Précédent Suivant

Chapitre premier. « La jeune école du Trésor » (1902-1930)

p. 33-80


Texte intégral

1Wilfrid Baumgartner fut reçu premier à l’inspection des Finances, le 9 juillet 1925, à vingt-trois ans, au lendemain de la faillite du Cartel des gauches1. Était-ce le point de départ véritable d’une grande carrière ? Ou bien fut ce la proposition, à la fin de 1927, de rejoindre à la direction du Mouvement des fonds l’équipe chargée de mettre un point final à l’œuvre de stabilisation de Raymond Poincaré ? Ou encore la décision du ministre des Finances, Paul Reynaud, de l’appeler pour diriger son cabinet en mars 1930 ? À moins que ce ne fût, la même année, sa brillante alliance matrimoniale avec l’une des héritières du roi incontesté de l’électricité et des pétroles, Ernest Mercier ? Mais ne faudrait-il pas bien plutôt faire partir sa trajectoire de la vaste ambition mûrie par un adolescent, prénommé Wilfrid-Siegfried, tout empli encore des faciles exaltations wagnériennes que les enthousiasmes d’un père lui avaient léguées en partage, exprimée un soir d’été de l’immédiat après-guerre au retour d’une longue promenade aux bords du lac d’Annecy2 ? Le discours des origines, l’élucidation des motivations intimes et des desseins précoces offrent un terrain bien peu propice à la recherche historique, que la tentation du romanesque guette d’autant mieux que les sources sont parcimonieuses ou reconstruites après coup dans l’éblouissement inévitablement aveuglant des réussites ou des échecs qui ont suivi.

2L’entrée de Wilfrid Baumgartner à l’inspection des Finances apparaît du moins comme un objet aux aspérités historiques suffisamment nombreuses pour figurer un point d’ancrage convenable. C’est qu’elle présente, à un degré passablement élevé, cette alliance des mythes et des réalités qui séduit d’emblée l’historien et l’excite à la recherche3. L’inspection des Finances, à l’époque déjà où Baumgartner y fut admis, nourrissait en effet la polémique, alimentait des fantasmes, attisait le complexe si bien partagé du complot. Ces représentations, fait vrai quand bien même elles seraient fausses, demanderont à être examinées tant il est vrai que la renommée a très vite fait de Wilfrid Baumgartner comme un symbole de l’inspection elle-même. C’est à ce titre que ses origines, son milieu, les influences reçues, les premières lectures, son éducation scolaire, d’un mot la formation de son « outillage mental » pour reprendre l’expression parlante de Lucien Febvre4, trouvent toute leur importance. À supposer que l’inspection ait été cette caste d’autant plus omnipotente qu’elle était supposée fermée sur elle-même, les chemins empruntés jusqu’à elle par l’un de ses plus éminents représentants méritent d’être reconnus et précisés. C’est espérer aussi apporter une contribution supplémentaire aux réflexions déjà anciennes mais toujours valides sur la formation de la classe dirigeante (on parle aujourd’hui plus volontiers des « élites ») en France, au xxe siècle5 : le tout jeune inspecteur des Finances garantissait-il la pérennité d’un modèle intellectuel ? Assurait-il la reproduction d’un type social donné ? Questions importantes, car de la réponse qu’il est possible d’y apporter dépendent aussi les termes du débat toujours actuel sur la faillite supposée de ces mêmes élites au cours de la décennie suivante, face à la crise économique et à la guerre.

3Mais c’est également, champ d’expansion par excellence de l’histoire quand elle se fait sociale, s’attacher à rendre compte, à l’aune d’un parcours individuel, des empreintes d’une période, des marques caractéristiques, s’il en est, de cette génération à laquelle appartint Wilfrid Baumgartner qui naquit avant la Grande Guerre et devint adulte dans la mémoire pour longtemps vivace du vaste écroulement6. Son arrivée précoce aux affaires, sa rapide ascension de 1925 à 1930 ne trouvèrent-elles pas, d’ailleurs, dans les vides laissés par l’absence des hommes mûrs qui ne revinrent pas du Front, une condition nécessaire sinon suffisante ?

4Sans exagérer le poids déterminant des premières années, on doit néanmoins examiner comment Baumgartner s’est engagé alors dans les allées du pouvoir. Quelles ont été les conditions de son passage de la tournée de vérification à la direction du Mouvement des fonds, puis au cabinet du ministre lui-même ? Quelle lumière celles-ci projettent-elles sur le rôle des solidarités socioprofessionnelles, des amitiés héritées, des affinités électives, bref, d’un mot commode, des réseaux ? Ces années de formation n’ont-elles pas été aussi le temps des apprentissages sociaux autant qu’intellectuels ? C’est bien là le double enjeu de cette recherche des origines.

L’INSPECTION DES FINANCES : CASTE OU CORPS D’ÉLITE ?

5Au moment où Wilfrid Baumgartner fut admis à l’inspection, la réputation du corps était désormais bien établie depuis au moins la veille de la Première Guerre mondiale7. Dans l’entre-deux-guerres, l’inspection des Finances pouvait en effet à bon droit, comme le souligne Nathalie Carré de Malberg, être considéré comme « le corps le plus influent »8 ; le titre d’inspecteur, explique Christophe Charle, aurait alors constitué « un passeport universel de compétence, un certificat a priori d’aptitude aux plus hautes fonctions »9. De ce prestige, le discours que prononça, en 1931, à l’occasion du centenaire de l’inspection François Piétri, à cette date ministre du Budget, fournit un vibrant écho, dans la chaleur d’un discours de fin de banquet :

« Si l’Inspection des Finances, Messieurs, a servi l’État avec une aussi persistante fidélité, c’est qu’elle répondait à l’une des conceptions les plus solides du génie administratif du Premier Consul : le principe des élites qui rendait à une société nivelée à l’excès par l’électoralisme le stimulant rajeuni d’une sorte de noblesse. »10

6Quoi de plus naturel, aux yeux du ministre, si dès lors cette « sorte de noblesse » n’était pas dénuée de tout esprit de « caste » et si le concours d’entrée à l’inspection pouvait être assimilé à la pratique d’une « cooptation pure »11 ? Cette forte conscience de soi, ce corporatisme affiché prêtaient le flanc à la critique, alimentaient la rumeur de camarilla et l’obsession du complot. Le procès est bien connu : les inspecteurs des Finances, résumait Augustin Hamon, auraient été « doctrinairement et familialement » solidaires « de la classe des grands capitalistes »12. À suivre cet auteur, Wilfrid Baumgartner lui-même aurait ainsi parfaitement confirmé, parmi bien d’autres, la « liaison familiale des membres de l’inspection avec les gérants de l’économie française » et, d’une expression que Baumgartner apprit à bien connaître dans les années suivantes, de leur « inféodation aux deux cents familles »13. Le jugement qu’Emmanuel Beau de Loménie, à un niveau au moins aussi obsessionnel14, a porté sur Wilfrid Baumgartner résume parfaitement ces hantises : pour lui, Baumgartner fut « un personnage hautement symbolique », expression la plus achevée de cette « féodalité des primés des grands concours », recrutée « au départ par des jurys dépendant du gros capital »15. L’on trouve, plus récemment, dans un registre encore plus douteux, une présentation de la même veine chez un Henry Coston par exemple16. Quand bien même ces libelles qui très souvent se sont recopiés mutuellement ne seraient pas d’emblée discrédités par leur parti pris où l’anticapitalisme et l’antisémitisme se mêlent étroitement, peuvent-ils pour autant contribuer à orienter une légitime recherche des origines familiales et sociales ? Le milieu de Wilfrid Baumgartner, ses origines tant sociales que géographiques, les modalités du concours auquel il se présenta pour entrer à l’inspection des Finances, la formation reçue avant 1925 confirment-ils le schéma inévitablement statique de ces auteurs ?

7Nathalie Carré de Malberg a montré sur la base d’une approche de type prosopographique portant sur l’ensemble des inspecteurs recrutés dans l’entre-deux-guerres que la dénonciation polémique d’une inspection des Finances émanation de la grande bourgeoisie parisienne et passée par le moule idéologique supposé uniforme de l’École libre des sciences politiques était quelque peu nuancée par l’étude des dossiers des candidats, notamment à la lumière du tri statistique croisé opéré entre candidats reçus et candidats présentés17. C’est un cadre quantitatif précieux où replacer le cas particulier de Wilfrid Baumgartner, par différence ou conformité à la norme.

ORIGINES : LA BONNE BOURGEOISIE INTELLECTUELLE ET INDUSTRIELLE

8Wilfrid Baumgartner est né et a grandi, comme il le rappelait souvent, « dans le rectangle que bordent la rue Saint-Dominique et la rue de Varenne »18, au n° 12, Cité Vaneau, dans l’appartement familial19, à proximité de l’hôtel Matignon et des Invalides, au cœur du faubourg Saint-Germain. « Doit-on croire à l’influence des lieux où l’on a vécu ? Dans ce cas, elle serait plutôt conformiste », reconnaissait-il bien volontiers. Cette localisation parisienne est en tout cas, avec les 8e et 16e arrondissements voisins, celle de la majorité des jeunes recrues de l’inspection20. Par ses origines sociales pourtant, la figure du jeune inspecteur des Finances tranchait à première vue sur le stéréotype : Amédée Baumgartner, son père, de religion protestante, n’appartenait ni à la bourgeoisie d’affaires, ni à la Robe. Reçu à l’internat des hôpitaux de Paris en 1899 puis au concours des chirurgiens en 1907, il exerça son art aux Diaconesses et à La Pitié, d’une main, si l’on en croit la renommée, à la sûreté restée longtemps reconnue21. Par la profession de son père, l’itinéraire de Wilfrid Baumgartner l’inscrivait donc plutôt dans cette proportion d’inspecteurs issus d’un milieu intellectuel dont la notable progression marqua le recrutement dans l’entre-deux-guerres, par comparaison avec un poids presque deux fois moindre à la fin du siècle précédent. Baumgartner lui-même témoigna après coup de l’apport incomparable d’un environnement familial imprégné d’une culture humaniste et tourné avec prédilection vers les beaux-arts :

« Disons la chance unique que constitue une jeunesse passée dans un foyer cultivé où les livres sont le principal luxe [...] et où les préférences sont plutôt littéraires que scientifiques. Je me vois portant à mon père des problèmes de robinets qu’il repoussait avec un mépris dont je n’ai compris que beaucoup plus tard qu’il était seulement de l’effroi ! »22

9Les goûts d’Amédée Baumgartner le portaient donc plutôt vers le théâtre, une passion qu’il transmit en ligne directe à son fils Wilfrid : il avait succombé ainsi à la wagnéromanie idolâtre qui atteignit vers 1890 une fraction du public parisien23, accomplit le pèlerinage de Bayreuth24 et prénomma son fils aîné Wilfrid-Siegfried et Richard son cadet ! Amateur éclairé et mécène à ses heures, il soutint aussi de ses deniers la création par Jacques Copeau du Vieux Colombier en 191325.

10Pour autant, la profession et les goûts de son père ne doivent pas masquer les traits nombreux de sa généalogie qui reliaient, au moins formellement, Wilfrid Baumgartner aux milieux économiques et plus précisément au monde des industriels du coton26. À la génération encore de son grand-père, les attaches étaient provinciales et industrielles : Édouard Baumgartner (1840- 1919) était en effet propriétaire d’une filature à Fleury-sur-Andelle, non loin de Rouen, dans cette région textile de l’Eure entre la boucle que fait la Seine à Amfreville et le massif boisé de la forêt de Lyons, où il s’était fixé en 1871, en vertu du droit d’option prévu par le traité de Francfort27. Cet ancrage des Baumgartner dans l’industrie textile trouve des origines plus lointaines encore dans le temps et dans l’espace : c’est apparemment Jacques Baumgartner (1782-1836), un cousin germain au deuxième degré du grand-père Édouard qui avait été le premier à fonder, aux lendemains du Premier Empire, une manufacture à Lörrach, en pays de Bade germanique, exactement au point où les frontières française, suisse et allemande se rejoignaient. Il s’était allié, en 1813, aux Koechlin dont il devint alors l’associé ; un de ses fils, Léon (1819- 1872), l’héritier des installations de Lörrach, épousa une Mathilde Faure, fille des grands négociants en produits chimiques de Mulhouse ; leur propre fille, à la génération d’Amédée Baumgartner, fut, quant à elle, mariée à l’héritier des filatures et tissages Mieg. La branche cadette fonda de même sous le Second Empire des filatures de coton à Sainte-Marie-aux-Mines, en alliance matrimoniale avec les Haffner, également filateurs. En vérité, cette implantation des Baumgartner dans l’industrie textile depuis les débuts du xixe siècle illustre le passage à l’industrialisation des propriétaires terriens qu’ils avaient été depuis la fin du xviie siècle28 : Jean-Henri Baumgartner, le premier dont les généalogies ont conservé le nom, semble s’être fixé à Mulhouse vers 1641, venu de Franckenberg, dans le grand-duché de Hesse. Il fut introduit dans le cercle des notabilités de la ville par son mariage avec Agnès Risler, la fille d’un propriétaire terrien, déjà bourgeois de la ville. À la génération suivante, on retrouve ses deux fils Antoine et Jean-Guillaume échevins de la ville de Mulhouse, élus de la tribu des vignerons ; ils y possédaient leurs armes : « D’azur, à l’arbre posé sur un tertre entouré d’une haie, le tout au naturel accosté de deux étoiles d’or ». Tout au long du xviiie siècle, les Baumgartner, passés entre-temps de la tribu des vignerons à celle des agriculteurs, conservèrent l’échevinat de Mulhouse. Jean Baumgartner, le père du premier manufacturier de Lörrach, apparaît même comme chef de la tribu des agriculteurs en 1795, juste avant le rattachement de la ville libre de Mulhouse à la France. Mais l’enracinement généalogique de Wilfrid Baumgartner dans la notabilité de robe de Mulhouse puis dans les milieux de filateurs, de tisseurs et d’indienneurs alsaciens ne signifie pas pour autant qu’il ait entretenu avec ce rameau de la famille de quelconques relations. Les « papiers », à dire vrai, tendent plutôt à prouver le contraire : à l’exception de relations très épisodiques avec certains membres de la branche des filateurs de Sainte-Marie-aux- Mines, comme son cousin Alfred Baumgartner29, ou encore avec Suzanne Baumgartner, la veuve de son oncle Léon, ainsi qu’avec un de leurs fils Pierre, les liens entre Wilfrid Baumgartner et les Baumgartner demeurés après 1870 en Alsace semblent avoir été inexistants. Les alliances familiales supposées du jeune inspecteur des Finances avec le grand capital semblent donc difficilement devoir être recherchées dans cette direction. L’histoire des financiers d’Ancien Régime enseigne cependant que les femmes, tout autant, sont souvent l’un des vecteurs favoris, parce que caché, de l’influence et de la richesse30.

