• Contenu principal
  • Menu
OpenEdition Books
  • Accueil
  • Catalogue de 15381 livres
  • Éditeurs
  • Auteurs
  • Facebook
  • X
  • Partager
    • Facebook

    • X

    • Accueil
    • Catalogue de 15381 livres
    • Éditeurs
    • Auteurs
  • Ressources numériques en sciences humaines et sociales

    • OpenEdition
  • Nos plateformes

    • OpenEdition Books
    • OpenEdition Journals
    • Hypothèses
    • Calenda
  • Bibliothèques

    • OpenEdition Freemium
  • Suivez-nous

  • Newsletter
OpenEdition Search

Redirection vers OpenEdition Search.

À quel endroit ?
  • Presses de l’Ifpo
  • ›
  • Études arabes, médiévales et modernes
  • ›
  • Du Coran à la philosophie
  • ›
  • Première partie. Le contexte linguistiqu...
  • ›
  • Chapitre II. La langue de la littérature...
  • Presses de l’Ifpo
  • Presses de l’Ifpo
    Presses de l’Ifpo
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Liens vers le livre
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Formats de lecture

    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Les débuts Ibn al-Muqaffa‘ Ibn Qutayba Caractères de la prose Ǧāḥiẓ et ses successeurs La maqāma Notes de bas de page

    Du Coran à la philosophie

    Ce livre est recensé par

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Chapitre II. La langue de la littérature en Prose

    p. 83-109

    Texte intégral Les débuts Ibn al-Muqaffa‘ Ibn Qutayba Caractères de la prose Ǧāḥiẓ et ses successeurs La maqāma Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Nous venons de voir comment la prose arabe s'est formée avec le Coran et nous avons essayé de dégager ce que nous pouvions apprendre par la réflexion sur cette œuvre et sur le ḥadīṯ qui lui est étroitement lié. Nous voudrions poursuivre cette démarche sur les débuts de la langue arabe en nous intéressant aux premières œuvres et aux premiers auteurs de la littérature. Tout ceci dans le but de mieux saisir le contexte dans lequel Farabi s'est trouvé quand il a inauguré ses réflexions sur la langue.

    2Il n'est pas inutile d'évoquer ici, pour commencer, le milieu culturel dans lequel sont nées les premières œuvres littéraires, qui est également le milieu où est né le ḥadīṯ et où ses auteurs ont évolué. Le souci de retrouver ou de conserver tout ce qui pouvait concerner la Révélation et les conditions de son apparition favorisa toutes sortes de recherches sur les hommes, leur vie, leurs ascendances. Peu à peu apparaîtront de courtes œuvres consignant des récits ou des généalogies et, progressivement, elles s'organiseront en ensembles plus cohérents comme la Sīra nabawiyya d'Ibn Isḥāq (m. 767)1 ou plus vastes comme ceux de Hišām b. al-Kalbī (m. 819)2. Ce genre ira en se développant constamment et connaîtra, des siècles durant, un succès considérable, sous forme de ṭabaqāt ou de littérature bio-bibliographique, depuis les Ibn Sa‘d (m. 845), auteur du Kitāb al-ṭabaqāt al-kabīr3, les Isḥāq b. Ḥunayn, auteur du Tārīḫ al-aṯibbā’4, ou les Ṭabarī (m. 923), auteur de la monumentale Tārīḫ al-rusul wa-l-mulūk5, jusqu'à Suyūṭī (m. 1505)6, en passant par Ibn al-Qifṭī (m. 1248), auteur de Tārīḫ al-ḥukamā’7, ou les Ṭabaqāt al-aṯibbā’ d'Ibn Abī Uṣaybi‘a (m. 1270)8, sans parler d'Ibn Ḫallikān (m. 1282) et de ses Wafayāt al-a ‘yān9, et de bien d'autres auteurs importants qu'il serait trop long d'énumérer ici10.

    3A côté de ce souci d'ordre historique et des œuvres qu'il va faire naître peu à peu et qui ont nourri le ḥadīṯ, il y a eu un souci d'ordre plus grammatical et lexicographique11. Nous approfondirons notre recherche sur cet aspect dans une section ultérieure, car cela nous rapprochera davantage des préoccupations de Farabi.

    Les débuts

    4Nous voudrions, dans ce chapitre, limiter notre recherche sur l'histoire de la langue arabe à la naissance de la prose arabe et à un seul aspect de son épanouissement12, ainsi qu'à certains de ses caractères et souligner les liens bien connus qu'il y a entre le développement de l'administration et la constitution progressive d'une prose littéraire arabe.

    5A propos du sens de la racine KTB, nous relevions ce que nous appelions un "concours" de significations13 entre le développement de l'écriture, kitāba, dans les dīwān-s, dont les premiers furent créés pour répondre aux besoins de l'armée, et le terme de katība, escadron, qui est un terme militaire. Ce sont de nouveau les dīwān-s et les chancelleries que nous retrouvons quand nous nous attachons à la constitution progressive de la prose. Si, au début, on écrit pour comptabiliser, recenser, consigner, on ne le fait pas encore pour raconter, encore moins pour s'exprimer ou penser. Il ne s'agit encore que d'une écriture aux stéréotypes purement techniques, dont on continue à faire usage dans toutes les cultures pour les registres, inventaires ou les dépouillements, et qui ne suppose ni style ni syntaxe élaborés. Mais, peu à peu, avec l'arabisation progressive de l'administration14 et les besoins croissants d'une structure fortement centralisée, le besoin se fera sentir d'une langue qui permettra de rédiger les correspondances confiées aux secrétaires. Et ce sont ces secrétaires qui seront les véritables fondateurs de la prose littéraire arabe.

    6Ibn al-Nadīm ne s'y trompe pas dans son Fihrist. Après avoir consacré son premier chapitre aux langues, aux livres révélés et au Coran, après avoir présenté, dans le second, les grammairiens et les linguistes, on peut dire qu'il consacre le troisième à la littérature avant d'aborder la poésie dans le quatrième. Or ce troisième chapitre se divise en trois sections. La première, nous l'avons dit plus haut15, concerne les sciences historiques. La seconde sera consacrée à des notices sur les souverains, les secrétaires, les orateurs, les rédacteurs de correspondances, les agents de l'impôt foncier et les membres des chancelleries16. Beaucoup de ces secrétaires laisseront un nom car ils ne se contenteront pas de rédiger leurs correspondances, mais ils se préoccuperont également de la conservation de leurs écrits sous diverses formes. C'est ainsi qu'Ibn al-Nadīm classe dans la première catégorie des secrétaires-rédacteurs ceux qui ont laissé des recueils de leurs épîtres17. Et le premier qu'il mentionnera ne sera autre que ‘Abd al-Ḥamīd al-Kātib (m. 750)18 dont il déclare qu'il fut « secrétaire du calife Marwān b. Muḥammad, après avoir commencé à être maître d'école (mu‘allim ṣibya), se déplaçant dans différents pays. Beaucoup de rédacteurs (mutarassilūn) se formèrent auprès de lui et mirent en œuvre sa méthode. C'est lui qui ouvrit la voie à la rhétorique (ou du moins à la recherche stylistique) dans la correspondance. En son temps, nul ne l'égala ». Ces louanges du Fihrist concernent l'auteur de la fameuse Risāla adressée aux secrétaires19.

    7Après cet initiateur, Ibn al-Nadīm présente un grand nombre de secrétaires et de rédacteurs et mentionne leurs œuvres. Nous reviendrons un peu plus loin sur Ibn al-Muqaffa‘, disciple de ‘Abd al-Ḥamīd, dont le rôle fut particulièrement important, mais nous voudrions auparavant souligner la variété de la production de ces kuttāb telle qu'elle nous est présentée par le Fihrist. C'est ainsi qu'après la catégorie des auteurs ayant laissé des œuvres du type mağmū‘, il examine celle des secrétaires-rédacteurs dont les épîtres ont donné lieu à la constitution d'anthologies20. Puis ensuite les orateurs, ḥuṯabā, les hommes d'éloquence, asmā’ al-bulaġā’21, les maîtres de la rhétorique, les classiques — avec Ibn al Muqaffa‘ en tête — et les modernes22, les livres les plus admirables — au nombre de six, dont Kalīla wa Dimna — et les sujets qui y sont traités23. Il poursuit ensuite la longue énumération des secrétaires24. Nous soulignerons simplement que le titre de nombreux ouvrages indique le souci de formation et de pédagogie de beaucoup d'auteurs, comme le Kitāb al-maḏhab fī-l-balāġa (p. 200, 9), ou le Kitāb tahḏīb al-balāġa (p. 195, 23), le Kitāb al-bayān wa taqwīm al-lisān (p. 192, 16-17), ou le Kitāb al-bayān wa-l-faṣāḥa (198, 21), ou même un Kitāb imtiḥān al-kuttāb, livre de la préparation des secrétaires (194, 20). On trouve également un Kitāb al-tārīḫ wa aḫbār al-kuttāb (191, 15), ou encore, plus général, un Kitāb al-‘ilm (191, 3). Nous ne retiendrons de tout cela qu'une remarque dans la notice de Naṭṭāḥa :

    « Abū ‘Alī Aḥmad b. Ismā‘īl al-Ḫaṣīb al-Anbārī, secrétaire de ‘Ubayd Allāh b. ‘Abd Allāh b. Ṭāhir [...]. Passé maître en rhétorique, rédacteur de correspondances ; poète, homme de lettres (adīb) très avancé dans l'art de la rhétorique. Le plus souvent, il parlait de lui-même (yaktub ‘an nafsihi) dans ses épîtres à ses frères. »25

    8Cette dernière remarque montre chez ce contemporain d'Ibn al-Muqaffa‘ un souci tout à fait nouveau, qui ne se manifestera pas souvent dans la prose arabe, et qui montre comment nous sommes dans des périodes de recherche, de création et d'enfantement.

