Chapitre XII. Une autorité intellectuelle contestée
p. 627-674
Texte intégral
1L'œuvre de Ǧurǧī Zaydān fut appréciée par ses lecteurs et par les milieux intellectuels de son temps pour ce qu'elle était : celle d'un vulgarisateur érudit et éclairé qui renouvelait les modes d'expression en langue arabe. Mais, dans le contexte des années 1880-1914, Zaydān pouvait aussi faire figure de savant. Il avait acquis une grande culture historique et littéraire dont témoignaient d'ambitieux ouvrages, notamment l'Histoire de la civilisation islamique et l'Histoire de la littérature arabe. La question de son statut scientifique et de sa reconnaissance académique finit donc par se poser. D'après des lettres qu'il adressa en 1912 à l'écrivain égyptien Luṭfī Ǧum‘a (m. 1958), et que cite un article du journal Al-Siyāsī paru en 1987, son entourage l'aurait poussé à briguer un titre universitaire. Mais lorsque Luṭfī Ǧum‘a lui confirma qu'il n'obtiendrait pas de doctorat d'une université européenne sans faire de thèse, il ne se sentit pas apte à se lancer dans une telle entreprise. Il avait pensé que le grade de docteur pouvait être conféré sur qualifications1 C'est finalement du Syrian Protestant College de Beyrouth qu'il obtint un titre honoris causa quelques mois avant sa mort2.
2D'une tout autre importance était l'ouverture des portes de l'Université égyptienne en 1908. C'est elle qui, concrètement, pouvait lui donner un statut scientifique et intellectuel. Comme cette université était la première du genre en Égypte, elle ne pouvait en effet recruter de professeurs ayant les diplômes requis qu'à l'étranger. Localement, il lui fallait puiser dans le milieu des érudits ouverts à la méthode critique moderne, au courant des recherches menées en Occident dans leur domaine et maîtrisant suffisamment l'arabe pour enseigner dans cette langue. Zaydān était un candidat qualifié. Sa formation – même écourtée – au Syrian Protestant College, sa vaste culture, son esprit scientifique, sa notoriété, le désignaient pour obtenir un poste de professeur. En 1910, l'Université décida donc de lui confier une chaire d'histoire des pays musulmans et de l'Égypte musulmane. Mais l'émotion d'une partie de l'opinion à l'idée qu'un chrétien fût chargé d'un tel enseignement amena le Conseil d'administration à revenir sur sa décision.
3Cette affaire montre que Ǧurǧī Zaydān était en train d'acquérir de l'autorité et que cette autorité était contestée. En raison même de son succès, Zaydān se trouvait de plus en plus exposé à la polémique. Les sujets qu'il traitait, l'histoire de la civilisation islamique ou l'histoire de la littérature arabe, outre leur ambition scientifique, avaient des enjeux politiques. Ils engageaient les rapports entre arabité et islam, entre Arabes et Turcs, entre musulmans et non-musulmans.
4C'est pourquoi les ouvrages de Zaydān furent âprement critiqués et parfois attaqués. Les critiques que nous avons relevées émanèrent de deux catégories de lettrés : de prêtres catholiques spécialistes de langue et de littérature arabes, le jésuite Louis Šayḫū (Cheikho) et le carme Anastase-Marie, et de musulmans réformistes, en tête desquels figuraient deux vieilles connaissances de Ǧurǧī Zaydān, Muḥammad Rašīd Riḍā et le ‘ālim indien Šiblī Nu‘mānī. Ces hommes contestèrent l'autorité de Ǧurǧī Zaydān du point de vue de la critique moderne, du point de vue de la Révélation chrétienne et du point de vue de la tradition scientifique musulmane.
5Zaydān, l'écrivain moraliste, l'homme de plume aspirant à exercer sereinement son art, se trouvait désormais engagé dans des polémiques intellectuelles que son tempérament réprouvait. Il se heurtait, en somme, à la concurrence d'autres prétendants à la direction des consciences. On ne se déclare pas sans risque « guide de la nation ».
L'AFFAIRE DE L'UNIVERSITÉ ÉGYPTIENNE (1910)
6L'Université égyptienne (Al-Ǧāmi‘a al-miṣriyya) fut inaugurée le 21 décembre 1908 en présence du khédive ‘Abbās Ḥilmī II, de ministres, et d'une foule d'invités dont faisait partie Ǧurǧī Zaydān3. Elle se trouvait provisoirement installée au cœur du Caire moderne, dans une propriété louée à Nestor Gianaclis, un riche fabricant de cigarettes de nationalité grecque. Ce bâtiment est aujourd'hui le siège de l'Université américaine du Caire. L'Université égyptienne était, à ses débuts, une fondation privée subventionnée par le khédive et, à partir de 1911, par le ministère de l'Instruction publique. Depuis la fin de 1907, son Conseil d'administration était présidé par l'oncle de ‘Abbās Ḥilmī, le prince Aḥmad Fu’ād, futur sultan puis roi d'Égypte (1917-1936)4.
7Avant d'être relayé par le Palais, le projet d'université était né dans les milieux nationalistes et réformistes égyptiens. Il avait été défendu notamment par Muṣṭafā Kāmil dans Al-Liwā’. Muḥammad ‘Abduh, devant les difficultés rencontrées pour réformer al-Azhar, l'avait aussi encouragé avant sa mort en 1905. Ce sont ses disciples, Sa‘d Zaġlūl et Qāsim Amīn, qui donnèrent finalement corps au projet en constituant, en 1906, le premier comité chargé de lever des fonds. L'initiative de créer une université où l'enseignement se ferait en arabe correspondait à l'effervescence nationaliste provoquée par l'incident de Dinšaway5.
8L'idée de l'Université toutefois n'était pas qu'égyptienne. Ǧurǧī Zaydān lui-même avait été l'un des premiers, dès 1900, à proposer la création d'un collège d'enseignement supérieur (madrasa kulliyya) qui prendrait modèle sur le Syrian Protestant College de Beyrouth ou le Muhammadan Anglo-Oriental College d'Aligarh en Inde6. Par la suite, Al-Hilāl ne devait cesser de rendre compte de l'évolution du projet, depuis la constitution du comité en 1906 jusqu'à la pose de la première pierre d'un nouveau bâtiment dans le quartier de Būlāq en 19147.
9Zaydān était particulièrement attentif à la forme donnée à l'établissement. Il faisait bien la différence entre « collège » et « université ». Il considérait que ce qu'il fallait à l'Égypte, c'était un collège qui mettrait les étudiants au niveau du baccalauréat européen. Il le voyait comme un établissement intermédiaire entre les écoles secondaires égyptiennes et une université proprement dite, composée de plusieurs facultés ou de collèges plus ou moins autonomes comme à Oxford. Ce collège commencerait par donner un enseignement scientifique que Ǧurǧī Zaydān estimait nécessaire à la formation des esprits. On y étudierait d'abord de manière approfondie les mathématiques, la logique, la philosophie et les sciences de la nature : physiologie, botanique, zoologie, géologie, astronomie. On passerait ensuite à la littérature ou à l'histoire de la civilisation.
10Le collège voulu par Zaydān aurait une double mission, non seulement d'instruction (ta ‘līm) mais aussi d'éducation (tarbiya). Il serait, de préférence, un internat où les élèves vivraient avec leurs professeurs et pourraient prendre exemple sur eux. Ils apprendraient à discuter, à échanger, à faire des recherches personnelles, à s'organiser. Ce serait une école de liberté et de patriotisme8.
11L'établissement inauguré en décembre 1908 ne correspondait pas aux attentes de Zaydān. Il portait le nom d'Université, et c'est bien comme tel qu'il avait été conçu, même si dans les premiers temps son offre fut limitée. Comme il existait déjà une école française et une école khédiviale de droit, ainsi qu'une école de médecine, une école d'agriculture et une école polytechnique, et que l'Université n'avait pas les moyens de créer plusieurs facultés, c'est l'enseignement des lettres qui fut d'abord privilégié, non l'enseignement scientifique. Cet enseignement était dispensé sous la forme de cours magistraux que Zaydān trouvait inadaptés aux besoins profonds de la jeunesse égyptienne.
12Les débuts furent modestes. La première année (1908-1909), cinq cours étaient proposés : la civilisation antique, la civilisation musulmane, la littérature géographique, historique et philologique des Arabes, la littérature française et la littérature anglaise. Aḥmad Zakī et l'orientaliste italien, Guidi dont nous avons déjà parlé, étaient respectivement chargés du cours sur la civilisation musulmane et du cours sur la littérature géographique, historique et philologique des Arabes9.
13L'année suivante, en 1909-1910, Zaydān eut le sentiment que ses appels étaient entendus. Mathématiques et sciences naturelles furent introduites dans les programmes. Une section réservée aux jeunes filles et dirigée par une Française fut, de surcroît, créée.
14Au printemps 1910, l'Université décida de s'agrandir pour sa troisième rentrée. Deux départements furent mis en place : un département des lettres (qism al-funūn al-adabiyya) et un département des sciences économiques (qism al-‘ulūm al-iqtiṣādiyya). Les matières enseignées au département des lettres furent étoffées et portées au nombre de onze : littérature arabe, histoire de la littérature arabe, littérature anglaise, littérature française, histoire de l'Égypte ancienne et évaluation de la place de ce pays dans le monde antique, histoire des peuples musulmans et spécialement de l'Égypte islamique, histoire du monde occidental (Europe et Amérique), philosophie arabe et morale, histoire des doctrines philosophiques, étude comparée des langues sémitiques avec références spéciales à l'arabe, géographie et ethnologie10.
15C'est alors que Zaydān fut pressenti pour occuper la nouvelle chaire d'histoire des pays musulmans. Le 16 juin 1910, l'Université l'informa par lettre de sa nomination, que justifiaient « l'étendue de ses connaissances » et sa « parfaite maîtrise du sujet11 ». Le choix de Zaydān pour ce poste n'avait rien de surprenant. Personne en Égypte n'avait encore les titres nécessaires pour enseigner à l'Université. Des étudiants avaient été envoyés en Europe pour préparer un doctorat, mais, en attendant leur retour, il fallait bien recruter des professeurs intérimaires. Pour des raisons financières et politiques évidentes, il était impossible de les faire tous venir de l'étranger. On rechercha donc sur place les personnalités les plus compétentes. Zaydān en était une. Tout audidacte qu'il fût, il était devenu l'un des spécialistes arabes de l'histoire des Arabes et de l'islam abordée selon la méthode orientaliste. Son prédécesseur à l'Université, Aḥmad Zakī, n'était ni plus ni moins qualifié que lui pour enseigner l'histoire de la civilisation islamique, qu'il avait lui aussi apprise par lui-même après des études de droit12. Par la suite, d'autres intellectuels accéderaient à l'Université sans être titulaires de doctorats, tels Aḥmad Amīn, nommé professeur d'arabe en 1926, ou même Ahmad Luṭfī al-Sayyid, recteur de 1925 à 1940.
16Après une courte hésitation, Zaydān accepta la chaire d'histoire des pays musulmans qui lui était offerte. Il le fit pour « le service de la science et le bien de la patrie », selon les termes de l'Université, malgré la surchage de travail que ce poste entraînait et le retard qu'il faisait prendre à la publication du premier volume de l'Histoire de la littérature arabe13. Zaydān dit aussi avoir demandé à la direction de l'Université si elle ne craignait pas que l'opinion ne fût choquée de voir la chaire d'histoire des pays musulmans confiée à un chrétien. Car bien des « signes » lui montraient que les relations interconfessionnelles s'étaient dégradées14. Rappelons que quelques mois auparavant, en février 1910, le premier ministre copte, Butrus Ġālī, avait été assassiné et que Zaydān, derrière les propos prudents tenus dans Al-Hilāl, s'en était montré particulièrement inquiet15. L'Université, pour sa part, restait confiante. Il fut répondu à Zaydān que l'enseignement dont il aurait la charge ne porterait que sur l'histoire, non sur la religion islamique, et que sa réputation de mesure et de modération devrait couper court à toute polémique16.
17A vrai dire, Zaydān ne demandait qu'à être convaincu. Si l'on peut tout à fait le croire lorsqu'il explique que cette chaire représentait pour lui une charge supplémentaire dont il n'avait pas besoin, elle était aussi une consécration de son talent et de la mission d'enseignement qu'il s'était donnée comme écrivain. Rassuré par le Conseil d'administration, il donna son accord dès le 18 juin 1910 et se mit à préparer son cours. Il dessina des cartes murales, puis, en septembre, de retour de vacances à Beyrouth et au Liban, élabora son programme et commença à rédiger ses premières conférences17.
18C'est alors que les journaux rendirent publique sa nomination. Si une partie de l'opinion vit en elle un signe encourageant de « tolérance religieuse18 » (tasāhul dīnī), d'autres craignirent les réactions de « la masse des musulmans » (al-‘āmma min al-muslimīn) qui pourrait interpréter les propos de Zaydān en cours comme une offense à l'islam et les exploiter pour semer le trouble19. D'autres encore eurent peur que l'Université ne fût soupçonnée de porter délibérément atteinte à la religion et que le soutien des riches bailleurs de fonds ne s'en ressentît20.
19C'est dans ce contexte, un beau jour d'octobre 1910, que Zaydān apprit incidemment, en lisant le quotidien Al-Mu’ayyad, l'un des porte-parole de l'opinion musulmane, que l'Université se résignait à le remplacer contre dédommagement. Le même jour, un journaliste envoyé par un autre quotidien vint l'interviewer en lui demandant de plus amples détails sur sa révocation. L'intéressé n'était toujours officiellement au courant de rien. Il comprit que le Conseil d'administration de l'Université n'avait pas encore pris sa décision définitive. C'est tard dans la soirée, après une discussion houleuse, qu'une majorité se prononça en faveur du remplacement de Zaydān21.
20Le lendemain, une délégation de quatre personnes vint lui présenter des excuses en lui expliquant qu'en considération des sentiments de « la masse des musulmans ignorants » (‘āmmat al-muslimīn al-ǧuhalā’), le Conseil avait jugé préférable de confier son poste à un musulman. La compétence scientifique de Ǧurǧī Zaydān n'était guère en cause, à tel point que les délégués se montrèrent prêts à lui donner un autre cours sur un sujet moins sensible22.
21Cette proposition resta apparemment sans suite. Zaydān lui-même, déjà accablé de travail, ne cherchait pas à tout prix, nous l'avons dit, à enseigner à l'Université. Il se contenta d'une indemnité de cent livres égyptiennes23. L'année suivante, en 1911, l'Université chercha peut-être à se dédouaner envers lui en attribuant un prix à son nouveau livre, l'Histoire de la littérature arabe, préféré à un ouvrage du musulman Muṣṭafā Ṣādiq al-Rāfi‘i (1880-1937) sur le même sujet24.
22Le remplaçant désigné de Ǧurǧī Zaydān fut le cheikh Muḥammad al-Ḫuḍarī (1872-1927), ancien élève de Dār al-‘ulūm et professeur à l'École de la magistrature šar‘ī (Madrasat al-qaḍa’) — une institution ouverte en 1907 pour former les juges des tribunaux musulmans25. Ces deux établissements, Dār al-‘ulūm et l'École de la magistrature, fondés pour moderniser l'enseignement de mosquée traditionnel, étaient des viviers de professeurs pour l'Université égyptienne débutante, car ceux qui en étaient issus maîtrisaient bien l'arabe et s'étaient frottés aux sciences profanes et aux méthodes de la critique moderne venues d'Occident, en restant inattaquables du point de vue de leurs connaissances en sciences religieuses26.
23Ṭāhā Ḥusayn, l'un des tout premiers étudiants de l'Université égyptienne, brosse dans ses souvenirs un bref portrait du cheikh Ḫuḍarī qu'il eut pour professeur. Il évoque son timbre agréable et sa diction claire, et dit l'intérêt qu'il éprouva à suivre ses cours d'histoire islamique et les horizons jusque là, insoupçonnés qui s'ouvrirent alors à lui. L'opinion de Ṭāhā Husayn sur la façon dont le cheikh Ḫuḍarī parlait de l'histoire de l'Europe, en revanche, est nettement moins favorable. Elle lui fit prendre conscience que son professeur manquait, dans le fond, d'esprit critique27.
24Ṭāhā Ḥusayn décrit ainsi le programme du cours de Muḥammad al-Ḫuḍarī sur l'histoire des pays musulmans : le professeur commença par faire la biographie du Prophète (sīra) puis traita successivement des califes rāsidūn et de leurs conquêtes, des divisions de la communauté musulmane (fitan), de la dynastie umayyade et des débuts de la dynastie abbasside28. C'était là un programme bien plus ancré dans la tradition religieuse que l'histoire de la civilisation islamique de Zaydān qui ne faisait ni la biographie du Prophète ni le récit détaillé des discordes survenues entre sunnites et chiites, sujets délicats entre tous. D'après le programme donné par Tàhà Ḥusayn, le cheikh Ḫuḍarī prit pour point de départ de l'histoire des pays musulmans la mission prophétique elle-même. Zaydān, pour sa part, avait prévu un cours introductif qui situait l'histoire de l'islam dans l'histoire générale de l'humanité et dans la succession des civilisations29.
