Chapitre VII. Une œuvre abondante et novatrice
p. 311-358
Texte intégral
1La vie bien réglée d'écrivain que mena Ğurğī Zaydān une fois Al-Hilāl fondé et sa carrière stabilisée aboutit à la production d'une œuvre volumineuse dont le succès fut immédiat. Éclectique par sa nature, par son contenu et par les influences qui s'y manifestent, cette œuvre garde cependant une cohérence véritable qui la rend digne d'intérêt.
2On relève en premier lieu une cohérence formelle entre Al-Hilāl et les autres travaux de Zaydān. La revue leur servit de support et en assura la diffusion. Les romans y furent publiés en feuilleton et les ouvrages d'érudition ébauchés sous forme d'articles.
3L'œuvre de Zaydān est cohérente, en second lieu, dans la méthode suivie. Elle résulte d'un effort d'adaptation dans la littérature arabe de genres d'origine étrangère : romans historiques, histoire de la civilisation, anthropologie et ethnologie, histoire de la littérature. Sans doute les livres de Zaydān sont-ils peu originaux du point de vue des canons dont ils s'inspirent. Aujourd'hui, ils sont en grande partie démodés, malgré le succès des romans. Mais en leur temps, ils avaient le goût de la nouveauté. Zaydān est l'un de ceux qui firent franchir à la littérature arabe moderne une nouvelle étape. Pour les écrivains arabes de la fin du xixe siècle, il ne s'agissait plus seulement de traduire des œuvres occidentales mais de s'engager sur la voie de la création littéraire en donnant une coloration arabe à des genres importés. Les livres de Zaydān parurent suffisamment novateurs pour être partiellement traduits en langues orientales et occidentales. Ils contribuèrent ainsi au nouveau rayonnement d'une littérature arabe non religieuse.
4La cohérence de l'œuvre de Zaydān tient enfin au projet éducatif qui animait son auteur et que nous exposerons en détail dans les chapitres suivants. Zaydān entretenait avec ses lecteurs une relation de maître à élève. Il leur donnait un enseignement scientifique et moral dont l'objectif était la constitution d'une société ouverte sur l'extérieur, solidaire et fière de son identité collective.
LA REVUE AL-HILĀL
5Le nom de Ğurğī Zaydān est d'abord lié à la revue Al-Hilāl dont il était le seul rédacteur. Le premier numéro, nous l'avons dit, était sorti en septembre 1892. Mensuel la première année, Al-Hilāl devait paraître deux fois par mois de septembre 1893 à août 1904 avant de revenir à sa périodicité initiale1. Les livraisons suivaient le calendrier chrétien. Elles étaient datées du premier jour, et le cas échéant du quinzième jour, des mois solaires qui étaient désignés à la fois par leurs noms occidentaux et par leur noms syriaques. La date équivalente dans le calendrier hégirien était toujours indiquée. Si l'utilisation de différents systèmes de datation était un procédé courant dans la presse, une revue qui s'appelait Al-Hilāl — Le Croissant —, ne pouvait, encore moins que d'autres, manquer de faire référence aux mois musulmans.
6Le titre choisi par Ğurğī Zaydān, Al-Hilāl, est en soi tout un programme. Sans doute n'a-t-il rien d'insolite dans la presse où les références aux astres sont fréquentes. Il est néanmoins un peu original dans le monde des revues arabes dont la plupart des titres comportent des images ou des termes qui traduisent la vocation éducative du périodique, témoignent du caractère encyclopédique et éclectique du contenu ou montrent l'enjeu de la connaissance éclairant le monde : ces titres ont une connotation pédagogique comme Al-Fatāt (la Jeune Fille), Al-Fatā (Le Jeune Homme) ou Al-Ustāḏ (Le Professeur), parlent de sélection (Al-Muqtaṭaf) et d'emprunt (Al-Muqtabas), évoquent des jardins tels Al-Ǧinān (Les Jardins), Rawḍat al-madāris (Le Jardin des écoles), Riyāḍ al-tawfīq (Les Jardins du succès), ou la lumière à l'instar d'Al-Ḍiyā’ (La Lumière) ou d'Al-Manār (Le Phare). Dans la lettre, les titres les plus proches d'Al-Hilāl sont ceux d'Al-Mašriq (L'Orient) et d'Al-Ğāmi‘a (L'Union), un périodique que Faraḥ Anṭūn, son fondateur, avait d'abord appelé Al-Ğāmi‘a al-‘uṯmāniyya (L'union ottomane)2.
7Zaydān a expliqué lui-même les raisons de son choix dans le premier numéro d'Al-Hilāl. Le croissant était en premier lieu l'emblème de l'État ottoman dont il invoquait le patronage ; il symbolisait en second lieu la périodicité mensuelle de la revue ; il laissait bien augurer, enfin, du développement de cette dernière jusqu'à ce qu'elle atteignît le stade de la perfection (al-kamāl) ou — ce qui est synonyme dans l'imaginaire arabe — de la pleine lune (al-badr al-kāmil)3.
8Zaydān disait ici ses ambitions et sa confiance dans l'avenir de son entreprise. Il choisissait aussi un titre dont les connotations poétiques, religieuses et politiques étaient extrêmement fortes pour le public. Les trois justifications qu'il donnait à son choix ne pesaient évidemment pas du même poids. Au bout d'un an, un lecteur malin fit ainsi remarquer que la décision de rendre la revue bimensuelle contredisait le fait que le croissant de lune n'était visible qu'une fois par mois et la symbolique que Zaydān lui-même avait voulu donner à son titre. Notre auteur ne se démonta pas et répondit qu'à l'échelle terrestre, le croissant de lune était visible tous les jours... Et il répéta que de toute façon, le titre choisi était un moyen de prendre pour modèle Sa Majesté le sultan « dont le croissant brille à chaque instant dans notre ciel4 ».
9Là était évidemment l'argument essentiel. Que Zaydān eût évoqué le croissant ottoman témoigne d'un choix éminemment politique. Le croissant, un motif fréquemment représenté par les Turcs, avait pris un caractère officiel après la création de la nouvelle armée impériale — le Niẓâm-i cedīd — sous le règne du sultan Selīm III à la fin du xviiie siècle. En 1827, l'armée et la marine ottomanes avaient définitivement adopté le drapeau frappé d'une étoile et d'un croissant sur fond rouge. Quelques décennies plus tard, à partir de 1863, le croissant avait commencé à figurer sur les timbres-poste. Devenu au cours du xixe siècle l'emblème de l'État ottoman modernisé, le croissant apparaissait aussi de plus en plus comme le symbole par excellence de l'islam5.
10Le choix d'un tel symbole par un journaliste de confession chrétienne est loin d'être anodin. Il reflète, outre un attachement non feint à l'Empire ottoman, le désir de Zaydān de s'adresser à un large public, sans distinction de religion, et de trouver les fondements d'une culture historique et politique commune avec les musulmans. Le nom d'Al-Hilāl signifie à la fois l'universalité de la connaissance et ses enjeux politiques : la constitution d'une nation.
11Al-Hilāl était considéré par son fondateur comme une « revue » (maǧalla). Le terme « maǧalla », forgé à partir d'un verbe qui signifie « couvrir », « envelopper », était d'usage plus récent que la réalité qu'il désignait. Selon Ğurğī Zaydān, c'est Ibrāhām al-Yāziǧī qui l'employa le premier. Auparavant, on appelait indifféremment « journal » (ǧarīda) toutes les publications quels que soient leur périodicité, leur nature et leur format6. Al-Muqtaṭaf, fondé en 1876, était ainsi sous-titré « journal scientifique et industriel » (ǧarīda ‘ilmiyya ṣinā‘iyya). L'essor des quotidiens et l'apparition d'une presse politique partisane dans les années 1880 en Égypte amenèrent progressivement à faire la distinction entre les journaux proprement dits et les revues. En fondant Al-Hilāl et en l'appelant « maǧalla », Zaydān voulait se démarquer des deux grands quotidiens politiques lancés en 1889, Al-muqaṭṭam et Al-Mu’ayyad, l'un pro-anglais, l'autre défendant l'autorité du khédive et l'identité de l'Égypte musulmane. Selon Zaydān, dans les années 1890, la majorité des journaux publiés en Égypte se partageait en deux tendances, une tendance « muqaṭṭamienne » (muqaṭṭamiyya) et une tendance « mu’ayyadienne » (mu’ayyadiyya) — les adjectifs sont de lui7. Il entendait, pour sa part, n'être ni « muqaṭṭamī » ni « mu’ayyadī » mais se placer sur un autre terrain, un terrain culturel, sans avoir à prendre position pour ou contre l'occupation anglaise.
12Cela ne signifie pas qu'Al-Hilāl n'était pas « politique ». Son nom le démontre suffisamment. Politique, la revue l'était au sens où elle défendait le projet d'une société ouverte sur l'extérieur, instruite de sa culture et de sa langue, et dont l'objectif, à terme, était de prendre sa place dans le concert des nations modernes. Al-Hilāl n'ignorait nullement l'actualité, envisagée dans une perspective historique et de manière dépassionnée. En tenant la chronique des principaux événements du mois, en trouvant dans l'actualité une source d'inspiration pour ses articles, Zaydān avait pour ambition d'amener ses lecteurs à prendre du recul sur les faits rapportés par les quotidiens et débattus dans la presse partisane. Ceci fut particulièrement net après la Révolution jeune-turque du 24 juillet 1908. Dès lors, nous y reviendrons largement, l'actualité ottomane envahit les pages d'Al-Hilāl.
13Al-Hilāl en vérité est difficilement classable dans une seule catégorie. Pour se faire une idée de la nature et des objectifs de la revue, on peut évoquer des périodiques européens contemporains que Zaydān désirait faire lire à son fils Émile : Je sais tout et The Review of Reviews8. Lancé à Paris en 1905 par Pierre Laffitte, Je sais tout devait être racheté en 1916 par la maison Hachette. Il correspondait à un genre en vogue en France. C'était un magazine de lecture et de culture populaire dans l'esprit de Lectures pour tous (1898), Lisez-moi (1905) ou Nos loisirs (1906)9. Le titre suffisait à retenir l'attention de Ğurğī Zaydān : il s'accordait totalement à son désir d'aborder des sujets et des disciplines extrêmement variés et de vulgariser la connaissance.
14Je sais tout était un magazine que Ğurğī Zaydān destinait d'abord à son fils. Pour lui-même, The Review of Reviews avait une tout autre importance. Ce mensuel anglais fut fondé en 1890 par William Stead (1849-1912), un journaliste fort réputé pour ses méthodes révolutionnaires. Avant de fonder The Review of Reviews, Stead avait été rédacteur en chef du quotidien londonien The Pall Mall Gazette dans lequel il avait introduit des illustrations, fait des interviews et lancé des campagnes de presse, notamment en faveur de l'envoi du Major Gordon à Khartoum en 1884. Il reprit ces pratiques dans The Review of Review s. Il y publia des entretiens avec les tsars Alexandre III et Nicolas II et s'engagea dans la défense de grandes causes : la fin de la prostitution enfantine, la réforme des codes criminels anglais ou le maintien de la paix internationale10.
15Zaydān recevait The Review of Review s (Maǧallat al-Maǧallât al-inklīziyya en arabe) et la tenait pour « la meilleure revue du monde11 ». Il en conseillait la lecture à Émile, ne serait-ce que pour apprendre la langue anglaise et se familiariser avec son vocabulaire politique et culturel12. Dans The Review of Reviews, Zaydān puisait une partie de ses informations. C'est elle, par exemple, qui lui permit de répondre aux nombreuses questions de ses lecteurs sur le spiritisme, phénomène alors très en vogue dont William Stead était devenu un adepte13. À la mort de ce dernier en 1912, dans le naufrage du Titanic, sa biographie parut dans Al-Hilāl, à partir de renseignements naturellement trouvés dans un tout récent numéro de The Review of Reviews14. Notons que Zaydān ne fut pas le seul alors à saluer la mémoire de William Stead. La revue chiite réformiste de Saïda, Al-‘Irfān, déplora aussi la mort de ce « grand homme » (raǧūl ‘aẓïm), une perte pour « l'Orient » comme pour « l'Occident ». Car Stead, disait Al-‘Irfān, avait rendu de grands services à l'espèce humaine. Il était un modèle pour tous les hommes de presse15.
16Zaydān, à l'instar de ses confrères, admirait donc un homme qui avait si profondément renouvelé le métier de journaliste. William Stead organisait la pression de l'opinion sur les autorités, ce à quoi les journalistes d'Égypte et de Syrie voulaient précisément parvenir. Des « campagnes », il y en eut dans Al-Hilāl, pour la constitution d'une académie de langue arabe, par exemple, ou pour la création d'une université moderne en Égypte16.
17Al-Hilāl, une revue d'esprit encyclopédique, possède ainsi quelque chose de Je sais tout et de The Review of Reviews. Elle veut vulgariser la connaissance et généraliser la lecture, sensibiliser l'opinion et les gouvernants aux nécessaires réformes, informer sur les courants intellectuels, religieux et scientifiques contemporains. C'est à la fois une revue didactique, un magazine illustré, un forum d'idées et un manifeste pour la réforme culturelle et morale.
18La structure de la revue ne fut guère bouleversée du vivant de son fondateur, entre la première et la vingt-deuxième année. Dans le premier numéro, Ğurğī Zaydān annonçait cinq rubriques (ahwāb) auxquelles il se tint par la suite17. La première était intitulée « Événements célèbres et grands hommes » (Bāb ašhar al-ḥawādiṯ wa a‘ẓam al-riǧāl). Elle consistait dans la majorité des cas en une ou deux biographies d'hommes célèbres du passé ou de personnalités tout juste décédées, souverains, hommes d'États, savants, écrivains, poètes et peintres d'Orient et d'Occident. Dans la mesure du possible, les biographies étaient accompagnées d'illustrations qui avaient été présentées par Zaydān dans le premier numéro comme faisant partie intégrante de la rubrique. Pendant quelques années, il n'y en eut pas d'autres dans Al-Hilāl. C'est qu'il ne suffit pas seulement de connaître la vie du grand homme, il faut voir son visage. Le grand homme se montre.
19Après les événements célèbres et les grands hommes, venaient les articles (Bāb al-maqālāt) sur des sujets d'histoire, de littérature, de philosophie, de sociologie ou de morale, puis les romans-feuilletons qui constituaient une rubrique à part entière (Bāb al-riwāyāt)18. Ils étaient suivis de la « chronique du mois » (Tārīḫ al-šahr) qui distinguait entre les « événements égyptiens » (al-ḥawādiṯ al-miṣriyya), les « événements syriens » (al-ḥawādiṯ al-sūriyya) et les « événements étrangers » (al-ḥawādiṯ al-ḫāriǧiyya). La cinquième rubrique, enfin, appelée « Morceaux choisis » (Muntaḫabāt) dans le premier numéro, s'intitula ensuite « Éloge et critique » (Bāb al-taqrīẓ wa l-intiqād). Elle sélectionnait et commentait les publications récentes.
20Sur la base de ces cinq rubriques, Ğurğī Zaydān procéda à quelques modifications. À partir du volume VI, l'épisode du feuilleton romanesque fut placé en fin de livraison et paginé à part. De nouvelles rubriques furent progressivement ajoutées, à commencer par « Correspondances » (Bāb al-murāsalāt) qui fit son apparition dès le numéro trois, en novembre 1892. Cette rubrique, destinée au courrier des lecteurs, faisait totalement partie du projet de la revue de susciter questions, réflexions et débats. Elle prit parfois plus de place que les articles eux-mêmes. A partir de la troisième année (1894-1895), une nouvelle rubrique « Questions et suggestions » (Bāb al-su’āl wa l-iqtirāḥ) dédoubla la rubrique « Correspondances ». Cette dernière publiait des envois qui prenaient la forme de petits essais ou articles, tandis que « Questions et propositions » se mit à ressembler davantage à un courrier des lecteurs avec questions courtes et ponctuelles et réponses d'Al-Hilāl.
21La troisième année d'Al-Hilāl encore, apparut la rubrique « Nouvelles scientifiques » (Aḫbār ‘ilmiyya), suite de brèves sur des découvertes ou des expériences récentes. Dans le même esprit, une rubrique « Nouvelles sociologiques » (Aḫbār iǧtimā‘iyya) devait figurer dans le vingt-deuxième volume commencé en octobre 1913.
22La revue se préoccupait aussi beaucoup de santé et d'hygiène. Une rubrique spéciale leur fut consacrée à partir de 1900. Elle s'appela pendant un an « Propos de table » (Ḥadīṯ al-mā‘ida) et prit ensuite de l'ampleur en devenant « Santé de la famille » (Ṣiḥḥat al-‘ā’ila)19. Dans le volume XXII, le dernier publié du vivant de Zaydān, cette rubrique fut enfin baptisée « La famille et la maison » (Al-‘ā’ila wa l-manzil).
