Économistes, juristes, technocrates et publicistes face aux questions fiscales, de l’entre-deux-guerres aux années soixante
p. 249-272
Texte intégral
1Si la question fiscale a été un enjeu de débat essentiel à la veille du premier conflit mondial, elle semble avoir été, durant l’entre-deux-guerres, un objet plutôt délaissé, et ce, malgré les débats multiples liés à l’économie dirigée. La question fiscale en est largement absente et le recours à l’impôt n’est alors pas pensé comme un instrument de régulation de l’économie ou un outil essentiel d’une politique économique, thèmes qui se développent au contraire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Au tournant des années trente, l’impôt est d’abord considéré sous l’angle de la législation fiscale et des finances publiques. Le libéralisme règne encore en maître au début de la décennie. Les pratiques budgétaires orthodoxes sont alors recommandées par les experts les plus éminents en matière de finances publiques (à commencer par les professeurs à la faculté de droit dont Gaston Jèze est l’exemple le plus célèbre), analyses que relaient les hauts fonctionnaires des contributions directes1 dont la proximité avec le radicalisme est avérée2. Cela étant, les années trente sont marquées, selon la formule de Michel Margairaz, par le début d’une « conversion »3. Elle concerne en particulier les discours en matière économique (promotion et diffusion de nouvelles doctrines), les acteurs (la qualité d’économiste évolue et les ingénieurs économistes concurrencent de plus en plus les professeurs d’économie politique, tandis que les hauts fonctionnaires chargés de la mise en œuvre de la politique économique sont gagnés à une vulgate keynésienne enseignée notamment dès la Libération à l’ENA) ou encore les outils (valorisation de la statistique et de la mathématisation de l’économie, d’un nouveau plan comptable pour les entreprises et d’une comptabilité nationale) mais il faut attendre le début des années cinquante pour la voir opérer.
2L’objet de cette communication est d’analyser l’évolution de la question de l’impôt à travers ce processus. Nous montrerons que, à l’origine, durant l’entre-deux-guerres, l’impôt, domaine alors circonscrit, était pour l’essentiel considéré comme une technique que l’on s’efforçait d’optimiser (notamment par la lutte contre la fraude fiscale), tout en étant réservé sur les dangers de son extension. Une seconde partie nous conduira à évoquer les infléchissements opérés sur la question de l’impôt par les années d’Occupation et le régime de Vichy via notamment sa récupération dans les débats liés au plan comptable et les projets de « police fiscale » chargée de lutter contre la fraude. Enfin, une dernière partie nous amènera à traiter de la Libération et des années cinquante pour montrer comment la question de l’impôt est redéfinie, notamment à travers des débats liés à la comptabilité nationale, à la productivité ou à la politique des revenus, avant d’être intégrée, au tournant des années soixante, à un projet global de politique économique et sociale dans une logique d’expansion, de justice sociale (politique des revenus) et d’ouverture européenne.
I. L’impôt durant l’entre-deux-guerres : une question circonscrite
A. Le problème fiscal durant les années vingt
3À lire les cours de finances publiques ou d’économie politique professés au début des années vingt, il existe déjà, selon Germain-Martin, un « problème fiscal »4. Il le résume en trois idées : complexité de « l’arsenal fiscal », « inégalité » de traitement devant l’impôt (faiblesse du nombre d’assujettis à l’impôt sur le revenu) et, partant de là, un « déséquilibre » qui, déplore Germain-Martin, conduit l’industrie et le commerce à devoir supporter l’essentiel d’une fiscalité alors qu’elle frappe beaucoup moins l’agriculture ou les professions libérales. Face à cette situation, Germain-Martin réclame un renforcement des contrôles, notamment en réaffectant des fonctionnaires à cette mission – que leur faible nombre leur interdit de remplir5 –, des ajustements législatifs pour « supprimer les fissures par où s’échappe la matière imposable », une soumission des « rentes françaises » au « régime commun » et surtout une « réforme des mœurs » afin que les Français, à l’inverse des Anglo-Saxons cessent leur « jeu de colin-maillard avec le fisc » et « accepte[nt] franchement le devoir fiscal et les mesures de contrôle étendu qui le faciliteraient »6.
4Ces critiques de Germain-Martin ne sont nullement originales et la consultation des principaux ouvrages de finances publiques des années vingt (Edgar Allix, Gaston Jèze) montre qu’ils se situent dans une perspective comparable et stigmatisent les mêmes carences. Certains universitaires, à l’instar d’Arthur Girault, doyen de la faculté de droit de Poitiers, prennent ouvertement la défense du « contribuable moyen » réputé avoir « beaucoup plus le sentiment du devoir fiscal que ne se l’imaginent ceux qui prétendent le poursuivre comme un gibier »7 et la fraude fiscale est alors un objet de recherche universitaire8. Des discours aux pratiques, l’écart paraît peu sensible car les critiques adressées au système fiscal sont pour une grande partie fondées. Ainsi, les premières recherches de Frédéric Tristram sur la direction générale des Contributions directes ont souligné la lourdeur et l’inadaptation du système fiscal, de ses structures comme de ses personnels, toutes choses qui gênent au début des années vingt le recouvrement satisfaisant de l’impôt sur le revenu9. A la fin des années vingt, un triple constat est fait par ceux que préoccupe la question fiscale : la nécessaire simplification de la législation, la lutte contre la fraude et la volonté de moderniser une administration jugée sclérosée. Cela étant, si les discours sont précisés, ils sont alors peu diffusés hors d’un cercle de spécialistes. Les débats sur la réforme de l’État qui se multiplient à la fin des années vingt leur donnent un écho plus important.
5La réforme de l’État devient alors en effet un élément majeur du débat public. Si l’historiographie a largement privilégié l’étude des réflexions et propositions en matière d’institutions politiques, les enjeux administratifs ne sauraient être négligés, et ce d’autant qu’ils sont abondamment traités par des revues ou groupements à tendances technocratiques comme L’état moderne qui se présente comme l’« organe de la collaboration des contribuables, des fonctionnaires et du Parlement ». Un « État moderne » signifie, notamment pour les animateurs du groupement éponyme, un État qui saurait rationaliser et moderniser sa législation, ses services, comme ses relations avec son personnel ou les usagers. Pour ses trois fondateurs, tous issus du ministère de l’Économie (l’Enregistrement pour Georges Mer, les Contributions indirectes pour Joseph Patouillet et Marc Guy) la « question fiscale » est un chantier d’expérimentation idéal et présenté comme tel dès le premier numéro de la revue en février 192810. Jugée indispensable et centrale, la « réforme fiscale » est le point d’orgue du numéro d’avril 1928 qui réunit, aux côtés de Georges Mer et de Joseph Patouillet, deux figures de proue de l’université, Joseph Barthélemy (qui avant de se spécialiser dans le droit constitutionnel a soutenu une première thèse de doctorat en finances publiques) et Georges Lachapelle (universitaire versé dans le journalisme). Les critiques adressées au système fiscal sont très communes. Tandis que Georges Mer stigmatise « la complexité des impôts et l’excès des tarifs » comme réputés être « les deux vices les plus insupportables du régime fiscal que la guerre de 1914-1918 et ses suites ont contribué à édifier et qui fut souvent improvisé »11, Joseph Barthélemy invite à « reconstruire sur un plan rationnel ce que l’empirisme a édifié »12. La revue milite par conséquent pour l’avènement de réformes ayant comme maîtres mots « simplification » et « unification »13. Numéro après numéro, la revue se fait l’écho de propositions émanant notamment du Comité national des finances publiques ou des manifestations comme la « Semaine fiscale »14 présentées par Georges Lachapelle. Plus que leur contenu technique, c’est leur sens général qui doit ici retenir l’attention : la discussion sur l’impôt est d’abord envisagée sous un angle très technique, menée souvent par des spécialistes de la fiscalité (fonctionnaires, universitaires ou élus) et dominée par des considérations juridiques et financières. Les multiples articles consacrés à l’impôt dans L’état moderne ne signifient pas cependant que la vision de l’impôt de ses dirigeants se limite à des questions pointillistes. En effet, ils peuvent proposer sur l’impôt des analyses plus larges, à l’instar des perspectives tracées dans une introduction à un numéro spécial publié en décembre 1928 et consacré à une enquête intitulée « Y a-t-il une question fiscale ? ». La réforme fiscale devrait ainsi permettre de passer d’une situation où les impôts « gênent notre économie, découragent l’épargne, accablent la production, entravent la consommation » à une nouvelle ère où « concurremment avec une politique d’encouragement à la production, il faut concevoir une politique fiscale moins lourde pour la richesse utilisée au travail, plus attachée à la richesse acquise fortuitement et à l’enrichissement involontaire ». Et les rédacteurs d’ajouter : « L’économique doit se lier avec la justice pour édifier un régime fiscal qui ne soit pas oppressif et qui puisse être accepté et supporté par tous15. » Ce projet fiscal des dirigeants de L’état moderne n’est pas original et rappelle celui des radicaux (dont ils sont proches) et des milieux modérés. L’impôt est admis comme une donnée nécessaire et justifiée mais suscite également la méfiance, étant réputé entraver le développement de l’économie, brider de nombreuses initiatives et être porteur de dérives quant aux libertés du citoyen. Si l’on ajoute les convictions ancrées quant aux nécessités de l’équilibre budgétaire (proclamé par les dirigeants de L’état moderne16), on constate qu’il existe à la veille de la crise des années trente un relatif consensus entre les techniciens préoccupés de réformer l’impôt, les professeurs de finances publiques et les parlementaires soucieux de fiscalité sur la nécessité de la réforme et ses principales orientations.