25Les raisons et les circonstances de sa révocation laissèrent évidemment à Zaydān un goût amer. Il fut mécontent qu'Al-Mu’ayyad eût été au courant avant lui de son remplacement et que l'Université se fût souciée si tardivement de l'hostilité de l'opinion musulmane, alors qu'il avait été le premier à la mettre en garde30. Il se sentit toutefois soutenu par la « réclame » faite autour de lui31. Car l'affaire eut visiblement de larges échos dans l'opinion. A en croire le témoignage de l'intéressé, une bonne partie de la presse jugea que l'Université s'était mise dans son tort. Sa volte-face ne fut généralement pas portée à son crédit.
26Zaydān ne chercha pas à envenimer la polémique. Il se borna à publier dans le numéro d'Al-Hilāl de décembre 1910 le texte de la première conférence qu'il aurait dû prononcer32 ainsi qu'un article intitulé « Nous, l'Université égyptienne et l'histoire de l'islam », qui relatait les faits de façon mesurée, sans complaisance pour l'Université mais sans acrimonie33. Contrairement à la lettre qu'il avait adressée en privé à son fils le 12 octobre 1910, sous le coup de l'émotion, pour lui raconter ce qui s'était passé, il se garda de déplorer ouvertement, dans son article, le « fanatisme » (ta‘aṣṣub) religieux dont il sentait que les cœurs étaient pleins à l'idée qu'un chrétien enseignât l'histoire de l'islam. Il procéda par litote en rappelant que sa nomination avait été prise pour un signe de « tolérance » (tasāhul) — terme dont le contraire, sous la plume de Zaydān, est toujours ta‘aṣṣub. Il se contenta de faire allusion aux tensions confessionnelles que connaissait alors l'Égypte, à la suite de l'assassinat de Buṭrus Ġālī, en expliquant que si chrétiens et juifs, par le passé, étaient entrés au service des califes abbassides et si la Bible avait été interprétée par tel juriste musulman34, la situation avait aujourd'hui changé, ce que montraient de nombreux indices.
27Le numéro d'Al-Hilāl de décembre 1910 fut le seul dans lequel Zaydān évoqua l'affaire. Il n'y fit plus la moindre allusion dans les articles qu'il consacra ensuite à l'Université égyptienne. Mais l'incident l'avait profondément marqué et c'est toujours avec peine, d'après le témoignage de Salāma Mūsā, qu'il en parlait35. L'état d'esprit de Zaydān, après avoir avoir perdu son poste de professeur, est perceptible dans son autobiographie. Il faut relire ici sa description d'un combat au sabre qui eut lieu à Beyrouth à la fin des années 1870 entre deux champions, le musulman Qaddūr Dūgān et le chrétien Yūsuf Sa‘b36. Zaydān est à l'évidence dans la position de Yūsuf Sa‘b, le chrétien avisé et lucide, inutilement provoqué et entraîné malgré lui dans un conflit confessionnel, qu'il avait prévu et dont il ne voulait pas.
28L'enjeu des craintes suscitées par la nomination de Zaydān à l'Université égyptienne était le rapport à la tradition dans le traitement de l'histoire de l'islam. Comment appliquer à des sujets sacrés au regard de la religion une méthode critique étrangère aux sciences islamiques ? La question n'était évidemment pas posée par la « masse des musulmans ignorants », comme l'avaient dit les délégués du Conseil d'administration de l'Université à Zaydān, mais bien par les musulmans lettrés, y compris par les plus fervents partisans de la réforme de l'islam comme Muḥammad Rašīd Riḍā. Au moment de sa publication entre 1902 et 1906, l'ouvrage de Zaydān sur la civilisation islamique n'avait, semble-t-il, pas déchaîné de tempêtes, mais il avait été sévèrement jugé par certains défenseurs de la tradition. Des articles d'Al-Mu’ayyad avaient relevé de nombreuses erreurs et des professeurs, consultés par le ministère égyptien de l'Instruction publique sur l'opportunité d'utiliser l'Histoire de la civilisation islamique comme manuel, l'avaient estimée impropre à l'enseignement37. Dans Al-Manâr, Rašīd Rida lui-même, tout en prenant à l'époque la défense de Ǧurǧī Zaydān, avait déjà émis des doutes sur ses qualifications pour parler de sujets nécessitant, selon lui, une bonne connaissance des sciences de la religion. Et, en 1908, deux ans après la parution de l'Histoire de la civilisation islamique, c'est Al-Manār encore qui avait publié une virulente critique du cheikh Amad al-Iskandarī contre le nouveau livre de Zaydān, Les Arabes avant l'islam (Al-‘Arab qabl al-islām)38.
29L'utilisation que faisait Zaydān de certaines sources musulmanes, sa vision areligieuse de l'histoire, sa façon de considérer la civilisation islamique comme un cycle achevé, son insistance sur les rivalités entre Arabes, Turcs ou Persans alors que l'islam prône l'unité et l'égalité des soumis à Dieu, tout ceci avait déjà suscité les plus sérieuses réserves avant qu'il ne fût question pour lui d'un poste de professeur. Qu'il bénéficiât en plus de la caution qu'apportait une chaire à l'Université — celle-ci fût-elle une institution non religieuse - paraissait difficilement acceptable.
30Le problème n'était pas en soi que Zaydān fût chrétien. Ce qui était craint, c'était que l'enseignement de l'histoire de l'islam revînt à quelqu'un qui ignorait les sciences religieuses, une ignorance qui, dans le cas de Zaydān, s'expliquait par sa confession. Par la suite, des intellectuels musulmans devaient faire les frais d'affaires comparables, de Manṣūr Fahmī en 1913 à Muḥammad Aḥmad Halaf Allāh en 1947, en passant bien sûr par Ṭāhā Ḥusayn, dont l'ouvrage, Fī l-ši‘r al-ǧāhilī (De la poésie antéislamique), paru en 1926, donna lieu à l'une des plus retentissantes polémiques intellectuelles et politiques que l'Égypte ait connues39. Sans tenir compte ici du contexte politique propre à chacune de ces affaires, le reproche adressé aux uns et aux autres par certains docteurs musulmans était d'empiéter sur leur domaine, en une démarche critique empruntée aux orientalistes qui était étrangère à la leur, et jetait le doute sur l'authenticité d'éléments se trouvant au cœur de la tradition et ayant permis son élaboration.
31Pour Donald Reid, dans son ouvrage sur l'université du Caire paru au début des années 1990, les polémiques successivement déclenchées autour de Ǧurǧī Zaydān, Manṣūr Fahmī, Ṭāhā Ḥusayn et Muḥammad Ḫalaf Allāh, s'inscrivent finalement dans le débat général sur religion et laïcité (secularism) qui eut lieu sous « l'Ancien Régime » égyptien, du temps de la Monarchie40. En vérité, le débat se poursuit et se renouvelle sous le « Nouveau Régime », comme l'a montré récemment l'affaire Naṣr Abu Zayd41.
32Le remplacement inopiné de Zaydān en 1910 n'est en somme que la première illustration de l'impact qu'eut la création de l'Université égyptienne. Avec elle, les udabā’, les lettrés formés partiellement ou totalement hors du système religieux traditionnel, voyaient leur rôle institutionnalisé au plus haut niveau académique, et se trouvaient en mesure de concurrencer sérieusement les ‘ulamā’ dans l'enseignement de matières touchant à l'islam. Les polémiques devenaient alors inévitables.
33Par-delà les enjeux religieux et intellectuels que représentait l'accès de Zaydān à l'Université, une raison politique explique peut-être l'émoi suscité par sa nomination et le revirement du Conseil d'administration : le fait qu'il ne fût pas égyptien. Nous avons brièvement rappelé, au début de ce chapitre, que le projet d'Université avait pris corps à partir de 1906, à l'époque où le mouvement national égyptien était en train de se renforcer et de se réorganiser. La création d'une institution offrant un enseignement moderne de haut niveau en langue arabe était un moyen, pour l'opinion nationaliste et réformiste, de reprendre l'initiative face à la Grande-Bretagne, en profitant de la libéralisation du régime colonial qui suivit le départ de Lord Cromer en 1907.
34L'Université était ainsi liée à la réaffirmation de l'identité égyptienne, ce qui posait le problème de la place des non-Égyptiens dans l'institution. Sans doute des étrangers furent-ils associés au projet : le Conseil d'administration formé en 1908 comprenait un Français et un Italien42, et dans les premières années, comme on l'a dit, de nombreux professeurs furent recrutés parmi les orientalistes européens. L'étendue de leurs compétences scientifiques et la forme même de l'Université égyptienne, imitée des institutions occidentales, justifiaient qu'on fît appel à eux. Leur concours, de toute façon, ne devait être que temporaire, en attendant la relève par les premiers titulaires égyptiens de doctorats.
35Beaucoup plus délicate, en revanche, était la position des Syriens présents en Égypte. En 1907, trois d'entre eux, Sulaymān Bustāni, Ǧibrā’il Ḥaddād et Ḥabīb Fira‘ūn (Pharaon), avaient fait partie du Comité directeur de la future Université mais ils avaient dû rapidement démissionner43. Les Syriens, parce qu'ils n'étaient pas des étrangers comme les autres, interrogeaient l'identité égyptienne bien plus fortement que les Occidentaux. Ils étaient de plus en plus considérés comme des « intrus » (duḫalā’) par les nationalistes égyptiens. Ceux-ci leur reprochaient le soutien qu'ils apportaient, parfois ouvertement, à la Grande-Bretagne et le maintien étroit de liens avec l'Empire ottoman et leur terre natale qui les empêchaient de prendre l'Égypte pour patrie exclusive. La domination des Syriens dans le monde de la presse et de l'édition engendrait aussi des jalousies. Si, de surcroît, les portes de l'Université leur étaient largement ouvertes, l'on pouvait craindre qu'ils n'en viennent à animer toute la vie intellectuelle en Égypte.
36Ces questions ne semblent pas avoir directement surgi dans les débats autour de la nomination de Zaydān mais elles ne peuvent être négligées. Par la suite, l'historiographie égyptienne devait ignorer la contribution active de Zaydān au projet d'Université. Jusque dans les années 1980, si l'on en croit Donald Reid, elle ne fit nulle mention des appels d'Al-Hilāl en faveur de la création en Égypte d'un établissement d'enseignement supérieur44.
37En 1968, par exemple, Ḥusayn Mu’nis, en présidant à la réédition de l'Histoire de la civilisation islamique, voulut rendre hommage à « l'un des doyens de la pensée arabe moderne » (‘amīd min ‘umadā’ al-fikr al- ‘arabī al-ḥadīṯ) et à « l'un des professeurs d'histoire de l'Université égyptienne45 ». Le docteur Mu’nis enseignait alors l'histoire de l'islam à la faculté des lettres de l'université du Caire. Zaydān aurait pu être son lointain prédécesseur. Mais, comme l'a fait remarquer Donald Reid, Mu’nis reste laconique sur les raisons qui empêchèrent finalement Zaydān de prendre son poste et se garde de rappeler qu'il avait été l'un des premiers à lancer l'idée de l'Université, ce qu'il ne devait probablement pas ignorer46.
38L'orientation du discours de Ḥusayn Mu’nis, dans sa préface de l'ouvrage de Ǧurǧī Zaydān, est la suivante : l'Université créée en 1908, peu de temps avant la seconde édition revue et corrigée de l'Histoire de la civilisation islamique, était une « institution indigène » (mu’assasa ahliyya) qui ouvrit « le peuple égyptien » (al-ša‘b al-miṣrī) à la science et correspondit à une période particulièrement féconde dans l'histoire de « la pensée égyptienne moderne47 ». Or l'Université, cette institution proprement égyptienne, fit appel à l'un des historiens arabes les plus compétents de son temps. C'est ainsi que Ǧurǧī Zaydān devint professeur.
39En 1968, en somme, Mu’nis célébrait Zaydān comme un intellectuel arabe mais pas directement comme un acteur de la vie culturelle égyptienne. C'est seulement quand furent levés les paradoxes du nationalisme en Égypte à l'époque nassérienne que le rôle du Syrien qu'était Ǧurǧī Zaydān put être reconsidéré. Ainsi l'ouvrage publié par Dār al-Hilāl en 1992, pour fêter son centenaire, ne manque-t-il pas de mentionner la participation de Zaydān à la campagne pour la création de l'Université. Aḥmad al-Ṭimāwī, l'auteur, insiste globalement sur le caractère pionnier d'Al-Hilāl et sur son attention constante, depuis sa fondation, aux grands événements qui jalonnèrent l'histoire politique et intellectuelle de l'Égypte contemporaine. Il présente de façon nuancée les positions de Zaydān : ce dernier, explique-t-il, alla parfois à l'encontre de l'opinion égyptienne, mais, outre son appel en faveur de l'Université, il demanda l'amnistie pour ‘Urābī, fit la biographie de celui-ci et salua comme un progrès l'avènement d'une presse nationaliste égyptienne dans les années 190048. Bref, Aḥmad al-Ṭimāwī ne considère pas Zaydān comme un « intrus » mais comme un homme qui aima sincèrement l'Égypte et comme le fondateur de l'une des plus importantes revues du pays.
DÉBATS ET POLÉMIQUES AUTOUR DE L'ŒUVRE DE ǦURǦĪ ZAYDĀN : LA CRITIQUE CATHOLIQUE (1911-1914)
40L'affaire de l'Université égyptienne se comprend mieux à la lumière des critiques, et parfois des attaques, dont les travaux scientifiques de Zaydān, en particulier l'Histoire de la civilisation islamique et l'Histoire de la littérature arabe, furent la cible. Les propos tenus dans Al-Manār, soit par Muḥammad Rašīd Rida lui-même, soit par d'autres apologistes de la religion musulmane, sont spécialement éclairants. Zaydān, néanmoins, ne fut critiqué ni par les seuls musulmans ni par l'ensemble des lettrés musulmans qui faisaient alors l'opinion. Al-Mašriq et Luġat al-‘Arab, deux revues littéraires placées sous la responsabilité de religieux catholiques, les pères Louis Sayḫū et Anastase-Marie, firent également part de leurs réserves à l'égard de l'Histoire de la littérature arabe. Le père Šayḫū publia encore une critique assassine de Catégories des nations en 1912.
41Ce sont les critiques d'Al-Mašriq et de Luġat al-‘Arab que nous commencerons par présenter avant de revenir aux débats et aux polémiques suscités par les livres de Zaydān dans les milieux musulmans. Rašīd Riḍā, qui détestait les jésuites tout en voyant en eux des adversaires à sa mesure, et en rivalisant avec eux dans le zèle apologétique, devait se servir des propos de Louis Šayḫū pour faire campagne contre Zaydān en 1912.
42La parution de l'Histoire de la littérature arabe (Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya) à partir de 1911 nourrit donc les commentaires parfois acerbes des deux philologues et érudits fameux qu'étaient le jésuite Louis Šayḫū et le père Anastase-Marie dit al-Karmalī (le Carme)49. Louis Šayḫū (1859-1927) était un chaldéen catholique originaire de Mardīn en Cilicie50. Entré au séminaire jésuite de Ġazīr dans le Mont Liban à l'âge de huit ans, il fut admis dans la Compagnie en 1874. Après quatre ans au noviciat de Lons-le-Saunier en France, il revint comme scolastique à Beyrouth et se consacra à l'enseignement et à l'étude de la langue et de la littérature arabes. Outre des manuels scolaires (Muḫtaṣarfi l-ṣarf, un abrégé de conjugaison, et Choix de lectures, deux ouvrages parus en 1886), il publia une anthologie littéraire en dix volumes (Maǧānī al-adab, 1885-1888) et étudia la poésie arabe chrétienne (Kitāb šu‘arā al-naṣrāniyya, 1890-1891, Anīs al-ḫulaṣā’, commentaire sur le dīwān de la poétesse al-Ḫansā, 1895)51. Il acheva ses études en Europe de 1889 à 1894. C'est au cours de cette période, en 1891, qu'il fut ordonné prêtre. Sa carrière se confond ensuite avec l'histoire de l'université Saint-Joseph de Beyrouth dont il fit l'un des hauts lieux de l'orientalisme contemporain. Fondateur et responsable de la bibliothèque de l'Université, la célèbre Bibliothèque orientale, il lança aussi la revue mensuelle Al-Mašriq qui parut de 1898 à 1975. L'objectif de cette revue était de faire connaître le patrimoine littéraire arabe par la publication et l'étude critique de textes anciens. C'est ainsi que fut édité l'ouvrage de Ṣā‘id al-Andalusī dont Zaydān reprit le titre, Ṭabaqāt al-umam52. Le père Šayḫū ne faisait pas qu'exhumer des textes anciens. Avec son ouvrage sur La littérature arabe au xixe siècle, dont les deux volumes parurent respectivement en 1908 et en 1910, il releva aussi les signes d'un nouvel effort de création littéraire53.