11Par sa mère, Wilfrid Baumgartner était allié aux milieux des armateurs et des grands portuaires de Rouen : Mathilde Clamageran, qu’épousa Amédée Baumgartner en 1901, était en effet la fille d’Élise Roberty et de Paul Clamageran qui figurait avec Depeaux et Frétigny parmi les principaux armateurs de ce grand port à la fois fluvial et maritime qu’est longtemps demeuré Rouen, jusqu’à ce que Le Havre finisse dans l’entre-deux-guerres par s’imposer comme port de pleine mer31. Une tante de Wilfrid Baumgartner pouvait lui rappeler bien plus tard la douceur de cet âge d’or où les Clamageran et les Roberty avaient tenu le haut du pavé, évoquant « tout ce milieu bien aimé de [sa] jeunesse, si plein de vraie distinction et de noblesse authentique », soulignant « l’influence et le respect inspiré [par eux] dans tout Rouen », « l’énergie splendide » du grand-père Clamageran, le calme de leur hôtel de la rue Lenôtre, le « foyer d’intelligence et de charme » qu’avait été La Lambertie, leur domaine à la campagne32. À treize ans, à l’occasion d’une rédaction scolaire où il devait décrire le retour sur les lieux de son enfance d’un personnage imaginaire ayant fait sa vie d’adulte à la ville, le jeune Baumgartner témoigna lui-même de l’importance de ces attaches familiales normandes, évoquant les impressions enfantines des séjours de vacances dans la maison provinciale des bords de la Seine, « avec ses îles verdoyantes et le Château Gaillard ». Au-delà de la banalité du propos, il livrait aussi de cette façon un tableau vivant d’un aspect de sa propre enfance :

« Pendant ces longues années, il avait toujours gardé un ineffaçable souvenir du pays normand où il avait passé son enfance [...]. Il se souvenait avec émotion du vieux puits entouré de capucines, de la petite salle à manger ornée des vieilles faïences de Rouen. »33

12La justesse de ces premières images est confirmée, s’il en est besoin, par l’écho remarquable qu’elles trouvent dans les souvenirs d’enfance dont Gide avait fait la matière de La porte étroite publiée en 1909 dans les premiers numéros de la Nouvelle revue française. Superbe témoignage, au-delà de sa valeur littéraire, de la réalité du milieu de la bonne bourgeoisie normande des années 1880-1890, de la marque durable des étés où le jeune André Gide quittait Paris à la mi-juin par le train, du souvenir de la pesanteur immuable des relations familiales, ponctuées par les sermons du pasteur Vautier, au cours de ces longues semaines passées dans les hautes maisons blanches des oncles et des tantes, à Fonguesemare ou à La Côte, sur les hauteurs du Havre, avec leurs fenêtres à petits carreaux, leurs jardins fleuris entourés de murs qui les protégeaient du vent et du « brouillard de mer »34. Tel pouvait donc aussi avoir été le milieu provincial d’origine de la génération des parents de Wilfrid Baumgartner. Tel était aussi le milieu où avaient fréquenté, dans le dernier tiers du xixe siècle, les Baumgartner qui appartenaient, eux, au monde du coton et des indienneurs alimenté dès avant l’Empire par des protestants rhénans et alsaciens, comme les Keittinger, Fahr ou Hizinger, dont l’implantation fut renforcée encore après la perte de l’Alsace-Lorraine35. Édouard Baumgartner, le grand-père, était arrivé dans le Rouennais, on l’a déjà mentionné avec cette dernière vague. Deux générations plus tard, les liens étaient certes plus manifestes entre Wilfrid Baumgartner et le milieu Clamageran qu’avec les Baumgartner d’Alsace. Pourtant, il faut attendre 1937 et la nomination de Wilfrid Baumgartner à la tête du Crédit national pour constater l’établissement d’une correspondance personnelle attestant une relation suivie et intime entre lui et William Clamageran, « l’oncle Willie », par lequel un lien existait aussi avec la famille Peugeot, dont l’un des fils, Jean, avait épousé une des filles Clamageran36. Au total, le capital social hérité du jeune adjoint à l’inspection des Finances apparaît plutôt limité : l’arrière-plan généalogique du côté des Baumgartner, comme des Clamageran, l’enracine certes dans les milieux industriels et marchands, mais les relations avec les membres de la branche paternelle semblent avoir été quasiment inexistantes, et celles avec la famille maternelle pour le moins tardives et limitées ; en tout cas, pas de banquier dans son entourage, pas non plus d’homme d’État, sinon, au titre de lointaine illustration familiale. Jean-Jules Clamageran fut en effet un éphémère ministre des débuts de la Troisième République dans le premier cabinet Brisson en 188537. Quant au milieu familial restreint, c’était, pour reprendre les catégories définies par Adeline Daumard38, la bonne bourgeoisie protestante et parisienne plutôt que la grande bourgeoisie d’affaires. Les Baumgartner, vers 1914, semblent d’ailleurs s’être tenus plutôt aux franges de cette haute société protestante dont les grands noms étaient alors les Mallet, Hottinguer, De Neuflize, Verne, Mirabaud, pour les banquiers39, ou encore, dans la haute fonction publique ou le monde politique, les Steeg, Buisson, Monod, Waddington, Say ou Freycinet40. S’il serait bien entendu très exagéré de faire de Wilfrid Baumgartner en 1925 un homo novus, il est au moins aussi inexact d’en faire l’héritier et le représentant de la grande bourgeoisie d’affaires ou de robe. De ce point de vue, au contraire, le jeune adjoint à l’inspection des Finances différait-il beaucoup du type le plus courant des inspecteurs de la seconde moitié du xixe siècle qu’Emmanuel Chadeau, qui les a étudiés collectivement, décrit globalement comme des « rejetons de classes moyennes, très dissemblables les uns des autres, sauf sur un point fondamental, leur instruction scolaire de haut niveau »41 ? Si dans le cas de Wilfrid Baumgartner, il serait erroné de parler de classe moyenne, il reste que ce fut d’abord par ses prouesses scolaires qu’en effet il s’illustra et se fit même un commencement de nom.

WILFRID BAUMGARTNER, LE PREMIER DE SA CLASSE

13La promotion de l’inspection des Finances de 1925 compta quatre reçus : Wilfrid Baumgartner figurait en tête de la courte liste, devant Jacques Georges-Picot, Henry du Moulin de Labarthète et Henri Bizot. Parmi eux, Jacques Georges-Picot s’est souvenu, bien des années plus tard, de la valeur alors unanimement reconnue au sein de toute l’« écurie » du candidat Baumgartner42. Ce bon élève, ce premier de la classe qu’à bien des égards il resta toute sa carrière, Wilfrid Baumgartner l’avait été tout au long de ses études, dès le cours primaire du petit lycée Buffon, puis dans les grandes classes de la série A1 où l’on faisait du latin et du grec, puis de l’allemand à partir de la classe de seconde en 1916-1917. Lui-même, par la suite, évoqua volontiers ses premiers succès scolaires, rappelant par exemple son arrivée au troisième trimestre de 1917-1918 au lycée de Poitiers où les tirs répétés de la Grosse Bertha dirigés contre les ministères trop proches du domicile familial avaient fait se replier les Baumgartner : là, dans une classe de rhétorique aux effectifs surchargés, racontait le gouverneur de la Banque de France, « j’étais, j’ose l’avouer aujourd’hui, ce n’était pas un grand mérite, beaucoup plus fort en grec que le professeur de grec. »43 Scrupuleusement conservée, la collection des premiers prix et des premières places au tableau d’honneur témoigne en effet assez de l’excellence de l’élève Baumgartner entre 1913 et 191944. Détermina-telle seule son projet d’aller s’inscrire, une fois le baccalauréat réussi, à l’École libre des sciences politiques ? C’est en tout cas l’explication qu’il souhaita que la postérité retînt :

« je portais en moi un petit nombre de certitudes dont l’une, due à je ne sais quel sombre instinct, était qu’il fallait aller aux Sciences Politiques et préparer l’Inspection des Finances. »45

14À dire vrai, le choix de l’école de la rue Saint-Guillaume en 1919 et le projet d’entrer à l’inspection des Finances durent relever moins de l’influence de la nature que des préceptes d’une culture bourgeoise et parisienne qui était alors celle du milieu Baumgartner. La proximité géographique du domicile familial et de l’école ne fournit-elle pas d’ailleurs une autre manière d’expliquer l’orientation décidée par Wilfrid Baumgartner en 1919 ? L’« instinct » invoqué à l’origine de son choix de carrière était-il autre chose que le produit d’un milieu social déterminé46 ?

15En 1919, le prestige de l’École libre des sciences politiques était solidement assis dans les couches bourgeoises parisiennes : pépinière de hauts fonctionnaires, passage obligé vers l’Inspection ou la Carrière ou, au contraire, chasse gardée de la bourgeoisie fortunée et de la noblesse assurant une reproduction sociale sans faille, le mythe, là aussi, était puissant et reposait sur des estimations inexactes des recrues des grands corps effectivement passées par les Sciences politiques47. À la réouverture de l’école au lendemain de la guerre, les effectifs atteignaient huit cents élèves inscrits, soit deux fois plus qu’en 1900-1901. Cet afflux s’expliquait aussi bien par le renom de l’école, notamment à l’étranger, que par le grand nombre de démobilisés désireux de reprendre des études que la guerre avait interrompues48. Baumgartner témoigna de l’état d’esprit spécial qui en résulta rue Saint-Guillaume :

« En cet automne de 1919, l’atmosphère y était assez particulière. [...] Beaucoup de démobilisés, un peu anxieux en reprenant le collier des études, et les garçons de ma série s’efforçant de calquer leur sérieux sur ces aînés plein de prestige. »49

16C’est une évidence de souligner combien la Première Guerre mondiale a marqué Wilfrid Baumgartner, comme tous les membres de la classe d’âge née comme lui dans les premières années du siècle. Jean-François Sirinelli a déjà montré la fertilité dans cette circonstance particulière de la notion de génération, soit l’ensemble des individus passés par « une matrice homogène », la khâgne dans ce cas – mais la préparation à l’inspection n’en constitue-t-elle une autre ? – et appartenant à la même classe d’âge, soit les jeunes gens nés autour de 190550. Né le 21 mai 1902, Wilfrid Baumgartner appartenait bien à cette même génération marquée par la « césure fondamentale » de la Grande Guerre51. Se serait-il pour autant reconnu dans le portrait de cette « génération pacifiste de 1905 » que les khâgnes et l’École normale ont couvé dans les années 192052 ? Sans préjuger bien entendu des résultats d’une enquête semblable à celle que Jean-François Sirinelli a utilisée pour les normaliens, mais appliquée cette fois à la population des inspecteurs des Finances de l’entre-deux-guerres, il faut souligner de quel poids a pesé l’expérience de la Première Guerre mondiale sur Wilfrid Baumgartner, comment elle a alimenté durablement sa vision de la France dans le monde, comment elle a été à l’origine aussi d’un sentiment persistant de rupture et de paradis perdu.

L’EMPREINTE DURABLE DE LA MÉMOIRE DE LA GRANDE GUERRE

17En 1914, Wilfrid Baumgartner avait douze ans, « ce que l’on pourrait appeler la maturité d’enfant » confessa-t-il bien après, avant d’ajouter, « vous comprendrez que les événements qui se produisirent cette année-là aient marqué mes impressions d’une façon définitive »53. Son père, alors âgé de quarante ans, s’engagea comme infirmier de deuxième classe puis, en 1915, fut placé à la tête d’une ambulance chirurgicale mobile54. Des motivations semblables avaient poussé, en 1870, son grand-père Édouard à quitter avec armes et bagages Mulhouse devenue allemande pour s’établir avec quelque cinq mille autres de ses concitoyens patriotes, dont ses associés, les Koechlin, les Dollfus, à l’ouest de la ligne de démarcation des Vosges55. Quoi d’étonnant donc si Wilfrid Baumgartner a pu déclarer être resté, pour sa part, « fidèle à l’esprit de patriotisme [...] puisé chez les [s]iens »56. Son expérience du conflit fut celle des civils, à l’arrière, avec sa mère et ses deux jeunes frères. Il vécut, adolescent, le retour au foyer du père blessé en 1917, mais aussi la vie toujours plus chère, les revenus de la famille laminés par le départ du père au front dont la maigre solde ne remplaçait pas les honoraires brutalement interrompus57, les affiches appelant dès 1915 à souscrire tous les ans aux emprunts de la Défense nationale58 dont la forte éloquence lui inspira, à l’automne 1915, la matière d’un devoir de français59. Il se fit toute sa vie volontiers l’écho de ses souvenirs des années de guerre : le lycée Buffon transformé en hôpital, la reconstitution des tranchées pour des jeux guerriers, l’été, sur les plages normandes60, le discours de Clemenceau du 20 novembre 1917 devant la Chambre – « Nous nous présentons devant vous dans l’unique pensée d’une guerre intégrale » – appris et longtemps connu par cœur, le repli à Poitiers au printemps 1918 puis l’enthousiasme de la victoire, la joyeuse cavalcade un certain 11 novembre, libéré un peu avant l’heure par le professeur de philosophie, « dès les premiers grondements de cloches », pour aller acclamer et « faire apparaître à son petit balcon du 52 avenue de Saxe le Maréchal Foch »61. Il n’est pas douteux qu’il y avait là amplement, même en replaçant ces souvenirs dans le travail de reconstruction de la mémoire qui marqua toute une génération, matière à forger chez Wilfrid Baumgartner les assises solides d’un patriotisme qui aisément put revêtir dans la Paix le sens d’un engagement au service de l’État demeuré, pour lui au moins, longtemps incontestable. Les conditions dans lesquelles il effectua son service militaire en 1922-1923 en fournissent une indication supplémentaire qui tranche sur le pacifisme et les manifestations antimilitaristes qui caractérisèrent à la même époque le milieu, par exemple, des Écoles normales supérieures.

18De la classe 1922, Wilfrid Baumgartner fut autorisé par son père, car telle était la procédure administrative en vigueur, à surseoir de six mois à son incorporation pour achever sa deuxième année de scolarité aux Sciences politiques. Mais dès l’été 1922, il s’inscrivit à la préparation du Brevet militaire supérieur, choisissant la spécialité « chars de combat et artillerie », et fut reçu, à l’issue de ses classes effectuées à Caen, 84e sur 47262. Il fut ensuite dirigé sur l’École d’artillerie de Fontainebleau. Son livret militaire le décrivait alors d’une taille d’1,64 m, les yeux marron (et non pas de ce bleu d’acier qu’une certaine imagerie a souvent prêté par la suite au gouverneur de la Banque de France !) et les cheveux bruns63. Au début de 1923, il était envoyé en garnison à Coëtquidan pour parfaire sa formation, dans le contexte de l’occupation de la Ruhr décidée par Poincaré en janvier dans l’esprit d’exécution intégrale du traité de Versailles. En août, il était démobilisé, avec le grade de sous-lieutenant relevant du 31e régiment d’artillerie du IVe corps d’armée. Une fois entré à l’inspection, son intérêt pour la formation militaire ne se démentit pas : il fut élevé en février 1927 au grade de lieutenant de réserve à la suite des périodes complémentaires effectuées à l’École de perfectionnement d’artillerie de Vincennes. Il était autorisé à y monter à cheval les samedis après-midi et les dimanches matin. À l’évidence, la chose militaire a occupé dans les années de formation de Wilfrid Baumgartner une place non négligeable, à une époque où l’armée française était encore, depuis 1918, la plus forte du monde, où le souvenir de la victoire si récente et les monuments aux morts qui s’édifiaient alors en grand nombre instituaient les lieux d’un véritable « culte civique » des combattants tombés au champ d’honneur, visant à refouler, dans la plupart des cas, les réalités du long massacre, des mutilés à vie et de l’expérience indicible des tranchées64. Né en 1902, Baumgartner était bien de cette génération trop jeune pour avoir combattu à Douaumont ou sur le Chemin des Dames, mais assez mûre pourtant pour avoir vibré à la résistance acharnée de Verdun et acclamé les vainqueurs de 1918, assez consciente aussi, entre douze et seize ans, des difficultés soudaines de la vie quotidienne à l’arrière où les revenus de la famille, le père au front, étaient atteints de plein fouet par l’inflation du temps de guerre tandis qu’une terrible Marianne guerrière, le glaive dressé, appelait à verser son or « pour le Drapeau et pour la Victoire »65. Telles sont les expériences objectives qui, au sein d’une même génération, ont pu conduire certains au pacifisme et à l’internationalisme mais d’autres aussi bien au sentiment de la grandeur de la France, de son rang dans le monde, du sacrifice consenti par la génération précédente, de la valeur aussi de la parole de la République donnée si solennellement à ceux qui versaient leur or comme d’autres versaient leur sang. Soulignera-t-on assez le poids de ce premier passé dans la formation du futur fonctionnaire du Trésor, du commis aux Finances de la République dévolu à la gestion de l’immense dette publique contractée au cours de ces années-là ? « Ce que je dois dire, c’est combien ces quatre années de la première guerre ont été, je crois, pour ma formation, essentielles », résuma lucidement Wilfrid Baumgartner lui-même66. Les années d’études aux Sciences politiques entre 1919 et 1924, à l’évidence, lui transmirent cet héritage au moins autant que les principes de l’économie politique libérale.

