées avec la norme dominante dans les pays « avancés » de l’Europe du Nord-Ouest. Il présente en revanche des traits communs avec la fiscalité française, plus précisément avec le régime fiscal issu de la réforme de Caillaux, qui persiste en France jusqu’en 1959. Mais la fiscalité italienne se distingue par certains traits spécifiques nettement plus « attardés »9, concernant avant tout – mais pas uniquement – la fiscalité indirecte.
12La comparaison franco-italienne fait apparaître une similitude particulièrement frappante lorsqu’on s’en tient aux proportions globales. Les deux pays se caractérisent par le faible poids relatif de la fiscalité sur les revenus, qu’il s’agisse de l’impôt sur les revenus personnels (dont la part est inférieure à la moitié de la part moyenne européenne, tableau 1, ci-dessous) ou de l’impôt sur les sociétés. Corrélativement, ils se distinguent aussi par la proportion particulièrement élevée dans le total des prélèvements des cotisations sociales, assises sur les revenus salariaux, et, dans une moindre mesure, des impôts sur la consommation.
Tableau 1.
Répartition des recettes publiques, 1970 (en % du total, cotisations sociales comprises)
Italie | France | Moyenne de l’UE | |
Cotisations sociales | 37,8 | 36, 3 | 24,4 |
Impôts sur les revenus dont : | 17,4 | 18,3 | 34,0 |
– imp. sur les rev. personnels | 10,9 | 12,0 | 25,3 |
– imp. sur les rev. des sociétés | 6,5 | 6,3 | 8,7 |
Impôts sur la propriété | 6,0 | 3,5 | 5,7 |
Impôts sur la consommation dont : | 36,3 | 37,1 | 34,6 |
– impôt général | 12,2 | 25,5 | 15,6 |
– impôts spécifiques | 23,2 | 11,6 | 19,0 |
Source : Statistiques des recettes publiques, 1965-1997, OCDE, 1998. À des fins de comparaison avec la période récente, la moyenne de l’Union européenne tient compte des quinze pays membres à l’heure actuelle.
13Une comparaison plus détaillée fait cependant apparaître des différences significatives entre la France et l’Italie.
14La plus marquante concerne l’impôt sur la consommation. L’Italie, qui tarde à appliquer la directive européenne de 1967, n’a toujours pas l’équivalent de la TVA française (son introduction constituera précisément le premier volet de la réforme fiscale de 1973). Elle en est restée à l’application d’un impôt général sur le chiffre d’affaires (Ige, Imposta generale suit’entrata), prenant la forme d’un impôt « en cascade », à faible taux et peu productif10. Dans ces conditions, l’essentiel des recettes de la fiscalité sur la consommation provient toujours des accises (imposte di fabbricazione), frappant notamment des produits de grande consommation – sucre, sel, cacao, huiles – qui, en France, ont cessé depuis bien longtemps de faire l’objet d’une taxation spécifique.
15La fiscalité directe, au demeurant, comporte elle aussi des traits archaïques. La réforme Vanoni s’est contentée d’introduire une surtaxe progressive, se superposant (comme dans la réforme Caillaux trente-quatre ans plus tôt) à toute une série d’impôts cédulaires qui frappent séparément les différentes catégories de revenus. Les revenus d’entreprise, en particulier, sont redevables d’impôts cédulaires fortement différenciés selon leur nature, à des taux qui s’étagent entre 4 % et 22 % en fonction de critères d’ordre traditionnel.
16En fait, l’administration des impôts se trouve confrontée à une difficulté pratique majeure : comment évaluer le revenu des milliers de petits entrepreneurs qui ne tiennent pas de comptabilité ? La solution traditionnelle, ou plutôt le palliatif utilisé consiste en un système d’« abonnement », idéal pour favoriser l’évasion légale : l’évaluation forfaitaire, quasiment par définition, ne peut que sous-évaluer le revenu effectif. Les services fiscaux tentent de mettre un peu d’ordre en s’appuyant sur des grilles de coefficients, négociés séparément pour 275 secteurs d’activité avec les organisations professionnelles concernées. Mais le fonctionnement du système laisse place à une forte dose d’arbitraire, et il incite fâcheusement à l’usage de la bustarella (l’« enveloppe » qu’on glisse aux agents du fisc, en échange de leur compréhension...). Cet état de fait contribue directement à abaisser le rendement de l’impôt sur les revenus personnels, tout en entretenant frictions et frustrations.
17Quant à l’impôt sur le revenu des sociétés, dont l’introduction remonte également à la réforme Vanoni, il prend une forme pour le moins originale : son montant se calcule en ajoutant une composante fixe, égale à 0,75 % de la valeur nette du patrimoine (valeur particulièrement difficile à évaluer dans un contexte inflationniste), et une composante variable, égale à 15 % de la partie du bénéfice qui dépasse 6 % de la valeur du patrimoine.
18Ce système fiscal complexe se caractérise aussi par sa rigidité. Sa productivité reste globalement médiocre : le taux de prélèvement, en 1970, atteint seulement 26,1 % du PIB en Italie, contre 31,4 % en moyenne pour l’Union européenne11. Autre inconvénient du système fiscal italien : l’existence de longs décalages entre perception du revenu et paiement de l’impôt – ce qui crée des difficultés de trésorerie, et pose problème pour toute tentative de régulation contracyclique à travers l’impôt, dont les effets risquent d’intervenir trop tard et de jouer à contresens. Ces défauts sont largement reconnus, mais toute réforme partielle, même modeste, comme l’introduction en 1962 par le gouvernement de centre-gauche d’une retenue à la source sur les profits distribués, suffit à soulever un maximum de protestations.
19Plus généralement, le régime fiscal en vigueur, sans être particulièrement pesant, suscite déjà un mécontentement général dans l’Italie des années 1960. Faut-il voir là un atout pour le gouvernement, ou même – à côté des exigences de l’Europe quant à l’introduction de la TVA – un second moteur de la réforme fiscal ? En 1967, le ministre des Finances a promis « des prélèvements allégés, avec de meilleures conditions de paiement et une amélioration des rapports entre le fisc et les contribuables ». Promesses non tenues, du moins quant aux allégements d’impôts – ce qui n’empêche pas le gouvernement de les réitérer en 1971 à la veille de la réforme fiscale : il déclare compter sur la simplification des formalités pour réduire l’évasion, mais il affirme en même temps que la réforme n’est pas destinée à accroître les recettes fiscales.
20On peut douter de l’efficacité de pareils engagements pour améliorer l’accueil réservé au projet de réforme (sauf de la part des contribuables les plus crédules…). Mais les promesses se retourneront certainement contre leurs auteurs quand il s’avérera inévitable en réalité d’appliquer la réforme fiscale dans un contexte de pression fiscale renforcée.
II. La réforme fiscale de 1973-1974
A. Le contexte de la réforme
21La réforme fiscale italienne doit être replacée dans son contexte financier, social et politique.
22Du point de vue financier, l’Italie, qui était encore un pays à monnaie forte et un modèle d’équilibre financier dix ans plus tôt (on l’ignore souvent), est en train de glisser vers 1970 sur la voie d’un déficit croissant, de nature à la fois conjoncturelle et structurelle. Le déséquilibre des finances publiques tient à la fois à la rigidité des recettes fiscales, déjà mentionnée, mais aussi de plus en plus à la montée des dépenses, notamment des dépenses sociales de transferts aux ménages12. Pour prendre un seul exemple, en une décennie (1960-1970), le nombre des pensions d’invalidité a presque triplé13, et ce n’est encore qu’un début... De plus, la réforme fiscale italienne s’appliquera à partir de 1974 dans un contexte international brusquement dégradé par suite des conséquences du premier choc pétrolier, ce qui constitue aussi une source de dépenses supplémentaires.
23Un effort fiscal serait donc financièrement indispensable, mais il paraît exclu dans la conjoncture sociale et politique du moment.
24Sur le front social, l’Italie a connu un bouleversement d’une force exceptionnelle lors des événements de 1968-1969. Les dirigeants des partis sont incapables de concevoir une réponse à la hauteur des problèmes qui se posent à la nation, mais ils tentent de réagir dans diverses directions par des mesures palliatives, dont la plupart doivent inévitablement coûter cher14. C’est le cas à court terme pour les mesures d’amélioration de la couverture des risques sociaux, et davantage encore à long terme, avec par exemple la mise en place des régions en 1970 ou le renforcement, annoncé par une loi de 1971, du dispositif favorisant l’investissement et l’emploi dans le Sud. Or l’Italie se trouve confrontée dans l’immédiat, dès avant 1968, à un fléchissement prononcé des investissements des entreprises, tandis que le patronat réclame avec insistance une réduction des cotisations à sa charge et une fiscalisation des dépenses sociales. Les sorties de capitaux prennent des proportions inquiétantes en 1968-1969, et la confiance des milieux d’affaires tarde à se rétablir. En février 1973, la lire est devenue monnaie flottante, contribuant ainsi à donner le signal de la dislocation monétaire internationale15.
