Le secteur primaire dans le processus de développement en Syrie Planifications, réalisations, mutations actuelles et perspectives d’avenir
القطاع الأول في عملية التنمية في سوريا: الخطط والإنجازات والتحولات الحالية والآفاق المستقبلية
The role of the primary sector in the development process in Syria. Planning, execution, current shifts and perspectives for the
p. 86-110
Résumés
L’union de la Syrie avec l’Égypte, en 1958, marque l’entrée du pays dans l’ère des réformes socialistes et de la planification centralisée. Ce fut alors le démarrage du « modèle syrien de développement agricole », élaboré et dirigé par les institutions étatiques durant plus d’un demi-siècle. Cependant, au cours de cette période, la Syrie a été secouée de multiples remous politiques. Cet article présente les objectifs de la planification nationale et propose une analyse du processus de développement du secteur primaire en Syrie à travers le prisme de trois thèmes majeurs : la réforme agraire, l’extension et la rationalisation de l’irrigation, et enfin la participation du secteur agricole à l’économie nationale. Il examine les résultats et les limites des politiques mises en œuvre, et conclut en s’interrogeant sur l’avenir du secteur primaire en Syrie, à la lumière du conflit actuel.
The Syrian-Egyptian union of 1958 ushered the beginning of the socialist reform and centralized planning era. This was the start of the “Syrian agricultural development model”, elaborated and pioneered by the state institutions for more than half a century. Meanwhile, Syria faced several waves of political turmoil. This article tackles the aims of the national planning process and provides an analysis of the primary sector development in Syria based on three main areas : the agrarian reform, the enlargement and rationalization of the irrigation system and finally the agricultural sector contribution to the national economy. It analyzes the outcome and restrictions of the policies in place and finally raises questions about the future of the primary sector in Syria in light of the current conflict.
حددت الوحدة بين سوريا ومصر في عام 1958، دخول البلاد في عهد الإصلاحات الاشتراكية والتخطيط المركزي. ثم كانت انطلاقة «النموذج السوري للتنمية الزراعية»، الذي رسمته وأدارته مؤسسات الدولة لأكثر من نصف قرن. ومع ذلك، وخلال هذه الفترة، اهتزت سوريا بالعديد من الاضطرابات السياسية. ويعرض هذا المقال أهداف التخطيط الوطني ويقدم تحليلا لعملية تطوير القطاع الأول في سوريا من خلال منظور يتضمن ثلاثة مواضيع رئيسية: الإصلاح الزراعي والتوسع وترشيد الري، وأخيرا مشاركة القطاع الزراعي في الاقتصاد الوطني. ويناقش النتائج وحدود السياسات التي وضعت قيد التطبيق، ويختتم بطرح التساؤلات حول مستقبل القطاع الأول في سوريا في ظل الأزمة الحالية.
Texte intégral
1L’union de la Syrie avec l’Égypte, en 1958, marque l’entrée du pays dans l’ère des réformes socialistes et de la planification centralisée. Ce fut alors le démarrage du « modèle syrien de développement agricole », élaboré et dirigé par les institutions étatiques durant plus d’un demi-siècle. Cependant, au cours de cette période, la Syrie a été secouée de multiples remous politiques, tant internes que liés aux évolutions géopolitiques de la région. Le coup d’État militaire du 28 septembre 1961, mené par des éléments conservateurs, met fin à l’union syro-égyptienne et freine pour un temps la réforme agraire. Un nouveau coup d’État militaire, le 8 mars 1963, amène le parti Baas au pouvoir. Celui-ci impose sa mainmise sur l’armée et les institutions étatiques et reprend les réformes socialistes. C’est encore un coup d’État, le 23 février 1966, qui propulse l’aile gauche du Baas au pouvoir. Les radicaux renforcent alors la coopération militaire et économique avec l’URSS, qui accorde à la Syrie des aides lui permettant de lancer la plupart des grands projets de développement, notamment le barrage de l’Euphrate. Le mouvement de redressement mené par le général Hafez al-Assad, à partir du 16 novembre 1970, revient ensuite à une politique plus réformiste qui ménage une certaine ouverture économique, mais verrouille en revanche le politique dans les limites étroites d’un régime autoritaire. Cette politique est poursuivie après son décès, en 2000, par son fils Bachar qui substitue finalement à l’économie planifiée orientée une « économie sociale de marché ».
2Dans le même temps, la Syrie est périodiquement prise dans des conflits nationaux, en particulier la lutte sans merci livrée aux Frères musulmans de 1979 à 1982, et régionaux, notamment les guerres avec Israël et l’implication dans la guerre civile libanaise, qui font alterner des phases de tensions, souvent accompagnées de sanctions économiques imposées par les États-Unis et leurs alliés, et de relâchement. Dans ce contexte assez mouvant, chaque tournant politique, chaque nouveau conflit ont des conséquences sur les politiques économiques et sociales, qui voient alterner des moments de crispation idéologique et d’ouverture, même si le principe de la suprématie du pouvoir dans le contrôle des processus économiques, politiques et sociaux demeure constant (Picard 1980 et 1997, al-Hamash 1995, Kienle 1997, Droz-Vincent 2001).
3En ce qui concerne les politiques agricoles, aux contraintes liées aux crises politiques internes et à l’instabilité géopolitique s’ajoutent, en Syrie, les contraintes particulièrement fortes de la géographie. Le développement agricole, priorité affichée par tous les plans quinquennaux de développement économique et social 1, repose en effet sur l’extension et la rationalisation de l’irrigation, dans un pays où l’agriculture pluviale subit les rigoureuses conditions climatiques est-méditerranéennes. Les zones semi-arides, arides et très arides (au sens d’Emberger2) constituent 89 % de la superficie de la Syrie. Les ressources hydriques renouvelables dont dispose le pays se situent à environ 23 milliards de m3 en moyenne annuelle. L’irrigation consomme la plus grande partie des ressources hydriques mobilisées (environ 90 %), mais sa demande dépasse de plus en plus l’offre disponible. En effet, les ressources hydriques renouvelables accusent leur rareté structurelle relativement à l’ensemble des sols agricoles actuellement exploités (irrigués et pluviaux) qui sont d’environ 5,5 millions d’ha. Cette rareté hydrique s’avère encore plus forte en sachant que le total de la superficie des sols irrigables, c’est-à-dire les sols actuellement exploités et ceux potentiellement exploitables si leur irrigation était assurée, atteint les 14 millions d’ha (Badlissi 2003 et 2009).
4Dans cet article, nous présenterons les objectifs de la planification nationale et une analyse du processus de développement du secteur primaire en Syrie à travers le prisme de trois thèmes majeurs : la réforme agraire, l’extension et la rationalisation de l’irrigation, et enfin la participation du secteur agricole à l’économie nationale. Quels ont été les principes, les réussites et les échecs de la réforme agraire ? Quelles réformes s’avéreraient nécessaires aujourd’hui pour poursuivre une restructuration efficace du secteur agricole ? Dans quelle mesure la politique hydro-agricole a-t-elle pu réaliser les objectifs de développement fixés par la planification nationale ? Que pourraient être les principes d’une future extension de l’irrigation ? De quelle manière la production agricole a-t-elle augmenté pour accroître le Produit Intérieur Brut Agricole (PIBA) et permettre l’autosuffisance alimentaire du pays en dépit de l’explosion démographique ? Quels sont aujourd’hui les horizons de la croissance économique agricole ? Pour tenter de répondre à ces questions, nous aborderons les variations des politiques agricoles au cours du demi-siècle écoulé, avant de confronter ces projets aux réalisations effectives, afin d’en dégager les forces et les faiblesses, puis nous conclurons en présentant quelques prospectives, incertaines en raison de la situation actuelle du pays.
