Quelques problèmes économiques et fiscaux de l’Iraq, būyide ḍ’après un traité de mathématiques*
p. 367-399
Texte intégral
1Ce qu’on a écrit jusqu’à présent de la vie économique et de l’organisation financière dans les États musulmans médiévaux repose essentiellement sur les ouvrages des géographes et des juristes, complétés par quelques apports des chroniques et des papyrus. Il est une autre catégorie de sources que les historiens ont à tort abandonnée aux spécialistes de l’histoire des sciences : je veux parler des ouvrages de mathématiques. Il s’en faut que ceux-ci soient toujours de pure théorie abstraite ; même ceux dont l’objet est désintéressé posent souvent des problèmes concrets, et, par ailleurs, il en est qui ont explicitement pour but de donner à telle ou telle catégorie professionnelle le bagage de connaissances techniques nécessaire à l’exercice de son métier ; en particulier il en est qui sont formellement destinés à la formation des agents du fisc. Certes, comme des traités scolaires modernes, on peut se demander si tous les problèmes qu’ils proposent correspondent à de précises réalités : mais les circonstances n’ont pas toujours, comme à notre génération, condamné les auteurs de problèmes concernant des prix de denrées ou des salaires de travailleurs à être en retard sur l’évolution. L’impression générale et, toutes les fois où cela est possible, les recoupements que l’on peut opérer amènent nettement à la conclusion que les problèmes posés sont des problèmes réels. Ce qui les rend particulièrement précieux comme contre-épreuve aux exposés des juristes qui, comme l’on sait, s’ils sont peut-être moins indifférents aux réalités qu’on l’a parfois un peu paresseusement dit, n’en ont pas moins pour préoccupation dominante de faire entrer ces réalités dans des cadres systématiques où il devient difficile de les distinguer. Il me paraît donc hautement souhaitable que désormais les historiens englobent dans le champ de leurs investigations les traités de mathématiques. Le présent article n’a pas d’autre but que de montrer sur un exemple que le hasard m’a procuré, et qui sans doute ne vaut pas plus que bien d’autres exemples possibles, le genre de profit à espérer de pareilles investigations.
2Il n’est guère douteux que l’un des ouvrages les plus précieux au point de vue où je me place ici serait, à en juger par son titre et la table des matières qui en a été publiée1 d’après un manuscrit fragmentaire de Leyde, le Kitāb al-manāzil fī mā yaḥtādju ilayhi l-kuttāb wa l-’ummāl min ‘ilm al-ḥisāb de l’illustre mathématicien-astronome Abū l-Wafā al-Būzadjānī (328/940-387/997) ; il m’a malheureusement été jusqu’ici impossible d’obtenir communication des manuscrits qui peut-être, dans deux bibliothèques d’Orient, conservent la partie pour nous importante de l’ouvrage2. Mais il existe à Paris, à la Bibliothèque Nationale, un ouvrage d’une génération postérieure et d’un genre analogue : le Kitāb al-ḥāwī li l-a’māl al-sulṭāniyya wa rusūm al-hisāb al-diwāniyya (Fonds arabe 2462). J’ai, dans une note d’Ars Islamica, établi l’époque (second quart du ve/xie siècle) et la région (Bagdad) où il a été rédigé, en même temps que publié le chapitre qui en concerne le travail de l’or et des fils d’or pour étoffes de luxe. Dans un autre article (Bulletin d’Études Orientales de l’Institut Français de Damas), j’ai publié les importantes sections qu’il renferme sur les machines élévatoires d’eau, les procédés de nivellement, et surtout les méthodes techniques et administratives de creusement et entretien du système d’irrigation en Iraq. Cependant le cœur de l’ouvrage est constitué, comme celui d’al-Būzadjānī dont il s’inspire partiellement, par les problèmes d’ordre commercial et fiscal. Tel que le ms. nous est parvenu, il contient des incompréhensions, des lacunes, des désordres, des redites, comme s’il s’agissait de notes prises en des circonstances variées sur des problèmes du même ordre. D’autre part, ce qui nous intéresse ici ne réside pas dans les raisonnements arithmétiques ou géométriques toujours simples et analogues par lesquels sont résolus les problèmes, mais dans les données de fait que contiennent les énoncés ; ces énoncés eux-mêmes, toujours rédigés de la même manière, comporteraient, à être publiés, d’incessantes répétitions de formules. Il a donc paru suffisant ici de grouper dans une analyse systématique les données qu’ils nous procurent. Les chiffres, dans le ms., sont toujours écrits soit en lettres in extenso, soit en caractères dīwānī, comme dans toutes les administrations musulmanes médiévales ; la vérification des calculs a permis d’assurer les quelques lectures douteuses3.
3Dans le commentaire, nous avons fait aussi des emprunts à un ouvrage de caractère plus théorique, mais qui contient cependant des problèmes pratiques, le K. al-kāfī fī l-ḥisāb d’al-Karadjī4, rédigé sous Qawām al-dawla (1013-1028), comme il résulte d’une allusion aux dinars de ce prince, et auquel l’auteur du K. al-ḥāwī se réfère couramment, ainsi que, moins souvent, à un contemporain, al-Shaqqāq, qui l’avait commenté5.
4Le seul auteur qui, à ma connaissance, ait utilisé le K. al-ḥāwī est Sauvaire6, dans ses Matériaux pour servir à l’histoire de la numismatique et de la métrologie musulmanes (Journal Asiatique 1880-1887) ; mais la nature de son enquête limitait la portée de ses emprunts, ce qui explique que le K. al-ḥāwī, malgré son titre prometteur, n’ait pas retenu l’attention des historiens7.
5Nous donnons d’abord l’analyse des apports du le K. al-ḥāwī, complétée à mesure par ceux du Kāfī d’al-Karadjī et de la table d’al-Būzadjānī ; nous donnerons ensuite des éléments de commentaire.
A. LES APPORTS DU KITĀB AL-ḤĀWĪ
I. PROBLÈMES RELATIFS AUX MONNAIES
6Combien de dinars à 12, à 14 1/2, à 15, à 15 1/2 qīrāṭ faut-il pour équivaloir à un nombre donné de dinars « entiers » (= légaux à 20 qīrāṭ) (2v°-4v°, cf. Sauvaire 47 du tirage spécial, 78, 176, 199) ? Soit une somme consistant en dinars à 16 qīrāṭ et en dinars imāmī (= légaux), ou à 12 et 16, ou à 10, à 15 et imāmī selon une proportion donnée, si l’on paye tant d’une espèce, que reste-t-il à payer de l’autre ou des autres (4v°-5r°, cf. Sauvaire 129, 279) ? Deux méthodes de calcul, dont l’une est celle des changeurs (ṣayārifa).
7Un saqṭ8 de soie coûte 88 dinars payables par tiers : 1/3 en imāmī, 1/3 en khurāsānī à 16 qīrāṭ 2 ḥabba, et 1/3 en rognures (qurāḍa) à 13 qīrāṭ 1 ḥabba : quelle sera la valeur totale en imāmī ? « Méthode des courtiers (dallāl) et des comptables (ḥussāb) (17v°, cf. Sauvaire 129).
8Calculer la valeur, en dirhams, de 5 dāniq d’or (1 dāniq = 1/6 de dinar) ; de 9 qīrāṭ d’« or de Bagdad » à 14 1/3 dirhams le dinar, taux normal au temps de l’auteur. Méthodes de l’auteur, des scribes (kuttāb), des comptables, des changeurs (162v°, 163r°, cf. Sauvaire 99, 254)9.
9Que faut-il ajouter de cuivre ou d’argent pour abaisser ou élever le titre de dirhams de 7 pour 10 à 6 2/3, de 7 1/2 à 6, de 4 à 6 2/3, de 3 à 5, de 3 à 6, de 7 à 5 1/2 (5v°-7r°, 154v°-155r°, cf. Sauvaire 258-260) ? Deux problèmes sont donnés d’après al-Karadjī (= Kāfī III, 17), qui, dit l’auteur, reproduit la méthode de la Monnaie (Dār al-ḍarb)10.
10Fondre ensemble des dirhams aux titres de 9 et 3 en telle proportion qu’on aboutisse au titre de 7 (d’après al-Haythamī) (8r°) ; des lingots d’or aux titres de 12 et 17, de 17 et 14, de 18 et 15 dirhams au dinar, pour aboutir à une valeur de 14 ou de 16 ; aux titres de 9 et 18, de 2 1/2 et 17 1/2, de 2 1/2 et 18, de 17 3/10 et 1 qīrāṭ, pour aboutir à 12, à 11 1/2, à 15, à 10 ; aux titres de 1 1/2 et 2 ḥabba, de 1/2 ḥabba et 2 qīrāṭ, pour aboutir à 6 aruzza11 ou à 1 1/2 ḥabba (151v°-154v°, cf. Sauvaire 260-261).
11Soit 1 1/2 ou 2 1/2 aruzza ou 1 ḥabba l’affaiblissement de titre par dinar, quel est le déchet (faskh, kasr) d’or sur une masse donnée (8r°-v°, 17r°) ?
12En 155r°, notre auteur donne un court résumé de l’origine de la frappe monétaire en Iraq conforme à la version courante de Hishām al-Kalbī transmise par Balādhurī (éd. De Goeje 468-469) (cf. aussi 32r°, où il donne 12 dirhams au dinar pour le taux du temps de ‘Umar). Le résumé est précédé d’une phrase peut-être un peu corrompue que la comparaison avec Balādhurī, Qudāma (Bibl. Nat. ar. 5907, 22r°) et Māwardī (Fagnan 321, Enger 264) doit faire interpréter comme relative au payement des gages des employés de la Monnaie, dont on se procure le montant grāce à la différence entre le titre officiel d’émission et le titre réel des pièces12.
II. COMMERCE, PRIX ET SALAIRES
13Les problèmes sont rangés non par nature d’opérations arithmétiques, mais par catégories d’objet ou des unités de poids, capacité ou longueur servant à les mesurer. Le problème type est celui-ci : connaissant le prix de tel nombre de telle unité, calculer le prix de tel nombre de telle autre unité.
14Grains et farines : unité : 1 kurr = 6 djarīb = 30 kāra = 60 qafīz = 180 makkūk ; 1 qafīz = 24 kayladja = 96 rub’ = 124 raṭl (cf. Sauvaire III, 111, 127, 129, 173). Les prix indiqués varient de 15 à 100 dinars le kurr (10v°-13r°, 28r°-30r°, 162r°), mais les denrées ne sont pas spécifiées. On verra au chapitre suivant leurs quatre catégories officielles de prix s’échelonnant du simple au quadruple13.
15Pain et produits apparentés cuits au four (par raṭl ou uqiya) : prix de 3 à 8 dinars les 1000 raṭl (13r°).
16Fil de soie (unité : 1 ruzma ou saqṭ = 30 manna = 60 raṭl = 720 uqiya = 1200 istar = 7800 dirhams ; autres problèmes en mithqāl) ; prix entre 48 et 180 dinars la ruzma (17r°, 25v°-28r°, 162r°, cf. Sauvaire II, 9, 80, 144).