IMPRÉGNATIONS LIBÉRALES À L’ÉCOLE LIBRE DES SCIENCES POLITIQUES

19Le 5 juin 1920, l’École libre des sciences politiques célébra le cinquantenaire de sa fondation. Alexandre Ribot, qui avait été chargé du portefeuille des Finances de 1914 à 1917, rappela, dans le discours qu’il prononça à cette occasion dans le grand amphithéâtre de l’école, que si à Paris en 1871 on avait dit que c’était l’université de Berlin qui avait triomphé à Sedan, on aurait dit à Berlin en 1919 que c’était l’École française des sciences politiques qui avait gagné la guerre67 ! Lourd honneur, bien révélateur de l’état d’esprit qui, au lendemain du conflit, imprégnait l’établissement dont le corps professoral fut alors en grande partie renouvelé. Les enseignements que suivit alors Wilfrid Baumgartner, inscrit dans la section des finances publiques, nous sont parfaitement connus grâce à la reproduction intégrale des programmes de cours assurés rue Saint-Guillaume en 1920-1921 qu’a donnée, de manière très utile, Lucette Le Van Lemesle dans les annexes dactylographiées de sa thèse sur l’enseignement de l’économie politique en France de 1860 à 193968. Le cours d’économie politique était assuré par Clément Colson, conseiller d’État, qui avait succédé à Alfred de Foville depuis 1910. Il était alors également assisté d’Albert Aupetit, disciple déclaré de Walras et devenu en 1920 secrétaire général de la Banque de France, suite aux échecs répétés à l’agrégation que lui avait valu dans le milieu de la faculté de droit de Paris son tropisme intellectuel pour le maître de Lausanne et pour l’économie mathématique69. André Liesse assurait le cours de statistique, tandis que le cours de finances publiques, dont Baumgartner devait devenir le titulaire continûment entre 1929 et 1947, était alors assuré par Louis Courtin, président de chambre à la Cour des comptes, flanqué de deux inspecteurs des Finances, Jules Corréard et Émile Goussault. Gilbert Gidel assurait le cours de droit international, Joseph Barthélemy, alors jeune professeur à la faculté de droit, y enseignait l’histoire parlementaire et législative. Mais le cours le plus prisé de ces années d’après-guerre était celui qu’André Siegfried consacrait à la géographie « commerciale et statistique », atteignant en de magistrales évocations comparées de la production et du commerce de l’Allemagne, du Royaume-Uni et des États-Unis à ce qu’il estimait être « l’âme », sinon la race, de chacun de ces peuples70. Derrière tous ces noms, les principes enseignés à cette période participaient assurément toujours largement de l’orthodoxie libérale héritée de la fin du xixe siècle : les préceptes de la plus stricte orthodoxie budgétaire voisinaient avec les sains principes des mécanismes autorégulateurs des prix et des vertus de l’étalon-or, appuyés sur la croyance dans les bienfaits universels d’une liberté commerciale la plus grande possible71. L’imprégnation dont témoignent les copies de Wilfrid Baumgartner, remarquées par ses professeurs au cours de ces années 1919-1924, aux Sciences politiques comme à la faculté de droit où il était inscrit parallèlement, et où il suivait épisodiquement les enseignements d’Albert Afatlion ou de Germain-Martin, prouve s’il en est besoin la prédominance d’un modèle intellectuel unique et la transmission parfaite par-delà la rupture de la Première Guerre mondiale d’un corps de connaissances sorti tout armé du dernier tiers du xixe siècle.

20Dès 1921, et tout au long de sa scolarité rue Saint-Guillaume, Wilfrid Baumgartner donna ainsi avec un certain éclat plusieurs conférences dans le cadre de la section de Finances et de législation de la Société des anciens élèves et élèves de l’école. Il traita de cette façon des « répercussions de la guerre sur l’équilibre économique de la France » en février 1921, de « l’inflation » en novembre, ou des dettes interalliées en mai 1922, et se vit même attribuer pour cette dernière prestation la médaille Roty, du nom du créateur de la Semeuse, qui lui fut remise lors d’un dîner solennel en avril 1923, pour lequel le jeune sous-lieutenant dut solliciter une permission militaire spéciale. Sorti diplômé des Sciences politiques en 1922, reçu 3e sur 119 derrière Henri Deroy, reçu premier72, il consacra sa thèse de fin d’études à un mémoire sur la flotte marchande d’État constituée à partir de 1916 pour assurer le ravitaillement du pays, où il s’efforçait de démontrer les dangers de la mainmise de la puissance publique sur un secteur commercial par nature étranger à l’État :

« L’expérience de la Flotte d’État, que seule la guerre avait légitimée, a été prolongée inconsidérément durant la paix. [...] L’influence étatiste a prévalu : il en a coûté au Trésor près d’un milliard et demi. Pareil résultat ne saurait qu’inciter à réfléchir sur les dangers de l’étatisme et des comptes spéciaux. »73

21Ce credo libéral imprégna avec plus de netteté encore les analyses qu’il livra dans sa thèse de droit ès Sciences politiques et économiques, Le Rentenmark (15 octobre 1923-11 octobre 1924), soutenue le 31 janvier 1925 à la faculté de droit de la rue Saint-Jacques, sous la direction de Germain-Martin, assisté le jour de la soutenance par Edgar Allix et Charles Rist74. Cette étude était largement fondée sur une bibliographie allemande, en particulier sur l’ouvrage Feste Mark, solide Wirtschaft [Mark fort, économie solide], qui venait tout juste d’être publié par Hans Luther, le ministre des Finances du gouvernement Stresemann en 1923, auquel revenait la paternité du projet du Rentenmark. Sans aucun doute, ce premier travail reflétait les conceptions dominantes de l’économie politique libérale telle qu’elle continuait à être enseignée dans les années 192075. C’est ainsi que le jeune Baumgartner y fustigeait, sans pousser très avant l’analyse, « les méfaits de l’inflation », responsables de « la détresse des finances publiques et de la misère de l’économie privée »76. Le retour à la stabilité monétaire en Allemagne, selon lui, s’expliquait fondamentalement moins « par la volonté publiée par le gouvernement d’opérer un redressement financier », que « par le désir éprouvé par chaque individu de disposer enfin d’un instrument stable des échanges »77. À ces analyses convenues qui témoignent aussi du conformisme intellectuel qu’impliquait alors largement l’exercice scolaire de la thèse de droit, répondaient pourtant aussi dans cette première étude des éléments plus nouveaux, tenant moins au jugement de Baumgartner lui-même qu’à certains aspects inédits du sujet d’actualité qu’il avait choisi de traiter. Ainsi en était-il des pages qu’il consacrait à la réorganisation de la Reichsbank en 1924 et de l’importance nouvelle que ses statuts forgés sous le contrôle du comité financier de la SDN accordaient à la notion d’indépendance de la banque centrale78. Ainsi également de l’analyse très objective que le jeune impétrant livra de la « politique des crédits » menée par la banque d’émission dans le cadre de la stabilisation monétaire et qui consista, notait-il, non pas à suspendre comme auraient semblé l’exiger les circonstances, toute facilité nouvelle de crédit, mais au contraire à fournir de manière importante « les avances indispensables d’abord pour faciliter le relèvement du commerce et de l’industrie »79.

22De l’observation des faits eux-mêmes, particulièrement dans le cas de l’Allemagne, émergeaient ainsi progressivement, au lendemain de la Grande Guerre, les éléments de réflexion qui allaient nourrir toute la question du crédit en France durant l’entre-deux-guerres. Si la continuité de part et d’autre de 1914 l’emportait dans les mentalités économiques, les faits économiques et financiers étaient, eux, porteurs de changements véritables. C’est cette tension qu’à sa façon illustre à merveille la thèse de droit du jeune Baumgartner.

LE CAPITAL SOCIAL HÉRITÉ DU HAUT FONCTIONNAIRE DES FINANCES

23Rapidement publié aux Presses universitaires de France, Le Rentenmark connut une assez large diffusion, excédant l’audience habituelle de ce genre d’ouvrage. Baumgartner en fit parvenir un exemplaire, entre autres, à ses oncles Clamageran et à Jacques Marcheguay avec lequel il avait également été mis en relation par son milieu familial, ainsi qu’à ses professeurs des Sciences politiques et à ses camarades de l’école dont beaucoup demeurèrent, par la suite, dans son entourage immédiat : Roger Truptil, René Pleven, qui préparèrent l’inspection la même année que lui mais ne furent pas reçus ; Henri Bizot, Jacques Georges-Picot, Jean Maxime-Robert ou François de Flers ; qui, eux, furent reçus ; ou encore d’autres condisciples, comme Jean Auscher, Maurice Decoudu ou Alexandre Parodi qui fut son voisin immédiat rue de Varenne et qui, déjà, avait fréquenté en même temps que lui le lycée Buffon80. On ne saurait, du reste, sous-estimer l’importance durable qu’a revêtue, tout au long de la trajectoire du grand commis, l’apport à son capital social qu’a représenté le temps de sa scolarité à l’École libre des sciences politiques. La consultation des registres d’inscriptions pour les années 1919-1922 permet ainsi de repérer, dès cette première époque, la plupart des noms qui n’ont cessé de figurer dans son réseau tout au long de sa vie.81 C’est de même dans le cadre de sociabilités propres à son passage rue Saint-Guillaume qu’il faut mentionner sa participation attestée en 1922-1923 au GEDES (Groupe d’études économiques et sociales) fondé en 1922 par des étudiants en droit et des élèves de l’École libre des sciences politiques82. Ce groupe, un de ces nombreux « groupes d’étude pour la réforme du monde », pour reprendre l’expression que lui appliqua après coup l’un de ses membres fondateurs, Pierre-Olivier Lapie83, exerça néanmoins une influence notable dans le milieu des jeunes avocats dont certains, de fait, sont demeurés par la suite en relation épisodique avec Wilfrid Baumgartner, comme Georges Marconnet ou René Maus84. Avec l’empreinte laissée par l’expérience de la Grande Guerre et les ruptures qu’elle a marquées, de fait, dans le domaine de l’économie et de la monnaie, les réflexions encore très marquées par l’orthodoxie dominante dont témoignent ses premières analyses, les amitiés aussi nouées rue Saint-Guillaume, autant d’éléments qui dessinent donc le cadre mental et social où s’inscrivirent les premiers pas de Wilfrid Baumgartner dans la carrière des finances publiques. La préparation spécifique au concours de l’inspection des Finances, qu’il suivit en 1924-1925, a été une étape supplémentaire de cette longue initiation.

LES « ÉCURIES » ET LE CONCOURS DE L’INSPECTION DES FINANCES (1924-1925)

24La préparation à l’inspection, rattachée à l’École libre des sciences politiques, était en fait assurée intégralement par des membres de l’inspection. Les candidats étaient rassemblés en groupes restreints en « petites écuries » sous la conduite rapprochée de deux adjoints frais émoulus du concours ; ils suivaient également des conférences générales, réunis cette fois en « grande écurie », assurées par des inspecteurs plus âgés85. C’est ainsi que Wilfrid Baumgartner fut inscrit dans l’écurie dirigée par Érik Haguenin et Henri Deroy, reçus tous deux en 1923. Jacques Georges-Picot, qui faisait partie de la même écurie, avec Henry du Moulin de Labarthète et René Pleven, a témoigné de l’influence de ces deux personnalités différentes, de l’austère froideur, raisonnable et privée de tout rayonnement de Deroy, de « l’ambition bouillonnante » et de la brillante intelligence de cet ancien normalien qu’était Haguenin86.

25Le travail en petite écurie visait moins à l’acquisition de connaissances qu’au travail de la forme, tant écrite qu’orale ; il préparait à ce que Baumgartner définit plus tard comme le style de l’inspection des Finances dont le sujet du premier jour du concours devait être l’expression la plus achevée :

26« Tout le concours de l’Inspection se jouait sur ce qu’on appelait le premier jour [...] où il fallait résoudre un haut problème de finances ou d’économie [...] en écartant cependant toute précision de mauvais goût, et cela dans un ordre en principe parfait et aussi, et presque surtout, dans une langue exemplaire ; leur homme, c’était le style ! »87

27Cet apprentissage fut parfois rude. En témoigne cette annotation d’Érik Haguenin sur une des copies de l’impétrant en janvier 1925 :

« Veillez à ne pas viser exclusivement au brillant. [...] Le fonds est un peu succinct. [...] C’est là un défaut qu’il importe que vous vous attachiez à corriger dès maintenant »88.

28L’épreuve écrite du premier jour eut lieu, pour Baumgartner, le 19 juin 1925, dans la grande salle à manger du ministère des Finances, en tenue de ville89. La copie du candidat Baumgartner, anonyme, portait le numéro 37 et, en manière d’exergue, la devise déjà de Custodiam, qui affichait sans détour une vocation à monter la garde devant le Trésor public ou devant la monnaie elle-même90. Le sujet proposé ce jour-là préparait, lui aussi, à des préoccupations qui furent bien celles de Baumgartner dans les années suivantes : « La hausse du taux de l’intérêt en France. Ses causes, ses conséquences. L’État doit-il intervenir pour chercher à limiter l’augmentation excessive du loyer de l’argent et en a-t-il les moyens ? »91 À défaut de pouvoir disposer de la copie remise ce jour-là, les quelques notations rapides du brouillon préparatoire renseignent toutefois sur l’optique générale adoptée par le candidat :

« Augmentation du prix de l’argent. Conséquences : ralentissement des affaires, l’approche de la crise. [...] il n’est que temps pour l’État d’intervenir [...] : la tâche urgente pour empêcher l’augmentation des taux c’est le rétablissement de la confiance. La difficulté est de concilier les exigences opposées du redressement des finances et du développement de la production. »92

29Bien dans l’esprit des sujets de premier jour posés dans l’entre-deux-guerres, la question plaçait d’emblée les candidats face à l’ambiguïté majeure à laquelle leur action future serait confrontée : à savoir la nécessité de « concilier » les principes de l’orthodoxie financière avec les impératifs du développement économique93. Dès 1925, indéniablement, Wilfrid Baumgartner en avait parfaitement cerné, sur le plan théorique, toute la difficulté. Admissible et déjà classé premier, il affronta le 6 juillet l’épreuve de l’oral, en jaquette cette fois, dans le décor imposant de la bibliothèque de l’inspection, devant un jury uniquement composé d’inspecteurs, comme à l’accoutumée : il y avait là, présidé par Perronne entré en 1889, de Fabry, Lebelle, Lauré, Le Roy et Du Buit, entrés plus récemment entre 1901 et 191994. Trois jours plus tard, Wilfrid Baumgartner était déclaré premier reçu, et le ministre des Finances, Joseph Caillaux, depuis la chute sans gloire du premier cabinet du Cartel en avril, signa le décret de sa nomination. Wilfrid Baumgartner avait franchi sans encombre le seuil de la carrière des finances publiques. Pour autant, sa formation n’était pas achevée : François Piétri soulignait bien en effet que l’inspection « avant d’être une solidarité de personnes, [...] était une solidarité de doctrine, que loin d’être un club, l’Inspection était surtout une école »95. Au lendemain de son succès au concours de l’adjonction, Wilfrid Baumgartner dut se plier à la discipline nouvelle de cet apprentissage des réalités qu’était la Tournée.

LES APPRENTISSAGES TECHNIQUES ET SOCIAUX DE LA « TOURNÉE »

30Ainsi les années de Tournée furent-elles moins un purgatoire dans la carrière de Wilfrid Baumgartner qu’une période de formation supplémentaire, à l’importance peut-être aussi capitale que les années de formation intellectuelle acquise aux Sciences politiques, à la faculté de droit et en préparant le concours de l’inspection : école pratique des formes concrètes de l’administration des Finances à l’échelon le plus local, sans aucun doute, mais aussi apprentissage des rites sociaux et temps privilégié, au hasard des collaborations avec les camarades de l’inspection « souffrante », pour la constitution des réseaux et des filières. La Tournée semble bien avoir été un des lieux par excellence de l’apprentissage du métier d’inspecteur qui, d’une certaine manière, pouvait se résumer à un « savoir être »96. Sur sa commission d’adjoint à l’inspection, une photographie au format d’identité renvoie de Wilfrid Baumgartner tout juste âgé de vingt-quatre ans le portrait d’un très jeune homme aux traits anguleux et nets, sans sourire pour éclairer un visage parfaitement lisse97. Le jeune adjoint fut affecté aux tournées de vérification de juillet 1925 à décembre 1927. Il officia ainsi en 1925, sous la direction de l’inspecteur général Louis Souclier, son aîné de trente-trois ans, en effectuant ses premières missions aux quatre coins de la troisième division fiscale, celle de Lyon, sous l’autorité directe de l’inspecteur de première classe Maurice Lorain, qui devait quitter peu après la Tournée pour la direction du Mouvement des fonds. Parmi les jeunes inspecteurs se trouvaient également rassemblés dans la même brigade Jacques Brunet, Charles de Boissieu, Henri Boissard et Jacques Rueff qui avaient tous été reçus entre 1921 et 1924. Ces noms ne devaient plus cesser de l’accompagner jusqu’à la fin de sa vie.