Les fondements du modèle de développement du secteur primaire syrien et l’évolution de la politique agricole au cours des différentes phases politiques
La réforme agraire : un changement de paradigme
5Durant la période de l’Union égypto-syrienne (1958-1961), la politique menée par l’État syrien se voulait « socialiste ». Elle a cherché en effet à substituer à l’ancien régime « capitaliste et féodal » un nouveau modèle « juste et moderne » en mesure d’accroître fortement le revenu national, lequel devait être distribué équitablement aux citoyens. Le secteur primaire était considéré comme « la base du développement économique et social du pays » et devait « s’intégrer dans le processus de ce développement et contribuer pleinement à son essor » (1er PQDES 1960, p. 43-45). L’État s’attribuait le rôle fondamental dans l’organisation de l’exploitation des ressources naturelles, notamment hydriques, ainsi que dans le développement des moyens de production agricole. Les objectifs productifs stratégiques énoncés alors sont restés depuis lors inchangés : réaliser l’autosuffisance du pays en produits alimentaires de base, surtout le blé, afin d’assurer la sécurité alimentaire, approvisionner l’industrie nationale en matières premières et dégager un surplus agricole exportable pour contribuer à financer, avec les devises ainsi obtenues, l’industrialisation et les infrastructures nécessaires au pays.
6Dans ce cadre général, la réforme agraire devait entraîner des modifications structurelles, techniques et socio-économiques du secteur agricole par une meilleure distribution foncière et par la modernisation de l’agriculture et de la paysannerie. Elle prônait l’éveil de la masse paysanne, misérable, formant la majeure partie de la population (Mourad 1983, p. 216-218). Les limites maximales de la propriété foncière agricole individuelle ont été fixées à 80 ha irrigués ou de vergers ou à 300 ha pluviaux (loi no 161 de 1958, dite loi de réforme agraire) 3. Les relations agricoles entre propriétaires, métayers et ouvriers agricoles ont été inscrites dans la Constitution (loi no 134 de 1958) afin de garantir les droits des métayers et de les fixer sur les terres qu’ils exploitaient en métayage, et afin de garantir également les droits des ouvriers agricoles.
7Avec l’arrivée du parti Baas au pouvoir en 1963, l’aspect politique des réformes s’est amplifié. La planification de l’économie fut réinstaurée. Les limites de la propriété ont été encore abaissées pour être comprises dans une fourchette de 15 à 55 ha irrigués, 35 à 50 ha de vergers ou 80 à 300 ha pluviaux, en fonction des techniques d’irrigation utilisées, de la pluviosité annuelle moyenne et de la région agricole (décret no 88 de 1963) 4. Les terres expropriées devaient être distribuées à des familles paysannes par lots ne dépassant pas 8 ha irrigués ou de vergers, ou bien 30 ha pluviaux (puis 30 à 45 ha selon le décret no 88). Les bénéficiaires avaient l’obligation de se grouper en coopératives agricoles, d’exploiter eux-mêmes la terre avec leurs familles et d’appliquer le « plan de production agricole » décidé par la planification nationale. Le bénéficiaire qui manquait à ses devoirs risquait de se trouver privé de son lot de terre. L’État autorisa par ailleurs la vente et la location aux particuliers de ses propriétés, dont ses terres agricoles (loi no 252 de 1959). Il autorisa ensuite la distribution aux familles paysannes de ses terres domaniales (décret législatif no 166 de 1968) et de ses terres (domaniales et expropriées) aménagées pour l’irrigation dans les régions du Ghâb Acharné et Rouge, dans le bassin hydrographique de l’Oronte (décret no 66 de 1969), selon les mêmes procédures que celles prévues par la loi de réforme agraire (no 161 de 1958 et ses amendements).
8Une organisation syndicale populaire, l’Union générale des paysans, fortement politisée et encadrée par le parti Baas, fut fondée en 1964 (décret no 127). Ses membres devaient soutenir les objectifs politiques et sociaux de la réforme agraire, qui visaient à démanteler la domination des féodaux et à créer une classe de « paysans socialistes modernes ». Les coopératives instituées furent supervisées par le ministère de la Réforme Agraire jusqu’en 1967, puis intégrées, ainsi que les coopératives « privées » qui existaient depuis 1942, dans une Union coopérative agricole où elles furent régies par une réglementation unique (décret no 39 de 1967). En 1974, l’Union coopérative agricole et l’Union générale des paysans ont été fusionnées dans une seule organisation, l’Union générale des paysans, constituée désormais des Associations paysannes coopératives regroupant les bénéficiaires de la réforme agraire et les petits propriétaires volontaires 5, les métayers et les ouvriers agricoles. Cette législation dite de « formation paysanne », toujours en vigueur, considère l’Association paysanne coopérative comme une « organisation populaire syndicale et économique qui œuvre dans le cadre du plan de l’État et de sa politique générale ». Il s’agit de coopératives de services, en amont et en aval du producteur. Elles sont encadrées par des ingénieurs fonctionnaires qui contrôlent l’exécution du « plan agricole annuel » et assurent le suivi des différents services selon les normes imposées par les institutions étatiques (Métral 1980, p. 302-304). Signalons que les exploitations privées individuelles ont, elles aussi, le devoir d’appliquer le plan agricole annuel, établi par la planification agricole nationale au niveau de chaque localité et ce, après discussions et concertations avec les producteurs concernés.
9Les lois de la réforme agraire et de la formation paysanne ont également permis d’accorder des terres agricoles à l’Association paysanne coopérative en tant que personne morale, afin que celle-ci les exploite à son propre bénéfice. À terme, le parti Baas visait à transformer, graduellement et volontairement, les Associations coopératives agricoles de service en Coopératives de production ayant chacune la propriété commune des moyens de production et un système de travail collectif, afin de profiter des avantages de la grande production. Cette forme d’exploitation constituait aux yeux de la planification étatique et du parti Baas le modèle ultime du futur socialiste, permettant d’atteindre les buts sociaux et productifs recherchés par le mouvement coopératif (Mourad 1983, p. 215, loi no 21 de 1974, les PQDES jusqu’au VIe Plan – 1986-1990, les Congrès de l’UGP jusqu’au 8e Congrès de 1996).
Variations des politiques agricoles : vers une libéralisation contrôlée
10Depuis l’ère des réformes socialistes, l’économie syrienne est fondée sur la planification centralisée. Dans le secteur primaire, les superficies des différentes cultures sont déterminées, pour chaque région agricole, afin d’atteindre des volumes de production calculés selon les objectifs visés par la planification nationale. La politique agricole repose par ailleurs sur la mise en œuvre directe et le contrôle étroit par l’État de la production, de la tarification et des circuits de distribution, notamment dans les filières de cultures considérées comme stratégiques (blé, coton, betteraves à sucre, orge, maïs, etc.) dont l’État monopolise le commerce, intérieur et extérieur, ainsi que l’industrialisation. Les prix des intrants agricoles (semences améliorées, engrais, machines et carburant) et des récoltes achetées aux producteurs sont fixés préalablement et sur de longues périodes. Hors de toute référence aux marchés monétaires, ils obéissent à un système de tarification inscrit dans un réseau intégré de prix visant à s’adapter à des marchés orientés et dirigés (Baldissi 2002, p. 104-111).