17Étoffes (à la pièce ou à la dizaine, à la coudée dhirā’, selon la longueur et la largeur) : 12 et 14 dinars la dizaine, 28 dinars les 12 pièces d’I 1/2 sur 3 1/3 dhirā’, une pièce d’étoffe à 60 dirhams (20r°-v°, 30r°, 110v°) :
18Bois précieux d’Inde (‘ūd) (manna de 320 dirhams et uqiya de 13 1/2) : 30 dinars la manna (19r°, cf. Sauvaire II, 159).
19Camphre : « On vend aussi à Bagdad du camphre, dont la manna est de 200 mithqāl ; il y a économie (tawfīr, Sauvaire : bonification) de 2 mithqāl, toutefois c’est sur 200 mithqāl que la vente est basée.
20Un certain nombre de problèmes sont posés en unités de marchandises non spécifiées ou en termes algébriques (10v° sq., 23r° sq., 44r°-55r°, 161v°-162v°), quelques-uns en dirhams (de nombre indéterminé). Parmi les unités ainsi introduites intervient à côté des précédentes le tassūdj (= l/24e de mithqāl, cf. Sauvaire 108, 24)14. Autres types de problèmes : calculer, sur un prix global, la quantité de diverses marchandises vendues ensemble, dont chacune à un prix différent ; prix dū à un fabricant d’étoffes pour des commandes (30v°) ; calculer le bénéfice réalisé entre l’achat et la revente à un prix majoré de 8/5, 9/7, 7/4, 9/8, 9/4, 12/9, 15/12, sur des quantités données de marchandises (aliments cuits ou étoffes, 15r°-16v°, 20v°, 30v°)15.

21Un certain nombre de problèmes mentionnent des gages de journaliers : 42 12/14 dirhams par mois (20 en argent, le reste en étoffe) (45v°)16 ; 45 dirhams à un esclave qui doit en céder 25 à son maître (116r°) ; 54 dirhams, 23 3/4, 24 et 28 dirhams (114r°). Au chapitre des canaux (cf. mon article du Bulletin d’Études Orientales, on trouve mention de salariés engagés à la tâche pour les travaux de creusement, etc…
III. PROBLÈMES RELATIFS AU kharādj
22On trouvera en appendice le texte, important à étudier dans sa précision technique, des énoncés de problèmes relatifs au kharādj proprement dit, à l’exclusion de certaines additions, pour lesquelles l’analyse suffira. Ces problèmes portent sur le calcul, les uns par rapport au autres, des trois éléments de l’impôt tel que les contribuables le payent, à savoir l’impôt stricto sensu, dont on donne le taux d’assiette par djarīb-surface pour telle catégorie de culture ; puis le salaire du géomètre (māsiḥ), ce qui, dit notre auteur, correspond à la kifāya d’al-Karadjī, levée par djarīb en plus de la taxe de base ; enfin la part du djahbadh, appelée ithnān et calculée en tant pour cent de la taxe de base et prélevée en sus17. Le verbe employé pour signifier qu’un domaine est taxé à tant est le passif ṭusiqa18. La feuille d’impôt s’appelle khaṭṭ ; le terme de rawz, que l’on rencontre aussi, doit s’appliquer au certificat ou reçu19. Les données des énoncés peuvent être rassemblées dans le tableau suivant, qui demande quelques explications. Lorsque la taxe est énoncée en dirhams on a donné l’équivalence en or (1 dinar = 20 qīrāṭ = 60 ḥabba) afin de faciliter les comparaisons ; mais il y a incertitude sur le taux auquel calculer le dirham par rapport au dinar : la législation originelle, telle que la rappelle la première phrase de notre auteur, portait change à 12, chiffre qui devait rester le seul valable du point de vue théorique des fuqahā’ ; mais comme par ailleurs on a vu ci-dessus (et nous confirmerons dans notre commentaire) que le taux adopté au temps des Būyides était de 14 1/3 pour l’ensemble de la vie économique, on peut se demander si l’administration du kharādj ne l’a pas elle aussi adopté, quitte à recalculer en conséquence le montant des impôts : dans le doute, nous avons donné d’abord les équivalences au cours de 12 (qui paraissent un peu meilleures), puis entre parenthèses les équivalences au cours de 14 1/3. Au salaire du géomètre, donné par djarīb, on a adjoint le calcul de son pourcentage par rapport à la taxe, alors que celui du djakbadh nous était donné en % dans notre texte même. Enfin on a converti approximativement les mesures de surface en hectares. — Les trois dernières lignes de notre tableau sont une addition aux données du K. al-ḥāwī tirée du Kāfī, III, 18-19. — Les problèmes sont stipulés partiellement en dirhams mais, dit. l’auteur, « de nos jours on ne fait que rarement usage de dirhams dans le Sawād de Bagdad, et le kharādj s’acquitte d’après la valeur de l’or (qīmat al-’ayn) ; mais dans le Sawād de Wāsiṭ, d’al-Baṣra et du Fārs, on emploie des dirhams ; de même au Diyār Rabī’a, en Syrie, et ailleurs » (36r°, cf. Sauvaire I, 97-98).
23Les dernières lignes du texte donné en appendice se réfèrent à des erreurs de mensuration du djarīb dues à l’utilisation de qaṣaba non réglementaires et de dimensions inconnues : la victime porte plainte au Dīwān qui, après enquête, rétablit la taxe correcte ; on détermine aussi (problème dû à al-Būzadjānī) de combien la qaṣaba était trop petite.
24Viennent ensuite, en partie d’après al-Būzadjānī, des règles de calcul et des problèmes relatifs à l’estimation (en kurr) des grains disposés en tas coniques ou parallélépipédiques, l’orge étant plus tassée que le blé dans la proportion de 6 à 5. Toute la première moitié de la troisième partie du K. al-ḥāwī (46v°-103r°, cf. aussi 169r°-171r°), purement géométrique, est consacrée pour la même raison d’administration fiscale à l’étude du calcul des surfaces des diverses figures (avec citations d’al-Būzadjānī, al-Karadjī, al-Shaqqāq ; 100r° donne aussi la mesure de la hauteur d’un objet éloigné, tel qu’une forteresse). Les mesures se font avec des instruments concrets, coudée hāshimite, qaṣaba, ashl et autres secondaires (48r°, 125v°-127r°, 155v°-156r°, traduits dans Sauvaire, III, 208-211, 214, 221-226). On mentionne spécialement certaines méthodes des arpenteurs de Bādūriya, dans la banlieue de Bagdad, et des districts d’al-Tizhānī (169r°, 171r°)20.
25En 103r°-v° on a les considérations générales suivantes sur « le kharādj que l’on acquitte ou prélèvement (irtifā’) » : « On a égard (pour la perception) à ses heures, car il se règle suivant l’année solaire. Al-Mu’taḍid billah, le Prince des Croyants, Dieu soit satisfait de lui, en a établi l’ouverture au 11 ḥazīrān chaque année, et l’a appelé le Nouvel An Mu’taḍidī, par sollicitude pour les sujets et contribuables (al-mu’āma-lūn) afin de reporter les droits (ḥuqūq) à eux imposés de telle manière que leurs récoltes soient arrivées à maturité et qu’on étende alors la main sur elles sans qu’il en tombe sur eux aucun dommage. Mais ce qui reste en dehors, muqāṭa’a et mufāraqa, et les sections de l’impôt consistant en capitations (djawālī), moulins (arḥā’) et autres, se payent par année lunaire, commençant en muharram. La raison pour laquelle les muqāṭa’a et les mufāraqa21 sont réglés selon l’année lunaire est que leurs titulaires sont imposés (quṭi’ū) selon une estimation (‘ibra) et une connaissance définies, qui ne sont susceptibles ni de majoration ni de réduction ; ils ont alors l’obligation de payer sans refus ni prétexte, sauf réserve stipulée par l’habitant pour lui-même en cas d’échappement d’eau ou de rupture de rigole ; mais tant que dure la mise en valeur, il doit respecter le montant stipulé, car c’est le contrat qui fait loi. On fait cela pour deux raisons : d’abord, qu’on n’est pas obligé en cas de nécessité d’attendre les moissons, de respecter les heures de la culture, de laisser gāter ce qui se gāte ou est en retard ; d’autre part le sulṭān a inauguré cette ouverture de l’année lunaire pour le profit annuel qu’il en retire en raison de l’écart qu’il y a entre l’année lunaire et celle du kharādj, soit onze jours environ. Et lorsqu’il y a tractations entre le sulṭān et ses sujets propriétaires et habitants, la répartition est faite pour la muqāsama et le kharādj sans avoir à enquérir sur les surfaces, les portions, les catégories. »
26Le géomètre doit savoir changer les unes dans les autres des mesures en kurr mu’addal, kāmil, fālidj, hāshimī, sulaymānī (103v°-104r°).
27D’autre part il est utile, pour la simplicité des comptes, de réduire les diverses espèces de produits agricoles à un petit nombre de catégories, les prix de tous, dans chacune, étant identiques, et les rapports de l’une à l’autre constants. Cela est possible dans le Sawād, mais non ailleurs, où les prix sont trop divers et éloignés des tarifs. Il y a quatre catégories :
- La catégorie du sésame, auquel sont assimilés le cumin, la moutarde, la nielle (shūnīz, 104r°, plutôt que ṣanawbar, le pin, 167r°), le carvi, le pavot, la graine de trèfle ;
- La catégorie du blé (ḥinṭa), de prix égal à la moitié de la précédente, et à laquelle sont annexés le pois, la lentille, le haricot, la graine de lin, le grain de rishād ( ?), le fenugrec, le safran, le grain de khadrā’, le raisin sec, le summāq, l’amande et la noisette avec leur coque, le chénevis ;
- La catégorie de l’orge, de prix égal à la moitié de celle du blé, à laquelle appartiennent les graines de millet djāwars, dhurra et dakhn, la fève, la vesce, le riz et l’avoine (ainsi en 104r°, mais en 167r° elle est rattachée au blé) ; la datte kabīs, du côté de la Syrie, ainsi que le coriandre, et, dans le Djabal, le grain de hakm ( ?) ;
- Enfin la catégorie du djahgandum, blé et avoine mêlés par moitié, valant environ 1/2 ( ? ?) 4 + 1/4 4 + 1/8 du sésame, et à laquelle n’est attachée aucune autre espèce.
28Bien que donnée trois fois (104r° et deux fois en 167r°) avec quelques variantes, apparemment d’inadvertance, la liste semble reposer sur l’autorité unique d’une certain Ibn Sharīh. « Il y a d’autres denrées surtout en dehors du Sawād, qui ne tombent pas à proximité des précédents tarifs : telles la noix, l’amande (mise cependant au Sawād avec le blé) avec sa coque, la pastèque, la noisette shahbatūt et bunduq, l’humide et le sec (sic), les pruneaux secs, etc., qui n’ont pas de cours fixe (taṣrif) » (104v°). « J’ai rangé ces catégories sur une seule base, selon ce qu’ont imaginé les scribes ; s’il leur arrive une denrée d’un genre dont ils entendent parler sans la rencontrer dans leur liste, ils la placent au taux correspondant aux denrées les plus semblables (167v°). Le détail des ces connaissances n’est pas indispensable » (105r°)22.
