Chapitre III. « Le beau métier » d’un directeur du Trésor « au carrefour des problèmes » (février 1934-novembre 1936)
p. 135-208
Texte intégral
1Nommé directeur adjoint du Mouvement des fonds à la veille du 6 février 1934 par Georges Bonnet, ministre en sursis, puis finalement promu directeur dans les premiers jours de 1935 à l’occasion du grand mouvement administratif qui accompagna la politique financière nouvelle tentée par Flandin, Wilfrid Baumgartner demeura aux sommets de l’administration des Finances du temps de Laval et encore après l’arrivée du Front populaire au pouvoir, jusqu’à la fin de novembre 1936. Il fut donc, pendant deux ans, au cœur des politiques financières très contrastées auxquelles s’identifia de manière déterminante la politique économique des gouvernements successifs de la période : et d’abord la déflation qui marqua de manière si récurrente la politique économique de l’entre-deux-guerres, culmina sous le gouvernement de Pierre Laval et aboutit au changement politique majeur que constitua en mai 1936, la victoire électorale du Front populaire. Le gouvernement issu de la nouvelle majorité dirigé par Léon Blum confirma pourtant le directeur du Mouvement des fonds dans ses fonctions, six mois durant.
2Le même homme présida donc à la déflation de 1934-1935, arc-boutée sur la défense de l’étalon-or, et à la politique de reflation et de dévaluation de l’été 1936. Bel exemple, en apparence, de l’indépendance des grands commis de la IIIe République, dont la technique supposée politiquement neutre semble avoir pu se mettre indifféremment au service de choix politiques a priori diamétralement opposés. Mais belle occasion aussi d’explorer de l’intérieur la question de l’État en France et de ses rapports au politique, au moment où crise économique, crise financière et crise institutionnelle semblent s’être confondues. Comment articuler les options « techniques » revêtues tour à tour par les politiques financières de la période et les principaux clivages d’une vie politique heurtée, marquée par les poussées de radicalisation qui ont caractérisé les années 1930 ? L’équation qui identifie globalement la déflation à la droite et la reflation à la gauche est sans conteste valide sur le plan des représentations et de l’histoire chaude, celle qui se fait alors au Parlement et dans les manifestations, non moins rituelles, de la rue1. Mais quelle est sa portée à l’aune des pratiques financières et du point de vue de l’histoire froide, celle de la lente évolution des structures et des mécanismes du système financier français ?
3C’est l’un des enjeux majeurs du passage de Wilfrid Baumgartner à la tête de la direction du Mouvement général des fonds de 1934 à 1936 que d’essayer d’explorer, pour cette période cruciale, comment a pu s’y opérer l’ajustement entre discours politiques et pratiques financières, entre histoire chaude et histoire froide (Jean Bouvin). Cette perspective invite à s’interroger sur le « métier » – ou plutôt les métiers – de ce maillon stratégique de la politique économique qu’a été, dans la période, le directeur du Trésor : quelle idée Baumgartner, si vite parvenu, à trente ans tout juste révolus, aux sommets de l’administration des Finances, se faisait-il alors de son métier ? De quel poids pesèrent dans cette rapide promotion les relations personnelles nouées depuis son entrée dans les cadres du Mouvement des fonds ? Surtout, ce réseau socioprofessionnel, dont il faudra s’efforcer de tracer les limites, fut-il mis par le directeur du Trésor au service de la politique financière de l’heure ou contribua-t-il au contraire sinon à en déterminer du moins à en infléchir les choix ? Derrière cette hypothèse à l’origine du limogeage de Wilfrid Baumgartner en novembre 1936, il y a toute la question de la crise de l’État (et donc de son autonomie) qui a constitué sans nul doute, en France comme dans la plupart des pays industrialisés, le nœud gordien de la crise globale des années 1930.
4Si la nature des rapports créés entre le directeur et les ministres des Finances successifs revêtait une importance assurément très grande, les relations externes au ministère comme celles nouées entre la direction du Mouvement des fonds et le système bancaire sont au premier chef concernées par le problème de l’autonomie des décisions de politique financière : comment les dirigeants des banques commerciales mais aussi des établissements que leurs fonctions ou leur statut plaçaient plus ou moins dans l’orbite du Trésor, comme la Banque de France ou la Caisse des dépôts, ont-ils été associés aux solutions du problème alors grandissant de l’alimentation de la trésorerie de l’État ? Quel type de relations le directeur du Mouvement des fonds établit-il alors avec les dirigeants des grandes banques dans le cadre de la politique de déflation ou de relance de l’activité économique par le crédit qui dominèrent globalement la période 1934-1936 ? Surtout, il faudra se demander ici quelles formes a pris alors la politique de « modernisation » du système financier français, déjà évoquée à la fin des années 1920, et remise en question au premier trimestre de 1935 au moment où, sous l’impulsion du gouvernement formé par Flandin, a été tentée pour sortir de la crise économique une politique financière qui a abouti, nolens volens, à institutionnaliser pour la première fois un des mécanismes caractéristiques d’une économie d’endettement.
5Placé de par ses fonctions en première ligne de la politique financière, Baumgartner n’en fut pas pour autant l’unique inspirateur et l’on devra s’interroger même, plus d’une fois, sur la capacité d’influence véritable de l’homme. Il reste, cependant, que les expériences financières de 1934-1936 ont été à plus d’un titre déterminantes dans la formation d’un homme très jeune encore. Et leurs leçons, contrairement à une idée répandue, ne furent pas totalement perdues dans les décennies qui ont suivi pour l’ancien directeur du Trésor.
LE DIRECTEUR DU TRÉSOR « AU CARREFOUR DES PROBLÈMES »
6Les directeurs de ministère restent dans leur très grande majorité des personnages individuellement mal connus dont l’influence est supposée d’autant plus grande qu’elle est insuffisamment précisée2. Michel Margairaz a bien souligné pourtant, dans le cas précis du directeur du Trésor du ministère des Finances, « la place stratégique » qui était la sienne, « à la fois technique – à travers tout l’héritage administratif de sa fonction – et politique », à la charnière aussi entre les finances publiques et les finances privées3. Pour autant, son étude des directeurs du Trésor entre 1930 et 1950 aborde peu la question de leur « métier » : ensemble de savoirs mais plus encore de savoir-faire, de normes et de pratiques, de procédures de décisions et d’action, à la fois individuelles et collectives. C’est par le biais biographique aussi qu’on peut espérer préciser le mieux les contours du métier d’un directeur du Mouvement des fonds dans les années 1930, à une époque où la fonction était placée sous l’effet de la crise, on l’a vu, à l’intersection de domaines d’intervention très nombreux et à la croisée de multiples pouvoirs. Jacques Rueff, qui succéda immédiatement à Wilfrid Baumgartner le 23 novembre 1936, témoigna quarante ans après de la situation particulière de l’administration du Trésor à cette époque :
« La direction du Mouvement général des fonds était quelque chose de très spécial. [...] Elle était chargée de la trésorerie, c’est-à-dire du paiement des dépenses de l’État, donc de la continuité de la vie de la Nation ; elle avait aussi la charge des finances extérieures [...]. Mais à cette époque il n’y avait pas de ministère de l’Économie et les fonctions de ministère de l’Économie étaient remplies, toutes proportions gardées, par la direction du Mouvement général des fonds. »4
7De cette polyvalence du Trésor, placé au point de rencontre des finances, de l’économie et de la politique, à la jonction de l’État et du marché, des affaires nationales et internationales, Wilfrid Baumgartner donnait, dans la manière qui était davantage la sienne, un écho frappant quand il présentait à ses élèves des Sciences politiques, dans le contexte particulier de l’Occupation, « le beau métier de financier public, au carrefour des politiques, au carrefour des problèmes »5. De la réalité du métier d’un directeur du Trésor, Henri Clerc, qui fut lui-même chef de bureau au ministère des Finances tout au long des années 1920, a donné un témoignage particulièrement précieux sous la forme d’une pièce de théâtre jouée pour la première fois à l’Odéon en décembre 1929 et dont le titre, Le Beau Métier, s’était donc retrouvé dans la bouche de Baumgartner, qui connaissait et appréciait l’ouvrage, quelque dix ans plus tard6. Sans doute convient-il, toutefois, de ne pas surestimer la valeur de la source que constitue l’ouvrage d’Henri Clerc, très représentatif à la fois des années 1920 et d’une idéologie – le syndicalisme d’État –, pour analyser le passage de Baumgartner à la direction du Trésor dans la décennie suivante7. Il reste qu’à travers le personnage principal de la pièce, Albert Barrail, polytechnicien, âgé de 48 ans, directeur de la Trésorerie au ministère des Finances, bien des aspects du passage de Wilfrid Baumgartner au Trésor prennent soudain une vie que les archives proprement dites ne permettent que difficilement de saisir. L’intrigue, au vrai assez mince, du Beau Métier repose ainsi tout entière sur la situation particulière du directeur du Trésor à la croisée de pouvoirs multiples. L’importance du téléphone, qui figure d’ailleurs dans la liste des personnages de la pièce, illustre parfaitement cette position centrale du directeur du Trésor, « pénultième acteur, souligne Michel Margairaz, qui parfois se confond avec le dernier lorsque le ministre se rallie à ses vues »8. Le téléphone figure ainsi en bonne place dans le décor du bureau du directeur :
« En scène obliquement, à gauche, grande table bureau de style encombrée de documents et de livres ; derrière la table, à portée de la main, un petit guéridon sur lequel se trouve un petit standard téléphonique, communicant avec le standard central et les bureaux des secrétaires. »9
8Par le téléphone, Barrail apparaît donc en liaison constante aussi bien avec le ministre lui-même ou avec son chef de cabinet, qu’avec le secrétaire général de la Banque de France ou encore avec tel journaliste du Temps ou tel député proche des radicaux… Les états du personnel de la direction du Mouvement général des fonds en 1935, au moment où Baumgartner fut placé à sa tête, illustrent de façon convaincante les différentes missions qui incombaient alors au Trésor, en même temps qu’elle met en évidence par la faiblesse relative des effectifs totaux, quelque cent personnes, toutes qualifications confondues, le caractère d’étatmajor restreint qu’il avait au sein du ministère des Finances et donc le rôle décisif de son directeur dans l’entourage rapproché du ministre. On peut tenter d’en reconstituer l’organisation sur la base d’une liste des personnels de la direction établie par Baumgartner lui-même au cours de 1935 (cf. figure n° 7).
9La répartition des attributions au sein de la direction fait d’emblée apparaître une certaine dissymétrie : d’une part un pôle intérieur, comprenant la gestion de la trésorerie et les interventions du Trésor dans la vie économique et sociale du pays, coiffé par les deux sous-directeurs, dont l’un, Jean Maxime-Robert, était très proche de Wilfrid Baumgartner depuis leur scolarité commune rue Saint- Guillaume, et d’autre part un pôle externe tourné vers les finances extérieures, appuyé sur les attachés financiers et placé sous la responsabilité directe du directeur adjoint, Jacques Rueff. Cette répartition des rôles relevait moins d’une nécessité technique que des péripéties de la chronique administrative où s’opposèrent tout au long de leur carrière Wilfrid Baumgartner et Jacques Rueff.
« W. B. CONTRE J. R. »
10Sans que l’on surestime le moins du monde la portée historique de la vigoureuse concurrence personnelle qui marqua avec une étonnante constance les rapports des deux inspecteurs des Finances, il reste qu’à l’occasion de cette compétition sans cesse rejouée entre les deux hommes, un rai de lumière, fugitivement, est projeté sur la personnalité même de Wilfrid Baumgartner que la réserve inhérente au grand commis dérobe d’ordinaire aux curiosités légitimes de la biographie, sans compter que l’opposition de personnes pourrait bien aussi en l’espèce recouvrir, comme on le verra lorsque cette rivalité une nouvelle fois resurgira aux débuts de la Ve République10, une profonde opposition de politique, sinon de doctrine. Tout en effet rapprochait et éloignait à la fois Jacques Rueff et Wilfrid Baumgartner : leurs racines à tous deux lointainement alsaciennes et brutalement rompues par patriotisme en 1870, leurs pères médecins, l’un à Sainte-Anne, l’autre à La Pitié, leur scolarité en partie commune aux Sciences politiques11, leur succès à deux ans d’intervalle au concours de l’inspection des Finances qui ne doit pas masquer pourtant, entre les deux hommes, de profondes différences de formation, et d’abord, pour Rueff, l’expérience de « la guerre à dix-huit ans »12.
11Né le 23 août 1896, quelque six ans donc avant Baumgartner, Rueff dut interrompre en avril 1915 sa scolarité en « mathématiques spéciales » pour devenir canonnier-conducteur au 3e régiment d’artillerie à Joigny, puis élève-officier à Fontainebleau avant d’être envoyé au front au début de 1916. « Nous fûmes, raconte Rueff, de tous les coups durs : la Somme en 1916, Verdun et le Chemin des Dames en 1917, la retraite de la Somme et de Champagne en 1918 »13. Rueff, de son propre aveu, se trouva de la sorte « directement transféré de l’état d’écolier à celui d’adulte ». « Mutation de grande ampleur »14, qui sans conteste a marqué toute une génération, contribuant à l’individualiser fortement, particulièrement par rapport aux classes d’âges qui ont immédiatement suivi mais qui, comme Baumgartner, on l’a vu, n’ont pas connu le front. À cette première différence fondatrice, s’ajoutait le choix pour Rueff, au sortir de la guerre, de l’École polytechnique où il fut admis dans la promotion 1919-spéciale, réservée aux officiers démobilisés. C’est là qu’il découvrit l’économie néoclassique, tout particulièrement Léon Walras, notamment à travers l’enseignement de Clément Colson, dont il revendiqua nettement l’influence intellectuelle et auquel d’ailleurs il devait succéder à partir de 1930 sur l’une des chaires d’économie politique de la rue Saint-Guillaume15. L’orientation précoce de Rueff vers la recherche théorique, son goût de l’abstraction et son obsession de la méthode dont témoigne bien la publication, dès 1922, de son premier traité, Des Sciences physiques aux Sciences morales16, voilà incontestablement une autre différence importante avec Baumgartner par nature et par inclination plus porté au pragmatisme qu’à la spéculation pure. À cette différence de tempérament intellectuel se superposa, dès le début, une rivalité de carrière, manière d’un étonnant jeu « à chat », qui ne constitue certainement pas un cas unique dans les annales, petites et grandes, de l’administration française. Alors que Rueff avait été admis, dès 1923, à l’inspection des Finances, mais dernier de la liste, Baumgartner, on le sait, fut major de la promotion de 1925. Mais dès le mois d’août 1926, Rueff put quitter la Tournée, appelé au cabinet de Poincaré, tandis que Baumgartner dut attendre février 1928 pour entrer comme chargé de mission à la direction du Mouvement des fonds. Rueff, entre-temps, s’était déjà échappé, détaché en février 1927 au secrétariat général de la Société des Nations à Genève. Il n’en revint que pour devenir, en avril 1930, attaché financier à l’ambassade de France à Londres, « poste de grand choix »17 qu’il devait à une décision de Paul Reynaud, ministre des Finances, dont le chef de cabinet, on le sait, n’était autre que Wilfrid Baumgartner. La nomination de Rueff à Londres et de Baumgartner comme sous-directeur au Trésor avait un temps séparé les prétendants aux mêmes faveurs, mais au début de janvier 1934, fait unique dans les annales administratives du ministère des Finances, la direction du Mouvement des fonds s’était vue dotée à la même date de deux directeurs adjoints en remplacement de Jean-Jacques Bizot promu à la tête de la direction de la Comptabilité publique. Par une brève note, Louis Escallier, toujours directeur, avait départagé les attributions de l’un et de l’autre : à Wilfrid Baumgartner la gestion de la trésorerie intérieure, à Jacques Rueff le suivi des finances extérieures18.
12Par ce jugement de Salomon, le ministre Georges Bonnet avait provisoirement tranché par ex aequo la lutte des deux ambitions contraires dont un curieux aidemémoire, « W. B. contre J. R. »19, que Wilfrid Baumgartner avait, semble-t-il, rédigé pour sa gouverne au moment où le ministre balançait encore, donne toute la féroce mesure. Au nombre des arguments qui militaient en faveur de son rival, le sous-directeur nota entre autres : « ses succès mondains », ses conférences, son enseignement aux Sciences politiques, « sa compétence internationale », tandis que contre lui-même pouvaient, à l’en croire, être invoqués ses liens avec Paul Reynaud et Ernest Mercier, sa réussite plus tardive au concours ou encore son ignorance des affaires extérieures. Mais ces arguments, montrait-il aussitôt, pouvaient être facilement retournés et faire mieux apparaître, en retour, ses propres mérites : la réputation mondaine de Rueff avait comme contrepartie ses absences fréquentes et ses voyages réguliers et Baumgartner pouvait opposer à « sa vie agréable à Genève et à Londres », « la vie dure » qui était la sienne à Paris, son travail continuel y compris les samedis et les dimanches ; le traitement annuel d’un attaché financier atteignait 400 000 francs, parce qu’augmenté des indemnités d’expatriation, tandis que lui-même n’en percevait pas 50 000. Quant à l’amitié avec Paul Reynaud, gênante aux yeux de la majorité du Cartel alors au pouvoir, il rappelait que c’était aussi le leader du centre droit qui avait nommé Rueff à Londres. Enfin, le lien de parenté avec Ernest Mercier pesait selon lui moins dans la balance, puisque les liens entre ses affaires et le Trésor étaient quasiment nuls, que les amitiés de Rueff avec les Lazard de Londres pouvaient être invoquées à charge. En revanche, poursuivait-il, ses propres mérites, son rang au concours « premier des majors », l’éclat de son cours rue Saint- Guillaume, les services rendus depuis 1928 ne le désignaient-ils pas d’emblée à ce poste ? Il notait également, dans la foulée, « son dévouement à la fonction » et non comme son concurrent « à sa personne », sa compétence administrative « et non pas théorique », les « sorties refusées » au CNEP, à la BNCI, chez Renault, chez Petsche, et « les recommandations » dont il eût pu, s’il l’eût voulu, se réclamer : celle de la famille Clamageran, de Paul Painlevé, de Jules Jeanneney ou de Caillaux. Mais, ajoutait-il, « je n’ai jamais rien demandé. N’avons pas le temps de nous occuper de nos intérêts ». Quoique cette nomination, concluait-il, eût été conforme à la « logique administrative », car, rappelait-il, « jamais on n’a entravé cet avancement pour un sous-directeur de l’Inspection et on le ferait pour moi ! », il déclarait au pire relever le défi : « Mettez-nous en concours. Je vaincrai ! Prêt à m’incliner pour la direction devant Rueff ». Rare document qui, au-delà de la simple histoire de personnes, donne certaines clefs du succès administratif dans l’entre-deux-guerres. Mais, à travers ces brèves annotations, c’est aussi toute la réalité des élites en France au milieu des années 1930 qui, fugitivement, se donne à voir.
13Sans doute l’excellence et la compétence y avaient-elles leur part, mais à ce niveau de responsabilité, d’autres éléments entraient en considération : l’introduction plus ou moins grande dans le monde, les recommandations politiques, les traditions administratives, l’enseignement à l’École libre des sciences politiques, le refus du pantouflage. À l’inverse, certaines amitiés politiques notoires pouvaient devenir un handicap pour peu que la majorité au pouvoir changeât, de même que des liens connus avec le monde des affaires pouvaient constituer un obstacle à l’accession à un poste de responsabilité dans l’administration des Finances. Mais cet épisode mettait aussi bien en évidence la force de l’ambition qui animait Wilfrid Baumgartner à cette époque de sa carrière. C’est un mobile qu’une analyse des raisons de son ascension ne doit pas oublier. Le 2 janvier 1935, à l’issue d’un an de compétition, c’est finalement Wilfrid Baumgartner que Germain-Martin, qui avait pu en éprouver la compétence et la fidélité en 1932, nomma directeur du Trésor, de préférence à son rival en qui le ministre salua certes dix ans après un « théoricien de grande valeur, défenseur presque jusqu’au sectarisme des idées de liberté »20, mais qu’il estima alors dépourvu des qualités, à ses yeux différentes, requises d’un directeur d’administration centrale. Retenons, à ce stade, qu’avec le choix, en 1935, de Baumgartner de préférence à Rueff, c’était tout autant, à cette date, le choix d’un certain profil de grand commis qui l’emportait : moins tourné vers l’extérieur et les affaires internationales que vers la gestion intérieure de l’économie nationale, d’un libéralisme moins « doctrinal » et donc plus pragmatique. Au-delà des hommes, c’était bien une certaine philosophie de l’État qui s’exprimait. Il reste que si l’on transpose au ministère des Finances les rituels des partenaires occasionnels au tennis qu’ils furent à la ville, Wilfrid Baumgartner remportait contre Jacques Rueff le premier set de leur longue carrière, avant de devoir s’incliner à son tour moins de deux ans plus tard. Mais dans les premiers jours de 1935, son triomphe sembla entier.
14Directeur du Mouvement des fonds à 32 ans, Wilfrid Baumgartner se vit doté d’un traitement mensuel qui passait de 5 591 à 9 052,90 francs nets, auquel il fallait ajouter les indemnités annuelles perçues comme administrateur des sociétés d’économie mixte ou nationales, soit 6 000 francs pour les Mines domaniales des potasses d’Alsace, 8 000 francs pour la société commerciale qui en dépendait, 5 400 francs pour la Compagnie générale transatlantique et 10 000 francs, enfin, comme commissaire du gouvernement auprès de la Banque nationale française du commerce extérieur qu’il partageait à part égal avec Maxime-Robert, son suppléant à ce poste21. Son traitement s’élevait donc au moins à 135 000 francs par an, qui sont à rapporter aux 21 000 francs annuels qu’il percevait dix ans plus tôt comme simple adjoint à l’inspection22. En outre, à la différence de la décennie précédente, l’écart eut tendance à se réduire dans les années 1930 entre le niveau des rémunérations de la fonction publique et les salaires offerts dans la banque et dans l’industrie. La baisse des prix, encore accentuée par les mesures déflationnistes qui affectèrent davantage les prix que les traitements, aboutit même, d’après le calcul d’Adeline Daumard, à augmenter le revenu réel des fonctionnaires supérieurs de près de 13 %23. Toutefois, l’assise sociale de Wilfrid Baumgartner n’était pas fondée sur sa fortune personnelle, qu’il est du reste difficile d’évaluer faute de tout renseignement sur l’évolution de son patrimoine24. Sa nomination en 1935 et l’étendue de l’entourage socioprofessionnel qu’elle mit en évidence permettent toutefois de prendre de l’assise sociale d’un directeur du Trésor une vue assez exacte.
LE RÉSEAU D’UN DIRECTEUR DU TRÉSOR EN 1935
15À l’occasion de sa promotion, Wilfrid Baumgartner reçut 723 messages de félicitations entre le 2 janvier et le 18 février 193525. L’analyse de l’identité de leurs auteurs, la prise en compte des fonctions qu’ils occupaient à la date du message, de leur appartenance ou non à l’inspection des Finances permettent de préciser la configuration prise alors par l’entourage socioprofessionnel du jeune directeur du Mouvement des fonds. Sans doute convient-il au préalable de faire la part de choses et de marquer les limites de l’interprétation de tel échantillon : usage social fort répandu dans les milieux considérés, l’envoi d’un message de félicitations ressortit d’abord au respect de certaines convenances et il serait abusif d’en tirer la preuve de l’existence d’une relation personnelle et surtout réciproque entre son auteur et son destinataire. Néanmoins, le rite du message de félicitations permet de prendre une assez juste mesure du prestige et de la puissance reconnus à leur bénéficiaire et de cerner les milieux sociaux et les catégories professionnelles où peut s’exercer son influence. Il atteste surtout de la réalité d’un lien, aussi formel soit-il, et élimine donc les fausses fenêtres des bottins mondains et des annuaires professionnels : lien de parenté seulement généalogique, participation purement nominale à un conseil d’administration de société, solidarité présupposée entre coreligionnaires ou membres d’un même corps, etc. Ainsi comprise, la source est d’abord justiciable d’un traitement statistique qu’autorise du reste la taille de l’échantillon, puisque sur le total des messages conservés, 598 ont pu être identifiés, affectant donc les résultats obtenus d’une marge d’inexactitude de 17 % environ. Les données ainsi calculées et rassemblées dessinent avec une certaine précision la physionomie de l’entourage socioprofessionnel de Baumgartner au début de 1935.