31Baumgartner accomplit sa première vérification en compagnie de Jean Appert, reçu en 1922, au bureau des Contributions directes de Lons-Le- Saunier. La Tournée assurément était riche d’expériences formatrices98 : les relations d’autorité avec l’agent vérifié, toujours beaucoup plus âgé, auquel le règlement prescrivait de ne serrer la main qu’une fois la régularité de ses comptes dûment constatée, la rédaction du rapport contradictoire à cinq colonnes aux disciplines de rédaction inlassablement répétées par le « Premier » ou le « Général », la hantise du « claquage », c’est-à-dire l’erreur de caisse relevée par l’inspecteur dans la première colonne, contestée dans la deuxième par l’agent vérifié auquel l’inspecteur général donnait finalement raison dans la cinquième après avoir laissé un droit de réponse à l’inspecteur et au supérieur hiérarchique de l’agent vérifié99. Les années de Tournée donnaient ainsi au jeune inspecteur, outre le sens de l’autorité et des hiérarchies administratives, une connaissance détaillée et fort concrète de l’état de l’administration locale : pour sa deuxième campagne, en 1926, Wilfrid Baumgartner tourna cette fois en Normandie et dans le Nord, sous la direction de l’inspecteur général Wurtz, modèle de la vieille inspection où il était entré en 1888, et en compagnie de Jean Watteau et d’Henri Deroy, plus anciens que lui, d’Henri Bizot son camarade de promotion et du jeune adjoint François de Flers. Entre le 15 mars et le 10 novembre, Baumgartner vérifia ainsi quelque trente-huit agents : percepteurs, receveurs des Postes, contrôleurs des Contributions directes, receveurs des Finances, à Amiens, Caen, Rouen, Laval, Honfleur, Alençon, Sée, Illier, Argentan, etc. Entre ces hommes jeunes, encore célibataires pour la plupart, des liens inévitablement se créaient, des antipathies également, renforcés par cette vie commune de nomadisme, faite d’hôtels souvent médiocres car les indemnités journalières étaient faibles, d’interminables trajets en chemin de fer effectués à la lenteur des lignes secondaires de la France rurale, dans des wagons inconfortables, sur d’étroites banquettes où il leur fallait de temps à autre passer la nuit, mais une vie faite aussi de fin de semaines plus détendues, dans un chef-lieu côtier de la baie de Somme ou de la Manche, et de trop rares soirées parisiennes dérobées entre deux trains matinaux au cours desquelles ces jeunes gens, pour reprendre leur propre expression, pouvaient enfin « s’ébattre ». C’est ainsi que Baumgartner, devenu gouverneur de la Banque de France, put, à l’occasion de son départ du conseil général où il siégeait jusque-là comme gouverneur du Crédit foncier, rendre un hommage appuyé à l’influence profonde qu’exerça sur lui Henri Deroy en leurs jeunes années :

« Quand en 1920 nous étions condisciples rue Saint-Guillaume, vous apparaissiez déjà comme le maître que vous fûtes ensuite pour beaucoup d’autres et pour moi dans une des plus célèbres écuries qu’on ait probablement connues. Quand en 192[6], on découvrait, sous votre houlette, dans un faubourg de Cambrai, les mystères du percepteur, on les découvrait d’un coup tout entiers. »100

32Et la Tournée, dès la deuxième année, fut aussi l’occasion de nouer des relations privilégiées avec un camarade plus jeune que l’on accompagnait dans sa première vérification. Wilfrid Baumgartner servit ainsi de mentor à François de Flers, sorti deuxième des Sciences politiques et tout juste reçu au concours de l’inspection. De Flers tint à exprimer d’emblée son bonheur d’avoir en lui le guide de ses premiers pas101 et à lui marquer toute la déférence qu’il éprouvait pour lui qui était à peine son aîné, mais dont l’écurie rue Saint-Guillaume jouissait déjà depuis la rentrée de 1926 d’une réputation inégalée102. C’était poser les fondements d’une relation durable. À l’inverse, dès cette première époque, Wilfrid Baumgartner ne semble avoir entretenu aucune espèce de relation avec un Jacques Rueff, par exemple, qui fit pourtant partie de la brigade de Lyon, comme Baumgartner, en 1925. La Tournée était donc bien le lieu où des relations pouvaient se nouer qui n’étaient pas nécessairement d’amitié, mais qui, fondées sur la réputation des uns et des autres, sur le prestige social ou la valeur intellectuelle, formaient les bases de cet ensemble de bons rapports de camaraderie socioprofessionnelle que sont les réseaux. C’est en ce sens que les premières années passées dans les cadres fournissaient aussi la matière d’apprentissage des rites sociaux, tant à l’occasion du dîner où le « Général », dans son appartement parisien, conviait pour la première fois les nouveaux adjoints de sa brigade, qu’au travers des rapports de sociabilité établis entre les inspecteurs d’une même brigade, où certains, comme Henri Bizot ou Jacques Georges-Picot, emmenaient leurs jeunes épouses. On ne peut douter que la Tournée jouât ce rôle pour Wilfrid Baumgartner, qu’elle fut l’occasion d’établir des rapports avec Deroy ou Watteau, Lorain ou Boissieu, de Flers ou Ripert, dont il assura l’initiation tout au long de l’année 1927 de nouveau dans la division fiscale de Lyon. Mais elle fut aussi l’occasion d’éprouver la juste mesure des règles de sociabilité, parfois de façon cuisante, comme lorsqu’il lui arriva en novembre 1927 de féliciter avec trop de hâte l’inspecteur de première classe Charles Donati, qui chaperonnait la brigade, pour un « heureux événement » qui recouvrait en fait, sous une écriture difficilement lisible, la perte de l’un de ses proches, précision que le malheureux Donati dut lui apporter non sans remontrance par retour du courrier103. Mais ces maladresses de jeunesse précisément ne portaient pas à conséquence et c’est avec beaucoup de sincérité que le même Donati fit parvenir à Baumgartner une lettre très encourageante quelques semaines avant le second concours auquel était soumis l’adjoint à l’inspection avant d’être nommé inspecteur de quatrième classe.

33Baumgartner, excellemment noté pour la qualité de ses vérifications, subit avec le succès attendu cette dernière épreuve où il traita du contrôle par l’État des ententes industrielles et à l’issue de laquelle il conserva son premier rang104. Raymond Poincaré signa cette fois le décret de nomination le 27 janvier 1928. Depuis 1925, rue de Rivoli, le « sauveur du franc » avait en effet succédé dans l’intervalle aux éphémères derniers titulaires du bien lourd portefeuille alors qu’agonisait le Cartel, et le Sphinx lorrain avait paré à la dramatique crise des changes de l’été 1926. La réussite de Wilfrid Baumgartner en janvier 1928, cependant, n’explique nullement sa sortie de la Tournée. L’opportunité qui relevait d’un tout autre ordre de décision lui en avait été signifiée en fait à la fin de décembre 1927, par une invitation à rejoindre la direction du Mouvement général des fonds au ministère des Finances. C’était vraiment, cette fois, l’entrée dans les allées du pouvoir administratif.

« PLUS PROCHE DU SOLEIL », L’ENTRÉE AU MOUVEMENT DES FONDS

34La proposition de la direction du Mouvement des fonds parvint à Baumgartner à la fin de 1927 sous la forme d’une courte lettre signée de son sous-directeur du moment, Jean-Jacques Bizot :

« Cher ami, une vacance s’ouvre au Mouvement des fonds. M. Moret me charge de vous demander s’il vous serait agréable de la combler. Affectueusement, [signé] Jean-Jacques Bizot »105.

35Par ces quelques mots se trouvent remarquablement éclairés le cadre et le contexte de la nomination de Wilfrid Baumgartner au Mouvement des fonds : l’entrée des inspecteurs des Finances dans les grandes directions du ministère des Finances et dans les cabinets ministériels était en 1927 un phénomène encore récent. Il avait consacré à la fin du xixe siècle la montée en puissance du corps, devenu alors, selon les termes mêmes de Joseph Caillaux qui en était lui-même issu, « une des pièces essentielles de l’État »106. La Tournée était progressivement devenue, pour ceux qui étaient appelés à en sortir, l’antichambre d’un pouvoir nettement plus réel. Jacques Rueff qui précéda, d’un an à peine, Wilfrid Baumgartner sur cette voie, décrivit parfaitement dans ses mémoires cet accès privilégié au pouvoir :

« La tournée n’était pour un inspecteur des finances que l’ordinaire de sa fonction. L’ambition de tous ceux qui la pratiquaient était d’en sortir le plus tôt possible, pour accéder à des emplois plus proches des soleils qu’étaient le Ministre et les grands directeurs de l’Administration centrale. »107

36Sans doute cette entrée soudaine dans le cercle rapproché du ministre pouvait-elle en partie s’expliquer par la valeur du jeune inspecteur, mais autrement plus déterminant semble avoir été en l’occurrence le rôle des affinités et des réseaux déjà constitués. Les protestations d’affection du sous-directeur à l’égard du jeune inspecteur en témoignent qui ne sont pas ici qu’une clause de style. Fils d’un agent de change appartenant à la grande bourgeoisie catholique lyonnaise, Jean-Jacques Bizot était le frère aîné d’Henri Bizot, le camarade de promotion de Wilfrid Baumgartner en 1925. Entré à l’inspection en 1922, il avait lui-même été appelé au Mouvement des fonds par Olivier Moreau-Néret en 1926, et avait connu Baumgartner dans le cadre de la grande écurie qu’il avait dirigée en association avec André de Chalendar en 1924-1925108. Quant à Clément Moret, le directeur du Mouvement, il n’appartenait pas à l’inspection des Finances. Placé à ce haut poste sous le Cartel des gauches en décembre 1924, après avoir été trésorier-payeur général à Chartres, il s’entoura néanmoins de membres de l’inspection, comme la tradition en était alors bien établie. Il fut à ce titre, au ministère des Finances, le principal artisan de la stabilisation du franc intervenue de droit le 25 juin 1928, avant d’être finalement nommé sous-gouverneur de la Banque de France au lendemain du vote de la stabilisation Poincaré en novembre 1928, puis gouverneur en septembre 1930 par Paul Reynaud109.

LE DERNIER ACTE DE LA STABILISATION POINCARÉ (PRINTEMPS 1928)

37L’histoire de la stabilisation monétaire réalisée sous la conduite de Poincaré entre 1926 et 1928 a fait l’objet d’analyses fort nombreuses et depuis déjà fort longtemps110. Cette histoire ne concerne que tardivement l’action de Wilfrid Baumgartner arrivé au Mouvement des fonds au début de février 1928 seulement, pour la dernière longueur. Jacques Rueff, par exemple, avait, lui, été associé dès l’été 1926 à l’œuvre de stabilisation111. À cette date, stabilisé de fait depuis quatorze mois, le franc connaissait toujours un sort incertain tandis que Poincaré continuait en apparence à balancer entre les arguments opposés des revalorisateurs et des stabilisateurs et semblait vouloir attendre le résultat des élections d’avril 1928 avant de trancher dans un sens ou dans l’autre112. Wilfrid Baumgartner lui-même analysa alors avec lucidité les grandes lignes de l’évolution monétaire depuis juillet 1926 dans la première grande note qu’il rédigea à l’intention du ministre dans les tout premiers jours de juin, en étroite collaboration avec Jean-Jacques Bizot, « sur l’urgence de la réforme monétaire »113 : selon lui, les trois premiers mois qui suivirent le retour de Poincaré aux affaires avaient d’abord été le temps du retour à la confiance qui avait permis le rapatriement des capitaux précédemment évadés « pour se soustraire aux conséquences ruineuses de la dépréciation monétaire »114. Jusqu’en septembre 1926, le franc, toujours selon lui, avait donc connu une nécessaire revalorisation. La seconde étape qu’il distinguait avait commencé avec l’intervention de la Banque de France sur le marché des changes en décembre et avait abouti, notait-il, à stabiliser de fait la valeur du franc : « Le franc avait été relevé dans toute la mesure du possible [...]. Force était au Gouvernement de maintenir une stabilité au moins relative du franc »115. Mais cette politique avait provoqué un afflux de capitaux spéculatifs attirés par la perspective à terme d’une revalorisation : employés dans un premier temps à l’achat d’effets publics à court terme et de valeurs mobilières cotées à la Bourse de Paris, ces capitaux désormais libellés en francs avaient, expliquait-il, considérablement contribué à l’assainissement du Trésor français et « épargné à la France la crise de crédit qui a marqué presque partout ailleurs le lendemain des stabilisations »116. Baumgartner évaluait à quelque vingt milliards de francs les capitaux ainsi injectés de décembre 1926 à octobre 1927. Mais, depuis l’automne 1927, ce circuit s’était, toujours selon les termes de la note, déréglé : la baisse des taux d’intérêt des effets publics avait rendu moins avantageux ces placements à court terme et avait abouti à reporter sur la circulation monétaire ces capitaux exogènes lui faisant retrouver son niveau d’avant 1914.

« Mais ce qui paraît infiniment redoutable, écrivait-il alors, c’est la persistance des demandes de francs [qui] ne manquera pas de déterminer une hausse du prix des denrées et des marchandises. [...] La situation devient donc chaque jour plus menaçante. Aux capitaux provenant des places internationales il n’y a plus d’exutoire. [...] Il alimente encore une hausse boursière qui paraît déjà excessive. Demain il peut provoquer une hausse générale des prix, génératrice de conflits sociaux. »117

38Wilfrid Baumgartner concluait donc à l’urgence d’une réforme monétaire qui couperait court au mouvement de spéculation fondé sur l’attente de la revalorisation.

39En conséquence, le jeune chargé de mission se prononçait très clairement contre l’hypothèse d’une revalorisation, même partielle, qui aurait été d’après lui « désastreuse », car elle aurait entraîné une aggravation de la distorsion entre les prix français et les prix étrangers qui n’aurait pas tardé à provoquer crise économique et conflits sociaux. Le précédent anglais de 1925 en était, toujours selon lui, la plus claire illustration.118 En outre, le thème de la préservation des intérêts légitimes des rentiers ne pesait à ses yeux pas bien lourd dans la balance : les plus importants détenteurs de valeurs à revenu fixe avaient au contraire acquis leurs titres récemment, profitant de la gêne des petits rentiers, « en sorte, écrivait-il, que la revalorisation profiterait à ceux-là seulement qui ont eu les moyens de conserver leurs valeurs ou encore la masse des spéculateurs internationaux qui depuis un an ont acheté par gros paquets des obligations sur notre marché. [...] C’est assez dire que les pouvoirs publics se doivent de ne choisir le taux définitif de la stabilisation qu’en considération des facteurs techniques de l’ordre économique et de l’ordre financier. »119 Cette note est la première note importante de Wilfrid Baumgartner conservée dans ses papiers. Même en tenant compte du fait qu’elle ait été le résultat d’une collaboration avec Jean-Jacques Bizot, elle témoigne de la compréhension du dossier à laquelle il était parvenu trois mois après son arrivée à la direction du Mouvement des fonds. Mais elle démontre aussi une incontestable convergence avec les analyses développées au même moment à la Banque de France, dans l’entourage du gouverneur Moreau, et singulièrement avec Pierre Quesnay, qui dès décembre 1927 avait perçu les risques inflationnistes que l’afflux de capitaux comportait dès l’instant que « le circuit » de leur placement en effets publics était rompu120. L’accord entre la Banque et le Mouvement des fonds semble à cette date avoir été complet sur la question de la stabilisation, même si, en effet, comme le suggère Kenneth Mouré, les impulsions décisives étaient sans nul doute parties à l’origine de la Banque de France121.

40Au lendemain des élections d’avril qui avaient conforté l’assise politique de Poincaré, la Banque de France avait ainsi redoublé d’efforts pour obtenir du gouvernement le vote de la stabilisation légale. Le 16 mai, Moreau rapporta dans son journal avoir exposé au ministre des Finances que faute d’une décision rapide, la situation monétaire risquait d’évoluer « vers une véritable catastrophe »122. Mais Poincaré semble avoir résisté encore. Le lendemain, le gouverneur téléphona au directeur du Mouvement des fonds au sujet des conventions nouvelles qu’il faudrait établir entre la Banque et l’État à l’occasion de la stabilisation à venir : « M. Moret m’annonce qu’il enverra deux de ses collaborateurs à la Banque de France pour causer de la question avec MM. Rist et Quesnay. »123 Le 19 mai, Bizot et Baumgartner se déplacèrent en effet rue de la Vrillière pour y rencontrer le sous-gouverneur et le directeur des Études de la Banque, les deux artisans véritables de la stabilisation depuis l’été 1926124. Il s’agissait ce jour-là de débattre des modalités d’affectation de la plus-value comptable que procurerait la réévaluation de l’encaisse-or à l’aune de la nouvelle valeur du franc dévalué. Le même jour, Moret et le gouverneur convenaient par téléphone « qu’il était de plus en plus urgent de procéder à la stabilisation légale »125. Le 31 mai, alors que la Banque avait dû procéder à des achats de devises atteignant des niveaux encore inégalés, Moreau avait mis la menace de sa démission dans la balance face à Poincaré qui, aux dires mêmes du gouverneur, était encore à cette date « au fond de son cœur avec les revalorisateurs », notamment au nom de la défense des rentiers de l’État126. À l’issue de son entretien avec Poincaré, Moreau s’était rendu dans le bureau du directeur du Mouvement des fonds et avait examiné avec lui la teneur du dossier sur la stabilisation du franc qu’ils envisageaient de remettre à Poincaré pour emporter sa décision. La longue note déjà citée que Wilfrid Baumgartner et Jean-Jacques Bizot rédigèrent alors « sur l’urgence de la réforme monétaire » s’inscrivit dans ce contexte. Mais elle n’en témoigne pas moins de la vigueur des analyses développées au sein même de la direction. Elle fut d’ailleurs rédigée avant réception des notes rédigées par Quesnay et le sous-gouverneur Leclerc que la Banque de France, si l’on suit toujours Moreau, fit parvenir le 6 juin seulement au Mouvement des fonds127. Pour autant, les Souvenirs du gouverneur minimisent clairement le rôle du Mouvement des fonds ; c’est ainsi qu’il nota le 21 juin que dans « le très beau discours » que prononça Poincaré le même jour à la Chambre, « nous avons reconnu au passage la plupart des notes que nous avions fourni à M. Moret »128. À rebours, Wilfrid Baumgartner témoigna bien après de la place centrale de l’administration du Trésor et de son directeur Clément Moret dans l’œuvre de stabilisation de 1926-1928. Selon lui, elle fut même davantage l’œuvre du Trésor que de Moreau. Il insista sur les compétences véritables de Clément Moret sous la direction duquel il se trouvait placé et souligna l’engagement selon lui unanime en faveur de la stabilisation de la « jeune école du Trésor », opposée par lui à « la vieille école des Budgétaires », dont Poincaré, Caillaux et la plupart des parlementaires comme François de Wendel auraient alors été issus129. La question de la part respective prise par la direction du Mouvement des fonds et par la Banque de France dans l’œuvre de stabilisation monétaire de 1926-1928 semble aujourd’hui plutôt tranchée en faveur de la banque d’émission. Il ne fait guère de doute, notamment, que Pierre Quesnay, comme en attestent ses papiers, joua à cette occasion un rôle décisif130. Mais ce procès de recherche de paternité, qui semble bien avoir préoccupé du moins les acteurs de cette histoire, est-il vraiment au cœur de l’histoire de la stabilisation Poincaré ? Plus significatif dans l’évolution longue du système financier français est sans doute qu’à cette occasion ait été développé et rapidement diffusé au sommet de l’État financier un ensemble d’analyses nouvelles touchant au rôle de la monnaie et du crédit. Les notes rassemblées par le jeune chargé de mission au Mouvement des fonds tout au long du printemps de 1928 en témoignent. Elles expriment assez bien la modernité financière des années 1920, telle qu’elle a pu se développer en France comme en d’autres pays, au lendemain du grand ébranlement de la Grande Guerre.