23Les dernières rubriques à faire leur entrée furent, dans le volume X (1901-1902), « Nouvelles publications » (Maṭbū'āt ǧadīda) qui venait en complément de la rubrique « Éloge et Critique » (Al-taqrīẓ wa l-intiqād), et, dans le volume XI (1902-1903), « Merveilles de la création » (‘Aǧā'ib al-maḫlūqāt), une rubrique sur les curiosités et les anomalies de la nature (tels le nanisme, le gigantisme, la gémellité siamoise), à mi-chemin entre l'information scientifique et l'exhibition de phénomènes de foire.
24Dans les années 1900 ainsi, quand Al-Hilāl parvint à maturité, les rubriques s'ordonnaient dans chaque numéro à peu près de la manière suivante : « Événements célèbres et grands hommes », « Articles », « Correspondances » et « Questions et suggestions », « Merveilles de la création », « Santé de la famille », « Nouvelles scientifiques », « Chronique du mois », « Éloge et critique » et « Nouvelles publications ». Il arrivait bien entendu que l'une ou l'autre des rubriques fût absente d'un numéro. Cette structure fut enfin quelque peu bouleversée entre octobre 1908 et la fin de 1909 (volumes XVII et XVIII) pour les besoins de l'actualité ottomane.
25Beaucoup de ces rubriques n'étaient pas spécifiques à Al-Hilāl. Al-Muqtaṭaf publiait depuis longtemps des biographies de grands hommes choisis exclusivement parmi les Occidentaux. La revue Al-‘Irfān en reprit plus tard l'idée. En 1910, la seconde année de sa parution, elle ouvrit une rubrique intitulée « Revue des célébrités » (Ma‘riḍ al-mašāhīr) qui, à côté des traditionnelles biographies de clercs chiites, publia celles de Turgot, du roi Édouard VII ou encore de William Stead évoqué plus haut20.
26Le courrier des lecteurs, quant à lui, figurait en bonne place dans de nombreuses revues qui avaient vocation à servir de tribunes et à arbitrer les débats sur la réforme de la société, de la religion ou de la vie politique. Dans Al-Muqtaṭaf par exemple, il existait déjà une rubrique « Débat et correspondance » (Bāb al-munāẓara wa l-murāsala) distincte des « Questions et réponses » (Masā’il wa aǧwibatu-hā), plus courtes et souvent plus anonymes. La rubrique « Débat et correspondance » devait se retrouver ensuite dans Al-Manār.
27Citons encore deux exemples d'échanges entre les revues. Al-Muqtaṭaf possédait une rubrique d'économie domestique (Bāb tadbīr al-manzil) qui inspira celles d'Al-Hilāl, « Santé de la famille » et « La famille et la maison »21, puis la rubrique « Santé et économie domestique » (Al-ṣiḥḥa wa tadbīr al-manzil) de la revue Al-‘Irfān22. Quant à la rubrique « Chronique du mois » (Tārīḫ al-šahr), présente dès l'origine dans Al-Hilāl, on la retrouve à nouveau dans Al-‘Irfān23, ainsi que dans Lugat al-‘Arab, la revue des pères carmes de Bagdad, où elle s'intéresse, non pas aux événements d'Égypte et de Syrie, mais à ceux d'Irak. Al-Hilāl, ainsi, fut influencé par les périodiques arabes antérieurs à lui — Al-Muqtaṭaf en particulier — et devait à son tour servir de modèle.
28Al-Hilāl était presque entièrement rédigé par Ğurğī Zaydān à l'exception de la rubrique « Correspondances », créée justement pour que des lecteurs puissent s'exprimer longuement sur des sujets qui leur tenaient à cœur. Les articles n'étaient qu'occasionnellement signés d'un autre auteur que Zaydān24. Les contributions extérieures, néanmoins, devinrent de plus en plus nombreuses, surtout à partir de la dix-septième année (1908-1909). Zaydān fit appel à des spécialistes de certaines disciplines scientifiques, par exemple à Manṣūr Ğurdāq (1881-1964), professeur-assistant de mathématiques au Syrian Protestant College, qui signa quelques articles en 190925. La rubrique « Santé de la famille » et les articles médicaux furent confiés à des médecins professionnels. Deux noms reviennent fréquemment : celui du docteur Nīqūlā Fayyāḍ (1873-1958) et celui du docteur Ibrāhīm Šadūdī, ophtalmologiste au Caire.
29Ces collaborateurs n'étaient pas cantonnés dans leur spécialité. Manṣūr Ğurdāq, outre deux articles de mathématiques, en publia un troisième sur « Les devoirs de l'individu vis-à-vis de la société26 ». Quant à Nīqūlā Fayyāḍ, il était aussi écrivain. Encore étudiant en 1893, il avait publié dans Al-Hilāl un article sur « L'écriture et la composition27 ». Un Ğurdāq ou un Fayyāḍ partageaient avec Ğurğī Zaydān des goūts éclectiques et le désir, non seulement de transmettre des connaissances académiques, mais d'exprimer des idées morales engageant le destin de la société.
30L'on trouve aussi des contributions de Rūḥī al-Ḫālidī (1864-1913), issu d'une illustre famille chérifienne de Jérusalem. Après des études de droit au Maktab Malakī d'Istanbul puis à l'École des sciences politiques de Paris et à la Sorbonne, il entama une carrière d'écrivain, de haut fonctionnaire et d'homme politique ottoman. Il est l'auteur d'un ouvrage de littérature intitulé Histoire de la littérature chez les Européens et chez les Arabes (Tārīḫ ‘ilm al-adab ‘inda l-Ifranǧ wa l-‘Arab) et d'articles divers publiés sous le nom de plume d'al-Maqdisī. Consul général de l'Empire ottoman à Bordeaux pendant plusieurs années, il fut élu député de Jérusalem au Parlement d'Istanbul en décembre 1908 sous l'étiquette du Comité Union et Progrès28.
31Dans Al-Hilāl, Rūḥī al-Ḫālidī signa, outre un article érudit sur l'histoire du Dahomey29, un important essai de science politique paru au lendemain de la Révolution jeune-turque30. Il comportait une analyse de la nature de cette révolution ainsi qu'une histoire du mouvement libéral ottoman auquel appartenait l'auteur. Notons que cet essai parut simultanément dans Al-Manār31. Il faut croire que Rūḥī al-Ḫālidī l'avait adressé, sinon à plusieurs revues, du moins à ces deux fleurons de la presse arabe qu'étaient Al-Hilāl et Al-Manār.
32Les noms que nous avons cités jusque là – Ğurdāq, Fayyāḍ, Šadūdī, Ḫālidī – sont tous syriens. Les collaborateurs d'Al-Hilāl, dans leur grande majorité, étaient originaires du Bilād al-Šām. La revue s'ouvrit toutefois à de jeunes plumes égyptiennes comme ‘Abd al-Fattāḥ al-‘Ibāda (m. 1928), étudiant à l'Université égyptienne, auteur en 1912 et en 1913 de deux articles sur l'écriture arabe et sur la flotte musulmane32. On relève surtout les premières contributions de Salāma Mūsā (1887-1958) qui allait devenir un journaliste connu33. Après une enfance passée à Zagazig, dans le Delta, et des études secondaires au Caire, Salāma Mūsā séjourna en France et en Angleterre de 1907 à 1911. Il y fit de nombreuses lectures sur le socialisme et, en 1909, devint membre de la Société fabienne à Londres. C'est à cette époque qu'il écrivit son premier livre Muqaddimat Superman dont Zaydān, nous l'avons dit, fut l'éditeur. Il publia aussi dans Al-Hilāl un article sur l'histoire du socialisme en Angleterre34, suivi quelque temps plus tard d'une seconde contribution sur « L'intelligence et les caractères des insectes35 ».
33Salāma Mūsā devait être sollicité par Émile Zaydān après la Première Guerre mondiale pour transformer la ligne d'Al-Hilāl. Il en devint le principal rédacteur dans les années 1920 et en fit une revue plus progressiste et plus « égyptienne ». Après avoir été l'éditeur d'un autre titre de Dār al-Hilāl, l'hebdomadaire Kull šay’ (Toutes choses) à partir de 1925, il se brouilla avec Émile Zaydān et, en 1930, fonda son propre mensuel, Al-Maǧalla al-ǧadīda36.
34Outre les contributions d'auteurs syriens et égyptiens, il est intéressant de noter qu'un érudit et journaliste persan séjournant au Caire en 1914, al-Hāǧǧ Mīrzā ‘Abd al-Muḥammad Irānī, publia dans Al-Hilāl un article sur le poète ‘Umar Ḫayyām37. Nous n'avons pas relevé d'autres contributions d'auteurs dont l'arabe n'était pas la langue maternelle, notamment d'auteurs turcs.
35Émile Zaydān, enfin, commença à collaborer à la revue quelques années avant la mort de son père. Son nom apparut pour la première fois au bas d'une lettre qui fut publiée en 190938. Il signa ensuite deux articles durant la vingtième année d'Al-Hilāl (1911-1912)39. Ses contributions devinrent régulières l'année suivante. A partir d'octobre 1912, il publia presque un article par numéro. Les sujets qu'il abordait étaient variés, comme ceux choisis par son père, avec une orientation beaucoup plus scientifique qu'historique et littéraire. Tournés vers la biologie, les sciences sociales, la philosophie, les relations internationales, ils annonçaient les changements opérés dans Al-Hilāl, avec l'aide de Salāma Mūsā, après la mort de Ğurğī Zaydān40.
36L'une des caractéristiques d'Al-Hilāl était de publier de l'inédit — ce qui fit une partie de son succès aux dires de Philippe de Ṭarrāzī41. On y trouve peu d'extraits d'ouvrages, peu d'articles repris d'autres revues arabes ou traduits de revues étrangères. Si cela se produit, c'est que le thème abordé correspond aux engagements sociaux ou politiques de la revue. Le numéro du 15 juin 1899, par exemple, publia sous le titre de « L'éducation de la femme » (« Tarbiyat al-mar’a ») des extraits de La libération de la femme (Taḥrīr al-mar’a), un ouvrage du juge musulman égyptien Qāsim Amīn qui venait de paraītre et allait faire grand bruit42. Des années plus tard, en 1914, Al-Hilāl publia un article sur l'Émirat Saoudite initialement paru dans Lugat al-‘Arab43. A cette époque la revue de Ğurğī Zaydān évoquait de plus en plus fréquemment le « monde arabe » et examinait la situation de ses différentes parties44. Pour évoquer l'émergence de la principauté arabe qui allait donner naissance en 1932 au royaume d'Arabie Saoudite, Zaydān se servit d'une revue qui était mieux informée que la sienne sur la péninsule Arabique.
37Dans les années 1910, Al-Hilāl se mit à publier des discours, des conférences et des poèmes prononcés ou récités dans telle ou telle manifestation politico-culturelle. On relève par exemple deux discours d'Amīn al-Rīḥānī (1876-1940), un écrivain syrien de confession grecque-orthodoxe qui avait passé son enfance aux États-Unis. Il est connu pour ses engagements nationalistes arabes après la Première Guerre mondiale et ses travaux d'histoire en anglais et en arabe sur Fayṣal ibn al-Ḥusayn, roi d'Irak de 1921 à 1933, et ‘Abd al-‘Azīz ibn Sa‘ūd, le fondateur du royaume d'Arabie Saoudite.
38D'Amīn al-Rīhānl, Al-Hilāl publia donc deux discours à la veille de 1914. Il avait prononcé le premier, « La valeur de la vie » (« Qīmat al-ḥayāt ») dans une cérémonie organisée par l'Association pour le service de la patrie (Ğam ‘iyyat al-ḫidma al-waṭaniyya) à Tripoli, et le second, « L'esprit de la révolution » (« Rūḥ al-ṯawra »), au cours d'une manifestation de l'Association pour l'éducation de la jeunesse (Ğam ‘iyyat tahḏīb al-šabība) à Beyrouth45. Ces discours s'apparentent à des méditations romantiques sur la « nation » et le changement. Ils sont très liés au contexte troublé des années 1910, marqué par les guerres de l'Empire ottoman en Tripolitaine et dans les Balkans et par le durcissement des relations entre provinces arabes et gouvernement jeune-turc. La publication de ce type de discours dans Al-Hilāl peut être vue comme une tentative de mobilisation patriotique de l'opinion autour de la défense tout à la fois de l'Empire ottoman, des Arabes et de la Syrie46.
39Hormis les contributions que nous venons de mentionner, tout le reste, dans Al-Hilāl, était à la charge de Ğurğī Zaydān, ce qu'il trouvait à la longue pesant. Il lui était difficile de trouver régulièrement de l'inspiration et de renouveler ses sujets. Il éprouvait parfois un sentiment de lassitude et son vœu intime aurait été de pouvoir abandonner la rédaction de la revue à voeu intime aurait été de pouvoir abandonner la rédaction de la revue à quelqu'un d'autre47. Al-Hilāl, pourtant, est sans doute la plus belle part de son œuvre, la plus conforme à sa culture éclectique et à son projet de vulgariser la connaissance. Et l'historien y trouve une source inépuisable pour comprendre l'esprit de la période 1890-1914.
40Si Zaydān ne pouvait abandonner Al-Hilāl, c'est que la revue le faisait vivre après l'avoir fait connaître. Tous ses autres travaux sont liés à elle. Les romans historiques — on l'a vu — constituaient en eux-mêmes une rubrique. Chacun paraissait en feuilleton pendant une année entière avant d'être édité à part. Zaydān n'écrivait pas ses romans d'une seule traite. Il en préparait la matière pendant l'été puis les rédigeait épisode par épisode pour les besoins du feuilleton. Il se sentit ainsi à la fois flatté et embarrassé quand Ḥamūd ibn Muḥammad ibn Sa‘īd, le sultan de Zanzibar en personne, pressé de connaître la fin de La vierge des Qurayš (‘Aḏrā’ Qurayš) demanda à recevoir un exemplaire du roman alors que celui-ci était encore en cours de publication dam Al-Hilāl. Zaydān dut alors avouer que La vierge des Qurayš était « dans les limbes » (fi ‘ālam al-ġayb) et qu'il en ignorait lui-même la fin48 — qui allait être triste, au grand dam des lecteurs.
41D'autres ouvrages que les romans reprennent le contenu de rubriques d'Al-Hilāl. C'est le cas notamment des Biographies des hommes célèbres de l'Orient au xixe siècle (Tarāǧim mašāhīr al-Šarq fī l-qarn al-tāsi‘ ‘ašar), sélection de biographies initialement parues dans Al-Hilāl.
42L'histoire de la littérature arabe (Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya), sujet du dernier grand ouvrage de Ğurğī Zaydān paru de 1911 à 1914, avait déjà donné lieu, sous le même titre, à une longue série publiée la deuxième année et la troisième années d'Al-Hilāl, entre janvier 1894 et avril 1895.
43Quant à l'Histoire de la civilisation islamique (Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī), publiée entre 1902 et 1906, nous avons vu qu'elle avait été distribuée aux abonnés de la revue à la place des livraisons estivales. L'ouvrage comporte des renvois à Al-Hilāl. Dans le premier volume, par exemple, Zaydān invite ses lecteurs à consulter le tableau de toutes les dynasties musulmanes paru dans un numéro déjà ancien d'Al-Hilāl49. Il se dispense ainsi de revenir sur le sujet dans l'Histoire de la civilisation islamique, ce qui serait trop long.
44Al-Hilāl était donc un moyen pour Ğurğī Zaydān de publier ses ouvrages, de les diffuser ou de défricher des sujets abordés ensuite de manière plus exhaustive dans des volumes séparés. La revue constituait bien la base de son œuvre d'écrivain.
45Cette œuvre a l'histoire pour objet principal. Sa caractéristique est de faire connaître aux lecteurs des genres nouveaux, à travers des romans historiques et des ouvrages d'érudition scientifique dans les disciplines suivantes : histoire de la civilisation, histoire de la littérature et anthropologie. Zaydān trouvait les modèles de ses ouvrages dans la production littéraire et scientifique occidentale mais avait toujours le souci de les raccorder à la tradition arabe. Quelles que soient les limites du procédé, il y a là un véritable effort d'appropriation qui mérite d'être relevé et fait l'intérêt des travaux de Zaydān du point de vue de l'histoire de la littérature arabe.
ĞURĞĪ ZAYDĀN ROMANCIER
46Ğurğī Zaydān s'illustra tout d'abord dans le genre romanesque. Le terme équivalent à « roman » en arabe était alors à peine forgé : après une simple transcription, « rūmāniyya », le mot « riwāya » (qui signifie étymologiquement le récit, la narration) s'était répandu. C'est celui qu'emploie Zaydān.