IV. QUELQUES AUTRES OPÉRATIONS RELEVANT DE L’ADMINISTRATION FINANCIÈRE
29Calcul du fourrage pour des bêtes : « Soit 40 qafīz la consommation mensuelle d’un cheval, nous désirons en approvisionner trois têtes pour le mois... (109v°).
30« S’il est décrété de prendre sur tout objet apporté par la poste (barīd) un droit, et qu’il demande à passer (idjtāza) un marchand porteur de 50 pièces d’étoffes d’égale valeur, on lui en prend 2, on lui rend 20 dirhams, nous voulons savoir la valeur de la pièce, sachant que le droit de passage pour 50 étoffes est 1 2/3... Réponse : 60 dirhams (110v°).
31Envoi de messagers et de courriers (fuyūdj) (pour le calcul du temps d’entretien à leur verser) : « Le sulṭān a prescrit d’envoyer un messager dans une localité distante de la Cour de 100 farsakh, avec ordre de faire des étapes de 12 farsakh par jour : quel temps mettra-t-il ?... S’il vient au sulṭān une nouvelle idée, et qu’il veuille envoyer un second messager rattraper le premier le lendemain ou la veille ou l’avant-veille de son arrivée dans la ville... » Cas d’un troisième messager ; cas où les deux messagers ne partent pas du même lieu : quand se rencontreront-ils ? (111r°-113v°)23.
B. COMMENTAIRE
I. PROBLÈMES RELATIFS AUX MONNAIES
32Il dépasserait les limites d’un commentaire de ce court paragraphe de donner un tableau de la situation monétaire en Mésopotamie au début du ve/xie siècle, tableau pour lequel manqueraient d’ailleurs les travaux d’approche. Quelques points seulement en liaison avec notre texte.
33Il est bien connu qu’il existe dans le monde musulman d’alors — sources littéraires et collections numismatiques en font foi — à côté de la monnaie de compte une grande diversité de monnaies réelles parfois alignées sur cette monnaie de compte, parfois très éloignées d’elle, et posant donc constamment des problèmes de change tant aux spécialistes du commerce qu’aux agents de l’administration. C’est dans cette ambiance que notre paragraphe nous place.
34L’auteur considère comme taux légal de correspondance entre les dinars et dirhams de compte ou les pièces réelles « légales » le rapport de 14 1/3 qui, étant donnés les poids du dinar et du dirham, est celui qui résulte d’un rapport de prix entre l’or et l’argent égal à 10, comme il semble en fait s’être à peu près maintenu jusqu’au xiiie siècle (il faudrait exactement 100/7 = 14,285). Que ce taux, à des nuances près, était bien le taux usuel pendant tout le siècle qui a précédé la rédaction du K. al-ḥāwī résulte de plusieurs autres témoignages, tels Miskawayh I, 71 (14 1/2 en 309 H.) et I, 239, cf. 164 (exactement 100/7 en 320), Hilāl al-Ṣābī, K. al-wuzarā’ éd. Amedroz 36 et 227 (5300/380 = 13,95 vers 300), Tanūkhī éd. Margoliouth, p. 65-66 (14 vers le milieu du ive s. H.), Qudāma éd. De Goeje 144 et 239 (15 pour la fin du iiie s.). Ibn Ḥawqal éd. De Goeje 146 (15 en 358 chez les Ḥamdānides, dont la monnaie était spécialement bonne). Mais, à côté de ces rapports, les sources nous en signalent d’autres, s’appliquant à des monnaies dévaluées d’or ou d’argent. Les exemples du K. al-ḥāwī vont, pour l’or, jusqu’à un coefficient de dépréciation de moitié, et, pour l’argent, des 7 dixièmes. Nous savons par ailleurs que vers 330 les dinars circulant à Bagdad ne valaient que 10 dirhams légaux, et que ce fut un progrès remarquable quand Nāṣir al-dawla en fit frapper de 13 (Ibn al-Athīr VIII, 289, cf. Misk. II, 91). On a vu qu’al-Karadjī donne les dinars de ‘Adud al-dawla (troisième quart du ive s. H.) pour les 19/20e du dinar légal, ceux de Qawām al-dawla (début du ve s.) pour les 17/20e ; mais il circulait encore en abondance en 420 des dinars frappés au milieu du siècle précédent par Rukn al-dawla avec moitié de cuivre et qu’on ne recevait plus que pour 1/3 de dinar légal (Ibn al-Djawzī cité par Amedroz dans JRAS, 1905, 475). A Qumm (cf. § III, infra), le dinar au milieu du xe s., avant d’être stabilisé un peu au-dessous de 10 dirhams, était tombé à 5, mais peut-être spéculativement. Le K. al-ḥāwī montre par ailleurs la diffusion en Mésopotamie de la monnaie khurāsānienne, dont le dinar faisait 16 qīrāṭ 2 ḥabba au lieu des 20 qīrāṭ du dinar légal ; il ne semble pas qu’il existe d’autre texte permettant de recouper ce renseignement exactement, bien que Misk. I, 171, et Muqaddasī 129 attestent l’infériorité de la monnaie khurāsānienne en valeur et en poids par rapport à la monnaie califale légale. On a vu qu’al-Karadjī, tel que l’a lu son traducteur, mentionne des dinars nīshāpūrī qu’il peut être tentant de confondre avec les khurāsānī ; toutefois le fait que ce nom ne paraît pas ailleurs et surtout que, sans l’avoir défini, al-Karadjī définit au contraire par rapport à lui les dinars ‘aḍudī et qawāmī à 19 et 17 vingtièmes, fait penser qu’il doit falloir effectuer la correction paléographiquement très facile de nīshāpūrī en sābūrī, nom qu’on rencontre quelquefois, en particulier pour Bagdad même en 420 (Ibn al-Athīr IX, 265), pour désigner des dinars d’aloi légal (synonyme donc d’imāmī). A peu près synonyme paraît être aussi l’appellation de qāsāni, dont l’étymologie est obscure24. Les dinars ṣāhibī rencontrés en 392 doivent être le nom des dinars antérieurs redéfinis par le vizir ‘Amīd al-Djuyūsh par rapport à un nouveau dirham (cf. infra). Le K. al-hāwī ne mentionne pas les monnaies égyptiennes ; mais elles pénétraient également à Bagdad, puisqu’en 427 le Calife al-Qādir les y prohiba (Ibn al-Athīr IX, 308) ; au reste le K. al-ḥāwī témoigne lui-même (cf. ma note d’Ars Islamica) des exportations de luxe de Bagdad en Égypte, qui avaient forcément pour contrecoup l’introduction de monnaie fāṭimide à Bagdad.
35Les monnaies d’argent sont plus fréquemment et plus gravement dévaluées que celles d’or. Dès le début du ive s., on fait usage de dirhams à 16 au dinar (Misk. I, 165), taux qui est celui d’Alep sous les Ḥamdānides (Ibn al-’Adīm, Tārīkh Ḥalab, éd. S. Dahan, 163). Les dirhams tādjī de ‘Aḍud al-dawla, bien qu’honorables, devaient succéder à des monnaies būyides de mauvaise réputation, puisqu’il eut de la peine à les faire admettre sur le marché égyptien (Rūdhrāwarī, p. 60). Après lui on refabriqua des dirhams de plus en plus bas. Ceux qui circulaient en 383 furent la cause d’une hausse des prix et d’une mutinerie de l’armée, qui en obtint l’amélioration (Rūdhrāwarī, 250) ; les dirhams ghiyāthī, que l’on voit intervenir en 384 à Wāsiṭ et à Mossoul, se changent à 8 1/2 contre 10 de ceux de Bagdad, qui sont donc moins bons (Rūdhr. 254, 293) ; leur nom vient probablement de celui du Būyide Bahā’ al-dawla Ghiyāth al-umma, dont ce dernier titre figure sur les dirhams conservés. En 389 certains dirhams sont tombés à 1/150e de dinar, ce qui suscite des troubles (Hilāl al-Ṣābī, Hist. 364, 373) ; en 392, ‘Amīd al-djuyūsh fait frapper de nouveaux dirhams dont il fixe officiellement le cours à 25 au dinar ; mais il y a aussi des dirhams « noirs » (à fort alliage de cuivre) (Hilāl 443, 452) ; en 393 on compte 40 dirhams pour faire un dinar qāsānī (Hilāl 460). Il faut ajouter que les dirhams des divers pays musulmans ont des taux variables souvent encore moins bons, et qu’ils peuvent arriver sur le marché bagdadien. Pour nous borner aux pays būyides, nous savons que vers 400 (Muqaddasī II, 417, 471) 30 dirhams de Daylam ou de ‘Umān valaient 1 dinar, et que ceux d’Iṣfahān et d’al-Ahwāz sont un peu moins bons que ceux de Tustar, et ceux-ci que ceux de Qazwīn. A Qumm, au iiie s., le dirham avait valu l/30e, puis 1 /l7e de dinar, officiellement, pour le fisc (Tār. Qumm, 122-9, 149, cf. infra). Nos renseignements cessent pour le début du ve s., mais il est certain que la gabegie monétaire s’y est accrue avec le désordre politique.
36Cependant, à Bagdad, à ce moment, une transformation s’était produite, dont porte témoignage notre auteur. On verra dans la section relative au kharādj que, d’après lui, en effet, à Bagdad sinon dans le reste de la Mésopotamie, l’usage du dirham avait presque complètement disparu ; et cette information est confirmée par Hilāl al-Ṣābī, contemporain de notre auteur, qui, narrant des épisodes de la fin du ive s., ajoute : « Les transactions se faisaient alors en dirhams » (Hist. 373). Les collections numismatiques n’ont par ailleurs conservé aucune trace de frappe d’argent par les ateliers bagdadiens du ve ou début du viie s. ; à ce moment on nous apprend que les Bagdadiens se servaient, pour les petits comptes, de rognures d’or (Nuwayrī cité par S. de Sacy, Chrestomathie, I, 247-249) ; ces rognures jouent un rôle suffisamment important au temps du K. al-ḥāwi pour que les comptables auxquels il s’adresse aient normalement à s’en préoccuper. Cependant ce reflux de l’argent ne s’étend ni aux provinces extérieures ni même à tout l’Iraq. Il tient sans doute aux conditions proprement bagdadiennes, où l’or doit continuer à affluer sous la forme de dons au Calife, alors que l’argent, en partie fourni par l’impôt, diminue avec la progressive appropriation des terres par la soldatesque. D’ailleurs nos textes ne disent pas formellement qu’il ne circule plus tout de suite de dirhams, mais que les comptes sont toujours rapportés à l’or ; à cet égard, l’extrême instabilité du dirham en serait une explication suffisante.
37Les problèmes d’alliage et de change se posaient à diverses catégories professionnelles, en dehors de la Monnaie. Notre auteur cite les scribes (kuttab) et comptables (ḥussāb), les courtiers (dallāl) et les changeurs (ṣayārifa), mais d’une manière trop purement allusive pour qu’il y ait lieu ici de nous étendre à leur sujet.