    Ibn al-Muqaffa‘

    9Nous avons mentionné Ibn al-Muqaffa‘. Nous voudrions non pas présenter son œuvre qui, avec Kalīla wa Dimna, est connue et qui marque le début de la grande littérature arabe en prose. En effet, avec cette composition, le mouvement est accompli, la prose arabe littéraire est née. Nous voudrions parler d'une autre de ses œuvres, qui fait partie du genre risāla, du genre de transition : il s'agit de la Risāla fī-l-ṣaḥāba. Et ceci parce qu'elle nous permet de dégager et d'analyser les caractéristiques de cette étape capitale.

    10La Risāla fī-l-ṣaḥāba a été écrite par Ibn al-Muqaffa‘ entre 136/753 et 140/75726, pour le calife al-Manṣūr, et bien qu'il s'agisse là « d'un travail de bureau d'une nature particulière, d'un véritable rapport administratif sur la situation », on peut tout de même le « rattacher à l'adab en le considérant comme un développement original de ce genre, à mi-chemin entre l'adab parénétique et l'adab professionnel »27. Nous voudrions dégager certains traits significatifs de ce nouveau genre.

    11Tout d'abord le recours à l'écrit. Les donneurs de conseils ne manquent pas, compte tenu du fait que tout musulman a le droit de naṣīḥa à l'égard de n'importe quel autre musulman, fût-il le calife ; mais ce qui est original, c'est d'avoir organisé cet ensemble de conseils en une risāla, de leur avoir donné la forme écrite. Ici, l'écrit n'est plus un aide-mémoire comme c'était le cas jusqu'à présent, mais semble bien devenir la forme spécifique d'un discours destiné à tenir un rôle que ne pourrait remplir l'oral. Si Ibn al-Muqaffa‘ rédige cette Risāla, c'est bien qu'il peut ainsi dire ou faire savoir au calife des choses qu'il ne pourrait lui dire ou lui faire savoir autrement. Il y a là quelque chose de nouveau et de très important pour le propos qui nous intéresse : c'est l'émergence d'un nouveau statut de l'écrit qui, sans devenir une fin en lui-même, acquiert une valeur intrinsèque, n'est plus un simple complément de l'oral, mais une forme d'expression capable de remplir certaines fonctions spécifiques.

    12La nécessité d'une organisation et d'une codification : ce souci se manifeste derrière chacune des œuvres des secrétaires-rédacteurs, nous avons pu le constater à travers un certain nombre de titres. Dans la Risāla d'Ibn al-Muqaffa‘, ce souci apparaît comme un besoin aussi bien pour l'éducation que pour l'administration.

    13Pour l'éducation tout d'abord. Nous aurons l'occasion de l'approfondir dans un prochain paragraphe, quand nous réfléchirons sur l'Adab al-kātib d'Ibn Qutayba. Mais cela est déjà patent dans la Risāla d'Ibn al-Muqaffa‘ :

    « Il conviendrait, entre autres choses, d'entreprendre l'éducation de l'armée en l'engageant à apprendre le Coran, à étudier la Sunna, à savoir ce que sont la fidélité et l'intégrité, à s'écarter des hérétiques [...]. »28

    14Cette considération générale prend davantage de valeur quand on voit qu'elle est accompagnée de la proposition de mesures beaucoup plus précises. Elles concernent les soldats du calife qui

    « ont cependant besoin d'être éduqués ; on doit notamment redresser leur façon de faire, leur esprit et leur langage (taqwīm aydīhim wa ra’yihim wa kalāmihim) car cette troupe est constituée d'éléments mêlés, de chefs qui exercent une autorité excessive et de subordonnés en proie à la perplexité, au doute. Or, qui attaque un adversaire avec des hommes dont il ne sait pas s'ils s'accordent avec lui en pensée, en paroles et en actes (al-muwāfaqa fī-l-ray’ wa-l-qawl wa-l-sīra) ressemble à quelqu'un qui, monté sur un lion, inspirerait la terreur, mais serait lui-même encore plus terrifié. Donc, si le Commandeur des Croyants rédigeait et diffusait un règlement clair et succinct (kataba amānan ma‘rūfn balīġan wağīzan) comprenant tout ce que ses troupes ont à mettre en pratique ou dont elles doivent s'abstenir, un document convaincant et modéré que les officiers apprendraient par cœur (yaḥfaẓuhu ru’asā’uhum) afin de s'y conformer dans leur commandement, et que leurs subordonnés s'engageraient vis-à-vis d'eux à respecter, pareille initiative serait, si Dieu le veut, une excellente chose pour le moral de l'armée, un argument opposable à d'autres éléments et une excuse auprès de Dieu en cas d'échec »29.

    15Bien des éléments nous intéressent dans cette argumentation : ainsi le souci de redresser conjointement la façon de penser et le langage, et en même temps de les harmoniser. Le but n'est pas de parvenir à un discours conformiste, mais à une manière de penser dont découle une expression acceptable. Il y a là une personnalisation de la pensée et un refus du discours stéréotype et passe-partout : le discours devra traduire une adhésion de l'esprit, même si, comme cela est demandé, il y a accord fondamental de tous les discours. C'est là qu'intervient cette demande d'Ibn al-Muqaffa‘ au Calife : rédiger un règlement écrit et le diffuser. Là encore, le rôle de l'écrit est nouveau : c'est par sa rédaction écrite que le règlement voit le jour ; il ne s'agit pas de consigner un certain nombre de prescriptions déjà formulées oralement, mais d'écrire un règlement. Et alors que l'on mettait par écrit ce que l'on connaissait par cœur, afin de s'en souvenir plus aisément, l'ordre est ici inversé : ce qui est écrit peut, une fois écrit, être connu et du coup appris par cœur. Certes, le fait d'apprendre ce règlement par cœur témoigne du fait que le règne de la transmission orale est toujours effectif. Mais insensiblement, les rapports de l'oral et de l'écrit se sont modifiés et un nouveau statut, une nouvelle fonction de l'écrit se font jour.

    16Le souci d'organisation et de codification se manifeste non seulement pour les besoins de l'éducation, disions-nous plus haut, mais aussi pour ceux de l'administration. Cela apparaît ainsi, en ce qui concerne l'armée, au sujet des soldes :

    « Une autre question est celle des soldes de l'armée. Il conviendrait que le Commandeur des Croyants prévoie une date fixe et connue des intéressés pour le versement de la solde tous les trois ou quatre mois ou selon la périodicité jugée opportune. Il faudra que le gros de la troupe connaisse le motif de cette manière de procéder, qui suppose la tenue d'un rôle (dīwān) portant les noms des bénéficiaires, et que l'armée sache à quelle date elle percevra sa solde, afin que soit coupé court aux impatiences et aux plaintes. »30

    17Ici encore se manifeste une fonction spécifique de l'écrit : organisation et information. La périodisation de la solde des soldats est une opération qui ne peut se faire oralement, mais qui suppose nécessairement le recours à l'écrit. L'écrit permet ici une approche différente des hommes qui constituent l'armée, et c'est cette approche différente, beaucoup plus abstraite, qui permettra un traitement différent des données et l'intervention d'éléments nouveaux comme la régularité et la périodicité.