11Dès la fin des années 1980, la Syrie devait cependant faire face aux conséquences économiques et financières de l’embargo imposé en 1979, qui avait fortement affecté le secteur agricole. Dans un contexte de reprise de la croissance économique, le secteur est stimulé pour tenter de combler le fossé alimentaire dont souffrait le pays. Les nouvelles ressources nationales issues des exportations pétrolières arrivent opportunément pour être efficacement affectées à l’amélioration des incitations à la production agricole (Sid Ahmed 1996, p. 173-189). Si le secteur public maintient son rôle de soutien des prix des intrants agricoles et des productions et demeure le principal agent de la commercialisation, à l’intérieur comme à l’extérieur, des produits agricoles (6e Congrès de l’UGP 1986, p. 164), l’État décide d’associer les capitaux privés à la production agricole et autorise la création de grandes sociétés anonymes syriennes « mixtes » pour la production et l’industrialisation agricoles dans lesquelles l’État participe à hauteur de 25 % du capital sous forme de terres (décret législatif no 10 de 1986).
12L’ouverture économique entreprise par l’État au début des années 90 consiste en fait en une libéralisation « contrôlée et graduelle » de son économie dirigiste. L’État annonce alors qu’il s’oriente vers l’abandon des subventions aux intrants agricoles, produits et distribués par le secteur public, en échange d’une augmentation considérable des prix garantis des récoltes stratégiques. Le secteur privé est désormais autorisé à importer et à commercialiser des moyens de production agricole (machines agricoles, engrais et pesticides). Des avantages sont accordés aux exportateurs, notamment de fruits et légumes, ainsi qu’aux investissements d’infrastructures relatives à ces cultures (dépôts frigorifiques, agences de transport de marchandises…). Par ailleurs, dans le but d’encourager les grands capitaux syriens et étrangers à investir en Syrie, la loi no 10 de 1991, dite loi d’investissement, autorise la constitution de grandes sociétés et leur accorde des avantages financiers et fiscaux et des facilités exceptionnelles pour importer les moyens nécessaires à la production et exporter une partie de celle-ci. Les directives du ministère de l’Irrigation émises à partir de 1994 permettent la création, sous certaines conditions, de grandes exploitations privées irriguées, notamment sur les terres limitrophes du lac Assad, réservoir du barrage de l’Euphrate (Badlissi 2002, p. 554‑556). La décision (no 83) de démanteler les fermes d’État a été prise par le parti Baas en 2000, puis officialisée par le décret législatif no 4 de 2005. Les terres de ces fermes devaient être distribuées en lots de 3 ha irrigués ou 8 ha pluviaux aux ayants droit (Ababsa 2006, Badlissi et Foy 2014). Enfin, un Fonds de soutien de la production agricole a été conçu (décret no 29 de 2008) pour remplacer progressivement toutes les formes de subventions aux prix des intrants et des produits agricoles. Dans le nouveau système, les producteurs reçoivent les sommes d’argent correspondant aux superficies qu’ils doivent consacrer, par décision annuelle du Conseil des ministres, à certaines cultures ou productions stratégiques (végétaux ou animaux) soutenues ou encouragées par l’État dans le cadre de la politique agricole globale.
13En 2004, la loi no 56 a réorganisé les relations agricoles et remplacé l’ancienne loi no 134 de 1958. La nouvelle loi vise à encourager les propriétaires fonciers à entreprendre de nouveaux investissements agricoles sur leurs terres, à condition qu’elles soient libres de tout engagement antérieur de métayage. La loi simplifie et clarifie les relations agricoles en autorisant la libre contractualisation, pour des durées déterminées, entre les différentes parties concernées par le travail agricole : propriétaire, métayers ou employés et ouvriers. Cependant, la loi no 56 de 2004, et la loi no 12 de 2011 qui la modifie, donnent le droit aux anciens métayers, ainsi qu’à leurs héritiers, de rester en métayage sur les terres qu’ils exploitent sous les principes des contrats qui avaient été pris en application de l’ancienne loi no 134. Elles donnent aussi le droit à l’ancien métayer de s’approprier la moitié de la terre et de libérer l’autre moitié au propriétaire foncier, s’ils se mettent d’accord pour mettre fin à leur engagement antérieur. Elles confient enfin aux tribunaux civils la tâche de résoudre les problèmes concernant les anciennes relations agricoles, dont la plupart sont devenues très compliquées. Les procès relatifs aux relations agricoles devaient auparavant être adressés aux tribunaux des relations agricoles, qui ont été dissous par la nouvelle loi no 56. La loi no 56 de 2004 permet donc au propriétaire foncier d’investir sur sa terre ou de l’exploiter, en toute tranquillité, en étant libre de choisir ses associés ou ses employés et selon les conditions qui conviennent à toutes les parties contractantes, si la terre est libre de tout engagement antérieur.
Le rôle pivot mais équivoque de l’irrigation
14L’irrigation, considérée comme la condition première du développement agricole et rural du pays, est au cœur de la stratégie du développement économique et social en Syrie. Les grands projets hydro-agricoles, notamment celui de l’Euphrate, ont incarné dans le discours politique officiel le défi présenté par les difficiles conditions climatiques de l’agriculture pluviale syrienne, ainsi que la volonté de transformer les conditions socio-économiques dans lesquelles vivait la population rurale. En réalisant des projets d’irrigation sur des sols pluviaux, marginaux ou incultes, l’État a cherché à fonder une agriculture stable, productive et rentable, à fournir du travail dans les campagnes, à freiner l’exode rural et à instaurer une meilleure distribution spatiale de la population.
15Le Ier PQDES (1960/61 – 1965/66) donnait à l’agriculture la première place dans le processus du développement, la considérant comme le support de tout progrès économique. Mais il annonçait également que les efforts des particuliers pour étendre l’irrigation par pompage individuel devaient prendre fin, dans la mesure où ces pratiques entraînaient des effets négatifs de salinisation des sols, d’érosion et d’épuisement des eaux souterraines. Pourtant, comme le précisait le plan, les potentialités hydriques du pays pourraient permettre de tripler la superficie irriguée totale et d’atteindre 1 500 000 ha à long terme. Les travaux hydro-agricoles pour l’extension de l’irrigation sur de grands périmètres ont désormais relevé des prérogatives de l’État (Ier PQDES 1960, p. 43-55), et dès le IIe PQDES (1966-1970) l’essentiel des investissements prévus pour l’irrigation a été concentré sur les aménagements hydro-agricoles dans l’aire de l’Euphrate. Tous les PQDES, du Ier jusqu’au Xe (2006-2010), ont visé les mêmes buts : l’extension maximale de la superficie aménagée et irriguée du pays, le développement des systèmes d’irrigation et l’amélioration de leur efficience, l’élaboration d’un plan général et détaillé des ressources hydriques du pays et de leurs exploitations, la prospection et la rationalisation de l’utilisation des eaux souterraines. Pour conserver les nappes aquifères, des mesures réglementaires restrictives ont été prises, dès 1958. Elles imposent des permissions préalables pour tout creusement de puits ou pour tout pompage à des fins d’irrigation (loi no 165 de 1958), interdisent les forages et limitent les pompages dans les régions menacées par une forte baisse du niveau des nappes d’eau (loi no 208 de 1959).