II. COMMERCE, PRIX ET SALAIRES
38La liste ici donnée de marchandises venues à Bagdad ne représente que quelques exemples choisis dans les catégories les plus importantes ayant des systèmes d’unités propres ; en particulier, la distinction des marchandises pesées et des marchandises mesurées a une valeur très générale, les droits qui les frappent pour le fisc étant en général calculés selon des principes différents. Le petit intérêt du chapitre réside dans les quelques prix qu’il nous livre, et dont les rares recoupements possibles témoignent qu’ils peuvent être pris au sérieux. Pour les grains et le pain en particulier.
39Les indications des chroniques sont à cet égard rarement utilisables, parce qu’elles portent sur des prix de pointe, à des moments de grandes disettes. On a cependant, pour les siècles précédant la rédaction du K. al-ḥāwi, quelques prix moyens. Les prix normaux notés en 358 H. par Ibn Ḥawqal (éd. De Goeje, 146) dans la haute-Mésopotamie ḥamdānide pour le blé ou, s’il ne se trompe pas, un mélange de blé et d’orge sont de 500 dirhams au kurr, soit, au cours qu’il donne de 15 dirhams au dinar, 33 1/3 dinars. Le prix qui résulte pour 420 d’une anecdote rapportée par Ibn al-Djawzī (cf. Amedroz, JRAS 1905, p. 475) est de 30 dinars. Si l’on se réfère au barème proportionnel des prix officiels de grains donné par l’auteur du K. al-ḥāwī à propos de l’impôt (supra, section III), on peut donc admettre que, dans la gamme de prix qu’il donne dans le présent paragraphe, échelonnés de 15 à 100 dinars le kurr, 15-25 représentent les grains de moindre valeur, 30-50 la catégorie médiane (dont le blé), 60-100 la catégorie supérieure, les prix extrêmes étant sans doute exceptionnels.
40Il est possible que ces prix s’inscrivent dans une courbe générale de baisse lente25. Vers 300, le vizir Ibn al-Furāt, à vrai dire pour en tirer des bénéfices anormaux, vendait les deux kurr de blé et d’orge 90 dinars, soit 60 celui de blé, si l’on applique le barème du K. al-ḥāwī (Hilāl al-Ṣābī, K. al wuzarā’ 188). Dans la même période, Mas’ūdī (Prairies VIII), et Qudāma (éd. De Goeje 239) donnent 60 dinars de 15 dirhams les deux kurr combinés, soit, sur la base de la même hypothèse, 40 pour le blé, prix qu’on peut admettre plus normal que le précédent. En 336, lors d’un début de hausse, le gouvernement taxe le kurr de blé à 37 dinars (al-Ṣūlī 71) ; en 309, en un moment de cherté, il l’avait été à 50 (Misk., I, 75). — Si maintenant nous sautons quelques générations, nous trouvons qu’en un moment d’abondance, en 476, le blé est descendu à 10 dinars ; en 498, à Mossoul, à 16 (Ibn al-Athīr, X, 85 et 204) ; en 493, dans la région d’Iṣfahān, considérée comme de vie aisée, il en coûte 20 (ibid., 228). Un demi-siècle plus tard encore, à la mort de Zenghī, en haute-Mésopotamie, on considère comme bon marché un prix de 30 dinars calculé en dinars vraisemblablement assez inférieurs au dinar légal (Historiens Or. des Croisades, III, 690). Enfin en 596 à Bagdad, le kurr baisse à 15, en 605 à 7 1/2 dinars (Ibn al-Sā’ī, éd. Muṣṭafā Djawād 18, 229). Extrêmes inférieurs. Les extrêmes supérieurs sont eux trop éloignés de toute norme pour fournir aucune indication. En 493 à Bagdad 70 dinars est un prix de vie très chère (Ibn al-Athīr 204). Tout cela reste vague. Il n’y a en tout cas pas d’instabilité brutale. D’autre part on peut sous toute réserve noter que les prix mésopotamiens paraissent supérieurs aux prix égyptiens : 1 dinar les 5-10 ardab sous les Ṭūlūnides, 3 les 10 sous Saladin, selon les listes dressées par Sauvaire (JA 1888), ce que donne, en kurr, selon les équivalences de Decourdemanche, 1 1/2 à 3 dinars dans le premier cas, s’il est bien exact, 9 dans le second.
41L’étude des prix du pain paraît mener aux mêmes conclusions : ceux du K. al-ḥāwī sont un peu inférieurs à ceux des sources concernant le siècle précédent. Les renseignements réunis par Sauvaire donnent, pour le début du ive s., 1/4 de qirāṭ le raṭl ; Miskawayh II, 95 pour 334 à 1/5 de dirham, ce qui revient à peu près au même ; al-Ṣūlī 61 en 323 considère 1/4 de dirham comme déjà un début de hausse (en 309, Miskawayh I, 73 le considère même, si le texte est exact, d’1/8 ?) ; en 345, la chute momentanée à 1/20 est extraordinairement basse (Misk. II, 176). Tout cela donnerait une moyenne de quelque 10 dinars les 1.000 raṭl, au lieu des 3 à 8 du K. al-ḥāwī. Plus tard, en 496, 1/10 de dinar le raṭl paraît un prix normal (Ibn al-Athīr X, 216) ; en 605, le prix tombe à 1/25 de dinar de Tyr, soit 1/30 de dinar légal en un moment de surabondance (Ibn al-Sā’ī 229). En Égypte le prix moyen aux vie-viie siècles paraît être de l’ordre d’l/12e de dinar le raṭl. Le prix du pain est donc, en Iraq, à poids égal, environ le triple de celui du grain.
42D’autre part, le salaire, qui paraît normal pour un journalier, d’1 à 1 1/2 dirham par jour correspond donc, à Bagdad, à une moyenne de 5 raṭl (un peu plus de 2 kg) à 7-8 (quelque 3 kg) de pain.
43Il est bien évident que ces indications ne peuvent avoir qu’une valeur d’attente. Dans leur imprécision, l’incertitude des transcriptions de mss., l’absence de renseignements sur l’exacte signification de chaque donnée, une histoire grossière des prix ne peut se faire qu’en accumulant et comparant statistiquement par masses toutes les données de provenance variée que l’on pourra une à une rassembler. Les lignes qui précèdent veulent y être une contribution — absolument rien d’autre.
44Bien que le barème donné à la section III reproduise des estimations à usage du fisc et non exactement des prix de marché, il peut nous donner grosso modo une idée de la valeur relative des diverses denrées alimentaires écoulées par mesures de capacité. Là évidemment presque tout recoupement fait défaut. En haute-Mésopotamie un siècle plus tard les lentilles et les pois coûtent 1/2 et 1/5 plus cher que le blé, alors qu’ils sont ici classés dans la même catégorie, mais que l’auteur a soin de dire artificielle et valable pour le seul Iraq. Le riz, ici classé avec l’orge, descend en 605, en un moment de surabondance à Bagdad, à 6 fois moins. Par contre le rapport blé-orge paraît bien correspondre en gros à une réalité durable : en haute-Mésopotamie au milieu du vie s., il est exactement de moitié ; à Bagdad vers 600 par bas prix, l’orge coûte 6 et 3 dinars quand le blé en coûte 15 et 7 1 /2, soit ici un peu moins de la moitié (Hist. Or. Crois., III, 690 ; Ibn al-Sā’ī 18 et 229). On verra que le taux de taxation de l’orge pour le kharādj est cependant à surface égale supérieur à la moitié du taux du blé, mais cette comparaison ne peut être instituée que pour des cultures donnant à surface égale un rendement quantitatif approchant.
45Il est encore plus difficile d’avoir des recoupements pour les prix des autres produits, faute de définition précise de l’objet auquel s’applique le prix indiqué. L’aloès ordinaire est ici compté 30 dinars la manna de 320 dirhams ; Mas’ūdī un siècle plus tôt donne 300 dinars pour un aloès particulièrement recherché, sans préciser à quelle manna il se réfère.
46Il m’a malheureusement été impossible de découvrir aucun recoupement pour le prix des étoffes ; les sources ne mentionnent de prix que d’étoffes extraordinaires, qui n’entrent pas en ligne de compte ici. —Je rappelle que le passage publié dans Ars Islamica traite, entre autres, de la fabrication des étoffes de fil d’or et soie mêlés.
47On verra que les problèmes du genre de ce paragraphe sont introduits moins pour la formation générale du comptable ou la connaissance du commerce, voire des impôts qui sont levés sur ce commerce, qu’en raison des acquittements en nature de l’impôt foncier, dont on va maintenant parler.
III. PROBLÈMES RELATIFS AU kharādj
48Ce sont les plus intéressants. Sans révolutionner nos connaissances, ils leur apportent, semble-t-il, quelques appréciables précisions.
49On sait qu’il a existé en Iraq au Moyen Âge en gros deux modes d’assiette du kharādj : la muqāsama, prélèvement proportionnel à la récolte, payé le plus souvent (non forcément) en nature, et la misāḥa, prélèvement fixe déterminé par unité de surface en tenant compte de la nature de la terre et des cultures, mais non de l’irrégularité des récoltes selon les années. Divers témoignages sérieux ont récemment conduit Lökkegaard26 à penser que la première méthode a, en grande partie, au cours du iiie s. H., supplanté la seconde, presque seule en usage sous les Umayades et les premiers ‘Abbāsides, et que ce changement correspondait à l’intérêt et au désir des cultivateurs, la muqāsama prêtant à moins d’abus que la misāḥa. La chose ne paraît pas contestable pour le Sawād de Bagdad (cf. encore, au milieu du xie s., Abū ‘Ya’lā al-Farrā, al-Aḥkām al-sulṭāniyya, éd. M. Ḥāmid Faqī, 169-170) ; mais l’impression qui résulte, entre autres, du K. al-ḥāwī, reste que la misāḥa est toujours, ailleurs et en Mésopotamie même, le mode d’assiette le plus répandu.
50Dans le K. al-ḥāwī en effet, la muqāsama n’intervient que dans un cas, celui de champs de coton, denrée dont peut-être l’État tenait plus à se réserver la fourniture en nature que pour les céréales, dont une faible proportion sous cette forme lui suffisait. Le pourcentage de la taxation du coton, 1/2 à 3/5 de la récolte, paraît d’autre part un peu supérieur à celui qui était pratiqué pour les céréales, pour lesquelles 1/2 paraît le maximum requis ; sans doute le plus haut prix du coton permettait-il au paysan de vivre sur le revenu d’une moindre proportion de sa récolte. Les proportions données par al-Karadjī dans les trois problèmes que nous avons adjoints au bas de notre tableau sont de 3 à 5 douzièmes, non compris, il est vrai, les salaires d’employés dont on parlera ci-après ; elles correspondent mieux à ce que l’on sait par ailleurs27. En ce qui concerne la faible place apparemment tenue dans le K. al-ḥāwī par le muqāsama il est possible que, dans une certaine mesure, cela provienne seulement de ce qu’elle prête à moins de questions de calcul. Au surplus, les questions de mesures de tas de grains ou de prix des denrées traités à la fin du chapitre s’appliquent un peu à la misāḥa, mais plus normalement à la mu-qāsama. Dans la table d’al-Būzadjānī, un chapitre est dévolu au kharādj par misāḥa, un à la muqāsama, et c’est dans le second que ces points sont introduits. Al-Karadjī paraît aussi faire à la muqāsama un peu plus de place que l’auteur du K. al-ḥāwī ; mais, pour le plateau iranien occidental, le Tārīkh-i Qumm (éd. Djalāl al-dīn Tihrānī, Téhéran 1313/193428, qui s’étend longuement sur la misāḥa, ignore la muqāsama, au xe siècle, et, au même moment, Iṣṭakhrī dit celle-ci insignifiante au Fārs ; pour ne pas parler de pays comme l’Égypte, où les traditions fiscales sont différentes, mais qui ne pratique pas plus la muqāsama. J’expose d’autre part ailleurs, dans un article qui doit paraître prochainement, les conditions dans lesquelles le kharādj d’un nombre croissant de localités, est sous les Būyides, concédé en iqṭā’ aux militaires : peut-être ceux-ci ont-ils encouragé la muqāsama, pratique pour leur ravitaillement en nature, et semblable aux redevances des métayers qu’ils avaient dans leurs pleines propriétés.