    18La situation ne sera pas sans analogie dans le cas de l'impôt foncier (ḫarāğ) :

    « L'assiette des contributions imposées aux circonscriptions administratives n'est ni fixe ni connue. Il n'est pas de contrée dont le rôle n'ait été modifié plusieurs fois, disparaissant ici, subsistant là. Si le Commandeur des Croyants voulait bien songer à faire établir et connaître l'assiette des impôts des cantons ruraux, des villages et des terres appartenant à des particuliers, à faire enregistrer (tadwīn) ces documents par les bureaux et dresser officiellement les rôles afin que chaque contribuable ne soit astreint à verser qu'un impôt qu'il connaisse et garantisse, et ne consacre ses soins à l'exploitation d'un terrain que s'il y trouve un avantage, nous pouvons espérer que ces mesures auront un heureux effet tant pour le peuple que pour l'agriculture, et mettront fin à la prévarication et à l'arbitraire (ġašm) des agents du fisc. »31

    19Une fois de plus, une fonction spécifique de l'écrit est mise en valeur : par lui, une certaine forme de la réalité est fixée et il n'est plus possible de la faire varier au gré des humeurs comme dans le cas des relations interindividuelles. Il n'y a plus place pour l'arbitraire où l'un des deux partenaires impose de force son point de vue à l'autre, mais l'un et l'autre doivent se soumettre à l'écrit qui devient la garantie du droit.

    20C'est d'ailleurs cette garantie du droit qu'Ibn al-Muqaffa‘ appelle de ses vœux dans un autre passage tout aussi remarquable par tout ce qu'il implique dans le recours à l'écrit. Après s'être élevé contre l'arbitraire des juges qui, profitant de l'absence d'une jurisprudence consignée par écrit, prétendent abusivement suivre la Sunna alors qu'ils agissent uniquement et sciemment selon leur opinion personnelle, il poursuit :

    « Si le Commandeur des Croyants jugeait opportun de donner des ordres afin que ces sentences et ces pratiques judiciaires divergentes lui soient soumises sous la forme d'un dossier (kitāb), accompagnées des traditions et des solutions analogiques auxquelles se réfère chaque école, si le Commandeur des Croyants examinait (naẓara) ensuite ces documents et formulait sur chaque affaire l'avis que Dieu lui inspirerait, s'il s'en tenait fermement à cette opinion et interdisait aux cadis de s'en écarter, s'il faisait enfin de ces décisions un corpus exhaustif, nous pourrions avoir l'espoir que Dieu transforme ces jugements où l'erreur se mêle à la vérité en un code unique (ḥukm wāḥid) et juste ; nous pourrions espérer que l'unification des pratiques judiciaires soit un moyen d'harmoniser la justice selon l'opinion du Commandeur des Croyants et par sa bouche. Ensuite, un autre imām procéderait de la même façon, et ainsi de suite, jusqu'à la fin des temps, si Dieu le veut. »32

    21Ce qui est très remarquable ici, c'est cette prise de conscience de l'écrit comme garantie du droit et cette exigence d'un code écrit. N'oublions pas que c'est une période de réflexion dans le domaine juridique et que les écoles juridiques sont en train de se former. Abū Ḥanīfa (m. 150/767) a eu recours aussi au qiyās. Faut-il rappeler qu'Abū Ḥanīfa, qui n'a pas été qāḍi, n'a écrit lui-même aucun ouvrage juridique. Mais il semble bien que certaines œuvres de ses disciples soient le fruit de ses discussions avec eux et de ses dictées33. Pour Ibn al-Muqaffa‘, l'écrit joue un rôle tout particulier : c'est grâce à lui qu'est constitué le dossier rassemblant les différents jugements émis ça et là par des juges dont l'équité laisse à désirer. C'est ensuite l'écrit qui permet de faire des avis du Commandeur des Croyants sur chacune de ces affaires un recueil les regroupant tous et s'imposant à chacun. Sans l'écrit, l'information du Commandeur des Croyants sur la pratique de ses juges serait partielle et lacunaire, et l'information subséquente des juges sur la façon de juger du Commandeur des Croyants serait doublement déficiente, car fort peu de cas finiraient par leur revenir.

    22Un dernier point pour compléter ces considérations : le recours à la raison. Tout ce qui vient d'être dit, ce souci de l'organisation, du droit, de la fidélité à l'écrit et du refus de l'arbitraire est sous-tendu par une conscience très vive du rôle que doit tenir la raison. Nous trouvons en effet une critique à peine voilée de l'argument d'autorité : si tout avait été révélé, et s'il fallait se contenter d'une soumission pure et simple, le fardeau aurait été trop lourd pour l'homme, emprisonné de toutes parts par des contraintes et des règles ne laissant rien de côté. Mais il se trouve que Dieu a donné aux hommes la raison et l'esprit (‘uqūl et albāb) : il ne s'agit pas de les exercer sur des questions déjà réglées par la Révélation, mais de les appliquer à ce qui n'a pas été fixé par Dieu34. A une attitude d'entière soumission à l'autorité, à un souci de fidélité à la parole révélée et de répétition, vient s'adjoindre une démarche s'appuyant sur la raison. Et lorsque le raisonnement habituel se révélera insuffisant, le qiyās pourra rendre service s'il conduit à un résultat acceptable35. Ce recours est significatif à une époque où le qiyās n'est pas encore admis par tous et même où il a de farouches adversaires. En prenant ainsi parti pour la raison et la réflexion sur la Révélation, Ibn al-Muqaffa‘ proposait au droit une voie qui ne devait pas être suivie. Comme le note Gabrieli, « cette subordination de la sharī‘a à l'autorité politique, prônée par Ibn al-Muqaffa‘, ne se réalisera pas, et le développement du droit musulman suivit la voie opposée de l'iğmā‘, soustrait en théorie à toute intervention du sultan, ce qui aboutit en pratique à figer le fiqh en dehors de la réalité vivante. Mais il est tout de même très remarquable qu'un processus opposé ait été envisagé par cette voix isolée, soit qu'il s'agisse là d'une conviction personnelle d'Ibn al-Muqaffa‘, soit qu'il ait prêté sa plume à des programmes d'autrui, comme on l'a aussi supposé »36.

    Ibn Qutayba

    23Avec Ibn al-Muqaffa‘, nous étions dans la période des premiers accomplissements de la prose arabe profane. Ibn Qutayba nous fait franchir plus d'un siècle puisqu'il est mort en 276/889, 130 ans après Ibn al-Muqaffa‘. Nous sommes proches de ce ive/xe siècle, de la pleine maturité de la prose arabe. Si Ibn Qutayba nous intéresse dans cette étude de la formation de la langue arabe, c'est non seulement parce qu'il représente, tout comme Ǧāḥiẓ, son contemporain et aîné, un moment important de la prose arabe, mais encore parce qu'on lui doit un jugement sur cette langue et surtout un ouvrage destiné aux secrétaires qui nous renseigne sur la situation de la langue littéraire dans la seconde moitié du iiie/ixe siècle.

    24Nous trouvons en effet, dans l'importante Préface du Kitāb adab al-kātib37, le regard critique d'un homme sur sa société, ses mœurs, sa culture, sa littérature et sa pensée, sa langue enfin. En ce qui concerne la société de son temps, Ibn Qutayba lui reproche le luxe, la facilité, la vénalité :

    « La fortune des rois a pour unique destination la satisfaction de leurs passions personnelles ; les distinctions honorifiques, qui jouent à l'égard de la noblesse le rôle de l'aumône légale, se vendent comme des nippes ; les belles qualités humaines se reflètent dans l'ornementation des intérieurs et l'édification des bâtiments, les plaisirs de l'âme dans la vibration du luth et les cadeaux aux commensaux. »38

    25Mais, davantage que de la vie sociale et de la dissolution des mœurs, Ibn Qutayba se préoccupe de la baisse du niveau culturel de ses concitoyens. Ils sont ignorants, ils vient de le dire, pour ce qui concerne le vocabulaire, en narrant des anecdotes dans lesquelles des secrétaires lisent ou répètent des termes dont ils ignorent la signification. Ces gens se croient supérieurs aux autres de par les études qu'ils ont faites, sans se rendre compte de leurs limites. Le secrétaire s'imagine connaître ce que les gens ignorent et

    « il appelle les gens le bas peuple, les ordures et la lie du peuple alors que lui, par Dieu, est bien plus digne d'être désigné par ces qualificatifs qui sont ceux qui lui conviennent le mieux, parce qu'il est ignorant et qu'il croit qu'il sait, et ces deux choses sont ignorance, et parce que ces gens-là sont ignorants et savent qu'ils sont ignorants. Mais si cet homme voué à sa propre admiration, qui est une insulte à l'Islam par ses opinions, réfléchissait, Dieu l'aurait vivifié par la lumière de la Bonne Direction. Mais il a trouvé trop long de réfléchir sur les sciences coraniques, les récits relatifs au Prophète et à ses Compagnons, les sciences des Arabes, leur langue et leurs œuvres littéraires, et il s'y est opposé, leur a été hostile et s'en est détourné »39.