B. La question fiscale et la crise des années trente
6La crise des années trente ne modifie pas en profondeur les données sur le débat fiscal. Échaudés par l’échec du cartel des gauches, Edouard Herriot et les radicaux, aux commandes du pays après les élections de 1932, mènent en matière de finances publiques une politique ouvertement orthodoxe et dont les orientations majeures reçoivent l’appui des principaux professeurs de finances publiques, Gaston Jèze en tête.
7Ces derniers campent, en matière d’économie politique ou de fiscalité, sur des positions tout à fait classiques qu’ils expriment notamment à l’occasion de débats publics. C’est ainsi que, lors d’une conférence de Maurice Kellersohn devant le CNOF le 17 décembre 193117, Gaston Jèze a pu expliquer que « moins les gouvernements agiront, mieux cela vaudra » et se déclarer « partisan des liquidations pour amener la fin de la crise », sachant qu’« un bon remède à la crise, ce sont des faillites, encore des faillites et toujours des faillites. Il y a trop de productions artificielles, il y a trop d’industries artificielles. Beaucoup de secours ne devraient pas être donnés parce qu’ils prolongent des situations qui sont absolument incurables »18. Ce rejet affiché de l’« Étatisme » a ses prolongements en matière de fiscalité dont les professeurs de finances publiques jugent alors le poids insupportable. Ainsi, à l’occasion de la même soirée, Edgar Allix martèle que sa préoccupation essentielle est d’« étudie[r] » comment « les monnaies (...) quittent péniblement la poche des contribuables pour s’engloutir sous forme de contributions directes ou d’impôts indirects dans le gouffre insatiable du fisc »19.
8La gravité et l’ampleur des débats que suscite la crise économique des années trente en France ne paraissent pas alors directement concerner les questions fiscales. Il apparaît en effet qu’elles demeurent, durant les années trente, l’apanage de quelques catégories : les universitaires, les fonctionnaires de la DGI et une partie du personnel politique, détenant des compétences sur le sujet, fruit d’un intérêt ancien (Vincent Auriol) ou d’une compétence professionnelle (Germain Martin). La concentration des hommes s’accompagne d’un resserrement des sujets de préoccupation dont deux sont majeurs, l’impôt sur le revenu et la fraude fiscale.
9L’impôt sur le revenu (dont la réforme est souhaitée par tous et l’unification par certains seulement) est, depuis 1930, un cheval de bataille du syndicat des contributions directes et notamment du contrôleur Paul Duchaussois, animateur de 1930 à 1940 d’une commission d’études fiscales dont les travaux trouvent un écho dans la presse et dans le monde politique. Les radicaux sont particulièrement réceptifs à ces discours mais Frédéric Tristram a pu montrer que, à l’exception de Pierre Mendès France, ils instrumentalisaient largement les propositions20. Ces dernières sont également connues des socialistes et Michel Margairaz a souligné que le premier contre-projet reflationniste rédigé par Vincent Auriol pour le compte de la SFIO en janvier 1933 s’appuie sur une étude du syndicat national des contrôleurs des contributions directes21. Il en est enfin de même pour ce qui concerne Germain Martin dont la réforme fiscale entreprise en 1934 (loi du 6 juillet 1934) se caractérise par deux tendances : « améliorer la situation du contribuable, par un allégement ou une simplification de sa charge ; [...] accroître le rendement de l’impôt par un élargissement des bases d’imposition »22.
10Cette réforme ne clôt nullement les débats sur l’impôt sur le revenu qui est une sorte de serpent de mer durant les années trente. Il reparaît lorsque Vincent Auriol met en place en avril 1937 une commission chargée d’étudier une réforme de l’impôt sur le revenu. Composée pour l’essentiel de parlementaires (députés et sénateurs de tous bords23) et de représentants des forces économiques et de personnels de l’administration24 auxquels a été adjoint, à la demande expresse de Vincent Auriol, un universitaire, Roger Picard25, cette commission entreprend des travaux dont le ministre attend « une amélioration sérieuse de l’impôt sur le revenu ». Tout en laissant la commission « libre » quant aux « questions » et aux « méthodes » qu’elle entend aborder, Vincent Auriol lui trace quelques objectifs : il serait bon que l’impôt soit « payé avec plus d’exactitude et un rendement meilleur » mais également « avec plus de souplesse, de clarté, d’équité et de sorte que, la fraude étant écartée ou réprimée, l’impôt soit plus léger pour chacun et meilleur pour l’ensemble du pays ». S’appuyant sur des propositions reçues de forces politiques (parti communiste, Union des techniciens socialistes) et syndicales (syndicat des contrôleurs et des Contributions directes) et sur des rapports nourris concernant les législations étrangères (rapport Picard) et la situation de l’impôt sur le revenu en France (rapport Catelan), la commission se réunit à plusieurs reprises au cours des années 1937-1938 sous la houlette de Vincent Auriol puis de Paul Marchandeau. Comme son prédécesseur rue de Rivoli, ce dernier paraît attaché au devenir de la commission, souhaitant, à l’occasion de la réunion du 17 février 1938, que la réforme fiscale puisse « tendre à encourager ce regain d’activité économique sans lequel [il est] persuadé [...] qu’il ne saurait être question d’un redressement définitif des finances publiques »26. Au vu des archives, il semble qu’elle interrompe ses activités en 1938 sans avoir entrepris de répondre au questionnaire en vingt-neuf points établi par Catelan en annexe de son rapport ni proposé a fortiori de réforme de l’impôt.
11L’enlisement de la réforme sur le revenu va de pair avec celui de la lutte contre la fraude. Certes, cette dernière est régulièrement dénoncée mais lorsque des réformes sont décidées, à l’instar de la loi sur la carte d’identité fiscale instituée par une loi du 23 décembre 1933, la mise en œuvre de cette législation est ajournée par le Parlement, par les lois de 1934 et de 193 527. À cette occasion, il est appuyé par l’administration fiscale elle-même, laquelle craint ouvertement que la mise en place de cette carte, renforçant la thésaurisation ou la fuite de capitaux, ne compromette le succès attendu de la politique de déflation28. Dans ces conditions, durant les années trente, la fraude est davantage dénoncée que réellement combattue nonobstant des propositions qui préfigurent la création d’un « casier fiscal »29 ou l’institution en septembre 1935 d’un régime de vérification dans les banques30.