51Le premier énoncé de 38r° montre que le prélèvement proportionnel peut s’appliquer parfois non à la récolte en elle-même, mais au revenu évalué ; ce devait être fréquemment le cas dans les terres de dîme, dont le K. al-ḥāwī ne parle pas.
52Pour l’impôt par misāḥa du Sawād, divers auteurs de la période ‘abbāside classique se référant au temps des Conquêtes nous ont transmis une liste de taux s’échelonnant selon les cultures de 2 dirhams au djarīb -surface pour l’orge, à 12 pour les olives, le blé étant imposé à 4 (proportion conforme au barème auquel il a déjà été fait allusion dans notre commentaire de la précédente section). Notre tableau fait apparaître sur la période būyide des taux variables, en général supérieurs aux précédents, correspondant donc, comme on pouvait s’y attendre (même compte tenu de ce que le dirham est inférieur à celui de ‘Umar), à une aggravation de la fiscalité. L’impression est plus nette encore si l’on se réfère aux tableaux de Qumm (cf. infra), province réputée il est vrai pour le haut taux de ses impôts. On ne sait cependant s’il faut considérer comme définitive l’augmentation d’l/10e, par simple jeu d’écriture (bi l-qalam), édictée par ‘Aḍud al-dawla sur la misāḥa (Rūdhrāwarī III, 71) et intégrée dans la taxe de base (aṣl), c’est-à-dire entraînant majoration correspondante des charges annexes calculées par rapport à celle-ci (cf. infra).
53Naturellement, selon la nature des terres, les barèmes varient. Dans le tableau du K. al-ḥāwī, un groupe de problèmes, relatifs à des domaines de polyculture, mais encore à base de céréales, donne des taux trois ou quatre fois supérieurs à ceux des premiers problèmes. Bien qu’il puisse évidemment s’agir de dirhams dévalués ou de taux majorés en temps de hausse des prix (cf. Misk. II, 128), l’explication la plus simple est qu’il s’agit de terres riches, à haut barème. Le Tārīkh-i Qumm 112 et 120-122 nous fait connaître, dans cette province iranienne, sept barèmes officiels de taxation de certaines denrées, s’échelonnant, pour le blé, de 3 dirhams 1 /6 à 15 1 /6, selon la fertilité des sols (établie, en bloc, par village). Les renseignements que le même ouvrage contient sur des districts voisins dépendant de Hamadhān y donnent au moins deux barèmes, l’un à 6 1/2, l’autre à 8 1/3, pour le blé ne requérant pas d’irrigation. D’autre part, à côté des céréales, de l’indigo et du coton, seuls mentionnés dans le K. al-ḥāwī, il y a naturellement à Qumm beaucoup d’autres denrées, dont les tarifs varient aussi, de sommes très faibles à 62 dirhams, par endroits, pour le safran (le coton est lui aussi ici tarifié à 30 ou 38 selon les terres, à Hamadhān 15, au Fārs aux 14/10 du blé ; la proportion entre les taux de taxation des diverses denrées n’est, cela va de soi, pas partout la même : l’orge, par exemple, est à Qumm et au Fārs assimilée au blé, à Hamadhān taxée aux 3/4. Au Fārs, Iṣṭakhrī distingue quatre espèces de terre selon les modalités d’irrigation, et trois régionales (Shīrāz, Djūr, Iṣṭakhr).
54Dans l’appréciation de la valeur de la terre, la nature de son approvisionnement en eau tenait naturellement une grande place. C’est en partie en raison des devoirs d’irrigation de l’État, mais aussi pour le contrôle fiscal, que le K. al-ḥāwī a inséré une étude des capacités des machines élévatoires, qu’on trouvera dans notre publication du Bull. d’Ét. Or. Le rapport de 7 à 6 donné ici dans un problème pour les taux d’irrigation de deux terres dont l’une est irriguée par des eaux de surface et l’autre par puits paraît correspondre en gros à celui qui était pratiqué en Iraq dans le cas des terres de kharādj, par exemple selon les recommandations d’Abū Yūsuf, sinon dans d’autes provinces ou pour les terres de dîmes (Lökkegaard 121 ; à Hamadhān, le blé irrigué peut descendre jusqu’à 1 1/12 dirh., au Fārs jusqu’au quart du kharādj « complet », selon Iṣṭakhrī 157). Tout dépend des conditions techniques certainement.
55Ce qui nous importe évidemment n’est pas de connaître le chiffre brut de la taxe au djarīb, mais si ce qu’il représente proportionnellement à la récolte est voisin des taux de la muqāsama. On s’expliquerait mal qu’il n’en ait pas été ainsi, en raison du passage de l’un à l’autre système parfois demandé ou réalisé dont il a été question précédemment. Les recoupements sont évidemment difficiles. Si l’on prend comme base de calcul le prix commercial du blé à 33 dinars, une taxe de 5 dirhams correspond à 3/4 de qafīz-capacité (24 litres) de grain ; le djarīb-surface étant un peu inférieur à 15 ares, cela représente une taxe de 160 1. à l’hectare, ou environ 11/3 quintal métrique ; une taxe de 20 dirhams correspond de même à un impôt de 3 qafīz-capacité au djarīb -surface (4-5 qx à l’ha). Ces chiffres, si incertains soient-ils, n’ont eux-mêmes de signification que par rapport au rendement : le texte d’Iṣṭakhrī 157 (que Muqaddasī et à sa suite Lökkegaard ont mal compris) montre que dans les meilleures terres du Fārs le rendement (et non l’impôt) du djarīb persan était évalué pour le fisc à 190 dirhams, ce qui ferait 50 pour une surface égale au djarīb iraqien et, dans l’hypothèse de prix du même ordre que ceux d’Iraq et de dirhams normaux, un rendement de 7-8 qafīz au djarīb iraqien (12 qx à l’ha). Précisions qui, ces terres du Fars étant évidemment parmi les plus imposées, nous amènent bien, pour la misāḥa, à un taux d’impôt proche de celui de la muqāsama.
56Il est regrettable que l’on ne puisse comparer la liste des prix du K. al-ḥāwī avec celles des taux d’imposition du Tārīkh-i Qumm, puisque ceux-ci sont établis d’après la surface, et non pas d’après la quantité de la récolte. De même des estimations d’Iṣṭakhrī.
57Comme l’indiquent deux problèmes de notre tableau, l’impôt par misāha n’est pas forcément payé qu’en espèces. Notre texte ne dit pas clairement si l’innovation qu’il prête à ‘Aḍud al-dawla a consisté uniquement à introduire en Iraq une mesure de ses territoires iraniens, ou plus largement à étendre l’imposition en nature, mesurée par le makhtūm iranien. La tradition courante dit que les 4 dirhams en lesquels consistait la taxe du djarīb de blé selon ‘Umar se décomposaient en 1 dirham en espèce et 1 qafīz en nature, estimé alors 3 dirhams (ce qui ferait 18 dinars le kurr au change du dirham d’alors) : c’est ce complexe qui s’appelle le makhtūm. Māwardī et Balādhurī mentionnent un makhtūm d’al-Ḥadjdjādj qui, selon Yaḥyā b. Ādam, aurait été choisi par le fameux gouverneur « selon le ṣa’ de ‘Umar », ṣa’ défini ailleurs comme égal au qafīz ḥadjdjādjī (Balādhurī 269 ; Abu Yūsuf 58, 81 ; Yaḥyā b. Ādam 101 ; Māwardī, Fagnan 331 ; 372) ; mais sans doute n’y a-t-il pas à conclure qu’il exclue le dirham supplémentaire en argent. Le makhtūm de ‘Aḍud al-dawla est lui beaucoup plus petit, puisqu’il est égal à 9 kayladja (1 kayladja = 1/24 qafīz). La taxe de 4 makhtūm ‘aḍudī est donc légèrement supérieure à celle du makhtūm de ‘Umar, qui équivaudrait à 32 kayladja. Estimée en prix, elle correspond à peu près à 12 dirhams, si l’on part des valeurs commerciales. Un autre problème, dont l’énoncé n’est pas absolument clair, paraît parler d’un makhtūm iraqien de 4 makkūk ( = 32 kayladja) + 1 ou 2 qīrāṭ, légèrement supérieur au makhtūm de ‘Umar et à peu près équivalent au makhtūm ‘aḍudī29.
58Les tarifs s’entendent annuellement, mais on sait que la perception se faisait en plusieurs fois, par exemple trimestriellement en Égypte, et tous les mois (sauf en certaines périodes deux ou trois) à Qumm ( Tar. 144), de manière à frapper à leur heure les diverses récoltes.
59Le K. al-ḥāwī ne précise pas pour quel usage a été dressée la liste des prix officiels de grains, etc., donnée en fin de cette section. La comparaison avec la table d’al-Būzadjānī peut cependant nous orienter. Il ne s’agit ni de lutte contre la vie chère par une politique de taxation, ni même de calcul de la valeur commerciale de denrées en vue de leur imposition dans les douanes ou sur les marchés, mais du payement du kharādj et autres formes d’impôt foncier. Le contribuable, taxé à une certaine valeur libellée en dirhams ou dinars, n’est pas pour autant toujours obligé de payer en espèces : il peut s’acquitter en nature ; le contribuable, qui doit verser en nature une certaine proportion ou une certaine valeur de sa récolte, n’est pas pour autant toujours obligé de le faire dans l’espèce même de la plante qu’il a cultivée sur le terrain imposé, il est autorisé à des remplacements si cela l’arrange, et si les conditions atmosphériques ont nui à telle culture et favorisé telle autre ; mais il y a alors à calculer les équivalences sur la base de tarifs officiels qui ne peuvent être soumis à toutes les variations minimes des marchés quotidiens. Une définition de ce genre a d’autre part pour avantage de lutter contre un abus dont nous savons qu’il se produisait, la vente, par les agents ou fermiers du fisc, des livraisons paysannes à trop bas prix à des compères, à la suite de quoi on se retournait vers le paysan pour lui déclarer son versement inférieur à la valeur requise pour l’impôt, et exiger un versement supplémentaire.