    26Ignorance du kātib aussi bien dans le domaine de la langue que dans celui des sciences coraniques qu'il devrait maîtriser. Remarque intéressante car elle témoigne de l'importance de ces sciences qui se sont progressivement organisées autour du Coran : importance pour la formation du secrétaire aussi bien que pour sa culture. C'est l'occasion pour l'orthodoxe Ibn Qutayba de critiquer la propension de certains de ses contemporains à l'étude de la science aristotélicienne en tournant en dérision une argumentation logique de Muḥammad b. al-Ǧahm40.

    27Mais ce qui nous intéresse le plus ici, c'est ce qui est dit de la langue et de l'écriture et la critique qui est faite de certaines pratiques. Et tout d'abord la critique de la recherche purement formelle au détriment du fond :

    « Le but extrême visé par le kātib de notre époque dans l'accomplissement de sa fonction est d'avoir une belle écriture et de bien former ses lettres ; le niveau le plus élevé auquel aspire notre homme de lettres (adībunā) est de réciter des vers de mirliton à la louange d'une fille de joie en décrivant une coupe à boire. »41

    28C'est un souci qui revient sous la plume d'Ibn Qutayba dans sa Préface, quand il recommande d'éviter « l'emphase et l'amphigouri » (taq‘īr et taq‘īb) et de rechercher d'abord la connaissance et à bien atteindre le but visé42.

    29Conséquence logique d'une telle critique, la recommandation d'adapter ce que l'on dit à celui à qui on le destine. La forme n'importe pas en elle-même, mais en fonction du but recherché, et ce but dépend de la personne qui écrit et du destinataire. On ne saurait mieux souligner que la forme n'est pas une fin en soi mais un moyen pour atteindre une fin que l'on s'est fixée.43

    30Mais, un peu plus loin, Ibn Qutayba ajoute, sur la langue et l'écriture, une remarque qui nous intéresse au plus haut point : il distingue deux styles, celui de la langue parlée et celui de la langue écrite. On peut écrire certaines choses qui ne conviendraient pas à l'expression orale.

    « Le critère de jugement dans ce domaine de la recherche stylistique n'est pas le même selon qu'il s'agit du langage écrit et du langage parlé. En effet, la recherche syntaxique (i‘rāb) ne saurait enlaidir ni alourdir quoi que ce soit dans le langage écrit. Seules sont répréhensibles les expressions bizarres, étranges et compliquées. »44

    31Cette distinction intervient à une époque où ce que nous pouvons appeler avec Fück le "moyen arabe" avait gagné beaucoup de terrain au détriment de la ‘arabiyya45. Que cette distinction soit peut-être due au désir d'Ibn Qutayba de prévenir une trop grande érosion de la ‘arabiyya en lui réservant à elle seule le domaine de l'écrit, ou à la prise de conscience effective d'une différence entre les deux langues, le fait est là et il propose bel et bien une distinction entre l'écrit et l'oral : deux styles, deux langues, avec leurs caractéristiques propres. Il est encore plus explicite sur ce point dans ‘Uyūn al-aḫbār où il déclare :

    « Il ne faut pas perdre de vue que si nous avons parfois employé intentionnellement un style vulgaire (laḥn) et si nous avons recommandé au lecteur de l'employer, c'est que l'i‘rāb prive par fois le discours de son charme et ôte tout sel à l'anecdote. »46

    32C'est pour pallier toutes les carences qu'il a dénoncées et pour satisfaire aux besoins qu'il constate qu'Ibn Qutayba a composé son Kitāb adab al-kātib, dans lequel il apprend au secrétaire, kātib, celui de la deuxième moitié du iiie/ixe siècle, ce qu'il doit posséder comme bagage intellectuel et comme compétence linguistique :

    « Comme je vois cette situation empirer tous les jours et que je crains d'assister à la disparition de toute trace des connaissances relatives à la langue arabe, je leur ai consacré une part de mes préoccupations et une fraction de mes œuvres. Pour celui qui néglige d'acquérir de la culture, j'ai rédigé des chapitres simples sur les connaissances nécessaires, sur la prononciation et sur l'orthographe correctes ; chacun de ces chapitres est consacré à un centre d'intérêt ; je me suis gardé de la prolixité comme de la lourdeur, afin d'encourager les gens à l'apprendre par cœur (taḥaffuẓihi) et à l'étudier si ses préoccupations l'y ramènent ; j'ai voulu y enregistrer les connaissances qui lui manquent, afin de lui apporter de l'aide en lui fournissant des outils (astaẓhiru lahu bi-i‘dād al-ālāt). »47

    33Ce souci pédagogique d'enseignement — et de défense — de la langue arabe est en parfait accord avec les conceptions d'Ibn Qutayba sur les rapports de l'écrit et de l'oral. Le recours à l'écrit est capital certes, car lui seul permet de pousser assez loin la précision et l'organisation de la recherche linguistique, et de mettre en œuvre une méthode tant soit peu rigoureuse. Mais en même temps, le sentiment très vif qu'il est dans un système où l'oral tient une place irremplaçable, qu'il véhicule une information supérieure à celle que peut fournir l'écrit et qu'il faut donc toujours avoir recours à lui sous peine de tomber dans l'approximation ou l'erreur. C'est la raison pour laquelle il demande dans le passage que nous venons de citer le recours à la mémoire pour retenir par cœur ce qui serait beaucoup moins efficace s'il restait uniquement consigné par écrit.

    Caractères de la prose

    34Ainsi nous apparaît le contexte linguistique dans lequel a pris naissance la littérature arabe en prose. Contexte caractérisé par l'émergence d'une prise de conscience de la nature de l'oral et de l'écrit, et des rapports qu'ils entretiennent. Conscience aussi de la nécessité de poser les règles de l'usage littéraire de l'arabe et d'en organiser les différents aspects.

    35Il ressort de ces tendances qui se sont fait jour deux caractéristiques qui nous paraissent marquer la littérature arabe des premiers siècles : le recours fréquent à l'anecdote, au fait, au trait saillant, et, cela est souvent lié, l'importance de la compilation comme méthode de composition des ouvrages.

    36Et tout d'abord, la place très importante accordée dans la littérature arabe au trait, au court récit. Nous avons déjà parlé d'Ibn al-Muqaffa‘, le premier grand prosateur arabe, et de Kalīla wa Dimna. Il ne s'agit pas d'une œuvre originale mais de la traduction en arabe faite sur le pehlevi d'une œuvre originale indienne. Outre le fait que c'est la première œuvre arabe en prose, son importance tient aussi à la très grande diffusion que connut l'œuvre, non seulement dans les milieux lettrés auxquels elle était destinée, mais également dans les milieux populaires. Nous y retrouvons les deux caractéristiques que nous avons dites être celles de la littérature arabe des débuts. Le recours à l'anecdote, au trait, prend ici la forme de la fable et de la mise en scène des animaux48, sous forme de courts apologues organisés en ensembles plus vastes. Ce genre de composition est caractéristique d'une littérature marquée par l'oralité : brièveté des récits, organisation en fonction d'un thème à illustrer, sur le mode de l'accumulation ou de la juxtaposition, développement de type linéaire et non organique, où un fait évoque un autre fait ou une idée qui, à son tour, évoquera une autre idée ou un autre exemple, etc. C'est la logique de l'expression qui commande et non celle du contenu, du sujet ou du thème.

    37On trouve un bon exemple de ce genre de développement dans l'un des premiers chapitres de l'œuvre dont le prétexte est l'illustration de la parabole des deux hommes qui avaient l'un pour l'autre de l'amitié et que le trompeur a séparés et a rendus ennemis. Cela commence avec la fable du commerçant et de ses trois fils. C'est l'occasion de critiquer, sur un mode moralisateur, la paresse et l'oisiveté, et de proposer la pratique de certaines vertus ; il y a trois choses qui s'obtiennent en mettant en œuvre quatre autres choses ; les trois choses sont l'aisance dans les moyens de vie, une position avantageuse parmi les hommes et ce qu'il faut pour atteindre la vie future. Les quatre moyens d'y parvenir sont l'acquisition honnête de l'argent, la bonne gestion de cet argent, de le dépenser pour améliorer son mode de vie et celui des siens, et la protection contre les malheurs de l'existence. C'est l'occasion d'illustrer les méfaits d'une mauvaise gestion par deux comparaisons, le kuḥl et le barrage trop plein. Puis le récit se poursuivant, il se limite aussitôt à l'un des trois fils dont le chariot est tiré par deux bœufs dont l'un s'embourbe. Laissé en arrière avec un serviteur, il est abandonné par ce serviteur qui justifie la perte de l'animal par la fatalité, comme dans l'apologue de l'homme qui fuyait la mort ; cette digression achevée, nous abandonnons le fils pour retrouver le taureau abandonné, et commencent d'autres aventures, celles du lion et du chacal, entrecoupées d'apologues comme celui du singe et du bûcheron pour illustrer une sentence qui vient d'être proférée.

