Introduction générale
p. 1-27
Texte intégral
1Toute la carrière de Wilfrid Baumgartner le désigne comme un financier : inspecteur des Finances aux lendemains de la Première Guerre mondiale, grand commis au Trésor durant la longue dépression économique des années 1930, président du Crédit national quand vinrent la guerre et l’Occupation, gouverneur de la Banque de France sous la IVe République au temps de la reconstruction, ministre des Finances aux commencements de la République suivante quand s’est pleinement épanouie la croissance, avant de passer à la tête de la première société holding française, Rhône-Poulenc SA, dont il assura la présidence jusqu’aux ruptures économiques conjoncturelles et structurelles des débuts des années 1970. Belle traversée, tout entière placée sous le signe des finances, de l’histoire économique en mouvement rapide de la France au xxe siècle.
2Du financier, Wilfrid Baumgartner semble en effet avoir concentré tous les traits, si souvent fixés pour la postérité : « Toujours de noir vêtu, l’œil sombre, le front préoccupé, il marche vers ses pensées, sans un regard pour l’entourage. Sa minceur qu’allongent encore un col glacé – qu’il est le seul à porter de la sorte à Paris – et de longs cheveux d’argent soigneusement apprêtés, lui confère une austère élégance [...]. Mais qu’il parle, et la statue du Commandeur s’anime : l’œil bleu s’éclaire, fouille l’interlocuteur, la beauté du langage s’allie à la rigueur du raisonnement pour convaincre, expliquer, convaincre encore »1. Tel est le portrait en pied, parmi tant d’autres similaires, dressé par France-Observateur en janvier 1960, au moment où le gouverneur de l’Institut d’émission, « incarnation parfaite de ce style de grand financier à la française »2, était nommé ministre de l’Économie et des Finances et entrait par là même dans la grande histoire.
REPRÉSENTATIONS ET RÉALITÉS DU FINANCIER AU xxe SIÈCLE
3L’homme apparaît alors à la croisée de multiples pouvoirs, doté d’une capacité d’influence d’autant plus grande qu’elle est réputée discrète, voire occulte, fruit d’une longue présence aux sommets de l’État, à une époque globalement marquée par la croissance continue du poids de la puissance publique sur l’économie et la société. Le grand commis passe ainsi pour avoir exercé, depuis sa nomination, âgé de vingt-sept ans à peine, à la tête du cabinet de Paul Reynaud en 1930, un véritable magistère sur les hommes politiques qui s’étaient depuis succédé au gouvernement du pays, aussi bien à gauche, de Vincent Auriol à Paul Ramadier, qu’à droite, de Paul Reynaud à Antoine Pinay. Sans oublier, au centre d’une certaine manière, Edgar Faure, resté notamment dans les mémoires comme le destinataire malheureux de la lettre publique de remontrances écrite en 1952 par le gouverneur de la banque d’émission au chef d’un gouvernement aux abois. Raymond Barre, en 1978 encore, quelques semaines avant la disparition de Baumgartner et au moment précis où s’amorçait en France le tournant historique de la désinflation, avait cité au Sénat le passage de cette lettre demeuré fameux : « C’est le sentiment profond du Conseil général que l’État, comme les particuliers, vivent audessus de leurs moyens »3.
4Allié par sa mère, Mathilde Clamageran, au milieu des grands industriels et portuaires du Havre, devenu par son mariage en 1930 le gendre d’Ernest Mercier, grand patron de l’électricité et des pétroles, et protestant comme lui, le brillant technicien des finances publiques et de la monnaie passait pour entretenir des liens étroits avec le monde des affaires, encore nourris et renforcés au cours des longues années passées à la direction du Crédit national et de la Banque de France, institutions situées à l’intersection de la chose publique et des intérêts privés. Le nom de Wilfrid Baumgartner n’étaitil pas d’ailleurs très souvent associé, comme dans l’article que lui consacra en 1970 le Dictionnaire du capitalisme, à celui de son frère Richard, polytechnicien, qui avait épousé la deuxième fille d’Ernest Mercier avant d’entamer une brillante carrière industrielle qui le conduisit, entre autres, à la tête du groupe de constructions mécaniques Hispano-Alsacienne puis à la présidence de Lille-Bonnières et Colombe4 ?
5On prêtait enfin à Wilfrid Baumgartner un vaste réseau de connaissances dans le milieu financier international où, selon une opinion commune, semblaient jouer de profondes solidarités perçues et redoutées comme précisément « cosmopolites ». Cette dimension trouvait à s’illustrer par l’audience certaine dont paraissait bénéficier le haut fonctionnaire au sein des institutions monétaires internationales, fondée sur la part qu’il avait été amené à prendre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans les négociations financières internationales, tant avec les bailleurs de fonds américains que sous l’égide de l’Union européenne des paiements ou du Fonds monétaire international.
6Au pouvoir déjà considérable qui paraissait attaché à ce vaste réseau professionnel d’influence s’ajoutait également la réputation mondaine qu’on lui attribuait alors tout aussi volontiers. Elle se nourrissait aussi bien de sa fréquentation régulière des milieux cinématographiques – n’avait-il pas été membre du jury du festival de Cannes en 1963 ?5 – que de son introduction dans les meilleurs salons parisiens, où le grand financier, « athlète complet de l’intelligence », pour reprendre le mot de Jean Fayard dans l’hommage appuyé que lui rendit Le Figaro à l’occasion de son élection en 1965 à l’académie des Sciences morales et politiques6, pouvait tout autant faire valoir ses dons de tennisman ou de skieur, qu’un goût marqué, servi par une infaillible mémoire, pour Victor Hugo ou Baudelaire.
7Ces images d’Épinal, très tôt accolées au nom de Wilfrid Baumgartner, ne valent pas seulement pour l’anecdote. Elles posent d’emblée le problème historique principal de la biographie : alors que les financiers ont depuis longtemps été pris en compte et étudiés pour l’époque moderne7, leur rôle à l’époque contemporaine, singulièrement pour le xxe siècle, demeure encore largement méconnu. Et pourtant, par un apparent paradoxe dont l’histoire à vrai dire est familière, le monde de la finance et des financiers n’a pas cessé d’occuper une place importante et spécifique dans ce qu’on peut bien appeler, au sens où Jacques Le Goff avait dessiné, il y a trente, ans les contours de ce « nouvel objet », les mentalités8. Le fait, comme l’a souvent relevé Jean Bouvier9, semble plus particulièrement accusé dans le cas de la société française, depuis au moins « l’expérience » fondatrice de Law et jusqu’à nos jours10. L’ensemble de ces représentations collectives du financier constitue ainsi un objet d’étude en soi, profondément enraciné dans l’histoire de la France contemporaine, touchant à ces « prisons de longue durée » qu’ont longtemps été l’Église catholique, la ruralité et une certaine idée de la République. Et, assurément, la biographie de Wilfrid Baumgartner commande, à partir du cas à bien des égards exemplaire qu’elle constitue, d’intégrer cette approche. Mais elle ne saurait pour autant s’y réduire. Que valent les mentalités coupées des réalités qui les fondent et les nourrissent ? L’ambition demeure bien, comme l’avait formulé, en manière de regret, Fernand Braudel, en conclusion de l’Histoire économique et sociale de la France, de tenter d’insérer « le jeu des mentalités, des sentiments, des fantasmes, des idéologies », dans le tissu serré des décisions et des faits économiques11. Le pari à l’échelle de la biographie semble envisageable : quelle fut à proprement parler l’action de Wilfrid Baumgartner au xxe siècle ? Quelle fut la pesée véritable du financier – l’homme et la catégorie – dans la grande et profonde mutation qui aura marqué l’économie et la société française des lendemains de la Première Guerre mondiale à la fin des Trente Glorieuses et qui, bien en avance sur les mentalités, constitue l’incontestable « modernité » de l’époque ?
HISTOIRE FINANCIÈRE, HISTOIRE POLITIQUE
8Il est revenu à l’un d’entre eux de tracer avec une singulière netteté les contours de la place et du rôle du « financier moderne ». Ce croquis était destiné à prendre place aux côtés du « politique », du « savant », de « l’écrivain » ou du « diplomate », au nombre des « caractères de ce temps » dont la librairie Hachette, avait entrepris la publication à l’orée des années 1930, au moment précis où Baumgartner entrait de plain-pied dans la carrière des Finances12.
9Il est dû à François Piétri, inspecteur des Finances de la promotion 1906, chef de cabinet avant 1914 de cet autre financier exemplaire que fut Joseph Caillaux, puis directeur général des Finances du Maroc de 1917 à 1924, élu député modéré de la Corse en 1924, ministre du Budget sous Laval en 1931-1932, puis des Finances sous Daladier au début de 1934, mais aussi ambassadeur du régime de Vichy à Madrid de 1940 à 1944. À l’en croire – et les orfèvres parlent d’or –, un trait avant tout autre caractériserait « la catégorie des financiers véritables ». C’est qu’au xxe siècle, comme sous l’Ancien Régime, le mot, comme la chose, fondamentalement « ramène à la chose publique » : « le financier ne saurait en effet échapper à une sorte de vocation de principe qui est de dominer l’État ou de le servir, mais jamais de se passer de lui »13. Par là, le financier se distinguerait nettement du banquier ou de tout autre métier touchant au simple commerce de l’argent. La continuité avec la monarchie, de ce point de vue, est évidente, qui indissolublement associe la finance et les financiers au maniement des deniers du roi14.