12Circonscrite aux trois milieux évoqués, la question fiscale ne concerne pas directement les groupements technocratiques à l’exception de L’état moderne. Dans le prolongement de ses premiers numéros, la revue continue de se préoccuper de la question fiscale, proposant tout au long des années trente des articles ou des dossiers. Ainsi, projets de réforme, articles sur la fraude, « débats » jalonnent les sommaires de la publication. Elle s’en fait même une sorte de spécialité qui la rend tout à fait exceptionnelle par rapport à d’autres organes de sensibilité technocratique et qui s’explique par le parcours professionnel de ses fondateurs qui ont élargi à la question de l’État leurs interrogations sur la fiscalité mais qui demeurent évidemment aptes à débattre techniquement de cette dernière. L’important n’est donc sans doute pas la place que revêtent chez eux les débats liés à la fiscalité mais le fait qu’ils l’abordent à partir d’un questionnement comparable à celui de l’administration fiscale ou des experts en finances publiques : insérés dans un cadre de discussion, ils n’en renouvellent pas véritablement les contours se contentant d’optimiser leurs propres propositions en matière d’impôt sur le revenu ou de fraude.
13Les autres groupements ou publications technocratiques s’inscrivent dans un registre différent. En effet, la consultation du Bulletin du centre polytechnicien d’études économiques (X-Crise), du Bulletin du Comité national de l’Organisation française ou des Nouveaux Cahiers montre que les questions fiscales ne sont pas abordées car elles n’intéressent pas ces milieux pour elles-mêmes. Certes, lorsqu’on se reporte à certains « plans » et notamment au Plan du 9 juillet 1934, dont la partie économique a été préparée par les hommes d’X-Crise, on y trouve quelques lignes sur la fiscalité. Le plan réclame ainsi une « réforme de la fiscalité dans le sens de la simplification et de la répartition plus équitable des frais sociaux entre les diverses classes sociales » et « l’adoption de dispositions nouvelles » en matière de « lutte contre la fraude fiscale »31. Cela étant, ces propositions, très vagues, sont dépourvues de toute originalité. En fait, une seule peut retenir l’attention si on se projette quelques années plus tard : la volonté de « faire fonctionner efficacement un système de contrôle comptable » pour lutter contre la fraude32. Cependant, pour l’essentiel, les problèmes fiscaux n’interfèrent pas dans le questionnement économique de ces groupements et de ces publications. Trois enjeux les préoccupent au premier chef : la rationalisation de l’économie (production, distribution, comptabilité), la question de sa direction et celle de la mathématisation à entreprendre sur fond de développement de la statistique et de l’économétrie. C’est par ces différents biais que la fiscalité va être abordée durant les années d’Occupation et au-delà.
II. La question de l’impôt sous l’occupation : une inflexion sous le signe de la normalisation des comptabilités et de l’économie dirigée
14Si le régime de Vichy ne fait pas de la fiscalité une de ses préoccupations majeures (la seule réforme proprement fiscale, celle de 1943, ne pouvant sans doute pas être considérée comme une réforme de grande ampleur)33, l’État français et les années d’Occupation n’en interfèrent pas moins dans les questions fiscales selon trois modalités : la normalisation des comptabilités, la volonté de mise sur pied d’une économie dirigée et les balbutiements d’une comptabilité nationale.
A. La normalisation des comptabilités et ses implications
15La question n’est pas nouvelle en 1940. Durant les années trente, certains groupements comme la CEGOS avaient déjà évoqué cette nécessité et cette dernière avait créé, en mai 1933, une section consacrée à la « comptabilité générale et au prix de revient »34. Les pouvoirs publics se sont eux aussi préoccupés de la question, notamment du côté de la direction des assurances qui a concocté, sur les recommandations d’un jeune contrôleur d’alors, Jean Fourastié, une réforme administrative et comptable du secteur des assurances35 adoptée par le Conseil supérieur des assurances et publiée sous forme de décret au Journal officiel le 29 juillet 1939.
16En vogue à la veille de la guerre, l’idée d’une réforme de la comptabilité est, en 1940, souhaitée par trois milieux différents : le ministère de l’Économie, les experts-comptables et des patrons ingénieurs (Jean Coutrot, Auguste Detœuf). Les uns et les autres y voient un moyen important pour lutter contre la fraude fiscale. Ainsi, une note émanant du ministère de l’Économie et des Finances, signée du 5 décembre 1940 et envoyée à Vichy le 30 indique qu’« une protection de l’épargne plus efficace et la refonte du système fiscal en vigueur sont également subordonnées à une réforme générale de la comptabilité commerciale qui aurait pour effet d’obliger les producteurs et les intermédiaires à présenter clairement, et suivant une méthode uniforme, les résultats de leur exploitation »36. La logique d’une telle démarche est claire : mettre en place une commission de normalisation des comptabilités chargée d’établir un plan comptable qui doit avoir entre autres objectifs des finalités fiscales. Ces dernières sont fixées par un rapport sur la « normalisation des comptabilités » rédigé par Chezleprêtre, chef de bureau à la direction générale des Contributions directes. Pour ce dernier, la normalisation des comptabilités comporte trois objectifs dont l’amélioration de la fiscalité. Ainsi, « la normalisation des comptabilités est susceptible d’aboutir à un meilleur établissement de l’impôt à déjouer la fraude et à diminuer le prix de revient du contrôle »37. Il faudrait cependant, selon Chezleprêtre, que cette réforme ne soit pas « seulement l’affaire de l’État » et engage les chefs d’entreprise, lesquels sont invités à prendre en compte le fait que « se soumettre à certaines règles comptables, c’est permettre la délimitation, avec le maximum d’équité, des devoirs et des charges de chacun »38. Appuyée par le ministère, l’initiative est relayée par des experts comptables qui approuvent l’initiative quant à ses implications fiscales, à l’instar de Jean Martin, fondateur du syndicat national des experts comptables qui dénonce la fraude liée aux forfaits39 ou d’Élie Bayot expert-comptable à Vichy qui adresse un rapport avec comme « but » de « servir la France, son grand chef » dans lequel outre des vues sur la profession organisée, il expose sans fard le devoir « social » qu’il y a pour les experts-comptables de dénoncer la fraude fiscale40. Le résultat de ces initiatives est la mise en place effective d’une commission du plan comptable (dirigée initialement par Jean Coutrot auquel a succédé, après sa mort, Auguste Detœuf41) qui, à côté d’experts-comptables, de fonctionnaires des Finances et de la Production industrielle agrège des personnalités dont on connaît les préoccupations en matière de comptabilité depuis les années trente. Relevons ainsi les noms de Jean Fourastié (direction des Assurances), de Lhoste (directeur de l’Association française de normalisation), ou de Claude Tinayre (s’il siège pour le compte du COST, il fut aussi le rapporteur de la commission de la CEGOS en 1935)42.
17Le consensus initial apparu concernant les implications fiscales de la réforme paraît progressivement battu en brèche et révèle une divergence de vues entre le ministère de l’Économie et celui de la Production industrielle (MPI). En effet, la commission interministérielle avait déposé sur le bureau d’Yves Bouthillier un rapport comportant notamment un projet de loi et un projet de décret instituant un plan comptable. Or, cette perspective avait alors été ajournée, semble-t-il par la double volonté du ministre et des experts-comptables qui craignaient que la mise en conformité des entreprises avec la nouvelle législation ne débouche sur la ruine de nombre d’entre elles43. Le MPI ne s’est jamais accommodé de cette situation et a essayé de trouver des appuis pour relancer la mise en route d’un plan comptable. C’est ainsi que Chezleprêtre, secrétaire général de la commission du plan comptable avait été invité à publier sous la forme d’un éditorial dans la Revue de l’économie contemporaine (liée au MPI) une étude volumineuse sur la nécessité de mettre au point un plan comptable. Les arguments sont les mêmes qu’en 1940 et les questions fiscales toujours mises en avant : la mise en œuvre d’un plan comptable général « aboutirait à une plus juste répartition de l’impôt en apportant, en cette matière, plus d’égalité44 ».