16Mais la faible efficience des réseaux d’irrigation en Syrie (de 50 à 65 %) entraîne un important gaspillage d’eau, ce qui paraît irrationnel dans un pays qui se caractérise par une rareté hydrique structurelle. Pour remédier à cette situation, l’État a lancé en 2001 le Projet national pour la transformation à l’irrigation moderne (PNTIM). Les techniques d’irrigation par aspersion et par goutte-à-goutte devaient se généraliser sur toute la superficie irriguée du pays et se substituer aux techniques traditionnelles (superficielles ou par submersion). La situation des puits non autorisés devait être réglée et tout pompage des nappes phréatiques contrôlé. Le projet aurait dû être réalisé sur une période de 4 ans, de 2001 à 2004. Mais au vu des modestes résultats obtenus, plusieurs mesures législatives et administratives ont été prises en 2005. La loi no 31 de 2005, élaborant une « législation hydrique » tant attendue, cherche à assurer la durabilité du développement de l’irrigation. L’Organisation générale des ressources hydriques, créée par le décret no 90 de 2005, doit gérer les ressources hydriques du pays selon un plan d’ensemble. Elle doit par ailleurs faciliter les démarches administratives aux agriculteurs pour obtenir des prêts à l’irrigation, très avantageux, auprès du fonds de soutien du PNTIM, constitué de 2,5 milliards de Livres syriennes (décret législatif no 91 de 2005 et loi no 20 de 2010). Des structures administratives relatives à la réalisation de ce projet ont été implantées dans toutes les directions de l’Agriculture du pays pour réaliser les objectifs du PNTIM au bout de dix ans.
Les grands objectifs de la politique agricole syrienne à l’épreuve des réalités : entre espoirs, réalisations et impasses
17Le panorama dressé ci-dessus à partir des textes législatifs et des engagements politiques doit cependant être confronté à la réalité des pratiques qui laisse apparaître des distorsions entre les projets et leur réalisation, que l’on peut repérer tant au niveau des résultats de la réforme agraire que dans le registre de l’irrigation ou de la participation du secteur primaire à l’économie nationale.
Réformes et restructurations agraires : un bilan mitigé
18La mise en application de la loi de réforme agraire, de la distribution par l’État de ses terres domaniales et de ses terres domaniales aménagées et irriguées dans le Ghâb Acharné et Rouge6 fut achevée, pour l’essentiel, en 1970. À cette date, un total d’environ 900 000 ha avait été distribué (15 % de la superficie exploitée) à 104 000 familles paysannes, soit 624 000 personnes qui représentaient alors 17,5 % de la population rurale. Les lots par famille bénéficiaire oscillaient autour de 3 ha irrigués ou 15 ha pluviaux (Chaddadet al. 1982, p. 251). Une grande partie de la superficie irriguée distribuée par la réforme agraire se situait dans le Ghâb-Acharné où 1 000 paysans et bédouins ont bénéficié chacun de 2,5 ha irrigués (Métral 1980, p. 310). Toutefois, la majeure partie des familles paysannes syriennes (environ les deux tiers) n’a pas bénéficié de la distribution foncière et demeure sans terres agricoles (Khader 1984, p. 361).
19Les derniers bilans, établis à la fin de l’année 2000, montrent que la superficie totale des terres expropriées en application de la loi de réforme agraire s’élève à 1 389 699 ha, dont 41 773 ha en application du décret législatif no 31 de 1980, et le nombre des expropriés est de 6 638 personnes. Il ressort du tableau 1, qui constitue la première synthèse des données disponibles, que la superficie totale distribuée aux bénéficiaires de la réforme agraire (terres expropriées et domaines d’État) représente 16 % de la superficie agricole exploitée du pays en l’an 2000 (5 352 000 ha). La superficie vendue représente 8,4 % de ce total, 17,5 % des terres sont louées par l’État, essentiellement à des particuliers, et 7,8 % sont confiées à des institutions gouvernementales. L’UGP a toujours contesté ces locations, revendiquant la distribution ou la vente définitive des terres louées aux paysans pour fixer ceux-ci sur leurs exploitations. Au total, la superficie agricole distribuée, vendue et louée ou confiée par l’État atteint la moitié de la superficie agricole exploitée du pays en l’an 2000.
20L’intervention de l’État dans le foncier agricole s’avère donc importante, et dépasse les évaluations avancées jusqu’à présent. En outre, l’État a continué durant les années 2000 à vendre et à distribuer ses propriétés terriennes aux locataires ou aux ayants droit et il a effectué la distribution des terres des fermes d’État démantelées aux ayants droit, en application de la décision no 83 de 2000 du parti Baas et du décret législatif no 4 de 2005 (Ababsa 2006, Badlissi et Foy 2014). Ainsi, le démantèlement des fermes d’État doit être surtout vu comme un processus de normalisation dans les territoires où les modes d’exploitation, par rapport au reste de la Syrie, étaient particuliers, et non comme une mesure de rupture idéologique et politique ou comme une contre-réforme agraire (Badlissi et Foy 2014).
Tableau 1 – Suivi de destination des terres agricoles expropriées par la réforme agraire et des terres domaniales agricoles cadastrées en Syrie jusqu’en 2000.
Situation des terres | Superficies expropriées (Loi de réforme agraire) | Superficies des terres domaniales agricoles cadastrées | Total |
Superficies distribuées aux bénéficiaires | 554 744 | 303 444 | 858 188 |
Superficies vendues | 5 685 | 444 812 | 450 497 |
Superficies louées (différentes modalités) | 448 094 | 490 584 | 938 678 |
Superficies confiées aux institutions gouvernementales | 140 491 | 277 897 | 418 388 |
Superficies inexploitables ou exclues de l’exploitation agricole | 240 685 | 882 236 | 1 122 921 |
Total | 1 389 699 | 2 398 973 | 3 788 672 |
Source : Tableau établi à partir de plusieurs bilans définitifs officiels dressés en 2000 et présentés au 9e Congrès de l’Union générale des paysans, 2001.
21Le premier recensement agricole de 1970 montre une grande disproportion dans la taille des propriétés et surtout des exploitations agricoles. Car bien que la loi ait fixé les limites de « la propriété », elle n’a jamais fixé des limites concernant la taille de « l’exploitation ». Les grandes exploitations (100 ha et plus) constituent 1 % du total des exploitations (469 349 en 1970) mais couvrent 21 % de la superficie agricole (essentiellement sur des terres pluviales). En revanche, les petites exploitations (moins de 10 ha), qui constituent 74 % du total des exploitations, ne couvrent que 22 % de la superficie agricole. En effet, en voulant « transformer un grand nombre de paysans en de petits propriétaires libres, plus attachés à la terre qu’ils exploitent » (Raisons impératives du décret no 88 de 1963), la réforme agraire a contribué à l’émiettement excessif de la propriété agricole et à l’augmentation du nombre des petites exploitations, devenu plus important encore en raison des divisions par héritage dans un contexte de forte croissance démographique (Badlissi 2002, p. 87-88). Tout le processus de la réforme agraire s’est axé durant de longues années sur la distribution et l’appropriation des petits lots de terre aux bénéficiaires.
