Réformateurs et contestataires de l’impôt en France après la Seconde Guerre mondiale
p. 319-335
Texte intégral
1Les historiens décrivent souvent la modernisation de l’économie française d’après-guerre comme une entreprise très directive, menée par les élites, et, dans une large mesure, elle le fut. Les décideurs politiques, les fonctionnaires, les hommes d’affaires et les responsables syndicaux se sont appuyés sur l’industrie nationalisée, le Commissariat du plan et le plan Marshall pour propulser le pays dans cette ère de miracle économique que furent les Trente Glorieuses. Le mérite en revient sans aucun doute à Jean Monnet, Raoul Dautry, Pierre Massé et à bien d’autres experts en charge de hautes fonctions, qui ont su promouvoir des mesures politiques dirigeant les ressources de l’État vers l’investissement industriel, le développement urbain et l’intégration européenne. Non moins importante fut leur attitude optimiste face aux facultés de changement de l’économie et de la société françaises1. Bien que certains historiens préfèrent attribuer la croissance d’après-guerre plus à la reprise économique que connut l’ensemble de l’Europe qu’à la planification, rares sont ceux qui dénient l’importance du rôle joué par les ministres et les dirigeants du Commissariat du plan dans les initiatives politiques de la France de la IVe République.
2Pourtant, cette description d’une transformation économique guidée par l’État et impulsée par les élites ne recouvre pas toute la réalité. Le jeu politique des groupes d’intérêts et les pressions populaires continuèrent d’exercer leur influence, parfois en entravant les initiatives audacieuses, comme ce fut souvent le cas durant la IIIe République, parfois en marquant de leur empreinte les réformes d’après-guerre qui finissaient par voir le jour. Les nationalisations de 1945-1946, par exemple, ont sans nul doute été marquées par la détermination des syndicats et des organisations de la Résistance à se servir du rôle de l’État propriétaire pour mieux faire entendre la voix des salariés dans les organes de direction des entreprises nationalisées2. La reconstruction urbaine après 1945, pour citer un autre exemple, a pris des formes variées, depuis la restauration complète du vieux Saint-Malo jusqu’à la réinvention futuriste du centre-ville du Havre, en fonction notamment de l’influence et des préférences des groupes d’intérêts locaux3. En résumé, durant l’après-guerre, l’élaboration des politiques impliquait encore une interaction complexe entre des hommes politiques et des experts parisiens influents et des acteurs sociaux en concurrence au plan local qui s’efforçaient de prendre part à la formation et à la mise en application des politiques adoptées. Le choc de la défaite de 1940 et le discrédit jeté sur les partis conservateurs en raison de leurs relations avec Vichy et de leur rôle dans la collaboration ont certainement largement contribué à ce que de nouveaux dirigeants aient pu pratiquer des réformes à la fin des années quarante. Mais la Libération a également ouvert la voie au renouveau d’une pratique démocratique de la politique, des pressions exercées par les groupes d’intérêts et de la mobilisation populaire qui devaient influer sur l’avenir, la nature et la légitimité de la réforme.
3L’étude de la réforme fiscale sous la IVe République apporte un éclairage particulièrement intéressant pour comprendre cette dynamique. À la fin des années quarante, les représentants de l’État se sont investis pleinement dans l’effort de modernisation du système fiscal, prenant conscience du caractère essentiel de la bonne santé du système national de finances publiques pour assurer un processus de croissance économique à long terme. Par ailleurs, le système fiscal était depuis longtemps la cible des pressions des groupes d’intérêts et de la mobilisation populaire au niveau local, peu de sujets autres que l’hostilité au fisc étant capables de susciter une adhésion aussi forte. De plus, contrairement à la Grande-Bretagne, où les ministres du gouvernement bénéficiaient d’une indépendance notable vis-à-vis du Parlement en matière de modification des dispositions fiscales, en France, la politique fiscale restait, par tradition, le pré carré des organes législatifs4. Bien évidemment, le Parlement français faisait l’objet de maintes pressions politiques, parmi lesquelles les revendications orchestrées par les entreprises, les syndicats et les groupements agricoles n’étaient pas des moindres. Il n’est donc pas surprenant que la réforme fiscale, avec la même facilité que tout sujet de politique publique sous la IVe République, ait fait ressurgir le conflit entre l’approche technocratique de régénération de la Nation et le réflexe défensif de la politique populaire. Finalement, ce sont les réformateurs qui l’ont emporté, bien que ce ne fût pas de la façon dont ils l’avaient prévu. La présente communication décrit la politique de réforme fiscale entreprise durant cette période, en examinant le rôle que jouèrent les représentants de l’État, les groupes de pression et les contestataires de l’impôt au niveau local dans l’élaboration du processus qui, à la fin des années cinquante, avait introduit des changements significatifs dans la fiscalité française.
I
4S’il nous est aujourd’hui facile de comprendre rétrospectivement les raisons pour lesquelles les élites partisanes de la modernisation souhaitaient renforcer le système fiscal, l’enjeu était moins évident en 1945. La stupéfiante complexité du système fiscal, alourdi par une multitude d’impôts sur les ventes et de taxes d’accise dégressifs, regorgeant d’exceptions et de niches fiscales, semblait bien peu propice au lancement d’une réforme de l’économie du pays. En effet, l’impôt ne figurait pas en bonne place dans les plans d’après-guerre échafaudés par la Résistance, et le régime de Vichy n’avait pas davantage apporté de changements majeurs à ce système reposant sur une forte inertie politique5. Après tout, ce fut au prix d’énormes efforts et à la suite des terribles répercussions de la Première Guerre mondiale que purent être entreprises les deux principales réformes fiscales de la première moitié du xxe siècle : l’impôt sur le revenu, mis en place en 1917, et une taxe à l’exportation, établie en 1920, qui devait devenir la taxe à la production en 19366.