60Il serait illusoire de croire que les versements correspondaient normalement aux sommes réclamées par le fisc. On trouve constamment dans la littérature, et en particulier dans les comptes rendus détaillés du Tārīkh-i Qumm, mention des baqāyā, des arriérés. Presque pas d’année qui n’ait ses arriérés, acquittés parfois seulement au bout de plusieurs, et, à défaut de mieux, partiellement, à la suite d’un concordat (ṣulḥ). On verra que les avances consenties par certains agents aux contribuables défaillants, loin de pallier le mal, l’accentuaient. Il eût été normal s’il n’avait fait que traduire les irrégularités des récoltes. Mais on voit que le montant des arriérés à Qumm vers les années 285 approchait celui des impôts ; on pouvait bien procéder à des levées (istikhrādj) auprès des retardataires, mais l’argent obtenu d’eux ainsi compromettait leur solvabilité pour l’exercice normal suivant.
***
61Un des problèmes le plus débattu par les juristes musulmans en matière d’impôt est celui de la rétribution des agents du fisc : doit-elle être prélevée sur le produit de l’impôt ou payée en sus par le contribuable ? Le K. al-ḥāwī ne nous laisse là-dessus pas de doute : les deux personnages qu’il associe à l’assiette et à la levée de l’impôt, le māsiḥ et le djahbadh, sont l’un et l’autre payés par une taxe additionnelle sur le contribuable calculée dans le premier cas par djarīb mesuré, dans le second proportionnellement à la taxe de base versée au Trésor.
62Il s’en faut que la situation nous soit toujours présentée ainsi, et sans doute y a-t-il eu des transformations. Māwardī (Enger 264, Fagnan 321), du géomètre (māsiḥ) distingue le répartiteur (qassām) dont il n’est pas question ici. Mesure et répartition sont des opérations d’autant plus liées que le fisc considérait les villages comme collectivités solidaires, taxées globalement d’abord, et à l’intérieur desquelles la répartition entre contribuables se faisait ensuite. Le silence de notre texte signifie-t-il que māsiḥ et qassām sont confondus, ou que le qassām est un agent du village dont le fisc ne se préoccupe pas ? Quoi qu’il en soit, selon Māwardī, les juristes diffèrent d’avis sur le salaire du qassām, tandis qu’ils sont tous d’accord pour faire payer celui du māsiḥ sur le produit de l’impôt, donc sans surcharge pour le contribuable. On voit que la réalité était autre. Comme nos énoncés ne précisent le salaire du māsiḥ que dans des problèmes où la taxe au djarīb est faible, le pourcentage de ce salaire est élevé ; mais il descendait naturellement beaucoup dans les domaines à taxe forte des derniers problèmes. On arrive alors à des chiffres voisins de ceux du Tārīkh-i Qumm, selon lequel le salaire du māsiḥ est de 16 dirh. 2/3 aux 100 djarīb, soit, par rapport au barème des impôts pour les terrains à blé, de 1 % à 5 %. A Qumm, ce salaire ne va d’ailleurs pas intégralement au māsiḥ ; 6 dirh. 2/3 sont attribués au mu’ābir, contrôleur chargé de vérifier la régularité de ses opérations (p. 108) ; le māsiḥ n’opère en principe qu’en présence des intéressés, et reçoit d’eux sous serment les renseignements qu’il requiert. Il ne semble pas qu’il y ait de campagne fiscale sans māsiḥ ; cependant, il y a de temps en temps, sans périodicité régulière, des opérations générales de misāḥa, consistant à la fois dans la mesure des terres et la détermination de leur valeur (‘ibra) et par conséquent de leur taux d’imposition, et la tâche du māsiḥ dans les années ordinaires doit consister seulement dans les mises à jour nécessaires ; on voit mal s’il visite nécessairement alors tous les contribuables et si ceux-ci donc doivent le payer chaque année. A Qumm, l’acte d’estimation du kharādj se paye en plus 2 % (Tār. 149). Le rôle du djahbadh consiste dans toutes les opérations de pesage, change, rendues nécessaires par la multiplicité et l’incertitude des monnaies ; tous les versements lui passaient donc entre les mains. Il en résultait des frais couverts par une taxe supplémentaire qu’il était tentant de développer. Ce droit sur le change (rawādj) tendait déjà à entrer dans les mœurs au temps d’Abū Yūsuf, qui proteste contre lui30, et il est signalé par Qudāma parmi les opérations du dīwān al-djahbadha. Cet auteur, entre autres opérations de ce service, cite (23r°) la kifāya, qui, s’il faut en croire le K. al-ḥāwī, était le terme utilisé par al-Karadjī pour désigner le salaire du māsiḥ ; cela n’est pas a priori impossible, car le Tārīkh-i Qumm atteste que la dīwān al-djahbadha concentrait toutes les opérations liées à la perception ; mais, dans cet ouvrage, le mot kifāya désigne la taxe instituée (primitivement, y est-il dit, par les Califes marwānides) comme compensation à l’inégale valeur réelle des monnaies dont la valeur nominale était seule considérée dans les versements : originellement l/40e, majorée parfois jusqu’à 1 /30e ; il se peut donc que l’auteur du K. al-ḥāwī ait interprété de travers le vocable d’al-Karadjī. Dans le Tārikh-i Qumm (124, 147), kifāya et rawādj paraissent employés indifféremment l’un pour l’autre. A l’époque où nous sommes, il est évident que toutes les monnaies sont appréciées par rapport à l’étalon légal, et il ne peut plus donc s’agir que d’une taxe couvrant en principe les frais de leur vérification. Mais le salaire propre du djahbadh n’est pas équivalent à la totalité de cette somme ; à Qumm, où le contribuable paye une majoration de 25 % de l’impôt, il en est attribué au djahbadh 9 1 /6 ; ce salaire n’y porte pas de nom spécial ; al-Karadjī l’appelle ithnān, et il paraît porter le même nom dans la table d’al-Būzadjānī, qui en annonce la définition à côté du rawādj ; le pourcentage que ce salaire représente par rapport à l’impôt dans les problèmes du K. al-ḥāwī rend vraisemblable que le mot signifiait un droit de 2 %, supérieur donc à celui de Qumm, à moins qu’il n’y équivaille au droit total des 25 %. Enfin à ces droits Qudāma ajoute encore la wiqāya (droit de garde ?) et les kusūr. Il semble qu’il s’agisse, dans ce dernier droit, d’une taxe distincte du rawādj, frappant les payements en fractions de monnaies (usage très courant) ; à Qumm (Tārīkh, passim et 125), le droit de kusūr est stabilisé à 13 % et annexé à l’impôt lui même à la source (aṣl), c’est-à-dire que les taxes annexes sont calculées par rapport à un montant primitif d’impôt qui l’inclut ; le K. al-ḥāwī ne permet pas de savoir ce qu’il en était en Iraq, où peut-être on ne le mentionnait plus. Les juristes interdisent le fractionnement des monnaies et l’utilisation de morceaux pour l’impôt, mais il apparaît que le fisc avait dû en prendre parti plus réalistement.
63Tous ces droits, dit Qudāma, sont abusifs. Et ils donnaient lieu à d’autres abus. Les djahbadh en particulier profitaient de leurs disponibilités pour avancer de l’argent aux contribuables en difficulté ou tout simplement ne disposant pas de bon numéraire ; les dettes ainsi contractées, spécialement par les paysans, augmentaient leurs charges et compromettaient leur solvabilité même pour l’impôt proprement dit. Aussi venait-on, lorsque écrivait Qudāma, de prendre, nous dit-il, des mesures limitatives de la djahbadha, afin de sauvegarder l’impôt. Sans doute fait-il allusion aux efforts de l’illustre vizir ‘Alī b. ‘Īsā, en qui cette considération s’unissait au scrupule moral. Son rival Ibn al-Furāt considérait au contraire la djahbadha comme un moyen bienvenu d’accroître les ressources immédiates (Hilāl al-Ṣābī, K. al-Wuzarā’ 255). Il semble d’ailleurs que le système ait varié selon les endroits. Mais en gros le système de la djahbadha est si officiellement admis au ive siècle que, dans les diplômes de nomination des gouverneurs, où sont énumérés les impôts qu’ils ont à lever, la djahbadha figure normalement, avec la recommandation de ne pas tricher sur les quantités et les titres des monnaies. Comme l’impôt lui-même, la djahbadha d’un district pouvait être affermée. Mais il faut faire attention de ne pas confondre cette ferme avec celle de l’impôt. Il arrive souvent que l’État afferme l’impôt d’un district, ce qui veut dire que le fermier lui avance ou promet une somme déterminée, puis, en pleine autonomie, effectue la perception et garde pour lui le surplus ; la ferme de la djahbadha, bien que désignée par le même mot (damān), n’est-elle qu’un contrat d’entreprise : le djahbadh reçoit l’argent versé par les contribuables afin de le vérifier, mais il le reverse à l’État en ne gardant pour lui que le salaire tarifé à l’avance, et il n’est pas maître de la perception, qui reste faite sous le contrôle du ‘āmil, par un secrétaire (kātib al-rūznāmeh) qui inscrit dans son registre (rūznāmeh) les sommes reçues et en délivre les reçus (rūz, barāt) ; tous les frais secondaires (salaires des peseurs, des porteurs au Trésor) étant à prendre sur la djahbadha. Ses comptes doivent être épluchés en confrontation avec les rapports des secrétaires des rūznāmeh, et quittance ne lui est donnée de sa gestion qu’une fois tout cela fait (Tārīkh-i Qumm, 149-153 d’après deux contrats authentiques). Naturellement un fermier d’impôt reçoit sa ferme djahbadha incluse (quitte à s’entendre ensuite avec des djahbadh effectifs) ; mais l’inverse n’est pas vrai. C’est donc par erreur que l’on a fait des deux fameux djahbadh juifs31 du début du ive/xe s. des fermiers d’impôt, et leur puissance est à réduire d’un degré. Il reste cependant d’une part que les djahbadh doivent être normalement des banquiers privés avec lesquels l’État traite, et d’autre part que leur situation ouvre la porte aux abus signalés par Qudāma et leur procure des disponibilités de fonds susceptibles de servir à leurs entreprises privées. Il semble qu’à partir des Būyides le rôle des djahbadh ait un peu décliné ; il était naturellement faible dans les terres de muqāsama, et probablement dans les iqṭā’. Peut-être le djahbadh devint-il souvent ce que nous le voyons être en Égypte au temps de Saladin, un simple comptable des bureaux du fisc (‘Alī b. Shīt al-Qurshī, éd. Khūrī Qustantīn 30 ; Ibn Mammātī, ancienne éd., 10)32.
64La détermination du change pouvait être elle-même une source de bénéfices et excéder les niveaux commerciaux. A la veille de l’établissement de la domination būyide à Qumm, où les impôts paraissent avoir été payés en dinars dévalués, les agents du fisc et djahbadh en avaient décrété le cours abaissé progressivement jusqu’à 5 dirhams, alors que le représentant de Rukn al-dawla en jugea possible à son arrivée la stabilisation à près de 10 (exactement 1.000/109). D’autre part, manière de majorer certains contribules, par moments le change imposé aux Arabes nomades était légèrement supérieur au change des autres habitants ( Tār., Qumm, 142-144).