25Du point de vue politique également, la réforme fiscale intervient dans un moment que l’on peut qualifier de crise aiguë au sein de la crise permanente de l’État italien. Au début des années 1970, l’élan du centre-gauche est retombé depuis déjà près de dix ans, mais l’intégration des socialistes dans les rouages du pouvoir n’a même pas réussi à assurer la stabilité ministérielle. À Noël 1971, Leone est élu président de la République au vingt-troisième tour de scrutin, ce qui ne manque pas de rappeler les errements de la IVe République française. Des élections anticipées interviennent en 1972 : c’est la première législature de la République à ne pas aller jusqu’à son terme, et les élections sont marquées par une poussée des néo-fascistes. Mais la menace d’extrême droite prend aussi d’autres formes bien plus inquiétantes : les rumeurs de complot militaire avec l’appui de la CIA et les attentats meurtriers (piazza Fontana, décembre 1969). Aux yeux de l’opinion comme de la presse et du monde politique, les tractations sur la réforme fiscale sont complètement éclipsées par des questions autrement plus brûlantes, depuis les conflits sociaux de l’« automne chaud » (1969) et la montée du terrorisme d’extrême gauche et d’extrême droite jusqu’au référendum sur le divorce, qui, en 1974, passionne et divise l’Italie. Quant aux dirigeants des partis aux pouvoirs, ils se sentent réduits à la défensive, et s’exposent au reproche d’avoir eu pour seule ambition de « survivre sans gouverner »16, d’avoir manqué de toute aptitude à concevoir un projet cohérent17, et de s’être disqualifiés par leur « faible capacité d’initiative et de leadership18 ».
26L’analyse de la réforme fiscale doit-elle conduire à nuancer ces accusations ? Le fait est, en tout cas, que cette réforme a réussi à frayer son chemin dans un contexte difficile, et qu’elle répondait à des nécessités largement reconnues.
B. Origines et orientations de la réforme fiscale
27La réforme a pour origine directe les engagements pris par le gouvernement italien dans le cadre de l’harmonisation fiscale européenne. En donnant son accord à la 1re Directive de 1967, l’Italie a accepté le principe d’une refonte de sa fiscalité indirecte, refonte axée sur le passage à la TVA. Il ne s’agit pas là d’ailleurs d’une contrainte imposée de l’extérieur. L’un des principaux inspirateurs de la réforme de 1973, C. Cosciani, déjà l’un des protagonistes des réformes fiscales italiennes des années 1950, auteur de plusieurs ouvrages sur les finances publiques de l’Italie, sur les problèmes fiscaux du Marché commun et sur la TVA en particulier19, avait publié dès 1949 – donc avant même l’introduction en France de la TVA – une étude sur les expériences françaises en matière d’impôts sur la production20. Il est aussi l’un des premiers à avoir expliqué dès 1958, de la manière la plus claire et la plus pédagogique, comment l’application de la TVA, couplée avec le principe de la taxation dans le pays de destination, doit permettre – conformément aux thèses françaises – une véritable concurrence équilibrée au sein du Marché commun (sans avoir à attendre une pleine harmonisation des fiscalités nationales, qui ne peut advenir qu’à un horizon bien plus éloigné). L’instauration de la TVA ne soulève dans les années 1960 aucun désaccord de principe : il n’en est que plus significatif que l’Italie ait dû demander à trois reprises un délai à ses partenaires européens avant de pouvoir tenir son engagement de 1967, tant la distance à franchir pour passer du vieux système d’imposition indirecte à l’application effective de la TVA posait des problèmes pratiques considérables21. L’Italie sera finalement le dernier pays de la Communauté européenne à y parvenir, le 1er janvier 1973.
28Et encore ce long délai – durant lequel le déficit budgétaire italien ne cesse de s’aggraver – n’a-t-il pas suffi à permettre une synchronisation avec la réforme de l’impôt direct, qui entre en vigueur un an plus tard, en 1974.
29Là encore, pourtant, il existait un large accord, au sein de la commission chargée de préparer la réforme, sur la nécessité d’un rééquilibre, pour atténuer la prépondérance traditionnelle des impôts sur la consommation en demandant davantage aux impôts sur le revenu et aux impôts sur le patrimoine. En ce qui concerne la fiscalité sur les revenus personnels, la réforme devait mettre fin à la dualité entre impôts cédulaires et surtaxe progressive pour passer à une imposition progressive unitaire de l’ensemble du revenu, l’Italie rejoignant ainsi la norme adoptée par la plupart des pays d’Europe occidentale, comme la France l’avait fait en 195922. Quant à l’impôt sur la propriété, son introduction, sous la forme d’une taxe générale de caractère réel, frappant le patrimoine à un taux uniforme, aurait constitué en revanche un élément original de la fiscalité italienne ; elle représentait, selon Cosciani, un contrepoids indispensable à la fois pour ne pas accroître trop brutalement la lourdeur de l’impôt sur le revenu et pour recouper la sincérité des déclarations. Mais la commission a finalement reculé23 devant les risques d’une pareille novation (appuyée au contraire par les communistes et les socialistes).
30Avec l’abandon de ce « troisième volet » de la réforme, la cohérence du projet initial subissait une première atteinte. D’autres remises en cause non moins sérieuses devaient survenir lors de l’application de la réforme.
C. Le dispositif de la réforme
31La réforme de 1973-1974, amputée de la taxation du patrimoine, concerne au niveau national, d’une part, la fiscalité sur les biens et services, d’autre part, la fiscalité sur les revenus. Les précautions dont s’entourent la mise en place de la TVA contrastent avec le caractère volontariste de la réforme des impôts directs. Une refonte non moins drastique du régime des finances locales accompagne l’effort de modernisation de la fiscalité d’État.
32En ce qui concerne la TVA (sigle italien : Iva), on a posé d’emblée un principe de neutralité : son introduction doit laisser inchangée la charge globale de la fiscalité indirecte24 et modifier le moins possible sa répartition. Une telle prudence25 s’explique par plusieurs craintes. D’un côté, le gouvernement appréhende un freinage supplémentaire des investissements pendant la période transitoire (dans la mesure où l’attente de la réforme risque d’inciter à différer la réalisation des projets en cours, en vue de bénéficier un peu plus tard des restitutions sur les achats de biens d’équipement en régime de TVA) mais n’hésite pas, pour écarter ce danger, à amputer les recettes fiscales, en accordant par anticipation à tous les investissements effectués après 1971 une exemption totale d’impôts sur le chiffre d’affaires. Mais la principale crainte est celle d’un effet inflationniste, aggravé par le comportement dissymétrique des agents économiques (répercussion des hausses sans répercussion des baisses). Pour limiter les risques, le taux normal de l’Iva26 a été fixé à un faible niveau (12 %, contre 23 % en France en 1970), et surtout on a choisi d’appliquer un régime de taux multiples, comportant une « fourchette » de taux largement ouverte (de 0 % à 38 %), avec un grand nombre de taux intermédiaires. Il reste donc, à cet égard, un long chemin à parcourir pour se conformer aux principes de simplification et de neutralité, qui sont censés représenter le principal attrait de la TVA. L’Italie, cependant, n’est pas insensible aux avantages d’ordre international de la TVA : le prélèvement de la TVA sur les importations – matière fiscale relativement facile à taxer et moins exposée à la fraude – fournit désormais à l’État italien une de ses recettes les plus sûres ; quant aux exportateurs, ils ont parfaitement compris l’avantage durable27 qu’ils peuvent tirer du système des restitutions à l’exportation. En 1977, on effectuera – comme en France neuf ans plus tôt – un transfert de la taxe des salaires (non « récupérable ») vers la TVA, dont le taux est majoré à cette occasion de 12 % à 14 %. L’Italie, en ce sens, sans s’être encore pleinement alignée sur le « modèle » français, est déjà bel et bien entrée dans la logique de la TVA.
33La réforme de la fiscalité sur les revenus témoigne d’un parti-pris de simplification bien plus affirmé. Les dix-huit impôts directs existants sont remplacés, en 1974, conformément à la norme européenne28, par deux seulement : l’Irpef (Imposto sul reddito delle persane fisiche), impôt sur le revenu des personnes physiques, et l’Irpeg (Imposto sul reddito delle persone giuridiche), impôt sur le revenu des sociétés. L’imposition des sociétés ne pose pas en principe de problème majeur : l’Italie adopte la formule générale d’un prélèvement proportionnel sur le montant des profits. En ce qui concerne les revenus personnels, la réforme a pour objet, comme en France en 1959, l’instauration d’un système de taxation unifié. Mais elle se trouve confrontée à l’existence d’une dissymétrie de fait entre les revenus salariaux (auxquels il est relativement29 facile d’appliquer une retenue à la source) et les revenus de l’entreprise individuelle, dont le poids au sein de l’économie et de la société italiennes restent considérables. Tout le problème est de parvenir à évaluer correctement ces revenus d’entreprise. Les auteurs de la réforme déclarent vouloir protéger le contribuable contre l’arbitraire des évaluations forfaitaires, en leur substituant un mode de détermination analytique, autrement dit, l’établissement du revenu fiscal sur la base d’une comptabilité des recettes et des coûts, admise à servir de preuve. Cette présentation, qui s’efforce de mettre l’accent sur les avantages de principe pour le contribuable, recouvre en fait un véritable pari sur la possibilité de résoudre d’un seul coup le problème de l’évasion fiscale, en postulant de la part des petits entrepreneurs à la fois la capacité et la volonté de passer au stade d’une comptabilité exhaustive (et sincère...).