43Par son intense activité, le père Šayḫū était une figure de la vie intellectuelle arabe à l'époque de Ǧurǧī Zaydān. Sa vaste érudition lui valut le surnom de « Sultan de la langue arabe ». Il était aussi réputé pour son zèle à défendre la foi catholique et pour ses attaques contre la franc-maçonnerie54. L'activité littéraire de Louis Šayḫū était inséparable de sa vocation d'homme d'Église. L'apologiste était toujours présent derrière l'érudit.
44Moins porté sur la controverse, sans doute, mais tout aussi savant et amoureux des lettres arabes était Buṭrus ibn Ǧibrā’il Yūsuf ‘Awwād, en religion le père Anastase-Marie (1866-1947)55. Né à Bagdad où son père, Libanais d'origine, était venu s'installer, il fut l'élève des carmes avant d'entrer dans l'ordre. En 1886, il quitta sa ville natale pour l'université Saint-Joseph de Beyrouth où il enseigna l'arabe. Il partit ensuite étudier la philosophie à Chèvremont en Belgique, et la théologie à Montpellier, avant d'être ordonné prêtre en 1894. De retour à Bagdad, il prit la direction du collège des carmes où il était également professeur d'arabe et de français. Il fit de nombreuses recherches sur la langue arabe et sur l'histoire de Bagdad et de la Basse-Mésopotamie, l'Irak des Arabes. Il en tira maints articles, publiés sous des signatures diverses dans des journaux du Caire et de Beyrouth. En 1911, il lança sa propre revue, Luġat al-‘Arab. Elle devait paraître pendant trois ans, jusqu'à ce que la guerre interrompît les activités du père Anastase-Marie, envoyé par les autorités turques en résidence surveillée à Kayseri, au cœur de l'Anatolie. La publication reprit longtemps après la fin de la Première Guerre mondiale, de 1926 à 1931.
45Le lancement de Luġat al-‘Arab se comprenait aisément. Comme tous les lettrés du temps, le père Anastase-Marie cherchait un support qui lui permettrait de diffuser ses travaux et d'instruire les lecteurs arabes de leur histoire et de leur littérature. Il bénéficia dans son entreprise du soutien matériel de son ordre, comme le père Šayḫū avait bénéficié de celui des jésuites pour Al-Mašriq. En même temps, Luġat al- ‘Arab naquit en réaction à l'égypto-syro-centrisme de la plupart des périodiques arabes, Al-Hilāl en tête. Le père Anastase-Marie partait du constat que l'Irak et l'Arabie étaient négligés par ses confrères. C'est aux Irakiens qu'il s'adressait donc en priorité pour leur faire connaître leur patrimoine, à la lumière des découvertes archéologiques et des travaux scientifiques les plus récents. Il espérait ainsi leur permettre d'accéder au rang des « nations civilisées56 ».
46Ǧurǧī Zaydān, Louis Šayḫū et Anastase-Marie participaient donc tous trois au grand mouvement de défrichement du patrimoine arabe et, par leur émulation même, créaient ce mouvement. Entre eux, les ressemblances étaient grandes. Ils avaient les mêmes centres d'intérêt et la même confiance dans la recherche telle qu'elle était pratiquée par les savants occidentaux. Ils voulaient donner naissance à un courant orientaliste autochtone. Dans le même temps, un souci de vulgarisation les animait. Ils désiraient ardemment mettre leurs connaissances à la disposition du public. Les deux pères étaient professeurs d'arabe, Zaydān l'avait été quelques mois de 1889 à 1891. Comme écrivains et éditeurs de revues, ils restaient tous des pédagogues. Nous avons dit ailleurs qu'Anastase-Marie, en relevant de manière exhaustive les fautes de langage qu'il estimait avoir été commises par Zaydān dans l'Histoire de la littérature arabe, faisait exactement la même chose que ce dernier : il apprenait à écrire à ses lecteurs57. Quant à Šayḫū, il prenait souvent, selon Camille Héchaïmé, un ton de « maître d'école autoritaire58 ».
47Or ces maîtres d'école se traitaient entre eux comme des élèves. C'est justement parce que l'œuvre scientifique de Zaydān avait les mêmes ambitions que la leur et adoptait une démarche similaire, que le père Šayḫū et le père Anastase-Marie étaient prompts à jeter sur elle un regard critique. Ceux-ci se flattaient d'avoir une connaissance plus approfondie que Zaydān des auteurs occidentaux, de maîtriser davantage la méthode critique et de mieux écrire l'arabe. Il est vrai que leur formation, reçue au cours de longues années de collège et de séminaire, avait été plus solide et plus rigoureuse que celle de Ǧurǧī Zaydān.
48Des conceptions différentes du christianisme, en outre, les séparaient. Les influences protestantes reçues par Zaydān, son spiritualisme déiste, son affiliation bien connue à la franc-maçonnerie et ses préjugés manifestes contre les hommes de religion ne pouvaient qu'éveiller la méfiance des deux religieux catholiques. On imagine aussi ces derniers exaspérés par la tendance de Zaydān à faire la morale, tendance bien plus affirmée dans Al-Hilāl, en vérité, que dans Al-Maṣriq et dans Luġat al- ‘Arab. La critique du père Šayḫū et du père Anastase-Marie ne porta donc pas que sur les seuls aspects méthodologiques et scientifiques de l'œuvre de Zaydān. Elle avait aussi une dimension religieuse, spécialement chez l'apologiste zélé qu'était Louis Šayḫū.
49Quand sortit l'Histoire de la littérature arabe entre 1911 à 1914, le père Šayḫū et le père Anastase-Marie s'accordèrent à reconnaître son utilité, ses qualités de présentation et la facilité de son abord. Louis Šayḫū, adoptant le vocabulaire à la mode, alla jusqu'à souhaiter que l'ouvrage devînt « comme une constitution entre les mains de nos compatriotes éclairés59 » (ka-dustūr fī aydi udabā’ ahl al-waṭan). Les deux hommes s'employèrent néanmoins à corriger de très nombreuses erreurs de forme et de fond qu'ils avaient pointées au fil de leur lecture. D'une manière générale, ils reprochaient à Zaydān un défaut de méthode. Ils lui faisaient grief de ne pas suffisamment citer ses sources, de transformer des hypothèses en vérités, de généraliser abusivement à partir de simples détails, de se contredire et de s'en tenir à des considérations superficielles.
50Prenons quelques exemples communs au père Šayḫū et au père Anastase-Marie et relevés dans leurs critiques du premier volume de l'Histoire de la littérature arabe60. Ils avaient remarqué l'un et l'autre que Zaydān avait tendance à idéaliser l'apport des Arabes et à les confondre avec les Sémites pour les faire apparaître très tôt dans l'histoire. Non, dirent-ils après avoir lu la préface et l'introduction de l'ouvrage, les auteurs arabes comme Ibn al-Nadīm ne furent pas les premiers à traiter d'histoire de la littérature, ni même de quelque chose d'approchant61. On a beau aimer sa langue, ajoutait Šayḫū, on n'est pas obligé d'affirmer que la littérature arabe est un modèle pour toutes les littératures du monde. Dans le même esprit, Louis Šayḫū et Anastase-Marie contestaient l'arabité de Ḥammūrābī que Zaydān n'hésitait pas à affirmer alors qu'il s'agissait d'une hypothèse des plus douteuses.
51Les deux religieux critiquèrent en outre la pertinence des quatre catégories dans lesquelles Zaydān rangeait les connaissances des Arabes avant l'islam : les sciences arabes proprement dites, les sciences naturelles, les sciences mathématiques et la métaphysique (mā warā’ al-ṭabī‘a). Or ce que Zaydān mettait sous ce dernier vocable, c'était la divination sous toutes ses formes (vol des oiseaux, dessins sur le sable, etc.)62. Ceci ne pouvait que choquer des hommes d'Église qui avaient étudié la philosophie. Ils reprochèrent à Zaydān de confondre métaphysique et sciences occultes.
52A vrai dire, beaucoup de remarques faites par les pères Šayḫū et Anastase-Marie étaient fondées. Le caractère polémique résidait surtout dans la forme et dans le ton. Les critiques, en effet, n'étaient pas de simples comptes rendus, dans les rubriques d'Al-Mašriq et de Luġat al-‘Arab réservées à la présentation des nouvelles publications. Elles prenaient l'allure de véritables articles qui, dans le cas de Luġat al-‘Arab, étaient étalés sur plusieurs numéros. L'ouvrage de Zaydān acquérait ainsi un statut ambigu. Incontestablement, sa parution était un événement littéraire. Mais si la critique lui accordait une telle place, les réserves émises à son encontre n'en paraissaient que plus sévères et la liste de ses erreurs plus longue. Louis Šayḫū et Anastase-Marie faisaient la leçon à Zaydān, comme pour confondre un confrère et un concurrent dont ils doutaient des capacités scientifiques.
53Les intentions polémiques du père Šayḫū, dans sa critique du premier volume de l'Histoire de la littérature arabe en 1911, n'échappèrent pas à Zaydān63. Quand celui-ci sortit le deuxième volume en 1912, il évoqua dans la préface l'accueil qui avait été réservé à son livre l'année précédente, en soulignant l'utilité de la critique quand elle permettait de faire progresser la connaissance. Il mentionna tout spécialement les propos tenus par le père
54Šayḫū dans Al-Mašriq. Après avoir remercié son confrère pour la mesure (ta‘aqqul) et la franchise désintéressée (iḫlāṣ) de sa critique, il ajouta aussitôt qu'il comptait examiner ses remarques avec intérêt « même si la plupart étaient déplacées ou prématurées64 » (fī ġayr makāni-hā aw qabl awānihi).
55Šayḫū retourna cette phrase contre Zaydān en commentant le deuxième volume de l'Histoire de la littérature arabe quelques semaines après sa sortie65. Il répéta qu'il n'avait d'autre intention que de servir la science et disait son espoir que Ǧurǧī Zaydān, comme il l'avait promis, porterait toute son attention à ses remarques et ne les trouverait cette fois « ni déplacées ni prématurées66 ». A partir de là, le ton de la critique se fit beaucoup plus mordant que dans celle du premier volume. Šayḫū commença par expliquer sans ménagement que Zaydān avait plagié l'ouvrage de Carl Brockelmann sur la littérature arabe. Non seulement il lui avait emprunté le découpage chronologique de la période abbasside, mais encore en avait-il cité de nombreux passages sans le signaler. Bref, disait Šayḫū, Zaydān était souvent plus près de la « mise en arabe » (al-ta‘rīb) que de la « composition originale67 » (al-ta’līf). Le père Šayḫū accusa aussi Zaydān de vouloir « flatter » (tazallafa) certains lecteurs musulmans parce qu'il avait écrit, au début d'un chapitre intitulé « Le Coran et la littérature arabe », que toutes les sciences de l'époque abbasside, au nombre de trois cents, découlaient du Coran68. A l'inverse, il lui reprocha d'être avare de renseignements sur l'activité des chrétiens dans la littérature arabe à l'époque abbasside69.
56La critique avait par ailleurs une dimension morale. Zaydān considérait en gros que la poésie abbasside avait gagné en raffinement par rapport à la poésie antéislamique. Pour lui, les transformations de la poésie accompagnaient le progrès de la civilisation, conformément à la loi de l'évolution. Louis Šayḫū contesta vigoureusement cette interprétation. Il ne voyait évidemment nul progrès dans la poésie bachique et libertine et dans la célébration de la beauté des jeunes garçons que Zaydān présentait lui-même comme caractéristiques de la haute époque abbasside70.
57Les échanges entre Ǧurǧī Zaydān et Louis Šayḫū n'avaient donc rien d'amène. Dans sa préface du troisième volume de YHistoire de la littérature arabe, Zaydān devait à nouveau déplorer les excès de certains critiques qui semblaient ne chercher qu'à relever les erreurs des autres pour en tirer orgueil71. Le père Šayḫū était à coup sûr visé, ainsi peut-être que le père Anastase-Marie, à côté des critiques musulmanes dont nous reparlerons bientôt.
58En 1912 encore, outre la suite de l'Histoire de la littérature arabe, parut l'ouvrage de Ǧurǧī Zaydān intitulé Catégories des nations (Ṭabaqāt al-umam). Cette fois, Louis Šayḫū se contenta d'un bref compte rendu dépourvu des fioritures d'usage dans ce type d'exercice72. Il accusa Zaydān de se précipiter aveuglément sur tous les ouvrages en langues européennes qui avaient une allure scientifique pour les imiter. Il brocarda ses connaissances superficielles et sa façon de les exposer avec « la certitude du somnambule qui ne craint pas de tomber alors même qu'il marche au bord du précipice ».
59Il est vrai que Catégories des nations, un ouvrage d'anthropologie raciale irrecevable selon les critères scientifiques d'aujourd'hui, à l'orée du xxie siècle, pouvait déjà faire frémir il y a une centaine d'années. Cela dit, le problème soulevé par le père Šayḫū était surtout d'ordre religieux. Entre lui et Zaydān, deux conceptions de l'origine du monde et des rapports entre foi et science s'affrontaient. Le père Šayḫū reprochait à Zaydān de dire que les enseignements de la religion ne s'accordaient pas avec les découvertes des savants, en particulier celles de Darwin et de ses disciples. Il l'accusait d'ignorer toute intervention divine (al-waḥī al-awwal) dans sa présentation des origines de l'humanité et de ne pas tenir compte de l'avis de savants autorisés comme Georges Cuvier, Armand de Quatrefages ou, plus près de lui, le géologue Albert de Lapparent — tous adversaires des théories transformistes ou désireux de concilier vérités scientifiques et vérités de foi73.
60Fondamentalement, et c'était là sa critique la plus constante, Louis Šayḫū reprochait à Zaydān de présenter la foi et la science comme concurrentes l'une de l'autre et de sous-estimer l'apport scientifique et philosophique des hommes de religion chrétiens.
ǦURǦĪ ZAYDĀN ET LES RÉFORMISTES MUSULMANS À TRAVERS LA REVUE AL-MANĀR (1902-1912)
61Les critiques contenues dans la revue Al-Manār, fondée par Muḥammad Rašīd Riḍā à son arrivée au Caire en 1898, étaient de même nature que celles d'Al-Mašriq et de Luġatal- ‘Arab, d'ordre méthodologique et religieux, avec une dimension politique supplémentaire et quelque tendance à la diffamation. Cette fois, Zaydān n'était pas accusé d'avoir une approche superficielle des orientalistes mais, au contraire, de leur faire beaucoup trop confiance au détriment de ceux qui auraient été les vrais interprètes des sources classiques, les musulmans instruits des sciences de leur religion. Zaydān n'était pas, non plus, accusé de flatter les musulmans en négligeant certains aspects du christianisme dans l'histoire arabe, mais plutôt de laisser échapper, volontairement ou non, des préjugés contre l'islam, considérés comme inhérents à sa confession et à la fréquentation des auteurs occidentaux. Il était soupçonné, enfin, de se ranger dans le camp de la su ‘ūbiyya, le camp des anti-Arabes, parce qu'il tenait des propos durs contre l'esprit tribal des Umayyades. Cet esprit tribal (‘asabiyya) était assimilé au nationalisme contemporain, un nationalisme qui risquait de semer la discorde au sein de la Communauté des musulmans. A partir de 1908 surtout, à un moment où les relations entre partisans de réformes administratives dans les provinces arabes et pouvoir central ottoman se durcirent, les propos de Zaydān se mirent à résonner dangereusement. Ses détracteurs lui reprochèrent de chercher à faire accuser les Arabes de chauvinisme antiturc, comme s'ils privilégiaient leurs intérêts au détriment de la solidarité ottomane et musulmane. Comme Zaydān critiquait les Umayyades et valorisait l'élément persan dans l'État abbasside, il était aussi indirectement soupçonné de sympathies chiites. L'accuser de ne pas aimer les Arabes, c'était en somme l'accuser de ne pas aimer les sunnites et d'agir plus ou moins délibérément contre l'orthodoxie islamique.
62La revue de Rašīd Riḍā, bien entendu, n'est pas le reflet de toute l'opinion musulmane, loin s'en faut, mais elle permet de s'en faire une idée car elle prétendait adopter une position intermédiaire entre ceux qui déniaient toute utilité à l'œuvre de Zaydān et ceux qui la couvraient d'éloges. Le durcissement du ton adopté par Rašīd Riḍā dans son jugement sur Ǧurǧī Zaydān, de la fausse bienveillance à la polémique ouverte, montre très bien, de surcroît, la rivalité grandissante entre « guides de la nation » et le fossé qui se creusait de plus en plus entre partisans d'une société moderne progressant par la redécouverte de ses racines islamiques et des sources de la foi et du droit, et partisans d'une société moderne progressant par la séparation du domaine spirituel et du domaine temporel.