10C’est dire que l’histoire des financiers, pas plus pour l’époque contemporaine que pour l’Ancien Régime, ne peut être appréhendée sans prendre en compte les liens qui les rattachent, fonctionnellement, à la politique, au sens large du terme. Entendons par-là, classiquement, tout ce qui concerne les formes historiquement variables de l’organisation du pouvoir et de son exercice au sein d’une société donnée. L’« État », notion commune et immédiate mais réalité changeante et protéiforme, exprime parfaitement cette dimension. Elle constitue d’ailleurs le critère qui préside au choix des exemples de « financiers véritables » cités par François Piétri : le gouverneur et les régents de la Banque de France, les grands commis du ministère des Finances et notamment le directeur du Mouvement général des fonds, c’est-à-dire du Trésor, mais aussi les plus grands banquiers de la place dans la mesure précisément où il leur « arrive de traiter, sans intermédiaire, avec l’État, ses filiales et ses agents »15. Quoi d’étonnant, dès lors, si l’inspection des Finances qui serait « aux finances ce que le grand État-major est à la guerre », soit alors présentée par l’ancien chef de cabinet de Caillaux à la fois comme « une école et une sorte de pépinière » des grands financiers français16 ?
11Inspecteur des Finances, directeur du Trésor, gouverneur de la Banque de France depuis peu nationalisée, Wilfrid Baumgartner le fut tour à tour au cours de sa longue carrière. Pour chacune de ces fonctions se pose la question de son rapport au pouvoir, c’est-à-dire à l’État, auquel le financier, officier sous l’Ancien Régime devenu fonctionnaire au xxe siècle, se trouve totalement identifié. C’est là le sens de l’évolution pressentie par François Piétri au début des années 1930. La biographie du financier à l’époque contemporaine et de son rapport au pouvoir renvoie ainsi à la question plus générale de la place et du rôle historique du groupe des hauts fonctionnaires dans les États contemporains.
LA BIOGRAPHIE D’UN HAUT FONCTIONNAIRE DES FINANCES
12La question des hauts fonctionnaires émerge en France après la Seconde Guerre mondiale. Raymond Aron, au milieu des années 1950, avait ainsi l’un des premiers posé le problème, au cœur de la « formule de la démocratie moderne », du pouvoir des « grands fonctionnaires » qu’il distinguait du pouvoir des hommes politiques proprement dits : « Les fonctionnaires sont différents, en essence, parce que, eux, gouvernent selon la rationalité et prétendent représenter l’universalité de la collectivité [...]. D’où une tension virtuelle entre fonctionnaires et hommes politiques »17. Avec l’avènement de la Ve République, la question devient l’un des thèmes de recherche principaux des sciences politiques. Le sujet se cristallise alors, pour le meilleur et pour le pire, dans le slogan de la « technocratie ». La notion, on le sait, chemine sans conteste dès l’entre-deux-guerres et tend à prendre une consistance nouvelle avec l’approche de la guerre et sous l’Occupation18. Ce n’est qu’après 1945 qu’elle devient un objet d’étude véritable, de plus en plus étroitement identifié avec la question du pouvoir des hauts fonctionnaires, principalement dans le domaine de la vie économique19. Dans ce sillage, Bernard
13Gournay s’interrogeait ainsi dès 1964 sur l’influence réelle dans l’évolution de l’économie et de la société du groupe restreint des plus hauts fonctionnaires, soit, selon lui, quelques centaines d’individus tout au plus, que leurs fonctions au sommet de l’État mettaient « en relation constante avec le personnel politique »20. Question importante, cruciale même au regard des exigences et des idéaux de la vie démocratique moderne. Face à ce défi, le recours à la biographie individuelle de grands commis pouvait sembler un biais commode. Au début des années 1980 pourtant, on pouvait déplorer que les hauts fonctionnaires, dont la réalité collective était incontestable, demeuraient individuellement toujours aussi mal connus. « Les biographies d’hommes politiques sont nombreuses, soulignait alors Bernard Gournay. Mais la vie et l’action personnelle des grands commis de l’État, à l’époque contemporaine, n’ont guère tenté les auteurs »21. Et force est de reconnaître que le renouveau qui a caractérisé le genre biographique depuis une vingtaine d’années n’a pas infirmé cette apparente désaffection que des motifs d’opportunité commerciale ne suffisent pas seuls à expliquer.
14Sans reprendre les multiples dimensions du riche débat épistémologique développé en France et à l’étranger dans les années 1980-1990 autour de la biographie et de ses rapports à l’histoire comme discipline, marquons simplement ici les obstacles qui font de la biographie d’un haut fonctionnaire des finances une entreprise difficile, voire d’une certaine manière impossible. Le retour de faveur de la biographie, après le discrédit dont elle avait semblé frappée durant l’âge d’or de l’école des Annales, a ainsi pu correspondre, comme l’a bien formulé Jacques Le Goff, à la redécouverte de « l’homme individuel », du « personnage historique particulier ». « L’historien des structures, rassasié d’abstrait, était affamé de concret »22. À replacer, en effet, en plus longue durée le rapport entre la biographie et les formes variables de l’écriture de l’histoire depuis son invention par les Grecs, il apparaît que c’est bien la tension entre l’individu et le collectif, le subjectif et l’objectif, l’événementiel et le structurel, mais aussi entre la liberté et la nécessité en histoire qui fonde la « biographie comme problème »23.
15Cette tension est plus nettement encore à l’origine du problème de la biographie d’un grand commis de l’État. Comment saisir l’action individuelle du haut fonctionnaire alors qu’en vertu même de l’idéologie républicaine qui légitime son action depuis au moins le dernier tiers du xixe siècle, il se confond avec l’État qu’il est réputé servir ? L’homme tend par conséquent à s’y effacer au profit de la figure abstraite de l’administrateur, prétendu interchangeable et par nature impersonnelle et même anonyme. Bien plus : on peut avancer que l’idée même de la République en France repose largement sur une conception de l’État « moderne », c’est-à-dire national, neutre et indivisible, qui par définition exclut la prise en compte des trajectoires individuelles qui l’incarnent24. Le haut fonctionnaire, tout imprégné de son « devoir de réserve », doit s’effacer devant ce qu’il est convenu d’appeler le sens de l’État qui, en France, est depuis fort longtemps profondément perçu aussi comme le sens de l’histoire. Cette réalité peut expliquer pourquoi l’histoire de l’État en France demeure encore largement, comme le souligne Pierre Rosanvallon, « un continent à explorer », alors même que la notion d’État est depuis longtemps au centre du débat politique ou philosophique25. Elle permet aussi de comprendre pourquoi la biographie d’un haut fonctionnaire peut sembler a priori une entreprise non seulement malaisée mais vaine.
16Cette difficulté est aggravée encore par le domaine de compétence du grand commis des Finances : les réalités financières apparaissent toujours en effet directement liées à un certain stade de développement des structures économiques et sociales. S’il est un domaine où se pose la question de la valeur de l’approche biographique face au primat des « forces profondes » qui concourent à modeler les évolutions en longue durée des économies et des sociétés, c’est bien celui des faits financiers. Wilfrid Baumgartner lui-même n’en avait-il pas la plus claire conscience lorsqu’il professait devant ses étudiants de l’École libre des sciences politiques que « les finances de l’État, ce n’[était] pas seulement deux colonnes de chiffres qu’il s’agi[ssait] d’ajuster. Derrière ces chiffres, ajoutait le technicien des finances publiques, il y a toute la vie de l’État d’une part, toute l’activité de la Nation de l’autre »26 ? Les évolutions financières, dans leur globalité, ne sont décidément jamais qu’une résultante. Elles apparaissent, comme telles, largement déterminées en amont par les fluctuations de l’activité productrice, mais aussi par les transformations des rapports sociaux qui se jouent pour l’essentiel, on le sait bien, sur la question centrale de la répartition de la richesse économique. Ce sont bien là les éléments de ce qu’on appelle parfois de manière significative, par opposition aux phénomènes « purement » financiers, la sphère « réelle ». De ce point de vue également, la biographie d’un financier semblait donc peu prometteuse. L’histoire économique et sociale paraissait au mieux ne pouvoir concevoir le recours au genre biographique que comme un pis-aller, faute d’atteindre à l’analyse globale et générale qu’elle requérait par nature27. Ainsi, la cause semblait entendue. Entre la statue immuable de l’État républicain et les forces profondes de l’économie et de la société, quels usages pouvaient être escomptés de la biographie d’un haut fonctionnaire des finances au xxe siècle ?
EXPLORATIONS DE L’HISTOIRE DE L’ÉTAT ET DU SYSTÈME FINANCIER FRANÇAIS
17La discussion sur le renouveau de la biographie tout comme la logomachie se nourrissant de la prétendue opposition entre l’histoire politique et l’histoire économique et sociale, demandent assurément à être dépassées. Que la biographie historique ne constitue pas une fin en soi – différence discriminante avec la biographie littéraire ou romanesque – ne fait du moins pas de doute. Sa vocation heuristique, de quelque manière qu’on la conçoive, est indéniable28. Fouquet a mis ainsi en pleine lumière l’absolutisme et plus généralement la question des pouvoirs dans la société française du Grand Siècle29. Wilfrid Baumgartner, grand commis des finances en France des années 1920 aux années 1970, pose ainsi avec une singulière acuité le problème historique de l’État et du système financier français à l’époque contemporaine.