34L’enjeu de cette révolution fiscale est encore amplifié par le bouleversement concomitant de la fiscalité locale. La réforme supprime d’un seul coup la quasi-totalité des impôts locaux en vigueur (notamment les taxes locales sur les ventes) et les remplace par un impôt unique, l’Ilor (Imposta locale sui redditi), dont l’assiette est constituée par l’ensemble des revenus autres que ceux du travail ; pour les sociétés, il s’ajoute à l’Irpeg et se combine à lui. L’Ilor, cependant, mérite mal son nom : c’est un « faux » impôt local, un impôt perçu par le gouvernement central, qui en redistribue le produit aux collectivités locales. Autrement dit, la réforme implique le passage à un système de financement des instances locales par transferts du gouvernement central. Ce choix s’inscrit dans une logique égalitaire et redistributrice : il s’agit de lutter contre l’aggravation cumulative des inégalités régionales, en assurant aux régions les plus défavorisées un niveau de service public comparable à celui des régions avancées, sur la base d’un mécanisme centralisé de péréquation. Une telle politique justifierait un débat approfondi, tant sur ses principes que sur les résultats obtenus. Dans l’immédiat, cependant, on constate d’abord que la réforme a été la source de sérieuses difficultés pour les municipalités, dans la mesure où les subsides du pouvoir central leur parviennent avec retard, ce qui les plonge dans un cercle vicieux d’endettement cumulatif. À plus long terme, l’application de la réforme se heurte à des résistances et même à une contestation de principe : cette dépendance financière n’est-elle pas contradictoire avec le choix politique de 1971 d’instaurer une véritable autonomie régionale ? Les régions riches tendent à récuser une solidarité financière intégrale, en invoquant le principe : « À celui qui profite de payer. » Les oppositions qui se manifestent à cet égard seront à l’origine d’un revirement très net à partir des années 1980 en faveur de l’autonomie des finances locales.
35Les autres éléments de la réforme ont en général fait preuve d’une grande longévité et marqué durablement la fiscalité italienne. Avant de tenter un bilan d’ensemble, on observera simplement que l’analyse des mesures de 1973-1974 révèle une indéniable volonté de simplification, et même de simplification radicale, clairement affichée par les auteurs de la réforme – mais une volonté de simplification qui s’est trouvée mise en échec sur des points importants dès le premier stade de l’élaboration du dispositif.
III. Mise en œuvre, ajustements, bilan de la réforme
A. Jugements portés sur la réforme
36L’appréciation des résultats de la réforme de 1973-1974 a donné lieu à tout un spectre de jugements, qui vont d’une condamnation sans appel à des prises de position nuancées, mais comportant toujours d’importantes réserves ; la thèse d’un plein succès de la réforme fiscale ne semble jamais avoir été sérieusement défendue. Cette tonalité critique n’a rien d’étonnant, étant donné le caractère visiblement inachevé de la réforme et la dimension des problèmes à résoudre, dont on oublie un peu trop facilement qu’aucun d’entre eux n’est le propre de l’Italie.
37Nous retiendrons à titre d’exemples quatre de ces jugements, échelonnés sur les deux décennies qui suivent la réforme, à cinq ans d’intervalle.
38En 1979, le spécialiste de finances publiques M. Vitale pose très directement la question d’une mise en échec de la réforme, dans son ouvrage È fallita la riforma tributaria ?30 Le titre comporte bien un point d’interrogation, mais le lecteur se demandera inévitablement s’il n’est pas de pure forme.
39En 1984, dix ans après l’entrée en vigueur de la réforme, A. Pedone, autre fiscaliste de renom, publie un bilan équilibré : « un succès partiel et beaucoup de problèmes »31.
40En 1989, un observateur étranger, P. Ginsborg32, insiste surtout sur le décalage entre les résultats de la réforme et ses principes et objectifs initiaux (« I risultati si fecero beffa dei principi conclamati »), et il fait écho à l’accusation d’avoir introduit une fiscalité régressive, entraînant une « redistribution à rebours »33.
41En 1994 (vingtième anniversaire de la réforme), le ministre des Finances du gouvernement de droite, G. Tremonti, publie un Livre blanc sur la réforme fiscale, où il formule un véritable réquisitoire contre la réforme de 1973-1974 (« trop d’impôts », « trop de lois », « trop de procès », « trop de champ libre pour l’évasion fiscale »), dont il dénonce non seulement les effets, mais l’inspiration globale (vision myope, strabisme idéologique.. Il écrit également un article dans un grand quotidien où il s’en prend au principe même de l’impôt sur le revenu – « un mythe réactionnaire »34 – et il annonce un retour à la conception fiscale du xixe siècle, en faveur de l’impôt réel et non plus personnel.
42Nous essaierons d’appliquer ici une démarche analytique en croisant différents points de vue et différentes approches de court et de long terme, qualitatives et quantitatives.
B. Réforme fiscale et déséquilibres financiers
43À court terme, la mise en place de la réforme fiscale a donné lieu à une aggravation explosive du déficit des finances publics, qui a plus que quadruplé entre 1970 et 197335. La période de transition entre deux systèmes fiscaux procure aux Italiens des demi-vacances fiscales, dont certains ont su profiter. En 1973, le gouvernement fixe provisoirement des taux d’Iva très faibles ou nuls sur les produits de base (sans réussir pour autant à freiner l’élan de l’inflation) et pour le reste, les rentrées effectives sont très inférieures aux prévisions.
44À moyen terme, l’aggravation du déficit se poursuit jusqu’au début des années 1980. Il prend alors des proportions inouïes en temps de paix, culminant à 13 % du PIB en 1982, avant de se stabiliser en valeur relative et d’osciller autour de 10 % du PIB (ce qui reste très supérieure à la moyenne européenne), puis d’enregistrer une recrudescence qui crée de nouveau une situation de crise au seuil des années 199036.
45Mais cette détérioration chronique masque en réalité un retournement de tendance majeur : à partir de la fin des années 1970, les déficits massifs sont dus à l’ascension effrénée des dépenses37, plutôt qu’au laxisme fiscal. Toute une série de facteurs se cumulent en effet pour alourdir considérablement en quelques années le « train de vie » de l’État italien, depuis un authentique effort de modernisation du système de santé et de prévoyance sociale (l’Italie accède tardivement au Welfare State) jusqu’aux charges directement imputables au régime des partis (financement public officiel des partis38, prise en charge du déficit de leurs journaux), en passant par la prolifération des subventions aux entreprises et toutes les formes de clientélisme social à peine déguisé (par exemple, l’octroi de pensions à des titres divers : en 1993, l’Italie compte 4,2 millions de titulaires d’une pension d’invalidité civile ; pour un bon tiers de ces « invalides », leurs droits ne résisteront pas aux premiers contrôles systématiques opérés en 1993-1995)39. Quant aux prélèvements fiscaux, après le creux relatif du début des années 1970, leur croissance sur l’ensemble de la période n’est pas moins impressionnante que celle des dépenses publiques. Leur poids relatif au sein du PIB ne cesse de croître (de façon à peu près parallèle à la courbe des dépenses publiques), et le montant du prélèvement fiscal par habitant augmente bien plus vite encore en Italie que la moyenne européenne à partir de 197940. Mais cet alourdissement continu de la fiscalité italienne – de toute évidence à l’extrême limite du supportable – ne suffit pas à résorber le déficit public : il suffit tout juste, jusqu’aux années 1990, à le contenir et à le stabiliser (difficilement) en valeur relative.
46De ce survol global, on retiendra d’abord que c’est la montée des dépenses publics qui est devenue le moteur essentiel des transformations fiscales en Italie : les autorités, incapables de limiter les dépenses, sont contraintes d’augmenter coûte que coûte les prélèvements pour faire face au déficit. Et l’on doit renoncer aussi aux explications générales toutes faites en termes de « laxisme fiscal » : comme l’écrit en 1984 A. Pedone41, « c’est précisément le grand succès remporté quant à la croissance des recettes fiscales qui est à l’origine des problèmes actuels de notre système fiscal ». Si les déficiences de la fiscalité italienne ont une responsabilité propre dans les difficultés financières permanentes, c’est en examinant séparément les caractéristiques de chacun des principaux impôts qu’on doit l’apprécier.
C. Les mécomptes de l’Iva, les rigueurs de l’impôt sur le revenu
47Les deux grands volets de la réforme – fiscalité indirecte et fiscalité indirecte – se sont appliqués de manière dissymétrique à plusieurs égards.