63Il faut rappeler que Ǧurǧī Zaydān connaissait bien mieux Rašīd Riḍā qu'il ne connaissait le père Šayḫū et le père Anastase-Marie. Il n'est pas sûr qu'il ait jamais rencontré ces deux derniers, peut-être Šayḫū à Beyrouth, mais probablement pas Anastase-Marie. Il était de toute façon beaucoup plus familier du milieu musulman réformiste, qu'il côtoyait au Caire, que du milieu intellectuel lié à l'Église catholique que ni sa communauté de naissance, ni sa formation, ni son anticléricalisme ne l'incitaient à fréquenter.
64Al-Manār, comme Al-Hilāl, et comme, du reste, Luġat al- ‘Arab et Al-Mašriq, avait pour objectif de former des esprits aptes à comprendre leur temps tout en conservant leur personnalité et leur identité. Al-Hilāl et Al-Manār avaient en partie le même public et pouvaient passer pour complémentaires aux yeux de maints lecteurs musulmans, le premier titre satisfaisant leur besoin de culture générale et le second inscrivant la réflexion sur la réforme des mœurs et de la société dans le cadre de l'islam74. Les deux revues avaient des engagements très proches en matière de politique ottomane, ce que reflètent par exemple les articles communs que nous avons déjà mentionnés : l'essai de Rūhī al-Ḫālidī sur la révolution ottomane paru simultanément dans Al-Hilāl et dans Al-Manār en 1908, et l'article sur l'histoire du sionisme initialement paru dans Al-Hilāl et repris dans Al-Manār.
65Zaydān lui-même avait une bonne opinion d'Al-Manār dont il salua publiquement l'action quelques années après son lancement. L'indépendance de Riḍā par rapport aux ‘ulamā’ institutionnels était bien de nature à le séduire. Dans un numéro d'Al-Hilāl daté de février 1902, il trouva l'occasion de féliciter « (son) ami le cheikh Muḥammad Rašīd Riḍā » pour la « liberté » et la « justesse de ton » avec lesquelles il traitait des questions de religion et de société. Zaydān se réjouissait de l'accord complet qu'il percevait entre ce qu'écrivait Riḍā et les règles de la science et de la raison. Ceci lui paraissait bien caractéristique du « dernier renouveau musulman » (al-nahḍa al-islāmiyya al-aḫīra), un renouveau qui n'était à ses yeux qu'un aspect du relèvement général de la culture et de la société auquel il entendait œuvrer de son côté75. En fait, Zaydān parlait de Riḍā comme il parlait à la même époque de ‘Abd al-Rahmān al-Kawākibī et de l'amour de ce dernier pour la réforme et pour la liberté76. A ce moment-là, Zaydān pouvait légitimement se croire du même bord que ses compatriotes syriens engagés dans un mouvement de réforme de l'islam qui participait du progrès de la « civilisation » en Orient.
66Rašīd Riḍā, en revanche, eut probablement dès l'origine des sentiments plus mitigés à l'égard d'Al-Hilād et des travaux de Ǧurǧī Zaydān. Il commença par donner en 1899 une bonne appréciation de l'Histoire de l'Angleterre (Tārīḫ Inkiltirā), sans s'étendre. Le commentaire qu'il en fit dans Al-Manār se résume ainsi : la « rigueur » de Zaydān (diqqa), sa « sensibilité » (dawq) et l'« équilibre » (inṣāf) dont il fait preuve dans son approche de l'histoire dispensent de tout éloge excessif77. La sortie, en 1904, d'un autre ouvrage de Ǧurǧī Zaydān, Histoire de la langue arabe (Tārīḫ al-luġa al- ‘arabiyya), fut également signalée dans Al-Manār en termes flatteurs mais brefs. Riḍā le recommandait comme un livre utile, nouveau, à imiter78.
67Quand les ambitions de Zaydān s'élevèrent d'un cran, quand il se mit à toucher à l'histoire des Arabes et des musulmans avec la sortie successive des cinq volumes de l'Histoire de la civilisation islamique de 1902 à 1906, Riḍā se fit à la fois beaucoup plus exhaustif dans ses commentaires et plus ambigu dans son jugement. Il appréciait la clarté de l'ouvrage et reconnaissait que Zaydān ne manifestait aucune hostilité à rencontre des musulmans, tout en jetant déjà le doute sur ses qualifications pour parler de sujets qui avaient un rapport avec la religion.
68Dans les années suivantes, le ton de la critique du Manār monta. La revue en vint à publier de violents articles du cheikh égyptien Aḥmad ‘Umar al-Iskandarī contre les nouveaux travaux de Zaydān, d'abord Les Arabes avant l'islam en 1908, puis l'Histoire de la littérature arabe en 1912. En cette même année 1912, Riḍā ouvrit les pages de sa revue à une critique franchement injurieuse de Y Histoire de la civilisation islamique par le cheikh indien Šiblī Nu‘mānī que Zaydān connaissait, lui aussi, de très longue date. La polémique contre cet ouvrage, à laquelle Rašīd Riḍā s'était dérobé au moment de sa sortie en 1902, éclatait cette fois bel et bien. Riḍā agit avec une mauvaise foi flagrante qui était chez lui une arme pour la polémique. Il laissa à d'autres, Aḥmad al-Iskandarī et Šiblī Nu‘mānī, le soin d'attaquer les livres de Zaydān en se gardant pour lui-même le rôle de l'avocat. C'est pourtant une véritable campagne qu'il mit sur pied en 1912. Elle sonnait la charge contre l'ensemble de l'œuvre scientifique de Ǧurǧī Zaydān.
69Revenons maintenant plus en détail sur chaque étape de cette évolution. La parution de l'Histoire de la civilisation islamique entre 1902 et 1906 fit couler beaucoup d'encre. L'importance du sujet et la nouveauté de son traitement l'expliquaient aisément. A la sortie du premier volume en 1902, le ton de certains critiques fut suffisamment violent pour que Zaydān eût éprouvé le besoin de se défendre, notamment contre un article paru dans le quotidien Al-Mu’ayyad, qui l'accusait d'avoir commis de multiples erreurs et de ne pas s'appuyer sur des sources fiables79.
70Face aux accusations portées contre Ǧurǧī Zaydān, Muḥammad Rašīd Riḍā, pour sa part, resta en retrait. Les thèmes de la campagne de 1912 sont présents dans les commentaires de l'Histoire de la civilisation islamique qu'il fit dans Al-Manār entre 1902 et 1906, mais il se refusa alors à polémiquer. Riḍā prit la défense de l'ouvrage, tout en répétant qu'il n'avait pu que le feuilleter faute de temps, ce qui était évidemment un moyen de relativiser la portée de ses éloges et sous-entendait qu'une lecture plus approfondie pourrait l'amener à revoir ses positions80.
71Le discours tenu par Rašīd Riḍā était le suivant : il recommandait tout d'abord la lecture de l'Histoire de la civilisation islamique, un ouvrage « utile » (mufīd) dont il appréciait la nouveauté. Sa composition (tartīb) et son organisation en chapitres (tabwīb) devaient servir de modèle. L'Histoire de la civilisation islamique était le type d'ouvrage dont l'Umma avait besoin parce qu'il lui faisait connaître son histoire en termes simples et clairs81. Sur le fond, Riḍā partageait avec Zaydān sa conception du rôle de la race arabe dans la naissance de l'islam. Certains thèmes abordés dans la vaste introduction du premier volume de l'Histoire de la civilisation islamique lui paraissaient d'importance : la « prédisposition » des Arabes à la civilisation (isti‘dād li-l-tamaddun) ; la Ǧāhiliyya dans le Hedjaz ; la Nahḍa des Arabes avant l'islam et la nécessité de s'unir que ceux-ci ressentirent ; la décadence des Byzantins et des Persans ; les causes de l'expansion de l'islam82. Pour l'ignorant, commentait Riḍā, ces thèmes, qui lui font découvrir un univers ordonné, sont une atteinte à la religion, alors que le musulman éclairé sait bien qu'ils correspondent à la vérité de l'islam, une religion dont l'objectif est le progrès de la raison83.
72Rašīd Riḍā, on le voit, reprenait partiellement à son compte le discours de Ǧurǧī Zaydān sur la Nahḍa. Il l'approuvait dans la mesure où l'aptitude civilisatrice des Arabes était soulignée et leur apport dans l'histoire réévalué. Il ne pouvait plus être d'accord avec Zaydān, en revanche, lorsque celui-ci affirmait qu'à ses débuts l'islam était un mouvement purement arabe (naḍda ‘arabiyya), que les termes « Arabes » et « musulmans » se confondaient et que l'esprit de corps (‘asabiyya), autant que le désir de diffuser la nouvelle religion, animaient les Arabes au moment de la conquête. Pour Riḍā, la génération des compagnons du Prophète défendait les intérêts de l'islam avant de défendre ceux des Arabes. Elle n'avait d'autre but que de mettre fin à l'ignorance de la Révélation divine (al-ǧāhiliyya) et de réaliser l'unité autour de la connaissance de Dieu (al-‘ilm)84. Riḍā estimait au fond que Zaydān tenait des propos dangereux, propres à faire accuser les Arabes de sectarisme, alors que leur vraie grandeur était de s'être mis au service de l'unité islamique et d'en être les garants. Pour Riḍā, le réveil arabe conduisait au triomphe de la vraie religion, pour Zaydān, il faisait gravir à l'humanité un pas de plus dans le processus de la civilisation ; pour l'un, l'islam était l'aboutissement et le sommet de l'histoire arabe, pour l'autre, une étape.
73Riḍā ne se contentait pas d'avoir une interprétation du rôle des Arabes différente de celle de Zaydān. Il relevait aussi que l'Histoire de la civilisation islamique contenait des erreurs d'ordre théologique. Un de ses lecteurs, par exemple, s'était montré choqué de ce que Zaydān avait écrit sur le mu‘tazilisme, ce courant rationaliste du iie-iiie siècle de l'Hégire (viiie- ixe siècle), selon lequel la Parole de Dieu était contingente et créée. Pour Zaydān, la doctrine de la création du Coran (ḫalq al-Qur’ān) signifiait que celui-ci n'était pas révélé (ġayr munzal)85. Riḍā renchérit sur la remarque de son lecteur : Zaydān, dit-il, ne comprend effectivement rien au mu‘tazilisme. Nier la Révélation du Coran, ce n'est rien d'autre que de l'athéisme (kufr). Au moins tous les musulmans sont-ils absolument d'accord sur ce point86.
74Rašīd Riḍā ne niait donc pas qu'on pût rencontrer des erreurs, souvent graves, dans l'Histoire de la civilisation islamique. Mais, pour lui, il n'y avait pas lieu de s'en étonner. A ces erreurs, il trouvait des excuses qui, sur le fond, étaient déjà une manière de contester l'autorité de Ǧurǧī Zaydān. Ce dernier, affirmait-il en effet, fait des erreurs auxquelles n'échappe aucun de « ceux qui tirent la science religieuse des livres d'histoire sans en acquérir les règles auprès des spécialistes87 ». Autrement dit, il était naturel que Zaydān se trompât puisqu'il n'avait pas étudié les sciences islamiques. Et Riḍā de conseiller à cet auteur connu, disait-il, pour sa mesure et pour son amour de la vérité, de prendre des leçons auprès d'un ‘ālim, d'un savant musulman, ce qui ne lui coûterait pas plus de peine que de fréquenter la Bibliothèque khédiviale88. On ne pouvait plus clairement mettre en cause la formation et les méthodes de travail de Ǧurǧī Zaydān.
75Riḍā n'attaquait pas encore, en revanche, la bonne foi de Zaydān qui n'avait rien à voir, à ses yeux, avec les jésuites. Contrairement à ces derniers, il ne le tenait pas pour un « chrétien fanatique » qui n'aurait eu de cesse que de détruire la vraie connaissance (al-‘ilm), celle révélée par l'islam89. Riḍā en donnait pour preuve la façon dont Zaydān parlait du Prophète : pour Zaydān, notait Riḍā avec satisfaction, Muḥammad n'avait agi ni par goût du pouvoir ni par goût de la fortune mais par conviction profonde d'être l'Envoyé de Dieu90. Pour être compris, ce bon point décerné à Zaydān doit être rapproché de l'appréciation que Riḍā porta, quelques années plus tard, en 1908, sur les travaux de l'orientaliste italien Leone Caetani, auteur d'un ouvrage intitulé Annali dell'Islam, dont le premier volume parut en 1905. Pour Riḍā, Caetani avait une vision fausse de la Prophétie. Sans doute ne pouvait-il être compté, lui non plus, parmi les « fanatiques du christianisme » (al-muta‘aṣṣibūn li-l-naṣrāniyya) qui, « dans les siècles médiévaux », attaquaient l'islam. Mais Caetani considérait, à tort selon Riḍā, que le succès de la prédication islamique tenait plus à l'habileté politique de Muḥammad qu'à la force intrinsèque du Coran91. Pour Riḍā, Caetani tenait un discours courant chez les savants européens et les savants orientaux non musulmans. La thèse de Caetani rappelait à Riḍā ce que lui avait un jour écrit celui qu'il présentait comme « le philosophe connu pour être sans religion » (al-faylasūf al-mašhūr bi-‘adam al-tadayyun), Šiblī Šumayyil :
« Tu vois Muḥammad comme un Prophète et tu le tiens pour grand, aurait déclaré le docteur Šumayyil à Rašīd Riḍā. Je le vois pour ma part comme un homme et je le tiens pour plus grand encore. Même si nos convictions religieuses sont à l'opposé, la raison, qui est vaste, et nos propos sans arrière-pensée constituent un lien entre nous92. »
76Riḍā estimait qu'en tenant de tels propos Šumayyil était plus prompt que Caetani à reconnaître la grandeur du Prophète et qu'il fallait lui en savoir gré. Mais pour Riḍā, aucun des deux savants n'admettait au fond la mission prophétique. Caetani et Šumayyil se contentaient de dire que Muḥammad avait été un grand homme politique, ce que Riḍā jugeait inacceptable93. Pour ce dernier, les fonctions politiques que le Prophète avait prises étaient inséparables de sa mission religieuse.
77Or Zaydān, de son côté, avait été jusqu'à reconnaître que les convictions fortes du Prophète avaient contribué au succès de sa prédication. Pour Riḍā, en somme, on ne pouvait attendre mieux d'un auteur non musulman. Zaydān avait été aussi loin dans l'affirmation de sa sympathie pour l'islam que le lui permettaient sa confession et ses connaissances.
78Le jugement porté par Rašīd Riḍā au moment de la publication des cinq volumes de l'Histoire de la civilisation islamique était ainsi totalement ambivalent. Il trouvait l'entreprise de vulgarisation scientifique menée par Zaydān fondamentalement utile mais estimait qu'elle revenait légitimement à un musulman. Il reconnaissait les bonnes dispositions de Zaydān à l'égard de l'islam mais n'excluait pas de dénicher quelque jour chez lui un relent de préjugé anti-musulman.
79En fait, Riḍā se posait déjà en concurrent et en censeur de Ǧurǧī Zaydān. Son état d'esprit est confirmé par d'autres pages d'Al-Manār, relevées plus haut dans notre travail. Rappelons-nous tout d'abord la façon dont Rašīd Riḍā présenta en 1908 Ḫadīga, mère des croyants (Ḫadīga umm al-mu‘minīn), le roman de ‘Abd al-Ḥamīd al-Zahrāwī94. Sur le fond, Riḍā croyait exactement comme Zaydān à la vertu des romans historiques : n'écrivait-il pas que les romans amenaient la masse au niveau de l'élite et qu'ainsi toutes les classes de la société ne formaient plus qu'une seule nation95 ? Zaydān ne se serait pas exprimé en d'autres termes. Riḍā considérait encore que, pour que les musulmans connaissent leur histoire, celle-ci devait être élaborée à la fois de manière scientifique et sous forme romanesque. L'histoire scientifique, ajoutait-il, avait été commencée par l'imam Muḥammad ‘Abduh à la fin de sa vie. Quant à la tâche de vulgarisation, elle revenait au Sayyid ‘Abd al-Ḥamīd al-Zahrāw, auteur du roman Ḫadīǧa, mère des croyants96.
80De Ǧurǧī Zaydān qui, avec son Histoire de la civilisation islamique et déjà onze volumes du cycle des romans d'histoire de l'islam derrière lui, n'avait justement rien fait d'autre qu'œuvre à la fois de savant et de vulgarisateur, Rašīd Riḍā ne soufflait mot. Incontestablement, il avait sollicité ‘Abd al-Ḥamīd al-Zahrāwī pour faire pièce aux romans d'Al-Hilāl. C'est ainsi en tout cas que Zaydān le ressentit, persuadé que Riḍā était jaloux de son succès97.