MODERNITÉS MONÉTAIRES À LA FIN DES ANNÉES 1920

41L’entrée de Wilfrid Baumgartner aux sommets de l’administration financière de l’État s’est produite au moment où la doctrine monétaire connaissait un incontestable renouvellement dans le milieu des praticiens des finances, publics et privés. Cette « modernité monétaire » qui a progressivement émergé au lendemain de la Première Guerre mondiale est inséparable d’une nouvelle conception de la monnaie, qu’on peut bien qualifier d’active et de globale. Cette modernité imprègne les « notes générales », rédigées par Quesnay et rassemblées par Baumgartner au début de juin 1928 afin de préparer la stabilisation légale. « La monnaie, pouvait-on ainsi lire dans l’une d'entre elles, n’est qu’un signe et une mesure ; il y a derrière elle des réalités économiques et budgétaires qu’il est impossible d’oublier. »131 Et la note invoquait, à l’appui de son propos, les exemples récents de l’Angleterre qui en revalorisant sa monnaie au pair de l’avant-guerre s’était montrée précisément oublieuse des réalités économiques, et de l’Italie de Mussolini, qui, écrivait-il alors, « de l’avis même de ses industriels les plus compétents traverse une crise des plus sérieuses. [...] Il lui faudra plus d’une année certainement pour ajuster son industrie à la nouvelle valeur de la lire »132.

42La définition de la valeur de la monnaie et de la politique financière qu’elle commandait devait donc être déterminée avant tout en fonction d’impératifs économiques et commerciaux analysés dans leur dimension internationale. C’est dans cette double optique que l’auteur de la note condamnait le régime du Gold Exchange Standard, en vigueur depuis 1919, soit la convertibilité de la monnaie contre des devises elles-mêmes convertibles en or, c’est-à-dire à cette date la livre sterling et le dollar. Le système, à ses yeux, était « condamné par l’expérience des dernières années » et il pouvait à brève échéance être à l’origine « de graves dangers d’inflation mondiale du crédit » ; mais surtout, écrivait-il, il hypothéquait les perspectives de développement du marché des capitaux français et aboutissait à brider ses ambitions :

« Le marché financier français a une telle importance, il est susceptible de jouer un rôle international, que toute subordination du franc vis-à-vis d’une autre monnaie quelle qu’elle soit soulève des problèmes monétaires internationaux extrêmement graves. »133

43Cette attention portée aux répercussions de la réforme monétaire prochaine sur les marchés de capitaux était bien une des préoccupations majeures, à la Banque de France comme au Trésor. La stabilisation officielle du franc, prévoyait-on-alors, devait à la fois affermir la bonne santé du marché financier dopé par l’afflux à Paris des capitaux flottants depuis décembre 1926, et contribuer à améliorer encore la bonne tenue des titres de rentes et des obligations d’État. « La hausse des rentes contribuera à raffermir le crédit de l’État et indemnisera dans une certaine mesure leurs porteurs français qui constituent la classe la plus lésée par la réforme monétaire »134. Enfin, la stabilisation devait être à l’origine d’une reprise de l’investissement industriel : « beaucoup d’entreprises rassurées sur la valeur future du franc recourront à des emprunts obligataires pour améliorer ou accroître leurs moyens de production » et ce mouvement d’investissement, ajoutait-il, « préparera pour l’avenir un développement de nos exportations »135. Cette conséquence assurément positive pour le commerce extérieur de la France était renforcée par le fait que la stabilisation officielle ne devait pas exercer d’influence sur le niveau des prix et des salaires : la stabilisation de fait depuis dix-huit mois avait, en effet, « laissé le temps à l’économie du pays de s’adapter à une nouvelle valeur du franc »136. Par suite, la note indiquait que les effets de la stabilisation n’auraient que des conséquences heureuses sur le développement des exportations françaises, dans la mesure où, soulignait alors fort lucidement son auteur, « la dévalorisation partielle de la monnaie diminue aujourd’hui plus encore qu’avant guerre le prix de revient des producteurs français ». Elle renforçait en quelque sorte l’avantage relatif des exportateurs français :

« Les prix français ont toujours été plus faibles que les prix étrangers ; cela s’explique notamment parce que le train de vie de l’ouvrier français et ses besoins ont été de tout temps inférieurs à ceux d’ouvriers d’autres pays et surtout des ouvriers anglo-saxons et qu’il n’y a pas de raison que la situation se modifie. »137

44La stabilisation légale, neutre sur le plan du niveau des prix intérieurs, était donc analysée en outre comme le moyen d’accroître encore les excédents commerciaux de la France dopés par la dépréciation monétaire à chaud de 1924-1926. Et à l’inverse, « toute revalorisation de la monnaie exigerait aujourd’hui un réajustement des prix sous peine de perdre ses débouchés extérieurs, de se voir concurrencer en France même par les producteurs étrangers »138. Les conséquences sociales et économiques d’un retour même partiel à la valeur du franc d’avant le mouvement de dépréciation monétaire de 1925-1926 apparaissaient donc redoutables : pour défendre leurs parts de marché extérieur menacées par une revalorisation, les producteurs français, était-il expliqué, auraient été contraints de réduire leurs charges salariales, risquant ainsi « de provoquer des troubles sociaux » ou s’ils ne pouvaient « s’adapter », de faire entrer « l’économie française dans une période de chômage ou de faillites »139. Il apparaît donc bien qu’en juin 1928, le taux de 122 francs pour une livre, maintenu pendant les dix-huit mois de stabilisation de fait, était perçu a contrario comme favorable aux exportations françaises et qu’il joua dans l’engagement résolu de la Banque de France et de la direction du Mouvement des fonds en faveur de la stabilisation légale à un niveau proche et même légèrement inférieur, cela même si la notion de la sous-évaluation du franc n’apparaissait pas explicitement140. Dans son étude des conséquences de la stabilisation Poincaré sur le commerce extérieur de la France, Jacques Marseille a prouvé que cette analyse ne fut pas globalement infirmée par les événements, même s’il a aussi montré qu’une approche par branches invite à nuancer fortement l’optimisme affiché par les hauts fonctionnaires de la monnaie en juin 1928141. Il reste que ces analyses, quelle que fût leur justesse au regard des faits qui ont suivi, témoignent assez de l’étendue et de la modernité des conceptions en effet développées à cette date aux sommets financiers de l’État, où le jeune Baumgartner était assurément à bonne école. L’influence que put avoir Pierre Quesnay à cette occasion, comme en bien d’autres tout au long de sa brève trajectoire, accidentellement interrompue en 1937, est évidente142. Les réflexions que Quesnay développa par ailleurs à cette époque sur les réformes à apporter aux statuts de la banque centrale pour lui assurer les moyens d’exercer un contrôle effectif du marché monétaire à l’exemple de la Banque d’Angleterre qu’il connaissait bien en sont une illustration éloquente143. Ces propositions nouvelles, tout comme le projet de réforme propre à provoquer la nécessaire insertion du marché financier français dans les circuits internationaux des capitaux ou la prise en compte, au-delà des aspects seulement monétaires, des capacités de développement du commerce extérieur ou des répercussions sociales de la stabilisation, confirment que la doctrine monétaire au tournant des années 1920 et des années 1930 a connu un renouvellement profond au sein de la Banque de France comme au Trésor. Comme le supposait Jean Bouvier, la principale direction du ministère des Finances semble donc bien avoir été à cette date, en étroite liaison avec le foyer d’innovation de la Banque de France, le lieu d’une réflexion nouvelle sur les moyens et les objectifs de la politique monétaire144. Ces leçons de modernité financière et monétaire ont-elles ensuite, comme le pensait Jean Bouvier, « tourné court, malgré les dures leçons de la dépression économique de 1930-1935 » et ne sont-elles donc pas réapparues avant 1936145 ? C’est tout l’enjeu de la suite de la carrière de Wilfrid Baumgartner au Mouvement général des fonds entre 1931 et 1936. En 1928, en tout état de cause et au-delà du slogan, la jeune école du Trésor a pu correspondre à une réalité. Elle a constitué le vivier intellectuel et humain où le jeune inspecteur des Finances a pour la première fois confronté aux faits sa culture économique et financière acquise à l’École libre des sciences politiques et à la faculté de droit. En ce sens, l’expérience Poincaré, loin d’avoir ancré ses conceptions dans l’ensemble de règles d’une orthodoxie dont le sauveur du franc est assez paradoxalement resté par la suite le porte-drapeau incontesté, aurait contribué d’une certaine manière à « déniaiser » le jeune et brillant inspecteur des Finances, placé par les circonstances et les affinités entre camarades d’inspection au cœur d’un ensemble de décisions qui ont abouti à la stabilisation légale du franc le 25 juin 1928. Ce processus, de fait puis de droit, a sans conteste consacré la fin de l’ancien régime monétaire et a représenté, à l’échelle des siècles, une rupture majeure dans l’histoire, au moins monétaire, de la France.

45Après avoir prêté la main à la confection des divers textes législatifs de la stabilisation monétaire146, Wilfrid Baumgartner assista aux débats parlementaires du 24 et 25 juin à la Chambre et au Sénat depuis le banc du gouvernement, aux côtés de Poincaré147. Le 25, la loi était votée, le « drame de la stabilisation » trouvait un terme, mais comme le remarquait Moreau dans ses ultima scripta, ce n’était là qu’un début :

« Cependant notre œuvre n’est pas terminée. Nous avons doté la France d’une nouvelle monnaie. Mais il reste à effacer les conséquences de la guerre et de l’après-guerre sur notre marché financier, [et] réorganiser le marché de Paris pour un faire l’un des premiers marchés du monde. [...] Telles seront les tâches essentielles de l’après stabilisation. »148

46Les années que Baumgartner passa, toujours comme chargé de mission, au Mouvement des fonds, en 1929-1930, furent en effet largement dominées par la question de la réforme des marchés de l’argent sur la place de Paris. Elles lui donnèrent aussi l’occasion d’élargir notablement le réseau de ses relations socioprofessionnelles tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’administration des Finances.

DIRECTEUR DU CABINET DE PAUL REYNAUD (1930)

47Le 2 mars 1930, André Tardieu formait son deuxième cabinet quelques jours après avoir été mis en minorité une première fois par la défection des radicaux dans la discussion sur l’affectation des excédents budgétaires149. Il confia à Paul Reynaud, député de la Seine depuis 1928 et chef de file de l’Alliance républicaine et démocratique, politiquement au centre droit, le portefeuille des Finances. À cinquante-deux ans, il se voyait pour la première fois investi de responsabilités ministérielles. C’est à Wilfrid Baumgartner qu’il demanda de former et de diriger son cabinet. Reynaud donna des circonstances de ce choix un récit très vivant :

« En arrivant rue de Rivoli, on me demande qui je désirais prendre comme chef de cabinet.

  • Quel est l’homme le plus intelligent de la maison ?
  • C’est Baumgartner, mais il est en voyage de noces.
  • J’attendrai. »150

48Même si ce témoignage laisse malheureusement anonyme l’identité de l’interlocuteur du nouveau ministre, la réputation de Wilfrid Baumgartner à cette date, soit moins de deux ans après son arrivée au Mouvement des fonds, était, à l’en croire, parfaitement établie rue de Rivoli. Ses activités dans l’intervalle lui avaient permis de faire montre de ses talents de rédacteur et de technicien comme rapporteur de la commission de protection de l’épargne, instituée par décret le 5 février 1929 en vue d’élaborer et de suivre les mesures destinées à développer le marché financier au lendemain de la loi de stabilisation151. Baumgartner aurait rédigé, dans le cadre de cette commission, deux rapports, l’un sur les actions à vote plural, l’autre, préparé de conserve avec le jeune Jean Maxime-Robert qui venait à son tour de quitter la Tournée pour la direction du Mouvement des fonds, sur le régime fiscal des valeurs mobilières. Les propositions qui furent formulées par Wilfrid Baumgartner en mai 1929 éclairent bien les suites qu’il estimait nécessaires pour compléter l’œuvre de stabilisation. Les quelques notes manuscrites qu’il jeta sur le papier pour préparer son rapport en témoignent amplement et prouvent aussi la continuité avec les analyses développées dans le milieu de la Banque de France et du Mouvement des fonds l’année précédente152. L’idée de base était qu’une fois la sécurité monétaire acquise, il fallait favoriser l’activité économique de la nation en instaurant « la sécurité fiscale », seule à même de diriger vers l’activité économique « la puissance d’épargne traditionnelle » de la France :

« La sécurité monétaire est retrouvée, mais la sécurité fiscale en quelque sorte fait encore défaut. Le poids trop lourd des impôts gêne [...] le placement des capitaux et les échanges de valeurs. Or, ce n’est rien d’être un pays riche, si l’on ne sait tirer parti de sa richesse, l’utiliser dans des buts productifs. »153

49C’était une analyse promise à un grand avenir entre 1931 et 1935. Baumgartner proposait donc d’alléger considérablement le régime fiscal portant sur les transactions mobilières et la taxe les frappant au moment des successions. La « surcharge fiscale » pesant sur les obligations, surtout, était à ses yeux trop lourde. Elle avait pour conséquence de contraindre les entreprises à recourir de plus en plus à des moyens de financement à court terme qui constituaient, écrivait-il, « un risque grave en cas de crise de crédit »154. L’activité du marché financier devait donc être encouragée, notamment en allégeant de manière significative les impôts frappant les opérations à termes (de 1 % à 0,5 %) et les opérations de report (0,5 % à 0,1 %). Risquait-on de favoriser par-là la spéculation ? Mais, répondait par avance Baumgartner, « la Bourse est un endroit où l’on spécule » :

« Et la spéculation – la chose n’est pas contestable – présente en période de stabilité monétaire une très grande utilité. Elle attise les différences de cours en se fondant sur les modifications de la situation économique. Différence avec le jeu : intervention de l’intelligence. Sans spéculation, pas de développement économique possible. Il faut risquer pour obtenir quelque chose. »155

50L’opinion est fort intéressante, énoncée à quelques mois du krach de Wall Street, qui inspira alors en France une condamnation quasi générale de la spéculation des Américains justement punis, estimait-on, par là où ils avaient péché. La prise de position de Baumgartner en 1929 le plaçait au contraire nettement du côté d’une certaine modernité dont le discours de gouvernement d’André Tardieu à la Chambre quelques semaines plus tard, au début du mois de novembre de la même année, renvoya, sur le thème de la prospérité, d’indéniables échos156. Le rayonnement international du marché financier de Paris était un des supports de cette modernité fortement inspirée du modèle américain. Baumgartner y insistait dans son rapport de mai 1929, exposant que seul un allégement de la fiscalité était à même, en les dirigeant vers des placements productifs à long terme, de consolider et de fixer en France les capitaux flottants internationaux qui s’y étaient concentrés depuis la fin de 1926 tout en stimulant les investissements intérieurs157. À cette date, il semble bien que dans l’esprit de Baumgartner, les séquelles et les déséquilibres hérités de la guerre aient été sur le point d’être effacées. Le moment semblait venu d’un nouveau départ de l’économie française qui aurait contrasté avec les premiers signes d’essoufflement donnés par ses voisins européens. Les rapides notes jetées en guise de conclusion au rapport sur les mesures d’allégement fiscal en témoignent :