5Cependant, en dépit de ces innovations, certaines caractéristiques anciennes du système, héritées du xixe siècle, existaient toujours à la Libération en 1944. La France continuait d’accorder à l’imposition directe des revenus et des richesses (qui représentait alors environ 30 % de l’ensemble des recettes fiscales) une importance moindre que tous les autres pays industrialisés, à l’exception de l’Italie7. Les recettes fiscales étaient principalement générées par des impôts indirects, et plus particulièrement par des taxes grevant la production de biens et de services et les transactions commerciales. Les producteurs échappaient souvent à ces frais en pratiquant la fraude fiscale ou en les répercutant sur les prix à la consommation. Les principales corporations professionnelles continuèrent de bénéficier d’avantages spécifiques. Les agriculteurs et les petites entreprises, par exemple, avaient la possibilité d’opter pour le régime du forfait, dans lequel le revenu imposable est évalué sur la base de simples indicateurs, tels que le volume des acquisitions, le nombre de salariés ou le bénéfice moyen par parcelle de terrain. La propension de ce système à sous-estimer les revenus était largement reconnue. La fraude était depuis longtemps monnaie courante, et sans doute se généralisa-t-elle encore après-guerre sous l’influence des habitudes prises durant l’Occupation, la fraude fiscale se parant même d’un vernis patriotique. Les habitudes confortables prises dans le passé avaient tendance à durer. Selon un rapport gouvernemental de 1952, la fraude fiscale représentait alors 20 à 25 % des recettes fiscales8. Par ailleurs, la complexité du système était telle qu’elle entravait l’accomplissement des obligations fiscales, et ce, même pour l’honnête petit commerçant. Les gérants de café, par exemple, étaient assujettis à vingt-cinq impôts et taxes différents9. Cependant, l’abondance même de ses défauts structurels rendait le système fiscal difficile à réformer tout juste après la guerre et plus encore, nul ne le niera, lorsqu’au début de l’année 1945 le général de Gaulle choisit une politique inflationniste plutôt qu’une politique d’austérité lors du célèbre débat entre René Pleven et Pierre Mendès France sur la meilleure façon d’engager la reprise économique d’après-guerre.
6Cependant, dès 1948, il ne fut plus question de se voiler la face. De hauts fonctionnaires du ministère des finances, ainsi que Jean Monnet au Commissariat du plan, avaient pris conscience qu’un système fiscal plus efficace était nécessaire pour soutenir leurs projets d’investissement en faveur de la modernisation de l’industrie et de l’agriculture. Lorsqu’on 1947 pareils propos avaient été tenus par un haut fonctionnaire de la direction générale des Impôts, Paul Delouvrier, ils n’avaient trouvé aucun écho. Mais un an plus tard, ses collègues du Commissariat du plan se rallièrent à son avis, de même que David Bruce, administrateur américain du plan Marshall en France, qui fit des démarches entreprises dans le sens d’une véritable réforme fiscale la condition sine qua non au déblocage des fonds des États-Unis10. Les dirigeants français, par ailleurs, savaient que le plan Marshall ne constituait qu’une source temporaire d’investissement, vouée à disparaître après 1952. La taxation était donc la seule méthode anti-inflationniste fiable pour stimuler l’investissement public.
7C’est avec ces objectifs à l’esprit que les hauts fonctionnaires de la direction générale des Impôts et du Commissariat du plan, avec le soutien successif de puissants ministres des Finances, lancèrent un processus de réforme fiscale qui devait durer près d’une décennie. Les débuts, en 1948, en furent quelque peu modestes. Le Parlement ne confia au gouvernement qu’un pouvoir de décret limité en matière de réformes, celles-ci étant subordonnées à la conservation de la structure de base du système. Par crainte de susciter la colère des travailleurs indépendants, très nombreux, le gouvernement s’efforça principalement de simplifier le système, de réorganiser la direction générale des Impôts, d’accroître certains des taux principaux et de lutter contre la fraude. La taxe à la production, supportée surtout par les grandes entreprises, augmenta de 25 %, et d’autres contributions indirectes de 15 %11. L’impôt sur le revenu était désormais calculé globalement chaque année, avec quatre échéances annuelles, et non plus selon le système compliqué où différents impôts étaient payés une fois par an sur chaque type de revenu. L’ancien système fut cependant maintenu pour le secteur agricole, opposé au changement proposé12.
8La hausse des taux, conjuguée à la lutte contre la fraude, permit d’augmenter de manière substantielle les recettes fiscales dans les années qui suivirent. Mais les résultats obtenus furent insuffisants. Dès le début des années cinquante, les dirigeants français purent constater que les marchés privés du crédit et des prises de participation n’avaient pas connu l’essor souhaité par les réformateurs13. De plus, les dépenses militaires engagées dans les guerres de Corée et d’Indochine amenuisaient les fonds pouvant servir à l’investissement public dans le cadre du processus de modernisation. Les pressions en faveur d’une réforme du système fiscal s’en trouvèrent renforcées.
9La deuxième série de réformes fut d’une portée considérable et suscita un ensemble de réactions complexes parmi les contribuables et les groupes de pression. Les élections législatives de 1951 donnèrent le ton. Les réformes fiscales constituèrent l’un des thèmes majeurs de la campagne électorale et les élections, en renforçant la droite, placèrent le gouvernement en position de force, du moins potentiellement, pour engager des négociations avec les grands patrons. Le nouveau gouvernement de centre droit d’Antoine Pinay releva le défi en soutenant le projet de réforme fiscale de la commission Loriot. En dépit de sa critique virulente du système fiscal, le rapport de cette commission, publié en 1952, n’adopta pas la proposition de changement la plus radicale : renforcer le poids des contributions directes dans les recettes fiscales. Les partis de gauche, dont on aurait attendu qu’ils soutinssent cette position, étaient trop peu influents et trop divisés au début des années cinquante pour faire entendre leur voix. Même le parti communiste renâclait à voir dépossédés les petits producteurs, qui considéraient l’augmentation des contributions directes comme une malédiction. S’il n’adoptait pas cette mesure radicale, le rapport Loriot invitait, en revanche, à préserver l’équilibre d’ensemble des impôts sur la vente, le revenu et le capital, tout en élargissant l’assiette de l’impôt grâce à plusieurs outils : de meilleures méthodes de calcul et de répression des fraudes, une plus grande efficacité des services fiscaux et une diminution de certains taux excessifs afin d’encourager le civisme fiscal14.