65Parmi les abus auxquels donnait encore lieu l’impôt étaient les erreurs de mensuration, qui n’étaient pas toujours involontaires ; leur correction figure comme problème dans le K. al-ḥāwī. Il fallait la scrupuleuse honnêteté d’un ‘Alī b. ‘Īsa pour s’en indigner même lorsqu’elles étaient faibles (Tanūkhī, trad. Margoliouth I, 75 ; Misk. I, 30).
66Enfin, il arrivait que des gouverneurs, bien que normalement payés sur le revenu normal de l’impôt, fissent lever pour eux-mêmes un surplus : ainsi à Qumm, depuis 355/966, on ajoutait au kharādj une fois levé un māl kharādj ou ikhrādj de 1.500 dinars levés sur les paysans à raison de 1 1/2 dinar pour 1.000 du kharādj. Sans parler encore de la demi-dîme qu’agents de l’autorité ou puissants locaux levaient sur leurs paysans sous prétexte d’une protection (ḥimāya) qu’ils ne lui assuraient même pas ( Tārīkh-i Qumm, 165-166).
***
67Les lignes relatives aux impôts solaires et lunaires et à la réforme d’al-Mu’taḍid ne contiennent rien qui ne soit connu depuis longtemps. Les droits sur les moulins, déjà signalés dans le budget de ‘Alī b. ‘Īsa, avaient été augmentés, peut-être pas durablement, par ‘Aḍud al-dawla (Rūdhrawārī 71, 78). Notre texte comprend une définition assez bonne de la muqāṭa’a, qu’il faut se garder de confondre, comme on l’a parfois fait depuis Qalqashandī sur la foi de la parenté étymologique, avec la qaṭī’a ou iqṭā’. Je m’excuse de ne pouvoir développer ici des questions sur lesquelles je reviens dans un autre article avec plus de détails ; au surplus, la distinction a été parfaitement marquée dans le récent livre de Lökkegaard, auquel il suffit de se reporter. Contentons-nous de rappeler que la muqāṭa’a consiste dans le remplacement du kharādj par un abonnement forfaitaire fixe établi sur la base d’une estimation qui n’est refaite qu’à de très longs intervalles (‘ibra). Ni sur ce mode d’imposition ni sur la capitation le K. al-ḥāwī ne nous donne de détail. Il ne dit pas un mot de terres de dîme, qui ne relèvent pas du même Diwān. Il n’est pas fait plus d’allusion aux mukūs, droits sur le commerce, aux diverses formes de ṣadaqa, à la djizya, ni même, en matière de kharādj, au cas des arbres.
68Il serait assurément imprudent de vouloir tirer de notre tableau des conclusions assurées relatives aux dimensions des domaines iraqiens au temps des Būyides. Notons simplement que les chiffres ici donnés vont de 10 djarīb (moins de 1,5 ha) (dans le Kāfī même 6 dj. = 0,9 ha) à 400 (près de 60 ha), le chiffre de 50 (7,5 ha) paraissant correspondre à peu près à la moyenne. Assurément il y avait des propriétés bien plus grandes, mais probablement souvent réparties entre plusieurs exploitations, et soumises à des régimes fiscaux différents (dîme ou muqāṭa’a) les soustrayant à l’attention des calculateurs de kharādj, auxquels s’adresse l’exposé du K. al-ḥāwī. En ce qui concerne les dimensions modestes des domaines ici envisagés, elles sont évidemment inférieures de beaucoup à celles d’un terroir villageois. Il dépasserait les limites possibles d’un commentaire de ces seules maigres données de traiter du problème économico-social que pose cette constatation : on ne peut guère que le formuler. L’impression générale qui ressort des sources est en effet que la période buyide est celle d’une concentration de la propriété et par conséquent d’une quasi-disparition de la paysannerie libre. Le morcellement des exploitations ne s’oppose pas formellement à cette conclusion. Néanmoins l’étude du kharādj exploitation par exploitation ne se serait pas poursuivie dans le cas de villages entièrement passés dans les mains d’un unique et même propriétaire auquel aurait été concédé un régime fiscal différent ni en cas de mono-culture. Il semble donc que le morcellement géographique, sinon social, de la propriété ait persisté au moins dans certaines régions — environs des grosses villes, peut-être ? — Encore une fois ce n’est que l’énoncé d’une recherche à laquelle être attentif toutes les fois que le hasard d’une documentation lamentablement maigre et dispersée paraîtra pouvoir en livrer quelque élément.
IV. OPÉRATIONS DIVERSES. CONCLUSION
69Il n’y a pas lieu de s’entendre sur les trop élémentaires et fragmentaires données des énoncés de la dernière section. Le premier et le troisième alinéa nous en montrent le Trésor dans le rôle maintenant non plus d’encaisseur, mais de payeur, dans l’important cas particulier de l’entretien des bêtes du gouvernement indispensables, notamment pour les transports, et de l’organisation matérielle des ambassades, courriers, etc. Le deuxième alinéa nous rappelle que la Poste se charge, moyennant finances (ici 3 1/3 %), du transport de certains objets. Al-Būzadjānī là-dessus, semble-t-il, nous en aurait appris plus.
***
70Pas plus que les précédents sur les monnaies et sur les prix, le présent paragraphe ne prétend constituer un examen complet des problèmes multiples et complexes que pose le kharādj. Je le répète : il n’avait pour but que de présenter, en l’éclairant par quelques confrontations, un document d’un genre nouveau, avec l’idée d’encourager d’autres recherches dans le même sens. Tant mieux si, chemin faisant, nous avons pu, sur quelques points, préciser les idées reçues.
71Il se trouve que le K. al-ḥāwī a été rédigé à une époque pour laquelle ont cessé pour nous les incomparables sources de documentation que nous avons dans les ouvrages d’histoire, de géographie, les correspondances du ive siècle. Il en résulte que, dans l’ensemble, les comparaisons que nous avons instaurées l’ont été surtout avec des situations légèrement antérieures. Cela a-t-il faussé notre optique ? Dans les secteurs abordés par l’auteur du K. al-ḥāwī, on retire de son livre l’impression que les règles de l’administration au temps des derniers Būyides restent assez semblables à celles non seulement des premiers, mais même des derniers ‘Abbāsides, souverains effectifs, et de leurs vizirs ‘Alī b. ‘Īsa et Ibn al-Furāt. Mais il faut prendre garde que la nature d’un ouvrage de ce genre exclut que certaines transformations capitales y apparaissent. Les modes de perception du kharādj n’ont pas changé, et certes l’auteur n’eût pas écrit ce livre si elles ne s’étaient plus jamais appliquées. Nous savons cependant par les témoignages formels de ses propres contemporains, en particulier de Miskawayh, qu’en fait tant de terres avaient été aliénées, la conception de l’iqṭā’ avait si bien évolué, entre les mains des militaires, vers celle d’une terre interdite au fisc, que le champ d’activité de celui-ci s’était trouvé singulièrement réduit. Le développement de la grande propriété remplaçait les anciens petits contribuables par des métayers des nouveaux maîtres ; et ceux-ci de moins en moins payaient l’ancien kharādj. Le K. al-ḥāwī nous invite à ne pas exagérer l’ampleur de cette évolution ; il serait stupide de la nier sous prétexte qu’il ne lui fait pas place.
72On voit d’autre part que le caractère de juxtaposition de mesures locales que feu Dennett (Conversion and the Poll-Tax, 1950) a si fortement mis en lumière pour la période d’organisation des finances musulmanes subsiste dans une large mesure en pleines périodes ‘abbāside et būyide ; si centralisé et bureaucratisé que soit un État musulman à échelle médiévale, si identiques partout les principes de ses institutions, les applications concrètes restent le fait d’une série de mesures locales d’une infinie diversité de détail.
Notes de bas de page
1 Par Woepcke dans Journal Asiatique 1885-I, 247-250.
2 Au Caire et à Rampūr, d’après Brockelmann.
3 Reproductions ou photographies des signes dīwānī p. ex. dans la Grammaire de De Sacy, p. viii ; Pihan, Signes de numération des peuples orientaux, Paris 1860 ; A. v. Kremer, Das Einnahme Budget des Abbassiden-Reichs vom Jahre 306 (Denkschr. d. k. Akad. d. W. Wien, Ph. hist. Kl. 36, 1888) et 7e Congrès des Orientalistes, Sect. Sémit., p. 18, pl. II-III ; sur les chiffres siyāqī plus récents, cf. Revue du Monde Musulman, 1915 ; sur le système général de comptabilité des Mongols musulmans d’Asie Mineure au xive s., W. Hinz, Das Rechnungswesen orientalischer Reichsfinanzämter im Mittelalter, dans Der Islam, XXIX, 1949. Le nom des monnaies est également abrégé et en général lié dans l’écriture à celui du chiffre.
4 Trad. Hochheim, Halle, 3 fasc. 1878-80.
5 Pour les précisions sur les sources du K. al-ḥāwī, cf. ma note d’Ars Islamica.
6 Il est curieux que Sauvaire ait omis al-Karadjī, qui lui aurait apporté quelques informations utiles.
7 Vers le moment où était rédigé le K. al-ḥāwī, un Khurāsānais, ‘Alī b. Ahmad Abū l-Ḥasan al-Ḥasan al-Nasawī, cherchait — mais l’ouvrage est perdu — à initier les comptables des fiscs būyide d’Iran et ghaznévide à l’usage des chiffres hindous. Pour des informations d’ensemble sur les mathématiciens arabes, cf. H. Suter, Die Mathematiker der Araber, dans Zeitschr. für Mathematik uni Physik, XLV, Suppl., et 1903, à compléter par les références plus récentes passim dans Sarton, Introduction to the History of Science.
8 Cf. paragraphe suivant.
9 Al-Karadjī (Kāfī III-21) rédigeant un énoncé avec intervention de dirhams donne à effectuer un paiement compté en dinars avec des dirhams à 20, à 15 et à 12 dirhams au dinar. En II-17 il parle de dirhams à 27 au dinar. En 111-22, il donne à effectuer un payement en dinars nīshāpūrī, en ‘adudī à 19 qīrāt nīshapūrī, et en qawāmī à 17 qīrāṭ nīshāpūrī (probablement à corriger en sābūrī, cf. commentaire infra). Enfin, ibid., il parle de dirhams endommagés dont 18 valent 15 de plein poids et de dirhams courants admis dont 16 valent 15 de plein poids.
10 Le Kāfī donne encore : fondre à 4 2/3 des dirhams de 4 et de 6 pour 10.
11 1 dinar = 60 ḥabba = 240 aruzza.
12 La table d’al-Būzadjānī contient en VI, 1-3, des problèmes sur la valeur d’échange et le poids comparé de l’or (‘ayn) et de l’argent (waraq).
13 Dans le Kāfī II, 17, le kurr coût 22 dinars.
14 Cas spécial : » Un tenancier de bains dit à son esclave : S’il entre un musulman, prends-lui 1/2 dirham ; un chrétien, 2 ; un juif, 3 » (19 v°).
15 Al-Karadjī demande aussi (III, 14) le résultat final de trois opérations commerciales dont les deux premières avec tant de profit, la dernière tant de perte. Il donne (III, 16) le prix d’une « bête de trait », 100 dirhams. D’après la table d’al-Būzadjānī, la 5e partie et une partie de la 7e étaient consacrées à des problèmes de l’ordre de ceux traités dans le présent paragraphe du K. al-ḥāwī.