    38Nous ne développerons pas plus longtemps cet exemple, nous contentant d'observer qu'il correspond parfaitement à un type de littérature où l'écrit fait appel à l'oral. Tout d'abord, les aléas de la transmission de l'œuvre font que nous ne savons pas quel était exactement le texte écrit par Ibn al-Muqaffa‘ : la tradition écrite ne remonte pas assez loin. Ensuite, son succès a favorisé sans doute les adaptations et les emprunts. Enfin, le mode même de composition se prêtait à une récitation orale : développements brefs, faits d'unités relativement autonomes, développement relancé périodiquement par des sentences ou des maximes que la suite du récit va illustrer. Ce développement peut s'interrompre fréquemment et être repris sans qu'il faille reprendre l'enchaînement de tout ce qui a précédé. L'histoire, ou plutôt les histoires, sont toujours prêtes à être narrées. Il y a certes toute une philosophie de l'existence qui est sous-jacente et qui commande ces développements, mais outre le fait qu'elle n'est ni explicitée ni organiquement développée, elle se résume à des maximes et à des sentences et relève plus du genre sapientiel que d'une littérature philosophique.

    39En ce qui concerne l'aspect compilatoire de l'œuvre, il est non seulement évident, mais confessé par l'auteur qui renvoie à ses sources indiennes. Cela explique d'ailleurs chez lui l'absence totale de référence à des autorités islamiques ou arabes traditionnelles, et du coup le manque de recours à l'isnād dont nous avons vu qu'il était un élément important des premières compositions écrites arabes.

    Ǧāḥiẓ et ses successeurs

    40Avec Ǧāḥiẓ (160/776-255/868), nous retrouvons un certain nombre de caractéristiques que nous avons dégagées. La brièveté du développement caractérise les rasā’il qui nous ont été conservées. Et les ouvrages plus longs font appel à une documentation que Ǧāḥiẓ ordonne et organise. C'est le cas dans le Kitāb al-ḥayawān, tout comme dans le Kitāb al-buḫalā’, où Ǧāḥiẓ conclut sa présentation en précisant que l'on trouve dans son livre de nombreuses anecdotes dont le nom du personnage est donné ou omis selon les cas. Et effectivement, l'ouvrage comporte une longue suite d'histoires plus ou moins brèves, mises en ordre par Ǧāḥiẓ. Dans ce cas, tout comme dans le Kitāb al-ḥayawān, la longueur de l'œuvre ne provient pas de la longueur du développement, mais du grand nombre d'éléments rassemblés dans l'ouvrage49. Le recours à ce qu'ont dit les prédécesseurs se retrouve aussi dans des œuvres comme ses Rasā’il où il cite volontiers des opinions ou des vers pour appuyer ses dires50.

    41Il y a là un mode de composition où le principe du développement est moins méthodiquement mis en œuvre que dans un ouvrage qui relève de la tradition écrite, dans laquelle c'est l'idée qui progresse peu à peu selon des exigences logiques et non en fonction de critères qui peuvent être formels ou marginaux. Marçais, dans la note précédente, notait qu'il s'en fallait de peu pour que le roman ou au moins la nouvelle ne naisse avec une œuvre comme le Kitāb al-buḫalā’. S'en fallait-il vraiment de si peu ? Pourquoi alors a-t-il fallu onze siècles et demi pour voir enfin paraître en 1914 Zaynab de Haykal, que l'on peut qualifier de premier roman arabe ? Pourquoi a-t-il fallu attendre Taymūr pour voir la nouvelle arabe prendre son essor ? C'est que le rapport à la langue n'est plus alors le même. Haykal et Taymūr écrivent pour des lecteurs. Ğāḥiẓ écrit autant pour être lu que pour être récité, déclamé, raconté, pour être lu à haute voix devant un auditoire. Il crée la prose arabe, il donne naissance à une langue nouvelle, sans doute, mais il ne peut en même temps modifier radicalement le contexte linguistique et culturel dans lequel intervient sa création et qui est essentiellement marqué par la communication et par la diffusion orale de l'écrit.

    42Qu'en sera-t-il de ses successeurs ?

    43Parmi eux, il en est un qui a une place importante dans le monde littéraire, c'est Abū-l-Farağ al-Iṣbahānī (m. 967)51 avec son Kitāb al-aġānī. Nous nous contenterons de souligner, pour une œuvre aussi connue, les traits qui relèvent du genre oral. D'abord le sujet même de l'œuvre, qui lui donne son nom, et qui consiste à recueillir des poèmes chantés qui, sur la demande de Hārūn al-Rašīd, avaient été réunis puis revus par des musiciens célèbres, collection qu'il devait compléter par des poèmes d'auteurs postérieurs. Ce fut le prétexte pour compléter ces œuvres par une foule d'observations, de détails, d'anecdotes sur la vie culturelle des Arabes jusqu'à son époque. Tout comme les poèmes qui relèvent au premier chef de la récitation orale, le mode de composition, par brèves unités, correspond à celui de l'oralité, chaque élément appelant le suivant en fonction d'une nécessité immédiate et non d'un plan logique à long terme. De même, nous trouvons ici le recours à la compilation, Abū-l-Farağ ayant recours à ses prédécesseurs dont il donne de larges extraits. L'ensemble de l'œuvre se prête d'ailleurs à la compilation, puisqu'il s'agit de rassembler des poèmes qui ne sont pas de l'auteur. Et il le fait en doublant cette compilation par une compilation d'auteurs.

    44Que la compilation soit l'une des caractéristiques d'une littérature marquée par l'oralité, nous le croyons pour différentes raisons. La première tient au système éducatif et aux méthodes d'un enseignement qui lui-même est conditionné par une référence constante à une révélation. Il faut écouter le maître : c'est l'autorité contre laquelle il n'y a aucun recours, car l'écrit qu'il commente et explique n'est rien sans lui et sans sa parole. Il en résulte un grand respect de l'autorité et une tendance à se soumettre à elle, que l'on a retrouvée dans le souci de l'isnād de donner ses autorités et d'être couvert et garanti par elles. Le réflexe développé par une telle pédagogie, par un tel rapport enseignant-enseigne, sera celui de la fidélité au maître détenteur de l'autorité et garant de la vérité. Fidélité qui sera manifestée essentiellement par le scrupule mis à répéter exactement l'enseignement reçu lorsque l'étudiant aura à son tour à le transmettre. Cette fidélité mise dans la répétition sera accompagnée de gloses et de commentaires par lesquels l'œuvre initiale sera complétée, développée. Dans un tel exercice, c'est tout naturellement que l'œuvre du maître est redite, reproduite, réécrite par le disciple : le terrain est prêt pour le développement des œuvres compilatoires. Sans parler d'un autre facteur qui a eu sans doute son importance : ce que l'on a appris, on l'a, le plus souvent, appris par cœur, et ce que l'on connaît par cœur revient facilement sur la langue ou sous la plume. Il n'y a d'ailleurs qu'à observer les tendances scolaires ou intellectuelles de certains étudiants formés à ces méthodes et qui aujourd'hui ont à composer essais ou mémoires : la compilation sera leur mode le plus naturel de composition.

    45Prestige et influence de l'autorité, résurgences dues au mode d'enseignement et au recours permanent à la mémoire, ces traits caractéristiques d'un milieu culturel et littéraire marqué par la domination de l'oral affectent donc l'écriture littéraire et en déterminent certains traits comme ceux que nous venons de voir avec la tendance à l'utilisation de courtes histoires, la fréquence des digressions, le recours à la compilation.

    46Au fur et à mesure de l'épanouissement de la prose littéraire arabe, nous trouvons, en plus de l'affirmation de traits spécifiques de l'écrit, le maintien d'un certain nombre de marques propres à l'oral.