10En dépit des coupes claires pratiquées par le Parlement dans les propositions de la commission Loriot, les hauts fonctionnaires de la direction générale des Impôts s’engagèrent dans une politique d’amélioration de l’efficacité. Ils créèrent des équipes ou « brigades » composées d’inspecteurs de la direction générale des Impôts directs et indirects, et inventèrent le « polyvalent », inspecteur des impôts formé pour contrôler les petites entreprises au nom de tous les principaux services fiscaux. Par cette organisation des contrôles en fonction des catégories de contribuables, plutôt que des types d’impôt, le gouvernement visait à rendre les éventuelles fraudes plus difficiles pour les ménages et les entreprises. Le contrôle fiscal devint également plus centralisée et professionnalisée : le nombre d’inspecteurs mutés de Paris vers la province augmenta, ce qui brisa du même coup les relations privilégiées qui pouvaient avoir été tissées entre inspecteurs et contribuables au niveau local. De plus, le gouvernement accorda en 1952 une amnistie aux fraudes fiscales ; cette décision fut très appréciée par les grands patrons et les personnes à revenus élevés qui craignaient que ne soient divulguées certaines de leurs malversations en temps de guerre, mais déplut aux petits commerçants qui pensèrent, à juste titre, que les inspecteurs auraient désormais plus de temps à leur consacrer15. Comme le dit Antoine Pinay devant le Parlement, « la contrepartie de l’amnistie pour le passé, c’est la rigueur des sanctions pour la fraude à venir »16. Ce n’est donc pas sans raison que de nombreux petits commerçants se sont sentis menacés par la modernisation de la direction générale des Impôts.
11Au même moment, au ministère des Finances, le processus de modernisation avait enfin franchi une étape décisive. Deux hauts fonctionnaires de la direction générale des Impôts, Paul Delouvrier (que l’on retrouve ici) et un jeune inspecteur des finances, Maurice Lauré, proposèrent la création d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour remplacer la taxe à la production qui avait été la pierre angulaire des contributions indirectes depuis les années trente. Évidemment, la TVA ne remit nullement en question les caractéristiques dégressives d’un système d’imposition dépendant fortement des contributions indirectes. En revanche, elle permit de résoudre un problème qui commençait à préoccuper les planificateurs et experts financiers du gouvernement : les effets corrosifs de la taxe à la production sur l’investissement. La TVA était une taxe plus « neutre », en ce qu’elle autorisait le producteur final à déduire les taxes versées au titre des matières premières entrant dans la fabrication du produit. Elle était également moins susceptible de faire l’objet de fraude fiscale, car elle obligeait le producteur final à justifier ses déductions. Le programme de réforme de 1948, qui autorisait les producteurs à déduire le montant des taxes versées au titre des matières premières, avait constitué un précédent17. La CGT (Confédération générale du travail), d’orientation communiste, s’était prononcée en 1948 en faveur d’une TVA, la considérant comme une taxe à la consommation plus raisonnable et équitable, avis auquel se rangea trois ans plus tard un groupe de syndicalistes catholiques de la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens)18. Mais c’est seulement à l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Joseph Laniel, en 1953, que le climat politique se révéla assez favorable pour que pût être envisagée l’adoption de cette loi par le Parlement. Propriétaire d’une entreprise de textile et ancien directeur du syndicat patronal du textile, traditionnellement opposé à ce que l’on modifie la taxe à la production, Laniel était un homme d’influence. Il en était de même pour Delouvrier au sein de la direction générale des Impôts, qui soutint efficacement Georges Villiers, directeur d’un CNPF (Conseil national du patronat français) dont les rangs étaient divisés sur la question entre, d’un côté, les magnats du textile comme Marcel Boussac, opposés à la TVA, et de l’autre, les partisans de la modernisation, dans l’industrie sidérurgique et chimique19. Finalement, une majorité suffisante au sein du CNPF se rallia à la cause de la TVA, reléguant au second plan les objections persistantes de la CGPME (Confédération générale des petites et moyennes entreprises), dirigée par Léon Gingembre, qui souhaitait préserver l’ancienne taxe à la production. Après que le gouvernement eut cédé à quelques requêtes concernant des taux privilégiés et accepté quelques exceptions, notamment le report de la TVA pour le commerce de détail (en l’occurrence, ce secteur n’y fut assujetti qu’à partir de 1968), le Parlement approuva la réforme en avril 195420. Grâce à cet impôt touchant les secteurs de l’industrie et du commerce en gros, le gouvernement fit soudainement de la France, longtemps perçue à l’étranger comme archaïque du point de vue fiscal, le pays pionnier de la TVA, taxe qui devait progressivement être adoptée par la plupart des autres économies du monde.