22Par ailleurs, si la réforme agraire avait « ordonné » la formation de coopératives de service sur les terres distribuées aux bénéficiaires, elle avait seulement « autorisé » l’instauration de « fermes collectives », dans certaines conditions « exceptionnelles » (décret no 88 de 1963). Les Associations paysannes coopératives, qui devaient pallier les inconvénients de la parcellisation, sont demeurées constituées d’exploitations indépendantes ; il s’agit donc plutôt d’exploitations privées de type coopératif (Badlissi et Foy 2014). Ces Associations et leurs membres n’ont cessé d’augmenter en nombre : de 293 en 1960 (dont 105 coopératives de la réforme agraire et 188 coopératives relatives aux particuliers) à 5 672 en 2010, regroupant 1 037 585 membres. La superficie agricole exploitée par le secteur coopératif constitue 44 % de la superficie agricole du pays. Mais ces coopératives de service ne se sont jamais transformées en « coopératives de productions », ce modèle n’ayant guère attiré les exploitants agricoles. Les quelques expériences pilotes ont échoué. Dans les années 1970, sur 7 coopératives de production, constituées à partir de 1969, deux étaient déjà dissoutes. En 1985, six autres coopératives ont été transformées en coopératives de service en raison du refus de leurs membres de continuer le travail collectif, auquel ils ne s’étaient jamais adaptés. Les débats des Congrès de l’UGP (du 4e en 1981 au 11e en 2011) ont souligné l’immaturité de l’expérience du travail productif collectif en Syrie, due aux difficultés techniques, administratives, comptables et sociales, notamment la mentalité individuelle des exploitants agricoles, et ont finalement proposé de réviser ce modèle. En 2010, les cinq coopératives de production restantes comptent 630 membres, et l’ensemble de leur superficie agricole exploitée n’est que de 873 ha.
23L’exemple de la coopérative de production d’al-Mintar (gouvernorat de Tartous) permet de pointer ces dysfonctionnements. Elle a été constituée en 1970 sur 160 ha, dont 10 ha irrigués, mais la totalité de la superficie devait être alimentée par un réseau d’irrigation réalisé à partir des sources de Fawar et Saëd. Les travaux n’ont toutefois été entrepris que durant la deuxième moitié des années 1980, et encore partiellement. Plusieurs membres avaient déjà alors quitté le travail agricole pour des emplois plus rémunérateurs. Le nombre des membres engagés avait ainsi chuté de 36 à 12. Cependant, les membres qui ont quitté le travail continuent à recevoir leur part de la production. Par ailleurs, la plupart des membres de la coopérative étant d’âge mûr, ils font appel à des ouvriers agricoles saisonniers, ce qui hausse les dépenses et baisse le bénéfice. Enfin, l’existence d’une coopérative de service dans le même village provoque des situations de conflit entre les deux coopératives.
24En ce qui concerne les terres distribuées aux Associations agricoles coopératives de service en tant que personnes morales, le système est confronté à de multiples problèmes qui empêchent une exploitation adéquate ; leur superficie totale « exploitable » n’a jamais excédé les 8 715 ha (XIe Congrès de l’UGP 2011, p. 129-134). Ainsi, les exploitations privées (coopératives et individuelles) ont toujours détenu la presque totalité de la superficie agricole exploitée du pays. Les fermes d’État, qui ont vu le jour en 1965, sont restées limitées en nombre et en superficie. En l’an 2000, à la veille de leur démantèlement, la superficie exploitée par le secteur public (43 000 ha de fermes d’État et de terres aménagées détenues par les institutions étatiques durant la période de leur mise en culture irriguée) ne représentait que 0,8 % de la superficie agricole exploitée du pays. En fait, « les fermes d’État en Syrie qui sont apparues par obligation de circonstances, n’avaient constitué qu’un détail dans l’histoire du paysage agricole syrien » (Badlissi et Foy 2014).
25Les sociétés « mixtes » constituées en 1986 et 1987 conformément au décret législatif no 10 de 1986 n’ont pas été non plus un succès, en dépit des facilités et avantages accordés par les institutions étatiques, notamment les banques. Ces sociétés, qui couvrent une superficie agricole exploitée de 4 572 ha, mais dont le nombre est tombé à cinq, sont loin de réaliser les buts productifs et sociaux pour lesquels elles avaient été créées (Xe Congrès de l’UGP 2006, p. 126-128), même s’il serait sans doute encore possible pour deux d’entre elles de se développer et de réussir (XIe Congrès de l’UGP 2011, p. 118-121). Enfin, les sociétés « d’investissement » fondées selon les règlements de la loi no 10 de 1991 étaient 52 en 2000, et 5 200 en 2010. Or, les sociétés relatives à la production agricole, végétale et animale, et les sociétés de services agricoles représentent à peine 4 % de ce total. La faiblesse des grands investissements privés dans le secteur agricole est due à l’émiettement et à la dispersion des exploitations agricoles, à l’indisponibilité de grandes superficies exploitables, à la complexité, très gênante pour les investisseurs, de la loi sur les relations agricoles, à la forte probabilité de risque, aux montants élevés des capitaux fixes et à la longue durée du retour sur capital.
Le contrôle de l’eau d’irrigation : un mirage ?
26Le Ier PQDES, qualifié de « plan agricole », prévoyait d’accorder au secteur agricole 40,4 % du total des investissements du plan, essentiellement (30,5 %) pour les aménagements hydro-agricoles destinés à accroître la superficie irriguée du pays de 50 %. Or ce plan, interrompu pendant la période « séparatiste », n’a pas pu être mis en oeuvre. Du IIe au Ve plan, les investissements prévus au secteur agricole ont ensuite constitué 25 % en moyenne des investissements totaux des quatre plans, dont l’essentiel a été consacré à la réalisation du grand projet de l’Euphrate qui devait permettre l’aménagement de 640 000 ha irrigués, dont 450 000 ha à gagner sur des sols incultes. La construction du barrage, qui a reçu l’appui financier et l’encadrement technique de l’URSS, a débuté en 1966 et s’est achevée en 1975. Les cinq premiers plans (1960-1985) ont ainsi réservé aux travaux d’infrastructure que nécessite l’irrigation (construction des barrages et travaux de mise en valeur des sols) la majeure partie (72 % en moyenne des cinq plans) des investissements initiaux prévus au secteur agricole. Chaque plan prévoyait qu’à son terme un fort accroissement de la superficie équipée et irriguée, notamment dans l’aire de l’aménagement de l’Euphrate, allait se réaliser. Mais les réalisations effectives ont été bien inférieures aux promesses des PQDES : 17 % seulement des superficies à mettre en valeur durant les IIIe, IVe et Ve PQDES (536 000 ha) l’ont été effectivement. Des obstacles techniques, financiers, sociaux et surtout administratifs retardèrent les réalisations (Badlissi 2002, p. 202-214). Ainsi, jusqu’en 1985, les superficies irriguées par les réseaux gouvernementaux n’excédaient pas 29 % du total de la superficie irriguée du pays.
27À partir de 1990, le pays a enregistré une forte poussée de l’irrigation. En cinq ans, la superficie irriguée est passée de 693 000 ha à 1 089 000 ha en 1995, soit une augmentation de 57 %. Celle-ci est due essentiellement à la multiplication des puits illégaux forés par les particuliers. Durant la période 1990-95, la superficie irriguée à partir des puits a doublé, passant de 342 000 ha en 1990 à 686 000 ha en 1995, puis elle a atteint 865 000 ha en 2005, entraînant une surexploitation, encore plus forte qu’auparavant, des ressources souterraines, et menaçant ainsi leur renouvellement et leur continuité. Cet accroissement a entraîné en effet une grave baisse des niveaux des nappes aquifères ainsi qu’un fort déclin des débits des puits et même des sources d’eau alimentant les réseaux d’irrigation gouvernementaux, comme dans les bassins hydrographiques de l’Oronte et du Khabour. Cette situation est due, dans une large mesure, à l’activité des exploitants en réponse à la politique incitative étatique, entreprise à partir de 1989, qui visait l’augmentation de la production agricole en fixant des prix agricoles avantageux. À cela s’ajoute la disponibilité plus aisée des moyens de production sur le marché. Les agriculteurs ainsi encouragés ont cherché à augmenter leur production, notamment de blé et de coton, par tous les moyens d’irrigation possibles. La régularisation périodique des infractions, l’octroi de permissions exceptionnelles de forage ou de pompage et l’attitude hésitante et indulgente des autorités envers ces forages illégaux, reflète une situation réelle de « laisser-faire », en dépit de la fermeté et des sanctions affichées par les directives réglementaires en vigueur. La superficie irriguée et la production agricole ont donc augmenté sans prendre en considération les dimensions économiques et écologiques de long terme, et en l’absence de tout programme d’ensemble visant une exploitation rationnelle et la conservation adéquate de ces ressources hydriques.