16En outre, les inspecteurs des Finances au sein des différentes catégories ont fait l’objet d’un dénombrement supplémentaire :
17Au vu des résultats d’ensemble du dénombrement, on constate tout d’abord que la composition professionnelle des correspondants du nouveau directeur reflète en partie, mais en partie seulement, les domaines de compétence du Mouvement général des fonds : part prédominante, un tiers du total, des responsables du secteur bancaire, privé pour l’essentiel, mais aussi des établissements financiers publics, Caisse des dépôts, Caisse nationale de crédit agricole, ou semi-publics, Crédit national, Crédit foncier, banques populaires, qui étaient les uns les clients du Trésor public, les autres ses « correspondants » avec lesquels les liens de trésorerie étaient à l’époque quotidiens : le baron Brincard et Édouard Escarra du Crédit lyonnais, Henri Ardant, Pierre de Mouy et Olivier Moreau-Néret de la Société générale, Paul Boyer du CNEP, Hugues Jéquier du CCF, Louis-Charles de Fouchier au Crédit du Nord ; mais aussi des banques d’affaires, Horace Finaly pour la Banque de Paris et des Pays-Bas, Charles Létondot de la BUP, René Thion de la Chaume et François de Flers à la Banque de l’Indochine ; des banques étrangères encore, Ernest Eliat de la Deutsche Bank, Charles E. C. Freyvogel de la Bankers Trust Company de New York, Henri Grandjean du Crédit suisse de Zurich ; des banquiers enfin, représentants de la presque totalité de la haute banque, comme Jacques de Neuflize, Christian et Max Lazard, David David- Weill, Gérard Vernes, les deux frères Puérari de la banque Mirabaud, des agents de change enfin, Aymard Dartiguenave, Adrien Perquel, Jacques Fauchier- Magnan ou Édouard Jacob. Cette catégorie de messages n’avait rien que de très normal et n’était qu’une illustration des rapports professionnels entretenus par la direction du Mouvement des fonds et le secteur bancaire, et tous ces hommes, en janvier 1935, étaient déjà les interlocuteurs habituels de Wilfrid Baumgartner chargé de l’alimentation quotidienne de la trésorerie depuis 1931 au moins.
18De la même façon s’explique le poids également prépondérant, un autre tiers, des messages en provenance de l’administration publique elle-même : collègues ou subordonnés du directeur au ministère des Finances, marque de déférence de certains trésoriers-payeurs généraux, voire de percepteurs, mais aussi représentants d’autres ministères, solliciteurs attitrés de la rue de Rivoli, ministère du Commerce ou des Colonies, ou encore conseillers à la Cour des comptes, comme Émile Labeyrie, ou au Conseil d’État, comme René Mayer. Une fois encore, ces liens peuvent s’expliquer directement par la place prédominante du directeur du Mouvement des fonds au sein de l’administration des Finances et par les rapports fonctionnels qui rattachaient ses services aux grands corps de contrôle ou du contentieux. Une explication du même ordre permet de rendre compte de la notable proportion d’inspecteurs des Finances identifiés au sein de l’échantillon.
UN PHARE POUR L’INSPECTION DES FINANCES
19La forte présence des inspecteurs des Finances, 17 % du total, parmi les auteurs de messages de félicitations est en effet directement liée au poids dominant des représentants de l’administration des finances et du système bancaire dans l’entourage du directeur du Trésor. Mais leur nombre en valeur absolue, soit un peu plus d’une centaine, doit être relevé. Ils représentent, compte non tenu des décès qui ont pu survenir dans l’intervalle, un bon tiers du total des inspecteurs des Finances issus des promotions comprises entre 1891 et 1933, celles de Guillaume Georges-Picot, le plus âgé, et de Pierre Calvet, le plus jeune des inspecteurs qui le félicitèrent. Elle confirme que, dès cette époque, Wilfrid Baumgartner peut être considéré comme un des phares de l’inspection dont les succès administratifs, et la réputation de brillant rehaussaient l’image que l’ensemble des membres de l’inspection avaient d’eux-mêmes, y compris dans les promotions les plus anciennes dont beaucoup de membres avaient fait toute leur carrière dans la Tournée. Mais elle atteste aussi des liens que Wilfrid Baumgartner avait pu créer à travers l’enseignement qu’il dispensa à l’École libre des sciences politiques à partir de 1927. Ils expliquent la présence de nombre de ses anciens élèves, déjà, dans l’échantillon analysé26 : François Goguel, Jean-Marcel Jeanneney, Gérard Vernes, Robert Buron, Gaston Cusin. Mais on dénombre aussi, parmi eux, un grand nombre de ses élèves devenus inspecteurs : Pierre Calvet (1933), Dominique Leca (1932), Guy de Carmoy (1930), Maxence Faivre d’Arcier (1932), François de Flers (1926), François Turquet (1926), Charles Roger-Machart (1928), André Fayol (1929), Jacques Auboyneau (1928), Maurice Gonon (1929), Guillaume Guindey (1932), François Didier Gregh (1930), André Brunet (1930), etc. Cette composante importante de l’échantillon confirme donc bien le rôle particulier joué dans la carrière de Wilfrid Baumgartner par le magistère qu’il exerça très tôt à l’École libre des sciences politiques.
20La réputation de l’enseignement dispensé par le directeur du Mouvement des fonds aux Sciences politiques dépassait en effet le cadre strict de l’école. Il arrivait ainsi à la grande presse de rendre compte des brillantes leçons de son cours de finances publiques27. Ses succès administratifs rejaillissaient aussi sur l’éclat de ses cours qui, par l’effet d’un cercle vertueux, grandissaient en retour son autorité au ministère. François Bizard, qui commença à suivre rue Saint-Guillaume l’enseignement de Wilfrid Baumgartner en 1935, se rappelait encore, bien plus tard, la lecture d’un reportage de L’Illustration où étaient rapportées « les premières prouesses administratives de Baumgartner et de Rueff »28. L’impression « tout à fait grisante » qu’il aurait alors éprouvée, racontait-il, aurait été déterminante dans le choix de se préparer au concours de l’inspection des Finances sous la direction du fameux directeur du Mouvement des fonds29. Le patronage qu’il exerça ainsi sur plusieurs des élèves passés par son cours est un élément non négligeable de son influence : l’admiration sans borne qu’un autre de ses « poulains », Pierre Calvet, lui voua confirme cet ascendant. La missive émue qu’il fit parvenir à son maître au lendemain de son admission à l’inspection des Finances, en avril 1933, en témoignait sans équivoque :
« Je voudrais vous exprimer ma profonde gratitude pour l’appui constant que j’ai trouvé auprès de vous depuis plusieurs années [...] je sais trop bien que c’est à vous que je dois tout pour ne pas vous le dire au moins aujourd’hui »30.
21Mais sa protection pouvait s’étendre aussi sur le protégé une fois qu’il était entré à l’inspection. Son appui notamment pouvait se révéler capital pour sortir de la Tournée. C’était le sens de la demande que François Didier Gregh lui fit parvenir en avril 1934, un an après sa réussite au concours. Il lui demanda d’abord d’avoir la bonté de lui envoyer de la documentation sur les banques populaires qu’il devait prochainement vérifier et qu’il se proposait, écrivait-il à Baumgartner, d’étudier « au cours des longues soirées monotones de l’inspecteur en tournée ». Il conclut toutefois sa lettre par un appel plus pressant encore : « Pensez aussi un peu à moi pour le poste d’administrateur de la Transatlantique auprès de Bouthillier ou de Germain-Martin. Que j’aie au moins ainsi un pied à Paris ! Merci, une fois encore, d’être mon bon génie. »31 Cette influence était d’autant plus forte qu’elle se fondait à cette date sur la double fonction de Wilfrid Baumgartner, à la fois en amont, en quelque sorte, de l’Administration mais aussi en aval de l’école par ses fonctions au ministère.
22Cette manière d’ubiquité permet de comprendre l’audience dont jouissait le directeur du Mouvement des fonds dans bien des milieux. C’est ainsi qu’en novembre 1934, Marcel Vincenot, lui-même inspecteur de la promotion de 1908, président du Crédit foncier égyptien depuis 1923, sollicitait de Wilfrid Baumgartner (« je m’adresse, précisait-il, au professeur Baumgartner de l’École des Sciences Politiques ») « une petite consultation » pour son fils Jacques qui entra en effet à l’inspection en 194232. La même année, c’était également au professeur des Sciences politiques qu’Henri Queuille, à cette date ministre de la Santé, demandait d’intercéder en sa faveur afin que son fils fût inscrit dans une bonne écurie de préparation au concours de l’inspection. Baumgartner s’adressa alors à Guillaume Guindey qui venait d’être reçu premier en 1932 pour lui demander de prendre avec lui « le fils Queuille, garçon de valeur et fils du ministre de la santé publique auquel je suis très attaché ». Mais Guindey, bien dans sa manière déjà, lui répondit fort courtoisement que son groupe était malheureusement déjà constitué et ses inscriptions closes, mais qu’en revanche, l’écurie de son camarade Thomazeau n’était pas encore complète33. La candidature du fils Queuille resta d’ailleurs toujours malheureuse, marquant bien la limite de l’influence du puissant personnage qu’était Baumgartner. Il reste que, par ses fonctions rue Saint-Guillaume, Wilfrid Baumgartner établit dans la période des liens qui étendaient son entourage au-delà de la sphère proprement administrative : à la rentrée de 1934 toujours, il recommanda ainsi à Gilbert Devaux le candidat Lombard qui lui avait été à lui-même « chaudement recommandé par [s]on ami Henry Germain-Martin, chef du service des Études économiques à la Banque Nationale pour le Commerce et l’Industrie » et également fils du ministre34. Quelques années plus tard, c’était Maurice Jordan, directeur général des Automobiles Peugeot qui, dans une veine un peu différente, lui exposa le cas de son fils :
« J’ai un fils de 16 ans actuellement [...]. Je me demande s’il ne serait pas susceptible d’essayer l’Inspection des Finances. Naturellement, l’intéressé ne sait absolument pas ce qu’il veut faire, il ne sait pas ce que c’est que l’Inspection et croit plutôt que c’est une affaire de maths. »35
23Ces témoignages différents, que l’on pourrait multiplier encore, confirment que les voies de l’influence d’un directeur du Mouvement des fonds passaient aussi par ses différentes fonctions à l’École libre des sciences politiques. À l’enseignement qu’il y assurait, s’ajoutaient en effet également ses responsabilités au sein de l’Association des élèves et des anciens élèves, sa participation au comité de rédaction de la Revue des sciences politiques et, à partir de 1941, sa présence au conseil d’administration de l’école. L’entourage socioprofessionnel de Wilfrid Baumgartner en 1935 en tirait une extension certaine qui dépassait déjà un tant soit peu le strict horizon professionnel d’un directeur du Trésor. Ses fonctions à l’École libre des sciences politiques, établissement placé depuis sa fondation à la charnière de l’administration et de la vie économique, pouvaient expliquer en partie le poids relativement grand parmi ses correspondants des représentants du monde de l’industrie et du négoce. La réalité du système de recommandations établi autour de Baumgartner, brillant haut fonctionnaire et professeur éminent de l’École des Sciences politiques confirme bien que l’établissement de la rue Saint-Guillaume était devenu à cette date le passage obligé dans la formation (et la reproduction) des élites en France. Il y a là, d’autre part, une indication supplémentaire du processus d’homogénéisation des élites qui a marqué la période et du rôle particulier que l’État et ses représentants ont pu jouer, au-delà des discours, dans leur cohésion de fait. C’est une autre manière d’appréhender les fondements d’une société « d’endettement » en cours de constitution.
24Les correspondants issus du secteur productif et des services forment de fait le troisième groupe de l’entourage de Wilfrid Baumgartner, avec un peu plus d’un cinquième du total. Tout à fait évidents avec les secteurs de transport contrôlés par l’État, comme les chemins de fer ou les compagnies de navigation maritime, les liens avec les patrons de la grande industrie et du commerce, soit plus de 15 % du total des messages, méritent d’être examinés plus avant : on peut certes attribuer à leur lien de parenté la raison de la présence d’Ernest Mercier et dans sa mouvance de Raoul Dautry, puissant directeur général du Réseau de l’Ouest36, de Camille Riboud directeur de la Lyonnaise des eaux, ou encore de Louis Marlio, vice-président de la Compagnie des chemins de fer de l’Est et grand patron de l’aluminium et de l’hydro-électricité37, ou de Robert Cousin de la Compagnie française des pétroles ; on peut de même justifier par leur scolarité commune aux Sciences politiques les messages de René Pleven ou de Roger Truptil, tous deux, à cette date, entrés dans la banque à Londres. Il reste qu’il faudrait expliquer la présence de Bernard d’Halluin38 et de Roger Cattin, patrons des textiles du Nord, d’Alexis Baptifaut et de Léon C. Fabre des Chargeurs réunis, d’Armand de Saint Sauveur du groupe Schneider, de Louis Renault et du baron Petiet, le puissant président de la Chambre des constructeurs automobiles, de Benoît Léon-Dufour, le secrétaire général de la CGPF, et encore de Georges Barrès, le président du port autonome et de la chambre de commerce de Bordeaux, de Louis Ferasson et d’Henri Garnier, président de la chambre de commerce de Paris, d’Hermann du Pasquier, président de la chambre de commerce et du port autonome du Havre, et d’autres encore, moins connus, ingénieurs, petits patrons, négociants… La participation épisodique de Wilfrid Baumgartner à certains cénacles patronaux est en outre attestée. Il accepta par exemple de prendre part le 25 octobre 1934, à l’invitation d’Alfred Lambert- Ribot, le délégué général du Comité des forges de France39, à un déjeuner de La Table ronde, cercle qui regroupait à intervalles réguliers quelques grands patrons de l’industrie en présence d’invités de milieux divers. Ce jour-là dans les salons du Cercle interallié, le directeur adjoint du Mouvement des fonds, invité en même temps qu’Ernest Rowe Dutton, l’attaché financier britannique, rencontra les membres habituels du club : Louis Marlio, Ernest Mercier, dont on a déjà noté les noms, mais bien d’autres patrons importants aussi, comme Auguste Detœuf, le directeur d’Alsthom au rayonnement intellectuel incontestable40, Henry de Peyerimhoff, l’influent secrétaire général du Comité central des houillères de France41, De Castel, le vice-président du Comptoir sidérurgique de France, le député de la Moselle et cousin de François, Guy de Wendel, d’autres encore. Sans préjuger du surcroît de pouvoir que le lien ainsi créé put représenter pour le nouveau directeur du Trésor, il faut souligner ici que la présence de ces hommes constitue bien une des spécificités de l’entourage de Wilfrid Baumgartner en 1935. Ses relations dans le monde de la politique et des professions intellectuelles en constituaient assurément une autre.
25La présence de députés et de sénateurs, une bonne trentaine, soit 5,5 % du total, dans la liste des correspondants du nouveau directeur du Mouvement des fonds, s’explique assez bien par les contacts fréquents établis par le haut fonctionnaire tant avec ses ministres successifs qu’avec les parlementaires des deux commissions des Finances dont les occupants de la rue de Rivoli, du reste, étaient tous également issus42. Ainsi s’explique aisément la présence de François Piétri, Paul Reynaud, Georges Bonnet, Henry Chéron, mais aussi d’Abel Gardey, ministre du Budget à la fin de 1933 et surtout rapporteur général de la commission des Finances du Sénat, de Joseph Denais, de Maurice Bouilloux-Laffont, membre de la commission des Finances de la Chambre jusqu’en 1932 et devenu à cette date ministre d’État de la principauté de Monaco, de Jules Champetier de Ribes, du député des Alpes-Maritimes Louis Louis-Dreyfus, fils du banquier parisien, d’Edmond Cavillon, secrétaire du Sénat depuis peu, des députés Léon Baréty, André-Jules-Louis Breton et Henry Chevrier ou bien encore de Jules Jeanneney, devenu à cette date président du Sénat, mais après en avoir dirigé avec autorité la commission des Finances de 1928 à 193243. Dans tous ces cas, l’appartenance aux commissions des Finances peut très naturellement fournir le motif du lien épistolaire vérifié à l’occasion de la promotion d’un haut fonctionnaire avec lequel ces parlementaires, qu’ils aient été ministres ou non, avaient pu travailler régulièrement. Mais l’appartenance à d’autres commissions, comme l’Agriculture, le Budget, le Commerce, l’Aéronautique ou les PTT peut expliquer aussi bien la présence d’Henri Queuille, inamovible ministre de l’Agriculture dans toute la période, d’André Cornu, député des Côtes-du-Nord et expert du financement des PTT et de l’aéronautique, d’Émile Cassez, qui s’était fait depuis 1932 une spécialité de l’organisation du marché du blé, de Fernand Gentin, défenseur attitré des victimes des calamités atmosphériques, de Marcel Régnier, membre au Sénat de la commission du Budget et à cette date ministre de l’Intérieur, de Louis Rollin alors ministre des Colonies, ou encore de Max Hymans, le seul parlementaire socialiste de la liste, mais membre aussi au palais Bourbon de la commission du Commerce. La présence de tous ces parlementaires dans l’entourage du directeur du Mouvement des fonds trouve donc une fois encore une explication d’ordre professionnel. Leur spécialisation dans les questions financières traduit aussi que l’État, à cette date, se réduit bel et bien à un ensemble de mécanismes de financement. La coloration politique de ses correspondants divers trahit-elle pour autant quelque chose des préférences idéologiques de Wilfrid Baumgartner à cette date ?
26Les parlementaires dénombrés appartenaient dans leur très grande majorité à la mouvance radicale et radicale-socialiste, comme Camille Chautemps ou Gorges Potut, député de la Nièvre, président en outre de l’École supérieure de journalisme de Paris et condisciple naguère de Wilfrid Baumgartner aux Sciences politiques, ou encore comme Alexandre Millerand, à cette date presque retiré néanmoins de l’arène politique mais toujours élu du Calvados au Sénat. Quelques-uns pourtant se classaient plus à droite, comme Manuel Fourcade, catholique notoire et avocat respecté, Paul Reynaud bien sûr, le leader du centre droit, mais aussi Joseph Denais, le comte André de Fels, ou encore Jean Goy, proche d’Ernest Mercier, membre à cette date du comité France-Allemagne animé par Fernand de Brinon, et président de l’Union nationale des combattants, présente, comme l’on sait, aux abords du palais Bourbon le 6 février de l’année précédente44. La coexistence, dans l’échantillon, de tendances aussi différentes – du centre gauche à l’extrême droite – montre que ces appartenances ne peuvent guère indiquer avec précision quelles étaient alors, s’il en avait, les opinions politiques du directeur du Mouvement des fonds. Elles mettent toutefois clairement en évidence l’absence d’élus socialistes et a fortiori communistes. Comme le souligna bien plus tard Wilfrid Baumgartner lui-même, il n’était alors pas vraiment « sur le même plan » qu’un Léon Blum par exemple…45 Mais ces relations politiques étaient au mois autant que la conséquence de ses inclinations personnelles, l’exact reflet des partis qui s’étaient succédé au pouvoir depuis son entrée dans l’administration centrale en 1928. La présence d’hommes politiques parmi les auteurs de messages de félicitations, tout comme celle de patrons de l’industrie et du commerce, est en tout cas un des traits marquants de l’entourage de Wilfrid Baumgartner en 1935. Ces relations sont davantage liées à la personnalité et au prestige social du directeur du Trésor qu’aux obligations de son métier. Il en va de même des relations attestées dans le monde des lettres, de la justice et de la grande presse, si l’on excepte le cas particulier des journalistes financiers qui, on l’a noté, ressortissaient davantage de la sphère professionnelle. Mais la frontière, en pareille matière, entre le domaine public et la sphère privée est certes difficile à établir. L’analyse des cartons d’invitation collectés par Wilfrid Baumgartner du temps de ses fonctions au Mouvement des fonds permet d’affiner l’étude de son entourage socioprofessionnel en y surimposant la dimension plus proprement mondaine.
LE PRESTIGE DU DIRECTEUR DU TRÉSOR DU CÔTÉ DE GUERMANTES
27Déjà évoqués lors de l’affrontement qui avait opposé en janvier 1934 les deux prétendants au poste de directeur adjoint du Mouvement des fonds, les liens entre le succès mondain et l’autorité et la réussite administratives d’un directeur du Trésor offrent matière à une analyse délicate qu’une étude de la carrière de Wilfrid Baumgartner ne saurait cependant passer sous silence. Lui-même, une fois parvenu aux fonctions où toute son ambition vingt ans auparavant aspirait, traita le sujet du point de vue de Sirius, expliquant comment adolescent encore, la lecture du Côté de Guermantes, qui venait de paraître, avait constitué pour lui ce qu’il nomma rétrospectivement une « sûre médication à long terme contre le snobisme. »46 En fait, la collection de cartons reçus au cours des années 1930 et conservée dans les papiers, même avec les précautions d’emploi requises par une source dont la signification limitée est du reste éprouvée dans le contexte social guère différent de la fin du siècle par le narrateur même de La recherche, atteste au moins de l’indéniable introduction, à cette époque, de Wilfrid Baumgartner dans le monde.
28L’échantillon se compose de 477 cartons qui présentent cet avantage sur les messages de félicitations d’être la preuve d’un niveau de relation établie dans la sphère strictement privée. La mention de l’épouse, seule ou accompagnée de celle de son mari, en est une indication supplémentaire. Que révèle cet échantillon de la nature du milieu plus proprement privé du directeur du Trésor entre 1930 et jusqu’à la guerre ? Il faut souligner d’emblée la part non négligeable de la noblesse dans cet échantillon : 20 % des noms répertoriés dans l’échantillon figurent en effet dans le Dictionnaire de la noblesse française d’Étienne de Séreville et Fernand de Saint-Simon47. La surreprésentation de ce groupe dans l’échantillon est manifeste puisqu’on peut estimer que la noblesse au sens large ne représente pas plus de 6 % de la société française des années 1930, beaucoup moins si l’on considère la noblesse d’Ancien Régime réduite, elle, à 4 000 familles tout au plus48. Au sein de ce sous-groupe particulier, on relève aussi bien les noms de la plus ancienne noblesse, comme le comte et la comtesse de Beaumont, les époux de Levis-Mirepoix, d’Hauteville, de Castellane ou encore le marquis de Montesquiou-Fezensac dont le père, Robert, aurait servi, on le sait, de modèle au Charlus de Proust. Tous appartiennent à la noblesse dite d’extraction. Le cas de Pierre et May de Cossé-Brissac, de très ancienne noblesse aussi, dont Jacques Rueff rapporte avoir alors également fréquenté le salon49, est la plus exemplaire des relations alors nouées entre les représentants de la vieille noblesse et les grands commis les plus en vue de l’administration des Finances. Preuve d’adaptation et marque d’une certaine fusion entre les anciennes et les nouvelles élites, l’existence de telles relations avec la haute administration est encore renforcée dans le cas particulier de Pierre de Brissac par son alliance, en 1924, avec la fille d’Eugène Schneider, industriel et banquier50. Mais l’alliance, à la même époque, des Beauvau-Craon, que Baumgartner fréquentait également, avec la famille d’Anténor Patino, le roi de l’étain, fournit un autre exemple de cette stratégie de fusion d’une partie de la noblesse française dans l’entredeux- guerres dont l’activité mondaine d’un Rueff ou d’un Baumgartner, grands commis du Trésor public, témoigne alors avec éloquence51. À l’inverse, les voies de l’influence pour un haut fonctionnaire ambitieux semblent bien avoir impliqué, dans les années 1930, une certaine introduction dans le monde.