II
12Par le biais de ces deux initiatives, l’intensification de la répression des fraudes et l’introduction de la TVA, les représentants du gouvernement parvinrent à renforcer le système de finances publiques21. Mais ils contribuèrent également à détériorer le climat politique au point que la direction générale des Impôts fut sévèrement mise à mal. Ce fut la répression des fraudes qui suscita les réactions les plus vives. En juillet 1953, Pierre Poujade, un papetier de Saint-Céré, lança une campagne contre les inspections locales qui s’intensifia rapidement, au point de devenir l’une des plus grandes révoltes fiscales françaises de l’ère moderne22. Les techniques de Poujade avaient fait leurs preuves : des foules entières de petits commerçants et leurs partisans empêchèrent les inspecteurs de pénétrer dans les boutiques, allant parfois jusqu’à les brutaliser et à brûler leurs dossiers. Lors de manifestations plus importantes encore, d’immenses foules investirent les centres des impôts, où elles laissèrent parfois libre cours à leur violence. Ces méthodes d’obstruction étaient loin d’être nouvelles ; les petits commerçants y avaient largement recouru en 1947 dans des dizaines de villes pour protester contre les inspections du Contrôle économique, service dépendant du ministre des Finances et chargé de la politique de contrôle des prix et de rationnement23. Usant de ces mêmes méthodes, le mouvement poujadiste prit cependant une ampleur sans commune mesure. Dès octobre 1954, le mouvement s’était étendu à 30 départements, essentiellement dans le sud et le centre du pays. Six mois plus tard, les opérations de contrôle du gouvernement furent près d’être paralysées en raison des 46 « incidents » qui survenaient en moyenne chaque semaine. Selon les notes de service internes au ministère des Finances, seulement 60 000 inspections eurent lieu en 1955, contre 170 000 en 1953, un chiffre bien en deçà des 100 000 inspections jugées nécessaires par les inspecteurs des impôts au maintien de la crédibilité de la direction générale des Impôts24. Au début de 1956, les responsables estimaient que des procédures normales de vérification n’étaient effectuées que dans 40 départements. Les inspecteurs, évidemment, concentraient leur attention sur les grandes entreprises épargnées par le mouvement. Les responsables craignirent qu’une vague d’incivisme fiscal ne gagnât toute l’économie25.
13Bien sûr, le poujadisme tirait sa force des conséquences de tendances économiques bien plus profondes que le seul impact de la répression contre la fraude lancée par le gouvernement. Depuis 1940, 100 000 nouveaux commerces s’étaient ouverts en France en moyenne chaque année, profitant d’une économie de guerre dont les restrictions et le marché noir firent la richesse des petits commerçants et la ruine des consommateurs26. La fin de l’inflation et des pénuries d’après-guerre, à la fin des années cinquante engendra une crise, inévitable du petit commerce. Avec un franc stable, les petits commerçants ne pouvaient désormais plus s’offrir le luxe de payer les impôts de l’année précédente avec la monnaie surévaluée de l’armée en cours. Ils pensèrent que les taxes constituaient le coût sur lequel ils pourraient peut-être agir collectivement, et le percepteur devint la cible parfaite. Après tout, aucun autre système fiscal en Europe ne reposait autant que le système français sur une armée d’inspecteurs chargés d’assurer localement le civisme fiscal27. Contrairement au système américain et au caractère impersonnel et lointain des inspecteurs de l’Internal Revenue Service (IRS), le système français reposait sur le recensement annuel effectué par chaque inspecteur dans sa juridiction, ce dernier finissant ainsi généralement par connaître les richesses et les revenus de quelques centaines de contribuables, particuliers ou entreprises, placés sous son autorité. Les changements opérés dans les méthodes de contrôle et la réorganisation du personnel, avec la création de nouvelles « brigades » d’inspection et l’apparition des « polyvalents », auraient pu échapper à l’attention des contribuables dans d’autres pays. En France, ils firent l’objet de rumeurs, suscitèrent craintes et calomnies, furent évoqués dans l’ensemble de la presse. La révolte fiscale fut donc, d’une part, une réponse stratégique à la profonde crise structurelle du commerce de détail et, d’autre part, une réaction de défense contre des changements redoutés dans les règles du jeu de la surveillance et de la divulgation, qui avaient longtemps permis à la fraude fiscale et à l’intrusion de l’État d’aller de pair dans le système fiscal français.
14Bien que le poujadisme, en tant que mouvement politique dans une acceptation plus large, se soldât par un échec – après une surprenante victoire aux élections législatives de 1956, le parti poujadiste sombra dans les bas-fonds de la politique parlementaire et fut balayé par le gaullisme – rétrospectivement, il nous faut reconnaître son succès en tant que révolte fiscale. Les archives de la direction générale des Impôts révèlent une administration fiscale d’État en pleine crise et décidée à revoir son approche pour effectuer les réformes appropriées. Dans un premier temps, le gouvernement mit l’accent sur la répression. En août 1954, il bénéficia de l’aval du Parlement qui approuva le célèbre amendement Dorey, qui donnait à la police le droit d’arrêter quiconque empêchait les contrôles fiscaux. Pierre Allix, à la tête de la direction générale des Impôts, exigea, en privé, que les chefs de file du mouvement soient délibérément soumis à des contrôles fiscaux28.
15Cependant, les responsables fiscaux découvrirent bientôt que la répression avait peu d’effet. Dans une note secrète au ministre des Finances, Edgar Faure, Pierre Allix recommanda une attitude conciliante face à la rébellion : « Il souffle, dans les départements atteints, un vent d’insurrection contre l’État. » « Pour dissiper ce sentiment de force et briser la psychose de rébellion, les mesures répressives qui viennent d’être votées seraient impuissantes si elles étaient utilisées isolément. Il faut recourir en même temps à un choc psychologique provoqué par la mise en application d’un vaste plan de détente fiscale. » Il réclama un taux d’imposition sur le revenu plus faible pour les petits commerçants, une mesure similaire ayant déjà été approuvée pour les artisans, des peines moins lourdes, une représentation des contribuables plus importante au sein des cours d’appel locales, ainsi qu’une série de garanties contre les décisions arbitraires et le zèle excessif des services fiscaux29 Durant l’année qui suivit, le gouvernement poursuivit sa politique de détente et mena une campagne de relations publiques destinée à informer de l’allégement des charges fiscales sur le petit commerce. La révolte fiscale conforta également les responsables fiscaux dans leur conviction qu’un avenir radieux s’annonçait pour la réforme grâce à la TVA qu’ils étaient en train de créer. Comme l’écrivit en novembre 1954 le chef de la direction des impôts indirects, à la suite de violentes manifestations à Toulouse et Castelsarrasin : « Je crois devoir ajouter qu’en raison de la faveur indéniable dont jouit le mouvement poujadiste auprès de la masse des petits commerçants et artisans il est à craindre que l’agitation fomentée par ce groupement ne puisse être sensiblement réduite que par la suppression de la taxe sur les transactions et de la taxe locale et leur remplacement par une majoration des taux de la taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes indirectes dont le recouvrement et le contrôle ne soulèvent pas de sérieuses difficultés30. »
16La direction générale des impôts aurait sans doute témoigné d’encore plus d’indulgence envers les petits commerçants si elle n’avait ressenti la pression de ses propres agents. Force ouvrière, syndicat qui représentait la majorité des agents du service des contributions directes, et la CGT, syndicat majoritaire au service des contributions indirectes, condamnèrent de concert la révolte fiscale comme un affront aux principes républicains de solidarité et d’égalité. Ils accusèrent à plusieurs reprises la direction de céder trop de terrain aux contribuables qui empêchaient les inspecteurs de faire leur travail31. Lorsque les contestataires furent traduits devant les tribunaux pour obstruction aux contrôles fiscaux, les syndicalistes s’indignèrent de la clémence de certains des jugements rendus32. Démoralisés, ces syndicats allèrent jusqu’à annuler eux-mêmes des inspections dans sept départements, décision qui accentua sans aucun doute le sentiment de crise dans les hauts rangs de l’administration33. En homme politique averti, le ministre des Finances, Edgar Faure, savait que la colère des syndicats contre la révolte poujadiste devait être prise au sérieux34.