48L’acclimatation en Italie de la TVA de type français s’est avérée bien plus difficile que prévu, sauf sur les biens importés. Ces derniers fournissent une part disproportionnée du total des recettes de l’Iva (38,5 % en 1973, 60,3 % en 1979)42, ce qui constitue un premier symptôme du mauvais rendement de la taxe sur les biens d’origine nationale. Autre anomalie : les relèvements de taux successifs, en 1977 notamment, sont restés sans effet apparent ou peu s’en faut sur le rendement de la taxe (4,5 % du PIB en 1973, 4,4 % en 1979). L’écart persistant entre le rendement théorique et le rendement effectif s’explique en partie par les régimes spéciaux accordés, pour des motifs variés, à différentes catégories de producteurs43. Ainsi, les agriculteurs ont le choix entre un régime d’exemption et l’application d’un taux réduit (solution qui peut être encore plus avantageuse pour eux, en leur permettant de déduire le montant des taxes payées en amont). Toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas un certain plafond, notamment dans le commerce de détail, ont la faculté d’opter pour un régime simplifié, autorisant une déduction forfaitaire des taxes prélevées sur leurs achats. La réglementation en vigueur (régime de taux multiples, règles applicables aux déductions ou restitutions de taxes payées en amont) est complexe et soumise à de constants ajustements : « Les contribuables comme les spécialistes, écrit L. Castelluci44, doivent acquérir un degré considérable d’expertise pour comprendre le système. » Mais il semble bien qu’une fois cet « investissement » effectué, beaucoup réussissent à en tirer parti (comme en témoigne, par exemple, la montée rapide des crédits d’impôts, donnant droit à remboursement) et à faire au moins jeu égal avec les efforts de l’administration fiscale pour contrer la fraude. La confrontation entre les valeurs ajoutées sectorielles selon les évaluations de la Comptabilité nationale et celles qui résultent des déclarations pour l’Iva fait apparaître un « déficit » (– 25,9 % pour l’industrie manufacturière en 1979, – 56,4 % pour la construction, – 64,9 % pour le commerce, – 68,3 % pour les hôtels et restaurants) d’une ampleur saisissante – même par comparaison avec la France – exprimant l’effet conjoint de l’évasion légale et de la fraude proprement dite45. En quelques années, un complet renversement s’est opéré : alors que le vieux système d’impôts indirects fournissait à l’Italie avant 1973 une part disproportionnée des recettes fiscales, la contribution de l’impôt sur la consommation, modernisé par l’introduction de la TVA, peut être jugée anormalement faible dans les années 198046.
49Autrement dit, tout le poids de l’aggravation de la fiscalité durant cette période repose sur l’impôt direct.
50L’impôt sur le revenu des sociétés (Irpeg) apparaît, au moins dans le cas des sociétés d’une certaine importance, et toutes proportions gardées, comme un impôt moins exposé que d’autres à l’évasion fiscale, et de ce fait son rendement est satisfaisant. D’où la tentation de lui demander encore davantage : le taux de prélèvement est porté en 1984 à 46 %47, au moment même où d’autres pays (États-Unis, Royaume Uni, France) s’apprêtent à le réduire48.
51Mais c’est surtout l’imposition des revenus personnels (Irpef) qui se trouve au cœur de la tourmente fiscale des années 1970 et 1980, et représente de loin le principal enjeu politique. En moins d’une génération, l’Italie est passée d’une sous-imposition caractérisée à une surimposition au regard des normes européennes. Le produit de la fiscalité sur les revenus personnels passe de 2,8 % du PIB en 1970 à 11,5 % en 1992 : une progression unique en Europe par son ampleur et sa continuité49. Ce ne sont pas les choix politiques qui ont joué directement un rôle décisif, mais les automatismes résultant conjointement de l’inflation et de l’impôt progressif. Le mécanisme – dit du fiscal drag – est simple et bien connu : l’inflation (dont l’indexation des salaires contribue à maintenir l’élan en Italie durant toute la période 1975-1992) entraîne une croissance accélérée des revenus nominaux, ce qui, avec un barème rigide ou du moins sous-indexé, tend automatiquement à accroître le nombre des contribuables (22,9 millions en 1980, 29,8 millions en 1990, 32,9 millions en 1994)50 et à faire passer une proportion croissante de leur revenu imposable dans les tranches d’imposition les plus élevées, et par suite à augmenter le taux de prélèvement global. On a là un exemple topique de situation où une non-décision (il suffit que le gouvernement s’abstienne de modifier le barème) suffit à produire des effets énergiques et même brutaux.
52L’alourdissement de la charge globale est ressenti avec d’autant plus d’acuité que sa répartition apparaît, de l’aveu général, hautement inéquitable. L’Italie offre à cet égard une image grossie de problèmes que l’on rencontre également en France et ailleurs. La fiscalité dérogatoire en faveur de l’épargne associe des traits anciens (détaxation des intérêts des titres de la dette publique, absence de fiscalité sur les plus-values) et d’autres plus caractéristiques des évolutions récentes (prélèvement libératoire sur les intérêts des valeurs à revenus fixes, incitations spécifiques à certains investissements), qui contredisent tous à des titres et des degrés divers le principe d’un impôt général et progressif sur le revenu51. L’évaluation du revenu imposable des professions indépendantes (chefs d’entreprise, commerçants, professions libérales) pose, de longue date, des problèmes encore plus redoutables. Une véritable prise de conscience52 s’est opérée, une dizaine d’années après la réforme de 1973, annonçant un débat public plus large et de nouvelles réformes. Le ministre des Finances Visentini dénonce lui-même « une détermination arbitraire, subjective et incontrôlée du revenu imposable par les contribuables eux-mêmes »53, évoquant une « autodétermination » du revenu fiscal qui persiste en dépit des procédures instituées en 1974. Mais les ajustements consécutifs, de la « réforme Visentini » (1985) à l’application du prélèvement libératoire – au taux de 12,5 % seulement – aux intérêts de la dette publique (1987), n’ont qu’une portée réduite. La taxation des gains en capital sur les actifs financiers, par exemple, est introduite par Visentini sous une forme si restrictive qu’elle concerne seulement une infime partie des plus-values réalisées54.
53Dans ces conditions, l’effort fiscal considérable imposé aux ménages retombe pour l’essentiel sur les revenus du travail. Vers 1990-1991, le montant total des revenus déclarés atteint seulement 45 % du PIB, et leur répartition (71,6 % pour les salaires et retraites, 8,2 % pour les travailleurs indépendants, 14,1 % pour les revenus d’entreprise, 0,4 % pour les revenus agricoles déclarés sur une base cadastrale)55 reflète très mal la répartition des revenus effectifs ; dans de nombreuses professions, les chefs d’entreprise déclarent un revenu inférieur en moyenne à celui de leurs propres salariés ! La charge pesant sur les revenus salariaux s’en trouve d’autant plus lourde. Un célibataire gagnant le revenu ouvrier moyen serait exactement deux fois plus taxé qu’en France en 1983 (l’écart tendra à s’accentuer encore par la suite)56, et le désavantage des familles italiennes ne percevant qu’un seul revenu est encore plus marqué57, en l’absence de la péréquation qui résulte en France de l’application du quotient familial.
54Les dysfonctionnements chroniques qui affectent le système fiscal italien s’inscrivent également au passif de la réforme de 1973. Les résultats des contrôles fiscaux ne laissent aucune illusion sur la fréquence et l’ampleur de la fraude (s’ajoutant à toutes les formes d’évasion légale ou semi-légale) : environ 90 % des contrôles donnent lieu à un redressement, qui aboutit à relever de 80 % en moyenne le montant du revenu imposable déclaré. Mais, en dépit de toutes les tentatives pour resserrer l’appareil de contrôle, établir des formules de recoupement, renforcer les services compétents, l’effet dissuasif reste minime, tant la probabilité d’être contrôlé apparaît faible, même pour les catégories « à risque » (en 1993, par exemple, quelque quatre mille agents du fisc affectés aux contrôles n’auront réussi à opérer que 280 000 vérifications, soit environ 1 pour 100 contribuables). De plus, une proportion considérable des redressements donne lieu à des recours, dont le flux dépasse la capacité des instances judiciaires chargées du contentieux, et dont l’accumulation se traduit par des délais d’attente de plusieurs années. Nombre de contribuables auront en fin de compte l’occasion de narguer le fisc, soit que la justice leur donne gain de cause (la charge de la preuve incombe à l’administration fiscale, selon des modalités contraignantes fixées par la réforme de 1974 au nom de la protection des contribuables contre l’arbitraire), soit parce que les recours ont un effet suspensif et que l’engorgement général impose à intervalle presque régulier des décisions d’abandon des poursuites.
55Ce tableau négatif, propre à nourrir un certain masochisme fiscal des Italiens, pourrait facilement suggérer que « rien ne change ». Mais un tel diagnostic d’immobilisme ne correspond pas à la réalité : une approche de nature plus globale et comparative le contredit radicalement.
D. La transformation des structures fiscales italiennes (1970-1992) : une perspective européenne
56Vers 1970 (cf. tableau 1 ci-dessus), les proportions globales caractéristiques de la fiscalité italienne et de la fiscalité française présentaient des ressemblances très marquées, et toutes deux divergeaient considérablement des normes dominantes au sein de l’Union européenne.