18Cette initiative conjointe de Bichelonne et de Chezleprêtre qui mécontente les services de l’Économie et des Finances45 est cependant mineure par rapport à la nouvelle offensive qui se dessine au début de juin 1943. En effet, le MPI a fait connaître le 9 juin 1943 par le biais d’Henri Culmann, secrétaire général à l’organisation industrielle et commerciale, la volonté de Jean Bichelonne de reprendre avec les Finances la question du plan comptable et d’ouvrir des discussions sur ce point avec les autorités allemandes46. Si le refus du second point est catégorique, le ministre de l’Économie accepte le principe d’une création d’une commission restreinte du plan comptable chargée de « mettre au point les projets particuliers élaborés par les comités d’organisation en s’inspirant des conclusions de la commission interministérielle »47. Créée par un arrêté du 18 octobre 1943, présidée par Chezleprêtre, elle se réunit régulièrement en 1943 et 1944 mais avance lentement. En effet, si une réunion du 13 décembre 1943 a débouché sur l’adoption d’un projet concernant l’aéronautique (obligatoire à partir du 1er janvier 1944), les autres comités d’organisation ont très inégalement avancé. À l’automne 1944, si la commission n’a pas été dissoute, les questions restent largement en suspens, notamment quant au fait de savoir s’il doit être rendu ou non obligatoire et si sa mise en vigueur doit précéder ou accompagner une réforme fiscale attendue48.
B. Fiscalité et direction de l’économie
19Les problèmes récurrents de la fiscalité française, rentabilité et fraude fiscale, ont été exacerbés par les contraintes de l’Occupation. Les dirigeants du ministère de l’Économie constatent en effet que les impôts rentrent mal. Ils disposent pour cela de rapports, à l’instar de celui de Peyster, inspecteur général des Finances honoraire, daté de mars 1942, et qui dresse le bilan de l’état de recouvrement des impôts au 31 décembre 1941 dans sept départements (Haute-Loire, Cantal, Puy-de-Dôme, Saône-et-Loire, Rhône, Loire, Allier). À l’exception du premier, la situation est jugée « guère satisfaisante » et l’inspecteur stigmatise « les gains anormaux réalisés par certains industriels et commerçants »49. Cette situation conduit l’Inspection générale des finances à étudier au début de 1943 la création d’une « police fiscale », entendue comme une organisation « qui réalise la synthèse et coordonne la centralisation de tous les moyens de contrôle fiscal »50. Plus que ses modalités qui reprennent des idées des années trente (« domicile fiscal », « carte d’identité fiscale », organisation de la « centralisation fiscale ») ce sont les motivations d’une telle création qu’il importe de souligner. Il s’agit d’abord de prendre en compte « l’évolution de la fiscalité » qui aurait débouché, « par l’élévation incessante et quelquefois démesurée du taux des contributions, par sa complexité croissante », sur le développement d’une « fraude généralisée dont l’étendue et la gravité portent une atteinte mortelle à la notion de justice fiscale ». Il convient surtout de tenir compte de « l’emprise croissante de l’État sur l’individu » qui signifie que « dans l’organisation d’après-guerre, la direction de l’économie sera dans tous les pays assurée par l’État ». Dans cette perspective, « l’impôt ne sera que l’un des moyens (et pas forcément le plus efficace) destinés à réaliser l’équilibre financier et monétaire du pays ; c’est le cas à l’heure actuelle où l’aspect « fiscal » des problèmes financiers et monétaires est très secondaire, comparativement à l’aspect « économique », tel qu’il apparaît dans les mesures de réglementation et de contrôle des prix notamment. »
20Cette conviction que l’avenir est à l’économie dirigée est alors largement partagée. Reste cependant à penser les termes d’une telle direction. Durant les années de guerre, cette question est tout particulièrement au cœur des préoccupations des animateurs du Conseil supérieur de l’économie industrielle et commerciale (CSEIC) dominé par la figure de l’ancien secrétaire général d’X-Crise, Gérard Bardet, et patronné par Jean Bichelonne, comme celles de l’Institut de conjoncture, créé à la veille de la guerre et qu’Alfred Sauvy continue de développer durant le conflit. Le CSEIC se soucie, au printemps 1943, des questions liées à la fiscalité pour dénoncer à la fois les pratiques de la IIIe République mais aussi celles de l’État français51. En effet, le « régime actuel » consacrerait une « double confusion : une confusion fiscale entre revenus consommables et revenus d’épargne » et une « confusion budgétaire – au sein du budget ordinaire – entre dépenses d’entretien et dépenses d’investissement ». Il faudrait donc, dans ces conditions mettre en œuvre une réforme fiscale visant à favoriser l’investissement52. Les préoccupations des « modernisateurs » de l’Institut sont différentes. Leur grande affaire est l’élaboration d’une comptabilité nationale et d’outils servant à la prévision. C’est ainsi qu’un « programme de travail » est arrêté le 1er octobre 1943. Il comporte neuf points : structure économique, comptabilité nationale, biens de production/biens de consommation, élasticités de consommation, progrès technique et recherches complémentaires, économie privée, conjoncture d’après-guerre, modèles économiques, travaux permanents (indices)53. On y constate l’absence de la question fiscale, et ce malgré sa prise en compte en matière de comptabilité privée. À la Libération, les choses semblent inchangées et la fiscalité demeure réputée secondaire et connotée négativement. Ainsi, dans un courrier adressé à Marc, André Vincent, dressant un portrait élogieux d’Alfred Sauvy et de Pierre Uri réputés être les seuls qui « saisissent la notion en nature du revenu national » oppose ces qualités à « la tendance fiscale correspondant à la mentalité du ministère vis-à-vis du revenu distribué », laquelle « déforme constamment les discussions »54.
III. La question fiscale en voie de redéfinition de la libération au début des années soixante
21Comme les années d’Occupation, la Libération ne signifie pas une rupture brutale. Certes, des questions très ponctuelles sont posées comme le besoin de liquidités nécessaires à la reconstruction et à la nécessité de sanctionner les profits nés du conflit et qui débouchent sur la mise en place de l’impôt sur la solidarité nationale. Cela étant, il s’agit d’abord de résoudre de nombreuses questions en suspens (réforme de l’impôt sur le revenu, lutte contre la fraude, normalisation des comptabilités) à un moment où la nécessité de doter l’économie française d’outils lui permettant d’entreprendre une politique économique devient de plus en plus partagée. La question de l’impôt doit encore être envisagée à travers les nouveaux enjeux qui sont ceux des années cinquante : productivité, ouverture européenne et volonté de mise sur pied d’une politique des revenus.
A. La question de l’impôt et les nouveaux outils de la politique économique
1. Plan comptable, comptabilité nationale et question de l’impôt
22La Libération n’a nullement fait disparaître les craintes sur les conséquences fiscales d’une normalisation des comptabilités. Le danger d’une inquisition fiscale est ainsi régulièrement mentionné pour dénoncer le plan comptable mis sur pied durant la guerre. Tournier, le directeur de la coordination économique au ministère de l’Économie nationale, recense ainsi, dans une note adressée au ministre datée du 15 mars 1945, une série de critiques concernant le document, notamment depuis la Libération. Il souligne ainsi qu’il sera « difficile de convaincre certains chefs d’entreprise que le plan comptable n’est pas surtout inspiré par les besoins du contrôle fiscal »55. Il n’en demeure pas moins que, pour l’auteur de la note et ce quel que soit le type d’économie envisagé (économie dirigée ou non), la mise en place d’un plan comptable « est susceptible, sous certaines conditions et dans certaines limites qu’il reste précisément à déterminer, de constituer un réel progrès ». Pour ce faire, il serait utile de faire étudier la question par la direction de la Coordination économique, considérée par Tournier comme une instance plus « désintéressée » qu’un service émanant du ministère de l’Économie et des Finances et davantage capable de « faire perdre au plan comptable l’aspect fiscal » qui lui est communément reproché. Quelques semaines plus tard, Tournier s’oriente vers la création d’une commission restreinte56. Mise en place par un décret du 4 avril 1946, présidée par Robert Lacoste, la commission débute ses travaux le 11 avril suivant et fonctionne jusqu’en juin 1947 via un double système de six sous-commissions restreintes et d’une commission plénière. Plus que le contenu proprement technique des travaux de cette instance, il importe de relever qu’elle inscrit le plan comptable dans une perspective différente de celle des années d’Occupation, avec, comme perspective affichée, l’articulation entre comptabilité des entreprises et comptabilité nationale. Ainsi, le premier principe formulé par la première sous-commission (dont le rapporteur est Jean Fourastié) indique que « si la comptabilité est d’abord faite pour l’usage du chef d’entreprise dont elle doit éclairer l’action, elle doit aussi fournir des éléments d’information précis pour l’orientation de l’économie nationale dans le sens du plein emploi des capitaux, des matières et des hommes »57. Certains auraient souhaité aller plus loin et la quatrième sous-commission ayant comme rapporteur Anthonioz avait étudié et proposé une « organisation nationale de la comptabilité sur des bases scientifiques et progressives permettant la présentation dans leur ordre logique des mouvements économiques en quantités et en valeurs »58, option rejetée par la commission plénière qui s’est ralliée aux propositions des deuxième et troisième sous-commissions réputées offrir, « entre autres avantages, celui de ne pas bouleverser complètement les usages comptables actuels et d’être les mieux adaptées aux moyens d’exécution dont disposent actuellement les entreprises »59. Cette prudence affichée n’empêche pas alors le ministre de l’Économie nationale, André Philip, de rappeler quelques semaines plus tard, à l’occasion d’un débat sur la « brochure de vulgarisation » établie par la commission, sa conviction de la nécessité d’instituer un plan comptable « dans le plus bref délai possible », se déclarant « persuadé que tout le monde comprend aujourd’hui la nécessité de baser la politique économique sur une connaissance exacte des données économiques et sur une notion précise du revenu national », et ce, afin d’aligner la France, jugée « très en retard », sur « les expériences déjà faites dans de nombreux pays étrangers »60.