« Toutes les mesures proposées tendent à favoriser le développement de la production nationale. Argument : équipement national. À l’heure où ralentissement mondial, où nuages se rassemblent, où pays se recueillent [...]. Avenir favorable : l’Allemagne, l’Angleterre augmentent leurs impôts. La France réduit les siens. »158

51À l’évidence, cette analyse de Wilfrid Baumgartner contenait déjà les thèmes de la France, île heureuse dans la tempête, qui allaient connaître après le déclenchement de la crise une large divulgation. Mais elles témoignent aussi d’une « modernité » dont un Tardieu, au même moment, était l’un des porte-parole. En mai 1929, Wilfrid Baumgartner avait également été nommé par le nouveau directeur du Mouvement des fonds, Charles Farnier, un inspecteur de la promotion de 1919, attaché financier à Rome, en remplacement de Jean-Jacques Bizot, nommé directeur adjoint. À cette date, les postes d’attachés financiers n’avaient pas encore pleinement fait leur entrée « dans la machine diplomatique »159. Le poste de Rome avait été créé récemment, en 1926, et il n’impliquait aucune obligation de résidence. Le directeur du Mouvement des fonds avait explicitement posé cette condition à la nomination de Baumgartner à Rome et de Maxime-Robert à Bruxelles :

« Il demeurerait entendu que comme leur prédécesseur, MM. Baumgartner et Maxime-Robert se contenteraient d’effectuer à Rome et à Bruxelles les déplacements périodiques compatibles avec les travaux dont ils sont chargés à ma direction. »160

52Pourtant, en dépit des suppliques de l’ambassadeur de France en Italie, Beaumarchais, des pressions de Berthelot le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Baumgartner n’alla pas une seule fois à Rome161. Faut-il en conclure, à la suite de Robert Frank, « qu’une fois de plus la charge d’attaché financier avait seulement servi de tremplin pour l’ouverture d’une grande carrière »162 ? En fait, dans le cas de Baumgartner, cette nomination, outre le surcroît de revenu que représentaient les indemnités dont elle était assortie, confirmait plus qu’elle n’amorçait une trajectoire ascendante dont l’arrivée au Mouvement des fonds avait bien davantage marqué le début véritable. Le choix de Baumgartner par Paul Reynaud au début de mars 1930 était en revanche d’une tout autre importance. Il consacrait en quelque sorte sa réputation de technicien hors pair des finances et agrandissait potentiellement son entourage, sur la base de ses qualités personnelles, hors du champ strict de l’administration. Reynaud lui-même a parfaitement décrit ce double aspect qui présida au choix de son chef de cabinet :

« Baumgartner, qui avait alors vingt-sept ans, paraissait encore plus jeune que son âge. [...] Parfaite connaissance de la technique financière dont j’étais alors fort ignorant, clarté d’esprit et rapidité furent les qualités qui me frappèrent tout d’abord. D’autres, d’ordre moral, firent naître entre nous une amitié qui n’a cessé de croître. »163

53Ce témoignage de Paul Reynaud éclaire fort bien les conditions de l’apparition du pouvoir des techniciens, dont la carrière de Baumgartner fournit un cas d’école. Lié à la complexité croissante de l’environnement monétaire et financier à partir de la fin de la Première Guerre mondiale, le poids des experts financiers au sein de l’appareil d’État n’avait cessé d’augmenter et leur capacité d’influence de grandir face à des hommes politiques dont la formation d’origine était insuffisante. Paul Reynaud le reconnaissait sans détour dans ses mémoires, alors qu’il était en 1930 considéré comme l’une des voix les plus autorisées de la commission des Finances de la Chambre. Les conditions de possibilité de ce que Jean Maynaud a clairement défini comme l’émergence d’un pouvoir technocratique se trouvaient donc rassemblées164. Malheureusement, il est difficile de déterminer, au vu des documents conservés dans les papiers relatifs aux quelques mois du cabinet Reynaud, quelle fut la part des techniciens, Wilfrid Baumgartner ou Henry du Moulin auquel Baumgartner confia la charge de directeur adjoint du cabinet, par exemple dans le vote des allégements fiscaux le 18 avril, dans les décisions relatives au plan d’outillage national en juin ou dans l’examen de l’affaire Oustric en novembre, qui fut à l’origine de la chute du cabinet165. Il reste qu’à l’échelle de l’itinéraire individuel de Wilfrid Baumgartner le passage par le cabinet Reynaud a largement contribué à l’avancement de sa carrière : sa nomination comme sous-directeur à la direction du Mouvement général des fonds en septembre 1930 en procède directement. Surtout, il fut à l’origine d’une relation durable qui aboutit à étendre également le réseau du jeune haut fonctionnaire dans la sphère politique. Or, à la même période, son mariage avec Christiane Mercier l’assurait, d’autre part, d’un capital de relations fort étendu, au moins en apparence, dans le monde de la grande industrie.

ALLIANCE MATRIMONIALE ET CAPITAL SOCIAL DU GRAND COMMIS

54L’union de Wilfrid Baumgartner avec Christiane Mercier, la fille aînée du grand industriel des pétroles et de l’électricité Ernest Mercier, le 6 février 1930, suivie cinq ans plus tard du mariage de Richard, son frère, jeune polytechnicien, avec Marie-Françoise, la deuxième fille de Mercier, est à l’origine du procès de collusion avec les intérêts privés qui lui fut intenté tout au long de sa carrière de haut fonctionnaire166. « Si tous les Baumgartner se marient avec toutes les Mercier », avait ainsi ironisé, dès 1935, Juvénal, « pamphlétaire hebdomadaire », « voilà qui en promet de belles et l’encombrement de notre administration par la famille de cet État dans l’État »167. Assurément, par-delà le discours de la presse satirique, la question mérite examen. Elle peut contribuer à l’histoire des élites de l’entre-deux-guerres, de la même façon que l’étude des stratégies matrimoniales et du rôle des épouses, « vecteurs cachés de la richesse » (Daniel Dessert), éclaire notre connaissance de la société d’Ancien Régime dans son ensemble168.

55Baumgartner rencontra sa future femme dans le milieu de Maurice Petsche : conseiller référendaire à la Cour des comptes, député des Hautes- Alpes depuis 1925 sous la bannière du Bloc national et sous l’étiquette de la Gauche démocratique et radicale indépendante, Maurice Petsche était alors très proche de Paul Reynaud et fut d’ailleurs nommé à ses côtés rue de Rivoli, comme sous-secrétaire d’État aux Finances dans le deuxième cabinet Tardieu. Il enseignait également depuis 1922 à l’École libre des sciences politiques où Baumgartner était alors son collègue169. Si l’origine exacte de la relation entre les deux hommes n’est pas connue dans l’état actuel de la documentation, il reste qu’entre Wilfrid Baumgartner et Maurice Petsche les rapports, dès cette époque, étaient fréquents et amicaux. C’est en tout cas par son intermédiaire qu’il fut introduit dans le milieu des Mercier dont il commença à fréquenter la villa de Pontoise dès 1926170. Peu avant la Première Guerre mondiale en effet, le père de Maurice Petsche, Albert, qui était depuis les années 1880 une des grandes figures de l’industrie hydroélectrique, avait associé à ses affaires en plein développement Ernest Mercier (1878-1955), polytechnicien et protestant lui aussi171. Le futur beau-père de Wilfrid Baumgartner était devenu à cette date l’un des grands patrons les plus influents du moment, tant à la Compagnie française des pétroles qu’au sein du Groupe de Messine qui dominait alors les constructions de matériels électriques et la production d’électricité172. Surtout, Mercier fut à l’origine à la fin de 1925 de Redressement français, mouvement d’inspiration technocratique, regroupant, « dans l’esprit du front » hérité des tranchées, autour d’un projet global de modernisation administrative, économique et sociale, banquiers, hauts fonctionnaires, permanents patronaux et universitaires. On y relève ainsi les noms de Jacques Bardoux, de Pierre Drieu La Rochelle, de Raphaël Alibert, d’Émile Mireaux, normalien, rédacteur en chef depuis 1924 de la Société d’études et d’informations économiques dépendant du Comité des forges, ou encore de Louis Germain-Martin qui devait toutefois être exclu du mouvement dès l’été 1926173. En 1930 cependant, le déclin de Redressement français était patent et rien n’indique que Wilfrid Baumgartner ait pris part avant cette date aux activités du mouvement, ni à la rédaction de ses cahiers174.

Figure n° 1 Le réseau socio-professionnel de Wilfrid Baumgartner vers 1930

Image img01.jpg
Image img02.jpg

56NB : Les noms soulignés sont ceux d’inspecteurs des Finances

57Il n’apparaît pas dans le numéro des Cahiers du redressement français consacré, en 1927, au problème de « l’Organisation financière » et auquel avaient collaboré, entre autres, Edmond Giscard d’Estaing et Émile Mireaux175. Sans refaire ici l’étude détaillée des propositions de Redressement français, on peut, à la suite des analyses d’Olivier Dard, mettre en avant l’apolitisme proclamé du mouvement qui explique par exemple l’attitude très réservée de Paul Reynaud à son égard176. Cette dimension, jointe sans doute au projet « social » de Redressement français, peut fournir une clef de la distance prudente où Wilfrid Baumgartner semble bien s’être tenu vis-à-vis des projets de réforme agités par son futur beau-père.

58Il reste que son mariage avec la fille d’Ernest Mercier, qu’il prît place ou non au sein d’une stratégie matrimoniale dont Christophe Charle a montré la réalité pour les inspecteurs de la fin du xixe siècle177, agrandissait potentiellement le réseau du haut fonctionnaire promis à un billant avenir en direction du monde de la grande industrie. Mais il serait abusif, à ce stade, de conclure à la réalité d’une fusion pure et simple entre Baumgartner et les intérêts privés. Jean-Noël Jeanneney a contribué à fixer quelques règles simples de méthode en pareille matière : « C’est une erreur constante pour la compréhension des jeux de force, écrit-il, que de déduire de voisinages institutionnels ou de liens familiaux la certitude de solidarités automatiques »178. De nombreux éléments convergent qui tendent, au contraire, à mettre en évidence les relations pour le moins difficiles qui semblent avoir durablement existé entre Wilfrid Baumgartner et son beau-père. Le nom du gouverneur de la Banque de France est ainsi totalement absent de l’ouvrage publié in memoriam « par les proches et par les amis d’Ernest Mercier », au lendemain de son décès survenu à l’issue d’une longue maladie en 1955179. Baumgartner lui-même a fait très rarement allusion, au moins en public, à son beau-père. Il en dressa pourtant un tableau en demi-teinte à l’occasion de son entrée en 1963 à l’Académie des Sciences morales et politiques au fauteuil de Charles Malégarie, ingénieur polytechnicien, qui avait été le collaborateur direct de Mercier à la Compagnie parisienne de distribution d’électricité dès 1922. Il évoqua alors, en des termes à peine tempérés par le temps écoulé depuis lors, sa découverte du milieu réuni autour de Mercier au milieu des années 1920 :

« le maître de maison […] était plutôt redouté et, selon la formule de Cocteau, il pratiquait la bonté dure. Autour de lui une manière de cour, et donc quelques souffre-douleur… »180

59C’est dire combien on doit, en effet, se garder d’oublier qu’un lien de parenté peut ainsi jouer dans les deux sens et constituer tout autant un facteur de proximité qu’une force de répulsion. Ainsi averti, et pour peu que l’on s’efforce, notamment sur la base des sources d’archive primaires, de substituer à une conception « statique » des réseaux une approche « dynamique » (Jean-Noël Jeanneney), il est possible toutefois d’introduire avec fruit la notion de réseau de relations en histoire, comme les sociologues pour leur part l’ont fait sur la base de sources différentes181. On peut ainsi tenter de dresser un état du réseau de relations effectif de Wilfrid Baumgartner vers 1930, à l’issue de ses années de formation, au double sens de formation intellectuelle et sociale, qui résumerait en quelque sorte les acquis de cette première période de sa carrière (cf. figure n°1).

60À l’évidence, à la veille de sa nomination comme sous-directeur du Mouvement des fonds, la part des relations acquises l’emportait sur les relations héritées dans le réseau socioprofessionnel de Wilfrid Baumgartner. Plus que par les relations d’origine familiale, c’est par son passage à l’École libre des sciences politiques puis lors de la préparation de l’inspection qu’il se donna les assises les plus utiles et les plus nombreuses. Si, par sa mère et par son mariage, des liens existaient incontestablement avec la grande industrie, les relations avec les milieux de la banque s’expliquaient uniquement par les relations précédemment nouées au sein de l’inspection et de l’administration des Finances, que le phénomène du pantouflage avait transformées à cette date en liens avec la finance privée. D’une certaine manière, l’enseignement qu’il assurait lui-même aux Sciences politiques dès 1925-1926, l’a placé en position d’intermédiaire entre l’administration et le monde des affaires où l’établissement de la rue Saint-Guillaume se situait par vocation depuis sa fondation. Enfin, il faut souligner l’ancrage du réseau du jeune sous-directeur du Trésor dans le domaine proprement politique, qui pose très clairement la question du pouvoir technocratique. Il reste à envisager l’évolution de ce réseau, par définition vivant, dans la période qui vit Baumgartner doté d’un pouvoir de décision au sein de l’administration des Finances et à examiner, surtout, comment ce réseau, en telle ou telle occurrence particulière, a pu ou non jouer.

***

61Les années de formation de Wilfrid Baumgartner, théorique et pratique, humaine et sociale, ont été à bien des égards fondamentales pour la suite de sa carrière future. Contrairement à une mythologie répandue à l’époque et qui se révéla tenace, il est apparu que son milieu familial et social de départ ne relevait pas de cette haute bourgeoisie d’affaires dont un certain discours faisait de tous les inspecteurs des Finances les rejetons complaisants. En revanche, le poids des premières années de l’avant 1914, rapidement idéalisées, et l’empreinte de la Grande Guerre ont indéniablement constitué des expériences initiales lourdes de conséquences pour la vision du monde qu’il développa par la suite. Issu de la bonne bourgeoisie parisienne de type intellectuelle, Wilfrid Baumgartner a accompli ses premiers pas aux franges du pouvoir en s’imposant comme un modèle de réussite scolaire, en conformité avec l’idéologie de la réussite par le mérite que la IIIe République, trente ans à peine auparavant, avait inauguré. Son excellence au lycée comme aux Sciences politiques ou à la faculté de droit lui a fourni ses premières assises socioprofessionnelles. L’inspection, ensuite, a joué un rôle déterminant qui lui a permis en quelque sorte de « capitaliser » les acquis de sa scolarité, tant intellectuels que sociaux. C’est par elle qu’il entra au Mouvement des fonds, étape véritablement essentielle à l’orée de sa carrière administrative. Le Trésor a tenu dans sa formation le rôle d’une véritable école d’application où il découvrit les éléments théoriques et pratiques d’une modernité financière propres à nourrir chez lui une réflexion personnelle peu à peu dégagée des leçons d’un libéralisme déjà daté apprises à l’École libre des sciences politiques. Les circonstances l’ont ainsi associé de près au dernier acte de la stabilisation Poincaré qui, véritable révolution monétaire, a mis officiellement fin à l’ancien régime en vigueur depuis la définition du franc germinal. Le détour par la direction du cabinet de Paul Reynaud, davantage que son alliance avec l’héritière d’un empire industriel, l’a enfin assuré des appuis politiques nécessaires à sa nomination dans les cadres de la direction du Mouvement des fonds. À la fin de 1930, les années de formation semblaient se clore. Wilfrid Baumgartner, par ses qualités personnelles, la poussée de l’ambition et le hasard très maîtrisé des rencontres s’était placé à l’orée d’une carrière que tout annonçait brillante. Son itinéraire paraissait ainsi tout tracé dans le contexte d’une économie qui semblait avoir mis un terme aux déséquilibres de la guerre et aborder une phase nouvelle de son développement. Mais la crise, à partir de 1931, aboutit à infléchir d’une tout autre façon la carrière de Wilfrid Baumgartner, contribuant, derechef, à remettre en question les clefs d’analyse et d’action qu’il s’était forgées.

Notes de bas de page

1 Lettre circulaire du service de l’inspection des Finances du 9 juillet 1925, Archives Wilfrid Baumgartner (AWB), 1BA3, Dr4.