57Telle n’est plus du tout la situation vers 1990 (tableau 2, p. suivante).
58Bien que les réformes italiennes se soient inspirées dans une certaine mesure du modèle français (introduction de la TVA, unification de l’impôt sur les revenus personnels comme en France en 1959), les structures fiscales des deux pays ont connu une évolution divergente de 1970 à 1990. La modernisation de la fiscalité indirecte s’est avérée en Italie plus difficile que prévu ; la productivité de l’Iva, près de vingt ans après son introduction, reste décevante. Mais à d’autres égards, quelle que soit l’impression de piétinement et d’incohérence ressentie par les contemporains, les structures fiscales italiennes apparaissent profondément transformées dès 1990 dans le sens d’une convergence déjà très avancée vers la moyenne européenne : c’est bien davantage à la France que le jugement d’immobilisme fiscal pourrait s’appliquer. Alors que la fiscalité française se singularise plus que jamais par le faible poids de l’impôt sur le revenu (médiocrement productif, mais pas moins impopulaire pour autant) au regard de l’impôt sur la consommation et surtout des cotisations sociales (prélèvements de caractère proportionnel ou régressif, mais plus indolores), l’Italie a parcouru un chemin considérable : en une vingtaine d’années, les écarts à la moyenne européenne ont été éliminés, ou tendent à se résorber, et souvent même à s’inverser. Le fait saillant qui domine la période est bien entendu l’énorme montée des impositions sur le revenu : la part de l’impôt sur les sociétés dépasse désormais la moyenne européenne58, et il va en être de même à brève échéance pour la part de l’impôt sur les revenus personnels, qui a plus que doublé de 1970 à 199059.
Tableau 2.
Répartition des recettes publiques, 1990 (en % du total, cotisations sociales comprises)
Italie | France | Moyenne de l’UE | |
Cotisations sociales | 32,9 | 44,1 | 29,0 |
Impôts sur les revenus dont : | 36,3 | 17,1 | 34,0 |
– imp. sur les revenus personnels | 26,3 | 11,8 | 27,2 |
– imp. sur les revenus des sociétés | 10,0 | 5,3 | 6,8 |
Impôts sur la propriété | 2,3 | 5,1 | 4,2 |
Impôts sur la consommation dont : | 25,3 | 27,5 | 30,1 |
– impôt général | 14,7 | 18,8 | 18,2 |
– impôts spécifiques | 10,6 | 8,7 | 11,9 |
Même source (OCDE) que le tableau 1 ; la définition des différentes catégories est en principe inchangée.
59Comme dans le même temps l’intensité globale des prélèvements augmente également bien plus vite en Italie que dans l’ensemble de l’Europe60, il n’est pas étonnant que toute une génération d’Italiens aient eu le sentiment de vivre non pas une révolution fiscale au sens propre du terme, mais plutôt une sorte de dérive fiscale permanente. La question de l’impôt sur le revenu, largement éclipsée par d’autres préoccupations vers 1974, tient désormais une place centrale dans le débat politique. Une telle polarisation se comprend bien mieux au demeurant en Italie qu’en France, où elle paraît disproportionnée par rapport au poids réel de l’impôt sur le revenu dans le total des prélèvements : tel n’est plus le cas en Italie.
60La focalisation des mécontentements sur l’impôt n’est certes pas le propre de l’Italie, pas plus que la montée de l’économie parallèle ou d’autres formes de résistances fiscales. Au terme de deux décennies de « convergence » rapide, l’Italie est devenue le pays le plus proche, selon la plupart des indicateurs quantitatifs, de la moyenne européenne61 (dont la France reste au contraire fort éloignée et continue à s’écarter). Bon nombre d’archaïsmes de la fiscalité italienne ont été éliminés. En ce qui concerne le taux normal de la TVA, l’Italie s’est quasiment alignée sur la médiane de l’Union européenne62. Pareillement, les taux maximaux du barème de l’impôt sur le revenu, bien que la diversité des modalités rende les comparaisons internationales difficiles, ne s’écartent pas considérablement de la médiane européenne63 ; et l’Italie, de façon tout à fait prévisible, n’échappe pas à l’assaut général à partir des années 1980 contre les « excès » de l’impôt progressif sur le revenu. Pourtant, la « progressivité » effective reste particulièrement faible en Italie : des comparaisons internationales portant sur l’effet égalisateur de l’imposition des revenus placent l’Italie en toute dernière position parmi les pays européens, ex æquo avec la France64. La charge disproportionnée qui pèse sur les salariés, les aléas de l’imposition des revenus non salariaux, les cercles vicieux de la fraude (resserrement des contraintes, exaspération des contribuables, recherche de plus en plus systématique de tous les moyens d’évasion possibles), le véritable naufrage – la Berezina, le Caporetto selon l’expression de F. Reviglio65 – des contrôles fiscaux contribuent à généraliser le sentiment d’injustice et les réactions de rejet de l’impôt : la question fiscale tend à devenir durant les années 1980 plus brûlante en Italie que partout ailleurs.
Conclusion
61L’Italie a effectivement connu à partir des années 1970 une transformation fiscale exceptionnelle par sa rapidité et son intensité. Les deux faits majeurs ont été l’appesantissement global des prélèvements et le bouleversement de leur structure, qui met en relief par contraste l’immobilisme fiscal de la France. Cette transformation de la fiscalité italienne a eu pour principaux ressorts d’abord une volonté d’entrer dans le jeu européen (introduction de la TVA, modernisation de la fiscalité directe), mais aussi, et de plus en plus, les besoins urgents découlant de la montée incontrôlée des dépenses publiques : il faut accroître coûte que coûte les rentrées fiscales, en demandant toujours davantage aux ressources les plus élastiques (prélèvements sur les revenus salariaux et sur les bénéfices des sociétés). L’appartenance à l’Europe est source de contraintes, et les autorités politiques sont confrontées à des choix difficiles : « C’est un fait, constate en 1990 un président de chambre de commerce66, que si on s’engage vers une détaxation substantielle de l’épargne, notamment pour des raisons de politique financière internationale, c’est tout l’édifice de l’imposition progressive sur le revenu qui est remis en cause. » Comment accroître encore un prélèvement sur les revenus déjà très lourd, dont la légitimité est compromise par une répartition notoirement inéquitable ?
62L’Italie n’est pas seule, bien entendu, à se trouver aux prises avec ce type de contradictions, et il n’est pas étonnant qu’elle participe, avec une force qui va crescendo à partir des années 1980, à la « mise en accusation » plus ou moins générale de l’impôt progressif dans le monde occidental. Mais il faut souligner que le problème se pose en Italie à un stade où – malgré les signes de convergence globale – la « normalisation » de la fiscalité italienne au regard des normes européennes est encore loin d’être acquise. Et en particulier la difficulté la plus fondamentale, qui consiste à déterminer objectivement le montant du revenu imposable et que l’on peut considérer comme le véritable « défi » dont dépend à la base l’efficacité du système fiscal, est loin d’être résolue. L’expérience acquise depuis la réforme de 1973-1974 a certainement permis de prendre conscience du problème, qui avait été sous-estimé au départ, mais on perçoit au début des années 1990, à l’issue d’une longue série de tâtonnements67 et de revirements, un véritable désarroi quant à la possibilité de parvenir à une solution. La nécessité d’une nouvelle réforme fiscale est largement reconnue, mais ses chances de succès peuvent être jugées moindres a priori qu’elles ne l’auraient été vingt ans plus tôt, pour au moins deux raisons. L’une, objective : le déficit permanent, la dette accumulée et les charges d’intérêt qui en découlent réduisent la marge de manœuvre des gouvernants et interdisent toute politique démagogique de « détente fiscale » dont les conséquences risqueraient de s’avérer rapidement intenables (à l’égard des critères de Maastricht, mais à d’autres égards également). Et pour une raison d’ordre plus subjectif : les vicissitudes des « années de plomb » ont brutalement détruit la confiance des Italiens envers la classe politique (la proportion de ceux qui jugent leurs gouvernants malhonnêtes est passée de 33 % en 1967 à 85 % quinze ans plus tard)68 et l’exaspération des contribuables compromet d’emblée l’accueil réservé à toute nouvelle réforme fiscale, surtout si elle doit comporter un resserrement des contraintes.
63L’analyse présentée ici visait à montrer comment la conjonction entre un volontarisme réformateur intermittent et une carence gouvernementale chronique peut expliquer l’évolution fiscale contrastée et chaotique de l’Italie. Elle s’écarte des interprétations en termes de sclérose ou de constantes nationales. L’Italie offre durant cette période un exemple non pas d’immobilisme, mais de convergence exceptionnelle – surtout par contraste avec la France69 – vers les structures fiscales « européennes ». Cette convergence demeure néanmoins imparfaite70, au sens le plus fort : une convergence inaccomplie. La réforme fiscale achoppe durant les années 1980 sur ce que l’on appelle pudiquement un fort degré de rejet de l’impôt71 de la part du plus grand nombre (aussi bien parmi ceux qui sont en mesure d’y échapper que parmi ceux sur qui retombe effectivement la charge fiscale). Mais point n’est besoin pour l’expliquer d’invoquer un quelconque laxisme congénital ou une culture de la fraude qui serait le propre des peuples « latins ». L’expérience italienne vient seulement rappeler qu’il n’existe aucun automatisme, aucune voie royale, ou du moins aucune voie rapide72 pour créer une culture de discipline fiscale et d’adhésion73 à l’impôt.