23Si les réticences fiscales n’ont donc pas eu raison de la volonté de réformer la comptabilité, il apparaît que la question de l’impôt n’est alors nullement au cœur des discussions sur la comptabilité, de celle des entreprises comme de la comptabilité nationale. La situation est différente dans d’autres débats, concernant notamment la conjoncture et ses implications par rapport au budget où l’impôt est alors en première ligne.
2. Conjoncture, budget et question de l’impôt
24La prise en compte de la conjoncture débouche à la Libération sur la redéfinition de la notion même de budget envisagé dorénavant comme un outil capable d’« exercer » une « action » sur l’économie ou comme l’« essai d’user consciemment du pouvoir de dépense et de taxation de l’État en vue d’influencer le montant du revenu national et la façon dont il est dépensé »61. Cette approche, développée avec prudence par Jean Marchal qui enseigne à la Libération l’économie à la faculté de Paris et à la jeune ENA, est qualifiée par son promoteur de « révolutionnaire », traduisant une rupture de perspective par rapport aux discours communément tenus par les professeurs d’économie politique mais jugée nécessaire à prendre en compte car « s’accord[ant] avec les conceptions actuellement régnantes à l’étranger »62. Cette analyse de Marchal est confirmée par l’historiographie, une journée d’étude tenue en 1997 à Bercy sur la direction du Budget durant les années cinquante ayant permis de prendre la mesure d’une telle mutation laquelle a débouché, dans l’Hexagone, sur le décret du 19 juin 1956 qui modifie profondément le mode de présentation du budget de l’État, le situant dorénavant dans « son contexte économique » et en en faisant un « élément conscient d’une politique globale »63.
25Ramenées à la question de l’impôt, ces mutations en matière budgétaire sont essentielles car elles conditionnent un changement de regard chez les professeurs d’économie comme chez les technocrates. Chez Jean Marchal, l’impôt est dorénavant un outil au service de l’État, entendu comme un des « procédés dont l’effet est de mettre du pouvoir d’achat à la disposition de l’État »64. Du côté des seconds, l’impôt doit servir notamment à l’équipement du pays. C’est la conviction des hommes du Plan, Jean Monnet en tête, et ils s’efforcent de les faire valoir dans le cadre de la commission des investissements. Leurs options sont fortement combattues par un personnel politique encore marqué par les cultures économiques héritées de la IIIe République ce qui donne lieu, à l’occasion des discussions liées à la préparation du budget de 1949, à une véritable « bataille » entre les experts et le président du Conseil d’alors, Henri Queuille, qui répugne à cette perspective du fait de ses propres convictions mais également parce qu’il sait que sa majorité parlementaire ne peut le suivre sur ce terrain, se cabrant dès qu’on lui parle d’une augmentation de la pression fiscale65. Ce dernier, en vieux routier des joutes parlementaires, en est parfaitement conscient et a préparé un budget qui affecte les augmentations d’impôts à la reconstruction, objectif plus défendable vis-à-vis d’élus que le président du Conseil rend sensibles au sort des « sinistrés ». À l’inverse, les dépenses d’équipement, qui doivent être couvertes pour l’essentiel par la contre-valeur de l’aide américaine, sont absentes de la discussion parlementaire alors qu’elles avaient été au cœur des débats entre l’exécutif et les experts.
26Ces derniers, acquis au principe des hausses de la fiscalité pour développer et moderniser l’économie semblent s’enhardir au fil des années. On le constate d’abord quant à la définition même proposée de la notion de l’impôt telle qu’elle ressort des enseignements de Finances publiques dispensés par exemple à l’Institut d’études politiques de Paris. Ainsi, dans le cours professé par Pierre Allix (alors directeur général des impôts) et François Bloch-Lainé (alors directeur général de la Caisse des dépôts), la « notion de l’impôt » est présentée comme une notion large. Pierre Allix explique en effet aux étudiants que si l’impôt est « avant tout un fait financier »66, il est aussi un « fait économique », ce qu’il faut entendre par le fait qu’il est de nature à « favoriser certaines activités » ou à « profondément affecte[r] » la « structure économique d’un pays »67. À l’opposé des années de l’entre-deux-guerres, l’impôt est dorénavant présenté comme un outil de politique économique aux mains des gouvernements et non plus comme un instrument exclusivement financier ou une hydre dont il s’agirait de briser le développement. Le tabou du « gouffre insatiable du fisc » (pour reprendre une expression précitée d’Edgar Allix) est en train d’être brisé et quelques années plus tard, au début des années soixante, les experts du SEEF et de l’INSEE peuvent inscrire leurs Perspectives de l’économie française pour 1970 dans une logique d’« aménagement de la fiscalité » assimilé à une « nécessité de rentrées fiscales accrues »68. La question des hausses d’impôt étant posée comme un postulat (que les auteurs n’entreprennent même pas de justifier), le seul point en suspens est de « trouver les moyens de rendre acceptable l’alourdissement de l’impôt », ce qui débouche sur différentes propositions : recourir à la fiscalité locale, jugée mieux perçue par les contribuables ou « rendre moins sensible l’assujettissement à l’impôt » en envisageant, à l’instar des principaux pays industrialisés occidentaux, un prélèvement à la source. Le ton du texte comme le contenu de ses propositions permettent de mesurer le chemin parcouru depuis les années de l’entre-deux-guerres.
B. La question de l’impôt redéfinie par les nouveaux enjeux des années cinquante
1. La question de l’impôt devant la productivité
27Maître mot du discours modernisateur du tournant des années cinquante, la productivité, symbolisée par les missions envoyées aux États-Unis, est au cœur des préoccupations de personnalités (Jean Fourastié) ou de groupements (Association française pour l’accroissement de la productivité)69 et suscite également des réflexions aux niveaux ministériel (secrétariat d’État aux Affaires économiques) comme administratif (DGI). Si elle n’est pas centrale dans ce débat, la question de l’impôt est tout de même présente, l’amélioration de la fiscalité devant permettre celle de la productivité. Considérant que la France est un pays de « basse productivité »70, les tenants d’une mutation en la matière insistent sur les causes mais surtout sur les remèdes à y apporter. Parmi eux, une mutation en profondeur de la fiscalité, allant au-delà des textes nouveaux de 194871, est réclamée, sous la forme d’une « véritable réforme »72 ou d’un « aménage[ment] »73. La DGI en est d’ailleurs consciente et produit différentes notes sur le sujet au début des années cinquante. Elle s’interroge d’abord sur les moyens d’améliorer et de rationaliser son propre fonctionnement, en vue de rendre plus efficace le contrôle fiscal, notamment en province74. La DGI cherche également à se réformer pour prendre sa part à la croissance du pays, améliorer le rendement de la fiscalité et de la faire mieux accepter. Consciente de la complexité de la législation et du déficit d’information et de communication existant entre ses agents et les contribuables, la DGI propose, au nom d’une nécessaire « détente fiscale », « de créer, comme aux Etats-Unis, des agents capables de renseigner les commerçants forfaitaires sur n’importe quelle catégorie d’impôts »75. La DGI souligne aussi la nécessité de « lier de façon directe des mesures d’ordre fiscal à l’accroissement de la productivité » en étudiant des modifications de la législation en matière d’amortissement industriel. En clair, la question de l’impôt est inscrite, via la productivité, au cœur des préoccupations sur la modernisation des structures productives de l’économie française, qui dorénavant ne préoccupe plus seulement les milieux rationalisateurs dont l’AFAP est l’héritière76 ou les services du ministère de l’Économie mais aussi les dirigeants de l’administration fiscale qui rattachent l’amélioration du système fiscal à des objectifs économiques globaux. Ces derniers évoluent d’ailleurs significativement au cours des années cinquante.