81Que le lecteur se souvienne par ailleurs du débat sur le darwinisme et les relations entre foi et science qui, en 1909, fit intervenir Ǧurǧī Zaydān et Šiblī Sumayyil dans Al-Hilāl, ‘Abd al-Qādir al-Qabbānī et Muḥammad Rašīd Riḍā dans Al-Manār98. Comme Zaydān et comme Šumayyil, Riḍā était partisan de la théorie de l'évolution, mais il se sentait supérieur à eux, avons-nous dit, parce qu'il n'affichait aucun état d'âme sur la compatibilité ente cette doctrine scientifique et l'islam. En prenant la défense de Šiblī Šumayyil contre le cheikh al-Qabbānī, Rašīd Riḍā laissait aussi entendre qu'il aurait bien sûr été le premier à réagir s'il avait estimé quAl-Hilāl avait publié quelque chose d'offensant pour l'islam et pour la religion. Riḍā se posait donc en gardien de l'orthodoxie, guettant les éventuels faux-pas de son confrère Ǧurǧī Zaydān.
82On ne peut donc s'étonner que le ton d'Al-Manār se soit durci entre la sortie de l'Histoire de la civilisation islamique, de 1902 à 1906, et celle des Arabes avant l'islam (Al-‘Arab qabl al-islām) en 1908. Avec cet ouvrage, Zaydān confirmait sa vocation à faire l'histoire des Arabes, à une époque où la question des relations de ces derniers avec le nouveau pouvoir jeune-turc allait se poser. La vigilance de Riḍā s'en trouvait redoublée. Celui-ci, pourtant, annonça en termes élogieux la parution du livre, non sans préciser, une nouvelle fois, qu'il ne l'avait pas lu et en déléguant à ses lecteurs le soin de lui faire part de leurs remarques99. La critique ne se fit pas attendre et, cette fois, ne se dérobait plus à la polémique100. L'auteur en était le cheikh Aḥmad ‘Umar al-Iskandarī (1875-1938) qui, depuis 1907, enseignait la littérature arabe à Dār al-‘lūm101. Aḥmad al-Iskandarī commençait par reconnaître quelques mérites au livre de Ǧurǧī Zaydān. Le lecteur qui ne connaissait pas les langues européennes pouvait, disait-il, en tirer un certain profit. Il y trouverait notamment le point de vue d'auteurs grecs sur la géographie arabe et celui de voyageurs européens ayant parcouru la péninsule. Il y découvrirait en outre des dessins et des photographies : photographies d'inscriptions, photographies des sites de Tadmor (Palmyre) ou de Petra, par exemple.
83Ainsi le cheikh al-Iskandarī appréciait-il l'aspect formel des Arabes avant l'islam, comme Riḍā avait apprécié celui de l'Histoire de la civilisation islamique. Nul ne niait l'utilité d'ouvrages aérés et illustrés, agréables à consulter. Iskandarī, comme Riḍā, n'était pas hostile, non plus, à intégrer dans l'histoire des Arabes quelques points de vue d'auteurs non musulmans.
84Après les compliments d'usage, qui tenaient sur une demi-page, Aḥmad al-Iskandarī se lançait néanmoins dans toute une série de reproches, en énumérant un certain nombre d'erreurs d'ordre historique, théologique ou linguistique qu'il avait relevées. Ses remarques, parfois justifiées — comme nous l'avons dit à propos des pères Šayḫū et Anastase-Marie—, étaient extrêmement polémiques sur la forme et sur le fond, et la calomnie n'en était pas absente. Al-Iskandarī accusait Zaydān d'être purement et simplement le jouet de son imagination. Il lui reprochait fondamentalement d'accorder trop de crédit à des sources étrangères aux Arabes et aux musulmans, en particulier aux sources grecques. Il lui reprocha par exemple d'ajouter foi à des « mensonges » de Strabon ou le blâma d'avoir délibérement mis l'accent, dans sa bibliographie, sur les auteurs grecs et européens au détriment des auteurs arabes dont on voyait bien pourtant, à la lecture de son livre, qu'ils les avait largement utilisés. Aḥmad al-Iskandarī d'en conclure que Ǧurǧī Zaydān méprisait les Arabes.
85C'était là la première occurrence d'une accusation qui allait constituer l'essentiel de l'attaque de Šiblī Nu‘mānī contre l'Histoire de la civilisation islamique en 1912. La critique se déplaçait de plus en plus sur un terrain politique. De la façon dont était écrite l'histoire des Arabes dépendait l'image de ces derniers à l'époque contemporaine. On jaugeait les engagements et les choix identitaires d'un auteur à la vision qu'il avait du passé. Le débat n'était pas scientifique. La question était de savoir si tel auteur, tel ouvrage, donnait une image positive ou négative des Arabes et par conséquent de l'islam. Et si l'image était négative, était-ce ou non un choix délibéré ? La critique littéraire devenait procès d'intention.
86Il faut relever que si Aḥmad al-Iskandarī était si virulent, c'est qu'il réagissait à un compte rendu élogieux du même ouvrage, Les Arabes avant l'islam, fait par le cheikh ‘Abd al-Qādir al-Maġribī dans Al-Mu ’ayyad. ‘Abd al-Qādir al-Maġribī (1867-1956) était une personnalité du monde de la presse et du milieu réformiste musulman. Né à Lattaquieh dans une famille originaire de Tripoli de Syrie qui avait une lointaine ascendance tunisienne, il avait reçu une solide formation de lettré musulman, allant quérir la science auprès de différents cheikhs de Tripoli, de Beyrouth, de Damas et d'Istanbul. Arrivé dans la capitale ottomane en 1892, il y avait été en contact avec Ǧamāl al-Dīn al-Afġānī. Plus tard, une fois installé en Égypte, il avait également fait la connaissance de Muḥammad ‘Abduh. Journaliste, il était aussi linguiste et traducteur à ses heures. En 1908, année de la parution des Arabes avant l'islam, il publia lui-même, aux éditions d'Al-Hilāl, un ouvrage sur la dérivation102 et traduisit La dame aux camélias, la pièce d'Alexandre Dumas fils103.
87L'appréciation favorable que le cheikh al-Maġribī porta sur Al-‘Arab qabl al-islām ne plut donc guère au cheikh al-Iskandarī. Ce dernier estima qu'à en croire son confrère, les Arabes étaient une « création nouvelle » dont Zaydān avait exhumé l'histoire. Tout l'enjeu de la dispute était là : le cheikh al-Iskandarī ne pouvait tolérer qu'un auteur s'appuyant sur des sources grecques et les travaux des orientalistes européens fût considéré comme un pionnier dans l'histoire des Arabes.
88Ǧurǧī Zaydān fut ébranlé par la violence de la réaction d'Aḥmad al-Iskandarī, dans une revue que, de surcroît, il estimait et qui ne l'avait pas encore habitué à des propos de cette nature. « Ton éloge nous a attiré les foudres d'al-Iskandarī », dit-il à al-Maġribī qu'il rencontra chez Salīm Sarkīs quelques jours après la parution de l'article du Manār104. Pour Zaydān, derrière une courtoisie de façade, Aḥmad al-Iskandarī laissait libre cours à son « sectarisme » (ta‘aṣṣub) et à sa « jalousie » (ḥasad). La critique ayant dépassé les bornes de la simple critique littéraire, il décida, sur les conseils d'amis, de ne pas y répondre105.
89Il fut bientôt rasséréné, au demeurant, par le soutien du cheikh Muḥyī al-Dīn al-Ḫayyāt (1875-1914), auteur de manuels scolaires d'histoire et de littérature et directeur de la rédaction d'un journal de Beyrouth, Al-Iqbāl (Le Zèle), dans lequel parut en décembre 1908 un article favorable aux Arabes avant l'islam. Zaydān fut très reconnaissant à Muḥyī al-Dīn al-Ḫayyāṭ qu'il chargea son fils Émile, alors étudiant à Beyrouth, d'aller remercier en son nom106. Après la mort du cheikh al-Ḫayyāṭ, en 1914, il lui consacra une nécrologie dont les parentés avec sa propre biographie —ou autobiographie — sautent aux yeux. Zaydān y présentait al-Ḫayyāṭ comme un adīb et comme l'un des acteurs de la « renaissance intellectuelle musulmane » (al-Nahḍa al-‘ilmiyya al-islāmiyya) en Syrie. Celui-ci fut obligé de gagner tôt sa vie mais reçut une éducation soignée, notamment grâce à la vigilance de sa mère. Comme journaliste, il chercha à diffuser « l'esprit de liberté ». Quant à ses manuels scolaires, ils étaient rédigés dans un style qui convenait parfaitement à l'enseignement107.
90Muḥyī al-Dīn al-Ḫayyāṭ n'avait pas été le seul à réagir aux propos excessifs d'Aḥmad al-Iskandarī dans Al-Manār. D'autres journalistes et lettrés prirent la défense de Zaydān, Amīn al-Ġurayyib dans Al-Muhāǧir, le journal de New York déjà évoqué, et le cheikh Ḥasan al-Qazwīnī dans Al-Mu’ayyad108.
91La dispute autour des Arabes avant l'islam, on le voit, fut loin de n'engager qu'Aḥmad al-Iskandarī et Ǧurǧī Zaydān. La polémique s'élevait aussi et surtout entre musulmans réformistes, tous préoccupés par l'enseignement de l'histoire et la diffusion d'une langue arabe à la fois pure et rénovée. Leurs interrogations étaient les suivantes : quelles sources utiliser pour faire l'histoire des Arabes ? Comment articuler la critique moderne et l'obligation de préserver la foi et l'identité musulmanes ? L'historiographie de l'islam et des Arabes exige-t-elle une solide formation en sciences religieuses ? Si des méthodes étrangères à celles-ci peuvent s'avérer utiles, jusqu'à quel point est-il légitime d'y recourir ?
92En 1912, Aḥmad al-Iskandarī récidiva. Il publia, toujours dans Al-Manār, une critique du nouvel ouvrage de Zaydān, l'Histoire de la littérature arabe109. Il en avait examiné de près le second volume. Celui-ci portait en effet sur un sujet qu'il connaissait bien et auquel il venait lui-même de consacrer un livre : la littérature abbasside110. La critique d'al-Iskandarī, comme la précédente, était très ordonnée pour lui donner une allure d'objectivité. Elle énumérait les qualités puis les défauts du livre, illustrés par de nombreux exemples. La lecture de l'Histoire de la littérature arabe était globalement recommandée. Le bon, disait al-Iskandarī, l'emportait sur le mauvais. Mais la liste des défauts était naturellement plus longue que celle des qualités.
93Sur la forme comme sur le fond, les propos d'Aḥmad al-Iskandarī ressemblaient assez à ceux du père Šayḫū et du père Anastase-Marie dans Al-Mašriq et dans Luġat al- ‘Arab. Le cheikh relevait des erreurs de forme et d'interprétation, des longueurs et des parties hors sujet, ainsi qu'une tendance à la généralisation. Et comme le père Šayḫū, il reprochait à Zaydān son « engouement » (tahāfut) pour la loi de l'évolution qui lui faisait voir du progrès là où, à l'évidence, il y avait décadence.
94Sur l'utilisation que faisait Zaydān des ouvrages en langues occidentales, Iskandarī était plus mesuré que dans sa critique des Arabes avant l'islam. Il faut dire qu'il avait assisté en 1911 à Athènes à la conférence des orientalistes111. Il reconnaissait donc l'utilité des travaux de ces derniers. Cette fois, il dut admettre que Zaydān équilibrait les références aux auteurs européens de toutes époques et aux auteurs arabes dont les ouvrages avaient été jusqu'ici imprimés. Listant les défauts de l’Histoire de la littérature arabe, il accusa toutefois Zaydān de reprendre aveuglément certaines allégations des orientalistes. Il lui reprocha aussi des fautes de raisonnement (istintāǧ) qu'il excusait ainsi : l'auteur de l'Histoire de la littérature arabe s'appuie sur lui-même dans son effort d'interprétation (iǧtihād). C'était une façon de faire comprendre que Zaydān n'avait ni les connaissances ni la méthode nécessaires pour réinterpréter les sources arabes et musulmanes dans le but de faire une histoire moderne de la littérature. À Zaydān, pour Iskandarī, les portes de l’iǧtihād n'étaient pas ouvertes.
95Cette seconde critique d'Aḥmad al-Iskandarī, cependant, ne pouvait probablement plus guère émouvoir Ǧurǧī Zaydān après le choc que ce dernier avait ressenti, au premier semestre de l'année 1912, en lisant dans Al-Manār la diatribe de Šiblī Nu‘mānī contre son Histoire de la civilisation islamique112. Pour Zaydān, cette diatribe n'était pas seulement blessante par la violence inouïe de son ton, mais aussi par l'identité de son auteur, un homme qu'il connaissait depuis vingt ans et pour lequel il avait beaucoup d'estime. Il le tenait pour « le plus grand savant d'Inde113 » (akbar ‘ulamā’ al-Hind) et avait fait référence à lui à plusieurs reprises dans l'Histoire de la civilisation islamique, notamment pour son ouvrage en langue hindoustanie, Rasā’il Šiblī, qui lui avait donné des renseignements sur les madrasa-s, les māristān-s et les bibliothèques arabes114.
96Šiblī Nu‘mānī, de son côté, avait d'abord retiré une impression favorable de sa rencontre avec Ǧurǧī Zaydān au Caire en 1892. En 1894, il lui avait adressé un exemplaire de son récit de voyage dans l'Empire ottoman et en Égypte (Safarnāma-i Rūm-o-Miṣr-o-Šām). Un passage y faisait l'éloge d'Al-Hilāl en même temps que celui de la revue Al-Muqtaṭaf. Šiblī invitait les « gens de goût » à s'y abonner et à en tirer profit115. Quelques années plus tard, l’Histoire de la civilisation islamique provoqua en revanche sa colère. Šiblī Nu‘mānī avait alors pris ses distances avec l'école moderniste d'Aligarh pour se consacrer exclusivement à la réforme de l'enseignement musulman au sein du Séminaire des ‘ulamā’ (Nadwatul ulamā’) de Lucknow. Avec son livre, Ǧurǧī Zaydān, le sympathique journaliste érudit et moraliste, venait empiéter sur un domaine d'étude pour lequel les savants musulmans se sentaient plus que quiconque qualifiés. Šiblī Nu‘mānī s'en prit alors à Zaydān avec une violence qui n'avait peut-être d'égale que la considération dans laquelle il l'avait d'abord tenu.
97Le fond de l'attaque était le traitement des Umayyades dans l’Histoire de la civilisation islamique. On se souvient en effet que Zaydān, reprenant des éléments de la tradition musulmane sunnite ou chiite associés à une lecture très politique du règne des Umayyades, avait peint ceux-ci sous un jour sombre. Il les avait présentés comme tyranniques et chauvins tout en saluant leur rôle dans la construction d'un véritable État arabe, base d'une brillante civilisation116.
98Or des lettrés et historiens musulmans réformistes, influencés par la lecture du juriste néo-hanbalite Ibn Taymiyya (m. 1328) et par celle d'Ibn Ḫaldūn, étaient partisans d'une réhabilitation au moins partielle des Umayyades qui, en dépit de leurs entorses à la religion et à la loi islamiques, constituaient une authentique dynastie arabe, à la légitimité politique incontestable du point de vue des sunnites. Pour ces lettrés et historiens, jeter le discrédit sur les Umayyades, c'était jeter le discrédit sur les Arabes qui étaient en train de prendre conscience de leur existence en tant que nation117.
99Il faut ainsi relever que quelques années avant Šiblī Nu‘mānī, en 1905, Rafīq al-‘Aẓm avait déjà émis des réserves sur l'image peu flatteuse que son ami Ǧurǧī Zaydān donnait des Umayyades dans l’Histoire de la civilisation islamique118. Sans nier les défauts des Umayyades, Rafīq al-‘Aẓm leur trouvait des excuses. Ils avaient gouverné un peuple jeune, à une époque où l'État était en construction et restait marqué par les origines bédouines de la dynastie. Al-‘Aẓm ajoutait qu'à lire l’Histoire de la civilisation islamique, on pouvait penser que son auteur prenait le parti des non-Arabes et ne faisait l'éloge de l'Empire abbasside que parce que celui-ci était moins arabe que ‘aǧamī, c'est-à-dire aux mains des étrangers persans. Rafīq al-‘Aẓm mit aussi en garde Zaydān contre le danger d'interpréter la tradition sans garanties sûres, en s'appuyant sur les historiens plus que sur les commentateurs de ḥadīṯ.
100Zaydān avait répondu à son confrère qu'il ne sous-estimait pas l'apport des Umayyades, qui avaient généralisé la langue arabe dans l'administration, mais que c'était leur comportement politique qu'il jugeait répréhensible. Quant à servir les non-Arabes, l'idée ne l'avait évidemment guère effleuré. Il n'était qu'au service de la vérité.