16 Al-Karadjī III, 15 a un problème analogue, où l’étoffe est remplacée par un anneau, et qui donne un salaire de 38 8/9 ; dans d’autres problèmes (II, 17 et III, 15) les salaires sont de 47, 35 et 36 dirhams par mois.
17 Les mots kifāya et ithnān figurent avec le même sens dans la table d’al-Būzadjānī (IV, 5 et 6), qui parle aussi de rawādj (litt. cours monétaire, lu par Woepcke rawāh, mais cf. Qudāma 23r° et notre commentaire infra).
18 Cf. Fr. Lökkegaard, Islamic taxation in the classic period, Copenhague 1950, p. 125-127. Le mot, connu en syriaque et en particulier dans le Talmud (métathèse du grec taxis ?) était d’usage courant ; il figure dans la table d’al-Būzadjānī, dans les Mafātiḥ al-’ulūm 59 (« ṭisq ou ṭasq, impôt (wadhīfa) établi (wuḍi’at) selon les différentes espèces de denrées agricoles, par djarīb ; en persan ṭashq, c’est-à-dire loyer ‘udjra »), dans le K. al-wuzarā’ de Hilāl al-Ṣābī 237 (lettre officielle : « le kharādj, pour lequel wuḍi’at al-ṭusūq selon des taux inchangeables »), 263 (allégements de ṭusūq), 344 (lettre officielle : « waḍā’i’uhu wa ṭusūquhu »), 345 (mensurations faites en vue du ṭasq des récoltes), dans Qudāma 99 v°-100 r°, cf 101r° (le ṭisq primitif devait être de moitié des récoltes, puisque la dîme en a été calculée au 5e ; mais on a changé depuis lors le système des waḍā’i’ et ṭusūq) et, plus anciennement, p. ex. dans Balādhurī 271 (diversité des ṭusūq), 268 (« Il frappa leurs têtes de la djizya et leurs terres du ṭisq ») ou Yaḥyā b. Ādam, éd. Juynboll 39 (« Celui qui avoue être soumis au ṭisq avoue être un sujet aqarra bi l-ṣighār ») ; ces deux derniers auteurs l’emploient à propos du premier établissement du kharādj dans le Sawād de Bagdad sous ‘Umar, mais c’est à tort que Pfaff (Untersuchungen zu dem Grundsteuerbuch des Jahja b. Adam, Berlin. 1917, p. 8) le considère comme en train de tomber dès le iiie siècle en désuétude ; cependant, à peu de temps de la rédaction du K. al-ḥāwi, Māwardī, reproduisant la tradition de Qudāma citée ci-dessus, remplace ṭasaqa par ḍaraba ou waḍa’a (Enger 256, Fagnan 313), et, à partir de ce siècle, le mot ne paraît plus figurer que chez les lexicographes.
19 Le mot n’est pas donné avec un sens exactement convenable dans les dictionnaires. Je lis dans Ibn al-Fuwaṭī, éd. Muṣṭafā Djawād, p. 13, que, lorsque les Chrétiens ont versé leur djizya à l’employé qualifié, celui-ci leur écrit un rawz (l’éditeur a lu rawr). Il peut s’agir de reçus pour des acomptes (Lökkegaard 159).
20 Aux données de Sauvaire sur la qaṣaba il faut ajouter celles d’al-Karadjī : d’après le Kāfī III, 23 la mensuration se fait avec un bâton de 3 (d’après les problèmes, il faudrait : 6) coudées, du moins à Bagdad et dans son Sawād, bâton appelé bāb (lire nāb selon Ibel, Die Wage im Altertum und Mittelalter, Erlangen 1908, p. 72), et contenant quatre doigts de 6 grains d’orge. 100 bāb ou nāb (de côté) donnent 1 djarīb, 10 donnent 1 qafīz, 1 enfin 1 ‘ushr (‘ashīr).
21 Lecture incertaine, la ponctuation variant. Les Mafātīḥ al-’ulūm donnent le mot, étrangement associé par elles 62 à murāfiqa, muṣādara, muṣāliḥa ; cf. le commentaire infra.
22 La table d’al-Būzadjānī donne en V : 1) (... ?... compris par Woepcke : « des troupes de chameaux », sans rapport avec le contexte) et de leur échange dans les territoires de Basra, Kūfa, et environs ; 2) Différentes sortes de grains et leur échange ; 3) Échange des denrées les unes contre les autres lors qu’elles sont soumises à des mesures différentes ; 4) Exemples pour le débutant ; 5) Muqāsamāt ; 6) Fixation des prix (tas’īr) ; 7) Achats des denrées évaluées d’après des systèmes de mesures différents.
23 La table d’al-Būzadjānī donne, section VI, § 4-6, d’après Woepcke, ce qui suit : « 4) De la livraison des rations et du payement de la solde des troupes » ; 5) Du calcul des fourrages ; 6) Du calcul des ma’āṣīr et des ḥawār (que je ne comprends pas ; ḥawār est peut-être à corriger en djawāz = passage, droit de passage ?). Le § 7, que Woepcke n’a pas compris du tout, est sûrement à lire ainsi : « Des courriers (burud, pl. de barīd), postillons (fuyūdj, et non futūḥ) et chameaux de course (djammāza, et non « chemises »...) Cf. Mez, Die Renaissance des Islams, p. 469.
24 On les trouve signalés en 392 (Hilāl al-Ṣābī, Histoire 460) et en 416 et 427 comme de bonnes pièces d’usage courant à Bagdad (Ibn al-Athīr IX, 246 et 308). Leur nom ne peut provenir de Qāsān, localité secondaire et excentrique (au Ferghana), et la correction en Qāshānī serait contraire à tous les mss. L’éditeur (al-‘Arīnī) du traité de ḥisba d’al-Shayzarī (vie s. H.) a effectué cette correction, mais contre l’avis de ses mss., cet auteur (damasquin) paraît considérer le qāsānī et le sābūrī comme de valeur différente (p. 75).
25 C’est ce qu’a supposé ‘Abd al-’Azīz Dūrī dans une thèse sur l’Iraq būyide que je n’ai malheureusement pu que parcourir rapidement sur ms. à l’Université de Londres, la traduction arabe publiée à Bagdad en 1944 m’ayant été inaccessible. La tendance à la baisse s’entend en monnaie légale ; quand le public avait des dirhams dévalués, pour lui il y avait hausse. Et baisse n’est pas synonyme de prospérité.
26 Op. cit., chap. V ; notre K. al-ḥāwī et la table d’al-Būzadjānī, suivant un usage général, réservent le nom de kharādj au kharādj par misāḥa, et appellent l’autre simplement muqāsama. Sur les désirs de certains paysans d’avoir le régime de la muqāsama, Hilāl, Wuzarā’ 359.
27 Lökkegaard 109-110 et 117-122 : du quart à la moitié. Hilāl, Wuzarā’ 196 donne une demande de changement de catégorie présentée par un propriétaire.
28 Sur cet ouvrage, cf. l’article de Miss Lambton dans le Bull. of the School of Or. St. 1947-8, p. 580 sq.
29 Plus généralement, l’épithète makhtūm, scellé, accompagne couramment les mots dastūr, qānūn, taqrīr, etc., indiquant le montant de l’impôt officiellement établi pour la perception d’un exercice.
30 Éd. Bulaq 62 (Caire 130) ; Fagnan 166 a mal compris : il faut traduire : « On ne prendra pas aux contribuables ce qu’on appelle le rawādj pour les dirhams qu’ils versent en payement du kharādj ; on m’a dit en effet que, lorsque l’un d’eux apporte des dirhams pour son kharādj, on lui en retranche une partie, ce qui constitue ce qu’on appelle rawādj et ṣarf. »
31 Sur lesquels cf. Fischel dans JRAS 1933. Il y en avait de chrétiens et « mages » (Maris, Amri et Slibae Chronicon Nestorianum, éd. Gismondi 84).
32 Le passé et le vocabulaire de l’institution ne sont pas en Égypte absolument identiques à ce qu’ils sont en Iraq ; mais que les complications monétaires avaient aussi très tôt donné lieu à des tentatives de profit résulte des nombreux papyrus portant quittance de versements « nets de change (ṣarf) et déchets, résidus (khasr) (cf. A. Grohmann dans Mélanges Maspéro III, 11). Voir aussi Ibn Ḥawqal, éd. Kramers, I, 137.
Notes de fin
* Publié dans les Annales de l’Institut d’Études Orientales, Faculté des Lettres de l’Université d’Alger, X, 1952, 326-363.
Post-scriptum. Dans le présent article et les autres que j’ai tirés du Kitāb al-Ḥāwī, j’ai donné comme date de cet ouvrage le milieu approximatif du ve/xie siècle. Je continue à mal voir comment il pourrait lui être postérieur ; néanmoins je dois signaler que parmi les sources de l’auteur anonyme figure un ḥāsib al-Shaqqāq qui pourrait être Abu ‘Abdallah (ou ‘Alī b. al-Ḥusayn al-ḥāṣib connu par un commentaire d’al-Karadjī (celui-ci du début du ve/xie siècle) conservé dans le ms. Saray 3155 (GAL Suppl. 854) et qu’Ibn Naẓīf et Ibn Nadjdjār font mourir en 515 ou 525. Si le K. al-Ḥāwī est postérieur à cette date, les dinars ruknī mentionnés devraient s’entendre de ceux de Tughril-Beg.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Armées et combats en Syrie de 491/1098 à 569/1174
Analyse comparée des chroniques médiévales latines et arabes
Abbès Zouache
2008
Fondations pieuses en mouvement
De la transformation du statut de propriété des biens waqfs à Jérusalem (1858-1917)
Musa Sroor
2010
La grande peste en Espagne musulmane au XIVe siècle
Le récit d’un contemporain de la pandémie du XIVe siècle
Aḥmad bin ‘Alī bin Muḥammad Ibn Ḫātima[Abū Ǧa‘far Ibn Ḫātima al-Anṣārī] Suzanne Gigandet (éd.)
2010
Les stratégies narratives dans la recension damascène de Sīrat al-Malik al-Ẓāhir Baybarṣ
Francis Guinle
2011
La gent d’État dans la société ottomane damascène
Les ‘askar à la fin du xviie siècle
Colette Establet et Jean-Paul Pascual
2011
Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité
Ahmed Bouyerdene, Éric Geoffroy et Setty G. Simon-Khedis (dir.)
2012
Le soufisme en Égypte et en Syrie
Sous les derniers mamelouks et les premiers ottomans. Orientations spirituelles et enjeux culturels
Éric Geoffroy
1996
Les maîtres soufis et leurs disciples des IIIe-Ve siècles de l'hégire (IXe-XIe)
Enseignement, formation et transmission
Geneviève Gobillot et Jean-Jacques Thibon (dir.)
2012
France, Syrie et Liban 1918-1946
Les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire
Nadine Méouchy (dir.)
2002
Études sur les villes du Proche-Orient XVIe-XIXe siècles
Hommage à André Raymond
Brigitte Marino (dir.)
2001