29Cette préoccupation transparaît dans l’appartenance de Wilfrid Baumgartner à l’International Lawn Tennis Club ou à l’Automobile Club de France, où il fut reçu en novembre 1933 en même temps que Guy de Rothschild, sur présentation de deux industriels, le papetier Charles Nusse, également membre du Yacht Club et Marcel Bertolus, patron de l’électro-métallurgie52. La cotisation annuelle du club de la place de la Concorde s’élevait alors à plus de 2 000 francs, soit plus de 20 % de son traitement mensuel net de directeur d’administration centrale53. À cette appartenance aux cercles de l’élite parisienne répond aussi le haut niveau social des relations privées de Wilfrid Baumgartner, dîners en ville, déjeuners d’hommes, invitations à la campagne ou en villégiature d’été, émanant certes en partie des membres de la noblesse, mais également de la plupart des grands banquiers et industriels de la capitale : Jean-Frédéric Bloch-Lainé, inspecteur de la promotion 1911 et directeur chez Lazard depuis 1929, Laurent-Atthalin, le directeur de la Banque de Paris et des Pays-Bas, Berthe et Pierre David-Weill, Félix Vernes, les époux Lazard, Escarra, ou encore Philippe de Rothschild qui l’invita par exemple à deux reprises au moins dans sa propriété du Pyla54. La présence de cartons des épouses Davezac, Marlio, Schlumberger, mais aussi de mesdames P. Reynaud, J. Jeanneney, E. Monick, R. Mayer ou A. Fabre-Luce atteste davantage encore la réalité des rapports privés également entretenus par Wilfrid Baumgartner et sa femme dans les milieux de l’establishment parisien. L’existence de ces liens mondains, au sens plein du terme, permet certes de préciser déjà quelque peu la portée de la description fondée sur la seule existence d’une correspondance. Ils prouvent déjà un niveau de relations semi-privées. Permettent-ils pour autant de définir le réseau de Wilfrid Baumgartner à cette époque ? Pierre Bourdieu a bien souligné que la notion de réseau ou de capital social suppose de passer de la simple constatation de relations à l’analyse de la capacité à mobiliser effectivement ces relations, qu’elles soient d’origine professionnelle ou personnelle, en vue de profits matériels ou symboliques55. Or, seule l’étude de l’action de Wilfrid Baumgartner à la direction du Mouvement général des fonds entre 1934 et 1936 est susceptible de confirmer ou d’infirmer la réalité d’un tel système d’échange autour de lui et de passer ainsi de la description inévitablement statique de son entourage à une analyse de type historique du fonctionnement de son réseau, de son inefficacité ou de son pouvoir.
LE TRÉSOR ET LES BANQUES DANS LES ANNÉES 1930 : LES RESSORTS DE L’ÉCONOMIE D’ENDETTEMENT
30L’histoire des rapports de trésorerie entre le système bancaire, au sens large, et le ministère des Finances, dans la période qui s’étend de la constitution du gouvernement d’Union nationale issu du 6 février 1934 à la victoire électorale du Front populaire, a fait l’objet d’analyses historiques nombreuses et il ne s’agit pas ici d’en reprendre le détail56. Mais la prise en compte du rôle personnel joué par le directeur du Mouvement des fonds dans la conduite de la politique financière du gouvernement doit permettre toutefois de contribuer à préciser de quel poids pesèrent les hommes, leurs conceptions et leur entourage, et aussi les institutions qu’ils représentaient, dans le jeu complexe de forces diverses qui furent à l’origine des choix politiques adoptés par Germain-Martin et Flandin, comme par Régnier et Laval après eux. Cette ambition, bien entendu, dépasse la seule étude de la carrière de Wilfrid Baumgartner. L’analyse ainsi comprise de la partie qu’il joua alors à la direction du Mouvement des fonds semble pouvoir apporter déjà certains éléments de réponse. Elle est l’occasion d’apprécier la nature et la portée des liens supposés très étroits entre les hauts fonctionnaires du Trésor et les principaux établissements de la place, banque d’émission, banques de dépôts et d’affaires. Ces relations sont d’autant plus dignes d’intérêt qu’elles étaient à la base même de la politique financière alors conduite, au printemps de 1934 comme en janvier 1935 ou encore du temps de Laval, et qu’elles furent aussi à l’origine des thèmes des deux cents familles et du « mur d’argent » qui naquirent à peu près au même moment. La considération de l’importance de ses relations ne fut d’ailleurs pas étrangère en janvier 1935 au choix de Wilfrid Baumgartner comme directeur du Mouvement des fonds par Germain-Martin.
31À la tête du Trésor, Wilfrid Baumgartner remplaça en effet Yves Bréart de Boisanger qui occupait ce poste depuis un an à peine et qui fut alors muté, ce qui n’était pas une promotion, à la direction des Contributions indirectes. Les raisons de ce mouvement tenaient peut-être, comme il fut noté dans l’entourage immédiat du ministre, à « l’hostilité du milieu bancaire » envers sa personne et à son « apparence extérieure qui manqu[ait] d’autorité »57. Mais si le directeur du Trésor devait entretenir de bons rapports avec les banques, il devait se garder aussi bien de toute complaisance coupable envers les milieux d’affaires. C’est pour ce motif que la candidature d’Érik Haguenin ne put pas être retenue, comme le justifia après coup Germain-Martin :
« M. Haguenin avait manifesté son désir d’être placé à la tête du Mouvement général des fonds. Malheureusement pour lui, il fréquentait à longueur de nuit les cabarets à la mode, en compagnie de personnes qui avaient le plus vif souci de brasser de grandes affaires et d’y trouver de larges profits ; c’était là un fait connu de tous les milieux financiers et parlementaires. »58
32Entre hostilité et compromission, la ligne de conduite du directeur du Mouvement des fonds vis-à-vis des banquiers était étroite. La crise en effet resserra les liens financiers entre la place en quête de placements sûrs et liquides et le Trésor en permanence aux abois59. Wilfrid Baumgartner, après la guerre, expliquait encore à ses étudiants « qu’un bon directeur du Trésor a les banquiers sous sa coupe » et ajoutait, fournissant ainsi un témoignage précieux sur l’expérience qui avait été la sienne dix ans plus tôt :
« Il sait que c’est une des professions les plus honnêtes par nécessité professionnelle. Il exerce sur eux une véritable dictature qui pour être efficace et servir le crédit public n’a pas besoin de publier comme le faisait M. Chéron la liste des banquiers arrêtés. »60
33La réalité de cette belle autorité demande cependant à être précisée et ne doit pas masquer la résistance possible des établissements de crédit aux demandes financières du Mouvement des fonds. Leurs rapports, pour l’essentiel, avaient trait au placement des émissions publiques par les organismes bancaires moyennant commission, mais également de plus en plus aux souscriptions de bons du Trésor par le système bancaire lui-même. Entre janvier 1934 et juin 1936, ces souscriptions effectuées à la demande expresse de la direction du Mouvement des fonds prirent une ampleur inédite. (cf. figure n° 8)
34Les concours des banques au Trésor, Banque de France comprise, entre 1934 et le premier semestre de 1936, furent à l’évidence considérables, puisque le total des souscriptions de bons du Trésor s’élève à 6 800 millions, soit exactement le quart des déficits budgétaires cumulés et assumés par la trésorerie dans la période considérée61. Par leur importance et leur rythme, ces concours font clairement apparaître trois périodes : aux appels encore mesurés du premier semestre 1934 succéda en effet de juin 1934 à mai 1935 une période d’abstention totale ; en revanche, les souscriptions reprirent avec une ampleur inégalée au second semestre de 1935, impliquant de façon notable la banque d’émission, et atteignirent des sommets à la veille de la victoire électorale du Front populaire. L’analyse du rôle de Wilfrid Baumgartner, directeur adjoint précisément chargé de la trésorerie puis directeur à part entière, devrait permettre d’examiner si ces différentes phases ont correspondu à la mise en œuvre de politiques différentes et quelles modifications elles ont pu entraîner dans les rapports entre l’administration publique des finances et monde de la finance privée, contribuant sans nul doute à accélérer dans la période le renforcement des logiques et des mécanismes d’endettement au sein du système financier français.
35Le gouvernement d’Union nationale formé par Gaston Doumergue au lendemain du 6 février 1934, dans lequel Germain-Martin était de nouveau chargé du portefeuille des Finances, fut confronté dès les premiers jours à la situation financière tendue qui prévalait depuis la fin de 1933, caractérisée par le reflux des capitaux étrangers, donc par un net resserrement du marché monétaire, et obérée de surcroît par l’arrivée à échéance de l’emprunt Clémentel de 1924, ainsi que par un nouvel alourdissement des programmes militaires. Wilfrid Baumgartner, sous la signature de Louis Escallier, directeur pour quelques jours encore, en avait averti Georges Bonnet le 15 janvier : « Le problème apparaît très simple et très grave. Il est bien évident que la trésorerie ne dispose pas des ressources nécessaires pour faire face aux dépenses envisagées. »62 À la fin du mois, Boisanger qui venait d’être nommé à la tête du Mouvement des fonds par François Piétri, estima les charges du Trésor pour le premier semestre à 7 milliards au moins63. Or il était impensable de recourir à de nouvelles émissions alors que l’affaire Stavisky était encore dans tous les esprits et que le crédit public était en outre fortement entamé par les rumeurs de dévaluation du franc64. Le Trésor fut donc presque chaque soir en déficit dans les écritures de la Banque de France et seul le soutien sans faille de ses correspondants et, au moins au début, des banques de dépôt lui permit au jour le jour d’éviter la cessation des paiements de l’État.
36Le fait marquant est à l’évidence la modification dans le mode de couverture du déficit de la trésorerie avant et après la constitution du cabinet Doumergue : au début de l’année, ce sont des concours d’origine bancaire qui couvrirent le déficit du Trésor, par souscriptions exceptionnelles de bons ou escompte d’effets commerciaux publics. C’est ainsi que les 2 et 12 janvier, les trois plus importantes banques, le Crédit lyonnais, la Société générale et le CNEP, sollicitées, avaient accepté à sa demande expresse de créditer le Trésor de plus de 1 200 millions, en renouvelant par anticipation un contingent de bons du Trésor qui n’arrivaient à échéance que quelques jours plus tard (pour un montant de 215 millions), en souscrivant de nouveaux bons (pour 100 millions) et également en escomptant des obligations à trois mois sur le Trésor public portant par exemple règlement pour des coupes de bois65 ! Mais à partir de février, les concours bancaires s’espacèrent et leurs montants diminuèrent. La couverture quotidienne du Trésor fut alors assurée par l’instauration d’un système de vases communicants : sur simple appel téléphonique de la direction du Mouvement des fonds, des virements en faveur du compte du Trésor à la Banque de France étaient effectués dans l’heure, ponctionnant les disponibilités de la Caisse des dépôts, de la Caisse autonome d’amortissement, de la Banque d’Algérie, de la direction de la Monnaie ou même des Finances de la Ville de Paris ou des Potasses d’Alsace. Ces expédients trahissent la relative abstention des banques à partir de février 1934, que l’on peut constater sur la figure n° 9. Cette évolution fut-elle la conséquence d’une modification dans les rapports entretenus entre le Trésor et la place ? Surtout, exista-t-il un lien entre l’attitude des banques en février-mars et l’orientation nouvelle de la politique économique, par les décrets-lois d’avril 1934, au service d’une logique déflationniste66? C’est tout l’enjeu de l’étude des rapports entre le Mouvement des fonds et le système bancaire entre février 1934 et mai 1936.
LE TRÉSOR, LA BANQUE DE FRANCE ET LA PLACE BANCAIRE DE PARIS
37Exposant deux ans après, en 1936, son œuvre financière, Germain-Martin sembla en effet rejeter la responsabilité des mesures de déflation sur les banques qui au cours des négociations du mois de mars auraient marchandé à ce prix leurs services67. Dans ses mémoires inédits, la charge s’est faite plus précise encore :
« Ouvertement, on déclarait dans les milieux bancaires qu’avant de répondre aux demandes du Ministre des Finances, on exigerait une politique sévère et définitive de redressement financier. [...] J’ai d’ailleurs toujours été surpris par le tempérament superbe des dirigeants de nos banques de dépôts dont la politique rappelle beaucoup plus une pratique d’épiciers en gros que de véritables financiers [...]. La France était ainsi le pays du crédit cher et cependant des capitaux faciles [...], ces messieurs espéraient certainement qu’avec l’accroissement des difficultés, ils pourraient un jour imposer leur volonté au gouvernement. Ils voulaient surtout faire obstacle à la politique de l’argent bon marché qui avait été et restait la règle du ministre chargé de la défense du crédit. »68
38Au début de mars 1934, les relations entre le ministère des Finances et les principales banques de dépôts se tendirent en effet quand le Trésor une fois de plus sollicita leur concours. L’examen des négociations alors menées par Wilfrid Baumgartner et Yves Bréart de Boisanger pour le Trésor, avec Édouard Escarra et le baron Brincard du Crédit lyonnais, Pierre de Mouy et Henri Ardant de la Société générale et Alexandre Célier, Charles Farnier et Henri Bizot du CNEP, permet de préciser exactement les circonstances de ce bras de fer. On dispose en effet sur cet épisode d’une double source : d’une part, le rapport qu’en rédigea Wilfrid Baumgartner lui-même à l’intention du ministre69 ; d’autre part, le compte rendu détaillé qu’Édouard Escarra, le directeur général du Crédit lyonnais, fit jour après jour des pourparlers70. Le croisement des deux points de vue permet de faire apparaître la plupart des enjeux mais aussi toute la réalité de la connivence conflictuelle des rapports entre le Trésor et les banques dans les années 1930.
39Le 2 mars eut lieu la réunion dans le bureau du ministre des Finances à laquelle Germain-Martin fit allusion, on l’a noté, dans ses souvenirs. Selon Baumgartner, le ministre demanda aux trois principaux établissements de crédit de l’aider « à faire la soudure » jusqu’en avril et d’envisager pour cela « la souscription à titre exceptionnelle et temporaire d’un contingent de bons de 1 500 millions », acceptant de relever d’un demi-point le taux d’intérêt de cette catégorie de bons, bien qu’il fût « partisan de réduire le taux de l’argent ». Escarra, dans son compte-rendu, reprit en effet ces éléments mais insista davantage sur la volonté affichée du ministre de réaliser « grâce aux pleins pouvoirs dont il entendait se servir énergiquement, au moins cinq milliards d’économie ». À cette requête, les représentants des banques, unanimes, exposèrent au ministre qu’il leur était impossible d’accroître encore leurs concours au Trésor, restés stables alors que dans le même temps, leurs ressources avaient baissé de plus de deux milliards, « du fait notamment du retrait des dépôts exceptionnels qui étaient venus de l’étranger en 1932 ». Farnier, inspecteur des Finances, ancien directeur du Mouvement des fonds et ancien sous-gouverneur de la Banque de France qui venait d’être appelé pour succéder à Célier à la direction générale du CNEP, conseilla plutôt au ministre, rapporta encore Escarra, de faire renaître la confiance, en donnant davantage de publicité à sa politique financière : « La confiance reviendrait plus vite, ajouta-t-il, et la clientèle française, qui a beaucoup thésaurisé, nous rapporterait des fonds avec lesquels nous pourrions souscrire de nouveaux bons du Trésor ». La fin de non-recevoir était explicite et tout aussi lumineux étaient les termes implicites du marché proposé par les banquiers : la souscription de nouveaux bons ne pouvait découler que d’une augmentation des ressources des banques, elle-même liée à un retour de la confiance que seule une politique énergique de compression des dépenses était à même de faire renaître.
40Très vite, dans les jours qui suivirent, il apparut que l’élément décisif de la négociation était en fait l’attitude que déciderait d’adopter Clément Moret, le gouverneur de la Banque de France. Le 4 mars en effet, Henri Ardant, le président de la Société générale, téléphonait à Escarra pour l’informer, rapporta le directeur du Crédit lyonnais, qu’il savait « de source sûre » que Germain-Martin après les avoir vus, avait fait à Clément Moret la même demande qu’aux banquiers. Mais le gouverneur lui aurait opposé un refus catégorique. Convoqués de nouveau, au Mouvement des fonds cette fois dans l’après midi du 5, les banquiers prirent la précaution de se réunir d’abord entre eux au Crédit lyonnais pour arrêter à l’avance une position commune : refus de toute souscription nouvelle, sauf, relatait Escarra, si le ministre obtenait de la Banque « qu’elle vienne au Ministère, nous apporter l’engagement formel de réescompter tous les bons que nous serions amenés à lui présenter, sans y mettre de conditions et notamment sans nous obliger à lui apporter, avec chaque bordereau, une certaine quantité de papier commercial ». C’était mettre en pleine lumière le problème de la concurrence à laquelle l’Institut d’émission et les banques se livraient depuis le début des années 1920 et qui se traduisit par la forte augmentation de la clientèle directe de la Banque dans cette période71. En 1935, la part de la clientèle directe dans le total du portefeuille proprement commercial détenu par la Banque de France devait même atteindre le maximum historique de 40 % (et de près de 80 % du papier de campagne)72. Les banques de dépôt mettaient de fait un point d’honneur à ne pas recourir au réescompte de la Banque qui aurait ainsi risqué de leur faire perdre leur clientèle. Le risque était grand en effet de la voir s’adresser dès lors directement à l’une des nombreuses succursales de la banque d’émission de manière à réduire de la sorte le coût de la transaction. Cette position largement partagée par la grande majorité des banques commerciales, comme cela avait été parfaitement analysé dans l’entourage de Moreau en 1926-192873, constituait l’un des blocages majeurs en vue de l’établissement d’un véritable marché monétaire en France. Wilfrid Baumgartner donna de l’entrevue qui eut lieu quelques heures après, dans le cabinet d’Yves Boisanger, un compte rendu qui mettait clairement en évidence la réalité de ce blocage : Escarra, au nom du front commun des banquiers, commença par réitérer « l’impossibilité matérielle » devant laquelle se trouvaient les banques de souscrire de nouveaux bons. « Même avec le réescompte à la Banque de France ? » l’interrompit Boisanger. « Nous ne savons rien à ce sujet », put lui rétorquer de Mouy. C’était bien la question cruciale. Par là se trouvait parfaitement cernée la position potentielle de la banque d’émission, à la clef de voûte de l’économie d’endettement en voie d’« institution ». Le directeur du Mouvement des fonds insista ; il pensait, expliqua-t-il, que les banquiers s’étaient mis en rapport avec l’Institut d’émission. En dépit du désir exprimé par de Mouy de rencontrer le gouverneur dans le bureau même du directeur du Mouvement des fonds, Boisanger, par faiblesse ou par calcul, leur demanda au contraire de se rendre rue de la Vrillière pour y examiner les conditions d’un éventuel réescompte des bons souscrits. Ce malentendu éclaire la nature encore largement incertaine, du moins du point de vue juridique, des rapports existants toujours à cette période entre le Trésor et la Banque de France, tout autant que la méfiance des banques vis-à-vis de la banque d’émission. Il relativise déjà quelque peu l’idée d’une collusion supposée donnée une fois pour toutes, des financiers entre eux, qu’ils fussent privés ou publics. Le dénouement de la crise après une semaine de négociations, les 7 et 8 mars, en donne une illustration supplémentaire.
41Le 6, le baron Brincard et Édouard Escarra se rendirent comme prévu chez le gouverneur de la Banque. Celui-ci, d’après le récit d’Escarra, leur aurait dit que le Trésor n’avait pas à « dicter aux banques leur politique », que les banques et le Mouvement des fonds devaient s’entendre entre eux et qu’il fallait en tout état de cause « se garder de créer un précédent que pourraient invoquer d’autres gouvernements », car, aurait ajouté Moret, que la Banque vienne à refuser une autre fois et à un autre gouvernement ce type de concours et la menace de « l’étatisation » serait brandie à nouveau comme elle l’avait été naguère par Caillaux. De plus, ajouta Moret, il fallait aussi tenir compte de « ses difficultés intérieures » : son sous-gouverneur, Pierre Fournier, était sur ce point précis d’une « intransigeance excessive » et, avoua le gouverneur, « le conseil de régence aurait plutôt tendance à le suivre ». Dans l’après-midi, après avoir exposé à de Mouy et Célier la position de la Banque, Escarra eut un entretien téléphonique avec Boisanger qui, chose curieuse, put lui assurer qu’il était arrivé à un accord avec Moret. Devant les dénégations d’Escarra qui était sorti du cabinet du gouverneur avec une impression inverse, Boisanger lui demanda de retourner rue de la Vrillière : le directeur du Trésor, écrivit de fait le directeur général du Crédit lyonnais, « voudrait que nous reprenions la conversation avec M. Moret. Nous nous y refusons : c’est à lui d’obtenir de la Banque qu’elle renonce à ses prétentions ». Pourtant le lendemain, les dirigeants du Crédit lyonnais, qui jouèrent en cette affaire un rôle prépondérant, comme toujours lorsque les relations avec le Trésor étaient en jeu, retournèrent rue de la Vrillière. Le gouverneur aurait alors fait preuve de peu de force de caractère, se disant réduit à donner sa démission : « Il n’a plus d’autorité sur la place, rapportait toujours Escarra, il est harcelé par le Ministère des Finances, qui le presse d’aboutir. Il fait preuve de beaucoup plus d’esprit de conciliation que ses propres services. S’il n’est pas suivi par les banques, c’est, dit-il, qu’il est inférieur à sa tâche et qu’il n’a qu’à y renoncer. » Et Moret se serait même avoué « choqué » par l’intransigeance des banques : « elles auraient dû répondre oui ou non au Ministère sans mettre en cause la Banque et s’entendre directement avec celle-ci sans faire intervenir le Mouvement des fonds ». Les banquiers se seraient alors tous rendus, à la suite de cette scène, dans le bureau du gouverneur de la Banque pour le « réconforter » selon Escarra. Le Crédit lyonnais semble avoir alors appelé à la conciliation générale : le tout était d’éviter tout automatisme et de juger de la situation au coup par coup. C’est le sens de la réunion du 8 qui réunit les dirigeants des banques au Mouvement des fonds. Baumgartner en résuma clairement les résultats : « les Établissements se refusent à prendre des engagements pour des montants déterminés, la Banque de France se refuse à en prendre pour sa part ». Escarra rapportait de son côté que les banquiers avaient alors réaffirmé la nécessité pour le gouvernement de prendre « des mesures financières positives » afin, poursuivait-il, « d’accentuer le retour à la confiance, ce qui faciliterait beaucoup notre effort ». Germain- Martin leur aurait alors affirmé, à en croire Escarra, que les banques pouvaient compter sur la Banque de France, « dût-il, pour l’y amener, faire intervenir auprès d’elle le président du Conseil et le président de la République ». Une courte notation de Baumgartner, en manière d’épilogue, concluait la crise : « Le mercredi 14 mars les trois grands Établissements ont souscrit, conformément à cet accord verbal, 200 millions de bons du Trésor. Seule, semble-t-il, la Société générale a eu recours au réescompte ».
42Cet épisode montre, à cette échelle d’observation, qu’à l’évidence la « dictature » du Mouvement général des fonds sur les banques, dans les années 1930, est à relativiser : ni la Banque de France, ni les banques de dépôts n’obtempérèrent aux demandes du ministre. Il n’y eut pas l’ombre n’ont plus dans cette affaire d’une quelconque alliance occulte entre financiers, ni solidarité de corps automatique entre des hommes qui, pour beaucoup d’entre eux, Ardant, Célier, Boisanger, Farnier, Bizot, Baumgartner, étaient pourtant inspecteurs des Finances. De profondes oppositions au contraire dominèrent toute la négociation : entre les banques soucieuses de leur coefficient de liquidité et le Trésor aux abois ; entre la Banque de France et les banques commerciales qui se disputaient la clientèle ; entre la Banque et le ministère des Finances entre lesquels planait toujours la menace d’une étatisation ; au sein même de la Banque où plusieurs pouvoirs existaient face au gouverneur, dont le sous-gouverneur allié en l’occurrence aux régents, et au sein même des banques de dépôts où l’esprit de conciliation des dirigeants du Lyonnais tranchait avec l’intransigeance plus affirmée de la Société générale. Ces oppositions qui compartimentaient à l’extrême le marché monétaire, les faiblesses humaines aussi qu’elles révélèrent chez un Clément Moret incapable d’exercer son autorité sur la place ou même dans sa propre maison, chez un Yves Bréart de Boisanger impuissant à se faire obéir et de la Banque de France et des banques commerciales, mettent en évidence combien la mise en place de formes d’économie d’endettement au sein du système financier français fut davantage, au coup par coup, le produit de la nécessité que d’une volonté cohérente de réforme. Il n’en reste pas moins vrai que l’épisode contribua in fine à faire jouer, dès cette date, par l’intermédiaire des banques commerciales, des mécanismes de monétisation des créances du Trésor public en « premier ressort » par la banque d’émission. Baumgartner soulignait lui-même que cela avait été le cas au moins pour la Société générale. Il a marqué en ce sens une étape supplémentaire dans le long processus d’institution d’une économie d’endettement, en France, au xxe siècle. C’est à la lumière de cette configuration particulière du système financier français qu’il convient de replacer la politique financière nouvelle tentée sous l’impulsion de Pierre-Étienne Flandin de janvier à mars 1935, sur la base des réformes envisagées à compter de la formation de son gouvernement le 8 novembre 1934, notamment dans l’entourage de Germain-Martin demeuré ministre des Finances.