28La planification nationale, qui souligne toujours la nécessité de protéger les ressources hydriques menacées et d’accélérer l’exécution des travaux hydro-agricoles décidés par le gouvernement, se trouve elle aussi dépassée par les faits accomplis. Elle continue toutefois de prévoir la mise en valeur par l’irrigation de grandes superficies : environ 500 000 ha au total du VIe jusqu’au IXe PQDES, dont la moitié dans l’aire d’aménagement de l’Euphrate. Ces travaux ont nécessité les deux-tiers des investissements prévus pour le secteur agricole. Le IXe PQDES a préconisé la diminution de la superficie irriguée par les puits à l’échelle nationale, leur interdiction dans certaines régions, et il a lancé le PNTIM. Or le creusement de puits non-autorisé s’est encore accentué. En revanche, les superficies équipées par les techniques d’irrigation modernes conformément au PNTIM sont restées modestes : 20 000 ha en moyenne annuelle, alors qu’il avait été décidé d’équiper 250 000 ha par an au cours des années 2001-2004 (Xe PQDES 2006, p. 337, Xe Congrès de l’UGP 2006, p. 106). Le Xe PQDES, plus réaliste, préconise de se limiter à l’achèvement des projets déjà en cours d’exécution (sols à irriguer par l’Euphrate au sud d’Alep). Il soulève, avec force, les problèmes du déficit hydrique engendré par la surexploitation non renouvelable des nappes phréatiques. Il prévoit qu’à l’échéance de 2015 le creusement aléatoire des puits soit arrêté, les infractions réglées, que l’exploitation de l’ensemble des ressources hydriques mobilisées soit contrôlée et organisée, et que la totalité de la superficie irriguée du pays soit équipée par les techniques d’irrigation moderne en application de la loi et des décrets promulgués en 2005 (Xe PQDES 2006, p. 335-362). Mais sur le terrain, le creusement des puits non autorisés progresse. Ceux-ci constituent 57 % des 230 000 puits du pays en 2010.
Tableau 2 – Évolution des superficies irriguées en Syrie selon la provenance de l’eau et les moyens d’irrigation (1960-2010).
Année | Superficie irriguée par pompage individuel à partir des puits | Superficie irriguée à partir des eaux de surface | Total de la superficie irriguée en Syrie | ||||
Irrigation individuelle | Réseaux gouvernementaux | ||||||
000 ha | du total | 000 ha | du total | 000 ha | du total | 000 ha | |
1950 | 37 | 9 | 395 | ||||
1960 | 45 | 9 | 527 | ||||
1970 | 134 | 30 | 189 | 42 | 127 | 28 | 450 |
1985 | 318 | 49 | 145 | 22 | 189 | 29 | 652 |
1990 | 342 | 49 | 96 | 14 | 255 | 37 | 693 |
1995 | 686 | 63 | 120 | 11 | 283 | 26 | 1 089 |
2005 | 866 | 61 | 234 | 16 | 326 | 23 | 1 426 |
2010 | 727 | 54 | 237 | 18 | 377 | 28 | 1341 |
Sources : 1) Jusqu’en 1995, voir notre évaluation des superficies irriguées par les réseaux gouvernementaux et par conséquent les superficies irriguées à partir des eaux de surface (Baldissi 2002, p. 157, 159, 162).2) Pour les années 2005 et 2010 : The Annual Agricultural Statistical Abstract 2010. Cet annuaire ne donne les statistiques des superficies irriguées par les réseaux gouvernementaux qu’à partir de 2002.
29Quant à la superficie équipée par les techniques d’irrigation modernes, elle a augmenté de 244 000 ha en 2005 à 298 000 ha en 2010 (de 17 % à 22 % de la superficie irriguée totale). Seuls 5 520 exploitants concernés par l’irrigation ont obtenu des prêts du Fonds de soutien du PNTIM pour équiper une superficie de 35 000 ha (XIe Congrès de l’UGP 2011, p. 136-137). Les complications techniques, économiques et surtout administratives retardent toujours les démarches. C’est pourquoi la majeure partie des superficies équipées pour l’irrigation par aspersion et goutte-à-goutte en Syrie le sont par les propres moyens des particuliers.
La part de la production agricole dans l’économie nationale
30L’évolution du PIBA (tableau 3) reflète, dans une large mesure, les aléas de l’histoire politique de la Syrie. Entre 1963 et 1970, la baisse du PIBA est causée par les changements survenus dans les structures agraires et par la politique étatique rigide qui les a accompagnés. Entre 1970 et 1980, le PIBA s’est accru grâce à une certaine stabilité politique et sociale, à l’allégement des interventions étatiques et au développement des moyens de production et des services. Cependant, le fossé alimentaire s’est creusé davantage dans la balance commerciale (tableau 5). La baisse du PIBA et le déficit alimentaire accru durant les années 1980 résultent surtout de la situation politique et économique que le pays a dû affronter. Dans ce contexte difficile, aucun des objectifs prévus par la planification nationale n’a pu être atteint.
31Dès les années 1990, avec la politique « d’ouverture », la politique agricole s’est orientée vers une libéralisation graduelle et progressive, tout en suivant une politique des prix agricoles incitative afin de stimuler la production. Il en est résulté, comme on l’a vu, un fort accroissement de la superficie irriguée du pays. Le secteur privé contribue désormais aux importations des moyens de production agricole comme aux exportations de certains produits agricoles, notamment les fruits et les légumes. Dès lors, le PIBA a augmenté, ainsi que les exportations agricoles, alors que les importations agricoles ont considérablement diminué. En 2000, la balance commerciale alimentaire du pays devient excédentaire.
32Toutefois, l’intervention de l’État reste forte dans le domaine de la production agricole et se manifeste à tous les niveaux : instauration et maintenance d’infrastructures, organisation des services, contrôle de différentes activités et fixation des prix d’achat aux producteurs des cultures stratégiques dont les filières restent de fait détenues par les institutions étatiques. Cependant, le système particulièrement complexe des subventions s’est allégé. À l’heure actuelle, l’État fixe toujours les prix des principales récoltes stratégiques (blé, orge, lentilles, pois chiche, coton, betteraves à sucre et tabac), ce qui permet d’assurer aux producteurs des marges de bénéfices qui correspondent à l’importance de chaque culture. Sont fixés également, à l’avantage des éleveurs, les prix des produits fourragers distribués ou vendus par les institutions étatiques. Désormais, seuls le blé, le coton, la betterave à sucre et le tabac sont commercialisés par l’État, toutes les autres productions végétales et animales étant librement commercialisées par le secteur privé. La politique de soutien aux prix des intrants agricoles se limite actuellement au prix du carburant et aux coûts de fonctionnement des réseaux d’irrigation gouvernementaux. En compensation, le Fonds de soutien de la production agricole fournit, depuis 2009, des aides financières, par hectare, aux producteurs de blé, coton, betteraves à sucre, orge et olives.