47Mais l'usage n'en était pas totalement fixé. Ainsi Muḥammad Rašīd Riḍā, en prenant la défense des romans en 1908 dans sa revue, Al-Manār, devait-il préciser aux lecteurs de quoi il parlait : ces histoires (qiṣaṣ) connues sous le nom de romans (riwāyāt)50.
48Le genre romanesque fut introduit dans le monde arabe par le biais de libres traductions d'ouvrages occidentaux publiés en feuilleton dans des revues ou des quotidiens. Les auteurs français comme Alexandre Dumas, Eugène Sue, Maurice Leblanc ou Ponson du Terrail étaient particulièrement prisés51.
49Parallèlement aux traductions, les auteurs arabes s'essayèrent au genre, avec une prédilection pour le roman historique caractéristique des périodes de construction nationale52. Pour les années 1890 et 1900, on peut citer les titres suivants : La bataille d'Andalousie (Gādat al-Andalus, 1893-1894) de ‘Abd al-Raḥmān Ismā‘īl, La vierge d'Inde (‘Aḏrā’ al-Hind, 1897) d'Aḥmad Šawqī, La fille d'Israël (Fatāt Isrā’īl, 1903) et Le martyr du Golgotha (Šahīd al-Ġulġula, 1905) — premiers volumes d'un cycle romanesque sur l'histoire de la chrétienté que l'auteur, ‘Abd al-Masīḥ al-Anṭākī, ne poursuivit pas —, La Jérusalem nouvelle ou la conquête de la Cité sainte par les Arabes (Ūršalīm al-ǧadīda aw fatḥ al-‘Arab Bayt al-Maqdis, 1904) de Faraḥ Anṭūn, Le prince du Liban (Amīr Lubnān, 1907) de Ya‘qūb Ṣarrūf, Ḫadīğa, la mère des croyants (Ḫadīğa umm al-mu ’minīn, 1908) de ‘Abd al-Ḥamīd al-Zahrāwī, ou, pour finir, Hārūn al-Rašīd et les Barmakides (Al-Rašīd wa l-Barāmika, 1910) du père Anṭūn Rabbāṭ, S. J.53
50Beaucoup de ces auteurs ne faisaient que suivre la voie ouverte par Ğurğī Zaydān. C'est ce dernier en effet qui, avec ses vingt-deux romans, mena l'entreprise la plus aboutie et fit la popularité du genre. Son premier roman, Le Mamelouk errant (Al-Mamlūk al-šārid), avait paru, nous l'avons dit, en 1891. Il témoignait d'un intérêt pour l'histoire égyptienne caractéristique des premiers travaux de Zaydān. On retrouve cet intérêt dans les romans suivants Le prisonnier du Mahdī (Asīr al-Mutamahdī, 1892), La tyrannie des Mamelouks (Istibdād al-Mamālīk 1892-1893), Armanūsa l'Égyptienne (Armanūsa al-Miṣriyya, 1895-1896), ouvrage qui remonte le temps pour évoquer la conquête de l'Égypte par le général musulman ‘Amr ibn al-‘Āṣ.
51C'est alors que Zaydān eut l'idée d'un cycle romanesque (silsila) qui donnerait aux lecteurs un vaste panorama de l'histoire islamique. Ce cycle fut annoncé en septembre 1896 dans Al-Hilāl quand commença la publication de La jeune fille de Ġassān (Fatāt Ġassān), un roman qui portait sur les débuts de la prédication islamique (al-da‘wa) jusqu'à la conquête de l'Égypte54. Puis, au rythme d'un roman par an, Zaydān suivit la chronologie de l'histoire de l'islam. En 1914, année de sa mort, il était parvenu, avec Saǧarat al-Durr, aux débuts de la période mamelouke en Égypte. Le cycle n'avait été interrompu qu'une seule fois, en 1911, par Al-Inqilāb al-‘uṯmānī, un roman sur la toute récente Révolution ottomane.
52En concevant un tel cycle, Ğurğī Zaydān avait en tête les œuvres de Walter Scott et surtout celles d'Alexandre Dumas Père. C'est à ce dernier qu'il fait le plus souvent référence. Si l'on suit la distinction faite par Georges Lukács entre la forme classique du roman historique, représentée par Scott, et la forme romantique, Zaydān, de fait, est plus inspiré par la seconde que par la première. Lukács remarque en effet que le roman historique de l'époque romantique met en scène de grands personnages là où Scott, dans Ivanohe par exemple, ne leur faisait jouer qu'un rôle secondaire. Ces personnages ont une dimension morale. Ils sont un exemple à méditer pour le présent. Lukács appelle cela « la modernisation décorative de l'histoire » qui « sert à illustrer une tendance politique et morale d'actualité55 ». « Les personnages en dépit de leur costume conservent des sensibilités modernes.56 » Et Lukács cite Pouchkine qui se serait moqué de ces romans dans lesquels « les héroïnes reçoivent leur éducation chez Madame Campan et les hommes d'État du xvie siècle lisent le Times ou Le Journal des débats57 ».
53Voilà qui définit assez bien les romans de Ğurğī Zaydān : leurs héroīnes sont élevées dans les collèges de jeunes filles de Beyrouth et vizirs et califes, quand ils sont éclairés, lisent Al-Hilāl.
54Zaydān, prompt à relever les anachronismes dans les romans historiques de ses confrères, n'avait pas conscience, bien entendu, de ses propres anachronismes psychologiques58. Il entendait, au demeurant, se démarquer de son modèle français. Le dessein de Dumas, expliquait-il, était d'abord d'écrire des romans en se servant des événements historiques pour conférer à l'intrigue une certaine authenticité. Zaydān, au contraire, prétendait privilégier le contexte historique à l'intrigue, raconter les faits tels qu'ils s'étaient produits en les agrémentant d'une intrigue amoureuse pour encourager le lecteur à finir le livre59.
55La structure des romans de Ğurğī Zaydān est donc la suivante. Chaque œuvre est centrée sur un épisode célèbre de l'histoire de l'islam et fourmille de détails sur les coutumes, la vie quotidienne et la vie culturelle de la période considérée. Ces détails sont empruntés à des ouvrages arabes classiques dont les références, comme dans un livre d'histoire, figurent parfois en notes de bas de page. L'événement qui constitue le cœur et la raison d'être du roman est pimenté par une histoire d'amour qui se déroule toujours selon le même schéma : deux jeunes gens, beaux, intelligents et instruits, voient leur amour contrarié par un vilain despote — le père de la jeune fille, son frère, le prince — servi par la lâcheté et la bassesse de quelques courtisans.
56Prenons l'exemple de ‘Abbāsa, la sœur du Rašīd (Al-‘Abbāsa uḫt al-Rašīd), le roman de l'année 1905-1906. Le but de Zaydān est de raconter le désastre des Barmakides (nakbat al-Barāmika), une dynastie de vizirs iraniens entrés au service des premiers Abbassides. Parvenus au faīte du pouvoir sous le règne de Hārūn al-Rašīd, ils tombèrent soudainement en disgrâce en 187/803. Ǧa‘far al-Barmakī, le favori du calife, fut exécuté, son frère arrêté, son père surveillé et tous les biens de la famille furent confisqués60.
57Les raisons de ce brutal revers de fortune sont mal connues. L'une des hypothèses échafaudées par les contemporains fut rapportée par l'historien Ṭabarī (m. 923 a. d.) : Hārūn al-Rašīd, ne pouvant se passer ni de la compagnie de son favori ni de celle de sa sœur ‘Abbāsa, leur fit contracter un mariage de pure forme afin qu'ils pussent paraître tous deux en même temps en sa présence. Mais il leur défendit de consommer une union qui, pour ‘Abbāsa, était une mésalliance. Or deux enfants naquirent de ce mariage. Quand le calife l'apprit, furieux d'avoir été désobéi, il ordonna l'exécution de Ǧa‘far. Pour Ṭabarī, la consommation du mariage de ce dernier avec ‘Abbāsa n'était pas la raison principale de la disgrâce des Barmakides mais la tradition s'empara de l'histoire et l'amplifia61.
58Pour Zaydān, il y avait là une formidable matière historique et romanesque. Les Barmakides étaient extrêmement célèbres, non seulement à cause de leur destin tragique mais aussi à cause de la protection qu'ils avaient accordée aux arts et aux lettres. Leur histoire permettait de décrire la vie menée à la cour abbasside, d'évoquer ses fastes et ses poètes tels Abū Nuwās et Abū l-‘Atāhiya, bref de rappeler tout l'éclat qu'avait connu la civilisation islamique à la fin du second siècle de l'Hégire. Le piment était tout trouvé : l'histoire de Ǧa‘far et de ‘Abbāsa, quitte à attribuer à cette princesse, fille et sœur de calife, des rêves petits-bourgeois : vivre en paix avec époux et enfants, aussi bien dans un palais que dans une chaumière.
59Peu importait, dans le fond, l'invraisemblance psychologique puisque la passion amoureuse n'était qu'un aspect secondaire du récit. Ce qui comptait, c'était l'évocation du règne de Hārūn al-Rašīd. Zaydān n'avait pas encore conscience que c'était précisément l'adéquation psychologique des personnages avec le contexte historique qui permettait de restituer le mieux l'esprit d'une époque — à la manière d'un chef-d'œuvre du genre, L'éducation sentimentale, éblouisssant portrait de la génération de 1848 en France.
60Dans la préface de ‘Abbāsa, la sœur du Rašīd, Zaydān a défini de manière intéressante comment il concevait son travail de « romancier historien » (al-riwā’ī al-mu’arriḫ). Il le comparait à celui de « l'artiste peintre » (al-muṣawwir al-mutafannin) qui, après avoir lu quelques lignes sur un événement historique, passe un ou deux ans à le représenter en se documentant sur la période considérée. Là où l'historien ne consacre que quelques mots au meurtre de Ǧa‘far al-Barmakī, le peintre, lui, doit se renseigner sur les habitudes de l'époque, les caractéristiques des personnages, leurs vêtements, la forme des armes, afin de pouvoir représenter le bourreau et la victime avec exactitude. Il doit traduire les sentiments des personnages — la colère du bourreau, la peur de la victime— dans les expressions des visages ou les mouvements des corps. Il doit enfin s'intéresser au lieu et au moment de l'exécution : s'est-elle produite dans une pièce, dans une rue, dans un jardin, le matin, le soir ?
61Le romancier qui fait de l'histoire agit à l'identique. Les mots lui sont ce que les formes et les couleurs sont au peintre. Il orne (waššaḥa) l'événement historique de ses recherches sur l'époque étudiée62.
62Ces propos montrent que Zaydān croit encore que la reconstitution historique est de l'histoire. Il recherche dans une œuvre la vérité du sujet avant celle de l'artiste. Mais il pose implicitement le problème de la création littéraire. En croyant encore faire œuvre d'historien, il donne toute sa noblesse au travail du romancier.
63En fait, Zaydān appartient à une génération de transition dans le roman arabe. Il éprouvait un fond de méfiance pour un genre volontiers taxé de frivolité et d'immoralité, tout en étant profondément attiré par lui. « Le roman n'est pas de l'ordre du divertissement » (min qabīl al-fukāhāt), écrivit-il à propos de Fatāt Ġassān. Le lecteur croira trouver une histoire d'amour (ḥikāya ġarāmiyya), mais ce qu'il trouvera en vérité, c'est de l'histoire (tārīḫ), de la morale (aḫlāq), de l'adab — expression intraduisible ici désignant tout à la fois des anecdotes plaisantes, un exposé des bons usages, des détails sur la vie culturelle de la période anté-islamique63.
64Le jour où Émile Zaydān suggéra de publier dans Al-Hilāl des romans de toute nature, comme dans les revues européennes, son père refusa catégoriquement. Il n'était pas question qu'Al-Hilāl devînt « une revue de divertissement » (maǧalla fukāhiyya). Al-Hilāl avait sa « ligne » (ḫuṭṭa) et son « style » (uslūb). C'était une revue « sociologique, historique et scientifique » qui ne s'autorisait que la publication de romans historiques64.
65Ce dont Zaydān se défiait plus que tout, c'était des « romans d'amour » (riwāyāt ġarāmiyya). Il en déconseillait la lecture à un homme célibataire de trente-cinq ans qui lui demandait comment renoncer à sa « mauvaise habitude » (la masturbation). Il lui suggérait plutôt, pour se changer les idées, de méditer des livres de religion ou des ouvrages sur le destin des grands hommes65…
66Qu'étaient ces « romans d'amour » condamnés par Zaydān ? Sans doute les œuvres qui peignaient les désordres amoureux, évoquaient des passions destructrices ou décrivaient les voluptés de la chair. Les histoires d'amour en revanche étaient nobles à ses yeux quand elles n'occupaient pas tout le récit, quand elles racontaient la naissance d'un sentiment pur conduisant au mariage et quand elles insinuaient que la femme était libre du choix de son époux.
67L'idée que le roman n'était pas une fin en soi et pouvait être délétère s'il n'était mis au service d'une cause respectable était très répandue, pas seulement dans le monde arabe. Au début des années 1880, Al-Muqtaṭaf jugeait déjà les histoire d'amour immorales et mettait en garde contre la lecture des romans66. A la même époque, dans Al-Waqā'i‘ al-miṣriyya (La Gazette égyptienne), Muḥammad ‘Abduh définissait les romans (kutub al-rūmāniyyāt) comme « des fictions créées pour une fin noble telle qu'enseigner les bons usages (adab), exposer la situation des nations, inciter à acquérir les vertus et à fuir les vices67 ». Pour Muḥammad ‘Abduh, ces romans ne constituaient pas encore un genre en soi. Il les rangeait dans la catégorie des livres d'adab (al-kutub al-adabiyya), « ceux qui cherchent à éclairer les intelligences (tanwīr al-afkār) et à réformer les mœurs (tahḏīb al-aḫlāq) », au même titre que les livres d'histoire et les livres de morale rationnelle (aḫlāq ‘aqliyya). Sans être encore un genre autonome, les romans entraient néanmoins dans une catégorie que Muḥammad ‘Abduh jugeait noble et qui, à ses yeux, n'avait rien à voir avec les histoires populaires traditionnelles comme celles de ‘Antar ou d'Abū Zayd et des Banū Hilāl. Muḥammad ‘Abduh disait que les livres où ces histoires étaient imprimées étaient écrits dans un mauvais arabe et contenaient de « purs mensonges68 ». Ce n'était pas le cas d'œuvres de fiction inspirées des canons occidentaux et destinées à l'édification morale des lecteurs.
68« Ḏāk », l'auteur du roman Al-baṭalāni (Les deux héros) qui s'inspirait de la vie de Ğurğī Zaydān, ne disait rien d'autre. Il trouvait bon qu'en Europe l'on élevât des statues aux romanciers. Car le roman personnifiait la nation. Il était fait pour l'instruction des « gens de bien » (ahl al-adab). Il n'avait pas pour but de raconter une histoire d'amour compliquée mais d'apprendre au lecteur à réprouver la laideur et à aimer la vertu69.
69Rašīd Riḍā, enfin, en introduisant dans Al-Manār le roman de ‘Abd al-Ḥamīd al-Zahrāwī sur Ḫadīğa, la première épouse du Prophète Muḥammad, expliquait qu'il n'y avait rien à craindre des romans. Quand les romans mêlent le plaisir à des renseignements utiles en matière d'histoire, de traditions (ādāb), de mœurs (aḫlāq), de politique ou de société, « ils sont l'un des plus sûrs moyens d'éduquer la foule (tahḏīb al-ǧumhūr) et d'élever les classes du peuple (ṭabaqāt al-‘āmma) au niveau des classes de l'élite (ṭabaqāt al-ḫāṣṣa) jusqu'ā ce que la nation (umma) forme comme une chaîne (silsila) dont tout mouvement donné à un bout se répercute à l'autre bout70 ».
70Pour tous ces auteurs et journalistes, le roman était donc un genre mineur qui pouvait toutefois servir un projet politique et moral. Il faisait connaître le passé « national » et racontait le destin d'individus dont les qualités et les défauts pouvaient être mis en valeur à des fins éducatives.
71Mis au service de causes aussi élevées, le roman, sans être encore une fin en soi, acquérait malgré tout ses lettres de noblesse. A la fin de 1908, au moment où Zaydān expliquait à Émile qu'Al-Hilāl, par nature, ne pouvait accueillir que des romans historiques, il lui disait aussi que, s'il lui était permis d'abandonner la rédaction de la revue à quelqu'un d'autre et s'il n'avait pas le cycle des romans d'histoire de l'islam à achever, il se mettrait bien à écrire des « pièces de théâtre ou des romans éducatifs71 » (riwāyāt tahḏībiyya tamṯīliyya wa gayr tamṯīliyya). Zaydān ne renonçait guère à l'idée que le roman devait être utile à la société, mais il aimait le genre et aurait voulu s'y consacrer davantage en faisant autre chose que des romans historiques.