« L’EXPÉRIENCE » FLANDIN : ÉCONOMIE D’ENDETTEMENT ET ÉCONOMIE DE MARCHÉ FINANCIER (JANVIER-MARS 1935).
43« L’expérience Flandin », comme titra au début de mars 1935 L’Europe nouvelle qui lui consacra un numéro spécial74, mit avec plus de force encore en évidence les blocages qui s’étaient déjà manifestés au printemps de 1934. Elle gagne ainsi à être étudiée non comme un simple intermède, entre la déflation amorcée par Doumergue et la déflation continuée par Laval, mais au contraire dans la continuité des évolutions qui ont affecté le système financier français au xxe siècle. Les mesures de politique financière prises de janvier à mars 1935 apparaissent ainsi avoir reposé de manière contradictoire à la fois sur un renforcement des mécanismes d’économie d’endettement et sur une volonté de restauration des logiques d’une économie de marché financier. Cette contradiction fondamentale explique, au-delà des oppositions qu’elle suscita, particulièrement de la part de la Banque de France, que l’expérience Flandin ait tourné court rapidement. Elle explique aussi la difficulté avec laquelle cette tentative originale a été analysée, généralement en référence à un vague « keynésianisme » pourtant largement anachronique à cette date et bien peu adapté, en tout état de cause, aux options idéologiques de Flandin : « politique assez keynésienne, sans le dire et sans doute sans le savoir » pour Alfred Sauvy75 ; programme « inspiré de Keynes, mais simplifié et incomplet » estime Jean-Noël Jeanneney76 ; « pause keynésienne avortée ? » s’interroge pour sa part Michel Margairaz77. En fait, comme l’exposait en 1937 Flandin lui-même, revenant très lucidement sur les raisons de son échec, son programme financier visait à résoudre en même temps « le double problème de la reprise économique et de l’équilibre budgétaire »78. Il excluait par conséquent d’emblée toute mesure de reflation impliquant une aggravation des dépenses publiques. L’inspiration « keynésienne » convenait mieux, à l’évidence, à l’autre bord politique. La sortie de crise, dans l’esprit du nouveau président du Conseil, passait au contraire par une série de mesures propres, selon ses propres termes, à alléger « les charges financières grevant les entreprises »79.
44En ce sens, elle rattacherait donc plutôt l’expérience de janvier 1935 à la philosophie globale d’une politique de l’« offre », avant la lettre80. Comment dès lors interpréter l’expérience Flandin comme une politique de la demande ou comme une politique de l’offre ? En substituant à cette alternative, celle, quelque peu différente, opposant formes d’économie d’endettement et formes d’économie de marché financier, on replace l’expérience Flandin (et son échec) dans une lumière largement nouvelle. Elle a également constitué une expérience à bien des égards déterminante pour Wilfrid Baumgartner qui nommé, comme on l’a vu, à la tête de la direction du Mouvement des fonds au début de janvier 1935 s’est alors retrouvé en première ligne de la politique financière.
SORTIR DE LA CRISE PAR UNE POLITIQUE DE MARCHÉ FINANCIER
45Dans les premiers jours de novembre 1934, quelques jours à peine après la formation du cabinet Flandin, un « projet de plan de restauration économique » fut élaboré au ministère des Finances sous la direction conjointe du président du Conseil et de Germain-Martin avec le concours des grands commis du ministère des Finances, dont Baumgartner81. Les grandes lignes de cette politique furent résumées en une note datée du 12 novembre 1934 qui fut communiquée à la direction du Mouvement des fonds pour avis, ainsi qu’au directeur de la Caisse des dépôts, toujours Jean Tannery à cette date, dans les papiers personnels duquel elle a été conservée82. Elle permet de prendre toute la mesure de la politique nouvelle alors envisagée : elle visait prioritairement à provoquer une baisse des prix de revient sans pour autant recourir à la déflation : « on ne fait pas une politique de déflation, analysait la note, on la laisse se faire. [...] Il convient de marquer ici qu’une politique d’assainissement économique et monétaire devra avant tout dissiper l’absurde mythe de la déflation »83. Néanmoins, les pouvoirs publics pouvaient créer un environnement financier propice à la baisse naturelle des prix de revient par la définition d’une véritable politique des taux d’intérêts :
« Supprimer les obstacles à la baisse du prix de l’argent à court terme et à long terme – c’est en effet un élément essentiel des prix de revient – en abaissant progressivement le taux de l’escompte de la Banque d’émission tant que l’encaisse-or augmentera ; en évitant que la politique d’emprunts du Trésor à court ou à long terme ne tende à augmenter ou à soutenir les taux d’intérêts. »84
46Cette analyse n’était pas complètement nouvelle. Elle était présente, on l’a souligné, dans les justifications économiques de la conversion des rentes de 1932. De même, dès octobre 1934, soit avant la constitution du ministère Flandin, Germain-Martin exposait déjà devant la commission des Finances de la Chambre que « toute la politique faite depuis le mois de février tend[ait] à ce résultat : éviter que l’État n’intervienne sur les marchés de l’argent »85. Elle reposait en tout cas sur une réalité, la hausse continue des taux d’intérêt à long terme en France depuis le début de la crise allant de pair avec un effondrement du marché financier, qui se combinaient pour alourdir les coûts et contribuaient à l’atonie des investissements productifs86. Par suite, concluait la note du 12 novembre, « les dispositions tendant à la baisse du taux de l’intérêt sont l’instrument essentiel d’une pareille politique. Elles devront être complétées par une extrême libéralité de la Banque d’Émission en matière d’escompte et surtout de réescompte »87. Wilfrid Baumgartner donna à ce programme un commentaire fort complet dans une note datée du 17 novembre qu’il rédigea à l’intention de Germain-Martin en réponse « au plan de restauration économique » exposé dans la note programme du 1288.
« Tout en [s]e ralliant naturellement » à ses conclusions d’ensemble, il insista sur les difficultés d’exécution du plan : les marchés de l’argent, écrivait-il, étaient en effet caractérisés par « l’écart sensible qui sépar[ait] les taux d’intérêts pratiqués respectivement sur le marché à court terme et sur le marché à long terme. Les premiers [étaient] nettement inférieurs et les seconds nettement supérieurs aux taux moyens d’avant-guerre. L’action du Gouvernement devrait surtout porter – et le projet le fait également ressortir – sur l’abaissement du loyer de l’argent à long terme »89.
47Or, poursuivait Baumgartner, cet effort, louable en soi, risquait de se heurter à la prudence des détenteurs de capitaux :
« C’est une constatation banale que celle de l’importance des capitaux thésaurisés. Mais elle demeure essentielle. Tant que les épargnants n’auront pas repris confiance, tant que, pour des raisons plus ou moins valables, tenant à la situation économique ou politique, nationale ou internationale, ils répugneront à investir leurs avoirs en placements à long terme, l’abaissement du loyer de l’argent restera difficile ou précaire. »90
48Ce scepticisme était renforcé, aux yeux du responsable de la gestion de la trésorerie, par la considération des charges qu’il incombait à l’État de financer et qui impliquaient de toute façon de recourir à l’emprunt et donc de peser d’une manière ou d’une autre sur le marché financier dans le sens de la hausse des taux. Il soulignait ainsi que le seul déficit des chemins de fer faisait peser annuellement sur le marché financier la charge de quatre milliards d’emprunts. Par suite, commentait-il, « un plan de restauration économique qui ne comprendrait pas aussi des mesures destinées à remédier à cette situation, notamment par la réalisation à un rythme plus rapide de la coordination entre le rail et la route, comporterait une grave lacune »91. Là était en effet toute la difficulté de la politique envisagée : l’État pouvait-il s’abstenir pendant un laps de temps suffisant de tout appel au marché des capitaux de façon à permettre à une baisse des taux de s’amorcer et à la reprise des investissements de se produire ?
49Le concours financier des satellites du Trésor, la Caisse des dépôts au premier chef, mais aussi la Banque de France était donc essentiel au succès de l’opération. Une note émanant selon toute vraisemblance de la Caisse des dépôts elle-même fixa clairement toutes les modalités et les enjeux d’un tel soutien :
« La baisse de l’argent à long terme qui doit suivre la hausse des fonds d’État offre un tel caractère d’intérêt général que tout plan financier doit être dominé par la recherche de cette hausse et de sa consolidation. [...] Or, il est clair que ce résultat ne peut être obtenu que par une cessation totale des émissions sur le marché pendant la période de consolidation de la hausse. »92
50C’était pendant cette période délicate que les interventions de la Caisse des dépôts et de la banque d’émission étaient capitales. Le concours de la Caisse devait pouvoir représenter un apport d’environ 12 milliards : soit 2 500 millions par renouvellement de tous les bons de la Défense nationale qu’elle détenait en portefeuille et qui arrivaient à échéance en 1935, suivi d’une vente pour l’équivalent de 3 500 millions des bons plus anciens que la Caisse espérait pouvoir vendre à partir de juin sur un marché revigoré qui devait être en mesure de les absorber. En outre, Tannery donna son accord pour faire souscrire par son établissement les titres émis en vue de financer l’assainissement du marché du blé et les fortifications de frontières, soit un total de quatre milliards supplémentaires, auquel il convenait d’ajouter un milliard encore affecté au financement du plan Marquet de grands travaux et entièrement pris en charge par la Caisse93. Or, sur la base des estimations du Mouvement des fonds, les charges totales du Trésor en 1935 à financer sur ressources de trésorerie devaient atteindre 17 milliards. Il manquait donc cinq milliards, qui, prescrivait la note de la Caisse des dépôts, pourraient « être obtenus pour assurer l’ensemble de l’exécution du plan sans émission de valeurs à long terme par le relèvement du plafond des bons du Trésor de dix à quinze milliards »94.
51Sans doute, admettait-on à la Caisse des dépôts, le placement de cinq milliards de bons nouveaux soulèverait très certainement « quelques difficultés », notamment de la part des banques déjà fortement sollicitées. C’est pour cette raison que le rôle de la Banque de France serait en cette affaire crucial : « sans renoncer à aucune de [ses] positions de principe », l’Institut d’émission devait en effet être amené à modifier ses conditions de réescompte de façon à encourager les banques à souscrire ce contingent de nouveaux bons, sans craindre de diminuer en cette période d’incertitude économique la liquidité de leurs actifs95. Comme l’avait déjà exprimé Baumgartner en novembre, ce plan n’allait donc pas sans « de sérieuses difficultés »96. Il s’agissait ni plus ni moins d’engager une réforme du système financier dont le succès était suspendu en dernière analyse à l’accord de la Banque de France. La banque d’émission se voyait ainsi, de manière très nette, investie d’une fonction nouvelle : dans la pensée de Flandin, elle devait cesser d’accumuler passivement de l’or dans ses caves et de priver par là même « le pays de tout le pouvoir d’achat auquel l’or accumulé aurait pu servir de base », politique qui revenait finalement « à organiser la dépression économique »97. À rebours de cette attitude passive, la Banque devait accepter de jouer un rôle actif au service de l’économie productive en s’engageant à mobiliser plus largement, et sans limitation de durée, les créances à court terme du Trésor que les banques pourraient à tout moment lui apporter au réescompte. De la sorte, la Banque de France deviendrait l’instrument principal d’une politique nouvelle, « tendant à établir le bon marché de l’argent et la sécurité du réescompte »98. Ces vues participaient d’une logique très différente de celle qui visait à ranimer le marché financier en provoquant une baisse des taux d’intérêt. Elles visaient, fondamentalement, comme le résuma Flandin, « à mettre la Finance au service de l’État et non l’État au service de la finance »99. C’était s’inscrire très résolument dans une logique d’économie d’endettement. Cette politique financière inédite, en rupture avec bien des traditions, s’accompagna d’un brutal renouvellement des cadres dirigeants du système financier institutionnel.
LE COUP D’ÉTAT ADMINISTRATIF ET FINANCIER DE JANVIER 1935
52Le 3 janvier 1935, Germain-Martin présenta aux lecteurs de L’Information économique et financière les principes généraux de son plan de sortie de crise au moyen d’une réforme des circuits de l’argent : la reprise des affaires, expliquait- il une fois de plus, était liée au retour dans les circuits de l’argent des capitaux thésaurisés, notamment de l’or détenu par les particuliers. En effet, ajoutait-il, « si l’or [...] ne concourt pas à l’activité du pays, il est une relique inutile » ; la « déthésaurisation » exigeait cependant l’organisation à Paris, à l’instar du marché monétaire de Londres, « que l’on p[ouvait] considérer comme un modèle », d’un véritable marché de l’argent appuyé, selon le ministre, sur « une féconde collaboration de l’Institut d’émission, des caisses publiques et de l’organisme bancaire de la place [qui] fournira le volant de la remise en marche de l’activité économique »100. Il s’agissait donc bien explicitement, dans l’esprit des responsables de la politique financière au début de 1935, comme en atteste une note conservée dans les papiers Baumgartner et émanant du cabinet du ministre, de « substituer à une politique de cristallisation, de stagnation, une politique d’activité et de souplesse du crédit ». Or cette politique, concluait la note, ne pouvait « être tentée qu’avec le concours de personnes de premier plan »101. Tel était le sens du mouvement administratif qui renouvela profondément l’état-major financier de l’État dans les premiers jours de janvier 1935. Tel était aussi le contexte particulier qui vit Baumgartner placé à la tête de la direction du Mouvement des fonds.
53La presse, frappée de l’ampleur du mouvement et de la jeunesse de certains des nouveaux promus102, commenta abondamment les nominations nouvelles rendues publiques le 2 janvier 1935. Commentaires insistait particulièrement sur la jeunesse de Wilfrid Baumgartner « rose et poupon » qui à trente-deux ans n’en paraissait pas vingt-cinq, et d’Henri Deroy, âgé de trente-quatre ans, « glabre et long, un peu anguleux », nommé en remplacement de Jean Tannery à la tête de la Caisse des dépôts103. Jean Tannery, appelé à la tête de la Banque de France, était lui plus âgé et pouvait se prévaloir d’une autorité plus ancienne : né en 1878, fils de Jules Tannery qui avait été directeur adjoint de l’École normale supérieure, Jean Tannery était entré dans le cercle des proches de Raymond Poincaré par son mariage, vers 1920, avec la fille du bâtonnier Fernand Mainié, ami de jeunesse de Poincaré. Placé à la tête de la direction de la Comptabilité publique en 1923, il avait été nommé directeur général de la Caisse des dépôts en février 1925 par Clémentel, alors ministre des Finances du Cartel des gauches104. Ce passé explique que le personnage ait pu jouir d’un certain ascendant sur Baumgartner et Deroy plus jeunes. Les circonstances de sa nomination rue de la Vrillière en remplacement de Clément Moret permettent de préciser en partie les causes de l’échec de l’expérience Flandin, mais aussi la portée de la réforme envisagée. Le Figaro salua certes la nomination à la Banque de Tannery, homme qu’il jugeait « d’un conformisme irréprochable », mais s’inquiétait néanmoins, de manière un peu vague, « des projets d’open market » que pouvait laisser présager le mouvement administratif105. La tonalité était semblable dans L’Intransigeant qui craignait que le remplacement de Moret ne fût motivé par la volonté du Trésor d’obtenir de la banque d’émission la faculté pour les banques de présenter sans limite des bons du Trésor au réescompte106. C’était l’hypothèse retenue également, sous la plume de Marcel Bidoux, par Le Populaire : le départ de Moret y était présenté comme la sanction de son incapacité à faire accepter par les régents le réescompte des bons souscrits par les banques :
« On pense que M. Tannery aura plus d’autorité que l’excellent, modeste et timide M. Moret pour faire marcher le Conseil de régence. [...] M. Tannery a donc formellement promis à M. Flandin de faire passer les Régents sous ses fourches caudines. Y réussira-t-il ? »107
54C’était poser, au-delà du renouvellement des hommes, le problème de la réforme du système financier et des résistances cristallisées, comme souvent dans l’histoire financière française au xxe siècle, autour du rôle que devait y jouer – ou non – la Banque de France.
INSTITUER L’ÉCONOMIE D’ENDETTEMENT : « LES AVANCES À 30 JOURS SUR EFFETS PUBLICS » (21 FÉVRIER 1935)
55Germain-Martin, dans ses mémoires inédits, source précieuse car l’amertume évidente de leur auteur à cette date à la fois force le trait mais leur donne aussi une rare liberté de ton, donna du limogeage de Clément Moret une version qui confirmait en effet les conjectures de la presse et portait encore la marque du souvenir de l’épisode de mars 1934 :
« M. Flandin et moi-même eûmes l’impression que le Gouverneur de la Banque de France, M. Moret, au lieu de seconder le gouvernement, subissait passivement les régents. Ceux-ci étaient arrivés à la conception d’une indépendance absolue vis-à-vis de l’État et le Gouverneur de la Banque, représentant du gouvernement, nommé par lui, révocable par lui, avait sous l’influence du milieu, les mêmes idées que les régents. »108
56Le remplacement du trop pusillanime gouverneur par le directeur de la Caisse des dépôts qui depuis 1931 avait secondé le Trésor presque sans défaillance était donc le maillon essentiel de la nouvelle politique financière qu’entendaient mettre en œuvre Flandin et Germain-Martin. Mais une fois nommé à la Banque, Tannery déçut, semble-t-il, les attentes du ministre des Finances :
« Il [Moret] était remplacé par M. Tannery. C’était un homme de caractère entier qui se prenait pour un financier de grande valeur et s’accordait une multitude de connaissances qui étaient bien plus souvent superficielles que réelles. Une fois nommé, au lieu de soutenir fermement la politique de réduction du taux de l’intérêt [...], il se plaça du côté des régents pour montrer beaucoup de réserve en ce qui concernait les opérations que nous réclamions pour alléger le marché et faciliter à l’industrie un départ nécessaire, soit par la diminution du loyer de l’argent, soit par la formation de grandes disponibilités que le milieu des affaires pourrait désormais solliciter. »109
57Ainsi, le retournement de Tannery, dont Jean-Noël Jeanneney a bien montré, sur la base notamment des cahiers de François de Wendel, les circonstances et le rôle déterminant joué en l’espèce du côté des régents par le maître de forges110, pouvait expliquer l’échec de l’expérience. La résistance de « certaines oligarchies » – l’allusion transparente est de Flandin111 – semblait donc l’avoir finalement emporté sur l’esprit de réforme.
58On manquerait toutefois la portée véritable de la réforme du système financier tentée sous Flandin à s’en tenir au seul affrontement des hommes et des ambitions du moment. Elle a en effet constitué, même si ce n’était bien sûr pas son objectif, la première tentative pour institutionnaliser un mécanisme d’économie d’endettement en France. La nouveauté en l’occurrence n’était pas de faire escompter par la banque d’émission des effets publics par l’intermédiaire des banques commerciales. Le procédé, on l’a vu, avait été appliqué largement depuis le début de la crise des années 1930. Il était en fait au moins aussi vieux que la Banque de France elle-même et fut employé en fait tout au long du xixe siècle, sans difficulté sérieuse, lorsqu’il s’était agi de redonner ponctuellement un peu d’aisance à la trésorerie de l’État. La mobilisation des effets publics reposait alors sur le truchement des receveurs généraux ou bien des adjudicateurs de coupes de bois nationaux, soit plus directement encore sur la fiction de bons du Trésor supposés présentés à l’escompte par de simples particuliers112. Ces opérations étaient certes toujours restées discrètes, voire secrètes, car elles n’étaient pas formellement autorisées par les statuts fondamentaux de l’Institut d’émission qui depuis l’origine restreignait explicitement sa faculté d’escompte aux lettres de change et aux effets commerciaux113.
59De ce fait, ces « expédients », c’était le terme consacré, n’étaient en rien « automatiques »114. Ils avaient toujours ménagé, au moins pro forma, le pouvoir discrétionnaire de la Banque. C’est sur ce pouvoir d’ailleurs, comme l’a si bien souligné Sayers, que reposait « après Bagehot » et que repose largement de nouveau de nos jours, l’essence même du central banking115. Or, la politique financière tentée par Flandin et Germain-Martin au début de 1935 prétendait s’attaquer à ce principe même. Wendel, qui siégeait au Conseil de régence depuis 1913, ne s’y était pas trompé : « Je vous préviens, aurait-il déclaré dès le début à Flandin, que le Conseil ne se laissera pas engager par un acquiescement tacite »116. Telle était bien, d’après ses propres termes, « la grosse question de principe »117. Germain-Martin fut d’ailleurs amené à préciser quelque peu sa pensée sur ce point devant la commission des Finances de la Chambre le 23 janvier 1935 :
« [Jusqu’ici] la Banque de France se refusait à dire : oui, j’admettrai [le réescompte des bons du Trésor]. Elle lésinait, hésitait, elle avait sans cesse une attitude de doute et de crainte, ce qui a gêné énormément le marché. Les notes que j’ai des spécialistes qui ont une pratique de plus de quarante ans sur la place de Paris disent : le jour où vous habituerez la Banque à avoir une compréhension saine, prudente et large [sic] des besoins, vous n’aurez plus de ces coincements que vous avez eus »118.
60Il s’agissait donc, en pratique, de réformer sinon la lettre du moins l’esprit des statuts de la banque d’émission. L’objectif en l’espèce était bien de garantir la mobilisation automatique et illimitée des bons du Trésor que les banques pourraient, à leur gré et non plus à la discrétion de la Banque centrale, présenter à son réescompte. L’exposé des motifs de la loi du 21 janvier 1935 tendant à autoriser le Trésor à émettre pour cinq milliards de bons met bien en évidence cette transformation jugée nécessaire du rôle de la banque d’émission119 : la réforme des règles qui présidaient depuis 1808 à l’escompte devait donner aux souscripteurs éventuels d’effets publics « la certitude de trouver, en cas de besoin, le moyen de mobiliser rapidement leur avoir grâce à une organisation moderne d’escompte de papier, [...] indispensable à l’activité d’un grand marché »120. Et, comme en 1926-1928 dans l’entourage de Moreau, la Banque d’Angleterre et son rôle sur le marché monétaire étaient cités en exemple de cette modernité. Bien à tort, au demeurant, puisque le mode d’achat et de vente d’effets du Trésor par la banque d’émission sur la place de Londres restait caractérisé, tout au contraire, par un pouvoir discrétionnaire demeuré intact malgré la crise (ou du fait de la crise) et qui excluait précisément tout automatisme121.
61En fait, les exemples de cette modernité financière là, celle qui visait à organiser et à garantir la sécurité et donc l’automaticité de la mobilisation des créances par la banque d’émission, devaient être recherchés dans les années 1930 bien davantage sur le continent que de l’autre côté de la Manche. C’est en Allemagne que les formes d’économie d’endettement s’étaient développées à cette date de la manière la plus nette avec l’innovation, à compter de 1933, des « traites de travail ». La paternité de cet instrument financier original revenait, comme on sait, à Hjalmar Schacht, nommé par Hitler président de la Reichsbank en mars 1933 et cumulant le titre de ministre de l’Économie du Reich à partir d’août 1934122. Le principe des traites de travail reposait précisément sur leur faculté de mobilisation automatique et immédiate par la banque d’émission. Parmi ces « effets spéciaux » (Sonderwechsel), les effets-MEFO ont joué le rôle le plus important, puisqu’ils ont constitué, au moins jusqu’en 1936, la source de financement principale, sinon unique, du réarmement allemand123. Leur nom, comme l’expliqua après coup Schacht lui-même, était l’abréviation de la société anonyme Metall-Forschungs A.G. (Société de recherche métallurgique), fondée en 1933 par quatre très grandes entreprises allemandes : Siemens, Krupp, Gutehoffnungshütte et Rheinstahl. Cette petite société au capital réduit d’un million de Marks fonctionnait en pratique comme une simple société écran sur laquelle toutes les entreprises fournisseurs de l’État, particulièrement dans le domaine militaire, pouvaient tirer, par l’intermédiaire des banques commerciales, des traites mobilisables, sans limitation aucune, auprès de la Reichsbank. Tel était, de l’avis même de son inventeur, « la conception toute simple du système des effets-Mefo »124.