33De fait, à partir de 1990, la production agricole a recommencé à augmenter fortement en Syrie, ainsi que les exportations agricoles du pays malgré l’augmentation des besoins alimentaires liée à l’accroissement de la population. Durant la décennie 2000-2010, la Syrie a pu réaliser son autosuffisance en blé, la denrée de base dans l’alimentation du pays, ainsi qu’en coton, légumineuses (fèves, pois chiches et lentilles), différents fruits et légumes, pommes de terre, olives et huile d’olive, cumin et anis, ainsi qu’en produits animaux (œufs, volailles, différentes viandes rouges et laine). D’importants excédents de ces produits ont en outre été exportés. En revanche, la Syrie continue d’importer des huiles végétales, du sucre, du riz, des produits laitiers (beurre et lait en poudre), des poissons, et surtout du maïs et de l’orge. Avec l’augmentation des productions agricoles, la part de PIBA par habitant a pu être maintenue, et a même augmenté à partir de 1990. De même, le PIBA a pu maintenir sa part dans le PIB, dont il a toujours constitué environ le quart jusqu’en 2005.
34L’irrigation a joué un rôle majeur dans cette augmentation de la production. La quantité de la production irriguée constitue 75 % du total de la production agricole du pays en 2005 et 2010, bien que la superficie irriguée n’occupe que 25 % de la superficie agricole exploitée. Soulignons que ce sont les espèces les plus chères qui sont cultivées sur les sols irrigués. Lors des années sèches, la contribution de l’agriculture irriguée devient plus élevée, garantissant la réussite des récoltes et allégeant les effets de la sécheresse. Mais, on l’a vu, à partir de 1990, l’extension de l’irrigation a entraîné des effets négatifs, l’accroissement de la production agricole se faisant au prix de la surexploitation des nappes aquifères et au risque de la mise en péril, à terme, des ressources hydriques, notamment souterraines. C’est ainsi que la superficie irriguée a baissé en 2010.
Tableau 3 – Évolution de l’indice du PIBA (Produit intérieur brut agricole) en Syrie au prix du marché 1963-2010.
Année | Évolution du PIBA aux prix constants de 2000 | ||
Indices (2000 = 100) | Indices par habitant000 LS | du PIBA dans le PIB | |
1963 | 28 | 12,6 | 39 |
1970 | 24 | 8,3 | 29 |
1980 | 59 | 15,2 | 29 |
1985 | 55 | 12,1 | 24 |
1990 | 57 | 10,5 | 25 |
1995 | 79 | 12,4 | 23 |
2000 | 100 | 13,7 | 25 |
2005 | 119 | 14,5 | 23 |
2010 | 107 | 11,6 | 16 |
Source : Tableau établi à partir des chiffres du Statistical Abstract des différentes années.
Tableau 4 – Évolution des superficies agricoles exploitées et irriguées par hectare et par habitant en Syrie 1963-2010.
Année | Nombre d’habitants évalué au milieu de l’année000 hab. | Superficie agricole exploitée | Superficie irriguée | |||
000 ha | Par habitant(ha) | 000 ha | dans la superficie agricole exploitée | Par habitant(ha) | ||
1963 | 4 992 | 6 942 | 1,39 | 670 | 10 | 0,13 |
1970 | 6 305 | 5 899 | 0,94 | 450 | 8 | 0,07 |
1980 | 8 704 | 5 684 | 0,65 | 539 | 9 | 0,06 |
1985 | 10 267 | 5 623 | 0,55 | 652 | 12 | 0,06 |
1990 | 12 116 | 5 626 | 0,46 | 693 | 12 | 0,06 |
1995 | 14 285 | 5 502 | 0,39 | 1 089 | 19 | 0,08 |
2000 | 16 320 | 5 352 | 0,33 | 1 211 | 20 | 0,07 |
2005 | 18 269 | 5 562 | 0,30 | 1 426 | 26 | 0,08 |
2010 | 20 619 | 5 696 | 0,28 | 1 341 | 24 | 0,07 |
Source : Tableau établi à partir des chiffres du Statistical Abstract.
Tableau 5 – Évolution des indices d’importations alimentaires dans la balance commerciale syrienne 1971-2010.
Année et moyenne annuelle | IndicesImp /Exp | Part des produits alimentaires dans la balance commerciale | |
Exportation = 100 | des importations alimentaires dans les importations totales | % des exportations alimentaires dans les exportations totales | |
1971-75 | 538 | 23 | 7 |
1976-80 | 691 | 13 | 4 |
1981-85 | 854 | 16 | 4 |
1990 | 129 | 30 | 13 |
1995 | 139 | 14 | 12 |
2000 | 72 | 15 | 9 |
2005 | 172 | 9 | 9 |
2010 | 131 | 15 | 18 |
Source : Tableau établi à partir des chiffres du Statistical Abstract, 1971-2011.
35Par ailleurs, les rendements irrigués obtenus sont bien inférieurs aux rendements qu’il serait possible d’obtenir par une gestion plus adéquate ; le rendement du blé, qui s’établit actuellement autour de 3,5 t/ha, pourrait ainsi doubler. En outre, l’industrialisation agricole et agroalimentaire, malgré les progrès qu’elle a réalisés ces dernières années, n’a pas pu atteindre le niveau attendu, et les potentialités de son développement restent importantes. La commercialisation des productions agricoles accuse plusieurs problèmes structurels, comme le manque de moyens de transport et d’équipements. Les exportations des produits agricoles bruts et manufacturés ont du mal à trouver des débouchés stables et durables. De plus, les directives étatiques peuvent interrompre, sans préavis, les exportations de certaines denrées quand elles sont jugées nécessaires pour le marché intérieur. Ces pratiques témoignent de certaines réticences à l’égard du processus de libéralisation, alors que la libération graduelle des prix, celle du commerce intérieur et extérieur, ainsi que l’allégement des directives institutionnelles, étaient censées s’inscrire dans la perspective de la réalisation des conditions exigées par l’Union Européenne pour conclure avec la Syrie l’accord de partenariat syro-européen et répondre aux exigences de ses autres partenaires (OMC et « zone de libre‑échange arabe »).
36Il faut souligner enfin que la constante poussée démographique en Syrie pèse lourdement sur la richesse globale du pays, et notamment sur les ressources naturelles. La superficie agricole exploitée par habitant baisse, de même que les ressources hydriques. Ceci réduit les résultats du développement économique du secteur agricole et ses répercussions sur l’économie nationale. Pourtant, parallèlement à la modernisation des moyens de production et à l’émiettement des propriétés agricoles, le nombre des actifs agricoles tombe de 1 430 000 actifs en 2000 (32 % du total des actifs du pays) à 758 000 en 2009 (15 % des actifs du pays). En dépit de cette baisse, le secteur agricole en Syrie dispose toujours d’un surplus de main-d’œuvre. S’impose donc avec force une réflexion globale sur l’emploi dans le secteur primaire, et sur la promotion de nouvelles activités dans le cadre d’un développement économique et social durable au niveau des régions rurales.
En guise de conclusion : quel avenir pour le secteur primaire syrien ?
37En un demi-siècle, la politique agricole a débouché sur des acquis importants, tant socio-économiques pour une large classe paysanne, que productifs au niveau des comptes nationaux. Mais en dépit des efforts et investissements réalisés par l’État, les résultats demeurent en deçà des espérances. Si la réforme agraire est allée dans le sens d’une meilleure équité sociale, elle a aussi participé à la parcellisation des propriétés et le système coopératif n’a jamais pu évoluer vers de grandes unités de production. Même la libéralisation entreprise depuis les années 1990 n’a pas porté tous les fruits attendus ; la Syrie demeure l’un des pays du monde les moins attractifs pour les investisseurs potentiels. La législation demeure d’une grande complexité, parfois contradictoire, et le foisonnement des instances administratives empêche l’élaboration d’une politique claire à proposer aux investisseurs 7. Une profonde révision législative s’impose donc, tant sur les lois foncières (expropriation et appropriation, cadastration, enregistrement des terrains, remembrement…) que sur les lois de l’exploitation et des relations agricoles (location et association), et que sur celles des organisations paysannes, syndicales et des chambres d’agriculture. Les procédures administratives, actuellement lourdes et discrétionnaires, doivent être allégées.