28En effet, si à l’origine, rattachée à la productivité, l’utilisation de l’impôt comme outil économique avait comme finalité première de moderniser les entreprises et de satisfaire le marché intérieur, au tournant des années soixante, sur fond de croissance soutenue et d’ouverture du marché commun, l’impôt voit ses finalités économiques redéfinies. Il peut d’abord être dorénavant considéré comme un moyen d’encouragement des exportations. Une note adressée au secrétaire d’État aux Affaires économiques recommande ainsi « d’encourager par des mesures fiscales les entreprises à mettre en œuvre un programme d’investissements de nature à leur permettre de développer les exportations ; ce sont là, des débouchés dont les entreprises peuvent espérer, dans les circonstances actuelles, le développement »77. Dans un autre registre, la question de l’impôt est désormais jugée inséparable de la construction européenne, l’« harmonisation » étant ouvertement posée et intégrée comme une contrainte nouvelle de la direction de l’économie. Que, au milieu des années soixante, l’harmonisation des fiscalités européennes n’ait « pas encore débouché sur des réalisations spectaculaires »78 n’empêche pas les experts du ministère des Finances d’intégrer ce paramètre en soulignant dans une note que « le principe d’une harmonisation, au moins partielle, des fiscalités indirectes étant admis, la France ne pourra probablement pas éviter de diminuer le taux de la TVA » ce qui conduit les rédacteurs du document à envisager la question d’un relèvement de l’IRPP, présenté à cet égard comme un moyen de « rapprocher [...] dans sa structure » la fiscalité française de celle de l’Allemagne, des Pays-Bas ou de la Grande-Bretagne79.
2. La question de l’impôt et la politique des revenus
29Si la question de la relation entre impôt et justice sociale est déjà bien ancienne (on considère classiquement qu’elle aurait été posée en premier lieu par Adam Smith), on constate qu’à la Libération elle commence alors à être formulée dans des termes qui marquent le débat public jusqu’à aujourd’hui, l’impôt étant considéré comme un instrument de correction des injustices et des inégalités sociales. Cette approche est en particulier retenue par Pierre Uri qui lui consacre de longs développements dans un article publié en novembre 1947 dans Les Temps modernes. Il y dénonce les « suffocantes iniquités » d’un système fiscal qui selon lui épargne largement les paysans et les commerçants au détail et propose pour des raisons d’égalité fiscale (la nécessité d’acquitter « leur contribution normale à l’entretien des services publics, dont ils ne bénéficient pas moins que les autres catégories du pays ») d’obtenir un relèvement des recettes fiscales provenant de ces catégories80. Son propos dépasse cependant ces deux exemples pour prendre une portée générale. En effet, selon Pierre Uri, « l’usage économique de l’instrument fiscal est l’une des acquisitions décisives de la politique moderne » et « la justice dans l’impôt est la forme la moins décevante et la plus immédiatement praticable de la justice sociale »81. Pierre Uri formule ainsi un triptyque promis à un bel avenir : justification d’une perception rationalisée, utilisation de l’impôt comme d’un outil de politique économique et moyen d’opérer, à travers lui, une œuvre de justice sociale. Cette approche commence à être reprise et régulièrement développée dans l’enseignement des finances publiques durant les années cinquante et le cours précité de Pierre Allix et de François Bloch-Lainé ne manque pas de lui consacrer des développements. À l’occasion de l’exposé des projets des tendances qualifiées de « démocratiques, sociales et progressistes » regroupées sous la formule générique de « réformisme fiscal », le cours expose que l’impôt dans une telle optique peut être défini comme « l’instrument technique par excellence de la correction des inégalités », et présente les expériences menées par les travaillistes britanniques comme l’exemple même de ce que pourrait être une politique de ce type82. Les années qui suivent confirment cette orientation des années cinquante et les travaux précédemment évoqués sur les Perspectives de l’économie française pour 1970 abordent de front la question de la répartition des revenus et les solutions que l’impôt pourrait proposer pour la corriger. On relève ainsi un exposé précis expliquant comment « une répartition plus égalitaire des revenus entre ménages peut être recherchée de façon directe par un aménagement de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, lequel viserait notamment à réaliser l’égalité de tous, à revenu égal, devant l’impôt ou de façon indirecte par une modification du partage entre revenus directs et indirects allant aux ménages au profit de ces derniers »83. Dans le même ordre d’idées, se met en place, à la fin de l’année 1964 sous la houlette de l’Inspection des finances (représentée notamment par Simon Nora et François Bloch-Lainé) mais avec la participation de représentants de l’INSEE, de la DGI ou du SEEF, une enquête sur « les statistiques fiscales et leur utilisation pour une politique des revenus »84.
Conclusion
30Le rapide balayage que nous avons entrepris sur la question de l’impôt permet d’éclairer plusieurs dimensions. La première est que la question de l’impôt participe du processus de « conversion » mis en lumière par Michel Margairaz. Il faut souligner cependant l’existence de décalages chronologiques entre l’impôt et d’autres domaines étudiés (la « conversion » en matière fiscale est plus lente) et le fait que les mutations qui affectent l’impôt procèdent de démarches et d’enjeux (recherches des outils d’une politique économique et des moyens de moderniser une France jugée « en retard ») qui ne prennent pas à l’origine la question de l’impôt pour fin mais qui, de par leurs incidences en la matière, ont conduit à infléchir puis à élargir les analyses sur cet objet. Il reste néanmoins à saisir l’importance jouée par les différents acteurs dans cette mutation. Il nous est apparu que, parmi les acteurs que nous avons étudiés, la part belle revenait aux « modernisateurs », dont le dynamisme a contribué à rénover une question qui n’était pas au cœur de leurs préoccupations mais qu’ils se sont progressivement appropriée. On ne saurait en effet isoler la question de l’impôt des débats sur l’économie dirigée pendant la guerre et surtout du projet de développement économique et social des « trente glorieuses » marqué par une volonté d’agir et de diriger via l’État l’économique et le social. Les « modernisateurs » de la Libération ont alors coupé les ponts avec les discours traditionnels des professeurs de finances publiques comme avec ceux d’un personnel politique encore attaché au début de la IVe République à une culture économique dominée par des principes orthodoxes qui avaient été ceux des forces de gouvernement radicales et modérées. Les « modernisateurs » ont pu profiter au lendemain de la guerre du déclin durable des idées libérales et, contrepartie de celui-ci, du développement d’une vulgate keynésienne, de la crise professionnelle qui affecte l’enseignement de l’économie politique et des finances publiques. De leur côté, ils ont su et pu conquérir des positions d’influence dans l’appareil d’État comme dans l’enseignement de l’économie politique et des finances publiques dans des grandes écoles comme l’IEP de Paris et l’ENA. Ils ont pu de ce fait, conjointement à la formation des relèves, impulser une modernisation intégrant la question de l’impôt, tout en la dépassant.
Notes de bas de page
1 « L’équilibre budgétaire est [...] une question de vie ou de mort pour l’État », lit-on dans le numéro 104 (avril 1926) du Bulletin mensuel du Syndicat national des contributions directes (nouvelle appellation de l’ancien Bulletin de l’Association des membres de l’administration des contributions directes). Cité dans Frédéric Tristram, La Direction générale des Contributions directes 1917-1948, mémoire de DEA, EHESS, 1994, p. 30-31.
2 Ibid., p. 40.
3 Michel Margairaz, L’État, les finances et l’économie, histoire d’une conversion, 1932-1952, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
4 Germain-Martin, La Persistance du déséquilibre économique, cours d’économie politique professé à l’École supérieure d’enseignement financier, 1922-1923. Le « problème fiscal » est traité des pages 35 à 51.