18Ainsi conçue, la biographie du financier vise moins à illustrer une norme, par conformité ou écart par rapport à celle-ci – ce qui revient toujours à la confirmer –, qu’à s’interroger sur la norme elle-même : l’État « moderne », le « système » financier français, le « haut fonctionnaire » des Finances… Ce n’est pas l’un des moindres apports du débat sur la biographie au sein des sciences sociales que d’avoir contribué à mettre en évidence « l’illusion biographique », si parfaitement explicitée par Pierre Bourdieu, qui gît au cœur même de toute « histoire de vie »30 : linéarité supposée d’une trajectoire individuelle, orientée selon un début qui est toujours un peu une cause première, et progressant par étapes « chronologiques » vers une fin qui est toujours aussi un but ; rationalité censée présider aux choix successifs d’un personnage par nature parfaitement informé et propre à donner un sens, c’est-à-dire une signification, à son existence ; unicité fondamentale du sujet de la biographie par-delà les transformations successives de son milieu de vie et de sa réalité biologique, dont le nom propre exprime parfaitement la permanence « nominale ». La critique est radicale. Salutaire mise en garde au seuil de la biographie du grand commis de l’État. Mais ne vaut-elle pas, avec plus de pertinence encore, pour toute histoire de l’État lui-même, ce si puissant personnage qui, au vrai, hante une bonne part de l’histoire de France telle qu’elle s’écrit depuis Guizot au moins et jusqu’à De Gaulle inclusivement31 ? C’est assurément l’enjeu principal de la biographie d’un haut fonctionnaire : interroger du point de vue particulier d’un de ses « représentants », selon l’expression consacrée, la consistance historique de cet État moderne dont les sciences sociales ont fait depuis le dernier quart du xxe siècle un objet d’étude à part entière.
19Au sein même de la discipline historique, il est revenu au courant de la microhistoire de tracer avec le plus de netteté les grandes lignes d’une approche nouvelle de l’histoire de l’État et de l’administration. Cette réflexion se présente en rupture explicite avec le modèle macro-historique de l’État-nation, centralisé, unifié et rationnel. Sa formation par étapes, du Moyen Âge à nos jours, est ainsi étroitement identifiée, parfois explicitement, mais implicitement le plus souvent, au processus de « modernisation » censé fonder le cours inexorable de l’évolution de l’humanité32. Baumgartner, dès lors, intéresse moins comme un cas particulier pouvant illustrer, par conformité et divergences éventuelles, le cas général de l’action de l’État moderne en France au xxe siècle, que comme point de vue propre à mettre en question, de l’intérieur, la notion de l’État elle-même33. Et d’abord, le problème crucial de la topographie de l’État : quelles sont les limites de l’État moderne34 ? Si comme directeur du Mouvement général des fonds, au cœur du ministère des Finances, dans la longue aile qui borde, rue de Rivoli, le Louvre, la position de Baumgartner au centre de l’État semble aller de soi, dans quelles régions de l’État, en revanche, le situer comme président du Crédit national, établissement financier « mixte » ou encore comme gouverneur de la Banque de France, dont Jean Bouvier soulignait qu’elle avait toujours été « à la zone-frontière des affaires des particuliers et de celles de la collectivité publique »35? Et même passé à la tête de Rhône-Poulenc n’était-il pas encore d’une certaine manière, comme le veut l’opinion commune sur le pantouflage des hauts fonctionnaires, en quelque annexe de l’État ? Où s’arrête décidément l’État au xxe siècle en France ?
20L’interrogation est importante car elle détermine aussi bien les limites du marché, cet inverse supposé de l’État. Rendre compte de la trajectoire de Wilfrid Baumgartner doit conduire ainsi à remettre une nouvelle fois sur le métier de l’historien, l’histoire économique de la France contemporaine évoluant selon la formule si souvent reprise « entre l’État et le marché » – quitte à brouiller certaines des lignes de partage qui ont si utilement contribué jusqu’à présent à structurer l’historiographie de la période36. De la même façon, Baumgartner pose, à sa façon, la question de l’homogénéité de l’État, telle qu’elle peut par exemple s’éprouver à travers les modalités du processus de décision au sein de l’État. Ainsi conçue, l’enquête doit amener à examiner, en dernière analyse, la prétendue rationalité de l’État moderne, à la fois à travers l’étude des motifs de son action que de la nature de l’information dont il dispose et des analyses auxquelles cette information donne lieu. À travers ces questions sur la réalité de l’État et de son action dans le domaine des finances, c’est aussi la réalité, fortement connexe, du système financier en France que la biographie de Baumgartner peut conduire à mettre en lumière.
21La notion même de « système financier », telle qu’elle émerge progressivement au cours de l’époque moderne, en Angleterre d’abord autour de la création de la Banque d’Angleterre en 1694, puis en France, avant et après le « système » de Law, est en effet inséparable de celle de l’État – et de l’État en guerre, dont les besoins de financement soudain accrus sont à l’origine de la mobilisation de toutes les capacités de financement de l’économie du royaume, dès lors considérée comme un tout organique et cohérent37. Mais la notion ne se précise vraiment qu’au xixe siècle, de manière concomitante avec la formation d’une administration financière publique. Il est ainsi revenu au marquis d’Audiffret, directeur de la Comptabilité publique sous la Restauration, puis président de chambre à la Cour des comptes sous la monarchie de Juillet avant d’achever sa carrière à la tête du Crédit industriel et commercial qu’il présida dès sa fondation en 185938, d’expliciter dès 1840 les grands traits du « système financier de la France »39 : inséparable de « l’expérience des administrateurs » et de « la belle organisation administrative de la France », la notion de système financier y exprime avant tout l’idée d’une articulation logique et rationnelle entre les « rouages variés du mécanisme financier » et les réalités de « la fortune nationale ». La représentation est sans conteste ici celle des faits financiers considérés comme « homogènes et indissolublement liés » et formant « un ensemble méthodique », propre à être saisi au moyen d’un « tableau général de notre organisation financière »40. Cette représentation a d’ailleurs été rendue possible grâce aux outils et aux procédures administratives de la comptabilité nationale dont la mise en place progressive en France, au cours du xixe siècle, fut en effet, comme on le sait, largement l’œuvre du marquis d’Audiffret41.
22Expression d’une totalité rationnelle, la notion de système financier postulait, au-delà, l’existence d’une relation essentielle entre l’organisation financière d’un pays et « la force productive de chacune des branches de la richesse publique »42. Ainsi, donc, le débat devenu central à compter du dernier tiers du xxe siècle apparaissait- il en 1840 clairement tranché : pas de séparation entre la sphère financière et la sphère réelle de l’économie. Mieux même : l’état du système financier, c’est-à-dire en dernière analyse sa plus ou moins bonne administration, commanderait « l’ordre, l’économie, la ponctuelle exécution des services et la bonne gestion de la fortune nationale »43. François Piétri, s’exprimant un siècle plus tard, à peu près du même endroit de l’État que le marquis d’Audiffret, ne disait pas autre chose : la finance, expliquait-il, était de « l’argent organisé ». Cette organisation était fondée sur « l’énorme mécanisme des finances désintéressées, [...] dont l’activité se rattach[ait], par quelque côté, au mécanisme national, collectif de l’argent »44. C’est dire que la notion même de système financier, devenue si usuelle de nos jours, est d’abord apparue à la croisée de la constitution de l’administration de l’État moderne et de la formation des économies nationales au cours du xixe siècle. Cette genèse place le système financier ainsi entendu au cœur du vieux problème historique des interventions de l’État dans le domaine de l’économie en France45. Dans quelle mesure le cas Baumgartner, haut fonctionnaire des finances, peut-il contribuer non seulement à l’exploration de l’État, cette idole de l’historiographie du xxe siècle, mais plus précisément à notre connaissance des modalités effectives par lesquelles l’État en France intervient dans l’économie ? Quelles pièces éventuellement nouvelles pourraient de la sorte être versées à ce long procès, si parfaitement retracé par Richard Kuisel au début des années 198046 : dirigisme versus libéralisme, État contre capitalisme, intérêt général contre intérêts particuliers, finances publiques contre finances privées ? Ainsi quelque peu précisé, l’enjeu de la biographie conduit à s’interroger sur les décisions et les mécanismes proprement financiers par lesquels l’action de l’État, au-delà du discours qui les fonde ou les commente, a pu s’exercer. En d’autres termes, l’étude de l’intervention de l’État sur l’économie en France à l’époque contemporaine peut-elle se concevoir sans prendre en compte l’évolution d’ensemble du système financier français dans la période ? Toute politique économique ne se résout-elle pas finalement en une politique financière ? Et par conséquent, l’État, cette entité par trop abstraite, ne tend-il pas à se confondre largement au xxe siècle et dans le cas français avec le système financier ? C’est entreprendre là l’examen historique d’une hypothèse développée par tout un courant de la science politique nord-américaine en quête d’une analyse de la fameuse spécificité française, dont les tenants et aboutissants seraient à chercher à l’intersection du système financier, de la sphère productive et du rôle de l’administration centrale47. C’est aussi l’une des lignes directrices des recherches les plus récentes sur l’histoire financière de l’Ancien Régime, qui a clairement mis en lumière l’alternance de tendances à la fusion, comme dans la première moitié du xviie siècle, ou au contraire à la dissociation, comme à la fin du xviiie siècle, des figures du financier et de l’administrateur, de la sphère des finances privées et de la sphère des finances publiques48.
23Il ne fait pas de doute que l’analyse de cette confluence complexe gagnerait grandement à pouvoir s’appuyer, pour l’époque contemporaine tout aussi bien, sur une vérification empirique. Le travail de reconstitution du « réseau » effectif de Wilfrid Baumgartner et de ses configurations successives des années 1920 aux années 1970 présentera de ce point de vue un intérêt évident. Mais, au-delà du personnage lui-même, et quelque éminente qu’ait pu être sa position au sein de l’État et du système financier pendant près de cinquante ans, la biographie inévitablement amènera ainsi à prendre en compte le milieu et le groupe social auquel Baumgartner a pu appartenir. Le portrait devra prendre place dans la galerie de portraits des financiers publics dont l’exploration de type prosopographique se trouve déjà heureusement très avancée49. De cette manière, on pourra espérer contribuer également à l’histoire des institutions financières, nationales ou internationales, que Wilfrid Baumgartner et quelques autres ont si longtemps parfaitement incarnées : au Trésor comme à la Banque de France, à la présidence du Crédit national comme au comité de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, à la commission du financement du Plan comme à la chaire de finances publiques de l’École libre des sciences politiques, au conseil d’administration de la Banque des règlements internationaux comme aux assemblées annuelles du Fonds monétaire international.