72Il est difficile de savoir ce qu'il entendait exactement par « pièces ou romans éducatifs ». Peut-être des ouvrages destinés à faire prendre conscience à l'opinion des grands problèmes sociaux, des ouvrages plus consciemment ancrés dans la réalité contemporaine que les romans historiques ? Après avoir imité Alexandre Dumas, Zaydān voulait peut-être se laisser influencer par Victor Hugo. Ne disait-il pas à son fils que Les Misérables (transcrit du français dans le texte) étaient l'un des meilleurs livres qu'il eût à lire et même à étudier72 ?
73Du roman historique, on pouvait passer en somme au roman social et sentimental sur fond de nature et de campagne égyptienne que fut Zaynab, une œuvre publiée en 1914 par Muḥammad Ḥusayn Haykal, un jeune écrivain de vingt-six ans, de la génération d'après celle de Ğurğī Zaydān. Zaynab est parfois appelé « le premier roman arabe ». Cette fois, le roman entrait de plein droit dans la littérature.
74L'on aura noté l'intérêt de Ğurğī Zaydān pour le théâtre, autre genre d'origine occidentale dont l'essor accompagna celui du roman. Zaydān n'écrivit pas de pièces mais il envisagea peut-être de le faire comme le suggère la lettre à Émile que nous venons d'évoquer. Après tout, les auteurs dont Zaydān s'inspirait, ou qu'il admirait, Dumas, Hugo, étaient non seulement des romanciers mais aussi des dramaturges.
75Al-Hilāl témoigne de l'attention grandissante portée par Zaydān au théâtre. La revue publia d'abord les biographies de deux grands ancêtres, Molière et Corneille, puis s'intéressa au développement du genre en Égypte et dans les provinces syriennes73. Il faut relever, en outre, que des romans de Zaydān furent joués au théâtre, notamment Armanūsa l'Égyptienne (Armanūsa al-Miṣriyya) et La Révolution ottomane (Al-Inqilāb al-‘uṯmānī)74. L'abondance des dialogues s'y prêtait peut-être. Il a été suggéré que Zaydān concevait ses romans en imaginant qu'ils pourraient être représentés sur scène75.
LES TRAVAUX SCIENTIFIQUES
76Pour Zaydān, la lecture d'Al-Hilāl ou des romans historiques n'était qu'une étape de la connaissance. Elle devait amener le public à consulter ses ouvrages érudits, en particulier ceux ayant trait à l'histoire des Arabes et des musulmans et à leur place dans le devenir de l'humanité : Histoire de la civilisation islamique (Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, 1902-1906) ; Les Arabes avant l'islam (Al-‘Arab qabl al-islām, 1908), Histoire de la littérature arabe (Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya, 1911-1914) et Catégories des nations (Ṭabaqāt al-umam, 1912).
77L'Histoire de la civilisation islamique, initialement annoncée dans Al-Hilāl sous le titre Histoire de la civilisation des Arabes (Tārīḫ tamaddun al-‘Arab), comporte cinq volumes parus de 1902 à 1906. Le titre était alors sans équivalent dans la production arabe. Il s'inspire d'ouvrages en langues européennes, Kulturgeschichte des Orients unter den Chalifen d'Alfred von Kremer (1875-1877) et La civilisation des Arabes de Gustave Le Bon (1884).
78Si Ğurğī Zaydān a utilisé comme sources de très nombreux ouvrages arabes anciens, la conception de son ouvrage en revanche ne doit rien à la riche tradition historiographique arabe, sinon à la Muqaddima d'Ibn Ḫaldūn.
79Encore Zaydān relit-il Ibn Ḫaldūn à la manière des orientalistes, comme la plupart des auteurs arabes réformistes depuis Rifā‘a al-Ṭahṭāwī qui imprima la Muqaddima en 1858. Ibn Ḫaldūn devient une sorte de « Montesquieu des Arabes », le précurseur de la sociologie historique et du discours sur la civilisation76.
80D'Ibn Ḫaldūn, Zaydān, à l'instar de ses contemporains, retient les notions d'ascension et de déclin, la notion d'esprit de corps (‘aṣabiyya) comme fondement de la domination politique et l'idée que le luxe (taraf) est un facteur d'affaiblissement de la civilisation. Dans Ibn Ḫaldūn encore, il trouve les mots qui expriment l'idée de « civilisation » — « ‘umrān », « tamaddun », « ḥaḍāra » — en les affectant d'un sens nouveau.
81Dans la Muqaddima, en effet, le concept central, équivalent de « civilisation », est « ‘umrān » qui, étymologiquement, a le sens de « lieu habité ». Pour Ibn Ḫaldūn, la civilisation (‘umrān) a un sens proche de « vie en société » (iǧtimā‘) et revêt deux aspects : la civilisation bédouine (al-‘umrān al-badawī) et la civilisation sédentaire (al-‘umrān al-ḥaḍārī). L'une des caractéristiques de la civilisation sédentaire est l'urbanisation ou la fondation de cités (al-tamaddun). C'est dans ces cités que s'épanouit la culture sédentaire (al-ḥaḍāra)77.
82Pour Ibn Ḫaldūn, la civilisation bédouine précède la civilisation sédentaire. Le passage de l'une à l'autre par la fondation de cités marque une croissance quantitative de la civilisation. Mais la civilisation sédentaire, tout en gagnant en complexité, n'est pas qualitativement supérieure à la civilisation bédouine.
83Pour les auteurs du xixe siècle, au contraire, il y a supériorité de la vie sédentaire sur la vie bédouine. Pour désigner la « civilisation », ils emploient de préférence « al-ḥaḍāra » et surtout « al-tamaddun » qui prend parfois la forme d'« al-madaniyya ». « Al-tamaddun » désignait chez Ibn Ḫaldūn le processus par lequel se faisait le passage de la civilisation bédouine à la civilisation sédentaire. C'était l'urbanisation. Dans la culture du xixe siècle, « al-tamaddun » induit la notion de progrès comprise dans le mot « civilisation » tel qu'il était entendu à l'époque des Lumières et tel que Guizot en fixa le sens dans son Histoire de la civilisation en Europe (1828) — traduite en arabe en 187778. Al-tamaddun devient ainsi la civilisation comme passage d'un état inférieur à un état supérieur. Dā ’irat al-ma ‘ārif, la grande encyclopédie de Buṭrus al-Bustānī, définissait « al-tamaddun » en 1882 comme « un état contraire à l'état sauvage » (ḥāla didd ḥālat al-ḫušūna). C'est le résultat d'un long processus qui voit passer l'humanité de l'état de nature à l'état de barbarie —caractérisé par l'organisation des premières sociétés, l'agriculture, la domestication des animaux — et de l'état de barbarie à l'état de civilisation permis par le développement des villes, l'émergence de pouvoirs politiques et l'essor culturel et scientifique79.
84Si « al-tamaddun » a la préférence de la génération de Zaydān pour désigner la civilisation, « ‘umrān » n'est pas abandonné pour autant. Le mot désigne l'un des aspects de la civilisation. C'est le signe de la mise en valeur d'un territoire, la prospérité, éventuellement mesurable en termes statistiques. Dans le cinquième volume de l'Histoire de la civilisation islamique de Zaydān, le ‘umrān, c'est ce que les hommes ont bâti, ce sont les traces visibles de l'organisation sociale, l'architecture par exemple. Dans son récit de voyage en Europe, sous le titre « ‘Umrān (Faransā) » et « ‘Umrān (Inkiltirā) », Zaydān indique la superficie de la France et de l'Angleterre, ainsi que le nombre de leurs habitants ; il quantifie leur richesse, évoque l'étendue de leur empire, souligne le prestige et le rayonnement des capitales, Paris et Londres80.
85En faisant 1 histoire de la civilisation islamique, Zaydān déclare dès les premiers mots de son ouvrage qu'il fait « l'histoire du monde civilisé au Moyen-Âge81 » (al-‘ālam al-mutamaddin fī l-'uṣūr al-wusṭā). Il rappelle ainsi la dimension universelle du concept de civilisation tel qu'il a été forgé au xviiie siècle. Zaydān croit dans ce que Guizot appelait « une destinée générale de l'humanité... une transmission du dépôt de civilisation » de l'Antiquité à l'époque moderne et contemporaine82. La civilisation islamique apparaīt ici comme la dépositaire de l'héritage grec qu'elle fait fructifier avant de la transmettre à l'Europe. Elle est, écrit Zaydān, un « maillon (ḥalqa) entre l'histoire ancienne et l'histoire moderne83 ».
86Alors que dans l'un de ses premiers livres, Zaydān avait affirmé que l'histoire moderne de l'Égypte (tārīḫ Miṣr al-ḥadīṯ) commençait avec la conquête islamique, son Histoire de la civilisation islamique, elle, ne porte donc que sur une période limitée de l'histoire des Arabes ou des musulmans, en gros depuis le premier siècle avant l'islam jusqu'à la prise de Bagdad par les Mongols en 1258. L'ouvrage en fait est centré sur la période abbasside (750-1258), considérée comme la période d'apogée de la civilisation islamique, ou, plus exactement, comme la phase musulmane de l'histoire générale de la civilisation, alors qu'à la même époque l'Europe aurait encore été plongée dans les ténèbres du Moyen-Âge.
87L'objet de cette histoire de la civilisation islamique, Zaydān le précise, n'est pas la chronique des guerres et des conquêtes84. Comme l'annonce le sous-titre, le livre porte sur
« la croissance de l'Empire musulman (nušū’ al-dawla al-islāmiyya), l'histoire de ses institutions administratives, politiques, militaires et financières, les revenus de son domaine (sa‘at mamlakati-hā), sa richesse, son rayonnement (ḥaḍāra), ses fastes (ubbaha), ainsi que sur ses califes et leur cour ; (le livre étudie aussi) ce qui a trait à l'histoire de la science, de l'industrie, de la littérature (adab), de la poésie, des comportements sociaux (al-ādāb al-iǧtimā‘iyya) et des mœurs durant tout le temps qu'a duré cette civilisation considérée dans ses rapports avec la civilisation moderne (al-tamaddun al-ḥadīṯ) ».
88Ces sujets sont développés successivement dans les cinq volumes de l'ouvrage. Le premier volume, paru en 1902, porte sur les institutions : le califat, l'administration des provinces, l'armée, les finances, la poste, la justice, la bureaucratie, les fonctions de chambellan, de syndic des descendants du Prophète et de cheikh des confréries soufies. L'exposé des institutions est précédé d'une large introduction chronologique qui présente les Arabes avant l'islam, l'extension de l'islam et les dynasties musulmanes successives —en insistant sur les grandes dynasties arabes—, Rāšidùn, Umayyades, Abbassides, Umayyades d'Espagne et Fatimides.
89Le second volume (1903) est consacré à la richesse (ṯarwa) de l'Empire musulman. Zaydān distingue entre la richesse de l'Etat proprement dit (ṯarwat al-dawla) — qui occupe l'essentiel du volume — et celle des territoires et de leurs habitants (ṯarwat al-mamlaka). À l'intérieur de la partie sur la richesse de l'État, le plan, chronologique, privilégie l'époque abbasside qui est elle-même divisée en deux périodes : une période florissante (al-‘aṣr al-zāhir) et une période de déclin (‘asr al-inḥiṭāṭ ou ‘aṣr al-iḍmiḥlāl) à partir de 218/ 833, début du règne du calife al-Mu‘taṣim.
90Le troisième volume (1904) porte sur la science et la littérature (al-‘ilm wa l-adab). Il suit un plan à la fois chronologique et thématique en distinguant deux périodes, avant et après l'islam, et en regroupant les sciences par type : sciences islamiques (al-‘ulūm al-islāmiyya), sciences arabes (al-‘ulūm al-‘arabiyya) et sciences extérieures ou empruntées (al-‘ulūm al-daḫīla), principalement d'origine grecque.
91Le quatrième volume (1905) a pour thème la vie politique, de la période antéislamique à Tamerlan. C'est le volume qui exploite le plus la notion de ‘aṣabiyya, d'esprit de corps, réinterprétée comme une forme de nationalisme. La vie politique, dans cet ouvrage, a pour moteur la concurrence de quatre « éléments » (‘unṣur) pour la domination du monde musulman : les Arabes, les Persans, les Turcs et les Mongols85.
92Le cinquième et dernier volume (1906) prend pour objet la société. Il en présente les différentes classes (ṭabaqāt al-nās) puis les caractères (al-ādāb al-iǧtimā‘iyya) avant de traiter des effets de la présence humaine sur le territoire de l'Empire (ḥaḍārat al-mamlaka) et de s'intéresser, dans une dernière partie, à la vie à la cour des califes.
93Sur le plan de la méthode, l'Histoire de la civilisation islamique est un ouvrage d'histoire philosophique, concept que Zaydān définit parfois sous des formes plus parlantes pour ses lecteurs : il dit vouloir extraire de ses sources la philosophie de l'histoire islamique comme l'on extrait le suc du caroubier86 ; ou bien, il propose de distinguer les « manifestations » (al-ẓawāhir) de la « vérité » (ḥaqīqa) de la civilisation87. Il s'exprime ici comme un soufi qui va au-delà de ce qui est apparent (ẓāhir) dans la Révélation, la loi divine (šarī‘a), pour découvrir ce qui est caché (bāṭin), la vérité (ḥaqīqa), c'est-à-dire le cœur-à-cœur avec Dieu auquel on accède par la voie mystique (tarīqa). Pour Zaydān, les « manifestations » de la civilisation, ce sont ses « fruits » (ṯimār) : la richesse matérielle, la culture, le commerce, l'organisation sociale. Quant à la « vérité » de la civilisation, c'est sa capacité à faire le bonheur des hommes, c'est son apport moral aux Arabes et aux musulmans d'une part, à l'humanité tout entière d'autre part.
94L'histoire philosophique consiste d'abord en une méthode. Zaydān met l'accent sur la causalité. Il veut établir les relations des événements. A l'instar de Gibbon, il s'interroge par exemple sur les raisons de la conquête des Empires perse et byzantin par les Arabes qui ne disposaient que de moyens limités88. Il replace aussi l'Hégire dans le cadre de la concurrence commerciale entre La Mecque et Médine : il explique l'hostilité des Mecquois envers Muḥammad par la crainte que la destruction des idoles ne ruine le pèlerinage à la Ka‘ba et, par conséquent, tout le commerce de la cité ; les Médinois de leur côté sont prêts à accueillir les musulmans en fuite pour affaiblir leur rivale et faire de leur ville un nouveau centre de pèlerinage89.
95Zaydān s'interroge encore sur les variations (al-taqallub) des ressources financières de l'Empire musulman, de la communauté de Médine aux Abbassides. Il propose d'établir un lien entre ces ressources et la nature et le mode de fonctionnement de chaque État ou de chaque dynastie90.
96Cet effort d'interprétation a ses limites. « La loi de l'histoire » (nāmūs al-tārīḫ), exprimée en termes darwiniens ou spencériens, tient parfois lieu d'explication. Voici un exemple : dans la période antéislamique, rappelle Zaydān, la garde de la Ka‘ba, fut successivement confiée aux Arabes du Nord (Ismā‘īlites ou ‘Adnānites) et aux Banū Ḫuzā‘a.
« Mais, ajoute-t-il, la loi de l'histoire passa sur les Banū Ḫuzā‘a comme sur d'autres : au bout de plusieurs générations, la roue tourna pour eux. Leur autorité s'affaiblit (ḍā‘ufa) tandis que les ‘Adnānites reprenaient de la force (qawiya). De ces derniers, se détachèrent les Kināna et des Kināna naquit la branche des Qurayš (fa-tafarra‘a min-hum Kināna wa taša‘‘aha min Kināna Qurayš)91. »
97Il arrive également que les démonstrations soient répétitives. On a vu que dans le second volume, consacré à la richesse de l'Empire musulman, la période abbasside était divisée en deux périodes : une période d'épanouissement, dans laquelle les recettes étaient élevées et les dépenses faibles, et une période de déclin, dans laquelle les recettes étaient faibles et les dépenses élevées. D'une période à l'autre, les causes de l'augmentation ou de la diminution des recettes et des dépenses sont parfaitement symétriques — ce qui empêche finalement de comprendre quelle est la spécificité de chacune des périodes considérées.
98C'est qu'à partir de la recherche des causes, Zaydān est tenté de croire que les événements obéissent à un schéma d'évolution comparable à celui de la nature. Il cherche à dégager des lois qui pourraient expliquer l'une des préoccupations majeures de l'histoire philosophique : l'ascension et le déclin des peuples. En ce sens, son ouvrage d'histoire de la civilisation islamique est totalement tourné vers le présent. Il est histoire de la « nation » (umma), à la fois communauté des croyants et communauté de ceux qui parlent l'arabe. Zaydān dit comment cette nation s'est constituée, ce qui a fait sa force, ce qui a fait son déclin. Et des causes de son déclin, le lecteur doit dégager celles d'un relèvement possible.