17Dans le cadre de leur stratégie de conciliation, les dirigeants s’efforcèrent de trouver des moyens de redorer l’image de l’inspecteur des impôts et de restreindre les échanges directs entre inspecteurs et petits commerçants. Le chef de la direction générale des Impôts, Pierre Allix, incita les responsables fiscaux locaux à effectuer des visites dans les chambres de commerce, afin d’améliorer les relations avec les petits commerçants, ainsi qu’à rencontrer les contribuables à domicile, dans le seul but de leur donner des conseils gratuits et amicaux35. Réalités, mensuel en vue rallié au monde des affaires et partisan de la modernisation, publia un long entretien avec un inspecteur des impôts intitulé « Votre contrôleur vous parle », avec la claire intention de donner visage humain au métier d’inspecteur36. Si la direction générale des Impôts n’alla pas jusqu’à supprimer l’emploi de « polyvalent », comme le réclamaient Poujade et de nombreux parlementaires, elle s’efforça cependant de contrecarrer l’entreprise de diabolisation dont faisait l’objet cet inspecteur aux compétences variées, en faisant remarquer qu’aucune révolte de contribuables n’avait eu lieu à Paris où la quasi-totalité des « polyvalents » était pourtant affectée37. Edgar Faure, ministre des Finances, réfuta devant l’Assemblée nationale l’idée selon laquelle les « polyvalents » étaient la « police volante », les « CRS » de la direction générale des Impôts38. Outre ces efforts pour améliorer la réputation des agents du fisc, le gouvernement s’attela à une véritable révision des méthodes d’inspection. Avant tout, il choisit de développer l’utilisation du « forfait » pour le petit commerce, ces déclarations de revenu pluriannuelles basées sur de simples indicateurs, dans l’espoir de diminuer le nombre de ces contrôles compliqués39.
18Il est difficile de dire si l’approche conciliante du gouvernement fit beaucoup pour endiguer la marée poujadiste. Les responsables répondirent par l’affirmative dans leurs communications internes au gouvernement pendant l’été 195540. Et certains accusèrent en effet le gouvernement d’en avoir trop fait pour apaiser Poujade41. Les syndicats d’ouvriers s’inquiétèrent de ce que le gouvernement avait trahi les principes de l’équité. En 1955, Combat, journal de centre gauche, reprocha au ministère des Finances d’avoir renvoyé Maurice Lauré, père de la TVA et des « polyvalents », pour faire plaisir à Poujade. Edgar Faure confia plus tard dans ses mémoires qu’il avait relevé Pierre Allix et Mauricé Lauré de leurs hautes fonctions au sein de l’administration fiscale et nommé Robert Blot à la tête de la direction générale des Impôts dans une volonté d’apaisement du conflit42. Dans les sphères de la grande entreprise, certains jugèrent que les concessions accordées par le gouvernement au petit commerce s’étaient faites au détriment des sociétés plus importantes et des secteurs plus dynamiques de l’économie. Le gouvernement augmenta en effet la taxe sur les bénéfices des sociétés, qui passa de 36 % à 38 %, et fit passer le taux moyen de la TVA à 19,5 %, soit 2,5 % au-dessus de son niveau initial, ce qui mécontenta les alliés de la première heure à la cause de la taxe sur la valeur ajoutée43. Roger Priouret, défenseur du monde des affaires, alla jusqu’à écrire, dans La Vie économique, que l’action du gouvernement consistant à diminuer les charges fiscales des petits commerçants et à les augmenter pour les grandes entreprises était « peut-être démocratique et sûrement électoral[e] », mais inquiétante néanmoins en choisissant « le statique contre le dynamique, l’archaïque contre le moderne »44.
19Ces critiques n’eurent aucun effet notable sur la détermination du gouvernement à calmer les poujadistes tout en restant fidèle aux principaux objectifs de la réforme fiscale, stratégie que semblèrent justifier les événements ultérieurs. Dès 1957, le vent de controverse qu’avait soulevé la politique fiscale commença à se calmer. Hormis quelques plaintes en raison des taux de TVA trop élevés, notamment dans des secteurs à forte main-d’œuvre, tel celui du textile, le passage fondamental à la taxe sur la valeur ajoutée finit par s’imposer comme un pivot de la politique fiscale. Les responsables fiscaux constatèrent avec plaisir, au début de l’année 1958, que Pierre Mendès France rompait avec la vieille tradition de gauche consistant à soutenir l’impôt sur le revenu en approuvant le déplacement progressif de la charge fiscale sur les contributions indirectes, comme la TVA45. Quant à la révolte des petits commerçants, elle aussi commença à s’essouffler, notamment grâce à l’attitude conciliante du gouvernement et en raison du déclin politique de Pierre Poujade, mais surtout du retour de l’inflation en 1957 qui permit aux petits commerçants de couvrir plus facilement leurs dépenses, y compris leurs impôts et taxes46.