24L’existence même de ces institutions financières, au sens où Max Weber définit l’institution par différence avec l’entreprise50, semble bien confirmer l’hypothèse d’une certaine identification entre l’État et le système financier. Mais elle jette aussi une lumière particulièrement vive sur l’histoire des marchés de l’argent, monétaire et financier, national et international, dans la période. Dans cette optique, l’action du financier public à compter de la crise des années 1930 et jusqu’aux nouvelles ruptures des années 1970 peut permettre de vérifier ou d’infirmer les analyses précoces de Jacques Mertens ou de Karl Polanyi, reprises et développées de nos jours aussi bien par les tenants de l’école de la régulation que, plus largement, à travers les travaux de sociologie économique : le marché, c’est-à-dire en fait les différents marchés qui structurent l’activité et les échanges économiques, n’existe pas en dehors des acteurs divers et changeants qui l’encastrent, pour reprendre le mot de Polanyi, dans une réalité sociale et institutionnelle, mais aussi dans un ensemble de normes et de comportements, d’essence proprement historiques51. Appliquée plus spécifiquement aux marchés de l’argent, cette approche peut-elle conduire à réévaluer la vision le plus souvent admise d’un capitalisme français évoluant du xixe siècle au xxe siècle entre l’État, réputé par vocation dirigiste et modernisateur, et le marché, supposé par nature libéral et conservateur ? C’est une autre façon d’exprimer l’enjeu de la biographie de Wilfrid Baumgartner. L’homme n’est donc pas pris ici comme le témoin de l’histoire de l’État et du système financier en France, mais bien comme une partie intégrante de cette histoire et dont l’étude se suffit à elle seule sans qu’il soit nécessaire de la justifier par référence au cours supposé plus majestueux de la grande histoire. Autrement dit : Wilfrid Baumgartner n’éclaire pas l’État en France au xxe siècle, il est, avec bien d’autres, l’État.
LES SOURCES MULTIPLES DE LA BIOGRAPHIE
25C’est là que joue la grande chance pour l’historien de pouvoir disposer des papiers personnels de Wilfrid Baumgartner : masse documentaire considérable occupant deux cent dix cartons et couvrant toute la carrière, au sens classique du terme, du personnage52. Pas de journal ni de carnets, car Wilfrid Baumgartner, s’il parlait volontiers et de l’avis de beaucoup non sans brio, écrivait peu. Pas de trace non plus de la rédaction d’éventuels mémoires dont la presse pourtant à plusieurs reprises s’était fait l’écho et dont il semble bien qu’au soir de sa vie l’ancien serviteur de l’État ait caressé le projet53. Cette inappétence apparente de l’homme pour toute forme d’introspection par l’écriture évite au moins à la biographie l’écueil de l’analyse psychologique où la limite entre l’histoire et la fiction est en vérité toujours très ténue. En revanche, les traces de sa vie mondaine, dans l’acception la plus large du mot, y abondent : cours et conférences, innombrables cartons d’invitation et faire-part de tout type, considérable correspondance à la lisière des domaines privé et public, programmes et menus, recommandations et sollicitations en tout genre, poèmes de circonstance, etc.
26Source de prime abord déconcertante, prometteuse pourtant, mais dont l’exploitation exige assurément prudence et méthode. Indication supplémentaire, s’il en est besoin, que la vie sociale d’un haut fonctionnaire est difficilement dissociable de l’action qu’il mène, les papiers Baumgartner en effet ont conservé aussi bien les nombreux témoignages de l’une que les traces incontestables de l’autre : on y trouve ainsi toutes les notes écrites par le jeune commis du ministère des Finances, puis toutes celles de ses collaborateurs que collecta le président du Crédit national et plus encore le gouverneur de l’Institut d’émission et, dans une moindre mesure, le ministre, nombre aussi de dossiers préparatoires, procès-verbaux de réunions, comptes rendus de négociations, etc., qui sont autant de sources, parfois précieuses, pour l’histoire économique et financière de la France entre 1925 et 1962. À partir cependant de sa nomination comme ministre de l’Économie et des Finances au début de 1960, et plus encore à compter de son arrivée à la présidence de Rhône-Poulenc à la fin de 1963, les papiers du grand commis changent soudain de nature : les sources primaires relatives à ses nouvelles fonctions y deviennent très rares et c’est par exception que l’on y trouve une note ou un document émanant de ses services et de ses collaborateurs proches. Les coupures de presse et les traces de ses activités à la ville, aux banquets annuelles de l’inspection des Finances, comme président de l’Alliance française ou comme membre de l’Académie des sciences morales et politiques y font désormais l’essentiel du fonds, laissant davantage dans l’ombre son action potentielle aussi bien comme ministre des Finances que comme président du grand groupe industriel.
27Il a ainsi été nécessaire de croiser la source de premier ordre que constituent les papiers de Wilfrid Baumgartner avec bien d’autres sources d’archives, publiques et privées, en France comme à l’étranger. Les archives du ministère des Finances, depuis longtemps parfaitement inventoriées et organisées sous l’égide du SAEF, et celles de la Banque de France dont le classement méthodique a si heureusement été entrepris depuis 1995 ont fourni les fonds publics complémentaires les plus importants pour le sujet. Mais la biographie demandait aussi que soient consultés d’autres fonds : les papiers de Michel Debré ont ainsi procuré une source fort éclairante pour la période 1959-1962 ; ce fut le cas également pour les archives historiques de Rhône-Poulenc pour la période 1963-1973, auxquelles Pierre Cayez avait eu accès dans les années 1980, dans le cadre de son histoire générale de l’entreprise54, mais dont il fallut non sans mal retrouver la trace, à la suite des réorganisations européennes successives de la branche qui ont abouti à l’intégration du groupe au sein d’Aventis55. À ces fonds principaux s’est ajoutée la consultation de bien d’autres archives propres à fournir des éclairages sur les cheminements nombreux d’un haut fonctionnaire des finances qui semble durant une si longue période avoir revêtu une sorte d’ubiquité. Qu’on en juge : sa présence est attestée aussi bien dans les archives des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat comme dans celle des organes de surveillance de la Caisse des Dépôts et Consignations ou encore de la Caisse autonome d’amortissement, au Plan comme à la commission des comptes de la Nation, au Crédit lyonnais comme à la BRI… L’exploitation de ces sources de nature inévitablement institutionnelle ou administrative a, en outre, trouvé un utile contrepoint dans le recours aux archives orales, soit sous la forme de sources déjà constituées, comme pour le très précieux fonds d’archives orales du Comité pour l’histoire économique et financière de la France, soit par la réalisation d’entretiens ad hoc avec de nombreux acteurs de l’État dans la période qui, à un titre ou à un autre, pouvaient fournir un témoignage sur Wilfrid Baumgartner. Face à cette masse documentaire qui est bien l’une des difficultés majeures de l’histoire contemporaine, particulièrement lorsqu’elle traite de l’État, la détermination d’une hypothèse de recherche principale s’est avérée un fil rouge nécessaire, sans lequel l’achèvement de l’entreprise biographique n’aurait sans doute pas été possible.
L’INSTITUTION D’UNE ÉCONOMIE D’ENDETTEMENT EN FRANCE AU XXe SIÈCLE
28Pour espérer rendre compte de la trajectoire de Wilfrid Baumgartner dans le siècle, un fil conducteur était nécessaire que la simple motivation de la reconstitution érudite d’un récit de vie ne pouvait fournir, dans la mesure où le personnage ne relève évidemment pas de la catégorie des grands hommes. La notion d’économie d’endettement a semblé pouvoir être ce fil d’Ariane : la biographie de Baumgartner permettrait de comprendre l’institution par étapes, flux et reflux, d’une certaine configuration (État, économie, société) du système financier français des années 1930 aux années 1970 qu’on appellera, après d’autres et avec d’autres, une économie d’endettement.
29Cette hypothèse de recherche n’est toutefois apparue qu’assez tardivement dans le cours de l’entreprise biographique. Sa nécessité n’a semblé en fait évidente qu’à l’issue de l’achèvement de notre thèse de doctorat en 1994, consacrée pour l’essentiel à la période de la biographie de Baumgartner allant des années 1930 à la fin de la IVe République en 195856. « Dans la classique querelle des Anciens et des Modernes, écrivions-nous alors en conclusion (provisoire) de cette thèse, Wilfrid Baumgartner, sa vie, son œuvre, sont décidément à ranger sous la bannière des premiers [...]. Et pourtant, Wilfrid Baumgartner a participé, lui aussi, de la grande vague, aux multiples tendances, mouvances et chapelles qui a porté la modernité de ce siècle »57. Ambiguïté donc du personnage en dernière analyse ? Le haut fonctionnaire des finances n’aurait ainsi finalement fait que refléter l’ambiguïté fondamentale, si souvent soulignée par bien des historiens et praticiens de l’économie, des institutions financières françaises au xxe siècle, le Trésor et la Banque de France en tête58. Mais de quelle signification revêtir alors cette supposée ambiguïté ? Dans quelle mesure ne renvoie-t-elle pas à la difficulté de comprendre dans sa globalité une réalité dont les catégories historiques les plus usuelles ne permettent pas de saisir la logique foncièrement nouvelle ?
