Annexe II. Un temps de renaissance
p. 701-703
Texte intégral
« CARACTÉRISTIQUES DE LA RENAISSANCE ACTUELLE1 » (1914)
1La période actuelle diffère de toutes les autres périodes de la littérature. Ceci est à l'image du contexte social et politique dont le fait majeur est l'influence de la civilisation européenne (ta’ṯīr madaniyyat Ūrubbā). Depuis l'apparition de l'islam, la littérature arabe resta toujours dans la sphère de la civilisation islamique (ḍimna dā’irat al-madaniyya al-islāmiyya). Même si elle s'adapta aux différentes phases de cette civilisation, elle ne sortit jamais de son cadre. La littérature connut une croissance interne grâce à ce qu'y faisaient entrer ses fils, chacun selon son talent, en vertu d'un processus d'élargissement et de diversification propre à la loi de l'évolution (nāmūs al-nušū’). La Renaissance actuelle, quant à elle, doit tout à la civilisation moderne (al-madaniyya al-ḥadīṯa) qui diffère, dans la forme et dans le style, de la civilisation des musulmans (madaniyyat al-muslimīn). Ces derniers, certes, au début de l'Empire abbasside, passèrent d'une phase à une autre en traduisant les sciences des Anciens en arabe. Mais l'Empire arabe, en ces temps-là, achevait de se constituer et se trouvait au sommet de sa force. Il absorbait et assimilait les connaissances des autres nations en leur donnant une teinture arabe et musulmane (sibġa ‘arabiyya islāmiyya). Dans cette Renaissance-ci au contraire, le courant de la civilisation moderne (tayyār al-madaniyya al-ḥadīṯa) a submergé les enfants de l'Empire arabe. Ceux-ci, malgré la surprise provoquée par le premier contact, n'ont pu éviter de se laisser emporter, stupéfaits et hostiles, par un courant qui allait dans le sens inverse de leurs habitudes.
2Al-Ğabartī, ainsi, fit part de l'étonnement que lui causa le mode de vie des Français. Il décrivit tout ce qu'il avait observé chez eux : leurs tables, comment ils mangeaient, buvaient ou s'habillaient, leurs activités scientifiques, leurs travaux de chimie, leurs livres illustrés, leurs instruments. La surprise (dahša) d'al-Ğabartī illustre l'état d'esprit de n'importe quel Oriental (Šarqī) de son temps. Il était donc douloureux pour les Orientaux de se mettre à imiter la civilisation des Francs (taqlīd al-Ifranğ fī madaniyyati-him), à cause du danger bien connu que représente le passage brutal d'un état social à un autre — comparable au passage de la chaleur intense au froid d'un seul coup. Mais la nature prévient un tel danger avec la tendance qu'ont les peuples à s'aggriper aux habitudes, aux traditions et aux coutumes dont ils ont hérité, surtout quant elles touchent à la religion ou à la loi divine (al-šar‘). Même pour des actes sans aucun rapport avec ces dernières, comme la construction de bâtiments ou l'élargissement de rues, le passage d'un modèle à un autre n'était guère aisé. Aussi quand de tels actes devenaient indispensables, recourait-on à une consultation juridique.
3Le regretté 'Ali Pacha Mubārak, dans un passage de ses Ḫiṭaṭ sur la construction d'une nouvelle voie au Caire a rapporté ce qui suit : avec la croissance du commerce, l'augmentation du nombre d'étrangers dans le Muskī et l'Azbakiyya, la multiplication des véhicules et l'aggravation de la circulation dans les anciennes ruelles, Muhammad 'Ali décida de construire la nouvelle rue et ordonna le rachat des propriétés qui se trouvaient sur son tracé. Mais il ne commença à la percer qu'après avoir consulté les ‘ulamā’. Ceux-ci rendirent l'avis que le projet fût exécuté de manière à permettre à deux chameaux chargés de passer sans peine, ce qui fut évalué à huit mètres.
4Ne parlons pas de la difficulté à accepter les aspects de la civilisation qui touchent aux croyances et aux habitudes. Le fondateur de l'imprimerie arabe d'Istanbul ne se lança dans l'entreprise qu'après la délivrance d'une consultation juridique. Hier encore, lorsque les réformateurs (al-muṣliḥūn) voulurent introduire les sciences de la nature à al-Azhar, ils ne purent le faire qu'avec une fatwā.
5Pour toutes ces raisons, il y a bien plus de différence entre cette Renaissance et ce qui l'a précédée qu'entre la période passée et celle encore antérieure à elle. La différence réside dans ce que nous avons appelé les caractéristiques de la Renaissance actuelle et dont voici les principales :
61. la fondation d'écoles modernes
72. l'imprimerie
83. la presse
94. l'esprit de liberté individuelle
105. les associations culturelles et scientifiques
116. les bibliothèques publiques
127. les musées
138. le théâtre
149. l'intérêt des Européens pour la littérature arabe.
Notes de bas de page
1 Traduction de « Mumayyizāt hāḏihi l-Nahḍa », Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya (Histoire de la littérature arabe), IV, p. 14-16. Cet extrait est notamment analysé à la fin du chapitre X (« D'une Nahḍa à l'autre : le sens de l'histoire »).
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