20Que nous révèle l’histoire de cette réforme fiscale et des troubles politiques qui l’ont accompagnée sur les difficultés d’après-guerre pour concilier renouveau démocratique et domination technocrate ? L’initiative de la réforme était venue d’en haut, principalement d’experts fiscaux qui bénéficiaient d’une relative indépendance vis-à-vis des pressions exercées par le Parlement, les salariés et le patronat. Devant l’influence de ces fonctionnaires, certains parlementaires opposés à la réforme se mirent à critiquer le gouvernement, coupable de déléguer son autorité à l’administration. Le ministre des Finances, Edgar Faure, rejeta cette accusation, mais non sans confier aux hauts fonctionnaires de la direction générale des Impôts la tâche de mener à bien le projet de réforme de la TVA dans un climat de profonde instabilité gouvernementale47. Certains hauts fonctionnaires tirèrent aussi parti du droit de décret qui leur avait été octroyé en 1948 et 1955, bien que ce dernier fut limité par des dispositions fixées par le Parlement. Les experts durent opérer dans un climat politique qui accordait encore au Parlement et aux groupes de pression, et notamment au syndicat patronal du CNPF, un rôle décisif dans l’approbation de la réforme. Malgré cela, la réforme fiscale prit forme et s’amplifia grâce à de hauts responsables politiques qui, sous la pression de représentants américains et des ambitions nationales visant à mener à bien un projet de modernisation industrielle financé par les deniers publics, inscriront la TVA et la répression des fraudes à l’ordre du jour politique pendant plus de cinq ans.
21Dans ces circonstances, il n’est pas surprenant que les experts aient été sensibles au discours de Poujade les accusant de conspirer avec les grandes entreprises, les États-Unis et les commerçants, pour moderniser le pays au détriment de la France des petites villes. Poujade ne manqua pas une occasion de décrire avec verve les David de la véritable France luttant contre les Goliath technocrates sans légitimité de Paris. Ce qui est remarquable, cependant, c’est la rapidité avec laquelle les experts réagirent aux pressions politiques de la base, lorsque la révolte fiscale sembla menacer non seulement les moyens de financement de l’investissement, mais aussi quelque chose de bien plus fondamental : « l’autorité et la force de l’État48 », ainsi qu’Edgar Faure l’a formulé. Les hauts fonctionnaires de la direction générale des Impôts et les ministres des Finances s’engagèrent rapidement sur la voie de la réforme, manœuvrant entre les domaines de l’économie traditionnelle et de la nouvelle économie, et, ce faisant, attestant implicitement la légitimité de la contestation sociale. En fin de compte, les responsables politiques conservèrent la plupart des changements opérés dans le système fiscal, non sans oublier de diminuer les charges fiscales du petit commerce, de serrer la bride aux inspecteurs des impôts et de démocratiser les procédures d’appel au niveau local.
22De même, le mouvement poujadiste, en dépit de ses aspects inconvenants bien connus – la démagogie, l’antisémitisme et l’antiparlementarisme de ses leaders – eut pour conséquence ironique de rendre les experts de la réforme fiscale plus réceptifs aux pressions en faveur d’une politique démocratique. Face au spectre de la banqueroute, les petits commerçants firent ce que les groupes d’intérêts aux abois avaient toujours fait en France : ils demandèrent le secours de l’État, et celui-ci répondit présent. La révolte fiscale et les réactions officielles qu’elle suscita rendirent la réforme plus acceptable aux yeux des perdants de l’effort de modernisation, même s’il devint par la suite de plus en plus difficile de concevoir une refonte radicale du système fiscal en éliminant l’impôt indirect49. Les gaullistes allaient l’apprendre d’eux-mêmes lorsque, reprenant le flambeau de la rénovation économique dans les années soixante, ils choisirent d’opérer dans le cadre fiscal de base élaboré sous la IVe République.
Notes de bas de page
1 Sur les effets de la planification sur le comportement des entreprises et la croissance d’après-guerre, voir Jean Bouvier et François Bloch-Lainé, La France restaurée, 1944-1954 : dialogue sur les choix d’une modernisation, Fayard, 1986, 338 p., et Richard F. Kuisel, Capitalism and the State in Modern France : Renovation and Economic Management in the Twentieth Century, Cambridge University Press, 1981, 344 p.
2 Sur les ouvriers et les nationalisations, voir Herrick Chapman, State Capitalism and Working-Class Radicalism in the French Aircraft Industry, University of California Press, 1991, 412 p. ; Robert L. Frost, Alternating Currents : Nationalized Power in France, 1946-1970, Cornell University Press, 1991, 285 p. ; Darryl Holter, The Battle for Coal : Miners and the Politics of Nationalization in France, 1940-1950, Northern Illinois University Press, 1992, 264 p.
3 Danièle Voldman, La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954 : histoire d’une politique, L’Harmattan, 1997, 487 p.
4 Carl S. Shoup, « Taxation in France », National Tax Journal 8, 4 (décembre 1955), p. 326.
5 Jean-Yves Nizet, Fiscalité, économie et politique : L’impôt en France, 1945-1990, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1991, p. 45. Frances M.B. Lynch, « A Tax for Europe : The Introduction of Value Added Tax in France », Journal of European Intégration History 4, 2 (1 998), p. 73. Il n’est fait aucune mention de la fiscalité dans l’ouvrage d’Andrew Shennan, Rethinking France : Plans for Renewal 1940-1946, Clarendon Press, 1989, 332 p., ou dans les programmes reproduits par Claire Andrieu dans Le Programme commun de la Résistance : Des idées dans la guerre, Les éditions de l’Érudit, 1984, 212 p.
6 Sur ces réformes, voir Stephen Walker Owen Jr., « The Politics of Tax Reform in France, 1906-1926 », Ph. D. dissertation, University of California at Berkeley, 1982, 533 p.