99Après les cinq volumes de l'Histoire de la civilisation islamique, l'ouvrage suivant, Les Arabes avant l'islam (Al-‘Arab qabl al-islām), n'a pas la même ambition. Il est plutôt le développement d'un point sur lequel Zaydān avait déjà attiré l'attention de ses lecteurs dans Al-Hilāl et dans le premier volume de l'Histoire de la civilisation islamique92. Disons, pour préciser les choses, que ce nouvel ouvrage oriente la lecture du précédent.
100Il met en avant le rôle des Arabes comme initiateurs de l'une des plus brillantes civilisations qu'ait connues l'humanité, la civilisation islamique.
101Les Arabes avant l'islam comprennent trois parties : les Arabes disparus (les Amalécites), les Arabes du Sud (Qaḥṭanites) et les Arabes du Nord (‘Adnānites ou Ismā‘īlites) — cette dernière partie incluant les États qaḥṭanites fondés dans le Nord, ceux des Ghassanides, des Lakhmides et des Kinda.
102La méthode est comparable à celle de l'Histoire de la civilisation islamique. L'ouvrage compile les sources arabes et grecques et les apports des orientalistes européens qui, depuis Caussin de Perceval, se sont intéressés à la pénétration arabe au nord de la péninsule Arabique avant l'islam93.
103Outre l'histoire des Arabes et de la civilisation islamique, l'autre grand volet de l'œuvre de Ğurğī Zaydān, c'est l'histoire de la littérature arabe. C'est peut-être même le sujet sur lequel il travailla avec le plus de constance tout au long de sa carrière. L'histoire de la littérature, comme nous l'avons fait remarquer, n'est que le prolongement de son premier ouvrage sur la Philosophie du langage.
104Zaydān se targuait d'avoir forgé le concept arabe de « littérature » : « ādāb al-luġa ». En 1893, déjà, le compte rendu dans Al-Hilāl d'un ouvrage d'Edward Van Dyck et de Qusṭanṭīn Fīlibīḏis (Constantin Philippidès) intitulé Tārīḫ al-‘Arab wa ādābi-him, ébauchait une définition de l'histoire de la littérature :
« Il y a chez les Occidentaux une science qui a pour nom science de la littérature (‘ilm al-lītirātūr)94. Elle prend pour objet les belles-lettres d'un peuple donné (ādāb al-qawm), l'histoire de la composition et de l'écriture (al-inšā’ wa l-kitāba) et les catégories d'auteurs à différentes époques95. »
105Cette définition montre que Zaydān comprenait la littérature au sens large. Elle ne se limitait ni aux belles-lettres ni aux ouvrages ayant une fin artistique mais englobait l'ensemble de le production écrite dans une langue donnée. L'année suivante, de janvier 1894 à avril 1895, Al-Hilāl fit paraître une très longue série d'articles intitulée « Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya » qui distinguait cinq périodes dans la littérature arabe : la période gāhilite (antéislamique), la période des califes rāšidūn, la période umayyade, la période abbasside — naturellement la plus développée — et la période de la décadence ('asr al-inḥiṭāṭ)96.
106Le grand ouvrage paru sous le même titre entre 1911 et 1914, Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya, est donc le résultat de longues recherches menées par Zaydān depuis ses débuts comme écrivain. Il fut publié à une époque où les études en langue arabe sur la littérature devenaient plus nombreuses et rivalisaient entre elles. On songe notamment au livre de Mustafā Sādiq al-Rāfi‘ī, Histoire des lettres arabes (Tārīḫ ādāb al-‘Arab) qui fut en concurrence avec Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya pour l'obtention d'un prix de l'Université égyptienne en 191197. L'intérêt pour la production littéraire arabe contemporaine laquelle Zaydān consacra lui-même le dernier volume de son ouvrage — allait également croissant comme l'atteste un livre de Louis Šayḫū, La littérature arabe au xixe siècle (Al-ādāb al-‘arabiyya fī l-qarn al-tāsi‘ ‘asar)98.
107Dans l'introduction de son Histoire de la littérature arabe (Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya), Zaydān commença par rattacher son œuvre à celle d'illustres devanciers, en particulier Ibn al-Nadīm (m. 995 a. d.) qui, sous le titre d'Al-Fihrist, avait dressé un catalogue des ouvrages connus de son temps99. Zaydān voulait ainsi faire la démonstration que les Arabes avaient été les premiers à rassembler ce qui avait trait à leur littérature. Il limitait pourtant lui-même la portée de cette réconfortante assertion en ajoutant aussitôt qu'un ouvrage comme Al-Fihrist ne pouvait être considéré comme de l'histoire de la littérature au sens moderne du terme100. Les modèles de Zaydān, une fois de plus, étaient donc bien européens. Il s'inspirait de travaux en langue française, anglaise ou allemande, souvent récents, tels Littérature arabe de Clément Huart ou la célèbre Geschichte der Arabischen Literatur de Carl Brockelmann, deux ouvrages parus en 1902.
108Dans sa structure générale, l'Histoire de la littérature arabe, comme l'article qui l'a précédée en 1894-1895, suit un plan chronologique qui correspond à la définition même que Zaydān donnait du genre. L'histoire de la littérature, c'est une histoire des belles-lettres, de la production écrite et des auteurs à différentes époques. Le premier volume (1911) porte sur la littérature arabe au temps de la Ǧāhiliyya, dans les débuts de l'islam et à l'époque umayyade. Zaydān distingue deux Ǧāhiliyya : la Ǧāhiliyya ancienne et la seconde Ǧāhiliyya correspondant aux deux premiers siècles avant l'Hégire et considérée comme une époque de progrès.
109Le second volume (1912) traite de la littérature arabe à l'époque abbasside, de la fondation de la dynastie en 132/750 à la prise du pouvoir à Bagdad par les Turcs seljoukides en 447/1055. Ici encore, plusieurs périodes sont distinguées, au nombre de trois, correspondant chacune à un siècle : la première va de la fondation de l'Empire abbasside au début du califat d'al-Mutawwakil (132/750-232/847), la seconde du califat d'al-Mutawakkil au règne des vizirs bouyides (232/847-334/945), et la troisième des Bouyides à l'installation des Seljoukides à Bagdad (334/945-447/1055).
110La fin de l'époque abbasside jusqu'à la prise de Bagdad par les Mongols en 656/1258 est traitée dans le troisième volume (1913). Ce dernier porte aussi sur les périodes mongole (656/1258-923/1516) et ottomane jusqu'à l'expédition de Napoléon Bonaparte en Égypte en 1798.
111Le quatrième volume, enfin, paru en 1914, évoque le renouveau (nahḍa) de la littérature arabe depuis 1798.
112Cette périodisation était proche de celle qu'avait adoptée Brockelmann. Ce dernier avait en effet divisé son ouvrage en huit livres101:
- La littérature nationale arabe avant l'islam ;
- La littérature nationale arabe à l'époque de Muḥammad et de ses trois premiers successeurs ;
- La littérature nationale arabe à l'époque umayyade ;
- La période classique de la littérature islamique de langue arabe, de 750 environ à 1000 environ ;
- La période post-classique de la littérature islamique de langue arabe, de 1000 à 1258 environ ;
- La littérature islamique de langue arabe de l'Empire mongol à la conquête de l'Égypte par le sultan ottoman Selīm Ier en 1517 ;
- La littérature islamique de langue arabe de la conquête de l'Égypte par les Ottomans à l'expédition de Napoléon en Égypte en 1798 ;
- La littérature islamique de langue arabe de l'expédition de Napoléon en Égypte à nos jours.
113Zaydān se défendit néanmoins d'avoir imité Brockelmann comme l'en accusa le père Louis Šayḫū dans Al-Mašriq en 1912102. Il fit valoir son apport personnel en soulignant qu'il avait distingué deux phases dans la Ǧāhiliyya au lieu de la traiter comme un tout et qu'il avait découpé l'époque abbasside en quatre périodes au lieu de deux chez Brockelmann103.
114Ces arguments, apparemment, ne sont guère convaincants. Les nuances introduites par Zaydān lui permettaient néanmoins de mettre l'accent sur les époques d'éveil et de renouveau (nahḍa) ou d'âge d'or (‘aṣr ḏahabī) de la littérature arabe. Il en relevait trois : la « seconde Ǧāhiliyya » à la veille de la prédication islamique, le début de l'époque abbasside de 750 à 847 et la période bouyide de 945 à 1055 — toutes périodes durant lesquelles les Arabes avaient joué un rôle de premier plan, soit qu'ils fussent sur le point de délivrer au monde leur grand message spirituel, soit qu'il existât des dynasties arabes fortes et amies des arts : Abbassides, Fatimides ou Hamdanides.
115Zaydān, de même, se démarqua de Brockelmann dans l'importance qu'il accorda à la dernière période de la littérature arabe, la période contemporaine commencée en 1798. Là où Brockelmann ne traitait de la littérature arabe contemporaine qu'en une vingtaine de pages, Zaydān lui consacra pour sa part un volume entier. Car ce qui avait commencé pour lui en 1798, c'était un véritable renouveau qui n'était pas seulement celui de la production littéraire au sens strict mais celui de la science et de la culture dans les pays de langue arabe.
116Peu original du point de vue scientifique, l'Histoire de la littérature arabe de Ğurğī Zaydān avait ainsi des enjeux ignorés, par la force des choses, des ouvrages qui lui servaient de modèles. Le livre était destiné à rendre aux Arabes leur fierté. Non seulement leur passé littéraire était-il brillant mais encore un relèvement se dessinait-il dans le présent. En ce sens, l'œuvre de Zaydān était bien, répétons-le, appropriation.
117Zaydān soulignait aussi l'aspect pratique de l'Histoire de la littérature arabe. Plus que l'Histoire de la civilisation islamique, ce livre était conçu comme un instrument de travail. Zaydān indiquait aux lecteurs différentes façons de le lire. Ils pouvaient y trouver non seulement une histoire de la production écrite en fonction des événements politiques, mais encore l'histoire de telle science ou de tel genre littéraire (sciences religieuses, poésie, belles-lettres, lexicographie, histoire, géographie, etc.) des débuts de l'islam à nos jours, des biographies de savants et d'écrivains, ainsi que des résumés des grands ouvrages arabes et des renseignements sur la façon dont on pouvait se les procurer. Voilà qui était important alors que l'édition n'en était qu'à ses débuts : à la manière de Brockelmann, auquel il avait sans doute repris l'idée, Zaydān disait où et quand les livres avaient été imprimés et s'ils ne l'étaient pas dans quelles bibliothèques il s'en trouvait des manuscrits.
118L'Histoire de la littérature arabe ainsi, est à la fois un manuel d'histoire de la littérature et un dictionnaire bio-bibliographique. Zaydān disait lui-même qu'il voulait faire de son livre une sorte de « grande encyclopédie littéraire » (dā’irat ma‘ārif104 ou mawsū‘a kubrā li-ādāb al-luġa al-‘arabiyya105).
119Avec Catégories des nations (Ṭabaqāt al-umam)106, un ouvrage paru en 1912, Zaydān s'intéressa enfin à l'ethnologie, considérée comme une histoire générale des cultures et des peuples et comme une étude de la hiérarchie des races. Après une introduction sur l'ère géologique, l'origine de l'homme et la préhistoire, l'ouvrage décrit les peuples anciens et contemporains classés en quatre catégories, des « moins civilisés » aux « plus civilisés » : les Noirs (al-Zunūǧ)107, les Mongols, les Indiens d'Amérique et les Caucasiens.
120Catégories des nations n'est ni le meilleur livre de Ğurğī Zaydān ni le plus connu. Il est cependant lié à ses autres travaux sur l'histoire et la littérature arabes. Zaydān le présentait en effet comme une réflexion sur la philosophie de l'histoire (falsafat al-tārīḫ). On pouvait trouver, dans la description des mœurs et des caractères des nations, les causes de leur élévation (nuhūḍ) ou de leur décadence (suqūṭ)108.
121L'ouvrage permettait en même temps de répondre à l'une des grandes préoccupations de Zaydān, particulièrement exprimée dans l'Histoire de la littérature arabe : montrer la place élevée occupée par les Arabes dans l'histoire du monde. Il faut rappeler que l'ethnologie s'était constituée autour de l'idée que l'humanité tout entière se développait selon un processus identique qui la faisait passer de l'état sauvage à la civilisation technicienne, monogame et monothéiste. Selon ce schéma, les peuples du passé et du présent se trouvaient à des stades différents d'une évolution commune109. Ceci amenait des savants à reconnaître l'existence de races supérieures et de races inférieures, plus ou moins aptes à la civilisation. Or les Arabes étaient classés parmi les races supérieures dites caucasiennes.
122Après l'Histoire de la civilisation islamique et l'Histoire de la littérature arabe, Catégories des nations est un nouvel exemple de la façon dont Zaydān s'est approprié ces autres « sciences importées » (‘ulūm dahīla) qu'étaient l'anthropologie et sa branche ethnologique. Le titre choisi par Zaydān est celui d'un ouvrage qui avait été composé au ve siècle de l'Hégire par un juge musulman de Tolède, Ṣā‘id al-Andalusī (420/1029-462/1070)110, et que le jésuite Louis Šayḫū venait tout juste de publier dans sa revue Al-Mašriq111. Ṣā‘id al-Andalusī avait classé les peuples qu'il connaissait en fonction de leur degré de science. Il avait distingué deux catégories : les peuples ignorant la science tels les Chinois, les Russes, les Soudanais, les Nubiens, les Zunūǧ, et les peuples portés vers elle, au nombre de huit : Persans, Indiens, Chaldéens, Hébreux, Grecs, Romains, Égyptiens et habitants du Maghreb. Seuls ces huit peuples étaient décrits par Ṣā‘id al-Andalusī.
123Or, tout en invoquant l'héritage de ce dernier, les Ṭabaqāt de Ğurğī Zaydān sont bien un ouvrage d'anthropologie et d'ethnologie adapté de travaux en langue anglaise. Zaydān a lu Anthropology, un ouvrage paru en 1890, dont l'auteur, le Britannique Edward Tylor, est considéré comme l'un des initiateurs de la discipline. Zaydān dit aussi avoir trouvé chez Augustus Keane, auteur en 1908 de The World's Peoples, la structure de son ouvrage et l'idée d'un classement des nations « en fonction de leur degré sur l'échelle de l'humanité (bi-‘tibar tadarruǧi-hā fī sullam al-insāniyya), conformément à la loi de l'évolution »112.
124Ce qui est intéressant dans Catégories des nations, c'est le procédé par lequel Zaydān explique la matière de son livre. Celui-ci, dit-il, porte sur une nouvelle science, l'ethnologie, qui est une branche de l'anthropologie. Dans un premier temps, ces sciences ne sont pas nommées autrement que par de simples transcriptions : itnūluǧiyya et antrūbūlūǧiyya. Elles sont renvoyées à un genre que connaissent les Arabes, celui des ṭabaqāt, des classifications de peuples. Zaydān explique que l'ethnologie est en quelque sorte un approfondissement de ce qu'écrivit jadis Ṣā‘id al-Andalusī : approfondissement de l'objet tout d'abord – l'ethnologie décrit des peuples d'Afrique centrale et australe et d'Océanie ignorés de Ṣā‘id al-Andalusī — ; approfondissement de la méthode ensuite — l'ethnologie est fondée sur l'observation et sur l'analyse. Elle établit la parenté entre les peuples en se fondant sur la loi de l'évolution.
125Ṣā‘id al-Andalusī est alors dépassé. Le lecteur comprend que, dans le fond, il a affaire à une science totalement nouvelle. Zaydān peut donc commencer à la nommer en arabe. Il définit la nature de son livre, « un livre de science naturelle sociale » (kitāb ‘ilmī ṭabī'ī iǧtimā‘ī) inspiré par la recherche occidentale. Puis il cite ses sources en traduisant mot-à-mot Anthropology, le titre de l'ouvrage de Tylor, par « ‘ilm al-insān113 ».
126Histoire de la civilisation islamique, Les Arabes avant l'islam, Histoire de la littérature arabe, Catégories des nations, aucun livre de Ğurğī Zaydān n'était franchement novateur pour qui connaissait les langues occidentales.
127Leur principal mérite, presque unanimement reconnu en leur temps, était de rassembler des renseignements éparpillés dans des sources peu accessibles au commun des lecteurs. Ajoutons qu'en ne se contentant pas de simples traductions, Zaydān popularisa des genres nouveaux, histoire de la civilisation, histoire de la littérature — sans parler des romans — largement exploités ensuite par les auteurs arabes.
128L'œuvre de Zaydān, ainsi, ne doit pas être sous-estimée. Elle correspondait à de véritables attentes et connut un grand succès lié à celui d'Al-Hilāl.