64Il ne faut donc pas s’étonner de la contradiction apparente entre les transformations drastiques qu’a connues l’Italie et la faiblesse du pouvoir politique durant toute cette période. C’est précisément cette carence gouvernementale qui se traduit par un processus désordonné, mal maîtrisé et, en fin de compte, d’autant plus brutal.
Annexe
Indicateurs de convergence
65À partir de données semblables à celles qui figurent dans les tableaux 1 et 2, on peut construire très simplement un indicateur exprimant de manière synthétique le degré de divergence/convergence des structures fiscales d’un pays donné par rapport à la moyenne européenne (ou à toute autre référence), sur la base d’une nomenclature donnée des recettes publiques. Nous définirons ici cet indicateur de convergence (IC) comme la somme des écarts absolus à la moyenne de l’Union européenne à 15 :
66ICn,t = ∑ | Rn,t,i – R*t,i |
où ICn,t désigne l’indice de convergence pour le pays n à la date t, R* la moyenne arithmétique simple des parts (exprimées en pour mille) du poste i (nomenclature à six postes : impôts sur les revenus des personnes physiques, impôts sur les revenus des sociétés, cotisations sociales et taxes sur les salaires, impôts sur la propriété, impôts généraux sur la consommation, impôts spécifiques sur la consommation) au sein des recettes publiques dans les 15 pays de l’UE à la date t, et Rn,t,i la part de ce même poste à la même date dans le pays n.
67La valeur de l’indicateur IC dépend bien entendu du choix de la nomenclature des recettes publiques (un faible écart à la moyenne peut masquer des différences significatives qui apparaîtraient si l’on se référait à une nomenclature plus détaillée). Quant aux variations dans le temps de IC, elles n’ont pas la même signification à l’égard de la convergence selon qu’elles résultent d’une diminution de la valeur absolue d’écarts dont le signe reste inchangé ou d’une inversion de signes pour certains postes. Sous ces réserves, qui commandent une certaine prudence dans l’interprétation, l’indicateur IC peut être considéré comme un excellent révélateur de la dynamique des structures fiscales (en termes de proportions globales).
68La tendance à la convergence des structures fiscales européennes domine la période. Elle est cependant peu marquée pour l’Allemagne (déjà très proche de la moyenne en 1970) et pour la France (où les écarts ont continué à s’élargir pendant une partie de la période et restent considérables en 1990). La convergence vers la moyenne européenne s’affirme au contraire très fortement en Italie et, à un moindre degré, en Espagne.
Notes de bas de page
1 Par exemple : Italia oggi, 20 novembre 1992 (« Ogni anno 170 000 milliard ! di evasione ») ; Il Mondo, 16 octobre 1995 (numéro spécial : « Italia fuori legge »).
2 Cette opposition a des racines tort anciennes (cj. R. Shnerb, Deux siècles de fiscalité française, sous la dir. de J. Bouvier et J. Wolff, Mouton, Paris et La Haye, 1973). L’indiscipline fiscale, censée être le propre des peuples « latins », était parfois fièrement revendiquée au début du xxe siècle – par exemple, lorsque l’adversaire de Caillaux, Jules Roche, s’en prend à l’impôt sur le revenu, tout juste bon pour « ce peuple soumis qu’est la Prusse [...]. Notre pays qui ne connaît pas la servile résignation des Allemands est absolument rebelle à l’odieuse inquisition fiscale » (L’Impôt sur le revenu, Paris, 1909, cité par J.-N Jeanneney, Concordance des temps. Chronique sur l’actualité du temps passé, Seuil, Paris, 1987).
3 L’Impôt du diable (sous la dir. de D. de la Martinière, Calmann-Lévy, Paris, 1990). La fiscalité française, en revanche, conserve ou même accentue sa spécificité quant à la structure des prélèvements obligatoires, allant de pair avec un taux global de prélèvement élevé (cf. notre communication Un siècle d’histoire de la fiscalité française).
4 Cf. Un viaggio imperfetto. L’Italia e l’integrazione europea (a cura di A. Calabró), Il sole 24 ore, Milan, 1999. En 1978, le ministre des Finances, F.M. Pandolfi, déclarait : « Nous ne pouvons pas manquer l’autobus de l’Europe. C’est pour nous la dernière chance » (cité par M. Bertolissi, « Rivolta fiscale », Federalismo, Reforme istituzionali, CEDAM, Padoue, 1997).
5 La notion d’excédent primaire se réfère au solde budgétaire, calculé hors service de la dette.
6 Surviving without Governing : The Italian Parties in the Parliament, University of California Press, Berkeley, 1977. Giuseppe Di Palma voit là un aveu de faiblesse « sans précédent ». Cet objectif modeste ne sera, au demeurant, même pas atteint.
7 Cf. U. La Malfa, Intervista sut non governo, Laterza, Rome-Bari, 1977.
8 Cf. G. Chiarante, Italia 1995. La democrazia difficile.
9 Les auteurs italiens donnent en général une présentation très critique du système fiscal en vigueur après la Seconde Guerre mondiale. À noter aussi le jugement sévère (et contestable) de J.M. Buchanan : « À de rares exceptions près, les Italiens n’ont guère témoigné d’intérêt pour les réformes fiscales. [...] Aucun esprit de réforme ne les inspire. D’où la stérilité de leurs discussions... » (« “La scienza delle fînanze” : The Italian Tradition in Fiscal Theory », Fiscal Theory and Political Economy, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1960, cité par A. Pedone : « La riforma tributaria del 1973-1974 », Moneta e crédita, décembre 1984). On trouve cependant des notations objectives sur l’état de la fiscalité italienne à la veille de la réforme de 1973 dans les « Études par pays » de l’OCDE (Études économiques. Italie, notamment juillet 1970, juillet 1971, novembre 1972, janvier 1975).
10 Cf. les deux demieres lignes du tableau 1 : l'impôt général (IGE) ne fournit qu'un tiers environ des recettes de la fiscalité sur la consommation, contre deux tiers pour les taxes spécifiques. En France, les proportions sont inverses (la TVA fournit plus des deux tiers du total).
11 Même source (OCDE) que le tableau 1. La France, au contraire, avec un taux de prélèvement de 35,1 % du PIB en 1970, se situe au-dessus de la moyenne européenne. L’écart entre le faible taux de prélèvement italien et la moyenne européenne ne saurait s’expliquer en termes de niveau de développement, puisque, dix ans plus tôt, en 1960, l’Italie avait au contraire un taux de prélèvement supérieur à la moyenne. C’est la rigidité à long terme de la fiscalité italienne jusqu’à la réforme de 1973 qui est en cause.
12 Cf. P. Ginsborg, Storia d’Italia dal dopoguerra a oggi. Società e politica (1943-1988), Einaudi, Turin, 1989.
13 1,2 million de pensions en 1960, 3,4 millions en 1970, d’après P. Mc Carthy, L’Italie dans la tourmente, Presses de Sciences Po, Paris, 1995.
14 M. Salvati (Economia e politica in Italia dal dopoguerra a oggi, Garzanti, Milan, 1984) voit dans cette dérive « la conséquence inévitable d’un système institutionnel et de rapports de forces politiques incapables de mettre en place des défenses efficaces face aux pressions des groupes politiques » ; il reconnaît cependant que l’évolution italienne se singularise à cet égard par une simple différence de degré, plutôt que de nature.
15 On a là un exemple caractéristique des interactions multiples entre facteurs sociaux, économiques, financiers et politiques et entre les dimensions nationales et internationales de la crise italienne.
16 Titre de l’ouvrage de G. Di Palma, Surviving without Governing, op. cit. (1977).
17 G. Mammarella et Z. Ciuffoletti (Il declino. Le origini storiche della crisi italiana, Arnaldo Mandadori, Milan, 1996) évoquent « la mancanza di qualsiasi progettualità ».
18 En anglais dans le texte (M. Salviati, Economia epolitica in Italia, op. cit., 1984). La convergence de ces jugements est d’autant plus remarquable qu’ils sont formulés en termes très voisins, à des dates variables (non pas « à chaud », mais avec un recul historique de vingt et dix ans pour les deux derniers), par des observateurs et historiens qui se placent dans des perspectives nettement différentes.