7 Sur les principales caractéristiques du système fiscal français et son évolution au cours du xxe siècle, voir Nizet, Fiscalité, op. cit. ; André Neurisse, Histoire de l’impôt, Presses universitaires de France, 1978, 127 p. ; Gabriel Ardant, Histoire de l’impôt, 2, Fayard, 1972, 870 p. ; Warren C. Baum, The French Economy and the State, Princeton University Press, 1958, p. 130-165. Une bonne synthèse de l’histoire de l’impôt sur les ventes figure dans « Évolution historique des taxes sur le chiffre d’affaires », 2 juillet 1957, Archives économiques et financières [ci-après dénommées AEF] Z 814.
8 Warren C. Baum, The French Economy…, op. cit., p. 143.
9 Roger Eatwell, « Poujadism and Neo-Poujadism : From Revolt to Reconciliation », in Philip G. Cemy (éd.), Social Movements and Protest in France, Frances Pinter, 1982, p. 73.
10 Lettre de David Bruce, chef de la mission du plan Marshall en France à Henri Queuille, président du Conseil, le 5 décembre 1948 (F 30 2862), in François Bloch-Lainé et Jean Bouvier, La France restaurée.op. cit., p. 303-305. Voir aussi Irwin Wall, The United States and the Making of Postwar France, 1945-1954, Cambridge University Press, 1991, p. 169-170 ; Frances M.B. Lynch, France and the International Economy : From Vichy to the Treaty of Rome, Routledge, 1997, p. 83, 94-95 ; Lynch, « A Tax for Europe... », op. cit., p. 76 ; Michel Margairaz, L’État, les finances et l’économie : Histoire d’une conversion, 1932-1952, Comité d’histoire économique et financière de la France, 1991, p. 1114-1115.
11 Frances M.B. Lynch, France..., op. cit., p. 97.
12 Ibid., p. 86.
13 Ibid., ?. 97-99.
14 Warren C. Baum, The French Economy…, op. cit., p. 161. Sur la Commission Loriot, voir aussi Sylvie Guillaume, Antoine Pinay ou la confiance en politique, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1984, p. 103.
15 Sur l’amnistie et le problème de la fraude en temps de guerre, voir ministère des Finances, « Dix ans de contrôle fiscal en France », février 1955, annexe IV, p. 8. AEF Z 806. Sur les efforts de réorganisation des services fiscaux et le renforcement des méthodes de contrôle en 1952 et 1953, se reporter aux procès-verbaux du Conseil d’administration de la direction générale des Impôts, et plus particulièrement à ceux des 10 janvier 1952, 17 janvier 1952, 21 octobre 1952 et 21 janvier 1953, AEF Z 826.
16 Ministère des Finances, « Dix ans de contrôle fiscal en France », février 1955, annexe IV, « Les exhortations à la répression de la fraude », p. 8.
17 François Caron, An Economic History of Modern France, Columbia University Press, 1979, p. 339.
18 Le Peuple cité dans L’Aube, le 20 décembre 1948. Sur la CFTC, voir Henry Ehrmann, Organized Business in France, Princeton University Press, 1957, p. 315.
19 Roselyne Chenu, Paul Delouvrier ou la passion d’agir : Entretiens, Seuil, 1994, p. 143-144 ; Ehrmann, Organized Business…, op. cit., p. 316. De nombreux gros employeurs auraient préféré une dépréciation du capital accélérée pour stimuler l’investissement, mais ont finalement opté pour la TVA.
20 Sur l’extension de la TVA au petit commerce, voir Guy Delorme, De Rivoli à Bercy : souvenirs d’un inspecteur des finances, 1951-1998, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2000, p. 83-111.
21 Sur les niveaux de TVA, voir André Neurisse, Histoire de l’impôt…, op. cit., p. 116.
22 Parmi les ouvrages théoriques sur le mouvement poujadiste, on peut citer Stanley Hoffmann, Le Mouvement Poujade, Armand Colin, 1956, 417 p. ; Dominique Borne, Petits bourgeois en révolte ? Le mouvement Poujade, Flammarion, 1977, 250 p. ; Jean-Pierre Rioux, « La révolte de Pierre Poujade », L’Histoire : Études sur la France de 1939 à nos jours, Seuil, 1985, p. 248-266 ; Annie Collovald, « Les poujadistes, ou l’échec en politique », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 37 (janvier-mars 1989), p. 113-133. Voir aussi Pierre Poujade, J’ai choisi le combat, Société générale des éditions et des publications, 1955, 252 p.
23 Les responsables fiscaux reconnurent les liens existant entre la résistance au contrôle économique de l’immédiat après-guerre et le mouvement poujadiste. Voir direction générale des Impôts, La Réorganisation des régies financières, annexe, « Dix ans de contrôle fiscal », février 1955, AEF Z 806.
24 Note pour le ministre, Situation et perspectives du contrôle fiscal à la fin de mai 1956, AEF Z 608.
25 Note pour le ministre, Situation et perspectives du contrôle fiscal à la fin de janvier 1956, 9 février 1956, AEF Z 827.
26 Jean-Pierre Roux, The Fourth Republic, 1946-1958, Cambridge University Press, 1987, p. 248.
27 Pour une approche comparatiste de cet aspect du système fiscal français, voir Arnold J. Heidenheimer, Hugh Heclo, et Carolyn Teich Adams, Comparative Public Policy : The Politics of Social Choice in Europe and America, St. Martin’s Press, 1983, p. 185. Pour savoir comment les inspecteurs des impôts percevaient eux-mêmes leur mission de contrôle, voir Yvonne Mathé, La Longue Marche d’une auxiliaire des impôts, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1988, 147 p., et Marcel Mompezat, Journal d’un percepteur, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1992, 202 p.
28 Pierre Allix, Rapport au ministre, Plan concernant les mesures propres à permettre l’exercice normal du contrôle fiscal, 1er juin 1954, AEF Z 806.