UN AUTEUR TRADUIT
129Ce succès ne se limita pas au public qui lisait l'arabe. Car non seulement Zaydān ne se contenta pas de faire des traductions mais encore fut-il lui-même traduit de son vivant dans des langues orientales et dans des langues européennes. Les travaux qui retinrent le plus l'attention des traducteurs étaient les romans et Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī. Plusieurs romans furent traduits en hindoustani, en tamoul, en persan, en turc azéri, en turc ottoman, ainsi qu'en français et en allemand. Il y eut aussi des traductions en russe, en anglais et en portugais, au moins à l'état de projet114. Des volumes de Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī furent également traduits en hindoustani, en persan, en turc ottoman et en anglais. Une traduction du premier volume fut commencée en français.
130Le public concerné par la traduction des ouvrages de Zaydān était constitué en premier lieu de lecteurs musulmans non arabophones, turcs, indiens ou persans. Car l'histoire racontée par Zaydān était aussi la leur. Les traducteurs et leurs commanditaires partageaient avec Zaydān l'intérêt pour l'histoire musulmane et le souci d'en diffuser une connaissance large, notamment par le biais de la presse. Comme Zaydān, c'étaient souvent des patriotes désireux de servir leur pays. Ils étaient parfois animés de sentiments nationalistes qui reposaient sur leur appartenance ethnique ou linguistique, tout en restant attachés à des formes de solidarité entre Orientaux, entre musulmans, entre Ottomans.
131Pour la traduction en hindoustani, le journal Wakil, publié à Amritsar, semble avoir joué un rôle déterminant. Son fondateur, le cheikh Muḥammad Gulām, traduisit le premier volume de Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī115 et aurait encouragé un certain Muḥammad Ḥalīm Anṣāri, de Lucknow, à traduire les romans, par exemple Fatāt Ġassān et Fath al-Andalus116.
132Le principal traducteur de Ğurğī Zaydān en persan est le prince ‘Abd al-Ḥusayn Mīrzā, membre de la tribu régnante des Qadjars. Il traduisit le début du cycle, en tout sept romans dont au moins six furent publiés à Téhéran117. Les traductions de romans n'atteignirent ce nombre dans aucune autre langue, du moins si l'on en croit la liste publiée par Al-Hilāl en 1915118. ‘Abd al-Ḥusayn Mīrzā fit aussi la traduction du premier volume de Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, éditée en 1911 à l'initiative de Mīrzā Ibrāhīm al-Qomī, député de Qom au second Maǧlis milla (Parlement) iranien entre 1909 et 1911. Celui-ci devait traduire de son côté le second volume de Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī qui parut en 1924119.
133C'est enfin le journal Ikdām (L'Effort) qui fit connaître les travaux de Ğurğī Zaydān en langue turque ottomane. Il publia en feuilleton le roman Abū Muslim al-Ḫurasānī120 et, en 1910 et 1911, deux volumes de Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, immédiatement réimprimés à part dans une édition de qualité, sur beau papier et avec des illustrations121. Le traducteur de Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī était un journaliste originaire d'Alep, Zakī Muġāmiz, qui écrivait aussi bien en turc qu'en arabe122. Il avait l'intention de traduire l'ensemble de l'ouvrage. Nous ignorons s'il put mener à bien son entreprise.
134L'Ikdām était l'un des principaux quotidiens d'Istanbul. Son tirage, qui s'élevait déjà à 15 000 exemplaires avant 1908, avait atteint les 60 000 au lendemain de la Révolution jeune-turque123. C'était un « journal politique, économique et littéraire dont les pages (étaient) ouvertes aux publications utiles au peuple musulman et à la nation ottomane124 ». Il avait par exemple une rubrique consacrée au « monde de l'islam » (‘alem-i islam), s'intéressait à l'archéologie et aux découvertes relatives au passé des Turcs en Asie centrale, publiait régulièrement des romans-feuilletons, des traductions souvent, comme, en 1909, celles de deux romans français, Louis XIV et la Révolution française d'Alexandre Dumas et Mémoires d'un policier de Georges Lefort125.
135Le quotidien, tout en défendant officiellement l'union de tous les éléments ethniques de l'Empire ottoman, était ouvert aux tenants d'un nationalisme culturel turc qui mettaient en avant l'histoire, la langue et la littérature turques126. Ce nationalisme culturel se transformait à l'occasion en combat politique. En mars 1910, par exemple, l'Ikdām publia un article peu amène sur le Yémen qui, il est vrai, cherchait alors à se défaire de la tutelle ottomane sous la conduite de l'imām des Zaydites, Yaḥyā Ḥamīd al-Dīn. Le quotidien turc accusa les Yéménites de n'avoir ni sens de l'honneur ni loyauté et de n'être bons qu'à conduire des chameaux. Il leur reprocha d'être des adorateurs de l'argent et d'être prêts à tout lui sacrifier, y compris l'honneur de leurs femmes127. L'article déclencha la fureur des étudiants arabes d'Istanbul qui brisèrent les vitres de l'immeuble de l'Ikdām et saccagèrent le bureau du propriétaire-fondateur, Ahmed Cevdet. Celui-ci fut condamné à payer une amende et son journal se trouva temporairement suspendu128. Il se défendit néanmoins d'être nationaliste et rappela qu'il avait toujours appelé à un traitement égal pour tous les peuples de l'Empire129.
136La publication de l'Histoire de la civilisation islamique dans ce journal est intéressante à relever. Elle assurait tout d'abord une grande audience à Zaydān et relevait son prestige. Elle montre aussi la complexité des relations entre Turcs et Arabes et l'enchevêtrement des identités. L'Ikdām s'ouvre à la turcologie mais ne néglige pas l'histoire islamique, une histoire qui chez Zaydān, il est vrai, ne perd jamais de vue les Turcs, les Arabes ou les Persans en tant que peuples qui se seraient constitués depuis des siècles. Le quotidien attaque éventuellement les populations arabes de l'Empire mais fait connaître à ses lecteurs turcs l'un de leurs écrivains les plus populaires.
137Les traductions en langues européennes furent moins nombreuses qu'en langues orientales. Pour les romans, elles furent majoritairement réalisées par des Syriens. Le journaliste et romancier Ḫalīl Baydas entreprit par exemple de traduire le premier roman de Zaydān, Al-Mamlūk al-šārid, en russe ; à Mersin, une femme, France Sihāb, traduisit en français Asīr al-Mutamahdī ; et le Beyrouthin Qusṭanṭīn Ṭābīt se lança dans la traduction en anglais de Fatāt Ġassān130.
138A qui étaient destinées ces traductions, si tant est qu'elles furent toutes menées à bien et éditées ? Elles nous semblent avant tout révélatrices de la culture de Syriens chrétiens portés vers l'étude et l'usage des langues étrangères et s'y exerçant par la traduction de romans arabes écrits simplement et dans un style moderne.
139D'autres traductions furent faites dans les milieux de l'émigration syrienne. Mīḫā’īl Daḥrūǧ, un habitant de Sāo Paulo, traduisit ainsi Fatāt Ġassān en portugais. Un autre Syrien installé au Brésil, Georges Isḥaq Yārīd, résidant à Manaus, envisagea à son tour de traduire Al-Inqilāb al-‘uṯmānī, le roman sur la Révolution jeune-turque, directement inspiré de l'actualité ottomane131.
140À Paris Michel Bītār, associé à Charles Moulié, traduisit Al-‘Abbāsa uḫt al-Rašīd sous le titre La sœur du calife. Avec Thierry Sandre, il devait faire paraître en 1924 la traduction d'Al-Inqilāb al-‘uṯmānī, sous le titre absurde, mais sans doute exotique pour le chaland, d'Allah veuille !
141Le choix fait par Michel Bītār de traduire Al-‘Abbāsa uḫt al-Rašīd s'explique probablement par le fait que le règne de Hārūn al-Rašīd et les malheurs de ‘Abbāsa, sujets du livre, alimentaient depuis longtemps l'imagination des Français132. Avec La sœur du calife, c'est le grand public cultivé français, cette fois, qui faisait la connaissance de Ğurğī Zaydān. Le roman parut en effet en feuilleton dans Le Figaro en 1911 puis fut imprimé à part et préfacé par un émule distingué de Pierre Loti, l'officier de marine et écrivain Claude Farrère (1876-1957) qui ne lésina guère sur l'éloge du roman de Zaydān :
« Je crois bien, écrivit-il, qu'il n'existe pas un seul roman français qui se puisse comparer à La sœur du calife... sauf peut-être, en y songeant, Notre-Dame de Paris ? Encore le Moyen-Âge du confiant Hugo sent-il fortement le bric-à-brac et l'antiquaille, tandis que l'Islam abbasside de Zaïdan effendi me paraît au contraire, si imparfaitement que j'en puisse juger, de la plus impeccable érudition133. »
142Au moins Claude Farrère avait-il bien compris que Zaydān voulait faire de l'histoire avant d'écrire un roman. Ce que l'écrivain français appréciait dans La sœur du calife, c'est qu'elle montrait « la vraie nature de cet Islam du viiie ou du ixe siècle que le barbare Carolingien comprendre Charles Martel — avait rejetée à grands coups de son marteau de fer ». Car en « cette journée funeste » qu'avait été la bataille de Poitiers, « la civilisation avait reculé de huit cents années ». La France, au lieu de se laisser arracher par « l'Islam industrieux, philosophe, pacifique et tolérant », avait sombré dans la plus sanglante anarchie134 …
143Zaydān dut se délecter d'un discours, le même que celui de Gustave Le Bon, qui avait déjà inspiré son œuvre. Il faut dire que ce discours avait une portée politique dans le contexte de la guerre de Tripolitaine où paraissait la traduction française d'Al-‘Abbāsa uḫt al-Rašīd. La sympathie de Claude Farrère pour la civilisation islamique allait de pair avec une turcophilie affichée dans les derniers mots de sa préface :
« À ces Français (ceux qui auront lu La sœur du calife), je demanderai ensuite (...) s'ils ne jugent pas avec moi que (...) par exemple en Tripolitaine, la véritable, la saine civilisation, n'est pas du côté de l'Italien envahisseur, mais avec le bon droit et avec l'héroïsme, du côté du Turc envahi - envahi, mais invaincu135. »
144Cet engagement pro-ottoman aussi était de nature à séduire Ğurğī Zaydān136.
145Les romans ne furent pas les seuls ouvrages de Ğurğī Zaydān à être traduits en langues européennes. Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī connut un succès d'estime dans les milieux orientalistes, qui apparaît par exemple dans les comptes rendus de l'ouvrage que fit la Revue du monde musulman ou le Journal asiatique. Cet accueil encouragea le Britannique David Margoliouth, ami de Zaydān, à traduire le quatrième volume, celui qui portait sur la vie politique au temps de la civilisation islamique et mettait en avant le concept de ‘aṣabiyya137.
146Isaac Cattan (Isḥaq Qaṭṭān), un juriste tunisien membre de l'Institut de Carthage qui avait été fondé à Tunis en 1894, entreprit par ailleurs une traduction en français de Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī en 1908 et 1909. Il commença à la publier dans La Revue tunisienne, organe de l'Institut de Carthage, mais n'alla pas au-delà de la grande introduction du premier volume qui résumait la chronologie de l'histoire islamique, de la Ǧāhiliyya aux Fatimides138.
147Un orientaliste russe, Vladimir Danilov, aurait enfin achevé une traduction du premier volume de l'ouvrage139.
148Par le biais des traductions, Zaydān acquit ainsi une certaine notoriété auprès des lecteurs orientaux non arabophones, auprès du public européen et dans les milieux orientalistes. Zaydān était le premier à mentionner les traductions dont ses ouvrages faisaient l'objet140. On ne s'en étonne guère a priori. Il faut néanmoins insister sur la fierté toute spéciale que l'on pouvait ressentir à la génération de Zaydān lorsque l'on était traduit. Rappelons qu'à partir des années 1830, la traduction d'ouvrages occidentaux en arabe avait joué un rôle considérable dans le renouveau scientifique et la modernisation de la langue et de la littérature. Après l'âge de la traduction, l'on était passé à l'âge de l'adaptation et de l'acclimatation des genres occidentaux. Et voici qu'un auteur comme Zaydān était à son tour traduit, en langues européennes notamment. Sans doute l'était-il modestement, moins pour son apport scientifique que parce qu'il témoignait du renouveau de l'activité intellectuelle arabe. Mais Zaydān se trouvait ainsi légitimement conforté dans l'idée qu'il avait quelque chose à dire en propre, qu'il fallait faire confiance à « l'écrivain oriental » (al-kātib al-šarqī) à la parole duquel, trop de gens, selon lui, préféraient encore celle des savants occidentaux141.
149Traduire les ouvrages écrits dans des langues étrangères ou s'inspirer d'eux pour faire du nouveau ? Se réfugier derrière l'autorité réputée incontestable de tel écrivain occidental ou faire confiance aux capacités créatrices de l'« écrivain oriental » ? Le choix entre ces options avait des enjeux culturels et idéologiques. C'est ce que montre une lettre écrite par Ğurğī Zaydān à son fils Émile en mars 1912. Elle pose la question suivante : faut-il accorder plus de crédit à La civilisation des Arabes de Gustave Le Bon qu'à l'Histoire de la civilisation islamique de Zaydān142 ?
150Dans sa lettre, Zaydān raconte en effet qu'un certain Muḥammad Mas‘ūd, qu'il qualifie d'« écrivain musulman de la vieille école » (min kuttāb al-muslimīn al-qudamā’), avait annoncé quelque temps plus tôt son intention de traduire en arabe l'ouvrage de Gustave Le Bon143. Une partie de la presse l'avait aussitôt encouragé, sans hésiter à affirmer des contre-vérités. Le journal Al-Ahālī (Les Gens) avait ainsi déploré qu'il n'existât aucun livre en langue arabe sur la civilisation arabo-islamique et que, sur un sujet aussi capital, l'on en fût réduit à traduire un ouvrage français. Le docteur Fayyāḍ ibn al-Iskandar s'était alors empressé d'écrire au journal Al-Ahālī pour lui reprocher de mentir par omission et lui rappeler l'existence de l'ouvrage de Ğurğī Zaydān, l'Histoire de la civilisation islamique (Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī). Sa lettre avait été publiée144.
151Quelques jours plus tard, Ğurğī Zaydān, toujours selon ses dires, était tombé sur Muḥammad Mas‘ūd et lui avait demandé pourquoi, s'il estimait que l'Histoire de la civilisation islamique était critiquable, il n'écrivait pas lui-même un livre sur le sujet au lieu de se contenter d'une traduction. Muḥammad Mas‘ūd avait répondu qu'un livre traduit du français aurait davantage de crédit auprès du public. Zaydān s'était montré scandalisé :
« Jusqu'à quand, avait-il déclaré à Muḥammad Mas‘ūd, devrons-nous tolérer une telle lâcheté et une telle faiblesse ? Si toi tu dis cela, qu'en sera-t-il des autres ? Pourquoi n'écrivons-nous pas nous-mêmes sur un sujet que nous sommes les plus aptes à traiter ? Mon livre, bien qu'écrit par un Oriental, a été traduit par les Européens et par d'autres en cinq langues. Et d'autres de mes ouvrages ont été traduits145. »
152La conversation entre Ğurğī Zaydān et Muḥammad Mas‘ūd s'était arrêtée là. Muḥammad Mas‘ūd n'avait rien trouvé à répondre et s'en était allé quelque peu embarrassé146.
153Ce récit est riche d'enseignement. Pour Zaydān, traduire, c'était seulement imiter. Il ne pouvait s'en contenter. Son projet était plus ambitieux. Au lieu d'imiter, il cherchait à emprunter, à adapter, à élaborer de nouveaux genres de la littérature arabe en s'inspirant de travaux en langues occidentales. Que ses ouvrages aient à leur tour retenu l'attention du public non arabe et mérité une traduction venait confirmer la validité de sa démarche. Il apportait bien quelque chose de nouveau, il était déjà dans le domaine de la création.
154Zaydān était d'autant plus choqué de la paresse intellectuelle de Muḥammad Mas‘ūd qu'il en percevait parfaitement les intentions polémiques. Les commentaires qui avaient accompagné le projet de traduction de La civilisation des Arabes de Le Bon négligeaient l'ouvrage de Zaydān sur le même sujet. Ils faisaient comme si cet ouvrage, l'Histoire de la civilisation islamique (Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī), n'existait pas, ce qui était une façon de le discréditer. Et ce n'est évidemment pas un hasard si, exactement à la même époque, c'est-à-dire au premier trimestre de 1912, la revue réformiste musulmane Al-Manār se lançait dans une vaste campagne de dénigrement de l'Histoire de la civilisation islamique et, bientôt, de toute l'œuvre scientifique de Ğurğī Zaydān147. Ce dernier était accusé de faire ce qu'il reprochait lui-même à Muḥammad Mas‘ūd : imiter les auteurs occidentaux. Mais pour ceux qui critiquaient Zaydān, imiter, ce n'était pas traduire, c'était utiliser les méthodes des orientalistes, des méthodes étrangères aux sciences religieuses islamiques, pour parler de sujets touchant à la tradition.