62Sans doute, ainsi conçu, le dispositif de financement monté sous le régime nazi, notamment en raison de la participation des grandes firmes industrielles privées au circuit de création monétaire, n’était pas directement comparable avec le mécanisme de mobilisation automatique des bons du Trésor envisagé par Flandin et Germain-Martin au début de 1935. Il n’empêche : le principe des deux mécanismes de mobilisation était identique – porteurs, l’un comme l’autre de formes d’économie d’endettement –, comme étaient exactement semblables leurs motivations : provoquer par le levier du crédit et dans la sécurité financière instituée sous l’égide d’une banque d’émission devenue économiquement plus active que passive, une reprise du mouvement des affaires propre à sortir l’économie de la dépression. En tout état de cause, par-delà l’échec de Flandin de 1935, le précédent non dénué de succès du docteur Schacht allait poser sur de nouveaux frais la question du crédit et le problème du financement de l’économie en France pour de nombreuses années125. En un sens, une fois la guerre survenue et la défaite de la France consommée, la création des obligations cautionnées à compter de 1940 et plus encore du crédit à moyen terme mobilisable à partir de 1944 tirèrent ce qu’Alfred Pose a justement désigné dans son traité sur la monnaie de 1942 comme « la leçon allemande »126. Pour Baumgartner, à cette époque passé à la tête du Crédit national, la leçon ne fut pas perdue non plus.
63Dans l’immédiat, pourtant, les résistances suscitées par l’expérience Flandin furent finalement les plus fortes. À commencer sans doute par celles du directeur du Trésor qui n’aurait pas caché en privé la méfiance qu’il nourrissait vis-à-vis de la politique financière menée par le gouvernement. C’est ainsi qu’au cours d’un déjeuner commun chez Pierre de Brissac, Baumgartner aurait confié à Wendel son « ahurissement » devant « les insanités financières » que contenait le discours dans lequel Flandin venait, à l’occasion de l’inauguration de la foire de Lyon, le 10 mars 1935, de dénoncer les obstacles qu’avait mis la Banque de France à la réalisation de son expérience127.
64La tactique de Wendel, appuyé sur Rothschild et sur la majorité des régents, consista en effet, comme l’a bien établi Jean-Noël Jeanneney en confrontant notamment les procès-verbaux du conseil général de la Banque aux cahiers de Wendel, de proposer dès le 18 février au gouvernement une solution transactionnelle permettant d’éviter de poser la question de principe d’une mobilisation automatique et illimitée des bons du Trésor par l’Institut d’émission128. On créerait au bilan de la Banque de France un poste nouveau « d’avances sur titres pour effets à court terme » qui permettrait la mobilisation au profit exclusif des banques de bons du Trésor, à un taux légèrement supérieur à celui de l’escompte mais dans les limites d’un plafond qui fut effectivement fixé au cours de la séance du conseil du 21 février 1935 et sur proposition expresse de Wendel à 2,5 milliards de francs129. Cette décision aboutit donc, de fait, à l’apparition à compter du 29 mars 1935 d’une nouvelle ligne dans les situations hebdomadaires de l’Institut d’émission et, partant, à la création d’un actif nouveau, les « avances à 30 jours au maximum sur effets publics à échéance déterminée n’excédant pas deux ans ». Le fait n’est pas si courant dans l’histoire de la banque d’émission dont la physionomie du bilan n’avait guère changé depuis les années 1880. Il convient à ce titre de lui prêter davantage d’attention qu’on ne le fait généralement.
65Sans doute les régents avaient-ils pour l’essentiel sauvé la face. Comme le souligne Marcel Netter, qui fut dès cette époque à la direction des Études de la Banque un témoin privilégié de ces péripéties, le choix de la voie secondaire des « avances » de préférence à la voie royale de l’escompte sauvegardait en apparence la lettre des statuts de la Banque et le principe de son pouvoir discrétionnaire sur les évolutions de ce poste très en vue, de ses situations hebdomadaires130. Sans doute, l’imposition d’un « plafond » – disposition inédite dans le cas de la banque dite centrale et qui n’avaient été appliquée jusque-là occasionnellement qu’à ses comptoirs – semblait à même de réduire à la portion congrue la nouvelle rubrique apparue au bilan de l’Institut d’émission. Et de fait, la croissance du poste des avances à 30 jours demeura dans l’immédiat globalement très faible et le plafond fixé à l’origine, pourtant modeste puisqu’il équivalait à 2,5 % du total de la valeur courante de l’actif de la Banque à cette date, ne fut jamais dépassé jusqu’en mai 1940. Faut-il en conclure pour autant, à la suite de la plupart des auteurs, que l’importance du nouveau mécanisme fut négligeable131 ?
66À considérer en plus longue durée, de mars 1935 à janvier 1968, date à laquelle il fut finalement supprimé, les évolutions qui ont caractérisé semaine après semaine le poste des avances publiques à 30 jours, on remarque, au contraire, deux faits d’une certaine importance : d’une part, la grande volatilité du poste qui témoigne en fréquence hebdomadaire de variations relatives de grande ampleur ; d’autre part, la tendance générale à la croissance exponentielle de la valeur courante de cet actif pendant plus de trente ans, particulièrement accusée après la Seconde Guerre mondiale.
67Tel quel, le mécanisme de refinancement institué en février 1935 n’était donc pas demeuré inactif. Dès le mois de mai 1935, au plus fort de la crise monétaire provoquée par la dévaluation du franc belge, le montant des avances passait ainsi brutalement de 10 millions le 26 avril à 133 millions le 3 mai, et devait atteindre ponctuellement le milliard à la fin mai au maximum de l’hémorragie d’or qui devait d’ailleurs entraîner à cette date la chute du cabinet Flandin. De la même manière, retombées en dessous de 100 millions au début de l’automne 1935, les avances s’accrurent de nouveau brutalement en novembre et décembre 1935, passant de 73 millions fin octobre à plus d’un milliard à compter de la fin novembre, dans le contexte de la deuxième grave crise monétaire de l’année, provoquée cette fois par le retrait du gouvernement Laval des ministres radicaux ralliés au Front populaire. La volatilité du poste s’accusa encore après l’arrivée au pouvoir du Front populaire, culminant dans les semaines qui précédèrent la dévaluation et dépassant même 1 600 millions au bilan du 2 octobre 1936 et franchissant le seuil des 2 milliards au début de novembre 1938 à l’occasion de la crise monétaire qui suivit les accords de Munich.
68Ces fluctuations prouvent que l’institution des avances à 30 jours avait répondu à un besoin véritable au sein du système financier français des années 1930 : celui d’apporter une réponse de nature institutionnelle au problème particulièrement crucial en France du refinancement bancaire, posé, comme l’a souligné Jean Bouvier, à partir de la rupture de la Première Guerre mondiale132, mais rendu encore plus aigu par l’instabilité monétaire internationale chronique qui fut l’une des manifestations principales de la crise déclenchée en 1929. En ce sens, le mécanisme profita d’abord, sans conteste, aux banques qui en étaient le bénéficiaire exclusif. Wendel l’avait d’emblée parfaitement compris : « l’affaire, notait-il en février 1935, est évidemment bonne pour les banques »133. Cette communauté d’intérêt entre le Trésor et les banques, au-delà des représentations dominantes des acteurs du moment qui, au contraire, tendaient à les opposer, était donc de nature structurelle. Cette « connivence » entre le Trésor et les banques, si bien relevée par Pierre Dieterlen dans sa chronique bancaire de 1936 pour la Revue d’Économie politique, était donc de nature fonctionnelle134. Elle a assurément constitué l’un des ressorts principaux de l’institution d’une économie d’endettement en France des années 1930 aux années 1970135. Ainsi analysées, les avances à 30 jours ont marqué une étape non négligeable dans le processus d’instauration progressif de formes d’économie d’endettement en France. La persistance du mécanisme jusqu’à la fin des années 1960 et la croissance des montants mobilisés à proportion de la croissance plus globale du total des actifs de la Banque plaident dans le même sens. À ce niveau très structurel, l’échec de l’expérience Flandin tient donc moins à des querelles de personnes qu’à la contradiction qu’elle recelait intrinsèquement en poursuivant dans le même temps une politique dont les fins relevaient de logiques de marché financier mais dont le moyen principal correspondait à un mécanisme d’économie d’endettement.
69Cette contradiction fut d’une certaine manière perçue par Wilfrid Baumgartner qui avertit dans une très longue note rédigée à l’intention de Germain-Martin à la fin de février 1935 que la politique financière définie par le gouvernement devenait pour le moins « acrobatique »136 : la politique de la baisse du loyer de l’argent, analysait-il, commençait à devenir intenable pour le Trésor. « Le dégel des capitaux thésaurisés » qui, notait-il, dépendait « beaucoup moins de la politique financière que de la politique tout court », ne se produisant toujours pas, « il sembl[ait] nécessaire de faire preuve dans la gestion de la trésorerie d’un certain esprit d’opportunité »137. Les prévisions qui avaient été faites dans « le plan d’action général » au début de janvier, soulignait-il, étaient déjà contredites par les événements : sur les 5 milliards de bons qui auraient dû être placés en février, à peine un milliard avait été absorbé par le marché monétaire qui, à son sens, était clairement saturé. Un appel aux marchés étrangers comme en 1933 ou 1934 était difficilement envisageable en raison des effets « désastreux » qu’il aurait provoqués dans l’opinion et qui « forcément plus avantageux » aurait risqué de détourner des souscriptions nationales nombre de capitaux nationaux138. C’était signifier que l’expérience, aux yeux du directeur du Trésor, avait atteint sa limite à la fois technique et politique. La voie de la déflation, au lendemain de la chute du cabinet Flandin le 31 mai 1935, était désormais ouverte.
LE TRÉSOR ET LA POLITIQUE DE DÉFLATION DE LAVAL (1935-1936)
70La déflation budgétaire et économique tentée sous la conduite de Pierre Laval entre juillet 1935 et janvier 1936 a fait l’objet d’études nombreuses qu’il ne s’agit pas ici de reprendre par le menu. Il semble bien en effet que le directeur du Mouvement des fonds ait été tenu à l’écart au moment de la formation par Laval du brain trust qui fut à l’origine de la tentative de déflation. Il n’existe ainsi, dans l’état actuel de la documentation, aucune trace attestant une participation de sa part au comité d’experts qui réunit à partir de juin 1935 sous l’autorité d’Yves Bouthillier, le directeur du Budget, Raoul Dautry, le directeur général du Réseau ferré de l’Ouest, Claude-Joseph Gignoux, le directeur de La journée industrielle, et Jacques Rueff, toujours directeur adjoint du Mouvement général des fonds139. Tenu à l’écart de ce cercle étroit où il ne comptait pas que des amis, le directeur du Trésor exprima du reste après coup, au lendemain de la chute du cabinet Laval, les réserves que lui auraient inspirées, en juillet, certaines des mesures qui avaient alors été préconisées et son sentiment profond que l’effort d’économie tentée sous Laval avait atteint « sa limite politique »140. Comme l’ont mis en évidence Robert Frank, Michel Margairaz ou encore Kenneth Mouré141, Baumgartner, loin d’avoir été un partisan convaincu de la déflation, semble donc, dans la période, s’être progressivement résolu à une inflation, dont il pouvait mesurer de manière quotidienne les progrès à travers l’importance croissante des concours bancaires qu’il dut solliciter au profit du Trésor entre juin 1935 et mai 1936142. L’alourdissement sensible des charges du Trésor dans la période résultait, il est vrai, au premier chef, de l’ampleur nouvelle des programmes militaires dans le contexte du réarmement à marche forcé et désormais à visage découvert de l’Allemagne nazie143. Ce contexte international, ajouté au constat qu’il fit, en janvier 1936, de l’impasse à laquelle avait abouti la politique de déflation semble également pouvoir expliquer la « conversion » à cette date du directeur du Trésor à l’idée d’une dévaluation désormais inéluctable144.
71Cette soudaine évolution vers la dévaluation et vers des modes de financement de la trésorerie de plus en plus ouvertement inflationnistes, à laquelle présida Wilfrid Baumgartner à compter du tournant de 1935-1936, peut sembler à bien des égards insolite. Le grand commis s’en expliqua pourtant d’une certaine manière devant ses étudiants des Sciences politiques à la rentrée de 1938, alors qu’il avait quitté le ministère des Finances, fournissant au passage quelques clefs sur les mutations pour le moins heurtées de la politique financière entre 1931 et 1936 :
« Les années ont passé depuis que j’ai été chargé d’enseigner ici les finances publiques, il y a sept ans, je n’avais pas trente ans [...]. Je ne crois nullement être devenu un vieillard, mais il y a tout de même entre nous, Messieurs, l’intervalle d’une génération. La mienne est arrivée aux affaires à l’âge d’homme juste au lendemain de la guerre. »145
72Étrange sentiment de vieillesse chez un homme de trente-six ans à peine, et dans toute la possession de ses capacités ! Il témoigne bien sûr du labeur fourni quotidiennement pendant presque dix ans passés au Mouvement des fonds mais il est l’indication aussi de l’effort d’adaptation théorique et pratique qu’il fallut fournir sous la pression sans répit de la conjoncture. Wilfrid Baumgartner paraît dès cette date avoir déjà été pleinement conscient des ruptures survenues depuis la fin de la Première Guerre mondiale :
« Messieurs, cet intervalle de vingt ans qui nous sépare a été marqué par des bouleversements profonds comme on en vit rarement dans l’histoire. Plus on s’est éloigné de la grande guerre, plus on en a en quelque sorte senti la gravité et mesuré l’ampleur de ses innombrables répercussions. »146
73Les effets de la guerre, dont le poids de l’immense dette publique alors accumulée n’était que la manifestation la plus visible, avaient abouti, selon lui, à bouleverser également les catégories mentales de l’analyse économique et financière. Lui-même entendait témoigner de cette formidable évolution des mentalités : « Quand je suis entré en 1919 aux Sciences Po, expliquait-il, la guerre qui venait de finir n’avait, si j’ose dire, pas encore commencé pour plusieurs des enseignements ». Il rappelait, ironique, qu’on parlait alors encore rue Saint-Guillaume « d’économie politique comme au temps de Leroy-Beaulieu et de finances publiques comme à l’époque de Stourm ! »147
74Son propre enseignement, soulignait-il, il l’avait placé au contraire dès le début « sous le signe du réel », refusant « tout dogmatisme » :
« Je me refusai d’être l’interprète d’une science en quelque sorte révélée. Aussi bien est-il douteux qu’il existe une science des finances. Il existe tout au plus un ensemble d’enseignements que dans ce domaine l’expérience a révélés et que l’expérience pourra modifier ou compléter. »148
75Sans doute convient-il de faire la part des circonstances et de l’esprit du temps : ce cours était prononcé au lendemain du Front populaire qui avait contribué à renouveler en profondeur les pratiques et les conceptions de la politique économique. Le discours de Wilfrid Baumgartner à cette date ne pouvait pas ne pas en tenir compte. En outre, les circonstances de son renvoi du Mouvement général des fonds n’étaient pas non plus sans peser sur sa vision des évolutions récentes.
UN GRAND COMMIS SOUS LE FRONT POPULAIRE ?
76Le 23 novembre 1936, six mois après la formation du cabinet Léon Blum issu de la majorité de Front populaire, Wilfrid Baumgartner était nommé par le ministre des Finances, Vincent Auriol, directeur général du Crédit national. Jacques Rueff le remplaçait à la tête du Mouvement général des fonds. Dans l’allocution qu’il projeta de prononcer à l’occasion de son départ, il exprima sans détour son amertume :
« Chacun sait parmi vous que je n’ai pas sollicité mon départ. Deux motifs de fierté : indépendance, continuité [...]. Mais prévaut le double regret d’abandonner mon œuvre : neuf ans, si remplis et si rapides. Émotion vraie. »149
77Ces quelques lignes, qu’elles aient jamais été prononcées ou non, indiquent qu’à l’évidence Wilfrid Baumgartner fut affecté de sa disgrâce. Mais, au-delà de l’intérêt seulement anecdotique de l’épisode, les raisons de son départ méritent d’être examinées car, d’une part, elles posent la question de l’épuration administrative qui suivit la victoire du Front populaire et, d’autre part, elles renvoient au problème des choix de politique économique du nouveau gouvernement et notamment à la question centrale de la dévaluation.
78Par quelques notes griffonnées à la hâte, peut-être en vue de présenter sa défense auprès du ministre, Baumgartner donna lui-même, pour ainsi dire à chaud, certains éclairages sur les circonstances de son départ150 : « Fonctionnaire au moins honorable », notait-il d’emblée, non sans fausse modestie, « pas de raison a priori de me déplacer ou de me promouvoir ». Il en concluait, péremptoire : « Donc on a demandé ma tête ». Le monologue auquel il se livra ensuite permet de dégager les principaux problèmes posés par son renvoi du Mouvement des fonds :
« Qui ?
– politique ?
les syndicats
– pas agi contre eux
– gendre de Mercier ! [...]
– 200 familles ? mon passé ?
Où allons-nous ?
– technique ?
Labeyrie
– la primauté de la Banque
– défense du Trésor et de l’État
– le gouverneur passe, la direction du Mouvement des fonds reste »151.
79Très révélatrices d’une époque, ces brèves notations, comme autant de bribes des pensées qui agitèrent alors Wilfrid Baumgartner, posent parfaitement tous les problèmes de la carrière du directeur du Trésor de Flandin et de Laval, maintenu à son poste après l’alternance politique majeure de mai-juin 1936 : au cœur du débat, le couple conflictuel de la politique et de la technique qui semble donner une des clefs de l’action du gouvernement Blum en même temps qu’il est peut-être à l’origine, comme il le pressentait lui-même, du départ de Wilfrid Baumgartner. Autre cause possible de sa disgrâce, la question des rapports entre le Trésor et la Banque de France, posée une fois de plus et pour longtemps encore au lendemain de la réforme à la fois technique et politique de ses statuts au début de juillet 1936 et de la nomination d’Émile Labeyrie en remplacement de Jean Tannery. Il y a enfin, dans ces quelques mots jetés sur le papier à en tête de la direction du Mouvement des fonds, un écho, certes assourdi, des revendications des sans-grade et de la pression de tout le peuple des petits et des moyens, celle-là même qui avait donné en juin les occupations d’usines et attisé dans les premiers mois la grande peur des possédants : c’étaient, au ministère, le poids des syndicats de fonctionnaires et la revanche à portée de main sur les représentants des « deux cents familles », sur les grands commis accusés de n’avoir servi que les intérêts du grand capital, dont Ernest Mercier, le « roi du pétrole et de l’électricité » et son gendre Wilfrid Baumgartner figuraient à merveille la collusion supposée. Et, pourtant, comme il le rappelait lui-même à décharge, le directeur du Mouvement des fonds, en œuvrant à la dévaluation plutôt qu’à la baisse des taux d’intérêt, n’avait-il pas donné la preuve de cette « indépendance », gage de « continuité » qui, selon lui, faisait toute la « fierté » d’un serviteur de l’État ? Telles étaient les tensions que Baumgartner lui-même au moment de son limogeage mit en évidence et qui, peut-être, suffisent en effet à expliquer son départ de l’administration des Finances à la fin de novembre 1936. Est-il néanmoins possible de mener un peu plus avant l’enquête ?
80La campagne de presse engagée, dès la publication du programme du Front populaire en janvier 1936, contre les auteurs des « décrets-lois de misère » et les représentants des trusts dans la haute administration avait en effet pris pour cible avec une particulière insistance le directeur du Mouvement général des fonds. C’est que Baumgartner semblait symboliser idéalement l’alliance des grands commis et des puissances d’argent. Il avait ainsi été cité au début de février 1936, parmi bien d’autres, dans France, voici tes maîtres, le numéro spécial de La Flèche, l’organe de Gaston Bergery qui avait été à partir de 1934 l’un des artisans de la formation du Front populaire mais que sa dénonciation obsédante de la toute puissance des trusts conduisit dès lors résolument vers le fascisme152. Mais c’est surtout au moment de l’arrivée au pouvoir du Front populaire que les attaques redoublèrent contre le directeur du Trésor : dès le 7 mai, Le Petit Bleu, dont l’audience, située principalement dans les milieux politiques et d’affaires, était alors, il est vrai, fort réduite depuis la disparition de son directeur Alfred Oulman153, publia en première page sa photographie avec ce simple commentaire : « M. Baumgartner, directeur du Mouvement des fonds, qui selon la règle du jeu, devra céder aux partis de gauche une situation qu’il devait aux partis de droite. »154 Il fut également une fois de plus pris à partie par La Flèche qui, sous la plume de Paul Accard, vilipenda en Baumgartner, « le plus sûr allié des 200 familles », coupable d’avoir, selon l’hebdomadaire, « dans un but de panique aisément compréhensible », indûment groupé les principales échéances de la dette flottante sur la période qui suivait les élections155.
81En juillet, après les accords de Matignon, le vote de la semaine des quarante heures et des congés payés, et la nationalisation partielle de la Banque de France, La Tribune des fonctionnaires et des retraités, l’organe de la Fédération générale des fonctionnaires, par la voix d’un certain Boursicot, regrettait que l’administration du ministère des Finances n’eût toujours pas été épurée et que « les banquiers continuent de hanter le Mouvement des fonds ». Le directeur du Trésor, une fois de plus, concentrait les critiques : « N’est-ce pas M. Baumgartner, entre autres trouvailles, qui imagina de masser les échéances les plus dangereuses pour le Trésor sur les semaines qui ont suivi les élections ? »156 Le Populaire lui-même surenchérit : « Dans les pouvoirs publics, les trusts ont leurs indicateurs et leurs saboteurs tout préparés. [...] Aux finances trône l’inamovible Baumgartner, auteur des décrets-lois de misère et gendre d’Ernest Mercier, le magnat de l’électricité »157. En septembre, alors que Baumgartner était toujours en fonction rue de Rivoli et que les sorties d’or s’étaient multipliées depuis la mi-août, Juvénal monta en épingle le mariage qui avait été conclu l’année précédente entre Richard Baumgartner, le frère du directeur du Mouvement des fonds, et Marie-Françoise Mercier, la deuxième fille du « fameux commanditaire du Colonel de La Rocque »158. Enfin, quelques jours après l’annonce officielle de la dévaluation du franc, le 26 septembre 1936, Jean Serdais dans les colonnes de La Flèche demandait : « Comment M. Vincent Auriol, acculé à la grave opération de la dévaluation, peut-il laisser préparer et exécuter celle-ci par M. Baumgartner, gendre du vice-président de la Banque de Paris et des Pays-Bas ? »159 Les chefs d’accusation retenus contre Wilfrid Baumgartner entre mai et octobre 1936, s’ils ne sont pas toujours de la plus grande précision, sont au moins parfaitement clairs : il était soupçonné avant tout d’intelligence avec l’ennemi en la personne de son beau-père, Ernest Mercier ; il aurait, second chef d’accusation, agi depuis son poste au sein de l’administration, en saboteur de la victoire du Front populaire, amplifiant par sa gestion de la trésorerie la panique financière et la fuite des capitaux, acculant ainsi son ministre, Vincent Auriol, à la dévaluation dont Léon Blum avait pourtant déclaré à la Chambre, le 6 juin, qu’il ne s’y résoudrait en aucun cas. Tels sont les points que l’étude de la carrière d’un grand commis de la Troisième République demande d’examiner, non pour innocenter ou condamner, mais pour contribuer à éclairer le problème décidément capital des rapports entre les hauts fonctionnaires et la politique, entre les solutions impérieuses de la technique et les règles non moins exigeantes d’un régime démocratique.