5 Selon lui (p. 48-49), au 1er juillet 1921, on comptait 982 contrôleurs ayant à établir 58 millions de cotes (soit 60 000 pour chacun d’entre eux) et à examiner 592 000 demandes en dégrèvement, 454 000 réclamations individuelles et classer les dossiers relatifs aux 2,5 millions articles de rôles d’impôts sur le revenu.
6 Les citations qui précèdent sont tirées de la p. 51 du cours polycopié.
7 Arthur Girault, Les Ressources publiques, l’impôt, Sirey, 1925, 2e partie, p. VII.
8 Voir notamment Chottard, Les Impôts sur les revenus et les fraudes fiscales, thèse soutenue à Paris en 1925.
9 Frédéric Tristram, op. cit., p. 25-28.
10 Sur les débuts de la revue, se reporter à Guy Thuillier, Bureaucratie et bureaucrates en France au xixe siècle, librairie Droz, Genève, p. 258-273.
11 Georges Mer, « Pour que la charte des contribuables soit révisée et appliquée avec l’aide des contribuables », L’état moderne, avril 1928, p. 11.
12 Joseph Barthélemy, « Il faut travailler à simplifier notre système fiscal », L’état moderne, avril 1928, p. 10.
13 Selon le mot de Joseph Patouillet qui propose dans ce même numéro (p. 24-28) une réforme de la taxe sur le chiffre d’affaires.
14 Les propositions du Comité ont été résumées par Georges Lachapelle dans le numéro d’avril précité (p. 29-38) tandis que celles de la Semaine fiscale tenue sous les auspices de la Ligue de la République du 21 au 25 janvier 1924 à Paris sont publiées dans le numéro d’octobre 1928 de L’état moderne consacré à « la réforme des finances locales ».
15 L’état moderne, décembre 1928, p. 7-8. Ont été notamment sollicités pour l’enquête Lucien Romier, Charles Pomaret et Joseph Caillaux.
16 Les conclusions à l’enquête précitée sont explicites : « la question fiscale » est considérée (entre autres) comme de nature « budgétaire », et les pouvoirs publics sont réputés avoir la « responsabilité de l’équilibre » L’état moderne, décembre 1928, p. 42.
17 Cette conférence est intitulée « L’or, la technique monétaire et le crédit dans la crise mondiale », Bulletin du CNOF, avril 1932, p. 97-108.
18 Ibid., p. 111-112.
19 Ibid., p. 108.
20 Frédéric Tristram, op. cit., p. 82-83.
21 Michel Margairaz, op. cit., p. 107-108.
22 Louis Trotabas, « La législation fiscale », Revue d’économie politique, mai-juin 1935, n° 3 (numéro spécial « La France économique, annuaire 1934 »), p. 655. On relèvera le titre de cette contribution (« législation fiscale ») et sa place dans le numéro en seconde position de la rubrique Finances au-dessous d’une première consacrée au budget, trésorerie, dette publique.
23 SAEF, B 28 334, procès-verbal de la réunion du 29 avril 1937. Les commissions des Finances des chambres ont désigné des représentants.
24 Le Comité consultatif des administrations financières créé en novembre 1936 s’est avéré être un vivier important.
25 Vincent Auriol s’en justifie, lors de la première réunion du 29 avril 1937, dans des termes qui méritent d’être cités : « J’ai jugé utile d’[...] appeler un représentant de la science juridique française et j’ai demandé sa collaboration à un économiste, M. Roger Picard, professeur à la faculté de droit de Paris. », procès-verbal de la réunion du 29 avril 1937, op. cit., p. 2.
26 SAEF, B 28 334, procès-verbal de la réunion du 17 février 1928, p. 3.
27 L’article 8 de la loi du 28 février 1934 l’ajourne jusqu’au 1er juillet 1934 tandis que l’article 11 de la loi du 6 juillet 1935 jusqu’au 31 décembre 1935 (SAEF, B 39 994).
28 Note de la Direction générale des contributions directes, datée du 12 juillet 1935, signée du directeur général Tétrel et adressée au ministère des Finances (Marcel Régnier). SAEF, B 39 994.
29 Une note du 25 novembre 1936 préconise ainsi la mise en place d’une « liaison méthodique entre les différentes administrations qui serait chargée de [...] grouper sous le même dossier, toutes les indications relatives à un même contribuable » (cité in Tristram, op. cit., p. 89).
30 Une note de la Direction générale des contributions directes pour le contrôle des régies du 2 septembre 1935, signée de Jean-Jacques Bizot, encadre d’ailleurs très étroitement ce contrôle : « tout contrôle des banques doit être exceptionnellement discret [...] doit être effectué exclusivement par des agents de choix ne relevant que des discordances indiscutables. [...] Un tel contrôle doit comporter l’engagement des banques d’obtenir de leurs directeurs d’agences qu’ils facilitent l’action de l’administration, en observant eux-mêmes, à l’égard de leurs clients une entière discrétion, étant entendu que, en échange, l’administration s’efforcerait de ne pas les mettre en cause. » (SAEF, B 39 994).
31 Plan du 9 juillet, Réforme de la France proposée par le groupe du 9 juillet, avant-propos de Jules Romains, Gallimard, 1934, p. 54-55.
32 Ibid., p. 55.
33 Il s’agit de mesures intégrées dans la loi de finances concernant l’exercice budgétaire de 1943. La relative modestie des ambitions est soulignée par les gouvernants eux-mêmes dans une « note pour la presse » du 4 janvier 1943 : « sans la création d’aucun nouvel impôt, le texte se bornera à refondre les barèmes en vigueur, à renforcer les moyens d’assiette et de contrôle, à rendre plus rapide le recouvrement des impôts ». Cette réforme est vivement dénoncée par la presse allemande qui stigmatise le rôle de l’Inspection des finances et qualifie la politique vichyssoise de renoncement (SAEF 1 A 33, chemise III A 3).
34 Nous nous permettons de renvoyer sur ce point à Olivier Dard, Jean Coutrot, de l’ingénieur au prophète, Presses universitaires franc-comtoises, 1999, p. 106 et Henri Bouquin, « Les enjeux d’une normalisation privée de la comptabilité de gestion », Revue française de comptabilité, n° 271, octobre 1995, p. 63-71.
35 Reçu en 1932 au concours de commissaire contrôleur des compagnies d’assurances, entré en 1934 à la direction générale, Jean Fourastié s’y est fait remarquer par la qualité de ses contrôles. Il a également publié chez Dalloz, en 1937, une thèse de doctorat de droit intitulée Le Contrôle de l’État sur les sociétés d’assurance, qui a connu un succès certain (deux éditions épuisées en quelques mois) et a fait l’objet de comptes rendus élogieux dans des revues professionnelles spécialisées, françaises et étrangères. Cette reconnaissance de sa hiérarchie, et notamment du directeur des assurances privées, Gabriel Chenaux de Leyritz, explique pourquoi il a été choisi pour mener à bien une réforme d’ensemble des assurances (« Note sur la carrière de M. Fourastié », SAEF, archives Fourastié, PH 181/94, carton 1).
36 SAEF, B 55 187.
37 « Normalisation des comptabilités », rapport de Chezleprêtre, p. 13 (SAEF, B 55 187).
38 Ibid.
39 Rapport de Jean Martin, adressé le 25 novembre 1940 (SAEF, B 55 187).
40 Rapport d’Élie Bayot adressé au général Brécard, 18 p (SAEF, B 55 187).
41 La commission a été créée par un décret du 22 avril 1941. Detœuf a été nommé président par un arrêté du 3 juin 1941.
42 Un procès-verbal de la commission plénière en date du 5 mai 1941 est accompagné d’une liste de présence détaillée des membres de la commission (SAEF, B 55 187).
43 Nous nous appuyons ici sur une « Note relative à l’application du plan comptable », émanant de Douffiagues, chef de cabinet du ministre des Finances et datée du 18 juin 1943 (SAEF, 1 A 401).
44 « Les raisons d’être d’un plan comptable général », Revue de l’Économie contemporaine, n° 3, juillet 1942, p. 6.