38Il faudrait désormais franchir une nouvelle étape vers la modernisation des structures agraires. Nombreuses sont les modalités possibles qui permettraient aux propriétaires fonciers, aux grands et aux petits exploitants agricoles, aux collectivités locales, aux associations de producteurs spécialisés ainsi qu’aux investisseurs de se réorganiser dans le cadre d’une restructuration agraire volontaire, utile et rentable. Ces changements pourraient conduire à un fort développement agricole, dans tous les domaines, à un meilleur emploi de la force humaine dans les campagnes et à une productivité croissante dans le cadre d’un développement durable, tant au niveau local que national.
39Les campagnes syriennes sont remplies de chômeurs permanents, temporaires et saisonniers. Selon les chiffres officiels, le nombre total des actifs agricoles serait de 758 000 alors que les seuls membres des Associations paysannes coopératives s’élèvent déjà à 1 038 000, dont 9,5 % de femmes. Sachant que nombre de femmes et d’enfants travaillent sur les exploitations agricoles, il est clair que le nombre de personnes qui travaillent partiellement, à défaut de trouver un autre emploi, et qui ne sont pas comptées parmi les actifs agricoles, est énorme. Ceci révèle une situation de « chômage aigu » dans le secteur primaire. Le travail partiel, de modestes revenus annuels, sont devenus, tout comme la micro-exploitation agricole, des obstacles au développement agricole. La croissance démographique et celle de la force de travail agricole, dont une grande partie se trouve en chômage, font baisser la productivité par actif et le niveau de vie des familles paysannes nombreuses. S’il est bien évident qu’il faudrait absorber cette main‑d’œuvre excédentaire dans d’autres secteurs d’activité, il serait plus important encore de maîtriser la croissance démographique, qui pèse lourd sur l’économie nationale et familiale, en promouvant un développement social et socioculturel prenant en compte la problématique démographique à tous les niveaux, national, local et familial.
40La rareté hydrique qui caractérise les ressources naturelles en Syrie place l’irrigation, gage de la production agricole, devant les défis du développement durable. Ceci exige la rationalisation de l’irrigation qui doit reposer sur trois principes fondamentaux : 1) Réduire les gaspillages d’eau en augmentant l’efficience des réseaux d’irrigation, non seulement par la modernisation des systèmes d’irrigation dans les champs, mais aussi et surtout au niveau des canaux de transport et de distribution de l’eau dans les aménagements gouvernementaux. 2) L’exploitation équilibrée des ressources hydriques renouvelables en évitant leur surexploitation et leur pollution grâce à l’organisation et au contrôle continus des pompages des nappes aquifères et à la maintenance permanente des systèmes d’irrigation et de drainage sur les périmètres aménagés. 3) Le choix des cultures doit se baser sur les évaluations hydro-économiques comparatives des différentes cultures, tant au niveau des prix du producteur qu’à celui des comptes nationaux, afin d’optimiser la production économique d’une eau d’irrigation limitée par rapport à la superficie des sols cultivables, et en référant l’analyse des filières de production agricole aux prix mondiaux (Badlissi 2002, 2003 et 2009).
41Pour affronter les problèmes actuels de l’irrigation, il serait indispensable d’instaurer une stratégie nationale de l’irrigation prenant en compte tout à la fois les intérêts individuels des irrigants et les intérêts nationaux économiques et environnementaux. Une telle stratégie ne pourrait atteindre ses buts sans être accompagnée des moyens techniques, réglementaires, administratifs et surtout d’une réelle volonté politique. Dans ce contexte, la législation hydrique, reformulée, devrait déterminer précisément les droits et les devoirs de toutes les parties concernées, gouvernementales et privées, pour pouvoir appliquer sérieusement les lois en vigueur.
42Les potentialités de développement agricole sur les sols pluviaux, notamment l’arboriculture, et celles de l’élevage dans la Badiya (steppe), sont grandes et multiples. Pour que leurs productions ainsi que les productions irriguées débouchent, en toute rentabilité, sur les marchés intérieurs et extérieurs, il serait bénéfique de les combiner à des transformations industrielles et des structures de commercialisation appropriées. En effet, le développement territorial passe par une diversification des activités économiques. L’État et les collectivités doivent contribuer à l’implantation d’activités industrielles, artisanales et de tourisme, aujourd’hui mal organisées et presque inexistantes dans la plupart des régions rurales. Cela impliquerait également des efforts pour développer les formations professionnelles en lien avec ces activités, afin de qualifier la jeune main-d’œuvre. Des politiques d’aménagement du territoire régional sont ainsi à concevoir pour améliorer la vie économique, sociale et les services publics dans les régions rurales. Il est urgent aussi d’apporter des solutions aux problèmes de construction et de logement dans ces régions.
43Cependant, dans le contexte actuel du conflit qui ensanglante la Syrie, toutes ces potentialités demeurent à l’état latent. Les nombreuses limites, voire les échecs observés tout au long de cette analyse du processus de développement du secteur primaire, tel qu’il a été poursuivi depuis un demi-siècle, marquent sans doute la fin d’une époque historique. Il pourrait sans doute y avoir à l’avenir les perspectives d’un redressement de ce processus, dans des formes à la fois efficaces et progressistes, qui protégeraient les acquis positifs dans le secteur primaire. Avec le retour de la paix, tous les paris seraient ouverts…
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Notes de bas de page
1 Voir les Plans quinquennaux de développement économique et social (PQDES), du premier (1960/1961 - 1964/1965) au dixième (2006-2010).
2 L’indice climatique d’Emberger sert à définir les cinq différents types de climats méditerranéens.
3 Pour les dispositions législatives, les anciennes réglementations et celles en vigueur, mentionnées, citées et analysées dans cet article, nous nous sommes référés à leurs textes originaux officiels.
4 Une nouvelle baisse des limites maximales de propriété – 15 à 45 ha irrigués, 30 à 45 ha de vergers ou 55 à 200 ha pluviaux – est décrétée en 1980 (décret législatif no 31), plus pour des raisons politiques que socio-économiques dans le contexte du bras de fer engagé avec les Frères musulmans (5e Congrès de l’UGP 1981, p. 58).
5 La propriété de chacun n’excédant pas le double de la superficie maximale autorisée à la distribution par la loi de la réforme agraire.
6 Opérations qui correspondent respectivement à la loi no 161 de 1958 et ses amendements, et aux décrets législatifs no 166 de 1968 et no 66 de 1969.
7 Cet aspect a notamment été soulevé lors de la Rencontre Nationale de Dialogue Économique, organisée par le gouvernement syrien, qui s’est tenue à Damas du 30 octobre au 1er novembre 2011, et à laquelle participaient 300 personnalités officielles et privées venant de tous les domaines économiques. Plusieurs interventions ont durement critiqué « l’économie sociale du marché » adoptée par le Xe Congrès du Parti Baas, considérée comme anti-sociale et qui s’est répercutée négativement sur l’économie productive du pays. Certains experts ont appelé à lui substituer l’établissement d’un « Projet National de Développement » (sources : journaux syriens).
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