101Sur le fond, la critique de Rafīq al-‘Aẓm était de même nature que celles de Rasīd Riḍā et de ses collaborateurs occasionnels dans Al-Manār. Mais le ton n'avait rien à voir. Rafīq al-‘Aẓm s'était montré extrêmement courtois. Zaydān et lui avaient débattu en historiens, dans les pages mêmes d'Al-Hilāl. Il en alla tout autrement dans la critique de Šiblī Nu‘mānī parue en 1912. Ici le débat fut commué en procès. Šiblī Nu‘mānī jeta l'opprobre sur l’Histoire de la civilisation islamique, un ouvrage qu'il estimait mensonger et injurieux pour les Arabes en général et pour les Umayyades en particulier. Le ton était assez vite donné :
« Même si je n'avais aucun zèle pour la communauté (al-milla) et pour la religion, écrivait Šiblī, même si je m'enorgueillissais, telle une créature des étrangers (ṣanī ‘ba‘d al-aǧānib), d'être un pur philosophe sans sentiments (religieux), même si je supportais l'injure, je ne tolérerais pas que l'histoire fût déformée et la vérité travestie. L'auteur (de l’Histoire de la civilisation islamique) n'a d'autre but que de dénigrer la nation arabe (al-umma al-‘arabiyya)119. »
102L'accusation se nourrissait donc de la façon dont l'Histoire de la civilisation islamique présentait les Umayyades. Šiblī récusa, preuves à l'appui, tout ce que Zaydān avait dit de ces derniers, qu'ils étaient chauvins et méprisaient les mawālī, qu'ils faisaient fi de la religion, qu'ils étaient tyranniques et qu'ils faisaient payer une lourde capitation aux ḏimmī-s120 Zaydān fut accusé de généraliser à partir d'informations trouvées chez des auteurs chiites ou chez des historiens de l'époque abbasside nécessairement prévenus contre les Umayyades. Šiblī, ici, ne se contentait pas de mettre en cause la méthode scientifique de Zaydān. Il lui reprochait d'avoir délibérément déformé l'image des Umayyades et de mépriser les Arabes. Car il ne cessait de répéter que l'État umayyade, qu'il critiquait, était un État purement arabe, alors que dans l'État abbasside, dont il célébrait à l'envi la grandeur, les étrangers étaient intégrés.
103Nous avons dit plus haut que le discours de Ǧurǧī Zaydān manquait effectivement de cohérence. Le lecteur de l'Histoire de la civilisation islamique ne comprend pas toujours si, pour l'auteur, la présence des Persans et des Turcs dans l'État abbasside fut positive ou négative. Le lecteur s'interroge sur ce que pense Zaydān : la force de l'État abbasside tenait-elle à la domination de l'élément étranger ou simplement à la coopération entre ce dernier et la dynastie arabe au pouvoir ? À la réflexion, pourtant, s'impose la conclusion que, pour Zaydān, plus l'élément arabe s'affaiblit, plus l'on s'enfonce dans la décadence. Lorsque l'équilibre politique entre Arabes et étrangers se rompt au profit des seconds, la civilisation décline121.
104Šiblī, pour sa part, s'engouffra dans la brèche laissée par les incertitudes du discours de Zaydān. Abandonnant la mesure dont Rafīq al-‘Aẓm avait encore fait preuve dans sa critique, il établit un rapport de cause à effet entre l'affirmation que l'État umayyade était purement arabe et le discrédit jeté sur la dynastie. Pour lui, Zaydān détestait les Umayyades parce que leur Empire était arabe, et encensait les Abbassides parce que leur Empire était aux mains des Persans. Ceci était évidemment une déformation de ce qu'avait écrit Zaydān.
105Šiblī Nu‘mānī alla plus loin encore dans sa condamnation de l'Histoire de la civilisation islamique. Il expliqua que, dans le fond, Zaydān ne traitait pas mieux les califes rāšidūn, « nos maîtres et nos modèles dans la religion », que les Umayyades. Car, sous la plume de Zaydān, les Rāšidūn devenaient des ennemis de la science, des destructeurs de livres et des oppresseurs de ḏimmī-s. Ce que Šiblī ne supportait pas, c'est que Zaydān eût affirmé que la bibliothèque d'Alexandrie avait été incendiée sur ordre du calife ‘Umar ibn al-Haṭṭāb. Il l'accusa d'avoir mal interprété le ḥadīṭ du Prophète : « Inna l-islām yahdimu mā kāna qabla-hu122 » (« L'islam détruit ce qui l'a précédé »). Pour Šiblī, ce que l'islam avait détruit, c'étaient les fausses croyances mais non les connaissances scientifiques accumulées dans les siècles antérieurs à la Révélation. Il estimait que Zaydān présentait l'islam comme une religion obscurantiste, non comme la religion du progrès. En somme, Zaydān allait à l'encontre du projet des réformistes musulmans qui était de montrer que l'islam était, par essence, porteur des valeurs de la modernité.
106A cet endroit de la critique de Šiblī Nu‘mānī, Zaydān n'était plus seulement accusé de mépriser les Arabes mais encore de ne rien connaître aux sciences islamiques ni aux méthodes de l'histoire de l'islam, et, par conséquent, de n'avoir aucune légitimité pour en parler. Zaydān, disait Šiblī, « ne mesure pas l'histoire islamique à la même aune que nous123 », et n'a aucun souci des garants (riǧāl al-sanad). Il n'étaie pas les faits sur les témoignages d'hommes sûrs, connus pour leur piété et leur amour de la vérité124. Et Šiblī de lancer cette condamnation sans appel : Zaydān est « un intrus parmi nous » (daḫil fī-nā), « ses références et son savoir nous sont étrangers125 » (huwa ġarīb al-dawq wa l-ma‘rifa). Autrement dit, il n'appartient pas à la seule communauté authentique (al-milla), celle formée par les musulmans attachés à leur religion. De là à affirmer que Zaydān était, une de ces « créatures des étrangers » (ṣanī ‘ba ‘ḍ al-aǧānib) évoquées au début de la diatribe, il n'y avait qu'un pas que le lecteur était aisément amené à franchir.
107Derrière la critique de l'Histoire de la civilisation islamique par Šiblī Nu‘mānī et celle de l'Histoire de la littérature arabe par Aḥmad al-Iskandarī, c'est bien entendu Muḥammad Rašīd Riḍā qui tirait les ficelles de la polémique. Il publia bien de son côté de brefs comptes rendus flatteurs de l'Histoire de la littérature arabe, non sans recommander en plus de cet ouvrage la lecture de Tārīḫ āulāb al-‘Arab par Muṣṭafā Ṣādiq al-Rāfi‘ī — concurrent malheureux de Zaydān, rappelons-le, pour l'obtention d'un prix de l'Université égyptienne126. Rašīd Riḍā utilisa aussi quelques circonlocutions pour présenter la charge de Šiblī Nu‘mānī, en avertissant ses lecteurs qu'ils risquaient d'être surpris par sa violence, comme lui-même l'avait été127... Mais c'est bien une campagne qu'il organisa contre Zaydān en 1912. Non content d'avoir publié la même année la philippique de Šiblī Nu‘mānī et la critique d'Aḥmad al-Iskandarī, il décida de les réunir en un seul volume, qu'il préfaça et auquel il annexa le commentaire des Arabes avant l'islam fait par le cheikh al-Iskandarī quatre ans auparavant, en 1908. Il compléta le tout en allant rechercher les critiques de l'Histoire de la littérature arabe et de Catégories des nations que le père Šayḫū venait de faire paraître, en août et septembre 1912, dans Al-Mašriq128.
108On se souvient pourtant que, dans un compte rendu de l'Histoire de la civilisation islamique qu'il avait lui-même fait en 1904, Rašīd Riḍā avait écrit noir sur blanc que, contrairement aux jésuites, Ǧurǧī Zaydān n'était pas un de ces « chrétiens fanatiques » qui s'employaient à saper les fondements de l'islam129. Mais en 1912, les jésuites honnis étaient bien utiles pour amplifier la polémique contre Zaydān tout en lui donnant un semblant d'objectivité scientifique et de neutralité confessionnelle.
109La question se pose naturellement de savoir pourquoi Riḍā orchestra cette campagne et surtout pourquoi, avec l'aide de Šiblī Nu‘mānī, il attaqua un ouvrage dont la publication avait commencé dix ans auparavant et contre lequel il s'était alors refusé à lancer la polémique. Du côté de Ǧurǧī Zaydān, l'attitude de Rašīd Riḍā fut imputée à la jalousie. Zaydān pensait que Riḍā était exaspéré par le succès croissant de sa revue, Al-Hilāl, et de ses œuvres130. L'intérêt des lecteurs pour l'Histoire de la civilisation islamique, l'ouvrage attaqué dans Al-Manār, ne se démentait pas et venait de justifier une seconde édition. Zaydān estimait également que la proposition qui lui avait été faite d'enseigner à l'Université égyptienne accroissait le ressentiment de Riḍā131. Celui-ci avait pu trouver un dernier motif de colère dans une lettre louangeuse que le prince Muḥammad ‘Alī, frère du khédive, avait récemment adressée à Zaydān et que le quotidien Al-Ahrām avait rendue publique132.
110Si les explications de Ǧurǧī Zaydān reflètent à coup sûr l'état d'esprit de Rašīd Riḍā à son endroit, elles ne suffisent pas, néanmoins, à comprendre le ton adopté dans Al-Manār en 1912. Riḍā était trop ardent polémiste et avait trop de sens politique pour ne pas choisir opportunément le moment de ses campagnes. Deux raisons, l'une liée à ses activités personnelles, l'autre au contexte politique ottoman, le poussèrent à commencer la publication, en janvier 1912, de la diatribe contre l'Histoire de la civilisation islamique : l'imminence de son voyage en Inde, à l'invitation, justement, de Šiblī Nu‘mānī ; et la toute récente parution de la traduction turque de l'ouvrage incriminé, à une époque de grandes tensions entre les Arabes et le pouvoir central ottoman.
111En mars 1912, en effet, Rašīd Riḍā partit pour l'Inde afin de présider à Lucknow la conférence annuelle de la Nadwatul Ulamā’, l'organisation que dirigeait Šiblī Nu‘mānī133. Or celui-ci, dans la lettre d'invitation qu'il avait envoyée à Riḍā quelques mois plus tôt, avait mentionné un opuscule qu'il venait d'écrire pour dénoncer les erreurs de Zaydān dans l'Histoire de la civilisation islamique et en avait demandé la publication dans Al-Manār134.
112À l'époque des faits, Riḍā raconta avoir souscrit à la demande de Šiblī Nu‘mānī à cause de l'autorité de ce cheikh et, ajoutait-il cyniquement, parce que la critique du livre de Zaydān, destinée à paraître en feuilleton pendant plusieurs mois, lui donnait un sujet tout préparé alors qu'il devait se rendre en Inde et n'aurait par conséquent que peu de temps à consacrer à la rédaction d'Al-Manār135.
113Selon les explications de Riḍā, c'est donc Šiblī Nu‘mānī qui aurait eu l'initiative de la diatribe contre Zaydān. Il est permis d'en douter. On ne peut exclure que Riḍā, le premier, ait sollicité Šiblī pour faire la critique d'un livre qu'il estimait politiquement dangereux136. Quoi qu'il en fût, les deux hommes étaient d'accord pour lancer une polémique contre Zaydān et leur entente même mérite d'être relevée.
114À l'évidence, Riḍā voulait, par cette campagne, resserrer ses liens avec les partisans de la réforme de l'islam en Inde. Notons qu'il s'en alla présider la conférence de la Nadwatul Ulamā’ à l'époque où commençaient les activités du séminaire qu'il venait lui-même de fonder au Caire, le Séminaire de prédication et d'orientation (Dār al-da‘wa wa l-iršād). Pour Riḍā, les deux institutions, la Nadwatul Ulamā ’ et son propre Séminaire, poursuivaient exactement les mêmes objectifs : la réforme de l'enseignement de l'islam, le progrès de l'islam et des musulmans137. Riḍā raconta d'ailleurs qu'il avait hésité à se rendre à Lucknow en 1912 à cause de l'ouverture imminente du Séminaire de prédication et d'orientation et que c'étaient les membres de ce Séminaire eux-mêmes qui l'avaient poussé à partir138.
115La publication de la diatribe de Šiblī Nu‘mānī contre Tāriḫ al-tamaddun al-islāmī au moment même de ce voyage venait donc témoigner de l'entente et de l'unité du « parti de la réforme » (ḥizb al-iṣlāḥ), un parti justement défini dans un article que le Manār consacra au savant indien après sa mort139. Il s'agissait d'une voie médiane entre les « ultra-conservateurs » (al-ǧāmidūn) ignorants et superstitieux, et les « occidentalisés » (al-mutafarniǧūn) qui, « parce qu'ils possèdent un vernis de langues étrangères et connaissent un peu les sciences et les arts européens, sont infatués d'eux-mêmes et méprisent leur nation (umma) ». Les « hommes de la réforme » entendaient pour leur part faire le lien entre ces deux groupes situés aux antipodes l'un de l'autre, « en conduisant la nation (umma) sur une voie qui lui permettrait de conserver ses fondements (muqawwimāt) et les traits de sa personnalité (mušaḫḫiṣāt) et de renouveler ce qu'il y avait de bon dans son héritage140 ».
116La voie médiane que Ǧurǧī Zaydān s'était lui aussi efforcé de rechercher n'était plus reconnue ni par Šiblī Nu‘mānī ni par Rašīd Riḍā. Loin de lui accorder le statut d'« homme de la réforme », ils le rejetaient dans le camp des « occidentalisés ». La réforme de l'islam à laquelle ils œuvraient ne pouvait se confondre avec une quelconque réforme morale et sociale telle qu'elle était défendue dans un journal comme Al-Hilāl, et qui avait pour modèle avoué l'évolution des sociétés d'Europe occidentale ou des États-Unis.
117Pour Riḍā, l'identité « nationale » était indissociable de l'identité musulmane. Il concevait l'Umma, au relèvement de laquelle travaillaient les réformistes, à la fois comme la nation arabe et la communauté des musulmans, l'unité de la première préfigurant et renforçant celle de la seconde. Or Riḍā estimait que l'Histoire de la civilisation islamique, le livre de Zaydān, mettait à mal l'unité entre les Arabes et les autres musulmans.
118Ce qui en 1912 rendait cet ouvrage beaucoup plus dangereux qu'au moment de sa sortie en 1902, c'est qu'il était désormais traduit en turc, à l'initiative du quotidien stambouliote Ikdām141. Riḍā craignait que les Turcs n'y trouvent des arguments contre les Arabes qu'ils étaient déjà prompts à soupçonner de comploter contre le califat ottoman. Les noirs propos de Zaydān sur l'esprit tribal des Umayyades et le mépris dans lequel ceux-ci auraient tenu les non-Arabes risquaient encore d'attiser les rancœurs des Turcs et de renforcer leur propre chauvinisme (‘asabiyya) anti-arabe142. C'est pourquoi Riḍā souhaitait que la critique de Šiblī Nu‘mānī fût à son tour bientôt disponible en turc143. Il fallait montrer que les propos de Ǧurǧī Zaydān n'engageaient que lui et que les vrais Arabes, pour leur part, étaient opposés à toute forme de racisme et se montraient de fervents partisans de l'unité islamique, alors symbolisée par le califat ottoman.
119Pour mesurer la réalité des craintes de Rašīd Riḍā, une comparaison entre l'original arabe de l'Histoire de la civilisation islamique et la traduction turque serait nécessaire. Selon Thomas Philipp, le traducteur avait en effet modifié des passages144. Ceci demande approfondissement. Nous trouvons ici confirmation que l'histoire des relations entre Arabes et non-Arabes telle que l'envisageait Ǧurǧī Zaydān pouvait être utilisée dans le présent à des fins politiques.
120En tout cas, la critique de Šiblī Nu‘mānī tombait à point — c'est la raison pour laquelle nous n'avons pas exclu qu'il se fût agi d'une commande de Riḍā. La mise en cause de l'ouvrage de Zaydān par un auteur qui n'était pas lui-même arabe était particulièrement opportune. C'était en effet un musulman d'Inde en personne qui venait dire qu'il était impensable qu'une authentique dynastie arabe comme la dynastie umayyade eût fait preuve d'hostilité envers les non-Arabes, attitude totalement contraire à l'unité islamique. Riḍā laissait entendre qu'il en allait de même à l'époque contemporaine : les Arabes ne pouvaient être légitimement accusés d'esprit tribal ou de nationalisme chauvin. Si chauvinisme il y avait, il était d'abord le fait des Turcs. C'étaient ces derniers, non les Arabes, qui, selon Riḍā, portaient la responsabilité des tendances séparatistes dans l'Empire ottoman.
121Si le cheikh Šiblī était choqué par le livre de Zaydān sur la civilisation islamique, c'est parce qu'une dynastie purement arabe ne pouvait être hostile à l'islam. Ici encore, les positions de Riḍā se trouvaient confortées : les Arabes étaient bien la substance de l'islam. C'était un musulman non arabe qui le disait. Šiblī Nu‘mānī, en somme, venait au secours des arguments avancés par le nouveau Parti de la décentralisation ottomane dont Riḍā, rappelons-le, était l'un des fondateurs, et selon lequel la place centrale des Arabes dans le monde musulman justifiait le partage du pouvoir entre eux et les Turcs.