30L’histoire économique et sociale, comme l’ont si bien souligné Michel Austin et Pierre Vidal-Naquet à propos de la naissance, à la fin du xixe siècle, de l’histoire économique de la Grèce ancienne59, s’est largement constituée, explicitement ou implicitement, sur la notion de modernité. Analyser l’histoire des économies et des sociétés revenait dès lors inévitablement à juger des hommes et de leurs décisions, des lois et des institutions à l’aune d’une très positive modernité, quand même aucun jugement de valeur n’y était attaché. La notion même d’État moderne n’en est-elle pas une illustration probante ? Et l’Histoire économique et sociale de la France publiée encore au début des années 1980 sous la direction de Labrousse et Braudel, aboutissement d’un cycle historiographique entamé dans les années 1930 au moins, n’avait-elle pas placé les évolutions du second xxe siècle sous le signe de la « modernisation »60 ? Mot-clé, sans conteste, qui a contribué à problématiser la majeure partie de l’histoire économique et sociale en France (et à l’étranger) jusqu’à nos jours. Non sans bonheur, sans aucun doute. C’est du reste cette grille d’analyse si lumineuse qui avait guidé notre première approche de Wilfrid Baumgartner et avait fourni les attendus d’un jugement global : le haut fonctionnaire avait-il appartenu à la couvée des grands commis modernisateurs dont « la geste » – l’expression est de Jean Bouvier qui avait pressenti le péril possible61– se confondrait largement avec la mutation structurelle de l’économie et de la société française à partir des années 1930 ?
31À cette question légitime, la réponse n’était pas aisée. Elle s’est encore trouvée compliquée quand, rouvrant à partir de 2000 le chantier de la publication de notre thèse, nous avons tenté de prendre en compte l’itinéraire ultérieur de Wilfrid Baumgartner sous la Ve République, de la conception et de l’exécution du plan de redressement financier de décembre 1958 au comité Baumgartner de 1971 sur la modernisation de la Bourse, en passant par le ministère des Finances et la présidence de Rhône-Poulenc au cours de la décennie 1960 et jusqu’au retournement de 1973. Dans cette perspective de plus longue durée, où situer Baumgartner ? Haut fonctionnaire libéral en une période où, globalement, n’a cessé de s’affirmer l’intervention de l’État dans l’économie et la société. Partisan du libre-échange en un monde où le protectionnisme est demeuré la norme, et la liberté de circulation, l’exception. Homme du passé, conservateur placé de par ses fonctions éminentes au cœur des mutations économiques et sociales les plus rapides et profondes que la France ait jamais connues dans son histoire longue. Tels apparaissaient bien finalement les termes fortement contradictoires du problème posé par Baumgartner, haut fonctionnaire des finances en France au xxe siècle.
32Le traitement du cas Baumgartner impliquait donc la mise en œuvre d’approches nouvelles. Le concept d’économie d’endettement, importé de l’économie financière, a dès lors semblé propre à fournir un point de vue largement renouvelé sur les évolutions du système financier français au xxe siècle et sur la place exacte qu’y avait occupée Wilfrid Baumgartner dans toute la période. « Qu’ils le veuillent ou non, qu’ils en aient, ou non, plus ou moins conscience, les historiens économistes ne peuvent se passer d’outillage conceptuel », écrivait Jean Bouvier en 196562. Et sans doute l’époque où s’est développé alors le débat passionné sur les relations entre l’histoire économique et les sciences économiques peut-elle sembler de nos jours en grande partie dépassée. L’histoire économique et sociale peut-elle pour autant prétendre continuer à exister sans un effort de sa part pour expliciter – et donc mettre en discussion – la validité des concepts auxquels elle recourt le plus souvent de manière sinon masquée du moins implicite ?
33Le concept d’économie d’endettement a lui même une histoire. Il est inséparable des ruptures qui dans presque tous les domaines ont marqué en France, comme ailleurs, la décennie tournante des années 1973-1983. Formulée pour la première fois dans le champ de l’analyse économique par John Hicks, en 1973, à l’invitation de la fondation Yrjö Jahnsson à Helsinki, la notion est demeurée alors, de l’aveu même de son inventeur, assez floue63. Mais le concept d’économie d’endettement fut repris avec une vigueur nouvelle à la fin des années 1970 et au début des années 1980 en France par un groupe d’économistes que l’on rassemble parfois sous le nom d’« École de la Banque de France » et dont Gérard Maarek et Vivien Lévy-Garboua ont incontestablement été les chefs de file64. La notion a par la suite été vulgarisée dans des ouvrages plus généraux par Sylviane Guillaumont-Jeanneney, Dominique Lacoue-Labarthe ou encore Françoise Renversez. Michael Loriaux a depuis utilisé de façon très éclairante la notion d’économie d’endettement dans le champ des sciences politiques65. Dans le domaine de l’histoire proprement dite, André Straus, le premier, a introduit ce concept pour la France du second xxe siècle66.
34La validité potentielle – mais aussi déjà la limite – de la notion d’économie d’endettement pour rendre compte de l’histoire du système financier français au xxe siècle provient de ce que la notion elle-même a été élaborée comme un instrument d’analyse propre à fonder en théorie la politique de réforme radicale des structures financières qui devait marquer en effet le dernier quart du xxe siècle. Le concept, forgé à l’intersection de la théorie et de la pratique financière, a d’abord servi, entre 1976 et 1983, à nommer et à apprendre à connaître une certaine forme d’organisation du système financier français, produit d’une histoire longue, dont on a alors voulu, pour différentes raisons, sortir67. L’économie d’endettement a donc eu pour finalité essentielle, sinon unique, de caractériser un avant, par référence implicite à un après, produit d’une réforme qu’on appelait de ses vœux. La nécessaire réforme du système financier devait ainsi permettre de (re) passer des logiques d’économie d’endettement à ce que l’on a désigné tour à tour comme des logiques « d’auto-économie » (J. R. Hicks), une « économie de marché financier » (F. Renversez), une « économie de fonds propres » (G. Maarek), ou encore un « capitalisme patrimonial » (M. Aglietta)68. Intuitivement, il est donc possible, à ce stade, d’avancer qu’une économie d’endettement décrit un système économique et social dont le fonctionnement repose de manière majoritaire, mais non exclusive, sur le crédit. C’est un système où il est possible d’investir, de produire et de consommer avec de l’argent qu’on n’a pas (encore). Émile Mireaux, l’influent rédacteur du bulletin économique du Temps, ne disait finalement rien d’autre dans Les miracles du crédit, qu’il publia à l’orée des années 193069. Si le mot peut donc être exactement daté du tournant des années 1970 et 1980, au moment précis où les formes de l’économie d’endettement commençaient en France aussi à être remises en cause, la chose que ce mot désigne assurément était plus ancienne.
35Appliqué à l’exploration du passé, c’est-à-dire très exactement à la période qui a vu Baumgartner aux affaires, le concept d’économie d’endettement peut laisser espérer une certaine relecture des évolutions de la politique financière de l’État et, plus généralement de l’ensemble des acteurs, privés ou publics, du « système » financier français des années 1930 au début des années 1970. Une économie d’endettement désigne en effet un système financier caractérisé par deux critères bien identifiables : une part prépondérante des banques dans le total des moyens de financement des agents (État, entreprises, ménages) au détriment de la part du marché financier primaire et de l’autofinancement (impliquant donc un niveau élevé d’intermédiation bancaire) ; une intervention de la banque centrale comme prêteur « en dernier ressort contraint »70 et même comme prêteur « en premier ressort » du système bancaire. Ce rôle particulier de la banque d’émission entraîne une monétisation, d’intensité variable, des créances longues émises par l’intermédiaire du système bancaire. Il est par conséquent inséparable d’une tendance de fond à l’inflation. Comme telle, une économie d’endettement ne se confond pas avec les multiples pratiques du crédit qui lui sont bien entendu de beaucoup antérieures. Elle est plutôt la forme prise historiquement par le rapport des sociétés au crédit au xxe siècle71.
36Ainsi schématisée et conçue, la notion peut sembler seulement technique. Elle conduit, au contraire, à s’interroger sur bien des aspects de l’histoire économique et sociale de la France contemporaine. Et d’abord sur le rôle de l’État financier, de ses motivations et de ses limites : que vaut la distinction entre l’État et le marché au sein d’un système financier où la dette apparaît comme liant, de manière contractuelle, ses différentes composantes, créditeurs et emprunteurs, mais aussi acteurs privés et acteurs publics ? Quelle signification revêt le libéralisme au sein d’une organisation globale motivée par la recherche collective de la sécurité financière la plus grande possible ? Comment analyser les forces qui poussent au libre-échange au sein d’un système financier national dont le fonctionnement durable implique sinon une fermeture internationale du moins la mise en œuvre de filtres efficaces entre les marchés intérieurs et les marchés extérieurs de l’argent ? Cette réalité place dans une perspective nouvelle l’histoire des relations économiques internationales. Elle conduit à s’interroger sur les modalités des ajustements qui se sont opérés entre les différents systèmes financiers nationaux, plus ou moins marqués par des formes d’économie d’endettement, donc d’ouverture (et de puissance) internationale72. Dans quelle mesure, enfin, les formes d’économie d’endettement n’ont-elles pas correspondu à la modernité, proprement financière, des années 1930 aux années 1970 ? On pourrait ainsi avancer l’hypothèse que l’économie d’endettement ne serait rien d’autre qu’une appellation commode pour désigner de manière opératoire la réalité nouvelle que semble bien avoir revêtu, entre État et marché, le capitalisme au xxe siècle.