    47C'est ainsi qu'avec les Mille et Une Nuits, nous avons une œuvre caractéristique d'un genre tout à fait adapté à l'oralité et qui est le conte. Un conte, même lorsqu'il est développé, reste une œuvre brève qui peut tenir dans le cadre de la séance de narration ou de la soirée. Ce qui caractérisera les Mille et Une Nuits, c'est le fait que ces contes sont intégrés dans un ensemble, qu'ils interviennent dans une composition qui les organise. Nous ne ferons pas l'exposé de toutes les recherches actuelles sur cet ouvrage, mais nous nous intéresserons à sa forme. Que l'ouvrage soit ancien, nous n'en voulons pour preuve que les mentions faites par Mas‘ūdī (m. 958) et Ibn al-Nadīm (m. 998). Voici ce qu'en disent les Murūğ al-ḏahab, à propos de la discussion sur la légende d'Iram :

    « Un grand nombre de savants considèrent les relations de ce genre comme apocryphes et remplies de mensonges inventés à plaisir par des conteurs admis auprès des rois. Ceux-ci ont suggéré à leurs contemporains l'idée de les retenir par cœur et de les raconter à leur tour. Il en est de ces recueils comme des ouvrages qui nous sont parvenus après avoir été traduits des textes de la Perse, de l'Inde ou de la Grèce. Nous avons dit ce qu'il faut penser des compositions de cette nature. Tel est le livre intitulé Hezar Efsaneh ou les mille contes, car c'est là le sens du mot efsaneh en persan. Ce livre est connu dans le public sous le nom de Mille et Une Nuits ; c'est l'histoire d'un roi, de son vizir, de sa fille et de son esclave. »52

    48Nous avons souligné les notations qui indiquent la place et le rôle des conteurs vus par un homme du ive/xe siècle, la grande période de la prose arabe : le conteur est l'homme par excellence de la tradition orale53. Il y joue un rôle si important qu'on le considère non seulement comme celui qui conte, mais également comme celui qui compose, c'est-à-dire que le conte devient un genre littéraire à part entière.

    49D'ailleurs, Ibn al-Nadīm ne s'y trompera pas qui consacrera la première section du huitième chapitre de son Fihrist à ce genre. Ce chapitre huit est intitulé : informations sur les savants des autres sciences anciennes et modernes54. C'est une sorte de complément sur la littérature, les sciences occultes et de multiples autres sujets55. La partie consacrée à la littérature complète ce qui a été dit dans les chapitres trois et quatre sur la prose et la poésie. Après avoir donné les origines indiennes, persanes et byzantines de beaucoup de contes, il donne la liste des grands couples ou des grands personnages d'amants et d'amantes que l'on trouve dans cette littérature. Voici comment il introduit les Mille et Une Nuits :

    « Les premiers à avoir composé des légendes, à leur avoir consacré des livres et à les avoir conservés dans des bibliothèques, à en avoir mis certaines sur la langue des animaux sont les Perses. Ensuite, les rois aškenides s'y adonnèrent grandement et le genre s'élargit et se développa sous les Sassanides. Les Arabes le traduisirent en langue arabe. Les lettrés et les hommes d'éloquence reçurent ces œuvres, les arrangèrent et les embellirent, et composèrent des œuvres analogues par le contenu. Le premier ouvrage qui fut composé, selon le même contenu, fut l'ouvrage Hazār Afsān, ce qui signifie mille légendes. Le prétexte en est qu'un roi, lorsqu'il avait épousé une femme, passait la nuit avec elle et le lendemain la faisait tuer. Il épousa une concubine de sang royal, douée d'intelligence et de savoir, du nom de Shéhérazade. Lorsqu'elle fut rendue chez lui, elle commença à lui raconter une histoire et elle continua à raconter jusqu'à la fin de la nuit, ce qui poussa le roi à lui demander de rester et à lui demander la suite du récit la nuit suivante. Mille et une nuits passèrent durant lesquelles il eut avec elle des relations amoureuses, tant et si bien qu'elle eut de lui un fils qu'elle lui montra. Puis elle l'informa de sa ruse. Il admira son intelligence, eut de l'affection pour elle et lui demanda de rester avec lui. »56

    50La façon dont Ibn al-Nadīm rend compte des Mille et Une Nuits est intéressante car il rattache bien l'œuvre à son genre littéraire et en souligne l'origine. Sa présentation montre bien également la finalité de l'œuvre : récit à épisodes, qui peut être interrompu et repris sans inconvénient et qui correspond, nous l'avons déjà relevé57, à une littérature de type oral. En l'occurrence, comme pour Kalīla wa Dimna, la variété des versions dont nous disposons marque sans doute l'existence de nombreux courants, proches mais différents, dans la transmission orale de l'œuvre.

    51De plus, les Mille et Une Nuits sont formées selon la technique du récit à cadre58. C'est une technique qui convient parfaitement à la littérature orale dans la mesure où il permet d'avoir des œuvres avec de courts développements, les récits encadrés étant brefs et le cadre n'étant pas de son côté développé. Il a aussi la particularité d'avoir une structure relativement simple qui commande le développement de l'œuvre et qui reste extérieure aux différents éléments qui constituent l'œuvre. Pour employer une comparaison de type architectural, les éléments constitutifs sont réunis comme en un mur d'enceinte qui peut s'allonger indéfiniment sans poser de problèmes de structure, alors que s'il avait fallu les organiser en un édifice cohérent, des problèmes tout à fait spécifiques se seraient posés. De ce point de vue, les Mille et Une Nuits relèvent bien de la littérature orale et non de la technique de la composition littéraire écrite.

    La maqāma

    52Il est un autre genre littéraire qui a son importance dans la littérature arabe classique et dans lequel nous pouvons relever des traits caractéristiques de la littérature orale. Il s'agit des maqāmāt. L'intérêt du genre maqāma est qu'à ces traits caractéristiques de la littérature orale, il joint des traits spécifiques de l'écrit. De ce point de vue, c'est un genre littéraire authentiquement arabe, comme le prouvera d'ailleurs son immense fortune dans cette littérature. Mais commençons par les traits qui en marquent le caractère écrit. Et tout d'abord le grand soin apporté à la composition. En nous limitant aux Maqāmāt de Badī‘ al-Zamān al-Hamaḏānī59, nous constatons que les récits suivent un plan type en trois parties : une première partie, l'introduction, où ‘Īsā b. Hišām, le conteur, donne différentes précisions concernant la littérature, ou la géographie, ou une anecdote. Dans la seconde partie intervient un inconnu à la parole d'or. La troisième partie sera celle de la reconnaissance de l'inconnu, Abū-l-Fatḥ al-Iskandarī, le héros des maqāmāt et celui qui donne à la fin du récit la morale de l'histoire.

    53Tout ceci est organisé avec un grand soin, même si l'auteur prend certaines libertés avec ce plan-type. C'est ainsi que l'introduction, tout comme la troisième partie, peuvent être très brèves60, ou bien que l'une ou l'autre des parties peut être supprimée61. Autre exception, dans la septième maqāma, al-Ġaylāmiyya, qui met en scène la rencontre des poètes Ḏū-l-Rumma et Farazdaq, il n'y a pas d'intervention du héros des Maqāmāt, Abū-l-Fatḥ, dont le rôle est tenu par Ḏū-l-Rumma. De même dans de nombreuses autres maqāmāt, la reconnaissance d'Abū-l-Fatḥ n'est pas explicite62. Toutes ces libertés prises avec la structure de l'ensemble des maqāmāt n'enlèvent rien au soin avec lequel chacune d'elle est composée : séparation des parties, unité de chaque partie, maîtrise dans la conduite du récit.

    54A ce souci de rigueur dans la composition, propre à une composition de type écrit, vient s'ajouter un autre souci, celui du style. Le style des maqāmāt est extrêmement soigné. C'est même un exemple du style de la prose arabe. Même s'il se laisse aller parfois à une virtuosité purement formelle, il y a toute une philosophie de l'existence qui se fait jour à travers les récits et les morales qui en sont tirées par Abū-l-Fatḥ. Hamaḏānī ne dédaigne cependant pas la virtuosité ; il en est capable, aussi bien dans le domaine de la poésie et de son analyse stylistique63 que dans celui de la prose. Ainsi, dans l'étincelant dialogue de la seconde partie de la troisième maqāma, al-Balḫiyya, où un jeune homme survient et interroge ‘Īsā qui lui répond, le dialogue fait intervenir le sağ‘, tout un vocabulaire recherché, la concision des tournures. Bref, un morceau d'anthologie, qui se conclut par la description métaphorique du dinar, suivie de son éloge. Une telle maîtrise du style et de la langue relève de l'écriture, sans aucun doute. Hamaḏānī est parfaitement conscient de cette qualité de son style et il fait souvent allusion à des questions de pureté de langue64, ou à sa recherche linguistique65.