2 Lettre de Jacques Guillain à Wilfrid Baumgartner du 21 janvier 1949, AWB, 2BA1, Dr2. Guillain rappelait ainsi à Baumgartner, à l’occasion de sa nomination à la Banque de France, le souvenir des « randonnées Talloiriennes » faites d’un même pas : « Te souviens-tu, mon cher Wilfrid, des promenades sur la route d’Augon, lorsque, après nous avoir claironné ton air de Siegfried, tu nous disais : quand je serai ministre des Finances… »

3 Il suffit pour s’en convaincre de souligner combien le mythe de l’inspection des Finances semble indémodable, des années 1920 au moins jusqu’à nos jours. Cf. par exemple, Ottenheimer (Ghislaine), Les intouchables, grandeur et décadence d’une caste : l’inspection des Finances, Paris, Albin Michel, 2004.

4 Cité par Braudel (Fernand), « Histoire et Sociologie », in Gurvitch (Georges) (dir.), Traité de Sociologie, Paris, PUF, 1958, p. 97.

5 Cf. par exemple : Birnbaum (Pierre) et al., La classe dirigeante française, dissociation, interpénétration, intégration, Paris, PUF, 1978.

6 Nora (Pierre), « La génération », in Nora (Pierre) (dir.), Les Lieux de Mémoire, Paris, Gallimard, 1992, t. III, Les France, vol. 1, Conflits et partages. Le concept de « génération » s’est depuis vulgarisé en histoire avec une étonnante rapidité, au risque d’en amoindrir la valeur heuristique. Il reste que, comme l’ont montré de nombreux travaux, le recours à la notion de génération appliquée à la classe d’âge marquée par la Première Guerre mondiale est incontestablement valide pour l’histoire de tout le xxe siècle. Cf. Audoin-Rouzeau (Stéphane) et Becker (Annette), 14-18, retrouver la Guerre, Paris, Gallimard, 2000.

7 Charle (Christophe), « Naissance d’un grand corps : l’inspection générale des Finances à la fin du xixe siècle », Actes de la Recherche en sciences sociales, n° 42, 1982, p. 3-26.

8 Carré De Malberg (Nathalie), « Image de soi et légitimité chez les inspecteurs des finances de la Première Guerre mondiale à nos jours », Revue Historique, 105e année, t. CCLXV, 1981, p. 389.

9 Charle (Christophe), « Les grands corps », in Nora (Pierre) (dir.), Les Lieux de Mémoire, Paris, Gallimard, 1992, t. III, Les France, vol. 2, Traditions, p. 220.

10 Piétri (François), Discours à l’occasion du centenaire de l’Inspection des Finances, 6 juin 1931, cité par Charle (Christophe), Les hauts fonctionnaires en France au xixe siècle, Paris, Gallimard-Julliard, 1980, p. 199 sqq.

11 Piétri (François), Le financier, op. cit., p. 80.

12 Hamon (Augustin), Les maîtres de la France, Paris, Éditions sociales internationales, t. II, La féodalité financière dans les Assurances, la presse, l’administration et le parlement, 1937, p. 225.

13 Ibid., p. 229.

14 Jean-Noël Jeanneney a démontré par quels mécanismes mentaux était mû l’auteur des Responsabilités des dynasties bourgeoises ; il en livre aussi un utile mode d’emploi. Jeanneney (Jean- Noël), « Les dynasties bourgeoises de Beau de Loménie », in Jeanneney (Jean-Noël), L’argent caché, milieux d’affaires et pouvoirs politiques dans la France du xxe siècle, Paris, Éd. du Seuil, 1984, p. 265-271.

15 Beau De Loménie (Emmanuel), Les responsabilités des dynasties bourgeoises, t. V, De Hitler à Pétain, Paris, Denoël, 1973, p. 285-286.

16 Coston (Henry), Le retour des 200 familles, documents et témoignages, Paris, La Librairie française, 1960, p. 75.

17 Carré De Malberg (Nathalie), « Le recrutement des inspecteurs des Finances de 1892 à 1946 », Vingtième Siècle, Revue d’histoire, n° 8, oct.-déc. 1985, p. 67-91.

18 La littérature et la vie, conférence prononcée le 21 février 1953, salle d’Iéna, à l’invitation des Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 17 p. dactyl., AWB, 2BA12, Dr2, p. 2 et radiodiffusion du 30 mars 1953 sur la Chaîne nationale, phonothèque de l’INA, enregistrement n° LO 15466.

19 Bottin mondain, 1913. On y apprend que Madame A. Baumgartner avait son jour de réception le mardi.

20 Carré De Malberg (Nathalie), « Le recrutement des inspecteurs… », art. cité, p. 76, carte 1 (toutes les références quantitatives qui suivent sur le recrutement proviennent du même auteur).

21 Triboulet (Raymond), Notice sur la vie et les travaux de Wilfrid Baumgartner, lue à l’Académie des Sciences morales et politiques le 10 février 1981, Paris, Institut de France, 26 p.

22 La littérature et la vie, doc. cité, p. 3.

23 Mayeur (Jean-Marie), Les débuts de la IIIe République, Paris, Éd. du Seuil, 1973, p. 159.

24 Entretien de l’auteur avec Éric Baumgartner du 3 février 1993.

25 Triboulet (Raymond), Notice sur la vie et les travaux…, op. cit., p. 6. Le soutien qu’Amédée Baumgartner apporta au théâtre du Vieux Colombier est en outre attesté par une lettre du 20 janvier 1956 de Jean-Louis Barrault à Wilfrid Baumgartner, qui hérita de la passion de son père pour le théâtre : le futur directeur de la troupe du Rond-Point des Champs Élysées y sollicitait une aide financière de la Banque de France rappelant à son gouverneur le précédent de Jacques Copeau avant la guerre (Lettre de J.-L. Barrault à W. Baumgartner du 20 janvier 1956, AWB, 2BA28, Dr4).

26 Archives de la Banque de France (ABF), Généalogie de la famille Baumgartner, dossier du gouverneur Baumgartner, Secrétariat du conseil général de la Banque de France (toutes les indications qui suivent, sauf indication contraire, sont tirées de ce document imprimé). Sur les origines du milieu du patronat cotonnier alsacien, cf. Chassagne (Serge), Le coton et ses patrons : France, 1760-1840, Paris, EHESS, 1991.

27 Sur les conditions générales de l’émigration économique alsacienne et lorraine vers la basse vallée de la Seine après 1871, cf. Daumas (Jean-Claude), L’amour du drap, Blin & Blin, Elbeuf, Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, 1999, p. 131 sqq.

28 Hau (Michel), L’industrialisation de l’Alsace (1803-1939), Strasbourg, Association des Publications près les Universités de Strasbourg, 1987, p. 74-91 et p. 332.

29 Lettre d’Alfred Baumgartner à Wilfrid Baumgartner du 2 juillet 1948, AWB, 2BA33, Dr1.

30 Dessert (Daniel), Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984, p. 110 sqq.

31 Chaline (Jean-Pierre), Les bourgeois de Rouen, une élite urbaine au xixe siècle, Paris, Presses de la FNSP, 1982, p. 77 et p. 367-369.

32 Lettre de Mademoiselle Roberty à Wilfrid Baumgartner du 3 avril 1940, AWB, 2BA27, Dr1.

33 Devoir de français de Wilfrid Baumgartner, classe de 4e A1, du 5 juin 1915, AWB, 1BA1, Dr1.

34 Gide (André), La porte étroite, Paris, Gallimard, 1972, p. 12-13.

35 Chaline (Jean-Pierre), Les bourgeois de Rouen…, op. cit., p. 60-61 et p. 102-107. Notons que les Baumgartner, à la différence des Roberty et des Clamageran, n’apparaissent pas dans l’étude de J.-P. Chaline. Faut-il y voir l’indication qu’ils n’appartenaient pas, eux, à la grande bourgeoisie rouennaise ?

36 Les AWB (série 1BA) ont conservé 12 lettres personnelles de William Clamageran à Wilfrid Baumgartner, datées de décembre 1936 à janvier 1946.

37 Girard (Louis), « Jean-Jules Clamageran », in Les Protestants dans les débuts de la Troisième République (1871-1885), Paris, Société de l’Histoire du protestantisme français, 1979, p. 175-181.

38 Daumard (Adeline), Les bourgeois et la bourgeoisie en France depuis 1815, Paris, Aubier-Montaigne, 1987, p. 116-117 et Ead., Les bourgeois de Paris au xixe siècle, Paris, Flammarion, 1970, p. 144.

39 Néré (Jacques), « La haute banque protestante aux débuts de la Troisième République », in Les Protestants dans les débuts de la Troisième République (1871-1885), op. cit., p. 285-293.

40 Wright (Vincent), « Les protestants dans la haute administration 1870-1885 », in Les Protestants dans les débuts de la Troisième République (1871-1885), op. cit., p. 243-252.

41 Chadeau (Emmanuel), Les inspecteurs des Finances au xixe siècle (1850-1914), profil social et rôle économique, Paris, Économica, 1986, p. 1.

42 Georges-Picot (Jacques), Souvenirs d’une longue carrière, de la rue de Rivoli à la Compagnie de Suez 1920-1971, Paris, CHEFF, 1993, p. 70.

43 « Quelques réflexions sur les problèmes monétaires », conférence prononcée par W. Baumgartner à l’invitation de la Société belge d’études et d’expansion, à Liège, le 20 avril 1956, AWB, 2BA29, Dr2, sténotypie, p. 34-35 et Livret scolaire 1917-1918, AWB, 1BA1, Dr2.

44 AWB, 2BA1, Dr2.

45 La littérature et la vie, doc. cité, p. 5

46 Nathalie Carré de Malberg a étudié, sur la base de témoignages oraux, les motivations de carrière des inspecteurs des Finances dans l’entre-deux-guerres : qu’il s’agisse de l’autorité d’un père, du conseil d’un ami de la famille, du discrédit qui frappaient d’autres carrières jugées moins prestigieuses, n’était-ce pas toujours le même ordre de détermination propre à un milieu au sens large du terme « bourgeois » ? Cf. « Pourquoi devient-on inspecteur des finances de 1919 à 1946 ? », Études et Documents, III, 1991, p. 293-403.

47 Carré de Malberg (Nathalie), « Le recrutement des inspecteurs… », art. cité, p. 81-82 et Chagnollaud (Dominique), Le premier des ordres, les hauts fonctionnaires xviiie-xxe siècle, Paris, Fayard, 1991, p. 137-148.

48 Rain (Pierre), L’École Libre des Sciences Politiques, 1871-1945, Paris, FNSP, 1963, p. 68 et tableau des effectifs, p. 102.

49 La littérature et la vie, doc. cité, p. 6.

50 Sirinelli (Jean-François), Génération intellectuelle, Khâgneux et Normaliens dans l’entredeux- guerres, Paris, PUF, 1994, p. 13-15. On trouve aussi un inventaire des problèmes posés par l’utilisation de la notion de génération en histoire dans Nora (Pierre), « La génération », art. cité.

51 Sirinelli (Jean-François), Génération intellectuelle, op. cit., p. 33.

52 Ibid., p. 534 sqq.

53 « Quelques réflexions sur les problèmes monétaires », doc. cité, p. 1.

54 Triboulet (Raymond), Notice sur la vie et les travaux…, op. cit., p. 5.

55 Hau (Michel), L’industrialisation de l’Alsace, op. cit., p. 238-239.

56 « Quelques réflexions sur les problèmes monétaires », doc. cité, p. 2.

57 Daumard (Adeline), « La bourgeoisie française au temps des épreuves 1914-1950 », in Braudel (Fernand) et Labrousse (Ernest), Histoire économique et sociale de la France, Paris, PUF, 1993, t. IV, 1-2, 1880-1950, p. 865.

58 Becker (Jean-Jacques), Les Français dans la Grande Guerre, Paris, R. Laffont, 1980, p. 125-132.

59 Devoir de français de Wilfrid Baumgartner du 27 octobre 1915, classe de 3e A1, AWB, 1BA1, Dr2.

60 Devoir de français de Wilfrid Baumgartner du 24 novembre 1915, AWB, 1BA1, Dr2.

61 La littérature et la vie, doc. cité, p. 4.

62 JO du 23 novembre 1922, AWB, 1BA7, Dr2.

63 Dossier militaire de Wilfrid Baumgartner, diverses pièces officielles (1922-1939), AWB, 1BA7. Tous les renseignements qui concernent son activité militaire, sauf indication contraire, en proviennent.

64 Prost (Antoine), « Les monuments aux morts. Culte républicain ? Culte civique ? Culte patriotique ? », in Nora (Pierre) (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984, t. I, La République, p. 195-225.

65 Becker (Jean-Jacques), op. cit., illustration encartée entre les pages 140 et 141.

66 La littérature et la vie, doc. cité, p. 4. Sur le poids persistant de la mémoire collective de la Grande Guerre sur l’ensemble des acteurs sociaux en France dans l’entre-deux-guerres, cf. les analyses de Audoin-Rouzeau (Stéphane) et Becker (Annette), 14-18, op. cit., p. 6-19.

67 Cité par Rain (Pierre), L’École Libre des Sciences Politiques, op. cit., p. 78-79.

68 Le Van Lemesle (Lucette), L’enseignement de l’économie politique en France (1860-1939), thèse d’État sous la direction d’Antoine Prost, Université Paris I, 1993, annexe 29, p. 62-68. Cf. également la version publiée de cette thèse, Le Juste ou le Riche, L’enseignement de l’économie politique, 1815-1950, Paris, CHEFF, 2004, p. 394-401.

69 Le Van Lemesle, L’enseignement de l’économie politique…, op. cit., p. 427 ; Vignat (Régine), La Banque de France et l’État (1897-1920), la politique du gouverneur Pallain, thèse de l’université de Paris X-Nanterre, 2001, vol. 1, p. 185.

70 Rain (Pierre), op. cit., p. 73-74.

71 Le Van Lemesle (Lucette), « La crise et l’enseignement de l’économie politique », Recherches et travaux, I, Université Paris I, novembre 1982, p. 91-108. À propos de C. Colson : Ead., « L’enseignement de l’économie dans les grandes écoles scientifiques », Contribution au Colloque sur la formation des hauts fonctionnaires organisé par l’Institut français de sciences administratives, au Conseil d’État, le 5 juin 1993 ; cf. aussi Kuisel (Richard F.), Le capitalisme et l’État en France, op. cit., p. 27-38.

72 Registres des diplômes de l’École libre des sciences politiques, 1919-1926, Archives de la FNSP, Fonds Sciences Po, 1SP 13h.

73 Baumgartner (Wilfrid), La Flotte d’État, thèse de fin d’étude à l’École libre des sciences politiques, mai 1922, 55 p. dactyl., AWB, 1BA2, Dr1, p. 52.

74 Baumgartner (Wilfrid), Le Rentenmark (15 octobre 1923-11 octobre 1924), Paris, PUF, 1925, 175 p.

75 Le Van Lemesle (Lucette), L’enseignement de l’économie politique en France…, op. cit., vol. 2, p. 321 sqq.

76 Baumgartner (Wilfrid), Le Rentenmark…, op. cit., p. 13.

77 Ibid., p. 169.

78 Ibid., p. 147 sqq.

79 Ibid., p. 102-103.

80 Registres d’inscriptions de l’École libre des sciences politiques, 1919-1925, Archives de la FNSP, Fonds Sciences Po, 1SP 13c et 13h.

81 Archives de l’École libre des sciences politiques (ASP), Registres des élèves pour les années 1920-1923, 1SP 13c.

82 Nous remercions Gilles Le Béguec d’avoir attiré notre attention sur la participation de Baumgartner à ce groupe.

83 Lapie (Pierre-Olivier), De Léon Blum à De Gaulle, Le caractère et le pouvoir, Paris, Fayard, 1971, p. 282.

84 Le Béguec (Gilles), « Le jeune barreau parisien au début des années 1920 », in Le Béguec (Gilles) (dir.), Avocats et barreaux en France 1910-1930, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1994, p. 137 ; Dard (Olivier), Le rendez-vous manqué…, op. cit., p. 23-24.

85 Sur les modalités de la préparation au concours de l’inspection des Finances, cf. Lalumière (Pierre), L’inspection des Finances, Paris, PUF, 1959, p. 13-23.

86 Georges-Picot (Jacques), Souvenirs d’une longue carrière, op. cit., p. 71-72.

87 La littérature et la vie, doc. cité, p. 7.

88 Devoir de préparation au premier jour de Wilfrid Baumgartner, corrigé par E. Haguenin, 14 janvier 1925, AWB, 1BA3, Dr7.

89 Convocation pour la première épreuve écrite du concours de 1925, AWB, 1BA3, Dr4.

90 Note manuscrite de W. Baumgartner du 19 juin 1925, AWB, 1BA3, Dr4.

91 Brouillon du premier jour, 8 feuillets manuscrits, AWB, 1BA3, Dr4.

92 Ibid., passim.

93 Carré de Malberg (Nathalie), « Les limites du libéralisme économique chez les inspecteurs des Finances sous la IIIe République », Bulletin du Centre d’Histoire de la France contemporaine, n° 6, 1985, Université de Paris X-Nanterre, p. 37-67.