37Cette transformation du régime économique et social dans tous les pays industrialisés est incontestable, qu’on l’appelle « capitalisme organisé », comme Rudolf Hilferding déjà à l’époque de la Première Guerre mondiale ou « néolibéralisme », expression qui fit florès en France, des années 1930 aux années 1950. Elle désignerait, selon Richard Kuisel, « ce style de management économique bien gaulois » parfaitement illustré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à l’en croire, par la mise en œuvre du premier plan de modernisation et d’équipement73. On ne peut toutefois réduire le « néo-libéralisme » à l’expérience du plan Monnet et à la belle formule « d’économie concertée » dont la paternité, en 1947, revient au sein de la petite équipe du commissariat au Plan à Étienne Hirsch74. Sa portée exacte demanderait à être davantage explicitée, faute de quoi on s’exposerait au reproche que formulait Pierre Mendès France à la veille d’être confronté, en juin 1954, à l’épreuve du pouvoir : « néo-libéral, comme on dit parfois avec plus d’habileté que de précision »75. C’est à cette plus grande précision que vise le recours au concept d’économie d’endettement. Ainsi conçu, il n’a donc pas pour ambition de réviser d’un coup et d’un seul toute l’histoire économique et sociale de la France contemporaine. Il n’est qu’un outil, parmi d’autres, pour mettre en question la trajectoire et l’action de Wilfrid Baumgartner. Et on peut escompter que cette réalité empirique, telle que les sources d’archives peuvent la restituer, amènera à enrichir, par effet de retour, le concept économique lui-même et aboutira sans doute à le transformer à l’épreuve, pour ainsi dire, de l’histoire.
TRAJECTOIRE DU PERSONNAGE ET PLAN DE LA BIOGRAPHIE
38Le récit d’une vie commande assurément de respecter la chronologie. Elle est le fil conducteur par lequel on peut espérer rendre compte des évolutions, individuelles et plus générales, qui ont pu marquer une carrière déroulée pendant près de cinquante ans. Pour autant, les repères propres à la biographie, le succès au concours de l’inspection des Finances en 1925, l’arrestation par la Gestapo en août 1943, l’installation comme ministre des Finances en 1960, n’ont pas, seuls, dicté ici les temps de l’exposition. L’histoire générale de la période, on le sait bien, en propose d’autres, infiniment plus forts et plus marquants. Entre la chronologie strictement individuelle qui réduirait assurément l’étude aux horizons d’une simple notice biographique fermée aux enjeux majeurs de la grande histoire et la reprise du rythme des principales pulsations de l’histoire du xxe siècle naturellement éloignées des étapes de la carrière de Wilfrid Baumgartner, il a fallu dégager au coup par coup une voie moyenne. Elle est apparue progressivement, par le rapprochement à chaque étape de la recherche des deux échelles chronologiques, l’individuelle et la générale, méthode au vrai bien ordinaire et à la base de tout travail historique. Son application a, tout du moins, fourni à la présente étude ses articulations principales :
39– Des lendemains de la Première Guerre mondiale aux premiers mois qui suivirent la victoire électorale du Front populaire (première partie), ce fut pour le jeune commis du ministère des Finances, admis à vingt-trois ans à l’inspection des Finances, à bien des égards le temps des apprentissages : théoriques et sociaux à l’École libre des sciences politiques et à la faculté de droit puis au cours des années de Tournée ; pratiques au Trésor où Wilfrid Baumgartner fit ses classes au moment où Poincaré mettait en chantier la stabilisation du franc, attachant les premiers pas de sa carrière à un tournant majeur de l’histoire monétaire du siècle (chapitre I). Introduit, à partir de 1931, dans la hiérarchie du Mouvement général des fonds au moment précis où la grande crise atteignait la France, il y multiplia les expériences formatrices sous la pression d’une conjoncture continûment instable, posant les bases nouvelles d’une politique de la dette publique (chapitre II). Parvenu très vite aux sommets de la direction du Mouvement général des fonds, d’abord comme directeur adjoint dès 1934, puis comme directeur en janvier 1935, Baumgartner se trouva à ce poste clef de l’administration des Finances au cœur d’une expérience inédite de modernisation des marchés de l’argent qui caractérisa globalement toute la période 1935-1936 (chapitre III). L’arrivée du Front populaire, coupure politique majeure s’il en est, ne coïncida pas, au moins immédiatement, avec une nouvelle étape de la carrière de Wilfrid Baumgartner : il demeura en effet en place à la tête du Mouvement des fonds, jusqu’à son renvoi à la fin de novembre 1936, avant de prendre en main, pour plus de douze ans, les destinées du Crédit national.
- De la fin de 1936 au tout début de 1949, la carrière de Wilfrid Baumgartner fut incontestablement marquée par la guerre, de sa préparation à sa liquidation (deuxième partie). La période en tire son unité et le problème du relèvement de l’économie nationale y fut sans cesse posé : dès 1936 dans le contexte du financement du réarmement et de la préparation à la guerre, au lendemain immédiat de la défaite de 1940 face aux urgences de la « première » reconstruction, dans les conditions politiques et sociales aberrantes du régime de Vichy et de l’Occupation (chapitre IV) ; en 1945, de nouveau, dans le contexte économique et politique radicalement différent de la seconde reconstruction qui coïncida avec la Libération (chapitre V). Pour Baumgartner demeuré à la tête du Crédit national, si l’on excepte la période où il fut déporté en Allemagne d’août 1943 à mai 1945, toute cette époque fut ainsi dominée par la « question du crédit ». De ce point de vue, la séquence de la guerre et de l’Occupation apparaît comme cruciale dans le processus d’institution d’une économie d’endettement en France. Le rôle alors joué par Baumgartner dans cette mutation du système financier a été déterminant. Sa nomination comme gouverneur de la Banque de France au moment où s’achevaient précisément la reconstruction de l’économie française et la transformation structurelle du système financier français marqua à l’évidence, sous le double rapport de l’histoire individuelle et de l’histoire générale, le début d’une troisième période.
- Nommé à la tête de l’Institut d’émission au tout début de 1949, Wilfrid Baumgartner a d’abord été le gouverneur de la Banque de France de la Quatrième République, au moment où la banque centrale nouvellement nationalisée s’est retrouvée placée, en fait et en droit à la clef de voûte d’une économie d’endettement en voie d’institutionnalisation (troisième partie). Le gouverneur fut alors à l’intersection des pouvoirs technique et politique, des logiques privées et publiques, mais aussi au point de contact des contraintes nationales et internationales. L’analyse de son rôle dans cette période centrale s’est donc ordonnée selon ces points de vue différents et les problèmes historiques spécifiques qu’ils posaient : problème des fonctions nouvelles de la banque centrale face aux besoins de l’économie nationale et au sein d’un système financier et d’un appareil économique de l’État profondément remodelés par les réformes de structure de la Libération (chapitre VI) ; question de la place de la Banque de France au sein de la communauté renouvelée des banques centrales en Europe, dont la création de l’Union européenne des paiements, à partir de 1949-1950, a défini le cadre largement inédit. (chapitre VII) ; problème, au vrai aussi ancien que la Banque elle-même, des rapports entre le banquier suprême et le Trésor public dont les modalités sous la IVe République se sont trouvées cependant considérablement transformées par le statut juridique nouveau de la Banque de France devenue la « Banque de la France », mais aussi par les fonctions nouvelles endossées par un Trésor devenu luimême le banquier de l’économie (chapitre VIII) ; analyse de l’évolution du rôle de la banque centrale dans le fonctionnement du système des paiements internationaux, très nouveau, qui a caractérisé les années 1950 et a accompagné les débuts véritables de la construction européenne, de la signature de l’Union européenne des paiements à celle du traité de Rome (chapitre IX) ; examen crucial des responsabilités économiques de la Banque d’émission dans les modalités du financement de la croissance très rapide qui a marqué la période 1954-1957, mais aussi dans les tensions inflationnistes qui l’ont accompagnée, posant bien le problème historique de l’économie d’endettement entre efficience et stabilité (chapitre X) ; prise en compte, enfin, de la question majeure de l’articulation entre le système financier national, profondément restructuré depuis les années 1930 au prix d’une relative fermeture vis-à-vis de l’extérieur, et le système financier international dans le contexte de l’ouverture croissante qui a caractérisé l’économie française à compter des années 1950. C’est à travers l’étude de la crise majeure des finances extérieures de la France de 1956- 1958 que cette question pourra être envisagée, assurant la jonction entre les aspects intérieurs et les préoccupations extérieures du gouverneur de la Banque de France (chapitre XI).
40L’avènement de la Ve République modifia radicalement les conditions des pouvoirs du haut fonctionnaire, dévaluant notamment le capital social accumulé depuis l’entre-deux-guerres. Mais le changement de régime politique sembla aussi remettre de nouveau en cause les formes d’organisation du système financier français qui avaient prévalu jusque-là, principalement avec l’élaboration du plan Rueff au cours du second semestre de 1958. La question de sa réforme et des obstacles à la sortie d’une économie d’endettement sont au cœur d’une période qui entre 1958 et 1973 aura finalement correspondu à une manière d’apogée des formes d’économie d’endettement en France, entre conservation des protections nationales et pression croissante des marchés internationaux (quatrième partie). L’histoire de la part prise par le gouverneur de la Banque de France dans l’élaboration, à la croisée de logiques nationales et internationales, du plan de redressement financier de 1958, le plan Pinay-Rueff, jette sur les enjeux initiaux de cette évolution une lumière particulièrement nette (chapitre XII). Mais c’est à travers une analyse du rôle de Wilfrid Baumgartner dans la politique financière des débuts de la Ve République, d’abord comme gouverneur toujours de la Banque de France au cours de l’année 1959, puis comme ministre de l’Économie et des Finances de 1960 à 1962, que l’on pourra le mieux mettre au jour les blocages de l’économie et de la société d’endettement qui ont prévalu sur l’esprit de réforme financière, dans le contexte particulièrement menaçant pour la cohésion nationale de la crise algérienne (chapitre XIII). Dans le même temps, pourtant, les dynamiques de la construction européenne se sont rapidement développées, conduisant le gouverneur puis le ministre des Finances à contribuer à poser de 1958 et 1962 les bases d’une Europe monétaire, sur fond de crise du système monétaire international et d’une première remise en cause notable de l’architecture financière internationale définie à Bretton Woods à l’issue de la guerre (chapitre XIV). L’examen de la stratégie financière de Rhône-Poulenc SA, premier groupe industriel privé français, tant par le volume de son chiffre d’affaire que par le montant de sa capitalisation boursière, fournira enfin un utile contrepoint, vu du côté d’une entreprise productive privée, à l’étude des évolutions des formes d’économie d’endettement, en France, entre 1963 et 1973, au moment où la question de l’efficacité de ses mécanismes a commencé à être posée, à l’intérieur comme à l’extérieur du système financier français, à la lumière notamment de l’incontestable accélération de l’inflation qui a globalement marqué la période (chapitre XV).