    55A cela s'ajoute, toujours en relation avec le style, le jugement critique de Hamaḏānī sur ses illustres prédécesseurs, Ğāḥiẓ et Ibn al-Muqaffa‘, les fondateurs de la littérature arabe en prose : sur l'éloquence de Ğāḥiẓ et sur la langue effilée d'Ibn al-Muqaffa‘. Puis la conversation s'arrêtant sur Ğāḥiẓ, un dialogue s'engage qui est une véritable critique du style du grand écrivain de Basra : le conteur et les auditeurs (qui représentent ici l'opinion commune) ayant fait l'éloge de l'éloquence de Ğāḥiẓ et de sa pratique de la langue pure, le jeune homme qui s'est joint à eux se lance dans une critique précise qui revient à reléguer Ğāḥiẓ dans son siècle et à montrer ses limites en fonction des critères actuels :

    « “Pour chaque action, il y a des hommes, pour chaque situation le discours qui lui convient, pour chaque maison ses occupants, et à chaque époque son Ğāḥiẓ. Si vous exerciez votre jugement critique, vos opinions s'écrouleraient [...].Ğāḥiẓ fait sa cueillette à l'une des extrémités de la rhétorique et s'arrête à l'autre. L'homme éloquent n'est pas celui qui se cantonne à sa prose, c'est celui dont les vers ne déparent pas le discours. Connaissez-vous de beaux vers de Ğāḥiẓ ?” “Non”, lui répondîmes-nous. Il poursuivit : “Quant à son discours, il est très éloigné de toute image, il use peu de la métaphore, il colle à ses expressions, il est guidé par la platitude du langage qu'il utilise, il est ennemi de la difficulté qu'il néglige. Avez-vous déjà entendu de lui une phrase travaillée ? ou une parole originale qui n'ait déjà été dite ?” “Non”, fut notre réponse. “Désirez-vous, dit-il, entendre un beau discours ?” Il nous donna alors des vers de sa composition. »66

    56Le reproche de Hamaḏānī à Ğāḥiẓ sera donc de ne pas assez travailler son style et son expression, de ne pas recourir aux images et aux métaphores, mais d'en rester à la simplicité originelle de la langue. Le second reproche sera d'avoir donné son autonomie à la prose et de n'avoir pas considéré qu'un bon prosateur doit se doubler d'un bon poète. Ceci est très révélateur, chez Hamaḏānī, d'une conception de l'écriture qui reste indissolublement liée à l'oralité dans la mesure où la prose ne saurait subsister sans la poésie qui, dans la littérature arabe, est un des lieux privilégiés de l'oral. Et pourtant Ğāḥiẓ, comme nous l'avons relevé, a souvent agrémenté sa prose de citations poétiques : même si elles ne sont pas de lui, c'était verser son tribut à la poésie. Cela ne suffit pas à Hamaḏānī qui, à plusieurs reprises, dans ses maqāmāt, revient sur l'importance de la poésie67.

    57C'est sur ce point que l'on pourrait dire que des hommes comme Hamaḏānī n'ont effectivement pas osé suivre Ğāḥiẓ sur le chemin qu'il avait contribué à ouvrir, après Ibn al-Muqaffa‘, à la prose arabe : il lui reproche son originalité qui est d'avoir dit en prose ce qui était jusqu'alors réservé à la poésie. Pour Hamaḏānī, prose et vers sont inséparables et doivent se compléter. Une bonne prose ne peut être le fait que d'un bon poète. C'est, d'une certaine façon, dénier à l'écrit le statut d'autonomie et postuler que la littérature arabe, par sa partie poétique, reste indissociablement liée à l'oral.

    58Cette tendance à ne pas séparer l'écrit de l'oral se remarque également à d'autres traits des maqāmāt. Et tout d'abord le fait que les maqāmāt que nous avons commencent toutes, invariablement, à deux exceptions près, par une expression identique de style oral : « ‘Īsā b. Hišām nous a raconté ce qui suit. Il nous dit... »68 Ensuite, un autre trait est la brièveté des récits69, qui font entre une dizaine et une soixantaine de lignes pour la très grande majorité d'entre eux.

    59A ce critère purement externe, on peut en ajouter un autre qui relève du genre de la littérature orale, et qui est celui de la répétition sous forme de doublets : outre l'inspiration du poète par le démon qui vient d'être mentionnée70, on trouve en deux maqāmāt la description métaphorique du dinar71. L'un des doublets les plus frappants est fourni par les maqāmāt quatorze, al-Fazāriyya, et quarante-six, al-Mulūkiyya, qui toutes deux utilisent les mêmes phrases, les mêmes expressions, les mêmes images et les mêmes métaphores, avec quelques modifications dans l'ordre, pour décrire la même situation72. On peut signaler aussi la similitude de sujet des maqāmāt vingt-neuf, al-‘Irāqiyya, et quarante-cinq, al-Si‘riyya, qui toutes deux traitent de questions linguistiques et de poésie. Ceci, sans compter, à travers les autres maqāmāt, les vers ou les expressions semblables73. Cette réutilisation des mêmes éléments est une des caractéristiques du recours à des procédés relevant de l'oralité.

    60Il faut ajouter un trait beaucoup plus fondamental, qui marque le style lui-même. Nous disions que ce style était très soigné74. Non seulement il utilise un vocabulaire très riche, mais il met en œuvre images et métaphores, et recourt fréquemment aux assonances et au sağ‘ qui conviennent à la lecture à haute voix75. Et ce faisant, il conserve une caractéristique de la prose coranique, dont il fait une qualité essentielle de la prose littéraire : comme Hamaḏānī le laisse entendre par ses reproches à Ğāḥiẓ, la phrase arabe doit être travaillée, originale, difficile, recourir au sağ‘, et ne pas ignorer la poésie.

    61Cet idéal exprimé à la fin du ive/xe siècle est bien celui de la prose arabe tout au long de ce grand siècle littéraire, et il rend bien compte de celui qui prévalait au temps de Farabi et du contexte linguistique de la littérature de cette époque. La littérature arabe en prose, dans sa naissance comme dans son développement, reste marquée par un caractère oral particulier. Et même quand la spécificité de l'écrit est affirmée et développée, il reste que c'est une littérature qui revient toujours, par un biais ou l'autre, à l'oralité. Tel a été notre but dans les pages qui précèdent : non pas rendre compte de manière complète de la littérature arabe dans sa naissance et sa maturité, mais mettre en évidence certains traits qui vont dans le sens d'une valorisation de l'oral dans ses rapports à l'écrit.

    Notes de bas de page

    1 Sur Ibn Isḥāq (85/704-150/767), voir in E.I.2 la notice de J.M. B. Jones, III, p. 834a-835a.

    2 Sur Ibn al-Kalbī (120/737-204/819), voir Fihrist, p. 146-149, et la notice de W. Atallah in E.I.2, IV, p. 516b-517a, sub II. La première section du troisième chapitre du Fihrist est consacrée aux chroniqueurs, aux généalogistes, aux biographes, p. 136-173.

    3 Sur Ibn Sa‘d (168/784-230/845), voir la notice de J. W. Fück in E.I.2, IV, p. 946-947a.

    4 Sur Isḥāq b. Ḥunayn (7-298/910), voir G. Strohmaier, auteur de la notice dans E.I.2, IV, p. 115a-b.

    5 Sur al-Ṭabarī (224/839-311/923), voir Rosenthal, A history of Muslim Historiography, p. 71 sq. ; ou la notice de R. Paret dans la première édition de l’E.I.1, IV, p. 607a-608b.

    6 Il s'agit du grand polygraphe égyptien (849/1145-911/1505), auteur d'un ouvrage bio-bibliographique sur les grammairiens, Buġyat al-wu‘āt, ou des Ṭabaqāt al-ḥuffāẓ. Voir E.I., IV, p. 601-603, la notice de Brockelmann.

    7 Sur Ibn al-Qifṭī (568/1172-646/1248), voir la notice d'A. Dietrich in E.I.2, III, p. 864a.

    8 Sur Ibn Abī Uṣaybi‘a (590/1194-668/1270) et les ‘Uyūn al-anbā’ fī ṯabaqāt al-aṯibbā’, voir la notice de J. Vernet dans E.I.2, III, p. 715a-716a.

    9 Sur Ibn Ḫallikān (608/1211-681/1282), voir J. Fück in E.I.2, III, p. 856a-857a.

    10 On consultera avec intérêt l'ouvrage de F. Rosenthal, A History of Muslim Historiography, déjà mentionné plus haut, note 5.

    11 Lié sans doute à des préoccupations d'ordre juridique, comme le souligne M. G. Carter dans son article « Ṣarf et Ḫilāf, contribution à l'histoire de la grammaire arabe », in Arabica XX, 3 (1973), p. 300-301.

    12 On se référera avec profit à la très suggestive synthèse présentée par Charles Pellat : « La prose arabe à Bagdad », in Arabica IX, 3 (1962), volume spécial sur Bagdad, p. 407-418.

    13 Voir plus haut, p. 31, note 53.

    14 Voir plus loin, p. 249, note 89.

    15 Voir plus haut, p. 83, note 2.

    16 Fihrist, p. 174-206 : Aḫbār al-mulūk wa-l-kuttāb wa-l-mutarassilīn wa a‘māl al-ḫarāğ wa aṣḥāb al-dawāwīn wa asmā’ kutubihim. La troisième section concerne la littérature de type poétique avec, en particulier, le genre chanson, les aġānī.