122La campagne contre l'œuvre de Zaydān devenait ainsi un instrument de propagande politique. Le paradoxe est que, par cette campagne, c'était Riḍā, bien plus que Zaydān par son livre, qui jetait de l'huile sur le feu des relations entre Turcs et Arabes. Il retournait contre les premiers l'accusation de chauvinisme et les soupçonnait de guetter la moindre occasion de dénigrer les seconds.
123On a ici une excellente illustration de la supersposition des thèmes religieux et des thèmes nationalistes arabes dans le milieu réformiste musulman syrien. Pour Rašīd Riḍā, ou les disciples de Ṭāhir al-Ǧazā’irī comme le jeune Muḥibb al-Dīn al-Ḫaṭīb et, dans une moindre mesure, Rafīq al-‘Aẓm et Muḥammad Kurd ‘Alī, le nationalisme arabe gardait un caractère confessionnel. Il était la juste réaffirmation du rôle politique des Arabes dans la communauté musulmane. Pour un non-musulman comme Zaydān, le nationalisme arabe, fondé sur un patrimoine historique et littéraire commun, laissait au contraire espérer en un rassemblement politique qui dépasserait les clivages confessionnels en sorte qu'il n'y eût plus ni majorité ni minorités mais unanimité de la nation.
124Est-ce à dire qu'avec une telle interprétation, Zaydān ne pouvait qu'être marginalisé dans le mouvement national arabe ? On ne peut légitimement l'affirmer. En vérité, c'est lui-même qui s'était mis en marge, par sa crainte de l'engagement politique. L'on doit d'ailleurs envisager l'hypothèse où Riḍā aurait orchestré une campagne contre lui pour lui faire payer son refus d'embrasser clairement la cause du Parti de la décentralisation ottomane. Mettons-nous à la place de Riḍā : Zaydān, après avoir eu des propos si durs contre les Umayyades dans son Histoire de la civilisation islamique, ne prenait que timidement parti pour les réformes dans les provinces arabes. Alors, si Šiblī Nu‘mānī disait vrai ? Si Zaydān, dans le fond, n'aimait pas les Arabes, trop inféodé qu'il était à la culture occidentale ? Tout porte évidemment l'historien à affirmer que Ǧurǧī Zaydān était profondément épris de sa culture arabe. Mais si l'on se remet dans le contexte des années 1910, l'on doit reconnaître qu'il pouvait paraître suspect à un militant-né comme Rašīd Riḍā qu'un auteur qui n'avait cessé d'écrire sur l'histoire et sur la littérature arabes refusât d'en tirer des conclusions politiques.
125Avec l'opuscule de Šiblī Nu‘mānī et la campagne du Manār, on était loin du débat entre lettrés de bonne compagnie, ouverts sur leur temps. Comme le fit remarquer un lecteur, musulman, d'Al-Hilāl, le ton de Šiblī était inhabituel chez les udabā’145. La campagne du Manār témoignait de la diversification du milieu moderniste. La pensée rationnelle nourrissait toutes sortes d'attitudes : libérales, laïques, fondamentalistes. Les uns acceptaient les méthodes de la pensée européenne en affirmant leur identité par la conservation de quelques usages « orientaux » et surtout par leur langue ou leur créativité politique, culturelle, économique ; les autres commençaient à rejeter le concept d'occidentalisation au profit d'une voie proprement islamique de la modernité. Les auteurs devaient choisir leur camp. On passait à l'ère des grandes polémiques intellectuelles.
126Zaydān, par culture et par tempérament, n'y était nullement porté. Il ne riposta pas à la campagne du Manār. Il est vrai qu'il était difficile de répondre à des attaques dont la bassesse et la mauvaise foi étaient loin d'être absentes. Après avoir lu lé début de la critique de Šiblī Nu‘mānī, Zaydān écrivit à ce dernier pour lui reprocher, en termes très sévères selon ses dires, un ton indigne de son statut et de l'amitié que tous deux se portaient depuis vingt ans146. Mais il ne donna aucune publicité à l'affaire. Comme il le dit au lecteur d'Al-Hilāl qui s'étonnait de la virulence de Šiblī Nu‘mānī, peu digne d'un « honnête homme » (adīb), Zaydān avait le sentiment que ses adversaires voulaient le voir cesser toute recherche sur l'histoire de l'islam et sur la langue arabe. Plutôt que de leur répondre, il préférait persévérer dans le travail auquel il avait consacré sa vie147. En privé, néanmoins, il avait fait part de son découragement et avoué qu'il sentait s'affaiblir « sa détermination à œuvrer sans relâche au service de cette nation148 » (‘azamu-(hu) ‘an al-iǧtihād fi ḫidmat hāḏihi l-umma). Il envisagea de renoncer à traiter de « matières islamiques » (mawāḍi‘ islāmiyya) pour se réorienter vers d'autres sujets : des sujets généraux, des sujets sociologiques ou scientifiques, ou, selon ses propres termes, des « sujets syriens » (mawāḍi ‘sūriyya).
127La mesure dont Zaydān fit preuve dans cette affaire était celle-là même qui avait fait son succès. Mais elle marquait aussi les limites de son œuvre. Son refus de se battre montrait ce qu'il restait fondamentalement, un « honnête homme », un auteur moraliste, en un mot un adīb. La génération née après la sienne vit naître, pour sa part, des intellectuels sommés de faire des choix idéologiques et engagés dans le combat politique.
Notes de bas de page
1 Lettres de Ǧurǧī Zaydān à Luṭfī Ǧum‘a, 7 juin et 3 juillet 1912, citées par Al-Siyāsī dans son numéro du 5 juillet 1987. Nous avons trouvé l'article d'Al-Siyāsī dans un dossier de presse sur Ǧurǧī Zaydān (n° 1239) constitué par Dār al-Hilāl.
2 In Ǧurǧī Zaydān 1861-1914, op. cit., p. 13.
3 Lettre de Ǧurǧī à Émile Zaydān, 23 décembre 1908.
4 La référence majeure pour l'histoire de l'Université égyptienne est Donald M. Reid, Cairo University and the Making of Modem Egypt, op. cit. Rappelons que l'Université égyptienne devint université d'État en 1925. Elle prit le nom d'université Fu’ād Ier à la mort de ce dernier en 1936, avant d'être baptisée université du Caire après la révolution de 1952.
5 Pour plus de détails, voir Donald M. Reid, Cairo University..., op. cit., p. 24-30.
6 Al-Hilāl, VIII, 9, 1er février 1900, p. 264-267.
7 Voici la liste des articles relatifs à l'Université égyptienne parus dans Al-Hilāl de 1906 à 1914 :
- « Al-Madrasa al-kulliyya al-miṣriyya. Hal hiya sābiqa li-awāni-hā » (« Le Collège universitaire égyptien est-il prématuré ? », Al-Hilāl, XV, 4, janvier 1907, p. 217-224 ;
- « Al-madāris al-amīriyya al-miṣriyya » (« Les écoles gouvernementales en Égypte »), Al-Hilāl, XV, 7, avril 1907, p. 393-410 ;
- « Al-Ǧāmi‘a al-miṣriyya. Nahḍa ǧadīda » (« L'Université égyptienne. Une nouvelle Renaissance »), Al-Hilāl, XVI, 8, mai 1908, p. 457-463 ;
- « Ǧāmi‘a am Kulliyya » (« Université ou Collège ? »), Al-Hilāl, XVI. 9, juin 1908, p. 516-520 ;
- « Al-Ǧāmi‘a al-miṣriyya wa l-ta'lïm al-lâzim li-l-bilàd » (« L'Université égyptienne et l'enseignement nécessaire au pays »), Al-Hilāl, XVII, 5, février 1909, p. 272-279 ;
- « Al-Ǧāmi‘a al-miṣriyya wa l-luġa al-‘arabiyya wa ta‘lim al-mar’a » (« L'Université égyptienne, la langue arabe et l'instruction de la femme »), Al-Hilāl, XVIII, 4. janvier 1910, p. 235-237 ;
- « Al-Ǧāmi‘a al-miṣriyya. ‘Ulūmu-hā wa 1-tadrīs fī-hā » (« L'Université égyptienne. Ses disciplines et le contenu de son enseignement »), Al-Hilāl, XVIII, 9, juin 1910, p. 551-553 ;
- « Al-luġa al-‘arabiyya wa 1-ta‘im fī 1-madāris al-amīriyya wa 1-Ǧāmī‘a al-miṣriyya » (« La langue arabe et l'enseignement dans les écoles gouvernementales et à l'Université égyptienne »), Al-Hilāl, XXI, 1, septembre 1912, p. 27-37 ;
- « Al-Ǧāmi‘a al-miṣriyya. Waḍ‘ al-ḥaǧar al-awwal min binā’i-hā wa baht fī tāriḫi-hā wa ‘ulūmi-hā wa asālībi-hā » (« L'Université égyptienne. Pose de la première pierre du bâtiment. Histoire. Disciplines. Méthodes »), Al-Hilāl, XXII, mai 1914, p. 563-574.
8 Cette conception de l'enseignement supérieur en Égypte est défendue dans tous les articles de Zaydān cités ci-dessus.
9 Revue du monde musulman, V, 6, juin 1908, p. 369 ; XIII, 1, janvier 1911, p. 9 (note).
10 D'après « Al-Ǧāmi‘a al-miṣriyya. ‘Ulūmu-hā wa 1-tadrīs fī-hā », Al-Hilāl, XVIII, 9, juin 1910, p. 551 (programme du département des sciences économiques également donné) ; « L'Université égyptienne », Revue du monde musulman, XIII, 1, janvier 1911, p. 16-17. Noter que l'article de la Revue du monde musulman ne mentionne pas l'histoire du monde occidental et parle, non d'histoire de l'Égypte ancienne, mais d'histoire de l'Orient ancien.
11 Lettre citée par Zaydān in « Naḥnu wa 1-Ǧāmi ‘a al-miṣriyya wa l-tāriḫ al-islāmī », Al-Hilāl, XIX, 3, décembre 1910, p. 177-178.
12 Donald M. Reid, Cairo University..., op. cit., p. 35.
13 In « Nahnu wa 1-Ǧāmi‘a al-miṣriyya wa 1-tāriḫ al-islāmī », Al-Hilāl, XIX, 3, décembre 1910, p. 178.
14 Ibid., p. 179.
15 Voir chapitre VIII, p. 388-389.
16 « Naḥnu wa 1-Ǧāmi‘a al-miṣriyya wa l-tāriḫ al-islāmī », Al-Hilāl, XIX, 3, décembre 1910, p. 179.
17 Ibid., p. 179-180.
18 Ibid., p. 180.
19 Lettre de Ǧurǧī à Émile Zaydān, 12 octobre 1908, traduite par Thomas Philipp in Ǧurǧī Zaydān..., op. cit., p. 210-214.
20 Ibid.
21 Ibid.
22 Ibid.
23 Donald M. Reid, Cairo University..., op. cit., p. 36.
24 Ibid., p. 37. Muṣṭafā Ṣādiq al-Rāfi‘i, né à Ṭanṭā, fut considéré dans l'entre-deux-guerres comme l'un des chefs de file de l'école littéraire conservatrice (qadīm). Yūsuf Dāġir souligne qu'il ne connaissait aucune langue étrangère (Y. Dāġir. op. cit., II, p. 375-381 ).
25 Sur Muḥammad al-Ḫudarī, voir Yūsuf Dāġīr, op. cit., II, p. 342-343.
26 Donald M. Reid, Cairo University..., op. cit., p. 35-36.
27 Ṭāhā Ḥusayn, Al-Ayyām, IIIe partie, chapitre VI, in Al-maǧmū‘a al-kāmila li-mu’allafāt al-duktūr Ṭāhā Ḥusayn, I, Beyrouth, Dār al-kitāb al-lubnānī, 1974, p. 457.
28 Ibid.
29 À défaut de pouvoir faire ce cours. Zaydān le publia dans Al-Hilāl sous le titre « Al-tārih al-islāmī bi-l-naẓar ilā sā’ir al-tawārih » (« L'histoire de l'islam au regard des autres histoires »), Al-Hilāl, XIX. 3, décembre 1910, p. 154-161. Nous avons déjà cité cet article que nous avons traduit et analysé en détail ailleurs (voir références au chapitre X, p. 518, n. 97 et p. 525, n. 126)
30 Cf. les deux documents dans lesquels Ǧurǧī Zaydān relate personnellement les faits : sa lettre à Émile en date du 12 octobre 1910 et un article paru dans Al-Hilāl en décembre 1910 (voir référence infra n. 33).
31 Transcrit du français dans le texte ; lettre de Ǧurǧī à Émile Zaydān. 12 octobre 1910.
32 Cf. supra, n. 29.
33 « Nahnu wa 1-Ǧāmi‘a al-miṣriyya wa 1-tārīh al-islāmī », Al-Hilāl, XIX, 3, décembre 1910, p. 177-181.
34 En l'occurrence, Abū l-Fatḥ Kamāl al-Dīn Mūsā ibn Abī l-Faḍl, juriste chafi‘ite du vie siècle de l'Hégire, versé – écrit Zaydān – dans les sciences religieuses chrétiennes et juives.
35 Salāma Mūsā, The Education of Salâma Mûsâ, op. cit., p. 154.
36 Voir chapitre II, p. 109-110.
37 D'après Al-Manār, XV, 1, muḥarram 1330/ 2 janvier 1912, p. 58.
38 Voir infra.
39 Cf. Donald M. Reid. Cairo University..., op. cit. Manṣūr Fahmī, auteur d'une thèse préparée en France sur La condition de la femme dans la tradition et l'évolution de l'islamisme, fut soupçonné de porter atteinte à la religion parce qu'il expliquait, en référence à Renan, Wellhausen ou Le Bon, que la situation de la femme n'avait cessé de se dégrader depuis le temps du Prophète. Le Conseil de l'Université lui retira alors le poste de professeur de philosophie en prévision duquel il avait été envoyé faire des études en France. Manṣūr Fahmī ne fut réintégré qu'en 1920 (op. cit., p. 65-66). Muḥammad Aḥmad Ḫalaf Allāh, pour sa part, était professeur-assistant à l'Université lorsqu'il vit sa thèse sur les récits narratifs dans le Coran, pourtant critique à l'égard des orientalistes, condamnée par al-Azhar. Il dut démissionner de son poste et traiter d'un autre sujet pour obtenir son doctorat (op. cit., p. 155). L'affaire Ṭāhā Ḥusayn, enfin, est trop connue pour qu'il soit nécessaire de la rappeler ici. Sur elle, voir notamment la mise au point récente de Luc Deheuvels dans Débats intellectuels au Moyen-Orient dans l'entre-deux-guerres, op. cit., p. 269-295.
40 Donald M. Reid, Cairo University..., op. cit., p. 233.
41 Celui-ci était enseignant à la faculté des lettres de l'université du Caire. Son ouvrage sur les sciences du Coran, accusé de matérialisme par la revue d'al-Azhar, lui coûta, en 1993, un poste de professeur titulaire auquel il était candidat. L'année suivante, un tribunal le déclara apostat, ce qui, en principe, le contraignait à divorcer, puisqu'une musulmane ne peut être l'épouse d'un non-musulman.
42 Donald M. Reid, Cairo University..., op. cit., p. 30.
43 Ibid.
44 Ibid., p. 22-24. Reid fait remarquer que l'historiographie égyptienne négligea aussi le rôle de Ya‘qūb Artīn, un fonctionnaire d'origine arménienne, membre du Conseil d'administration de l'Université en 1908. En 1894, il avait rédigé un rapport intitulé Considérations sur l'instruction publique en Égypte, dans lequel il suggérait de fonder une université à partir du noyau des écoles professionnelles déjà existantes.
45 In préface de Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, I, Le Caire, Dār al-Hilāl, 1968, p. 11.
46 Donald M. Reid, Cairo University..., op. cit., p. 37.
47 Préface de Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, I, Le Caire, Dār al-Hilāl, 1968, p. 5.
48 Aḥmad Ḥusayn Al-Ṭimāwī, op. cit., p. 4-5, 31-33. Sur le contenu des articles consacrés à ‘Urābī Pacha dans Al-Hilāl du vivant de Zaydān, voir chapitre V, p. 237-244.
49 Al-Mašriq, XIV, 8, août 1911, p. 582-595 (critique du 1er volume) ; XV. 8. août 1912, p. 597-610 (critique du 2e volume) ; XVI, 10, octobre 1913, p. 792-793 (critique du 3e volume, cette fois plus courte et ne faisant pas l'objet d'un article ; elle est placée dans la rubrique « Bibliothèque orientale » (Maṭbū‘āt šarqiyya ǧadīda) qui rend compte des nouvelles publications) ; — Lugat al-‘Arab, I, 10 et 11, avril 1912, p. 392-397 et 447-453 ; II, 1, juin 1912, p. 52-62 (critique du 1er volume) ; II, 4, octobre 1912, p. 139-146 ; 5, novembre 1912, p. 205-209 ; III, 1, juillet 1913, p. 73-82 (critique du 2e volume).