Notes de bas de page
1 « Wilfrid Baumgartner : ministre des Finances et prince de la Régence », France-Observateur du 24 janvier 1960.
2 Ibid.
3 Le Monde du 11 mai 1978.
4 Mathieu (Gilbert), «Wilfrid et Richard Baumgartner », Bleton (Pierre), Lecuir (Jean) et Mathieu (Gilbert) (dir.), Dictionnaire du capitalisme, Paris, Éditions Universitaires, 1970, p. 118-119.
5 Sous la présidence d’Armand Salacrou et aux côtés, entre autres, de Robert Hossein, l’ancien ministre de l’Économie et des Finances avait cette année-là attribué la palme d’or au Guépard de Luchino Visonti. Cf. http://www.festival-cannes.com.
6 Le Figaro du 30 mars 1965.
7 La connaissance de l’histoire financière de la France de l’Ancien Régime demeure largement fondée sur les très nombreux travaux qui lui furent consacrés tout au long du xixe siècle. Les vastes Histoires financières de la France dues par exemple à Jacques Bresson (1829), Augustin Bailly (1830) ou encore Marcel Marion (1914), plusieurs fois rééditées, ont ainsi servi de base à l’abondante bibliographie qui tant en France qu’à l’étranger a continué, au cours du xxe siècle et jusqu’à nos jours, à démontrer la fertilité de ce champ de la recherche. Cf. Félix (Joël), Économie et finances sous l’Ancien Régime, guide du chercheur, 1523-1789, Paris, CHEFF, 1994. Que Joël Félix, qu’il m’a été donné de côtoyer durant les quelques précieuses années passées au sein du Comité pour l’histoire économique et financière de la France, soit ici remercié pour les échanges que nous avons pu avoir alors sur l’histoire moderne et contemporaine de la finance et des financiers.
8 Le Goff (Jacques), « Les mentalités, une histoire ambiguë », Le Goff (Jacques) et Nora (Pierre), sous la dir., Faire de l’histoire, vol. 3, Nouveaux objets, Paris, Gallimard, 1974, p. 76-94.
9 Cf. par exemple Bouvier (Jean), « Pour une analyse sociale de la monnaie et du crédit (xixe-xxe siècles) », Annales ESC, juillet-août 1974, p. 813-826.
10 Cf. Rey (Jean-Michel), Le temps du crédit, Paris, Desclée de Brouwer, 2002.
11 Braudel (Fernand) et Labrousse (Ernest) (dir.), Histoire économique et sociale de la France, Paris, PUF, 1982, t. IV/3, p. 1678-1679.
12 Piétri (François), Le financier, Paris, Hachette, [1931].
13 Ibid., p. 21.
14 Cf. Bouvier (Jean) et Germain-Martin (Henry), Finances et financiers de l’Ancien Régime, Paris, PUF, 1964, p. 5-14.
15 Piétri (François), Le financier…, op. cit., p. 17.
16 Ibid., p. 79 et 83.
17 Aron (Raymond), La lutte des classes, nouvelles leçons sur les sociétés industrielles, Paris, Gallimard, 1964, p. 167 [publication du cours professé par Aron à la Sorbonne en 1955-1956].
18 Cf. Brun (Gérard), Technocrates et technocratie en France (1914-1945), Paris, Albatros, 1985, p. 7-11 ; Dard (Olivier), Le rendez-vous manqué des relèves des années 1930, Paris, PUF, 2002, p. 247-263.
19 Cf. Meynaud (Jean), « Les Techniciens et le Pouvoir », Revue française de sciences politiques, janvier-mars 1957, p. 5-36 ; Meynaud (Jean), La technocratie, mythe ou réalité ?, Paris, Payot, 1964, p. 29-40. L’assimilation entre les technocrates et les hauts fonctionnaires est également au cœur de toute une littérature polémique, à vocation plus ou moins satirique qui a connu une notable fortune dans les années 1960, cf. Elgozy (Georges), Le paradoxe des technocrates, Paris, Denoël, 1966 ou encore, sur un mode plus névrotique qu’humoristique et dans la veine inépuisable du « complot synarchique », Coston (Henry) (dir.), Les Technocrates et la Synarchie, Paris, Lectures françaises, 1962.
20 Gournay (Bernard), « Les grands fonctionnaires », Revue française de sciences politiques, avril 1964, p. 215.
21 Gournay (Bernard), « L’influence de la haute administration sur l’action gouvernementale », De Baecque (Francis) et Quermonne (Jean-Louis) (dir.), Administration et politique sous la Cinquième République, Paris, Presses de la FNSP, 1981, p. 248. Ce constat énoncé pour le cas français vaut largement pour les autres pays. Les grands commis des finances n’ont guère fait à l’étranger non plus l’objet de biographies véritablement scientifiques. Que l’on songe à Montagu Norman, le puissant gouverneur de la Banque d’Angleterre de 1920 à 1944 qui attend toujours une biographie réellement documentée. On peut évoquer aussi le cas de Bonaldo Stringher, haut fonctionnaire du Trésor puis gouverneur de la Banque d’Italie de 1900 à 1930 dont Franco Bonelli, qui lui a déjà consacré un petit livre prometteur, travaille à la biographie depuis de nombreuses années, cf. Bonelli (Franco), Bonaldo Stringher, 1854-1930, Udine, Casamassima, 1985.
22 Le Goff (Jacques), « Comment écrire une biographie historique aujourd’hui ? », Le Débat, n° 54, mars-avril 1989, p. 48-49.
23 Cf. Levillain (Philippe), « Les protagonistes : de la biographie », Rémond (René) (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Le Seuil, 1988, p. 121-159 ; Loriga (Sabina), « La biographie comme problème », Revel (Jacques) (dir.), Jeux d’échelles, la micro-analyse à l’expérience, Paris, Le Seuil/ Gallimard, 1996, p. 209-231.
24 Cf. Nicolet (Claude), L’idée républicaine en France (1789-1924), Paris, Gallimard, 1982, p. 441-445.
25 Cf. Rosanvallon (Pierre), L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1990, p. 9.
26 Baumgartner (Wilfrid), Manuscrit de la première leçon du cours de finances publiques à l’École libre des sciences politiques, 1938-1939, Archives Wilfrid Baumgartner (AWB), 1BA5, dr3.
27 Cf. Bonin (Hubert), « La biographie peut-elle jouer un rôle en histoire économique contemporaine ? », Problèmes et méthodes de la biographie, actes du colloque de la Sorbonne, 3 et 4 mai 1985, Source, travaux historiques, Paris, Publications de la Sorbonne, 1985, p. 167-190.
28 Cf. Lévi (Giovanni), « Les usages de la biographie », Annales ESC, novembre-décembre 1989, n° 6, p. 1325-1336.
29 Cf. Dessert (Daniel), Fouquet, Paris, Fayard, 1987.
30 Bourdieu (Pierre), « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 62/63, juin 1986, p. 69-72.
31 Cf. Nora (Pierre), « Les Mémoires d’État, de Commynes à de Gaulle », Nora (Pierre) (dir.), Les Lieux de mémoire, t. II, La Nation, vol. 2, Paris, Gallimard, 1986, p. 379 sqq.
32 Cf. Levi (Giovanni), « The Origins of the Modern State and the Microhistorical Perspective », Schlumbohm (Jürgen) (dir.), Mikrogeschichte, Makrogeschichte, komplementär oder inkommensurabel ?, Göttingen, Wallstein, 1998, p. 55-82.
33 Cette voie de la recherche a notamment été explorée avec fruit par Maurizio Gribaudi à partir d’une histoire de l’administration et des fonctionnaires de la Santé publique en France au xixe siècle. Cf. Gribaudi (Maurizio), « Les discontinuités du social. Un modèle configurationnel », in Lepetit (Bernard) (dir.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, EHESS, 1995, p. 187-225 ; Gribaudi (Maurizio), « Des micro-mécanismes aux configurations globales : causalités et temporalité historiques dans les formes d’évolution de l’administration française au xixe siècle », in Schlumbohm (Jürgen) (dir.), Mikrogeschichte…, op. cit., p. 83-128.
34 Cf. Théret (Bruno), Régimes économiques de l’ordre politique, esquisse d’une théorie régulationniste des limites de l’État, Paris, PUF, 1992. Que Bruno Théret, croisé à l’occasion du séminaire sur l’histoire du Trésor organisé au CHEFF en 1991-1992 soit ici remercié des pistes de recherche qu’il me suggéra alors avec beaucoup de finesse et des modèles théoriques « fisco-financiers » qu’il propose.
35 Bouvier (Jean), Un siècle de banque française, les contraintes de l’État et les incertitudes des marchés, Paris, Hachette, 1973, p. 135.