45 Chezleprêtre est appuyé dans cette affaire par le directeur général des Contributions directes qui a écrit en ce sens le 14 août 1942 au directeur du cabinet du ministre des Finances (SAEF, B 55 189).
46 La note précitée indique que « le chef de l’administration militaire allemande en France a invité le ministre [Bichelonne] à désigner une délégation de techniciens qui discuteraient avec les représentants allemands des services économiques, sous la présidence du chef du service allemand des prix, les dispositions contenues dans le projet de plan comptable élaboré dans la commission. »
47 Ibid.
48 Note « Plan comptable », SAEF, B 55 189.
49 SAEF, 4 A 2, sous-dossier 3.
50 « Note faite par M. Hedde, inspecteur des Finances, sur le contrôle fiscal », mars 1943, SAEF, 4 A 2, sous-dossier 3. Les citations qui suivent en sont tirées.
51 Une note de 6 pages « Profit et fiscalité » du 3 mai 1943 est particulièrement éclairante sur ce point Arch. nat., F/12 10145. Les citations qui suivent sont tirées de sa page. 3.
52 La note précitée en esquisse les grandes lignes (p. 4).
53 SAEF, B 55 363.
54 Lettre d’André Vincent à Marc, 2 pages dactylographiées. SAEF, B 55 363. Signalons l’existence d’un « programme de recherches pour le développement de la conjoncture » proposé par Vincent en mars 1947. Comme quatre ans plus tôt, les questions fiscales ne pas sont retenues dans les 9 points du « programme de recherche pour le développement de la conjoncture ». Ces points sont les suivants : Indice de la production industrielle, comptabilité nationale, revenu national, fortune nationale, productivité et progrès technique, élasticités de la consommation, explication et prévision du niveau général des prix, échanges internationaux, prévisions économiques courantes (SAEF B 55 363, mars 1947).
55 « Note pour le ministre », p. 4 (SAEF B 55 189). Les citations qui suivent sont tirées de cette note (p. 4-5).
56 Note de Tournier pour le ministre, 17 avril 1945 (SAEF B 55 189).
57 MEN, Conseil supérieur de la comptabilité, séance du 27 juin 1947, allocution prononcée par M. Turpin, p. 4 (SAEF, B 55 190).
58 Ibid., p. 6.
59 Ibid., p. 8.
60 MEN, Conseil supérieur de la comptabilité, procès-verbal de la séance du 18 septembre 1947, p. 8 (SAEF B 55 190).
61 Jean Marchal, « L’État et son budget, du budget de l’État patrimonial au budget de l’État faustien », Promotions, n° 6, 1947, p. 9 et p. 14 (Jean Marchai reprend à son compte une citation de The Economist du 20 octobre 1945). Rappelons que la revue Promotions, créée en 1946 est la revue de l’ENA. Signalons que Jean Marchal ne fait que reprendre ici des idées qu’il avait développées dans une étude intitulée « La nature et le contenu de l’économie financière » publiée en préface de la thèse d’Henri Krier, La Charge des impôts sur l’économie, Librairie générale du droit, 1944.
62 Ibid., p. 11. Jean Marchal utilise à plusieurs reprises le terme « révolutionnaire ».
63 Lucile Tallineau, « L’inspiration keynésienne du décret du 19 juin 1956 », La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante... acteur ou... témoin ? Journée d’études tenue à Bercy le 10 janvier 1997, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, p. 166 et p. 177.
64 Jean Marchal, ibid., p. 13. Les italiques figurent dans le texte original.
65 Les enjeux et les étapes de cette « bataille » ont été déjà étudiés. Se reporter à Michel Margairaz, op. cit., p. 1118-1130 et à Olivier Dard, « Henri Queuille face aux questions économiques et budgétaires : principes, contraintes et action », La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante… acteur… ou témoin ? Journée d’études tenue à Bercy le 10 janvier 1997, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, p. 27-32.
66 Pierre Allix et François Bloch-Lainé, Finances publiques, Université de Paris, Institut d’études politiques de Paris, Les cours de droit, 1954-1955, fas. I, p. 12.
67 Ibid., p. 38-39.
68 Perspectives pour l’économie française de 1970, mars 1964, t. II, Les Conditions de réalisation de l’esquisse de référence, p. 85 (SAEF B 52 237). Les citations qui suivent sont tirées de ce document et les mots en italiques sont soulignés dans le texte original.
69 Sur ces deux points, se reporter à Régis Boulat, « Atala travaille chez Citroën ». Recherches sur l’américanisation de l’économie française après la seconde guerre mondiale, mémoire de DEA, université de Franche-Comté, 2001.
70 Jean Ducros, « Pourquoi la France a une basse productivité », Productivité française, janvier 1952. Rappelons que Jean Ducros est alors le président de la CGC.
71 Rappelons qu’il s’agit de la création de la DGI et de la réforme de l’impôt sur le revenu.
72 Jean Ducros, op. cit.,
73 Robert Buron, « Nécessité et servitudes d’une politique de productivité », Productivité française, février 1952. Rappelons que Robert Buron est alors ministre des Affaires économiques.
74 Voir notamment sur ce point une longue note d’avril 1952 (SAEF 1 A 394).
75 « Programme d’un système de mesures psychologiques de détente fiscale », note du 3 janvier 1952 émanant du service d’études et de contrôle fiscal de la DGI (SAEF, 1 A 394, chemise n° 6, « fiscalité et productivité »).
76 La lecture des sommaires de Productivité française permet de prendre la mesure des filiations entre les années trente et cinquante qu’il s’agisse de personnalités (Paul Planus, etc.) ou des groupements (CNOF, CEGOS, etc.).
77 Note du 14 janvier 1959 (SAEF, 5 A 184).
78 Dominique de la Martinière, Finances publiques, IEP de Paris, 1964-1965, fas. I, p. 108. Dominique de la Martinière est alors inspecteur des Finances et directeur adjoint des Impôts.
79 « Note résumant la situation actuelle de l’étude sur l’impôt sur le revenu », 12 août 1964, p. 6 (SAEF B 52 237).
80 Pierre Uri, « Problèmes français », Les Temps modernes, novembre 1947, p. 892-893. Indiquons que Pierre Uri entend faire preuve ici de pragmatisme en renonçant « provisoirement à rechercher ce qu’a pu être le bénéfice individuel de chaque exploitant » puisque « dans les circonstances présentes, l’impôt sur la classe agricole doit faire figure d’un loyer versé à la nation pour l’utilisation d’une parcelle de son sol » et être ainsi assimilé à une « charge fixe [...] incit[ant] au développement de la production et de la vente, donnerait un coup d’arrêt au resserrement des cultures, au développement de la consommation à la ferme, à l’accroissement du stockage ».
81 Ibid., p. 894.
82 Pierre Allix et François Bloch-Lainé, Finances publiques, op. cit., p. 30-31.
83 Perspectives pour l’économie française de 1970, t. III, Variantes, p. 27 (SAEF B 52 237).
84 On trouve dans les archives du SAEF (B 52 237et B 52 238) des notes et des comptes rendus de réunions.
Auteur
Est professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paul Verlaine (Metz). Il a récemment publié : Le rendez-vous manqué des relèves des années trente, PUF, 2002. En 2005-2006, ont été publiés sous sa codirection différents ouvrages : Les permanents patronaux : éléments pour l’histoire de l’organisation patronale en France dans la première moitié du xxe siècle (sous la codirection de Gilles Richard et Olivier Dard), publications du centre de recherche histoire et civilisation occidentale de l’Université de Metz ; Les relèves en Europe d’un après-guerre à l’autre. Racines, réseaux et postérités (sous la direction d’Étienne Deschamps et Olivier Dard), PIE, Peter Lang ; Industrie et politique en Europe occidentale et aux États-Unis (XIXe-XXe siècles) (sous la direction de Dominique Barjot, Jean Garrigues, Didier Musiedlak, Eric Anceau et Olivier Dard), Presses universitaires de Paris Sorbonne. Il a également coordonné avec Michel Margairaz un dossier intitulé « Le service public, l’économie et la République » publié dans la Revue d’histoire moderne et contemporaine, (52-3, juillet-septembre 2005).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946
Les hommes, le métier, les carrières
Nathalie Carré de Malberg
2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006