155L'attitude de Muḥammad Mas‘ūd et de ses partisans était paradoxale. L'ouvrage de Gustave Le Bon n'était guère plus conforme à l'orthodoxie islamique que celui de Ğurğī Zaydān. Il n'est qu'à lire les passages consacrés au Prophète Muḥammad dans La civilisation des Arabes. Il est douteux qu'un pieux musulman puisse les lire sans réagir. Pour Gustave Le Bon, le Prophète est certes un grand homme, mais à ranger « dans la grande famille des aliénés » et des « hallucinés » qui, seuls, peuvent fonder des cultes nouveaux et conduire les hommes148. Le Muḥammad de Le Bon connaît aussi des démêlés conjugaux, notamment avec sa dernière épouse, ‘Ayšā, dont la conduite aurait prêté à la médisance si l'Ange Gabriel, compréhensif, n'était venu certifier sa vertu149. D'une manière générale, l'Ange Gabriel campé dans La civilisation des Arabes agit assez peu en conformité avec son statut d'être céleste, annonciateur de la Révélation. Après avoir fermé l'œil sur les fredaines de ‘Ayša, le voici qui revient « déguisé en Arabe » pour s'entretenir avec Muḥammad de la nouvelle religion, l'islam150. On se doute bien que Zaydān, qui fut influencé par La civilisation des Arabes, ne se hasarda pas à reprendre les interprétations de Le Bon sur les circonstances de la révélation de l'islam.
156Mais, si Gustave Le Bon ne faisait pas une biographie du Prophète des plus orthodoxes, il expliquait aussi que les Arabes étaient une race supérieure, qu'ils avaient créé une civilisation sans égale à l'époque où l'Europe s'enfonçait dans la barbarie et que l'islam était la plus tolérante des religions. Le Bon apparaissait donc comme une caution. Il donnait une bonne image des Arabes, voire de l'islam, à l'étranger151. Tant pis s'il portait atteinte à l'orthodoxie. On n'attendait pas d'abord de lui un exposé de la bonne doctrine mais la reconnaissance de la grandeur de la civilisation islamique. C'est pourquoi il était utile de le traduire. Au demeurant, il est toujours loisible à un traducteur, sinon de supprimer des passages gênants, du moins d'indiquer aux lecteurs ce qu'ils doivent prendre et laisser de l'ouvrage traduit152. Or ce qu'on pouvait permettre ou pardonner à Le Bon était interdit à Zaydān. Ce dernier n'avait pas le droit de prendre des libertés avec l'orthodoxie parce que ses livres étaient avant tout à usage interne. Il écrivait pour un public arabe et musulman en quête d'identité, non pour un public européen qu'il fallait convaincre de la supériorité de l'islam.
Notes de bas de page
1 Les années d'Al-Hilāl courent de septembre ou octobre à juillet ou août. Chaque année correspond à un volume : volume I (1892-1893) ; volume II (1893-1894)... volume XXII (1913-1914). Dans le détail, la périodicité est la suivante :
– Volume I (1892-1893) : revue mensuelle ; 12 numéros de 48 pages chacun.
– Volumes II (1893-1894) à XII (1903-1904) inclus : revue bimensuelle ; 24 numéros par an de 32 pages chacun (pendant l'été, parfois deux livraisons en une) ; à partir de la dixième année (1901-1902), 20 numéros (pas de livraison en août et septembre).
– Volumes XIII (1904-1905) à XXII (1913-1914) : revue mensuelle ; 10 numéros par an, d'octobre à juillet inclus, comprenant chacun 64 pages (80 pages dans le volume XXII).
2 Ces remarques sur le titre donné par Ğurğī Zaydān à sa revue m'ont été inspirées par Ahmad Ḥusayn al-Ṭimāwī, op. cit., p. 9.
3 « Fātiḥat Al-Hilāl », Al-Hilāl, I, 1, septembre 1892, p. 2.
4 Al-Hilāl, II, 2, 15 septembre 1893, p. 48.
5 « Hilāl », EI2, III, p. 397.
6 Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya, IV, p. 61.
7 Ibid.,p. 59.
8 Lettre de Ğurğī à Émile Zaydān, 22, 24 octobre, 12 novembre, 12 décembre 1908.
9 Histoire générale de la presse française, sous la direction de Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral et Fernand Terrou, t. III : de 1871 à 1940, Paris, PUF, 1972, p. 382, 387-388, 429. Pierre Laffitte (né en 1872) fonda aussi en 1910 un quotidien illustré intitulé Excelsior.
10 « William Thomas Stead », The New Encyclopaedia Britannica (Micropaedia), XI, 15e édition, p. 228 et biographie du personnage par Ğurğī Zaydān (références infra, n. 14).
11 Lettre de Ğurğī à Émile Zaydān. 12 décembre 1908.
12 lbid.
13 Sur le spiritisme, voir chapitre IX, p. 482 sq.
14 « William Stead, al-ṣiḥāfī al-inklīzī al-šahīr, ṣāḥib Maǧallat āl-Maǧallāt al-inklīziyya » (« William Stead, le célèbre journaliste anglais, patron de The Review of Reviews »), Al-Hilāl, XX. 9, juin 1912, p. 515-522.
15 « William Stead », Al-‘Irfān, IV, 4, rabī‘ II 1330 / avril 1912, p. 172-173. On trouve dans le même volume d'Al-‘Irfān, le volume IV. un article sur la catastrophe du Titanic (« Fāǧi‘at Titanic », p. 258-264), suivi d'un poème intitulé « Une larme pour Stead » (« Dam‘a ‘alā Stead ». p. 264-266).
16 Sur l'Académie de langue arabe, voir chapitre VIII, p. 401 -402, et sur l'Université égyptienne, chapitre XII, p. 629 sq.
17 Al-Hilāl, I, 1, septembre 1892, p. 1-2.
18 Le roman-feuilleton fut remplacé la deuxième année par une « Histoire de l'Angleterre » (« Tārīḫ Inkiltirā ») interrompue à la dynastie d'York (Al-Hilāl, II, nos 1 à 13, 1er septembre 1893 - 1er mars 1894).
19 « Ḥadīṯ al-mā’ida », volume IX (1900-1901) ; « Ṣiḥḥat al-‘ā’ila », volume X (1901-1902) à XXI (1912-1913) inclus.
20 C'est Dagmar Glass qui a attiré mon attention sur l'importance des biographies dans la presse arabe. Cf. son article « Erziehung durch das fremde Beispiel: Arabische Biographen westlicher Forscher und Politiker. Journalistiche Darstellung und Lesevorgang 1876-1926 », in G. Höpp & Th. Scheffler (éd.), Gegenseitige Wahrnehmungen, Orient und Okzident seit dem 18. Jahrundert, asien afrika lateinamerika, XXV/3,1997, p. 311-339. J'ai moi-même développé le thème dans « Le grand homme, figure de la “Renaissance” arabe » in Saints et héros du Moyen-Orient contemporain, sous la direction de Catherine Mayeur-Jaouen, Paris, Maisonneuve et Larose, 2002, p. 47-73 (Actes d'un colloque tenu les 11 et 12 décembre 2000 à l'Institut universitaire de France). Les biographies de Turgot, d'Édouard VII et de William Stead dans Al-‘Irfān ne sont mentionnées ici qu'à titre d'exemple. Les références sont les suivantes : « Turgot », Al-‘Irfān, II, 6, ğumāda II 1328 / 9 juin 1910, p. 305-307 (cette biographie est traduite du turc) ; « Édouard VII », Al-‘Irfān, II, 7, rağab 1328/8 juillet 1910, p. 364-365 ; « William Stead », voir supra, n. 15.
21 Cf. la présentation et l'analyse des rubriques d'Al-Muqtaṭaf par Dagmar Glass dans « Popularizing Sciences through Arabie Journals in the Late 19th Century... », loc. cit., p. 326-346.
22 Nous avons repéré cette rubrique dans le volume IV d'Al-‘Irfān (1912).
23 La chronique mensuelle d'Al-‘Irfān s'intitule soit « Tārīḫ al-šahr » soit « Al-siyāsa fī l-šahr » (« Vie politique du mois »).
24 On relève un cas exceptionnel : un long essai d'Amīn Arslān (m. 1943) sur les « droits des nations » (ḥuqūq al-milal) publié dans tout le volume IX (1900-1901). Sur Amīn Arslān, fils de l'émir Mağīd Arslān, éditeur de journaux libéraux à Paris et diplomate, voir Yūsuf Dāġir, op. cit., III, p. 36-37. La notice, toutefois, est peu utilisable faute de chronologie.
25 Sur Manṣūr Ğurdāq, voir Yūsuf Dāġir, op. cit., III, p. 251-253.
26 « Wāgibāt al-fard naḥwa l-umma », Al-Hilāl, XVIII, 7, avril 1910, p. 416-421.
27 « Al-kitāba wa l-inšā’« , Al-Hilāl, I, 10, juin 1893, p. 445-449; 11, juillet 1893, p. 499-502.
28 Nos informations sur Rūḥī al-Ḫālidī proviennent d'Al-Hilāl : de sa nécrologie dans le volume XXII, 2, novembre 1913, p. 152-153, et d'un article intitulé « Nuwwābunā fī mağlis al-mab‘ūṯān » (« Nos représentants à la Chambre des députés ») dans le volume XVII, 3, décembre 1908, p. 177-182.
29 Al-Hilāl, XVIII, 6, mars 1910, p. 335-398.
30 « Al-Inqilāb al-‘uṯmānī wa Turkiyā al-Fatāt » (« La Révolution ottomane et la Jeune-Turquie »), Al-Hilāl, XVII, 2, novembre 1908, p. 67-83, et 3, décembre 1908, p. 131-171. Pour plus de détails sur cet article, voir le chapitre XI, p. 583.
31 « Al-Inqilāb al-‘uṯmānī wa Turkiyā al-Fatāt », Al-Manār, XI, 9, 15 octobre 1908, p. 646-672 ; 10, 23 novembre 1908, p. 743-765 ; 11, 24 décembre 1908, p. 842-859.
32 « Al-ḫaṭṭ al-‘arabī », Al-Hilāl, XX, 7, avril 1912, p. 398-404 ; « Sufun al-usṭūl al-islāmī » (« Les navires de la flotte musulmane »), Al-Hilāl, XXI, 8, mai 1913, p. 485-492. ‘Abd al-Fattāḥ al-‘Ibāda est l'auteur de deux ouvrages sur le même sujet. Le premier, Al-usṭūl al-islāmī (La flotte musulmane), parut justement en 1913 sur les presses d'Al-Hilāl ; le second, Intišār al-ḫaṭṭ al-‘arabī fī l-‘ālam al-šarqī wa l-‘ālam al-ġarbī (Expansion de l'écriture arabe dans le monde oriental et dans le monde occidental), fut publié en 1915 (d'après Yūsuf Sarkīs, op. cit., p. 1279).
33 Sur ce personnage, cf. Vernon Egger, op. cit.
34 « Tārīḫ al-ištirākiyya fī Inǧiltirā », Al-Hilāl, XVIII, 6, octobre 1910, p. 335-338.
35 « ‘Uqūl al-ḥašarāt wa ṭabā'i‘u-hā », Al-Hilāl, XXI, 9, juin 1913, p. 529-536.
36 In Vernon Egger. op. cit.
37 Al-Hilāl, XXII, 7, avril 1914, p. 522-528.
38 « Al-bakālūriyā al-miṣriyya » (Lettre sur les mérites comparés des programmes du baccalauréat égyptien et du Syrian Protestant College), Al-Hilāl, XVII, 5, février 1909, p. 369.
39 « Al-mādda quwwa » (« La matière est une force »), Al-Hilāl, XX, 1, octobre 1911, p. 49-53 ; « Hal li-l-ḥayawān ‘aql » (« Les animaux ont-ils une intelligence ? »), Al-Hilāl, XX, 7, avril 1912, p. 405-412.
40 Exemples d'articles d'Émile Zaydān à partir d'octobre 1912 : « Hal yuḫša ‘alā Ūrubbā min al-ḫaṭar al-aṣfar » (« Faut-il craindre le péril jaune en Europe ? »), Al-Hilāl, XXI, 6, mars 1913, p. 337-343 (La réponse est non. Ce qui mine le corps social en Europe, ce sont des maladies intérieures.) ; « Al-‘aqā’id wa falsafatu-hā aw takawwun al-imān al-dīnī wa l-maḏhab al-siyāsī. Li-māḏā na‘taqidu ? Wa kayfa na‘taqidu ? » (« La philosophie des croyances ou la formation de la foi religieuse et de l'idéologie politique. Pourquoi et comment croyons-nous ? »), Al-Hilāl, XXII, 1, octobre 1913, p. 17-27.
41 Philippe de Ṭarrāzī, op. cit., III, p. 89.
42 Al-Hilāl, VII, 18, 15 juin 1899, p. 542-552. Sur les engagements féministes de Ğurğī Zaydān, voir chapitre IX.
43 « Imārat al-Sa‘ūd », Al-Hilāl, XXII, 8, mai 1914, p. 610-612.
44 Voir chapitre XI, p. 604 sq.
45 « Qīmat al-ḥayāt », Al-Hilāl, XVIII, 9, juin 1910, p. 539-547 ; « Rūḥ al-ṯawra », XXI, 9, juin 1913, p. 544-552. Pour le contenu du discours intitulé « Rūḥ al-ṯawra », voir le chapitre XI, p. 583-584.
46 Il y a dans les discours d'Amīn al-Rīḥānī les prémisses d'une sentimentalité politique et nationaliste que l'on retrouve exacerbée dans une revue féminine de Beyrouth, Minerva, parue entre 1924 et 1927. Cette revue était certes beaucoup moins ambitieuse qu'Al-Hilāl dans ses moyens et pas exactement destinée au même public. Mais l'éditrice, Marie Yannī, et ses collaborateurs appartenaient au même milieu que Ğurğī Zaydān : la bourgeoisie intellectuelle grecque-orthodoxe. Amīn al-Rīḥānī était l'un des modèles de Marie Yannī. Voir Souad Slim et Anne-Laure Dupont, « La vie intellectuelle des femmes à Beyrouth au début des années 1920 à travers la revue Minerva », Débats intellectuels au Moyen-Orient dans rentre-deux-guerres, op. cit., p. 381-406.
47 Lettre de Ğurğī à Émile Zaydān, 24 décembre 1908.
48 Al-Hilāl, VII, 9, 1er février 1899, p. 277-278. Ğurğī Zaydān 1861-1914, op. cit., p. 132-133.
49 Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, I, p. 74. Tableau des dynasties musulmanes dans Al-Hilāl. IV, 2, 15 septembre 1895, p. 55-59.
50 Al-Manār, XI, 1, muḥarram 1326 / 3 mars 1908, p. 69.
51 Sur les débuts du roman arabe, nous avons utilisé J. Brugman, An Introduction to the History of Modem Arabie Literature in Egypt, Leyde, E. J. Brill, 1984, chapitre VI : « The early development of the novel and the short story », et Luc-Willy Deheuvels, « Le témoignage littéraire : roman et théâtre en Orient et en Occident », dans Les Arabes du Message à l'histoire, sous la direction de Dominique Chevallier et André Miquel, Paris, Fayard, 1995, p. 425-466 (seules les pages 425 à 439 portent sur notre période).
52 Voir l'analyse de Georges Lukács dans Le roman historique, Paris, Payot, 1965 [1re éd. 1937].
53 D'après J. Brugman, op. cit., chap. VI ; le livre d'Anṭūn Rabbāṭ est signalé dans Al-Hilāl, XIX, 1, octobre 1910, à la rubrique « Nouvelles publications » (Maṭbū‘āt ǧadīda), p. 62-64 ; le roman de ‘Abd al-Ḥamīd al-Zahrāwī fut publié en feuilleton dans Al-Manār : début dans volume XI, 1, muḥarram 1326 / 3 mars 1908, p. 69. Il existe une analyse récente du roman de Faraḥ Anṭūn, Ūršalīm al-ǧadīda : Zaïneb Ben Lagha, « Ūršalīm al-ǧadīda de Faraḥ Anṭūn, une vision de l'histoire pour un projet de société », Bulletin d'études orientales, LIII-LIV, 2001 -2002, p. 105-124.