50 Pour la présentation du père Šayḫū, nous nous sommes inspirée du mémoire de maîtrise d'Inès-Leyla Dakhli, Naissance de l'intellectuel arabe : l'action des jésuites au Liban de 1840 à la veille de la Première Guerre mondiale, sous la direction de Jacques Frémeaux, université de Paris-Sorbonne (Paris IV), 1994-1995, p. 107-114, 136. Les informations contenues dans ce mémoire sur la carrière de Louis Šayḫū proviennent en partie de Henri Jalabert, S.J., Jésuites au Proche-Orient, Beyrouth, 1987.
51 Tous ces ouvrages furent édités par l'Imprimerie catholique de Beyrouth.
52 Voir chapitre VII, p. 346-348.
53 Al-ādāb al-‘arabiyya fī l-qarn al-tāsi‘ ‘ušar, I (1800-1870) et II (1870-1900), Beyrouth, Imprimerie catholique, 1908-1910.
54 Cf. son ouvrage Al-sirr al-maṣūn fī šī‘at al-farmasūn (Le secret bien gardé au sujet des adeptes de la franc-maçonnerie), Beyrouth, Imprimerie catholique, 1910-1911.
55 Sur le père Anastase-Marie, voir Yūsuf Dāġir, op. cit., II, p. 663-671 et Ḫayr al-Dīn al-Ziriklī, op. cit., Beyrouth, Dār al-‘ilm li-l-malāyin, 1989, [8e édition,] II, p. 25.
56 Cf. Luġat al-‘Arab, I, 1, 1er juillet 1911, p. 2-3. Les objectifs de la revue sont également exposés en français en fin de numéro, p. 40.
57 Voir chapitre VIII, p. 403-404.
58 Cité par Inès-Leyla Dakhli, op. cit., p. 109, d'après Camille Héchaïmé, S.J., Louis Cheikho et son livre Le christianisme et la littérature arabe chrétienne en Arabie avant l'islam, Beyrouth, Dar al-Mashreq, 1967 [rééd. 1986], page non mentionnée.
59 In Al-Mašriq, XV. 8, août 1912, p. 597.
60 Al-Mašriq, XIV, 8, août 1911, p. 582-595 ; Luġat al-‘Arab, I, l0et 11, avril 1912, p. 392-397 et 447-453 ; II, 1, juin 1912, p. 52-62.
61 Cf. chapitre VII, p. 343.
62 Cf. Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya, I, p. 34 et 185-188.
63 Nous ne parlons ici que du père Šayḫū parce que nous ne possédons pas de témoignage direct sur la façon dont Zaydān reçut les propos du père Anastase-Marie. Ce dernier, de toute façon, ne rendit compte du premier volume de Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya qu'en 1912, un an après sa parution, alors que le deuxième volume était déjà sorti. La critique du père Šayḫū, elle, avait été faite dès l'été 1911. C'est pourquoi Zaydān put la mentionner dans l'introduction du deuxième volume (cf. références données dans la note suivante).
64 Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya, II, p. 8-9.
65 Nous rappelons ici la référence : Al-Mašriq, XV, 8, août 1912, p. 597-610. Cette critique figure aussi à la suite de Kitāb Intiqād Kitāb Tārīḥ al-tamaddun al-islāmī li-šans al-‘ulamā’ al-‘allāma al-Šayḫ Šiblī al-Nu‘mānī, Le Caire, Maṭba‘at al-Manār, 1330 h (1912), p. 127-146. C'est à cette édition du Manār que nous ferons désormais référence.
66 « Tārīḫ ādāb al-luġa al- ‘arabiyya. Naqd al-ǧuz’ al-ṯānī min-hu li-l-āb Louis Šayḫū al-Yasū‘i », Kitāb Intiqād Kitāb Tārīḫ al-tamaddun, op. cit., p. 128.
67 Ibid. Sur la périodisation de l'Empire abbasside dans Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya, voir chapitre VII, p. 344-345.
68 « Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya. Naqd al-ǧuz’ al-ṯāni min-hu li-l-āb Louis Šayḫū al-Yasū‘ī », Kitāb Intiqād Kitāb Tārīḫ al-tamaddun, op. cit., p. 129. Le chapitre en question, « Al-Qur’ān al-karīm wa ādāb al-luġa al-‘arabiyya » se trouve dans Tārīḫ ādāb al-luġa al- ‘arabiyya, II, p. 11
69 « Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya. Naqd al-ǧuz’ al-ṯāni min-hu li-l-āb Louis Šayḫū al-Yasū‘ī », Kitāb Intiqād Kitāb Tārīḫ al-tamaddun, op. cit., p. 135.
70 Ibid., p. 130 et p. 132-133. Les passages incriminés ici se trouvent dans Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya, II, p. 21 et p. 45.
71 Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya, III, p. 6-7.
72 Al-Mašriq, XV, 9, septembre 1912, p. 714-715.
73 Ibid.
74 Cf. le témoignage de Ṭāhā Ḥusayn cité au chapitre VIII, p. 370-371. Ṭāhā Ḥusayn lisait aussi bien Al-Manār qu Al-Muqṭataf et Al-Hilāl, trois revues qui tenaient un discours sur l'actualité et la modernité qu'il n'entendait pas de ses maîtres d'Al-Azhar.
75 Al-Hilāl, X. 9. 1, 1er février 1902. p. 291-292.
76 Voir la nécrologie de ‘Abd al-Raḥmān al-Kawākibī dans Al-Hilāl en juillet 1902 : cf. chapitre VI. p. 297-298.
77 Al-Manār, II. 3. muḥarram 1317/13 mai 1899, p. 139.
78 Al-Manār, VII. 16. rabī‘ al-āhir 1322 / 30 juin 1904, p. 313.
79 Allusion à cet article et à la réplique que lui adressa Zaydān dans Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, II, p. 7.
80 Les références des critiques de l'Histoire de la civilisation islamique (Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī) dans Al-Manār, au moment de la sortie de l'ouvrage, sont les suivantes : V, 14, 16 raǧab 1320/18 octobre 1902, p. 551-552 (critique du premier volume) ; VII, 4, 16safar 1322/2mai 1904, p. 149-152 (deuxième volume) ; VII, 13, 1 raǧab 1322 / 11 septembre 1904, p. 514-518 (troisième volume) ; VIII, 13, raǧab 1323 / 31 août 1905, p. 511 (quatrième volume) ; IX, 11, ḏū 1-qa‘da 1324 / 17 décembre 1906, p. 873-874 (cinquième volume).
81 Al-Manār, V, 14, 16 raǧab 1320/ 18 octobre 1902, p. 551-552.
82 Ibid.
83 Ibid.
84 Al-Manār, VII, 13, 1 raǧab 1322 /11 septembre 1904, p. 515-516. Riḍā, en réponse à un docteur musulman de Damiette, commente ici la p. 39 du troisième volume de Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī.
85 In Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, III, p. 141.
86 Al-Manār, VII, 13, 1 raǧab 1322 / 11 septembre 1904, p. 517.
87 « Man ya’ḫuḏu l-‘ilm al-dīnī ‘an al-kutub al-tārīḫiyya min ġayr talaqqī aḥkāmi-hi ‘an ahli-hi » in Al-Manār. VII, 4, 16 ṣafar 1322 / 2 mai 1904, p. 151.
88 Al-Manār, VII, 13, 1 raǧab 1322/ 11 septembre 1904, p. 518.
89 Ibid.
90 Al-Manār, V, 14, 16 raǧab 1320/ 18 octobre 1902, p. 552.
91 « Al-Qur’ān wa naǧāh da‘wat al-Nabī » (« Le Coran et le succès de la prédication du Prophète »), Al-Manār, XI, 1, muḥarram 1326/3 mars 1908, p. 9-10.
92 Ibid.
93 Ibid.
94 Journaliste syrien né à Homs en 1881, ‘Abd al-Ḥamīd al-Zahrāwī s'installa en Égypte en 1902 et collabora à Al-Mu’ayyad et Al-Ǧarīda. Élu député de Homs au Parlement ottoman après la Révolution jeune-turque, il milita pour l'attibution de droits politiques aux Arabes et présida le Congrès de Paris en 1913. Les Turcs l'exécutèrent pour trahison en 1916. Il est l'un des « martyrs » arabes.
95 Voir citation complète in chapitre VII, p. 333, d'après « Tārīḫ al-‘Arab wa l-islām fī silk al-qiṣāṣ wa l-riwāyāt » (« L'histoire des Arabes et de l'islam à travers les contes et les romans »), Al-Manār, XI, 1, muḥarram 1326 / 3 mars 1908, p. 69.
96 Ibid.
97 Lettre de Ǧurǧī à Émile Zaydān, 28 mars 1912, traduite en anglais par Thomas Philipp in Ǧurǧī Zaydān..., op. cit., p. 216-219.
98 Voir chapitre IX, p. 477-482.
99 Al-Manār, XI, 8, 29 ša‘bān 1326 / 25 septembre 1908, p. 619-620.
100 Al-Manār, XI, 9,30 ramaḍān 1326/25 octobre 1908, p. 681-687 ; 10, 29 šawwāl 1326/ 23 novembre 1908, p. 780-786.
101 Sur lui, voir Yūsuf Dāġir,op. cit., II, p. 1 2 1 - 1 2 2 ; Ḫayr al-Dīn al-ZiriḲlī, op. cit., I, p. 177.
102 Al-ištiqāq wa l-ta‘rīb. Le Caire, Maṭba‘at al-Hilāl, 1908.
103 Yūsuf Dāġir. op. cit., III, p. 1264-1268.
104 Lettre de Ǧurǧī à Émile Zaydān, 20 novembre 1908.
105 Lettres de Ǧurǧī à Émile Zaydān, 14 novembre, 8,10 et 12 décembre 1908.
106 Lettre de Ǧurǧī à Émile Zaydān, 12 décembre 1908.
107 « Muḥyī al-Dīn al-Ḫayyāṭ », Al-Hilāl, XXII, 7, avril 1914, p. 632.
108 Lettres de Ǧurǧī à Émile Zaydān, 18 janvier, 11 et 16 février 1909.
109 Al-Manār, XV, 10, octobre 1912, p. 741-744 ; 11, ḏū 1-qa‘da 1330/9 novembre 1912, p. 841-856 ; XVI, 1, 30 muḥarram 1331 / 8 janvier 1913, p. 41-54.
110 Le livre d'Aḥmad al-Iskandarī s'intitule Tārīḫ ādāb al-‘arabiyya fil-‘aṣr al- ‘abbāsī (Histoire de la littérature arabe à l'époque abbasside). 1911 [d'après Yūsuf Dāġir, op. cit., II, p. 121-122]
111 In Y. Dāġir, ibid.
112 In Al-Manār. XV, 1, muḥarram 1330/2 janvier 1912, p. 58-67 ; 2, ṣafar 1330 / 18 février 1912, p. 121 -128 ; 4, rabī ‘ al-āḫir 1330 / 17 avril 1912, p. 270-280 ; 5, 30 ǧumādā 1-ūlā 1330 / 17 mai 1912, p. 342-352 ; 6, ǧumādā 1-āḫira 1330 / 15 juin 1912, p. 415-427. La critique de Šiblī Nu‘mānī fut rééditée à part à la fin de 1912 : Kitāb Intiqād Kitāb Tārīh al-tamaddun al-islāmī li-šams al-‘ulamā’ al- ‘allāma al-Šayḫ Šiblī Nu‘mānī, Le Caire, Maṭba‘at al-Manār, 1330 h. (1912). C'est à cet ouvrage que nous nous référerons désormais.
113 Lettre de Ǧurǧī à Émile Zaydān, 28 mars 1912.
114 Tārīh al-tamaddun al-islāmī, I, p. 169 ; II, p. 7 ; III, p. 4, 5.
115 Cité par Al-Hilāl, 111,7, 1e r décembre 1894, p. 279-280 (paginées par erreur 281 et 282).
116 Voir chapitre X, p. 527-529.
117 Werner Ende, Arabische Nation und islamische Geschichte Die Umayyaden im urteil arabische Autoren des 20. Jahrhunderts, op. cit., chapitre II. Le livre de Werner Ende est une analyse de toutes les polémiques qui ont éclaté autour des Umayyades au cours du xxe siècle. L'historiographie de cette dynastie arabe devenait en effet un enjeu politique qui engageait les relations entre Arabes et non-Arabes, entre sunnites et chiites, entre partisans et adversaires de la monarchie absolue en Égypte. La polémique autour de l'ouvrage de Zaydān, Tāriḫ al-tamaddun al-islāmī, n'est donc que la première d'une longue série. Werner Ende lui consacre les pages 32 à 55 de son livre.
118 Débat entre Rafīq al-‘Aẓm et Ǧurǧī Zaydān in Al-Hilāl, XIV, 2, novembre 1905, p. 104-111 ; analysé par Werner Ende, op. cit., p. 32-42.
119 Kitāb Intiqād Kitāb Tāriḫ al-tamaddun al-islāmī, op. cit., p. 3.
120 Ibid.
121 Cf. chapitre X, p. 530-536.
122 Kitāb Intiqād Kitāb Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, op. cit., p. 54-56.
123 « Inna-hu yazinu l-Tārīḫ al-islāmī bi-mīzān ġayr mīzāni-nā. »
124 Kitāb Intiqād Kitāb Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, op. cit., p. 60-61.
125 Ibid., p. 56. Zaydān à nouveau qualifié d'« intrus » p. 70.
126 Al-Manār, XV, 3, 30 rabī ‘al-awwal 1330 / 19 mars 1912, p. 222-223 ; 12, 30 ḏū 1-hiǧǧa 1330 / 29 décembre 1912, p. 9
127 Al-Manār, XV. 1. muḥarram 1330 / 2 janvier 1912, p. 58.
128 Kitāb Intiqād Kitāb Tāriḫ al-tamaddun al-islāmī li-šams al-‘ulamā’ al-‘allāma al-šayḫ Šiblī ai-Nu‘mānī wa yalī-hi intiqād kitāb Tāriḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya bi-qalam al-šayḫ Aḥmad ‘Umar al-lskandarī wa intiqād Kitāb Tāriḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya ayḍan wa Kitāb Ṭabaqāt al-umam bi-qalam al-āb Louis Šayḫū al-Yasū‘ī, Le Caire, Maṭba‘at al-Manār, 1330 h (1912).
129 Al-Manār. VII, 13. 1 raǧab 1322 / 11 septembre 1904, p. 518. C'est nous qui soulignons.
130 Lettre de Ǧurǧī à Émile Zaydān, 28 mars 1912 ; Thomas Philipp, Ǧurǧī Zaydān..., op. cit., p. 217.
131 Ibid.
132 Ibid. Selon Thomas Philipp, le prince Muḥammad ‘Alī appartenait à la même organisation maçonnique que Ǧurǧī Zaydān (la même obédience, le Grand Orient d'Égypte ? La même loge ?) : in Ǧurǧī Zaydān..., op. cit., p. 217, n. 18.
133 Départ de Riḍā annoncé dans Al-Manār, XV, 3, 30rabī‘al-awwal 1330/19 mars 1912, p. 225-226.
134 Lettre mentionnée par Riḍā dans Al-Manār, XV, 1, muḥarram 1330 / 2 janvier 1912, p. 58 et dans la préface de Kitāb Intiqād Kitāb Tārīh al-tamaddun al-islāmī, op. cit., p. 8. Elle est citée in extenso dans un article sur Šiblī Nu‘mānī in Al- Manār, XVIII, 3, 29 ǧumādā 1-ūlā 1333 / 14 avril 1915, p. 236.
135 Préface de Kitāb lntiqād Kitāb Tārīh al-tamaddun al-islāmī, op. cit., p. 8.
136 Cf. infra.
137 Al-Manār, XV, 3, 30 rabī ‘ al-awwal 1330 / 19 mars 1912, p. 225-226.
138 Al-Manār, XVIII, 3, 29 ǧumādā 1-ūlā 1333/ 14 avril 1915, p. 238.
139 « Al-šayḫ Šiblī wa ḥizb al-iṣlāh bayn al-ǧāmidīn wa 1-mutafarniǧīn » (« Le cheikh Šiblī et le parti de la réforme entre ultra-conservateurs et occidentalisés », Al- Manār, XVIII, 3, 29 ǧumādā 1-ulà 1333 / 14 avril 1915, p. 233-238.
140 Ibid., p. 233-234.
141 Voir chapitre VII, p. 350-352.
142 Préface de Kitāb lntiqād Kitāb Tāriḫ al-tamaddun al-islāmī, op. cit., p. 8.
143 Ibid., p. 7.
144 Thomas Philipp, Ǧurǧī Zaydān..., op. cit., p. 66.
145 Al-Hilāl, XX, 9, juin 1912, p. 562.
146 Lettre de Ǧurǧī à Émile Zaydān, 28 mars 1912.
147 Al-Hilāl, XX, 9, juin 1912, p. 562-563.
148 Lettre de Ǧurǧī à Émile Zaydān, 28 mars 1912.
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