36 Cf. Lévy-Leboyer (Maurice) et Casanova (Jean-Claude) (dir.), Entre l’État et le marché, l’économie française des années 1880 à nos jours, Paris, Gallimard, 1991.
37 Cf. Thiveaud (Jean-Marie), « Système de finances : la longue marche d’un concept », Revue d’économie financière, n° 18, automne 1991, p. 13-28.
38 Cf. Bruguière (Michel), « Charles-Louis-Gaston Marquis d’Audiffret, fondateur de la comptabilité publique française », Bruguière (Michel), Pour une renaissance de l’histoire financière (xviiie-xxe siècles), Paris, CHEFF, 1991 [publié une première fois en 1984 dans le Bulletin de la Société historique et archéologique de l’Orne], p. 253-262.
39 D’Audiffret (Gaston), Système financier de la France, Paris, P. Dufart, 1840, 2 volumes, réédité en 1863 chez Paul Dupont en 6 tomes.
40 Ibid., préface, p. vi-ix.
41 Cf. La Comptabilité publique, continuité et modernité, actes du colloque tenu à Bercy en novembre 1993, Paris, CHEFF, 1994.
42 D’Audiffret (Gaston), Système financier…, op. cit., p. 434-435.
43 Ibid.
44 Piétri (François), Le financier, op. cit., p. 19-22.
45 Cf. Legendre (Pierre), Histoire de l’administration de 1750 à nos jours, Paris, 1968 ; Lévy- Leboyer (Maurice), « Histoire économique et histoire de l’administration », in Histoire de l’Administration française depuis 1800, problèmes et méthodes, Genève, Droz, 1975, p. 61-74.
46 Kuisel (Richard F.), Le capitalisme et l’État en France, Modernisation et dirigisme au xxe siècle, Paris, Gallimard, 1984 [1re éd. en anglais, 1981].
47 Cf. Zysman (John), Governments, Markets, and Growth, Financial Systems and the Politics of Industrial Change, Oxford, Martin Robertson, 1983 ; Loriaux (Michael), France after Hegemony, International Change and Financial Reform, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 1991.
48 Cf. Bayard (Françoise), « L’administrateur et le financier en France dans la première moitié du xviie siècle », in Robert Descimon, Jean-Frédéric Schaub et Bernard Vincent, Les figures de l’administrateur, Institutions, réseaux, pouvoirs en Espagne, en France et au Portugal, 16e-19e siècle, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1997, p. 109-120.
49 Cf. en particulier les travaux d’Emmanuel Chadeau et de Nathalie Carré de Malberg sur les inspecteurs des Finances aux xixe et xxe siècles dont la liste figure en bibliographie. Que Nathalie Carré de Malberg soit ici remerciée pour avoir toujours partagé avec une grande libéralité sa parfaite connaissance des inspecteurs des Finances.
50 Weber (Max), Économie et société, t. I, Les catégories de la sociologie, Paris, Pocket, 1995, p. 94 [première édition 1922].
51 Cf. Mertens (Jacques E.), La naissance et le développement de l’étalon-or, 1696-1922. Les Faits et les théories, essai de synthèse économique et sociologique, Paris, PUF, 1944 ; Polanyi (Karl), La Grande Transformation, aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1972 [1944 pour la première édition en anglais] ; Granovetter (Mark), « Action économique et structure sociale : le problème de l’encastrement », Le Marché autrement. Les réseaux dans l’économie. Essais, Paris, Desclée de Brouwer, 2000, p. 75-114 ; Aglietta (Michel) et Orléan (André), La monnaie entre violence et confiance, Paris, Odile Jacob, 2002 ; Bourdieu (Jérôme), Heilbron (Johan) et Reynaud (Bénédicte), « Les structures sociales de la finance », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 146-147, mars 2003, p. 3-7.
52 Déposées peu après son décès selon la volonté de Wilfrid Baumgartner par Éric Baumgartner, son fils, au service des archives d’histoire contemporaine de la Fondation nationale des sciences politiques, sous l’égide du Centre d’histoire de l’Europe du vingtième siècle (CHEVS), les Archives Wilfrid Baumgartner (AWB) ont été remarquablement classées et inventoriées pièce à pièce entre 1982 et 1984 par Marie-Geneviève Chevignard. Nous remercions ici Jean-Noël Jeanneney, à qui Wilfrid Baumgartner avait souhaité confier la tâche de veiller à l’exploitation scientifique de ses papiers, d’avoir bien voulu nous en permettre l’accès et le remercions de la confiance qu’il a bien voulu nous témoigner pendant les longues années qui auront été finalement nécessaires à l’achèvement de ce travail. Que les archivistes et tout le personnel du CHEVS, particulièrement Odile Gauthier-Voituriez, puis Dominique Parcollet, ainsi que Carole Gautier, soient également remerciés pour leur accueil et leur obligeance constante durant ces nombreuses heures passées en leur compagnie rue du Four.
53 AWB, Recueil de doubles de lettre, (janvier 1971-avril 1978), non coté, Lettre de W. Baumgartner à René Larre du 2 juin 1975.
54 Cayez (Pierre), Rhône-Poulenc, 1895-1975, contribution à l’étude d’un groupe industriel, Paris, Armand Colin, 1988.
55 Les archives historiques de Rhône-Poulenc sont à ce jour conservées à Besançon, sur l’ancien site industriel de la Rhodiaceta au lieu-dit Près de Vaux dans une boucle du Doubs.
56 Feiertag (Olivier), Wilfrid Baumgartner, les finances de l’État et l’économie de la Nation (1902- 1978), un grand commis à la croisée des pouvoirs, thèse sous la direction d’Alain Plessis, université de Paris X-Nanterre, 1995, 3 vol., 674 p. dactyl.
57 Ibid., p. 584-586.
58 Cf. par exemple Bloch-Lainé (François) et De Vogüe (Pierre), Le Trésor public et le mouvement général des fonds, Paris, PUF, 1960, p. 3 ; Bouvier (Jean), Un siècle de banque française…, op. cit., p. 192 ; Margairaz (Michel), L’État, les finances et l’économie, Histoire d’une conversion, 1932-1952, Paris, CHEFF, 1991, vol. 1, p. 10
59 Austin (Michel) et Vidal-Naquet (Pierre), Économies et sociétés en Grèce ancienne, Paris, Armand Colin, 1972, p. 14.
60 Histoire économique et sociale de la France, tome IV, L’ère industrielle et la société d’aujourd’hui (1880-1980), troisième volume, Années 1950 à nos jours, Paris, PUF, 1982, p. 982.
61 Bouvier (Jean) et Bloch-Lainé (François), La France restaurée, 1944-1954, Dialogue sur les choix d’une modernisation, Paris, Fayard, 1986, p. 148 : « Reviendrait-il alors aux historiens d’être seulement les hérauts d’une geste des temps modernes ? » écrivait ainsi Jean Bouvier à propos de l’histoire de l’effort de l’investissement public après 1945.
62 Bouvier (Jean), « L’appareil conceptuel dans l’histoire économique contemporaine », Revue économique, janvier 1965, p. 6.
63 Hicks (John), The Crisis in Keynesian Economics, Oxford, Basil Blackwell, 1974, p. 50-57.
64 Cf. Feiertag (Olivier), « Greffe économétrique et genèse de l’école de la Banque de France (1969-1985) », in Feiertag (Olivier) (dir.), Mesurer la monnaie, banques centrales et construction de l’autorité monétaire, Paris, Albin Michel, 2005, p. 213-245.
65 Loriaux (Michael), France after Hegemony…, op. cit. Nous remercions Patrice Baubeau de nous avoir communiqué cette précieuse référence bibliographique à l’occasion d’une des fréquentes discussions que nous avons depuis quelques années déjà sur l’histoire de l’économie d’endettement et les usages possibles de ce concept pour nos recherches.
66 Straus (André), « Structures financières et performances des entreprises industrielles en France dans la seconde moitié du xxe siècle », Entreprises et Histoire, n° 2, 1992, p. 19-33.
67 Cf. Feiertag (Olivier), « Finances publiques, “mur d’argent” et genèse de la libéralisation financière en France de 1981 à 1984 », in Milza (Pierre) et Berstein (Serge) (dir.), Changer la vie, les débuts du premier septennat de François Mitterrand, Paris, Perrin, 2001, p. 431-455.
68 Hicks (John), The Crisis in Keynesian Economics, op. cit., p. 51 ; Renversez (Françoise), « Les facteurs constitutifs d’une économie d’endettement », Les systèmes financiers, Cahiers français, n° 224, janvier-février 1986, p. 3-13 ; Maarek (Gérard), « Investissement et contrainte financière », Revue d’économie financière, n° 5 et 6, juin-septembre 1988.
69 Mireaux (Émile), Les miracles du crédit, Paris, Éditions des portiques, 1930.
70 Cf. Renversez (Françoise), op. cit., p. 4.
71 Cette perspective doit beaucoup à l’interprétation récemment présentée par Alain Rey de l’évolution du rapport de la société française au crédit de l’expérience de Law jusqu’au xixe siècle in Le temps du crédit, op. cit.
72 Cf. Hicks (John), A Market Theory of Money, Oxford, Clarendon Press, 1989, p. 122-123. Hicks y établit sa distinction célèbre entre Centralia, l’économie nationale dont la monnaie est acceptée partout dans le monde, et Penland, le pays dont la monnaie nationale n’est acceptée nulle part.
73 Kuisel (Richard), op. cit., p. 410- 411.
74 Cf. Monnet (Jean), Mémoires, Paris, Fayard, 1976, p. 306.
75 Mendès France (Pierre), « Le redressement économique allemand », Le Monde du 8 juin 1954.
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Wilfrid Baumgartner
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