19 L’imposta sul valore aggiunto, Ricerche, Rome, 1968.
20 C. Cosciani, « Esperimenti francesi in materia di tassazione della produzione », Rivista bancaria, mai 1949.
21 Le freinage s’explique par une conjonction de résistances d’origine diverse : l’administration fiscale (mettant en avant notamment les difficultés de collecte de la taxe auprès des détaillants), les petits entrepreneurs (qui renâclent devant les nouvelles contraintes comptables), certains exportateurs (le principe de la TVA leur est pourtant favorable : mais les restitutions forfaitaires, utilisées parfois comme instrument de protectionnisme déguisé, pouvaient l’être davantage encore) – auxquelles s’ajoutent les réserves de fond des syndicats envers une taxe jugée régressive (mais la panoplie d’accises existant jusqu’en 1973 ne l’était pas moins). Cf. A. Pedone, « Italy », in H.J. Aaron (ed.), The Value-Added Tax. Lessons from Europe, The Brookings Institution, Washington, 1981.
22 On reconnaît ici le schéma selon lequel les différents pays sont appelés à rejoindre (avec des décalages variables) le modèle fiscal des pays avancés au fur et à mesure de leur développement.
23 Cf. A. Pedone, « La reforma tributaria del 1973-1974… », art. cit., Moneta e credito (1984) ; L. Castelluci, « Italy », in J.A. Pechman (ed.), Comparative Tax Systems. Europe, Canada and Japan, Arlington (Virg.), Tax Analysis, 1987.
24 « La réforme fiscale n’a pas pour objet d’accroître ni de réduire les recettes fiscales : une clause spéciale permet aux pouvoirs publics de modifier les taux d’imposition sans approbation préalable du Parlement, de manière à aligner les recettes fiscales totales sur les résultats précédents » (OCDE, Études économiques, Italie, juillet 1971).
25 Ce même parti-pris de minimiser les perturbations avait même conduit, dans les années 1960, à envisager de limiter la perception de la TVA au stade précédant les ventes au détail. Cf. G. Campa, « Il ruolo del Iva nel sistema fiscale italiano », Problemi difinanzapubblica, Iacelli, Rome, 1984 ; E. Longobardi, « L’Iva verso il 92 e oltre : un tributo europeo tra esgenze nazionale e iniziativa communitaria », Le imposte del 92, op. cit., 1990.
26 Nous conserverons par la suite le sigle TVA, plus familier au lecteur français, étant entendu que TVA et Iva sont synonymes.
27 Le régime de restitutions arbitraires aux exportateurs pouvait être plus avantageux dans l’immédiat, mais cette pratique, fermement condamnée par la Commission de la CEE, était appelée à disparaître à brève échéance (cf. The Value-Added Tax. Lessons front Europe, op. cit., 1981). Quant au produit de la TVA sur les importations, il tend à compenser durablement la perte des recettes douanières sur les importations intra-communautaires durant la décennie précédente.
28 Cf. L. Castelluci, Comparative Tax Systems (éd. par J.A. Pechman), op. cit., 1987.
29 Seuls cependant les contribuables qui n’ont qu’un seul revenu du type salaire ou pension supportent uniquement une retenue à la source. Pour tous les autres (y compris par exemple les propriétaires-occupants, qui doivent inclure dans le calcul de leur revenu le loyer imputé du logement qu’ils habitent), les choses se compliquent brusquement : il faut remplir une déclaration.
30 M. Vitale, È fallita la riforma tributaria ?, Angeli, Milan, 1979.
31 A. Pedone, « La riforma tributaria del 1973-1974 : un successo parziale con molti problemi », art. cit., Moneta e credito, décembre 1984. Notre étude est redevable à cet article de bon nombre de précisions importantes.
32 P. Ginsborg, Storia d’Italia dal dopoguerra a oggi, t. II « Dal miracolo economico agli anni ’80 », op. cit., 1989.
33 R. Valiani, La tassazione diseguale, FNDAI, Rome, 1983.
34 « L’imposta progressiva ? Un mito reazionario », Corriere della Serra, 26 avril 1994.
35 Le besoin de financement des administrations publiques passe de 1 446 milliards de lires en 1970 à 6 397 milliards en 1973 (d’après l’OCDE, Études économiques. Italie, janvier 1975). La progression du déficit budgétaire proprement dit est un peu plus faible.
36 À l’été 1991, la Commission européenne et le FMI mènent une démarche conjointe auprès des autorités italiennes pour les presser de réduire le déficit (qui approche alors des deux tiers du déficit cumulé de l’Union européenne). Il faudra attendre encore un an pour qu’interviennent des mesures énergiques, dont la portée déborde d’ailleurs le domaine fiscal (accord de principe en juillet 1992 pour mettre fin à l’indexation des salaires, instaurée dix-sept ans plus tôt, en 1975).
37 La croissance des dépenses publiques est vertigineuse en valeur nominale (dans un contexte d’inflation accélérée), mais également considérable en proportion du PIB : de 33,7 % en 1973 au maximum de 55,7 % en 1993. La progression a d’abord été conforme à la tendance dominante en Europe (la part des dépenses publiques dans le PIB reste en Italie inférieure de 4 points à la moyenne européenne en 1980 comme en 1970), mais l’Italie se singularise à partir des années 1980 par une croissance maintenue, en marge du freinage général. En 1993, l’écart s’est inversé (la part des dépenses publiques dans le PIB italien dépasse de 7 points la moyenne européenne).
38 Institué en 1974 (60 milliards de lires aux partis « pour qu’ils ne volent plus », selon les termes d’un journal), et majoré à plusieurs reprises à partir de 1981. On désigne par consociativismo une sorte de « cogestion » associant l’ensemble des partis au pouvoir, ou proches du pouvoir, pour se partager l’argent public – et pour en faire bénéficier largement toute leur « clientèle » locale. Cf. G. Mammarella et Z. Ciuffoletti, Il declino. Le origini storichi délia crisi italiana, op. cit., 1996.
39 Cf. F. Reviglio, Lo Stato imperfetto, Rizzoli, Milan, 1996.
40 La courbe des recettes fiscales italiennes per capita en pourcentage de la moyenne européenne, établie par A. Pedone (« La riforma tributaria del 1973-74… », art. cit., 1984), prend la forme d’une courbe en V très caractéristique, avec un minimum en 1976-1978, suivi d’une brusque remontée.
41 « La riforma tributaria del 1973-1974… », art. cit.
42 D’après The Value-Added Tax. Lessonsfrom Europe, op. cit., 1981, à qui nous avons également emprunté d’autres éléments de ce paragraphe.
43 Cf. D. Puchala et C. Landowski, « The politics of fiscal harmonization in the European Communities », Journal of Common Market Studies, vol. 15, mars 1977. La faiblesse des autorités italiennes donne lieu à plus de concessions qu’ailleurs ; mais la différence avec d’autres pays d’Europe, comme la France, est une différence de degré, plutôt que de nature.
44 Comparative Tax Systems, op. cit., 1987.
45 L’expérience italienne suggère que la TVA, relativement bien immunisée contre la fraude isolée, ne l’est plus lorsque se mettent en place des « chaînes » complètes d’évasion illégale. La volonté des autorités de réagir contre la fraude, même au prix de mesures impopulaires, n’est pas en cause (cf. par exemple l’obligation instaurée en 1980 pour les hôtels et restaurants de remettre un reçu fiscal), mais, souvent, les professionnels conservent « une longueur d’avance ».
46 Cf. Un viaggio imperfetto. L’Italia e l’integrazione europea, op. cit., 1999 : « … c’è da osservare come il Fisco italiano si contraddistingua per un eccesso di tributi diretti, cioè sul reddito e il patrimonio, rispetto a quelli indiretti, cioè sul consumi e sulla produzione ». À la fin des années 1980, le produit de la TVA représente 5,3 % du PIB italien, moins qu’en RFA, en Espagne, en Grande-Bretagne, bien moins qu’en France (8,7 %), nettement moins aussi que la médiane des pays européens (7,2 %), et cela alors que l’Italie applique un taux normal de 19 % (France : 18,6 %, médiane de l’UE : 18 %), et que son taux majoré – 38 % – est le plus élevé d’Europe (d’après le Rapport d’information sur la fiscalité en Europe, Sénat, Annexe au procès-verbal de la séance du 4 avril 1990).
47 Le taux de l’Irpeg proprement dit était jusqu’alors fixé à un niveau modéré (30 %), porté en 1984 à 36 % ; mais il faut tenir compte de l’impôt local (Ilor), qui se superpose à l’Irpeg et qui est simultanément majoré.
48 De 50 à 35 % au Royaume-Uni (1985-1986), de 50 à 34 % aux États-Unis (1987-1988) ; sur les baisses en France, cf. notre communication au présent colloque. Seuls quelques pays (Allemagne, Suède) conservent en 1989 un taux supérieur à celui de l’Italie, et la comparaison devient encore bien plus défavorable à l’Italie dans les années 1990.
49 L’impôt sur le revenu progresse seulement, en ce qui concerne la moyenne européenne, de 7,5 % en 1970 à 11,1 % en 1992 ; le contraste se confirme durant la période 1980-1992 : le taux de prélèvement est quasi stable pour la moyenne européenne, il augmente encore au contraire en Italie, passant de 7 % en 1980 à 11,5 % en 1992 et dépassant alors symboliquement, comme on le relevait dans l’introduction, la moyenne européenne. D’après F. Reviglio, Lo Stato imperfetto, op. cit., 1996.