94 Chadeau (Emmanuel), Les inspecteurs des Finances au xixe siècle…, op. cit., liste alphabétique des inspecteurs.

95 Piétri (François), Discours à l’occasion du centenaire de l’Inspection des Finances, op. cit., p. 200 [souligné par nous].

96 Chadeau (Emmanuel), Les inspecteurs des Finances au xixe siècle…, op. cit., p. 61.

97 Commission d’adjoint à l’inspection générale des Finances pour 1925, AWB, 1BA8, Dr5.

98 Les « papiers » ont conservé l’abondante correspondance échangée tout au long de la Tournée avec l’inspecteur général qui fixait de cette façon le calendrier des missions de chacun et s’assurait de la bonne fin des investigations, mais aussi les lettres que les inspecteurs tournants se faisaient mutuellement parvenir à l’adresse des hôtels des uns et des autres pour fixer rendez-vous et arranger les modalités pratiques de vérifications effectuées de conserve. L’ensemble, à une époque où le téléphone n’était pas encore d’un usage courant, forme un témoignage précieux sur la vie quotidienne de la Tournée. Les informations qui suivent sont, sauf indication contraire, tirées de cette source (AWB, 1BA9, Dr 1 à Dr 5). Les mémoires d’inspecteurs contemporains de Baumgartner sont également riches en anecdotes et expériences dont la teneur, au total, est assez interchangeable, preuve supplémentaire de la réalité du moule que fut, pour les jeunes inspecteurs, la Tournée. Cf. par exemple, Rueff (Jacques), De l’aube au crépuscule, autobiographie de l’auteur, Paris, Plon, 1977, p. 56 sqq. ou Georges-Picot (Jacques), Souvenirs d’une longue carrière, op. cit., p. 75-79.

99 Adresse au ministre des Finances, Paul Ramadier, prononcée par W. Baumgartner à l’occasion du banquet annuel de l’Association de l’inspection des Finances, le 30 avril 1956, AWB, 2BA29, Dr7.

100 Hommage de Wilfrid Baumgartner à Henri Deroy au Conseil général de la Banque le 1er mars 1955 à l’occasion de son départ, AWB, 2BA21, Dr1, p. 1.

101 Lettre de F. de Flers à W. Baumgartner, s. d. [été 1926], AWB, 1BA9, Dr1.

102 Lettre de Pierre Drevon à Wilfrid Baumgartner du 18 novembre 1926, AWB, 2BA4, Dr1.

103 Lettres de Charles Donati à Wilfrid Baumgartner des 1er et 4 novembre 1927, AWB, 1BA9, Dr1.

104 Brouillon de la première épreuve du second concours le 16 janvier 1928, 22 feuillets manuscrits, AWB, 2BA8, Dr5.

105 Lettre de J.-J. Bizot à W. Baumgartner du 17 décembre 1927, AWB, 1BA10, Dr1.

106 Caillaux (Joseph), Mémoires, Paris, Plon, t. I, 1942, p. 74, cité par Charles (Christophe), Les hauts fonctionnaires en France, op. cit., p. 194. Cf. aussi du même auteur, « Naissance d’un grand corps à la fin du xixe siècle : l’inspection générale des finances », art. cité.

107 Rueff (Jacques), De l’aube au crépuscule…, op. cit., p. 57.

108 Carré De Malberg (Nathalie), annotations n° 19 aux Souvenirs de Jacques Georges-Picot, op. cit., p. 82-83.

109 Bouvier (Jean), « Quatre décideurs monétaires publics en 1926-1928 », Bulletin de la Société d’Histoire Moderne, seizième série n° 27, 1985, p. 25-29.

110 Sauvy (Alfred), Histoire économique de la France entre les deux guerres, Paris, Économica, 1984, vol. 1, p. 59-72 ; Jeanneney (Jean-Noël), François de Wendel en République, l’argent et le pouvoir 1914-1940, Paris, Le Seuil, 1976, p. 321-412 ; Mouré (Kenneth), La politique du franc Poincaré (1926-1936), Paris, Albin Michel, 1998, p. 58-92 ; Blancheton (Bertrand), Le Pape et l’Empereur, la Banque de France, la direction du Trésor et la politique monétaire en France (1914- 1928), Paris, Albin Michel, 2001, p. 383-412 ; Mouré (Kenneth), The Gold Standard Illusion, France, the Bank of France, and the international Gold Standard, 1914-1939, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 101-144.

111 Rueff (Jacques), « Sur un point d’histoire : le niveau de la stabilisation Poincaré », Œuvres complètes, op. cit., t. II.

112 Jeanneney (Jean-Noël), François de Wendel…, op. cit., p. 380-390.

113 « Sur l’urgence de la réforme monétaire », note au ministre du 3 juin 1928, 29 p. dactyl. ; l’original se trouve dans AWB, 1BA10, Dr4. Jean-Noël Jeanneney a recueilli de Wilfrid Baumgartner en novembre 1973 l’assurance qu’il avait été l’auteur de cette note (in François de Wendel…, op. cit., p. 401) ; il en a pour sa part consulté la version définitive alors qu’elle était encore inventoriée aux Archives nationales sous la cote F 30 2353. Elle est conservée aujourd’hui aux AEF, sous la référence B 33 201. Elle a été publiée par Pierre Sicsic, « Sur la stabilisation du franc (1926-1928) », Études et Documents, VI, 1994, p. 667-685.

114 Ibid., p. 2.

115 Ibid., p. 4.

116 Ibid., p. 8.

117 Ibid., p. 11.

118 Ibid., p. 17.

119 Ibid., p. 15.

120 Moreau (Émile), Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, histoire de la stabilisation du Franc (1926-1928), Paris, Éditions M. Th. Genin, Librairie de Médicis, 1954, p. 445 et 469.

121 Mouré (Kenneth), The Gold Standard Illusion…, op. cit., p. 101 sqq.

122 Moreau (Émile), Souvenirs…, op. cit., p. 563.

123 Ibid., p. 564.

124 « Entrevue à la Banque de France le 19 mai 1928 entre MM. Rist et Quesnay, J.-J. Bizot et W. Baumgartner », compte-rendu de Wilfrid Baumgartner, 4 feuillets dactyl., AWB, 1BA10, Dr4.

125 Moreau (Émile), Souvenirs…, op. cit., p. 564.

126 Ibid., p. 572.

127 Ibid., p. 579.

128 Ibid., p. 590.

129 Intervention de Wilfrid Baumgartner à la soutenance de la thèse de Jean-Noël Jeanneney le 12 mars 1975 à Nanterre, compte-rendu de soutenance par Philippe Levillain, Revue Historique, CCLIV, 99e année, 1975, p. 561-570 et rapportée aussi par Jean Bouvier, Préface à É. Moreau, Memorie di un governatore della Banca de Francia, Bari, Cariplo-Laterza, 1986.

130 Nous remercions, à ce propos, Kenneth Mouré de nous avoir suggéré qu’il était erroné d’attribuer à Baumgartner une série de notes anonymes conservées dans ses papiers (AWB, 1BA10, Dr4) dont nous lui avions à tort, dans notre thèse de doctorat de 1994, attribué la paternité sur la foi de la mention manuscrite « Notes générales, WSB [Wilfrid Siegfried Baumgartner] » portée sur la chemise d’origine. Ces notes, réexaminées depuis, notamment à la lumière des papiers Quesnay (AN 374AP), sont à l’évidence dues au directeur des Études de la Banque de France dont le style et les idées si remarquables sont ici en effet parfaitement reconnaissables. Cf. Mouré (Kenneth), The Gold Standard Illusion…, op. cit., p. 142, n. 211.

131 « La monnaie française », note, [début juin 1928, due à Pierre Quesnay], 12 p. dactyl., AWB, 1BA10, Dr4, p. 6-7.

132 Ibid.

133 « Méthodes propres à assurer le maintien de la stabilité du franc », note anonyme, sans indication de destinataire, datée de « début juin 1928 », 7 p. dactyl., AEF, B 33 201, p. 3.

134 « Le problème du mouvement des capitaux », note anonyme, [juin 1928], 6 p. dactyl., AWB, 1BA10, Dr4, p. 3.

135 Ibid., p. 4-5.

136 « Répercussions possibles de la réforme monétaire sur les prix et les salaires », note anonyme, [juin 1928], 8 p. dactyl., AWB, 1BA10, Dr4, p. 1.

137 Ibid., p. 2.

138 « La monnaie française », doc. cité, p. 8.

139 Ibid.

140 Les analyses développées dans ces notes au début de juin 1928 contribuent donc à apporter une réponse sans équivoque à la question que se pose Sicsic (Pierre), « Le franc Poincaré a-t-il été délibérément sous-évalué ? », Études et Documents, n° 5, 1993, p. 261-291.

141 Marseille (Jacques), « Le Franc Poincaré et le commerce extérieur de la France (1926- 1931) », in Du franc Poincaré à l’ECU, Actes du colloque tenu à Bercy les 3 et 4 décembre 1992, Paris, CHEFF, 1993, p. 57-65.

142 Feiertag (Olivier), « Pierre Quesnay et les réseaux de l’internationalisme monétaire en Europe (1919-1937) », in Dumoulin (Michel) éd., Réseaux économiques et construction européenne, Bruxelles…, PIE-Peter Lang, 2004, p. 331-349.

143 « Le contrôle du marché du crédit », note de la Banque de France (rédigée autour du 14 juin 1928), attribuable à Pierre Quesnay sur la foi du témoignage de É. Moreau (Souvenirs…, op. cit., p. 585), 7 p. dactyl., AWB, 1BA10, Dr4. Cf. aussi Feiertag (Olivier), « The Delayed Modernization…», art. cité, p. 41-44.

144 Cet esprit de réforme des structures du crédit et des marchés de l’argent semble bien s’être alors également exprimé en dehors des seuls cercles du Mouvement des fonds et de la Banque de France. Au début de 1930, la Société des anciens élèves et des élèves de l’École libre des sciences politiques invita ainsi Charles Farnier, devenu directeur du Mouvement des fonds, mais aussi Maurice Lorain de la Société générale, Olivier Moreau-Néret passé au Crédit lyonnais, Alexandre Célier, le directeur du CNEP, et Jean Tannery, le directeur de la Caisse des dépôts, à exposer les solutions techniques qu’ils estimaient nécessaires pour « moderniser » le crédit et le fonctionnement des marchés de l’argent (in Les problèmes actuels du crédit, Paris, Librairie Félix Alcan, 1930, 224 p.).

145 Bouvier (Jean), Préface à É. Moreau, exemplaire en français dactylographié qui m’a été confié par Alain Plessis, p. 84. Cf. aussi : Mouré (Kenneth), Managing the Franc Poincaré, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 123-144.

146 Exposé des motifs de la loi de stabilisation monétaire du 25 juin 1928 avec annotations manuscrites de Wilfrid Baumgartner, AWB, 1BA10, Dr6.

147 Décret du 23 juin 1928 nommant Wilfrid Baumgartner commissaire du Gouvernement pour assister le Président du Conseil-Ministre des Finances à la Chambre et au Sénat dans la discussion du projet de loi monétaire, AWB, 1BA10, Dr1.

148 Moreau (Émile), Souvenirs…, op. cit., p. 603.

149 Monnet (François), Refaire la République, André Tardieu, une dérive réactionnaire (1876-1945), Paris, Fayard, 1993, p. 120.

150 Reynaud (Paul), Mémoires, Paris, Flammarion, 1960, t. I, Venu de ma montagne, p. 289.

151 Lettre du chef de service de l’inspection des Finances, L. Courtray, à W. Baumgartner du 15 février 1929, AWB, 1BA10, Dr1.

152 « Val. Mob. », notes préparatoires de Wilfrid Baumgartner au rapport sur le régime fiscal des valeurs mobilières, s. d. mais rédigées au plus tard au début de mai 1929, 9 feuillets manuscrits, AWB, 1BA10, Dr1.

153 Ibid., p. 2.

154 Ibid., p. 3.

155 Ibid., p. 6.

156 Monnet (François), Refaire la République…, op. cit., p. 137-174.

157 Cette analyse s’inscrit bien dans les conclusions que Barry Eichengreen et Charles Wyplosz donnent des ressorts de la prospérité Poincaré : « The Economic Consequences of the Franc Poincaré », in Helpman (Elhanan), Razin (Assaf) et Sadka (Efraim) (éd.), Economic Effects of the Government Budget, Cambridge, MIT Press, 1988, p. 257-286.

158 « Val. Mob. », doc. cité, p. 9.

159 Frank (Robert), « L’entrée des attachés financiers dans la machine diplomatique 1919- 1945 », Relations Internationales, n° 32, hiver 1982, p. 489-505.

160 Note de Charles Farnier au ministre des Finances Henry Chéron du 23 mai 1929, AWB, 1BA10, Dr1.

161 Le fait n’est pas sans importance dans le contexte de l’Italie des années 1930 et de la politique extérieure de la France vis-à-vis de l’Italie dans la période. Il est attesté par une lettre que Wilfrid Baumgartner, devenu ministre des Finances, adressa à P. E. Taviani, son homologue italien, au lendemain d’une réunion des ministres des Finances de la CEE qui s’était tenue dans la ville éternelle, lui avouant que « ce contact avec Rome était pour [lui] le premier de [s]a vie » (Lettre de W. Baumgartner à P. E. Taviani du 15 juillet 1960, AWB, 3BA19, Dr.5).

162 Frank (Robert), « L’entrée des attachés financiers… », art. cité, p. 494.

163 Reynaud (Paul), Mémoires, op. cit., t. 1, p. 290.

164 Maynaud (Jean), La technocratie, mythe ou réalité ?, op. cit., 1964, p. 26-27.

165 Décrets désignant Wilfrid Baumgartner en qualité de commissaire du gouvernement dans la discussion législative de ces différentes questions, AWB, 1BA10, Dr1. Sur le scandale Oustric, mais sans qu’y soit abordée la question du point de vue du rôle éventuel du ministère des Finances, cf. Bonin (Hubert), « Oustric, un financier prédateur ? 1914-1930 », Revue historique, CCXCV/2, avril-juin 1996, p. 429-448.

166 C’est ainsi que Gérard Vincent a pu écrire, reprenant une opinion très commune dès les années 1930, « les deux frères Baumgartner, gendres d’Ernest Mercier, symbolisent la fusion entre la haute fonction publique et les hauts responsables du secteur privé », Sciences-Po, histoire d’une réussite, Paris, Olivier Orban, 1987, p. 94.

167 Juvénal, septembre 1935.

168 Dessert (Daniel), Argent, pouvoir et société au Grand-Siècle, Paris, Fayard, 1984.

169 Jolly (Jean) (dir.), Dictionnaire des parlementaires français, Paris, PUF, 1960, t. VI et Les ministres des Finances de 1870 à nos jours, catalogue de l’exposition conçue par les AEF, sous la direction de François Gasnault, en octobre 1993 à Bercy.

170 Baumgartner (Wilfrid), Notice sur la vie et les travaux de Charles Malégarie (1886-1963), Paris, Firmin-Didot, 1963, p. 9 ; Entretien de l’auteur avec Éric Baumgartner, cité.

171 Caron (François) et Cardot (Fabienne) (dir.), Histoire de l’électricité en France, Paris, Fayard, 1991, t. 1, 1881-1918, p. 571 et p. 749.

172 Kuisel (Richard F.), Ernest Mercier, french technocrat, Berkeley, University of California Press, 1967, p. 8-44.

173 Ibid., p. 45 sqq. et aussi : Brun (Gérard), Technocrates et technocratie en France (1914- 1945), Paris, Éditions Albatros, 1985, p. 19-23 ; Dard (Olivier), Le rendez-vous manqué des relèves des années 1930, Paris, PUF, 2002, p. 42-47.

174 Kuisel (Richard F.), Ernest Mercier…, op. cit., p. 167-168.

175 « L’Organisation financière », Cahiers du Redressement français, première série, 1927.

176 Dard (Olivier), Le rendez-vous manqué…, op. cit., p. 45.

177 Charle (Christophe), « Naissance d’un grand corps… », art. cité, p. 10-13.

178 Jeanneney (Jean-Noël), L’argent caché…, op. cit., p. 33.

179 Ernest Mercier (1878-1955), une grande destinée, Paris, SEFI, 1958.

180 Baumgartner (Wilfrid), Notice sur la vie et les travaux de Charles Malégarie…, op. cit., p. 9-10.

181 Baechler (Jean), « Groupe et sociabilité », in Boudon (Raymond), Traité de Sociologie, Paris, PUF, 1992, p. 71-73 et Bourdieu (Pierre), « Le capital social, notes provisoires », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 31, janvier 1980, p. 2-3. On peut lui emprunter cette définition de départ du capital social entendu par lui comme « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissances et d’interreconnaissances ».

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.