29 Note pour le ministre, Plan de détente fiscale et de reprise du contrôle fiscal, 17 septembre 1954, AEF Z 806. Sur les efforts pour calmer la révolte, voir aussi Jean-Yves Nizet, Fiscalité..., op. cit., p. 139-141.
30 Lettre du directeur des Contributions indirectes à M. le chef du service d’étude et de contrôle fiscal, 24 novembre 1954. Arch. nat., 18 BB 4193, dossier 5 A 54, 37 F.
31 Sur la réaction de FO et de la CGT au sein du ministère des Finances, voir le Bulletin du syndicat national des cadres des contributions directes et du cadastre, 6 avril 1955, AEF Z 805 ; Note pour le ministre, Mouvement de protestation des commerçants et artisans contre la fiscalité, 21 juin 1954, AEF Z 806. Voir aussi les articles de presse du dossier AMF Z 810, et particulièrement Le Monde du 21 avril 1955 ; La Croix du 23 mars 1955 ; et Le Syndicaliste des contributions directes (CGT), 3 mars 1955. Le conseil d’administration de la direction générale des Impôts envisagea une rencontre entre hauts fonctionnaires de la direction et Pierre Poujade, mais craignit l’indignation des agents des services fiscaux, déjà démoralisés. Voir procès-verbaux, conseil d’administration, direction générale des Impôts, 30 juin 1955, AEF Z 827.
32 Mémorandum du secrétaire d’État aux Finances et aux Affaires économiques au garde des Sceaux, 27 mai 1955, dossier 5 A 54, 52 F – Bordeaux, Arch. nat. 18 BB 4194 et Mémorandum du procureur de la République à Beaune au procureur général à Dijon, 21 mars 1955, dossier 5 A 55, 16 F – Dijon, Arch. nat. 18 BB 4278.
33 Note pour le ministre, Situation et perspectives du contrôle fiscal à la fin de mai 1956, AEF Z 806.
34 Edgar Faure, Mémoires, t. II, Plon, 1984, p. 155.
35 Pierre Allix, Rapport au ministre, 1er juin 1954, AEF Z 806.
36 Réalités, n° 109 (février 1955), p. 22-25.
37 Quelques « polyvalents » travaillaient aussi à Lyon et Marseille, villes peu touchées par les manifestations poujadistes. Voir note d’information sur une proposition de loi tendant à la suppression du contrôle polyvalent, 18 mars 1955, AEF Z 806. Discours du ministre des Finances, 29 juin 1954, AEF Z 806. Proposition de loi tendant à la suppression du contrôle polyvalent et à l’abrogation de l’article 33 de la loi n° 54-817 du 14 août 1954, AEF Z 806. « Les polyvalents ne sont pas des ogres », Combat, 29 mars 1955. Sur la lente généralisation de l’emploi de polyvalent dans la plupart des départements, voir Jean-Yves Nizet, Fiscalité, p. 133-134.
38 Discours du ministre des Finances, 29 juin 1954, AEF Z 806.
39 Note des inspecteurs généraux des finances sur le « malaise fiscal » et les remèdes actuellement proposés, 30 mars 1955, AEF Z 805.
40 Note pour le secrétaire d’État aux Finances et aux Affaires économiques, Situation et perspectives du contrôle fiscal, 30 juin 1955, AEF Z 806.
41 Combat, 8 avril 1955.
42 Edgar Faure, Mémoires…, 2, op. cit., p. 129-130. Voir aussi Cari S. Shoup, « Some Distinguishing Characteristics of the British, French, and United States Public Finance Systems », American Economie Review, n° 47, 2 (mai 1957), p. 195.
43 Si le gouvernement augmenta la TVA pour pouvoir supprimer la taxe sur les opérations commerciales et la taxe sur les services, certains suspectèrent qu’elle servît également à compenser la réduction de l’impôt sur le revenu. Voir la transcription de l’entretien radiophonique avec M. Leguesne, haut fonctionnaire du ministère des Finances, 13 mai 1955, AEF Z 805.
44 La Vie économique, 6 mai 1955. Un bon exemple des critiques sur la hausse de la TVA est donné dans la transcription de l’entretien radiophonique avec Roger Millot, président du Comité national de rénovation fiscale, 18 et 25 mai 1955, AEF Z 805.
45 Les responsables fiscaux savaient aussi, cependant, que l’entrée de la France dans le Marché commun rendrait difficile une nouvelle hausse de la TVA. Note pour M. le Directeur général, suggestions Mendès France pour la réforme fiscale, 14 février 1958, AEF Z807.
46 Jean-Pierre Rioux, The Fourth Republic..., op. cit., p. 248.
47 Discours du ministre, 29 juin 1954, AEF Z 806.
48 Ibid.
49 Dans les années cinquante, la taxation directe progressa un peu plus rapidement que la taxation indirecte (Jean-Yves Nizet, Fiscalité…, op. cit., p. 90-91.) Quand bien même, le système fiscal français de la IVe République reposait bien davantage sur les impôts indirects, et dépendait moins de l’impôt sur le revenu qu’aux États-Unis et dans d’autres pays d’Europe occidentale. Voir Arnold J. Heidenheimer, Hugh Heclo, and Caroline Teich Adams, Comparative Public Policy…, op. cit., p. 176-179.
Auteur
Est professeur d’histoire à l’Université de New York. Il est l’auteur de : State Capitalism and Working-Class Radicalism in the French Aircraft Industry, University of California Press, 1991 et coauteur de : European Society in Upheaval : Social History Since 1750, Third Édition, Macmillan, 1992. Il a codirigé : The Social Construction of Democracy, 1870-1990 (sous la direction de George Reid Andrews et Herrick Chapman), New York University Press, 1995 ; A Century of Organized Labor in France : A Union Movement for the Twenty-First Century ? (sous la direction de Herrick Chapman, Mark Kesselman, et Martin A. Schain), St. Martin’s Press, 1998. Il poursuit actuellement des recherches sur la reconstruction économique et sociale en France après la Seconde Guerre mondiale.
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