82Le lien familial noué avec Ernest Mercier par Wilfrid Baumgartner en 1930, à l’orée de sa carrière administrative, et dont on a déjà décrit les circonstances, est donc l’origine principale, sinon unique, de toutes les mises en cause personnelles dont il fut l’objet durant presque toute sa carrière ultérieure. La figure controversée de son beau-père, au vrai, prêtait le flanc au soupçon et au déchaînement de passions contraires : sa situation, à cette date, dans le monde de l’industrie et de la banque, singulièrement au sein des secteurs les plus abrités de la crise, s’était de fait encore largement accrue depuis le début des années 1930 : président de la Lyonnaise des eaux, de Nord Lumière, de l’Union d’électricité et d’Alsthom pour le secteur de l’électricité, il était également dans le domaine pétrolier à la tête de la Compagnie française des pétroles, de l’Omnium international des pétroles, de la Steava française et de la Compagnie française de raffinage. On notait aussi sa présence, au moins nominale, dans pas moins de quarante conseils d’administration, dont celui de la Banque de Paris et des Pays- Bas, du Crédit commercial de France, de Péchiney et des Chantiers navals de la Compagnie générale transatlantique de Penhoët160. C’est assez naturellement que la presse de gauche fit de lui, à cette époque, le chef de file le plus en vue des « deux cents familles »161. D’autant que ses convictions et ses engagements politiques l’exposaient tout particulièrement aux attaques : fondateur et animateur à la fin des années 1920, on l’a déjà noté, de Redressement français, mouvement dont il décida d’ailleurs la dissolution à la fin de 1935, Mercier soutint également de ses deniers, comme l’a montré son biographe Richard F. Kuisel, les Croix de feu du colonel de La Rocque et l’Union nationale des combattants menée par Jean Goy, ligues dont l’idéal ancien combattant rejoignait jusqu’à un certain point l’esprit « frontiste » qui avait animé, un temps, le fondateur de Redressement français162. Mais son soutien aux ligues en 1936 n’était plus aussi marquant, notamment du fait de son engagement personnel de plus en plus explicite à partir de 1935 en faveur d’une alliance militaire et d’une coopération économique active avec l’URSS, selon lui allié naturel de la France contre l’Allemagne nazie.
83Cet apparent retournement eut d’ailleurs pour effet de placer Mercier et par contre coup son gendre au Trésor, sous les feux désormais croisés de l’extrême droite (qui dénonçait en lui l’agent des Soviets) et de la gauche pour laquelle il restait toujours l’homme des ligues fascisantes et des puissances financières. C’est ainsi que L’Action française, en mai 1936, attaqua à son tour le directeur du Mouvement des fonds : « Il paraît que M. Baumgartner, gendre d’Ernest Mercier dont on connaît la récente volte-face en faveur des Soviets, serait nommé sous-gouverneur à la Banque de France ». Et l’organe royaliste de conclure, bien dans sa manière : « Nul doute que cet intéressant Sémite va, sous le gouvernement Blum, continuer sa carrière. »163 Cet étonnant syncrétisme dans l’attaque met bien en évidence la part déterminante des mythes, opposés ou parfois convergents, comme celui des « deux cents familles », qui ont nourri la violence verbale de la vie politique dans la période. La réalité de ces représentations suffit certes à rendre compte du limogeage de Baumgartner en novembre 1936. Renvoient-elles, au-delà, à des pratiques avérées ? En d’autres termes, Wilfrid Baumgartner fut-il, par la proximité que ses liens familiaux impliquaient avec les milieux d’affaires, effectivement partie intégrante d’un réseau de solidarités actives propre à contredire la trop fameuse indépendance du grand commis et à confirmer la thèse de sa compromission au service d’intérêts privés ? Le projet, en 1934-1936, d’un prêt commercial d’un milliard de francs à L’URSS, qui mêlait Ernest Mercier, les banques et les industriels aux administrations financières de l’État et aux gouvernements du moment, constitue à bien des égards un terrain d’analyse propice à l’examen de cette délicate question.
GRANDS COMMIS ET GRANDS PATRONS : FAIRE CRÉDIT À L’URSS ?
84Les pourparlers entre la France et l’URSS sur l’établissement de relations commerciales remontaient au moins à la conférence franco-soviétique de Paris qui rassembla, en 1926-1927, autour d’une même table les délégués soviétiques conduits par l’ambassadeur russe en France, Christian Rakowsky, et la délégation française que présidait Anatole de Monzie164. La question du règlement des dettes tsaristes était au centre de négociations qui avaient été prévues dans le protocole de reconnaissance diplomatique conclu entre les deux pays en octobre 1924, après l’arrivée au pouvoir du Cartel des gauches. La question de l’ouverture de crédits commerciaux à l’URSS avait alors déjà été évoquée165. Mais les tensions dues à l’activité redoublée du Komintern à partir de 1927 et l’expulsion, la même année, de l’ambassadeur soviétique à Paris166 mirent un terme provisoire aux tractations. Elles reprirent à l’initiative de Louis Barthou, ministre des Affaires étrangères du cabinet Doumergue au début de 1934, dans le contexte de la montée du péril allemand et de l’entrée de l’URSS à la SDN. Elles aboutirent, à la suite d’un voyage à Moscou, en décembre, de Paul Marchandeau, ministre du commerce du cabinet Flandin, à la signature d’un protocole commercial le 9 décembre 1934. Cet accord posait le principe de commandes soviétiques en France, sans plus évoquer le préalable du règlement des emprunts franco-russes. En vue de faciliter le financement de ces commandes alors évaluées à 250 millions de francs seulement, il était prévu que le bénéfice de l’assurance-crédit serait accordé aux exportateurs français impliqués dans la transaction. Instituée par une loi du 10 juillet 1928, l’assurance-crédit garantissait en effet aux exportateurs la prise en charge par l’État d’au moins 60 % du montant des commandes livrées en cas de défaillance de l’État importateur167.
85L’affaire prit une tournure différente après la signature, le 2 mai 1935, du Pacte militaire d’assistance mutuelle franco-soviétique à l’initiative de Pierre Laval, ministre des Affaires étrangères, suivie de son voyage à Moscou deux semaines après : il y fut décidé d’élargir les accords commerciaux déjà existants entre les deux pays et d’envisager, sur une beaucoup plus large échelle, la livraison en URSS d’équipements français. À la demande de Pierre Laval devenu entre-temps président du Conseil, Ernest Mercier, que ses activités dans le secteur des constructions électriques plaçaient au premier rang des fournisseurs potentiels de l’URSS, se rendit à son tour à Moscou et à Leningrad à la fin d’octobre 1935, accompagné d’Auguste Detœuf, le directeur général d’Alsthom et de Pierre Schweisguth, administrateur d’Alsthom168. Il en revint partisan convaincu de la coopération avec les Soviets et saisit l’occasion d’une conférence dans le cadre du Centre polytechnicien d’études économiques, plus connu sous le nom d’X-Crise, pour exposer les motifs de son engagement :
« On ne voit pas pourquoi la France laisserait à l’Allemagne (et à l’Angleterre) le monopole des fournitures industrielles aux Soviets [...]. Ce qu’a pu faire l’Allemagne [...], pour quelles raisons devrions-nous nous l’interdire à l’heure où le rétablissement rapide de notre pays peut être provoqué ou au contraire définitivement entravé suivant que le cancer du chômage sera lui-même enrayé ou que nous le laisserons librement nous dévorer ? »169
86C’était faire à terme de la perspective de l’immense marché soviétique un débouché potentiel propre à sortir l’industrie française de la crise. Mais dans l’immédiat, les accords commerciaux conclus en marge du voyage de Laval à Moscou portaient sur un volume de commandes d’un montant conséquent de plus d’un milliard de francs, comprenant une proportion notable de matériels électriques170. Le problème du financement de la transaction toutefois demeurait entier : la garantie de l’assurance-crédit qui s’appliquait précédemment, au maximum, à 60 % du montant total du contrat, pouvait désormais, depuis le décret-loi pris le 27 juillet 1935, couvrir 80 % du montant total des contrats présentés. Le financement des commandes soviétiques qui bénéficiaient pourtant de cette disposition très favorable, s’avéra fort difficile. Le commissaire du peuple chargé du Commerce extérieur, Rosengoltz, avait en effet lié les commandes de son pays à l’obtention en France d’un crédit à cinq ans. Comme le souligna Baumgartner saisi de cette question en novembre 1935, la solution du problème du financement des commandes soviétiques, « examiné et discuté déjà à plusieurs reprises par [s]a direction » était pour le moins « délicate »171 : la grande majorité des banques de la place en effet s’était récusée, peu désireuses de s’engager de nouveau en Russie quand le souvenir de l’annulation des dettes tsaristes en 1917 restait si vif dans les mémoires. Seules les maisons Louis-Dreyfus et Seligman acceptèrent de participer à hauteur de 200 millions au montage financier. Il incombait donc au Trésor, notait Baumgartner, de fournir les crédits manquants. Mais il ne se dissimulait pas l’ampleur du problème :
« Il sera très difficile de trouver cette somme sur le marché financier, même avec la garantie de l’État. Il est à prévoir en effet que pareille émission ne manquerait pas de soulever les plus violentes récriminations de la part des porteurs des anciens fonds d’État russe qui seraient susceptibles de contrecarrer jusqu’à la politique étrangère du Gouvernement. »172
87Par conséquent, la seule solution, exposait-il, était une fois de plus de recourir aux disponibilités de la Caisse des dépôts. Pour autant, cette éventualité même ne laissait pas à ses yeux de soulever « des objections sérieuses » :
« Il est à peine besoin de souligner combien les trésoreries de l’État et de la Caisse des dépôts sont présentement solidaires, ou plus exactement combien la trésorerie de l’État peut le cas échéant être soutenue par celle de la Caisse des dépôts. »173
88Ces réticences amenaient logiquement le directeur du Mouvement des fonds à porter un jugement très réservé sur l’opération, bien que, soulignait-il, il sût par Monick, en poste à Londres, qu’au même moment les Soviétiques avaient pris des contacts sur le marché anglais à des conditions plus avantageuses : « J’en suis amené à conclure en définitive que si le problème qui se pose présente un aspect technique important, il a essentiellement un caractère économique et politique. »174 La Caisse des dépôts refusa finalement, en effet, par la voix de son conseil de surveillance, de prendre aucun engagement dans l’affaire. Au cours de la séance du 6 décembre, Wilfrid Baumgartner avait sondé la commission de surveillance sur l’éventualité d’un prêt de la Caisse au gouvernement soviétique et Jean Tannery, gouverneur de la Banque de France et membre de droit de la commission de surveillance, lui avait répondu sans ambiguïté qu’il estimait « impossible que la Caisse des dépôts ouvre à l’État russe un crédit dont elle devrait elle-même assurer le remboursement par le jeu de l’assurance-crédit »175. Au tout début de décembre 1935, de fait, Henri Deroy, le directeur général de la Caisse des dépôts, avait dû accepter à la demande du Mouvement des fonds que son établissement prît à sa charge la trésorerie de l’assurance-crédit de plus en plus sollicitée176. Dans l’hypothèse où la Caisse aurait accepté de fournir également le crédit de 800 millions à l’URSS, elle aurait donc été, comme le soulignait Tannery, à la fois juge et partie, assureur et assuré. Baumgartner reconnut « cet argument assez frappant »177. Il s’efforça quelques jours après d’exposer au ministre, Marcel Régnier, combien l’opération était difficile à envisager : « Ce qui à mon sens demeure dans cette affaire le point délicat, c’est un problème de trésorerie aussi bien pour la Caisse des dépôts que pour l’État lui-même »178. Le 31 décembre pourtant, le directeur du Mouvement des fonds, à la demande du ministre, précisait-il, réitérait sa demande devant la commission de surveillance de la Caisse. « La direction du Mouvement des fonds, se justifiait-il, a repris contact avec les banques et les établissements de crédit susceptibles d’intervenir, leur réponse a été de nouveau et unanimement négative »179. La Caisse, concluait-il, était donc le dernier recours du Trésor en cette affaire. Deroy exposa alors clairement les réticences de l’établissement dont il avait la responsabilité : « En période normale, la Caisse aurait pu, sans difficulté, prendre cet engagement, mais la situation actuelle commande la plus grande prudence ». Sans compter, ajoutait-il, « que des campagnes de presse sont à redouter » qui risquaient d’accroître encore le mouvement de retrait des déposants dans les caisses d’épargne, inquiets de voir leurs fonds risqués une fois de plus en Russie180. Tout en ne dissimulant pas « son embarras », Wilfrid Baumgartner s’efforça pourtant de réfuter loyalement les objections de Deroy, insistant sur l’intérêt économique et politique du projet. Mais Tannery trancha : « l’opération appar[aissait] pour le moment comme pratiquement irréalisable » et Henri Garnier, le président de la chambre de commerce de Paris alla pleinement dans son sens. Tout crédit à la Russie était impensable aussi longtemps que la question des dettes tsaristes restait pendante. Par la suite, les membres de la commission, à l’unanimité moins une voix, celle du directeur du Mouvement des fonds, rejetèrent sans appel la proposition. Le projet fut définitivement enterré lors du débat parlementaire sur la ratification du traité d’assistance mutuelle signé en mai 1935, Charles de Lasteyrie ayant fait passer une résolution liant officiellement tout accord de crédit à l’URSS à l’indemnisation préalable des porteurs de bons russes spoliés en 1917181. Les enseignements de ce grand projet avorté sont multiples et intéressent directement la question des rapports entre les affaires, l’administration et la politique.
89L’opération du crédit commercial soviétique de 1935-1936 offre en effet matière à vérifier la confusion qu’auraient commise ceux-là mêmes qui en étaient les serviteurs entre l’intérêt dit général et l’intérêt privé. Augustin Hamon, à l’époque de cette affaire, exposa parfaitement les ressorts, selon lui, de cette subtile identification :
« Les hauts fonctionnaires [...] ont, au cours de leur vie de fonctionnaires, tant de fois constaté que l’intérêt national était, en fait, confondu avec l’intérêt privé de leurs parents, de leurs associés que peu à peu, dans leur cérébralité s’est formée cette idée que ces intérêts sont les mêmes. »182
90Concluant bien plus récemment son enquête sur les rapports entre la haute fonction publique et le monde des affaires sous la Ve République, Ezra Suleiman n’a pas abouti à une proposition très différente :
« On ne comprendrait guère ces rapports si l’on se bornait à affirmer que les fonctionnaires français sont toujours guidés par la notion de l’intérêt général. Nous en avons assez dit pour indiquer qu’il n’en est pas ainsi et, sauf erreur, nous pouvons tirer la conclusion qu’on essaie de faire coïncider l’intérêt public avec certains intérêts privés. »183
91Ainsi, à partir de méthodes d’investigation et dans un but certes très différents, la conclusion, à quelque cinquante ans d’intervalle, était globalement la même. L’analyse de l’échec du crédit à l’Union soviétique à la veille du Front populaire invite pourtant à prendre en compte une interprétation plus complexe. Il en ressort d’abord qu’en cette occurrence au moins, le lien de proche parenté entre le directeur du Mouvement des fonds et le grand patron de l’électricité et des pétroles n’a pas suffi à faire aboutir un projet qui servait au premier chef les intérêts des sociétés privées qu’il présidait. Pourtant, « l’intérêt général » était intéressé aussi à la réussite de l’opération, et à un double point de vue : économique, par les effets positifs pour l’ensemble de l’industrie qu’aurait représenté la réalisation des commandes soviétiques ; politique également, dans la mesure où cet accord commercial serait venu conforter l’alliance défensive franco-soviétique dont Laval, ministre des Affaires étrangères, puis président du Conseil, était jusqu’à un certain point partisan. En face, cependant, la conjonction d’intérêts contraires fut plus forte : intérêt de la majorité des banquiers de la place d’abord. Ni les grandes banques de dépôts, comme le Crédit lyonnais, ni les banques d’affaires, comme la Banque de Paris ou des Pays-Bas, au conseil duquel Ernest Mercier pourtant siégeait, ni la Caisse des dépôts ne voulurent paraître s’engager dans une opération financière en Russie au risque d’indisposer le puissant groupe de pression des porteurs de bons de l’ancien régime tsariste et d’ébranler par là même la confiance de leurs propres déposants et donc d’exposer leurs propres ressources. L’intérêt des milieux bancaires rejoignait sur ce point l’intérêt de la trésorerie de l’État, au sein duquel, comme le releva le directeur du Mouvement des fonds, il existait une solidarité de fait entre l’équilibre du Trésor public et l’équilibre de la trésorerie particulière de la Caisse des dépôts.
92Convaincante illustration, on l’accordera, de la multiplicité des intérêts en jeu, de leurs oppositions et de leurs convergences aussi, mais selon des lignes de partage qui ne recoupent pas strictement la distinction théorique de l’intérêt privé et de l’intérêt général. En revanche, on voit bien s’opposer dans cette affaire, grossièrement, une logique financière à une logique économique, celle du directeur du Mouvement des fonds, par exemple, à celle du grand patron, le gendre et le beau-père. Mais les profits escomptés par le président d’Alsthom du développement des commandes soviétiques ne relevaient-ils pas tout autant d’une logique financière ? Enfin, ne faut-il pas admettre qu’en cette occurrence, comme en d’autres, ait pu se faire jour un intérêt propre de l’État, qui ne se serait confondu ni avec un improbable intérêt général, ni avec la conspiration d’intérêts privés dont on a montré la diversité ? Comme lorsqu’en 1933 Baumgartner avait été amené à condamner le recours à la dévaluation au nom de la sécurité d’approvisionnement des caisses publiques, c’était cette même préoccupation dont il se faisait le porte-parole auprès du ministre, tout en admettant que l’État pouvait poursuivre concurremment des buts différents entre lesquels, insistait-il, il revenait au pouvoir exécutif de trancher en dernier ressort. Cette attitude fournit du reste une des clefs du maintien de Wilfrid Baumgartner à son poste pendant les six premiers mois du gouvernement issu du Front populaire.
93La collaboration avec Vincent Auriol, terreur à la commission des Finances des ministres successifs, soudain chargé du portefeuille des Finances, et du directeur du Mouvement des fonds qui avait siégé si souvent, en face, aux côtés de Bonnet, Germain-Martin, Régnier ou Laval, ne laisse pas d’étonner. En novembre 1935, par exemple, au cœur d’une nouvelle crise de la trésorerie marquée par une reprise des sorties d’or et une nouvelle vague de spéculation contre le franc, la séance avait été pour le moins houleuse à la commission des Finances de la Chambre devant laquelle comparaissaient Pierre Laval et Marcel Régnier184. Wilfrid Baumgartner était présent lui aussi. Vincent Auriol mena ce jour-là une offensive particulièrement dure : la politique financière du gouvernement était, selon lui, totalement inconséquente et il soulignait le poids énorme de la dette flottante, « perpétuelle menace », qui dépassait 14 milliards, dont 2 avaient déjà été escomptés une fois par la Banque de France. « Que vous le vouliez ou non, martelait-il, ces deux milliards d’escompte, c’est deux milliards d’inflation. » « Mais non ! » jeta Régnier, pathétique, tandis que Laval s’écria : « Alors vous voudriez arrêter les payements ! » Le directeur du Mouvement des fonds prit part au débat à la demande du ministre pour faire remarquer que parallèlement au gonflement incontestable du passif du Trésor, le remboursement par la BNC, en 1935, des avances précédemment consenties par l’État avait accru à l’actif les disponibilités du Trésor de près de 75 millions. Mais soulignant la modicité de cet apport, Auriol revenait sur la charge de la dette flottante et donna au débat un tour plus nettement politique encore :
« – Si après avoir ainsi augmenté la dette flottante dans les établissements de crédit, le gouvernement actuel était remplacé demain par un autre gouvernement qui n’aurait pas leur agrément…
Si une panique en effet était la conséquence de certain vote…, glissa Laval.
Voilà comme on est libre ! réagit le député socialiste.
Je n’y peux rien, rétorqua le président du Conseil, rien ne serait pire que de nous laisser vivre dans l’incertitude et de donner au pays le spectacle d’un gouvernement sans autorité, à la discrétion d’une saute d’humeur de la commission des Finances ».
94Marcel Régnier, l’interrompant, saisit cette occasion pour « rendre à ceux qui ont eu successivement à s’occuper de la trésorerie l’hommage qui leur est dû : depuis cinq ans, ils ont été forcés d’emprunter successivement plus de 70 milliards ; toutes leurs opérations ont été régulières, elles ont réussi. Je tenais à rendre hommage à mes collaborateurs qui ont été les collaborateurs de mes prédécesseurs et qui ont droit à notre reconnaissance ! (Applaudissements) ».
Et Auriol, couvrant les applaudissements, de faire à Régnier cette réponse si significative : « Je n’incrimine nullement vos collaborateurs, Monsieur le ministre des Finances, ils ne sont pas responsables ».
95Cette irresponsabilité reconnue aux grands commis, base de leur indépendance proclamée, peut permettre de rendre compte du maintien de Wilfrid Baumgartner à la tête du Mouvement des fonds au lendemain de la victoire du Front populaire. Elle gît aussi au cœur de l’économie d’endettement, à la fois gage de continuité de l’État emprunteur et clef de la confiance qui en dernière analyse soude l’édifice social du crédit185. C’est dans cette optique particulière qu’on peut analyser la question si importante du pantouflage des hauts fonctionnaires du Trésor dans les années 1930. Les refus répétés qu’opposa Wilfrid Baumgartner aux offres de sorties que lui présentait son beau-père dans l’industrie en fournissent une probante illustration.
LE « PANTOUFLAGE » ET L’IDÉOLOGIE DES HAUTS FONCTIONNAIRES
96À la fin de 1934, Ernest Mercier proposa en effet à son gendre de sortir de l’administration avec les attributions de délégué de la Lyonnaise des eaux. Comme de coutume, Wilfrid Baumgartner jeta sur le papier les réflexions que suscita dans son esprit cette offre186. Il reconnaissait qu’il eût été « enchanté de travailler utilement avec Père », mais que sa sortie de l’administration était « une grosse chose » qu’il éprouvait « le besoin de préciser » :
« Je n’ai pas d’hostilité préconçue contre ma sortie dans les affaires de l’électricité. Mais la principale difficulté est la suivante : j’ai au Ministère et dans le monde financier en général une position assez considérable due d’abord à une fonction où j’ai accédé très jeune, secondairement, à mes vertus. »187
97Cette position en vue était, selon ses propres termes, la preuve « d’une brillante carrière administrative ». Il en énumérait, sans fausse modestie, tous les aspects, qui résument admirablement toutes les composantes, déjà notées, de l’entourage d’un directeur du Trésor :
« J’ai une notoriété de fait dans beaucoup d’autres milieux (assurances, chemin de fer, navigation, etc.). Je suis extrêmement bien vu de la plupart des hommes politiques ; je me produis régulièrement dans les Assemblées et aux Commissions financières où mes paroles font autorité. Au Ministère même, je suis indiscutablement classé parmi les têtes. Pour tous ces motifs, auxquels se joint l’éclat de mon cours aux Sciences Po [...] je n’accepterais de sortir que dans de très brillantes conditions. »188
98Mais ces exigences, craignait-il, risquaient bien de paraître excessives, « dans un milieu où je suis malgré tout moins connu, où les affaires sont peuplées d’X, de techniciens, alors que je n’apporterai que ma culture générale et mon bon sens, où les jeunes n’accèdent qu’à un âge plus avancé aux grandes fonctions ». Perspective d’autant plus douteuse, concluait-il, « que je ne saurais accepter que l’on considérât qu’une faveur me serait faite en m’offrant un poste important dans l’électricité et que l’on voudrait caser le gendre de son beau-père ». Rare document, étonnante confession qui fournit peut-être la clef principale d’une longue carrière au service de l’État en même temps qu’une raison subjective certes, individuelle et donc sans valeur générale, mais non complètement négligeable néanmoins de l’indépendance d’un grand commis du Trésor dans les années 1930 ; à une époque où l’élite administrative et l’élite des affaires ne coïncidaient pas totalement encore, la première caractérisée encore par la culture du généraliste, appuyé sur le bon sens et l’art du discours, la seconde marquée déjà par la compétence technique, le passage par les écoles d’ingénieurs et une pyramide hiérarchique très étroite au sommet. De cette différence de culture qui distinguait, dans l’entredeux- guerres encore, l’administration et le monde de la grande industrie, la carrière de Wilfrid Baumgartner, avant 1945 et peut-être aussi après, porte éloquemment témoignage. Elle illustre aussi que la solidarité supposée de la classe dirigeante de cette période n’était pas aussi totale que les mythes politiques qui alimentaient les affrontements idéologiques de l’heure pouvaient le faire accroire. L’itinéraire de Wilfrid Baumgartner et son action au Mouvement des fonds démontrent, s’il en est besoin, que les élites sont multiples et que leurs intérêts peuvent être parfois contradictoires. Parmi ceux-ci, il semble bien qu’il faille faire une place à part à l’intérêt propre d’un grand commis et à la réalité du profit individuel qu’il peut retirer de l’autorité conférée par cet autre mythe : le sens de l’État. Le Beau Métier d’Henri Clerc ne délivrait pas un message très différent. Au député La Dornerie qui venait lui offrir de quitter l’administration pour prendre le poste de délégué général de l’Omnium colonial, « une situation de premier plan. Et très vite la fortune », le directeur du Trésor avait ainsi objecté : « Je ne suis en rien préparé à ce genre de travail… Je n’ai ni la compétence, ni les relations indispensables »189. Et puis, confiait encore un peu après le grand commis de l’État à sa femme qui le pressait d’accepter, il y avait aussi « le sentiment que nous avons d’exercer un pouvoir, le vrai pouvoir, celui qui dure. La foule ne s’y trompe pas qui parle de la toute puissance des bureaux […]. Notre métier, notre beau métier, c’est d’être les gardiens des intérêts de cette foule, […] responsabilité qui est lourde à porter mais qui a aussi ses jouissances »190. Le texte de la pièce d’Henri Clerc de 1929 entre ainsi en résonances de façon remarquable avec les quelques notes jetées sur le papier par Wilfrid Baumgartner quelques années plus tard. Et ce sont encore les mêmes mots et des idées semblables qui imprègnent le témoignage de François Bloch-Lainé recueilli par Françoise Carrière en 1976 : « J’ai choisi de servir un maître et un seul : l’État. Un maître dont les agents jouissent d’une indépendance, d’une liberté qu’on trouve peu dans d’autres métiers »191. Cette convergence, tout au long du siècle, traduit sans doute une manière de lieu commun. Mais elle renvoie aussi, au-delà, à la réalité d’une idéologie largement constitutive de la République française : celle du grand commis de l’État. Si le phénomène du « pantouflage » des hauts fonctionnaires ne fait donc aucun doute pour l’histoire de l’État en France au xxe siècle, on ne peut pas non plus ignorer cette autre réalité qui constitue ce que les hauts fonctionnaires eux-mêmes nomment leur « éthique » et qu’on peut bien désigner, dans la mesure où elle fonde largement leur pouvoir, comme leur « idéologie ». Cette hypothèse semble pouvoir être renforcée encore par la prise en compte du rôle joué par Wilfrid Baumgartner, maintenu à son poste de directeur du Trésor dans les premiers mois du Front populaire, alors que se produisit la première véritable « alternance » politique de la France républicaine au xxe siècle.