54 Al-Hilāl, V, 1, 1er septembre 1896, p. 24.
55 Georges Lukács, op. cit., p. 83.
56 Ibid., p. 67.
57 Ibid., p. 77.
58 Voir par exemple la critique que Zaydān fit d'Al-amīr Murād, un roman (en langue anglaise) de Ḫalīl Sa‘d qui décrivait les mœurs des habitants du Liban et du Ḥawrān au milieu du xviiie siècle (Al-Hilāl, I, 4, décembre 1892, p 186-187).
59 Préface de Al-Haǧǧāǧ ibn Yūsuf, citée par J. Brugman, op. cit., p. 206 ; Al-Hilāl, XIX, 2, novembre 1910, p. 109 (réponse à une lettre du cheikh Ḥasan al-Qazwīnī).
60 Cf. « Al-Barāmika », EI2, I, p. 1064-1067.
61 « ‘Abbāsa », EI2, I, p. 14.
62 Al-‘Abbāsa uḫt al-Rašīd, p. 2-3.
63 Al-Hilāl, V, 1, 1er septembre 1896, p. 24.
64 Lettre de Ğurğī à Émile Zaydān, 2 janvier 1909.
65 « Ibṭāl al-‘āda al-muḍirra » (« Se débarrasser de la mauvaise habitude »). Al-Hilāl, IX, 7, 1er janvier 1901, p. 214.
66 Luc Deheuvels, « Le témoignage littéraire : roman et théâtre entre Orient et Occident », loc. cit., p. 427 ; J. Brugman, op. cit., p. 205.
67 Traduit et cité par Gilbert Delanoue dans « Écrits et milieux dévots dans l'Égypte du xixe siècle », loc. cit., p. 166 ; même citation faite en anglais dans J. Brugman, op. cit., p. 205. L'article de Muḥammad ‘Abduh d'où cette citation est extraite parut dans Al-Waqā’i‘ al-miṣriyya le 11 mai 1881 et fut reproduit par Rašīd Riḍā dans Tārīḫ al-ustāḏ al-imām al-šayḫ Muḥammad ‘Abduh, II, Le Caire, Maṭba‘at al-Manār, 1344, 2e éd., p. 153-157. C'est un article qui recensait les différentes catégories de livres lus en Égypte et invitait à faire le tri entre celles qui devaient être encouragées et celles qui devaient être censurées.
68 Cf. Gilbert Delanoue, « Écrits et milieux dévots dans l'Égypte du xixe siècle », loc. cit., p. 166.
69 Ḏāk, op. cit., p. 2-4.
70 Al-Manār, XI, 1, muḥarram 1326/3 mars 1908, p. 69.
71 Lettre de Ğurğī à Émile Zaydān, 24 décembre 1908.
72 Lettre de Ğurğī à Émile Zaydān, 12 décembre 1908.
73 « Molière », Al-Hilāl, IV, 11, 1er février 1896, p. 401-407 ; « Corneille, mu’assis fann al-riwāyāt al-tamṯīliyya fī Faransā » (« Corneille, fondateur du genre théâtral en France »), Al-Hilāl, VI, 4,15 novembre 1898, p. 97-99 ; « Al-tamṯīl al-‘arabī » (« Le théâtre arabe »), Al-Hilāl, XVIII, 8, mai 1910, p. 464-472 ; « Al-tamṯīl fī Miṣr » (« Le théâtre en Égypte »), Al-Hilāl, XX, 7, avril 1912, p. 436-438.
74 Al-Hilāl, XX, 4, janvier 1912, p. 248 (Zaydān donne l'autorisation à un lecteur de Baṭrūn au Liban d'adapter Al-Inqilāb al-‘uṯmānī sous forme dramatique) ; Ğurğī Zaydān 1861-1914, op. cit., p. 130 ; Aḥmad al-Timāwī, op. cit., p. 39.
75 Suggestion faite par Ghalib al-Hakkak, auteur d'un dossier sur le roman ‘Abd al-Raḥmān al-Nāṣir destiné aux étudiants d'arabe et paru dans TextArab, revue pédagogique bimestrielle publiée avec le concours de l'Union européenne et de la direction des lycées et collèges du ministère de l'Éducation nationale, n° 29, septembre-octobre 1994, p. 12.
76 Sur les lectures d'Ibn Ḫaldūn au xixe siècle, voir Ahmed Abdesselem, Ibn Khaldun et ses lecteurs, Paris, PUF, Essais et conférences du Collège de France, 1983, chapitres II et III. Selon A. Abdesselem, c'est l'orientaliste autrichien Joseph von Hammer-Purgstall qui qualifia Ibn Ḫaldūn de « Montesquieu des Arabes » en 1812. Ibn Ḫaldūn fut encore appelé le « Montesquieu de l'Orient » dans des articles du Journal asiatique en 1825.
77 Cf. les analyses d'Ahmed Abdesselem, op. cit., p. 68-70 et de Vincent Monteil dans sa traduction de la Muqaddima : Ibn Khaldûn, Discours sur l'histoire universelle, op. cit., p. xxxiii.
78 « Il me semble que le premier fait qui soit compris dans le mot civilisation (…) c'est le fait de progrès, de développement ; il réveille aussitôt l'idée d'un peuple qui marche, non pour changer de place, mais pour changer d'état, d'un peuple dont la condition s'étend et s'améliore » : François Guizot, Histoire de la civilisation en Europe, Première leçon, Paris, Hachette/Pluriel, édition présentée par Pierre Rosanvallon, 1985, p. 62.
Pour Guizot, le progrès est à la fois un perfectionnement matériel et un ensemble de conquêtes intellectuelles et morales, « le développement de l'activité sociale et celui de l'activité intellectuelle... le progrès de la société et celui de l'humanité » (ibid., p. 62-64).
79 « Tamaddun », Dā’irat al-ma‘ārif, VI, Beyrouth, 1882, p. 213-215.
80 Riḥlat Ğurğī Zaydān ilā Ūrubbā, op. cit., p. 8-9 et 98-100.
81 Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, I, p. 3.
82 François Guizot, op. cit., p. 58.
83 Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, I, p. 3.
84 Ibid., p. 4.
85 Sur la périodisation adoptée dans ce volume en fonction du pouvoir politique de l'un ou l'autre des peuples en question, voir le chapitre X, p. 526-527.
86 Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, IV, p. 3.
87 Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, II, p. 9.
88 Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, I, p. 6 et p. 29-35.
89 Ibid., p. 25, 29.
90 Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, II, p. 2.
91 Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, I, p. 16.
92 Cf. un article déjà intitulé « Tārīḫ al-‘Arab qabl al-islām », Al-Hilāl, III, 14, 15 mars 1895, p. 534-541 et le début de l'Histoire de la civilisation islamique (Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī) : « Al-‘Arab wa l-tamaddun », « Al-Ǧāhiliyya fī l-Ḥigāz », « Al-Nahḍa al-‘arabiyya », volume I, p. 9-23.
93 Voir chapitre I, p. 56-57.
94 En plus de la transcription, le mot anglais, « literature », est cité dans le texte.
95 Al-Hilāl, 1,12, août 1893, p. 566. La citation a déjà été faite en anglais dans l'ouvrage dirigé par M. M. Badawi, Modem Arabie Literature, The Cambridge History of Arabie Literature, Cambridge University Press, 1992, p. 431.
96 Al-Hilāl, II, nos 9 à 24, 1er janvier - 15 aoūt 1894 ; III, nos 1 à 15, 1er septembre 1894- 1er avril 1895.
97 Donald M. Reid, Cairo University and the Making of Modem Egypt, Cambridge University Press, 1990 / The American University in Cairo Press, 1991, p. 37. C'est le livre de Zaydān qui obtint finalement le prix : cf. chapitre XII, p. 634.
98 Ouvrage en deux volumes publiés à Beyrouth par l'Imprimerie catholique en 1908 et 1910.
99 Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya, I, p. 7. Voir aussi la notice consacrée par Zaydān à Ibn al-Nadīm dans op. cit., II, p. 318.
100 Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya, I, p. 8.
101 Nous nous fondons ici sur la seconde édition de Geschichte des arabischen Literatur, Leipzig, C. F. Amelangs Verlag, 1909.
102 Critique du deuxième volume de Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya, Al-Mašriq, XV, 8, août 1912, p. 597-610. Pour le détail des reproches que Louis Šayḫū fit à Ğurğī Zaydān, voir chapitre XII, p. 642 sq.
103 Al-Hilāl, XX, 8, mai 1912, p. 502.
104 Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya, I, p. 9.
105 Tārīḫ ādāb al-luġa al-‘arabiyya. III, p. 6.
106 Catégories des nations : c'est ainsi que Régis Blachère a traduit Ṭabaqāt al-umam, le titre de l'ouvrage éponyme de Ṣā’id al-Andalusī. Voir infra.
107 Les Zunūǧ (sg Zanǧ) étaient un peuple noir originaire de la côte orientale de l'Afrique et menaient une misérable existence de terrassiers en Mésopotamie. Ils sont connus pour avoir mis en danger le pouvoir abbasside entre 255/868 et 270/ 883 par une révolte de type social que conduisait un prétendant alide, ‘Alī le Voilé (al-Burqū‘ī) [« Zandj », EI1, IV, p. 1281-1282]. Zaydān emploie généralement le terme de Zunūg dans un sens générique. Il désigne différents peuples de race noire en Inde, en Australie et en Afrique.
108 Ṭabaqāt al-umam in Mu’allafāt Ğurğī Zaydān al-kāmila, Beyrouth, Dār al-ǧīl, X, 1982, p. 352.
109 Cf. « Anthropologie », Encyclopaedia universalis, II, 1995, p. 519-526 et « Ethnologie », op. cit., VIII, p. 976-1016.
110 Voir « Ṣā‘id al-Andalusī », EI2, VIII, p. 889.
111 Abū l-Qāsim Ṣā‘id ibn Aḥmad ibn Ṣā‘id al-Andalusī, Ṭabaqāt al-umam, Al-Mašriq, XIV, nos 8 à 12, août-décembre 1911.
112 Ğurğī Zaydān, Ṭabaqāt al-umam, op. cit., p. 352-353. Les autres sources citées par Zaydān sont : G. T. Bettany, World's Religions, Londres, 1890. et du même auteur, World's Inhabitants, Londres, 1892 ; R. H. Moncrieff, The World of Today, six volumes, Londres, 1907.
113 Introduction de Ṭabaqāt al-umam, op. cit., p. 349-355.
114 Tableau des traductions de romans faites du vivant de Zaydān dans Ğurğī Zaydān 1861-1914, op. cit., p. 131. Ce tableau mentionne les romans qui ont été traduits, la ou les langues dans lesquelles ils l'ont été, le nom et l'origine géographique du traducteur et, le cas échéant, le lieu — mais non la date — d'édition.
115 Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, IV, p. 3.
116 Ğurğī Zaydān 1861-1914, op. cit., p. 130-131.
117 Ces sept romans sont : Fatāt Ġassān, Armanūsa al-Miṣriyya, 17 Ramaḍān, Ġādat Karbalā’, Al-Haǧǧāǧ ibn Yūsuf, Fath al-Andalus, Abū Muslim al-Ḫurasānī. Fatāt Ġassān ne semble pas avoir été éditée (d'après Ğurğī Zaydān 1861-1914, op. cit., p. 131).
118 Ibid.
119 Cf. une lettre de ‘Abd al-Ḥusayn Mīrzā al-Qaǧār publiée dans Al-Hilāl, XIX, 6, mars 1911, p. 371-372, et Tārīḫ-e tamaddun-e islām, 2 volumes, Téhéran, 1329-1343 (1911-1924).
120 Ğurğī Zaydān 1861-1914, op. cit., p. 131.
121 Revue du monde musulman, XIV, 4, avril 1911, p. 184.
122 Al-Hilāl, XIX, 1, octobre 1910, p. 60-61.
123 Histoire de l'Empire ottoman, sous la direction de Robert Mantran, op. cit., p. 556, 584.
124 « Le contenu d'un journal turc », Revue du monde musulman, I, 3, janvier 1907, p. 433-439.
125 Ibid. et Revue du monde musulman, V, 6 juin 1908, p. 377 ; IX, 10, 10, octobre 1909, p. 345 ; François Georgeon, Aux origines du nationalisme turc : Yusuf Akçura (1876-1935), Paris, ADPF / Institut d'études anatoliennes, 1980, p. 19 d'après D. Kushner, The Rise of Turkish Nationalism, 1876-1908, Londres, 1977, p. 18-19 et 29-30.
126 François Georgeon, Aux origines du nationalisme turc, op. cit., p. 19.
127 Eliezer Tauber, The Emergence of the Arab Movements, op. cit., p. 104-105.
128 Ibid.
129 Revue du monde musulman, X, 3, mars 1910, p. 445.
130 Ğurğī Zaydān 1861-1914, op. cit., p. 131. Quelques informations sur Ḫalīl Baydas (1875 ?-1949) dans Yūsuf Dāġir, op. cit., II, p. 213-214.
131 Projet de traduction de Georges Yārid mentionné dans Al-Hilāl, XXI, 4, janvier 1913, p. 240.
132 Un roman français paru en 1753 aurait porté le nom de ‘Abbāsa. Celle-ci est également présente dans un roman d'Aimé Giron et Albert Tozza (1904) intitulé Les nuits de Bagdad (in « ‘Abbāsa », EI2, p. 14). Les intrigues de harem étaient à la mode !
133 Préface du roman de Georges Zaïdan, La sœur du calife, traduit de l'arabe par M. Y. Bîtâr et Charles Moulié, Paris, Fontemoing et Cie, 1912 (2e éd.).
134 Ibid.
135 Ibid.
136 Cf. chapitre XI de cet ouvrage.
137 Umayyads and Abbāsids, being the fourth part of Jurjí Zaydán's History of Islamic Civilization, traduit par D. S. Margoliouth, Leyde, E. J. Brill / Londres. Luzac & Co, E. J. W. Gibb Memorial Series, vol. IV, 1907.
138 Georgi Zaïdan, Histoire de la civilisation musulmane, in Revue tunisienne, XV, n° 68, mars 1908, p. 105-120 : n° 69, mai 1908, p. 253-268 ; XVI, n° 75, mai 1909, p. 205-219 ; n° 77, septembre 1909, p. 416-431 ; n° 78, novembre 1909, p. 508-524.
139 Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, IV, p. 3.
140 Il le fit soit dans Al-Hilāl, soit dans les derniers volumes de Tārīḫ al-tamaddun al-islāmī, soit dans la réédition de cet ouvrage en 1912.
141 Al-Hilāl, XX, 8, mai 1912, p. 502.
142 Lettre de Ğurğī à Émile Zaydān, 28 mars 1912. Traduction en anglais par Thomas Philipp dans Ğurğī Zaydān..., op. cit., p. 216-219.
143 Muḥammad Mas‘ūd (1872-1940) était un écrivain et un journaliste de la mouvance d'Al-Mu’ayyad. Cf. Thomas Philipp, Ğurğī Zaydān..., op. cit., p. 218, n. 23, d'après Yūsuf Dāġir, III, p. 1206.
144 Lettre de Ğurğī à Émile Zaydān, 28 mars 1912.
145 Ibid.
146 Ibid.
147 Cf. chapitre XII.
148 Gustave Le Bon, La civilisation des Arabes, op. cit., livre II, chapitre 1 : « Mahomet », p. 91. Dans Lois psychologiques de l'évolution des peuples (1894), Le Bon précise ce qu'il entend par « hallucinés » ou « fanatiques » : il s'agit de la catégorie des « hommes supérieurs » qui « créent l'histoire » en fondant des religions ou en conquérant des Empires. Dans cette catégorie, sont rangés pêle-mêle Mahomet, Pierre l'Ermite et Luther. « Hallucinés » et « fanatiques » se distinguent d'une autre catégorie d'« hommes supérieurs », les « inventeurs de génie » qui, eux, « hâtent la marche de la civilisation » (relevé par Benoît Marpeau, op. cit., p. 108-109).
149 Ibid., p. 88-89.
150 Gustave Le Bon, op. cit., livre II, chapitre 2 : « Le Coran », p. 95. Comme l'a écrit au crayon un lecteur de l'exemplaire de La civilisation des Arabes possédé par la bibliothèque de l'INALCO à Paris, l'apparition de l'Ange Gabriel « déguisé en arabe » « sent un peu la mi-carême ».
151 Sur l'inusable succès de Le Bon dans le monde arabo-musulman, cf. chapitre VI, p. 271, n. 28.
152 C'est ainsi que dans une édition de la traduction de La civilisation des Arabes par ‘Ādil Zu‘aytar, une note met en garde le lecteur contre les propos de Gustave Le Bon sur la prétendue aliénation du Prophète Muḥammad : c'est là, dit cette note, une des insultes dont sont coutumiers les orientalistes et qui n'a aucun fondement (Gustave Le Bon, Tārīḫ al-ḥaḍāra al-‘arabiyya, Le Caire, Maṭba‘at ‘Isa al-Bābī al-Ḥalabī, 1969).
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