50 On remarquera le contraste avec la diminution du nombre de foyers assujettis à l’impôt sur le revenu en France au cours de la décennie 1980-1990.
51 Ces dispositions sont d’autant plus difficiles à remettre en cause qu’elles ne procèdent pas d’une volonté d’avantager les revenus du capital, mais s’expliquent par le contexte : l’inflation (il serait injuste de taxer lourdement des gains en grande partie nominaux), le déficit public (il faut faire financer par l’épargne des ménages l’accroissement de la dette) et – déjà – la concurrence internationale (qui intervient d’abord surtout à l’égard des mesures favorisant l’investissement industriel, avant de prendre la forme d’une concurrence financière et fiscale avec la mobilité croissantes des capitaux dans les années 1990).
52 Cf. par exemple R. Valiani, La tassazione diseguale, op. cit., 1983 ; V. Visco, La crisi dell’imposizione progressiva, Angeli, Milan, 1984 ; G. Tremonti et G. Vitaletti, Lo cento tasse delli italiani, Il Mulino, Bologne, 1986.
53 Cité par A. Pedone, « La riforma tributaria del 1973-1974… », art. cit., 1984.
54 Elle ne s’applique que si les actions ont été acquises depuis moins de cinq ans et si les ventes portent sur au moins 2 % du capital d’une société.
55 D’après F. Reviglio, Lo Stato imperfetto, op. cit., 1996. Le chapitre 3 (« La crescente e sperequata pressione fiscale ») présente un tableau détaillé, quasi exhaustif du fonctionnement du système fiscal italien et de ses problèmes au début des années 1990.
56 On trouve les éléments d’une comparaison franco-italienne à différents niveaux de revenu dans le 11e Rapport du Conseil national des impôts, 1988 (cité par P. Bertinoti, Les Politiques fiscales sous la Ve République, L’Harmattan, Paris, 1995). En 1992, le prélèvement sur le revenu du célibataire payé au salaire moyen ouvrier atteint 19,4 % en Italie, contre 9,3 % en France (d’après F. Reviglio, ibidem).
57 L’Italie applique des réductions forfaitaires d’impôts (seulement 336 000 lires par enfant en 1998, d’après Eurodit International, Les Impôts en Europe, Delmas, Paris, 1999), moins avantageuses même pour les familles modestes que ne le serait l’application du quotient familial.
58 Cf. tableaux 1 et 2 : la part de l’impôt sur les sociétés passe de 6,5 % des recettes fiscales en 1970 à 10 % en 1990 ; elle était inférieure d’un tiers à la moyenne européenne en 1970, elle lui est supérieure de moitié en 1990.
59 Cf. tableaux 1 et 2 : la part de l’impôt sur les revenus personnels passe de 10,9 % des recettes fiscales en 1970 (moins de la moitié de la moyenne européenne à cette date) à 26,3 % en 1990 ; l’Italie a alors quasiment rejoint la moyenne européenne (qui a peu varié dans l’intervalle). Comme on l’a déjà indiqué (note 49 ci-dessus), le prélèvement sur les revenus personnels, exprimé en pourcentage du PIB, dépasse pour la première fois la moyenne européenne.
60 Le taux de prélèvement s’élève en Italie de 26,1 % du PIB en 1970 à 42,1 % en 1992, soit une progression de 16 points en vingt-deux ans, bien plus forte que celle de la moyenne européenne (qui passe seulement de 31,4 % à 41,8 % durant la même période), avec, là encore, « dépassement » symbolique eu fin de période. Seuls l’Espagne et le Portugal ont connu une progression tant soit peu comparable à celle de l’Italie.
61 Cf. J.A. Pechman, « Introduction », Comparative Tax Systems, op. cit., 1987 ; Rapport d’information sur la fiscalité en Europe, doc. cit., Sénat, 1990.
62 18 % à la fin des années 1980.
63 56 % en 1988.
64 Cf. J. Norregaard, « Progressivité des systèmes d’imposition sur le revenu », Revue économique de l’OCDE, n° 15, automne 1990. Il existe plusieurs indicateurs de progressivité, dont le plus simple et significatif est celui de Musgrave et Thin, fondé sur la comparaison des coefficients de Gini calculés avant et après impôts ; mais tous donnent des résultats largement concordants en ce qui concerne l’Italie. La faible progressivité de l’impôt sur le revenu est beaucoup plus inattendue dans le cas de l’Italie que dans le cas de la France, où le prélèvement à ce titre est deux fois moins important qu’en Italie.
65 La Stato imperfetto, op. cit.
66 W. Datniari, président de la chambre de commerce de Pavie, in Le imposte del 1992. Aspetti fiscali del mercato interno europeo (a cura di A. Majocchi e G. Tremonti), Franco Angeli, Milan, 1990.
67 En ce qui concerne notamment les revenus des chefs d’entreprise, la réforme de 1974 envisageait une détermination « analytique » objective du revenu imposable, sur la base d’une comptabilité admise à servir de preuve à l’égard du fisc. Mais l’exigence d’une comptabilité rigoureuse s’est révélée inapplicable à la masse des petites entreprises, et on est rapidement revenu à des formules de forfait, systématiquement plus avantageux pour les entrepreneurs. Toutes les tentatives de resserrement des contrôles et des normes (notamment en 1985 et en 1988, avec l’élaboration de grilles de coefficients sectoriels de liaison entre coûts et revenus applicables aux redressements fiscaux), n’ont donné que des résultats limités. Le volontarisme fiscal culmine en 1993, avec la tentative d’imposer des normes d’imposition minimales (minimum tax), entraînant une hausse immédiate des cotes les plus faibles. Le mécontentement est si général qu’il faut revenir dès 1994 à un système de « concordats » (accertamento per adesione) proche de ce qui existait vingt ans plus tôt. Cette véritable crise fiscale ouvre la voie à l’offensive contre l’impôt progressif, menée par le ministre G. Tremonti, qui préconise ouvertement le retour d’une fiscalité « personnelle » à une fiscalité « réelle » (dalle persane aile case).
68 Sondage cité par P. Mc Carthy, L’Italie dans la tourmente, op. cit., 1995. En 1989, les Italiens sont presque deux fois plus nombreux à juger leur gouvernement « incompétent » qu’à le juger « compétent », tandis qu’un sondage analogue en RFA donne les proportions inverses.
69 Rappelons ce paradoxe relevé dans notre étude : la réforme fiscale italienne de 1973-1974, en partie inspirée du modèle français, se traduit en fait par une divergence croissante des structures fiscales italiennes et françaises, très semblables au départ dans les grandes lignes.
70 Le terme revient dans le titre de deux ouvrages importants publiés à la fin des années 1990 : F. Reviglio, Lo Stato imperfetto, Rizzoli, Milan, 1996 ; Un viaggio imperfetto. L’Italia e l’integrazione europea (a cura di A. Calabro), Il sole 24 ore, Milan, 1999.
71 J.A. Pechman (« Introduction », Comparative Tax Systems, op. cit., 1987) évoque à propos de l’Italie « the high degree of non compliance of its citizens with its major taxes », en particulier la TVA et l’impôt progressif sur les revenus personnels.
72 Une comparaison avec le processus de convergence qui s’est opéré de manière plus graduelle en Espagne et au Portugal serait particulièrement justifiée.
73 Martin Daunton évoquait à juste titre lors de ce colloque l’importance d’une « culture of compliance and consent ».
Auteur
Est correspondant de l’Institut, professeur émérite de sciences économiques à l’Université Bordeaux IV et chercheur au Centre Montesquieu d’histoire économique. Il a notamment publié : Histoire économique du xxe siècle, 2 vol, Presses de Sciences Po et Dalloz, 1995 ; Industrialisation et sociétés en Europe occidentale : la France et l’Italie (avec A. Fernandez), Messène, 1997 ; De l’Europe d’avant-guerre à l’Europe d’aujourd’hui, numéro spécial de la Revue économique, 2000 ; Planning and profits in Socialist Économies, Routledge, 2003 (réimpression). Récemment il a publié : « L’effort éducatif dans les pays d’Afrique francophone », dans Académie des sciences morales et politiques-Académie des sciences, L’éducation fondement du développement durable en Afrique, PUF, 2003 ; « Les origines de la croissance économique moderne : éducation et démographie en Angleterre (1650-1750) » (avec C. Morrisson), Histoire Économie et Société, A. Colin, 2005 ; « Dynamique de l’ouverture internationale (xixe-xxe siècles) » (avec B. Blancheton), Economies et sociétés, 2005 ; « Le mouvement des revenus », Michel Debré Premier Ministre, PUF, 2005. Ses contributions en histoire fiscale sont les suivantes : « L’impôt », dans La France d’un siècle à l’autre, 1914-2000, Hachette, 1999 ; « La fiscalité française des années 1950 en perspective internationale », Études et documents XI, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1999 ; « La TVA conquérante », dans Le rôle des ministères des finances et de l’Économie dans la construction européenne, Comité pour l’histoire économique et financière, 2002. Il poursuit actuellement des recherches sur le budget du ministère de la Justice en France de la Restauration au seuil du xxie siècle.
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