AU TRÉSOR SOUS LE FRONT POPULAIRE (JUIN-OCTOBRE 1936)
99L’histoire de la dévaluation si longtemps ajournée de septembre 1936 est maintenant bien connue. Si le directeur du Mouvement des fonds y joua le rôle que commandait sa fonction, son poids personnel dans la prise de décision et les négociations préparatoires à la signature de l’accord tripartite qui consacrait l’alignement du franc paraissent en revanche avoir été plus passifs qu’actifs. Kenneth Mouré a décrit l’évolution qui porta les experts du Mouvement des fonds, dont Baumgartner, du refus à l’acceptation progressive de la dévaluation à compter du printemps de 1935192. Mais, comme l’a montré René Girault, c’est à Emmanuel Monick, attaché financier à Londres mais bien introduit auprès de Roosevelt, qu’il revint au lendemain immédiat de la victoire du Front populaire de mener les négociations, d’abord officieuses puis officielles à partir de septembre, qui aboutirent à la dévaluation sous la forme plus indolore pour l’opinion française d’un accord de stabilité monétaire conclu entre les trois grandes démocraties occidentales, la France, les États- Unis et la Grande-Bretagne193. Le rôle exact de Wilfrid Baumgartner est difficile à établir en l’absence apparente de toute prise de position de sa part sur l’opportunité des négociations auxquelles, comme il témoigna plus tard, il avait néanmoins été associé dès le début194. C’est lui qui reçut à son domicile rue Oswaldo Cruz et qui déchiffra les télégrammes codés que Monick faisait parvenir régulièrement par son intermédiaire discret au ministre des Finances, Vincent Auriol195. Il reste que le sens de son adhésion à la mesure d’ajustement monétaire de septembre 1936 n’est pas douteux : une fois levée l’hypothèque technique de la déflation au début de 1936 et reconnu le caractère inévitable de l’inflation par les moyens des avances de l’Institut d’émission sous la pression du réarmement, la dévaluation était, comme il reconnut au lendemain de l’opération, dès lors « inévitable » :
« Une dévaluation n’est pas une mesure prise, à un moment de l’année, pour influer sur la politique de l’heure. Elle est surtout la consécration d’un état de choses. Quand on y recourt, c’est parce qu’on ne peut pas faire autrement et les gouvernements ne s’y résignent que lorsqu’elle est inévitable. »196
100Il est bien évident que l’ampleur des sorties de capitaux entre juin et septembre 1936 ne put que contribuer à renforcer, dans l’esprit du directeur du Mouvement des fonds, la conviction de l’inéluctabilité de la dévaluation. En outre, du point de vue simplement technique qui était celui où Baumgartner, plus d’une fois déjà s’était placé, il était certain que le bénéfice de la mesure n’était pas négligeable. Le Trésor pouvait en effet escompter qu’une partie au moins des capitaux exportés dans un but spéculatif reviendrait une fois la dévaluation opérée toucher leur prime, contribuant à réalimenter un marché monétaire dont le directeur du Trésor avait décrit au ministre, au début de juin, la situation « à peu près complètement bloquée »197. De plus, la dévaluation devait contribuer, comme en 1928, à améliorer un tant soit peu la position du Trésor par les bénéfices de la réévaluation de l’encaisse-or qu’on était en droit d’en attendre. Elle procura en effet une plus-value de l’ordre de 16 milliards qui furent affectés au Fonds de stabilisation des changes institué par l’accord tripartite, mais aussi au remboursement des avances de la Banque de France, notamment d’une partie des effets publics escomptés de mai 1935 à mai 1936198. Dans la logique d’une bonne gestion de la trésorerie, la dévaluation n’était donc pas dénuée de toute justification. Mais l’opération que les Américains, en la personne d’Horace M. Cochran, l’attaché financier des États-Unis à Paris, préconisaient ouvertement depuis le début de juin 1936,199 s’inscrivait aussi plus profondément, comme René Girault et Michel Margairaz l’ont montré, dans une optique libérale d’union entre puissances démocratiques opposées à l’« autarchie » et au contrôle des changes qu’elle impliquait200. Cette vision des faits semble bien avoir correspondu à l’analyse que Wilfrid Baumgartner lui-même fit de l’événement. C’est en tout cas le sens de l’interprétation que retint François Bizard, qui consacra son mémoire de fin d’études aux Sciences politiques à l’accord tripartite, moins de deux ans après les faits, sous la direction de l’ancien directeur du Trésor :
« L’alignement du franc, exposait alors l’étudiant de Wilfrid Baumgartner, permettait une orientation plus nette de l’économie mondiale dans un sens libéral [...]. Tous les pays libres dotés de monnaies alignées seraient en état de collaborer à un retour de la liberté des relations internationales. [...] En somme, l’accord se basait sur les principes du libéralisme économique. »201
101La part prise dans la dévaluation de septembre 1936 par le directeur du Trésor de Germain-Martin et Marcel Régnier et qui avait aussi été le chef de cabinet de Paul Reynaud, peut donc être comprise sans contradiction technique majeure :
102il réalisait de la sorte cette articulation entre politique monétaire interne et politique monétaire externe qui devait se révéler l’une des tensions principales de l’histoire financière du xxe siècle. Ernest Mercier ne s’y trompait pas qui félicita chaleureusement son gendre : « Mon cher Will, il n’y a que des compliments à vous adresser pour la manière magistrale dont vous avez conduit votre opération »202. Roger Truptil, de même, ne tarit pas d’éloges : « Vraiment la présentation de l’alignement ne pouvait être faite dans des conditions plus satisfaisantes. Le secret a été magnifiquement gardé ; la spéculation aura été infinitésimale [...]. Les garanties dont vous entourez l’opération – son cadre international – en font un chef-d’œuvre de diplomatie. »203 Mais le mot de la fin revint à Roger Nathan, à cette date membre du cabinet du ministre du Commerce et de l’Industrie, le radical Paul Bastid :
« Un mot seulement pour vous dire mon admiration pour la technique impeccable et pour la méthode merveilleuse dont vous venez de faire la preuve. J’ai eu jadis l’occasion de parler dans un modeste écho de la baguette magique dont, Prince Charmant, vous paraissiez armé [...]. Et j’ai coutume de répéter qu’il suffit que vous soyez là [...] pour qu’on ait immédiatement l’impression que vous n’êtes capable que de choses définitives. »204
103Cet éloge de la technique d’un grand commis qu’on ne désigne pas encore comme un mage, mais déjà comme doté de pouvoirs magiques, permet de prendre la mesure de la réputation d’expert de l’homme, de son pouvoir de séduction aussi auquel Vincent Auriol lui-même ne fut pas indifférent puisque le ministre de Léon Blum conserva avec son ancien directeur du Trésor des liens d’amitié y compris après 1945205. Le problème de son remplacement par Jacques Rueff, aux opinions libérales autrement plus affichées, à la fin de novembre 1936 s’en trouve encore obscurci. Il n’est pas douteux cependant que Wilfrid Baumgartner vit juste et que les pressions des syndicats aboutirent finalement à son éviction.
104La nomination au même moment de Georges Mer, rédacteur des Finances, syndicaliste très actif, membre de la SFIO et proche de Vincent Auriol au poste de secrétaire général confirmait aussi cette hypothèse. La réputation qui depuis 1928 avait accompagné toute l’ascension administrative de Wilfrid Baumgartner se retourna en quelque sorte contre lui après 1936, le désignant comme victime expiatoire d’un pouvoir administratif dont il apparaissait, à juste titre, comme le symbole et qui avait abouti à masquer de son trop brillant éclat la réalité des devoirs de la charge dont il s’était acquitté sans faiblesse, neuf années durant.
***
105Directeur du Mouvement général des fonds, Wilfrid Baumgartner a été indéniablement, entre février 1934 et novembre 1936, placé par ses fonctions au carrefour de multiples pouvoirs. L’administration de la trésorerie est bien apparue alors, en effet, à de nombreuses occasions, comme le lieu géométrique où les décisions financières, économiques et politiques de l’époque convergeaient. C’est sans conteste dans les années 1930 que le directeur du Trésor s’affirme en France comme un personnage clé, aux sommets de l’État. Mais l’homme, avec ses vertus propres, ses ambitions aussi, est apparu aussi fortement établi au centre d’un entourage social étendu et diversifié, dépassant de loin le seul horizon de ses attributions professionnelles.
106Pour autant, le passage de la constatation de cet entourage et des pratiques de sociabilité qu’il impliquait à la réalité d’un réseau de pouvoir n’est pas simple ; cette conclusion s’est imposée à plusieurs reprises, lors de l’étude de la crise de mars 1934 entre le Mouvement des fonds et la place, comme, avec l’examen de l’échec, au début de 1935, de l’expérience Flandin, originale politique de marché financier fondée sur des mécanismes d’économie d’endettement, ou encore à l’occasion de l’affaire du prêt commercial à l’URSS. C’est un des apports principaux de l’étude de la carrière de Wilfrid Baumgartner à la direction du Trésor en 1934-1936 : à l’encontre d’une mythologie et d’une idéologie dont les effets politiques furent, eux, incontestables, les intérêts de la « classe dirigeante » ne sont pas apparus univoques et la solidarité d’un grand commis et des représentants des affaires privées n’avait, dans les années 1930, rien d’automatique. On admettra donc que les élites étaient alors au moins multiples, que leurs intérêts pouvaient certes converger, mais aussi s’opposer, que la logique financière des banques, et encore pas de toutes, a pu en 1934 comme en 1935 s’affronter à la logique plus économique d’un grand patron d’industrie ou même à la logique financière propre de l’État.
107La croissance rapide des besoins financiers de l’État dans les années 1930 a été un facteur puissant de transformation du système financier français. Le développement, tout particulièrement, de ses besoins à court terme – les « moyens de trésorerie » – a contribué à reposer avec une urgence nouvelle le problème du « refinancement » des créances et au premier chef des créances de l’État, toujours plus nombreuses et diverses. En l’absence du marché monétaire qui n’avait pas pu être constitué en 1926-1930, en partie du fait de l’opposition des banques commerciales, le problème crucial du refinancement a conduit, nolens volens, à institutionnaliser des mécanismes d’économie d’endettement, comme celui de la mobilisation des effets publics à 30 jours en février-mars 1935. Par-là, la Banque de France, bien malgré elle, devenait pour la première fois prêteur en premier ressort contraint pour le plus grand bénéfice du système bancaire, notamment des plus grandes banques de dépôts. Cette position dès lors prépondérante des banques au sein du système financier a constitué une autre composante, promise à un bel avenir, des progrès dans la période des structures d’une économie d’endettement en France.
108Enfin, par-delà l’évolution des structures, mais non sans liens, tant il est vrai que la construction d’une économie d’endettement a été inséparable de l’instauration d’une « société d’endettement », il convient sans doute, pour saisir le rôle d’un grand commis de la fin de la IIIe République, de faire une place à l’intérêt individuel que l’homme retirait de l’autorité de sa fonction et de la reconnaissance « sociale » de son statut institutionnel. C’est bien pendant les années 1930 que le personnage du directeur du Trésor émerge dans les représentations collectives, tel le Barrail du Beau Métier, parmi les protagonistes principaux du cercle magique du pouvoir à la française. Les refus réitérés que Baumgartner opposa aux offres de pantouflage à cette période s’en trouvent assez bien éclairés. Tel était peut-être le ressort de la carrière et de l’action de Wilfrid Baumgartner au Trésor, la clef aussi qui permet de comprendre que le même homme ait présidé en effet à la déflation sous Pierre Laval et à la dévaluation sous Léon Blum. Tel était en tout cas la raison qui a pu aussi bien expliquer son renvoi du ministère des Finances six mois après l’arrivée du Front populaire aux affaires : c’est parce que précisément son indépendance était, de tous bords, remise en question que son départ était inévitable. Sa nomination au Crédit national a été alors vécue comme une rupture, voire comme une disgrâce. Le poste de l’établissement quelque peu en sommeil de la rue Saint-Dominique pouvait sembler modeste en 1936. Il devait pourtant revenir à Baumgartner d’inaugurer une trajectoire administrative qui du Trésor, au Crédit national et à la Banque de France s’est affirmée dès lors pour un demi-siècle, comme l’une des diagonales principales du pouvoir de l’État en France.
109Décrivant au lendemain immédiat de la Seconde Guerre mondiale devant la nouvelle promotion des Sciences politiques les attributions des fonctionnaires du Trésor au nombre desquels il avait compté dix ans auparavant, Wilfrid Baumgartner évoquait, non sans regret déjà, le caractère exceptionnel de ces financiers d’un type bien particulier, qui « font de l’argent commerce désintéressé » :
« Ce qui domine au surplus, c’est le goût du service public, l’effort ininterrompu, un peu lassant. D’autres ont leurs ponts, leurs navires, leurs barrages. C’est au contraire une création continue, je n’ose dire, un travail de bâtisseur de cathédrale. En tout cas, ce métier d’argent sans argent, ce culte désintéressé de la finance, ce beau métier est passionnant. »206
110Le cliché est devenu à cette date, au sortir de la phase des années 1930 et de la guerre, parfaitement net : le grand commis y est représenté en majesté, au service exclusif de l’État, « bâtisseur de cathédrale » et technicien de l’argent « désintéressé ». Cette représentation devait rester commune dans la société française jusqu’aux années 1980 au moins, avant que les « affaires » ne commencent à la brouiller dans l’opinion.
Notes de bas de page
1 Tartakowsky (Danielle), Le pouvoir est dans la rue, crises politiques et manifestations en France, Paris, Aubier, 1998, p. 85-117.
2 Thuillier (Guy) et Tulard (Jean), « Conclusion », in Les directeurs de ministère en France (xixe-xxe siècles), Genève, Librairie Droz, 1976, p. 168-173.
3 Margairaz (Michel), « Direction et directeurs du Trésor : de l’orthodoxie à la réforme (1930- 1950) », in Fridenson (Patrick) et Straus (André), Le capitalisme français…, op. cit., p. 47.
4 Rueff (Jacques), « La direction du Mouvement général des fonds », témoignage in Les directeurs de ministère…, op. cit., p. 133.
5 Cours de finances publiques de Wilfrid Baumgartner à l’École libre des sciences politiques, 1942-1943, notes manuscrites préparatoires à la leçon introductive, 4 feuillets, AWB, 1BA5, Dr3, p. 1.
6 Clerc (Henri), Le beau métier, Quatre actes, Paris, Librairie Valois, 1929.
7 Sur le personnage intéressant à plus d’un titre d’Henri Clerc (1881-1967), cf. Thuillier (Guy), « Le Beau Métier d’Henri Clerc », in La Bureaucratie aux xixe et xxe siècles, Genève, Droz, 1987, p. 213-225. Baumgartner lui-même fit allusion à la pièce dans La littérature et la vie, doc. cité, p. 14- 15 : « Un dramaturge de talent a écrit dans l’entre deux guerres une pièce sur le Ministère des Finances où le héros était précisément le Directeur du Mouvement Général des Fonds. Cela sonnait vrai par bien des détails, cela ne sonnait pas aussi vrai sur l’ensemble ! »
8 Margairaz (Michel), « Direction et directeurs du Trésor… », art. cité, p. 47.
9 Clerc (Henri), Le beau métier, op. cit., p. 25.
10 Cf. infra p. 566 sqq.
11 Rueff et Baumgartner figurent tous deux sur la liste des élèves inscrits à l’École libre des sciences politiques pour l’année 1921-1922, Archives FNSP, 1SP 13c, registre 1921-1922.
12 Jacques Rueff, De l’aube au crépuscule…, op. cit., p. 17.
13 Ibid.
14 Ibid.
15 Lucette Le Van-Lemesle, L’enseignement de l’économie politique en France (1860-1939), thèse de doctorat d’État sous la direction d’Antoine Prost, Université de Paris I, 1993, t. II, p. 595-605.
16 J. Rueff, Des Sciences physiques aux Sciences morales (Introduction à l’étude de la Morale et de l’Économie politiques rationnelles), Paris, Alcan, 1922, [Préface de C. Colson].
17 J. Rueff, De l’aube au crépuscule…, op. cit., p. 69.
18 Répartition des attributions à la Direction du Mouvement général des fonds comme suite aux nominations intervenues en janvier 1934, note de Louis Escallier du 15 janvier 1934, AWB, 1BA10, Dr2.
19 W. B. contre J. R., notes manuscrites au crayon de Wilfrid Baumgartner, 8 feuillets, AWB, 1BA10, Dr2.
20 Germain-Martin (Louis), Contribution…, op. cit., p. 151.
21 Liste nominative des membres du Mouvement général des fonds occupant des postes d’administrateurs, 1935, 1 feuillet dactylographié, et Avis de virement sur le compte de Wilfrid Baumgartner à la Société générale, AWB, 1BA10, Dr2.
22 Carré De Malberg (Nathalie), annotation n° 55 in Georges-Picot (Jacques), Souvenirs…, op. cit., p. 87-88.
23 Daumard (Adeline), « La bourgeoisie française au temps des épreuves 1914-1950 », in Braudel (Fernand) et Labrousse (Ernest), Histoire économique…, op. cit., t. IV. 1-2/1880-1950, p. 875-78.
24 Il semble établi cependant que le patrimoine tant mobilier qu’immobilier de Wilfrid Baumgartner se réduisait à cette époque à peu de chose (Entretien avec Éric Baumgartner, source citée). Notons que les AD de l’Eure semblent ne détenir aucune information sur les activités industrielles et sur la nature du patrimoine du grand-père Baumgartner à Fleury-sur-Andelle (Lettre du conservateur des AD de l’Eure à l’auteur).
25 Ils sont conservés et classés par ordre alphabétique d’auteurs dans AWB, 1BA14, Dr1 à 5.
26 Listes manuscrites des élèves de Wilfrid Baumgartner à son cours de finances publiques (1927-1933), AWB, 1BA4, Dr2.
27 L’Écho de Paris du 7 avril 1934, par exemple, brossa un portrait très élogieux de Wilfrid Baumgartner, « jeune et brillant fonctionnaire des Finances », vantant « le grand succès » qu’il obtenait lorsqu’il assurait la préparation directe des candidats à l’inspection. Le Temps du 4 février 1939, de même, consacra tout un article à sa leçon inaugurale.
28 Entretiens du CHEFF avec François Bizard, n° 1, du 3 octobre 1989. Selon Nathalie Carré de Malberg, il s’agirait du numéro de L’Illustration du 1er août 1931 (n° 4613) consacré au centenaire de l’inspection des Finances.
29 François Bizard resta en effet très proche de Wilfrid Baumgartner et cinquante ans après, il vantait encore par-dessus tout ses qualités humaines : « C’était à la fois une âme et un cœur, c’était un homme très, très riche qui apportait énormément », in entretien cité, ibid.
30 Lettre de Pierre Calvet à Wilfrid Baumgartner du 12 avril 1933, AWB, 1BA22, Dr5.
31 Lettre de F.D. Gregh à W. Baumgartner du 4 avril 1934, AWB, 1BA23, Dr3. 32. Lettre de M. Vincenot à W. Baumgartner de la fin novembre 1934, AWB, 1BA22, Dr5.
32 Lettre de F.D. Gregh à W. Baumgartner du 4 avril 1934, AWB, 1BA23, Dr3. 32. Lettre de M. Vincenot à W. Baumgartner de la fin novembre 1934, AWB, 1BA22, Dr5.
33 Lettre de Wilfrid Baumgartner à G. Guindey du 16 novembre 1934 et réponse de G. Guindey du 25 novembre 1934, AWB, 1BA22, Dr5.
34 Lettre de W. Baumgartner à G. Devaux du 23 octobre 1934, AWB, 1BA22, Dr5.
35 Lettre de M. Jordan à W. Baumgartner du 12 janvier 1942, AWB, 1BA25, Dr6.
36 Baudouï (Rémi), Raoul Dautry, 1880-1951, Le technocrate de la République, Paris, Baland, 1992, p. 130 sqq.
37 Morsel (Henri), « L’hydro-électricité en France : du patronat dispersé à la direction nationale (1902-1946) », in Fridenson (Patrick) et Straus (André) (dir.), Le capitalisme français…, op. cit., p. 393-394.
38 Cf. sur Bernard d’Halluin, Lefranc (Georges), Les organisations patronales en France, Paris, Payot, 1976, p. 399.
39 Jeanneney (Jean-Noël), François de Wendel…, op. cit., p. 447.
40 Kuisel (Richard F.), « Auguste Detœuf, Conscience of French Industry, 1926-1947 », International Review of Social History, 1975, p. 149-174.
41 Jeanneney (Jean-Noël), François de Wendel..., op. cit., p. 44-47.
42 Jolly (Jean) (dir.), Dictionnaires des parlementaires français, Paris, PUF, 1960, 8 tomes de A à Z. Toutes les informations qui suivent, sauf indication contraire, en sont tirées.
43 Jeanneney (Jean-Noël), introduction au Journal politique de Jules Jeanneney, Paris, Armand Colin, 1972, p. III-VII.
44 Rémond (René), La droite en France de la première Restauration à la Ve République, Paris, Aubier Montaigne, 3e édition, 1968, p. 217, n. 13 ; Kuisel (Richard F.), Ernest Mercier…, op. cit., p. 107-109 ; Pinol (Jean-Luc), « 1919-1958 : le temps des droites ? », in Sirinelli (Jean-François), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard, 1992, vol. 1, p. 322 et 330.
45 Wilfrid Baumgartner, témoignage au colloque « Léon Blum, chef de gouvernement », 26 et 27 mars 1965, Fondation nationale des sciences politiques, publié in Renouvin (Pierre) et Rémond (René) (dir.), Léon Blum, chef de gouvernement (1936-1937), Paris, Presses de la FNSP, 1981, p. 282.
46 La littérature et la vie, doc. cité, p. 7.
47 Séreville (Étienne de) et Saint-Simon (Fernand de), Dictionnaire de la noblesse française, Paris, La Société française au xxe siècle, 1975 et Supplément, Paris, Éditions du Contrepoint, 1977.
48 Dubief (Henri), Le déclin de la IIIe République, op. cit., p. 102.
49 Rueff (Jacques), De l’aube au crépuscule…, op. cit., p. 110.
50 Saint Martin (Monique de), « Une grande famille », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 31, janvier 1980, p. 4-21.
51 Charle (Christophe), « Noblesse et élites en France au début du xxe siècle », in Les noblesses européennes au xixe siècle, Rome, École française de Rome, Université de Milan, 1988, p. 407-433.
52 Le Figaro et Le Temps du 30 novembre 1933 rapportent l’événement.
53 Lettre du secrétaire de l’Automobile Club à W. Baumgartner du 28 novembre 1933 et reçu de versement de cotisation, AWB, 1BA23, Dr5.
54 Deux invitations de Philippe de Rothschild à W. Baumgartner, AWB, 1BA22, Dr3.
55 Bourdieu (Pierre), « Le capital social », art. cité, p. 2.
56 Cf. les travaux déjà cités de Jean-Noël Jeanneney, Robert Frank ou Michel Margairaz, mais aussi : Andrieu (Claire), Les banques commerciales et l’État (1867-1944), thèse dactylographiée, IEP, juin 1988 ; Mouré (Kenneth), Managing the Franc Poincaré, op. cit., p. 156-236 ; Bonin (Hubert), Les banques françaises dans l’entre-deux-guerres, vol. 3, L’apogée de l’économie bancaire libérale française, Paris, PLAGE, 2000 ; Feiertag (Olivier), « Le Crédit Lyonnais et le Trésor Public dans l’entre deux guerres : les ressorts de l’économie d’endettement du xxe siècle », in Le Crédit Lyonnais, études historiques, 1863-1986, Genève, Droz, 2003, p. 805-831.
57 « Une nouvelle politique », notes manuscrites sur papier à en tête du cabinet du ministre des Finances, s.d., s.s., 2 feuillets au crayon, AWB, 1BA10, Dr2.
58 Germain-Martin (Louis), Contribution…, op. cit., p. 141.
59 Cf. l’exemple de l’évolution du portefeuille du CNEP dans les années trente qu’analyse Hubert Bonin, « Une grande entreprise bancaire : le Comptoir National d’Escompte de Paris dans l’entredeux- guerres », Études et documents, IV, 1992, p. 254-255 ; cf. aussi la reconstitution de la structure de l’actif du Crédit lyonnais pour la période 1919-1964 in Feiertag (Olivier), « Le Crédit lyonnais et le Trésor public… », art. cité, p. 812.
60 Cours de finances publiques de Wilfrid Baumgartner (1945-1946), notes préparatoires, leçon inaugurale, 9 feuillets recto verso au crayon, AWB, 1BA5, Dr4, p. 7.
61 D’après les évaluations du déficit budgétaire fournies par Choix (Roger), L’évolution des masses budgétaires et de la trésorerie en France depuis la crise (1930-1937), thèse de doctorat de droit, Paris, Librairie technique et économique, 1938, p. 208 et 315.
62 Note de L. Escallier au ministre du 15 janvier 1934, AWB, 1BA13, Dr3, p. 2.
63 Note de trésorerie pour le ministre François Piétri du 31 janvier 1934, AWB, 1BA13, Dr3.
64 Note de trésorerie récapitulative au ministre du 13 mars 1934, AWB, 1BA13, Dr4. Baumgartner y écrivait en conclusion : « On ne doit pas toutefois se dissimuler que la liquidation nette et rapide des affaires judiciaires en cours exercerait l’influence la plus heureuse sur les dispositions des épargnants ». Sur les conséquences de l’affaire Stavisky sur la tenue du crédit public, cf. Paris (Anne), L’État et les banques populaires, 1928-1938, mémoire de maîtrise dactylographié, Université de Paris X-Nanterre, 1993, p. 87-97.
65 Série de notes de trésorerie de janvier 1934, AWB, 1BA13, Dr3.
66 Margairaz (Michel), L’État, les finances et l’économie…, op. cit., t. I, p. 44-45.
67 Germain-Martin (Louis), Le problème financier, op. cit., p. 250.
68 Germain-Martin (Louis), Contribution…, op. cit., p. 95-96.
69 Souscription par les trois grands Établissements d’un contingent supplémentaire de bons ordinaires du Trésor, compte rendu par Wilfrid Baumgartner [toutes les citations suivantes attribuées à Baumgartner en sont issues, sauf indication contraire].
70 Crise de mars 1934, compte rendu par E. Escarra, 12 feuillets dactylographiés, Archives du Crédit lyonnais (ACL), dossier 16AH42 [toutes les citations d’Escarra qui suivent en sont issues, sauf indication contraire].
71 Bouvier (Jean), Un siècle de banque française, op. cit., p. 156-158 ; Gonjo (Yasuo), « La modernisation de la Banque de France (1930-1946) », Études et documents, VIII, CHEFF, 1996, p. 281-302.
72 Gonjo (Yasuo), op. cit., p. 287.
73 Feiertag (Olivier), « The Delayed Modernization of the Bank of France… », art. cité, p. 41-43.
74 L’Europe Nouvelle du 9 mars 1935, AWB, 1BA16, Dr2.
75 Sauvy (Alfred), Histoire économique de la France entre les deux guerres, Paris, Économica, 1984, vol. 1, p. 164.
76 Jeanneney (Jean-Noël), François de Wendel…, op. cit., p. 512.
77 Margairaz (Michel), L’État, les finances et l’économie…, op. cit., p. 65.
78 Flandin (Pierre-Étienne), Discours, le ministère Flandin (novembre 1934-mai 1935), Paris, Gallimard, 1937, p. 28.
79 Ibid., p. 27.
80 C’était du reste l’analyse que nous en avions finalement proposée dans notre thèse de doctorat au début des années 1990 cédant par là à la facilité d’un autre anachronisme, même s’il avait pour lui d’être plus cohérent avec les idées politiques du chef de file de l’Alliance démocratique.
81 Germain-Martin (Louis), Contribution…, op. cit., p. 139.
82 « Sur un programme de politique économique », note dactylographiée, 12 novembre 1934, sans indication d’auteur, 4 pages, Archives de la Caisse des dépôts et consignations (ACDC), papiers Tannery.
83 Ibid., p. 2.
84 Ibid., p. 3.
85 Procès-verbal de l’audition de Germain-Martin devant la commission des Finances de la Chambre le 23 octobre 1934, AAN, XVe législature.
86 Hautcœur (Pierre-Cyrille), « Surévaluation ou crise de confiance ? Hausse des taux d’intérêt et durée de la grande dépression en France », in Du franc Poincaré à l’ECU, Paris, CHEFF, 1993, p. 97-123.
87 « Sur un programme de politique économique », note citée, p. 4.
88 Note pour le ministre A/S Plan de restauration économique, de Wilfrid Baumgartner, bureau des opérations de trésorerie, du 17 novembre 1934, transmise sous le seing du directeur Boisanger, 4 pages dactyl., AWB, 1BA13, Dr5.
89 Ibid., p. 1-2.
90 Ibid., p. 2.
91 Ibid., p. 3.
92 Plan d’action, note s.d., mais datant vraisemblablement de la fin 1934 ou des premiers jours de 1935, sans indication d’auteur mais émanant à l’évidence de la Caisse des dépôts, 4 p. dactyl., ACDC, papiers Tannery.
93 Cf. Lettre de Jean Tannery à Wilfrid Baumgartner du 3 janvier 1935 l’informant que le Conseil de surveillance de la Caisse avait émis le 31 décembre 1934 un avis favorable à ces souscriptions, AWB, 1BA14, Dr6.
94 Plan d’action, doc. cité, p. 3.
95 Ibid., p. 4.
96 Note pour le ministre A/S Plan de restauration économique, doc. cité, p. 2.
97 Flandin (Pierre-Étienne), « Discours d’inauguration de la foire de Lyon du 10 mars 1935 », Discours…, op. cit., p. 180.
98 Ibid., p. 179 [souligné par nous].
99 Flandin (Pierre-Étienne), Préface aux Discours…, op. cit., p. 37.
100 L’information du 5 janvier 1935.
101 Notes manuscrites sur papier à en tête du ministre des Finances, [janvier 1935], 2 feuillets autographes à l’encre, AWB, 1BA10, Dr2.
102 Roger Priouret, pour sa part, estime même que ce renouvellement des cadres n’avait « de précédent qu’en période révolutionnaire » !, in La Caisse des dépôts, op. cit., p. 347.
103 Commentaires du 5 janvier 1935, AWB, 1BA15, Dr5.
104 Priouret (Roger), La Caisse des dépôts…, op. cit., p. 290-291.
105 Le Figaro du 3 janvier 1935.
106 L’Intransigeant du 3 janvier 1935.
107 Le Populaire du 4 janvier 1935.
108 Germain-Martin (Louis), Contribution…, op. cit., p. 140.
109 Ibid.
110 Jeanneney (Jean-Noël), François de Wendel…, op. cit., p. 507-524.
111 Flandin (Pierre-Étienne), Discours à la chambre des députés du 15 février 1935, op. cit., p. 148.
112 Ramon (Gabriel), Histoire de la Banque de France d’après les sources originales, Paris, Grasset, 1929, p. 58-60 et 137-138 ; Plessis (Alain), La politique de la Banque de France de 1851 à 1870, Genève, Droz, 1985, p. 290-292.
113 Statuts fondamentaux de la Banque de France, décret impérial du 16 janvier 1808, article 9, in Lois et statuts qui régissent la Banque de France, Paris, Paul Dupont, 1931, p. 34.
114 C’est donc de manière légèrement inexacte que Robert Frank présente comme « automatique » le réescompte des bons du Trésor mobilisés par les banques commerciales auprès de la Banque de France avant 1935. Le point n’est pas qu’un détail technique, il fonde, comme souvent en histoire financière, toute une politique. Cf. Frankenstein (Robert), Le prix du réarmement français (1935-1939), op. cit., p. 104.
115 Sayers (Richard S.), Central Banking after Bagehot, Westport, Greenwood Press, 1982, p. 2- 7 [première éd. 1957].
116 Cahiers inédits François de Wendel, XXII, 8 janvier 1935, cité par Jeanneney (Jean-Noël), François de Wendel…, op. cit., p. 515.
117 Ibid., p. 522.
118 Déposition de Germain-Martin devant la commission des Finances de la Chambre, séance du 23 janvier 1935, vol. 33, p. 156, cité par Jeanneney (Jean-Noël), François de Wendel..., op. cit., p. 521.
119 Exposé des motifs de la loi tendant à autoriser le Trésor à émettre pour 5 milliards de bons, 21 janvier 1935, avec corrections manuscrites de Wilfrid Baumgartner, 12 pages, AWB, 1BA14, Dr6.
120 Exposé des motifs de la loi tendant à autoriser le Trésor à émettre pour cinq milliards de bons, 21 janvier 1935, doc. cité, p. 6 (souligné par nous).
121 Sayers (Richard S.), The Bank of England, 1891-1944, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 536 sqq.
122 Marsch (David), La Bundesbank aux commandes de l’Europe, Paris, Belin, 1992, p. 122-128.
123 Saint-Jean (Maurice de), La politique économique et financière du Docteur Schacht, thèse de droit, université de Poitiers, Paris, Félix Alcan, 1936, p. 99-112. L’auteur, à cette date, ne saisit pas encore véritablement la portée de l’innovation financière qu’a représentée le mécanisme des traites du travail. Il a tendance à en minimiser l’importance, s’efforçant notamment d’atténuer le caractère d’automaticité de leur mobilisation auprès de la Reichsbank. Il était en cela fortement influencé par le discours public de Schacht lui-même qui n’avait de cesse d’affirmer sa fidélité aux principes de l’autofinancement et plus généralement aux mécanismes d’une économie de marché et patrimoniale. Cette tension entre le discours patrimonial et la réalité des pratiques d’endettement est précisément constitutive d’une économie d’endettement. Cf. aussi Marczewski (Jan), Politique monétaire et financière du IIIe Reich, Paris, thèse de droit, Recueil Sirey, 1941, p. 159-214.
124 Schacht (Hjalmar), Mémoire d’un magicien, Paris, Amiot-Dumont, 1954, t. II, De Hitler au monde nouveau, p. 70.
125 Il était revenu à René Girault, qui nous avait fait l’honneur de présider notre jury de thèse de doctorat, d’avoir attiré notre attention quelque temps après la soutenance, comme en passant, sur les rapprochements qu’il était peut-être loisible de faire entre le crédit à moyen terme mobilisable et le système de Schacht. C’était sa façon bien à lui de féconder la recherche et c’est aussi pour cette qualité rare, parmi tant d’autres, que nous le regrettons tellement.
126 Pose (Alfred), La monnaie et ses institutions, histoire, théorie et technique, Paris, PUF, 1942, t. II, p. 811.
127 Cahiers François de Wendel, cité par Jeanneney (Jean-Noël), François de Wendel..., op. cit., p. 525.
128 Jeanneney (Jean-Noël), François de Wendel..., op. cit., p. 522-524.
129 Netter (Marcel), Histoire de la Banque de France entre les deux guerres, 1918-1939, Pomponne, édité chez la fille de l’auteur, Monique de Tayrac, 1994, p. 418-419.
130 Netter (Marcel), Histoire de la Banque de France…, op. cit., p. 419.
131 Frankenstein (Robert), Le prix du réarmement français…, op. cit., p. 108 ; Mouré (Kenneth), La politique du franc Poincaré…, op. cit., p. 267.
132 Bouvier (Jean) et alii, « Système bancaire et inflation au xxe siècle en France », Recherches et travaux, bulletin de l’Institut d’Histoire économique et sociale de Paris I, n° 7, 1978, p. 49 sqq.
133 Cité par Jeanneney (Jean-Noël), titre, op. cit., p. 521.
134 Dieterlen (Pierre), « Les banques », Revue d’Économie politique, t. L, 1936, p. 704.
135 Feiertag (Olivier), « Le Crédit lyonnais et le Trésor public dans l’entre-deux-guerres : les ressorts de l’économie d’endettement du xxe siècle », op. cit.
136 Brouillon préparatoire de Wilfrid Baumgartner à la note du 26 février 1935 « sur la politique de trésorerie », 4 feuillets manuscrits au crayon, AWB, 1BA14, Dr6.
137 Ibid., p. 3.
138 Ibid., p. 12-13.
139 Sauvy (Alfred), Histoire économique…, op. cit., p. 209 sqq ; Margairaz (Michel), L’État, les finances et l’économie…, op. cit., p. 79.
140 Exposé remis à Marcel Régnier, en vue du premier conseil de cabinet du ministre Sarraut, le dimanche 26 janvier 1936 à 17 h 30, 12 p., AWB, 1BA17, Dr1.
141 Mouré (Kenneth), « Une Éventualité Absolument Exclue : French Reluctance to Devalue, 1933-1936 », French Historical Studies, vol. XV, n° 3, 1988, p. 479-505.
142 Cf. supra, figure n° 8, p. XXX.
143 Frankenstein (Robert), op. cit., p. 126.
144 Cf. Margairaz (Michel), L’État, les finances et l’économie…, op. cit., p. 99 ; Mouré (Kenneth), La politique du franc Poincaré…, op. cit., p. 322-323.
145 Cours de finances publiques de W. Baumgartner, Leçon introductive, notes manuscrites préparatoires, AWB, 1BA5, Dr3, p. 1.
146 Ibid., p. 2.
147 Ibid., p. 3.
148 Ibid.
149 Notes préparatoires à un discours d’adieu, 25 novembre 1936, 1 feuillet au crayon de la main de W. Baumgartner, AWB, 1BA10, Dr2.
150 « Un quart d’heure pour l’affaire de ma vie », notes sur les circonstances du départ de Wilfrid Baumgartner, daté du 25 novembre 1936, 3 feuillets manuscrits au crayon, AWB, 1BA10, Dr2.
151 Ibid., p. 1.
152 Histoire générale de la presse française, op. cit., t. III, p. 577 ; Burrin (Philippe), La dérive fasciste, Bergery, Déat, Doriot, Paris, Le Seuil, p. 187-214.
153 Histoire générale de la presse française, op. cit., t. III, p. 587.
154 Le Petit Bleu du 7 mai 1936, AWB, 1BA18, Dr2.
155 La Flèche du 23 mai 1936.
156 La Tribune des fonctionnaires et des retraités du 4 juillet 1936, AWB, 1BA18, Dr4.
157 Le Populaire du 16 juillet 1936.
158 Juvénal du 1er septembre 1936, AWB, 1BA18, Dr6.
159 La Flèche du 17 octobre 1936.
160 Kuisel (Richard F.), Ernest Mercier…, op. cit., annexe, « The Managerial Positions of Ernest Mercier c. 1935 », p. 163-164.
161 L’Humanité du 14 février 1936, La Flèche du 29 février 1936, Nouvel Âge du 5 mars 1936 sous la plume de Georges Valois.
162 Kuisel (Richard F.), Ernest Mercier…, op. cit., p. 110-113. Cf. aussi : Rémond (René), Les droites en France…, op. cit., p. 200-201, 219 et 316.
163 L’Action française du 18 mai 1936.
164 Renouvin (Pierre), Histoire des relations internationales, Paris, Hachette, rééd. 1994, t. III, de 1871 à 1945, p. 531-533 ; Duroselle (Jean-Baptiste), Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Paris, Dalloz, 11e édition, 1993, p. 84.
165 Lettre de C. Rakowsky à A. de Monzie du 30 juin 1927 et réponse de A. de Monzie du 26 juillet 1927 (copies dactylographiées), AWB, 1BA21, Dr2.
166 Lévesque (Jacques), L’URSS et sa politique internationale de Lénine à Gorbatchev, Paris, A. Colin, 1980, p. 84.
167 Note de Wilfrid Baumgartner au ministre au sujet des relations commerciales franco-soviétiques, 9 juillet 1935, AWB, 1BA21, Dr3.
168 Kuisel (Richard F.), Ernest Mercier…, op. cit., p. 127.
169 Mercier (Ernest), URSS-réflexions, janvier 1936, Paris, Éd. du Centre polytechnicien d’études économiques, 1936, p. 109-110.
170 La Flèche du 16 mai 1936.
171 « Affaire du prêt commercial à l’URSS », note de Wilfrid Baumgartner au ministre du 19 novembre 1935, 8 p. dactyl., AWB, 1BA15, Dr2.
172 Ibid., p. 3.
173 Ibid., p. 4.
174 Ibid., p. 8.
175 Procès-verbal de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations du 6 décembre 1935, ACDC.
176 Lettre de W. Baumgartner à H. Deroy du 26 juillet 1935 et réponse de Deroy du 5 décembre 1935, AEF, B 32985.
177 Procès-verbal de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts du 6 décembre 1935, doc. cité.
178 Note de W. Baumgartner au ministre au sujet de l’application de l’assurance-crédit à la Russie, 10 décembre 1935, 8 p. dactyl., AWB, 1BA15, Dr2.
179 Procès-verbal de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations du 31 décembre 1935, ACDC.
180 Ibid., p. 3.
181 Kuisel (Richard F.), Ernest Mercier…, op. cit., p. 134.
182 Hamon (Augustin), Les maîtres de la France, op. cit., t. II, p. 298.
183 Suleiman (Ezra N.), Les hauts fonctionnaires et la politique, Paris, Éd. du Seuil, 1976, p. 217.
184 Audition de Pierre Laval et de Marcel Régnier devant la commission des Finances de la Chambre le 12 novembre 1935, AAN, XVe législature, 14 [toutes les citations qui suivent, sauf indication contraire, en proviennent].
185 Rey (Jean-Michel), Le temps du crédit…, op. cit., p. 18-21. Étudiant l’émergence du crédit monétaire au début du xviiie siècle, Jean-Michel Rey souligne bien combien ce processus met fondamentalement en question, « dans le corps social », « les formes possibles de garantie dans l’ordre de la production et de la circulation des différentes richesses », mais aussi les différents aspects de « la responsabilité » et les « figures de l’autorité ».
186 « Ma sortie dans les affaires de l’électricité », notes manuscrites datées d’octobre 1934 et du 4 novembre 1934, 2 feuillets à l’encre, AWB, 1BA10, Dr2.
187 Ibid.
188 Ibid.
189 Clerc (Henri), Le Beau Métier…, op. cit., p. 118.
190 Ibid., p. 144-145.
191 Bloch-Lainé (François), Profession fonctionnaire, entretiens avec Françoise Carrière, Paris, Le Seuil, 1976, p. 7.
192 Mouré (Kenneth), Managing the Franc Poincaré…, op. cit., p. 237-242 ; Id., « Une éventualité absolument exclue… », art. cité, passim.
193 Girault (René), « Léon Blum, la dévaluation de 1936 et la conduite de la politique extérieure de la France », Relations internationales, n° 13, 1978, p. 91-109.
194 Témoignage de Wilfrid Baumgartner au colloque Léon Blum, chef de gouvernement, 1936-1937, op. cit., p. 281-282.
195 Ses papiers personnels ont conservé cette série de dépêches, AWB, 1BA17, Dr3.
196 Audition de W. Baumgartner devant la commission supérieure des caisses d’épargne, le 22 octobre 1936, 23 p. dactyl., AWB, 1BA24, Dr6, p. 21.
197 Note de W. Baumgartner au ministre V. Auriol du 11 juin 1936, 18 p. dactyl., AWB, 1BA17, Dr3, p. 17.
198 Utilisation du bénéfice de réévaluation et avances de la Banque à l’État, s.d., s.s., 5 p. dactyl., AEF, B 33 201 et Influence de la loi monétaire du 25 septembre 1936 sur les bilans de la Banque, note non signée, s.d., 3 p. dactyl., AEF, B 33 202.
199 Lettre de Vincent Auriol à Emmanuel Monick du 25 août 1936, 9 p. dactyl., AWB, 1BA17, Dr4, p. 2. Auriol y rappelait à Monick le début des négociations officieuses avec l’ambassade américaine : « Je reçus le 6 juin dernier la visite de M. Cochran, premier secrétaire de l’ambassade des États-Unis, à Paris… »
200 Girault (René), « Léon Blum, la dévaluation de 1936… », art. cité, p. 92 et Margairaz (Michel), L’État, les finances et l’économie…, op. cit., p. 267-271.
201 Bizard (François), Les accords tripartites, mémoire des Sciences politiques, sous la direction de Wilfrid Baumgartner, 1938, p. 14-15 et 44.
202 Lettre d’E. Mercier à W. Baumgartner du 28 septembre 1936, AWB, 1BA19, Dr1.
203 Lettre de R. Truptil à W. Baumgartner du 26 septembre 1936, AWB, 1BA19, Dr1.
204 Lettre de R. Nathan à W. Baumgartner du 29 septembre 1936, AWB, 1BA19, Dr1.
205 La correspondance ultérieure entre les deux hommes le prouve amplement. Dès 1938, Auriol reprit avec son ancien directeur une relation cordiale, lui demandant par exemple, en juillet 1938, de lui faire l’amitié de recevoir son fils qui songeait à préparer l’inspection des Finances (Lettre de V. Auriol à W. Baumgartner du 6 juillet 1938, AWB, 1BA25, Dr5). En octobre de la même année, il s’adressait de nouveau à « [S]on cher directeur général et ami », pour revenir avec lui sur la position qu’ils avaient défendue ensemble au Sénat en août 1936 sur la question du contrôle des changes. « Je me demande, se confiait alors l’ancien ministre des Finances de Léon Blum, si j’ai été clairvoyant, et si je n’ai pas eu tort de ne pas accepter un contrôle comme celui d’Amsterdam ou de l’Angleterre » (Lettre de V. Auriol à W. Baumgartner du 12 septembre 1938, AWB, 1BA24, Dr6).
206 Cours de finances publiques de W. Baumgartner, 1945-1946, doc. cité, p. 5.
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