    17 Tasmiyat al-kuttāb al-mutarassilīn mimman li-rasā’ilihi kitāb mağmū‘. Fihrist, p. 176.

    18 ‘Abd al-Ḥamīd b. Yaḥyā, p. 176. Sur cet auteur, voir la notice de H. A. R. Gibb, in E.I.2, I, p. 67-68.

    19 Rééditée par Muḥammad Kurd ‘Alī, in Rasā’il al-bulaġā’, p. 173-226.

    20 Fihrist, p. 182, mimman ruwiyat rasā’iluhu. Nous suivons ici l'interprétation de Bayard Dodge dans sa traduction anglaise, I, p. 266.

    21 Fihrist, p. 187.

    22 Fihrist, p. 188.

    23 Fihrist, p. 189.

    24 Fihrist, p. 189-206, avec en particulier un long développement sur Marzubānī (p. 196-199) et sur Abū Zayd al-Balḫī, et une notice sur Qudāma b. Ǧa‘far, respectivement p. 204-205, et p. 194.

    25 Fihrist, p. 186.

    26 Nous nous rallions aux conclusions de Pellat dans son introduction à l'édition et à la traduction de la Risāla : Ibn al-Muqaffa‘, "conseilleur du Calife", p. 1-2.

    27 Édition Pellat, introduction, p. 4.

    28 Risāla, p. 32-33.

    29 Risāla, p. 22-25.

    30 Risāla, p. 34-35.

    31 Risāla, p. 58-60.

    32 Risāla, p. 42-45, § 36.

    33 Voir E.I.1, II, p. 1112b, « Ḳiyās », par Wensinck, et « Abū Ḥanīfa », par Schacht, in E.I.2, I, p. 126b. Sur ce passage d'Ibn al-Muqaffa‘, voir l'analyse très pertinente qu'en donne Schacht dans son Introduction au Droit Musulman, p. 53.

    34 Risāla, p. 30-31, § 19 et 20, dont voici le texte, dans la traduction qu'en donne Pellat : « Cependant, si la religion qui nous est venue de Dieu n'avait rien laissé dans l'ombre, si tous les cas d'espèce, les mesures et les décisions, tout ce qui peut se produire et apparaître chez les hommes entre le jour où Dieu a envoyé son Prophète et celui où ils le rencontreront, avaient fait l'objet d'une disposition révélée, ils auraient eu à porter une charge excessive, ils se seraient sentis à l'étroit dans leur religion, ils auraient reçu des enseignements trop détaillés pour que leurs oreilles pussent les entendre et leur cœur les comprendre ; leur raison et leur esprit seraient restés perplexes, car ces deux instruments dont Dieu les a particulièrement dotés auraient été inutiles ; ils n'en auraient eu nul besoin et ne les auraient exercés que sur des questions déjà réglées par une révélation. Mais Dieu s'est borné à leur faire la grâce d'une religion que leur esprit n'aurait pas été capable de concevoir seul, ainsi que l'ont reconnu les pieux adorateurs d'Allah quand ils ont dit : “Nous n'aurions pas été à même de nous diriger si Dieu ne nous avait pas dirigés.” »
    « Ensuite, Dieu a laissé à l'opinion personnelle toute latitude pour inspirer les décisions et les mesures qui n'entrent pas dans ce cadre général, mais il en a réservé l'usage aux seuls détenteurs du pouvoir, le peuple n'ayant à cet égard d'autre droit que celui de conseiller quand on le consulte, de répondre quand on l'appelle et de donner en secret des avis sincères. »
    On retrouve ici des accents du Préambule de Barzawayh qui précède Kalīla wa Dimna.

    35 Risāla, p. 44-47, § 39-40.

    36 F. Gabrieli, article « Ibn al-Muḳaffa‘ », in E.I.2, III, p. 908b. Ce n'est qu'avec les mu‘tazilites que la raison pourra revendiquer sa supériorité.

    37 Édition critique Muḥammad al-Dālī. Beyrouth, 1982, p. 5-20.

    38 Ibn Qutayba, Adab al-kātib, p. 6, 2-5. Quand le cas se présente, nous avons recours à la traduction proposée par G. Lecomte des principaux passages de cette Préface dans « L'introduction du Kitāb adab al-kātib d'Ibn Qutayba », in Mélanges Massignon, III, p. 45-64. Pour ce passage, voir p. 50.

    39 Ibn Qutayba, Adab al-kātib, p. 6, 14-7, 4.

    40 Ibn Qutayba, Adab al-kātib, p. 7, 4 à 9, 1. La critique de l'argumentation porte sur l'affirmation : la réflexion commence avec la fin de l'action et l'action commence avec la fin de la réflexion. Muḥammad b. Ǧahm l'illustre avec la construction d'une maison et le mouvement qui va du toit aux fondations. On retrouvera dans le Kitāb al-ḥurūf de Farabi, § 41, p. 85, 14-15 et § 106, p. 129, 6 sq., une utilisation du même exemple de la maison, du sol à la terrasse, ou du mur et de sa base. Sur Muḥammad b. Ğahm, cf. Pellat, Milieu basrien, p. 67, et l'article de Lecomte sur « Adab al-kātib » in Mélanges Massignon, III, p. 56.

    41 Ibn Qutayba, Adab al-kātib, p. 6, 7-9, Lecomte, trad., p. 51.

    42 Ibn Qutayba, Adab al-kātib, p. 16, 5-14, trad. Lecomte, p. 61. « De telles outrances de langage étaient déjà considérées comme lourdes lorsque l'adab était encore dans toute sa fraîcheur, et que le temps n'avait encore rien gâté : on mettait alors son point d'honneur à parler une langue correcte et on rivalisait en science, et on pensait que cela venait après la capacité à saisir ce que l'on recherchait et à atteindre ce que l'on espérait. Quel renversement aujourd'hui. Le Prophète a d'ailleurs dit : “Ceux d'entre vous qui me sont le plus haïssables sont les bavards, ceux qui parlent trop et les volubiles.” » Le ḥadīṯ que cite Ibn Qutayba est rapporté par Tirmiḏī dans son Ṣaḥīḥ, Kitāb al-birr, ch. 71, et par Ibn Ḥanbal dans son Musnad, IV, p. 193-194.

    43 « Nous lui recommandons encore de hiérarchiser les termes de ses lettres, en les adaptant au rang de celui qui envoie la lettre comme à celui du destinataire. Il ne devra pas adresser aux petites gens des termes nobles, ni aux personnages importants des termes vulgaires. J'ai constaté que les secrétaires négligeaient cette règle dans leurs épîtres et mélangeaient tout sans faire de distinction [...]. Il arrive que le secrétaire commence sa lettre en disant : “Que Dieu te traite généreusement !”, ou “Que Dieu te préserve !” Puis, lorsqu'il arrive au milieu de la lettre et qu'il a énuméré les torts du destinataire, il lui dit : “Que Dieu te maudisse et qu'il t'avilisse !” Comment pourrait-il à la fois traiter généreusement, maudire et avilir ? » Adab al-kātib, p. 18, 3-6, et p. 19, 1-4. Trad. Lecomte, p. 19.

    44 Ibn Qutayba cite ensuite des exemples de périphrases et poursuit : « Cet homme vivait pendant une période brillante et était doué d'une vaste culture dans les sciences et dans la langue ; on ne pouvait donc lui reprocher, dans l'exercice de son métier de kātib, que de délaisser les mots faciles et les idées courantes. » Sur cette différence écrit-oral, cf. Aristote, Rhétorique, III, 12, 1413b, 8-22.

    45 Voir Fück, ‘Arabiya, p. 87, 91 et 113.

    46 ‘Uyūn al-aḫbār, I, p. mīm-nūn. Cité par Lecomte, Ibn Qutayba, p. 435. Dans sa Préface du Kitāb al-ši‘r wa-l-šu‘arā’ (Introduction au Livre de la Poésie et des Poètes, édition et traduction Gaudefroy-Demombynes, p. 20), Ibn Qutayba revient sur ce problème des rapports de l'écrit et de l'oral, mais dans une toute autre perspective, celle de la transmission des sciences, et dans un tout autre contexte, celui de la littérature poétique. Dans ce cas, la transmission orale s'impose nécessairement pour compléter ce qui manque à l'écrit : « Toute science doit être transmise oralement, et ce besoin n'est nulle part si grand que pour la science de la religion, et après elle, pour la poésie, à cause des expressions rares qui s'y trouvent, des variétés dialectales, du langage insolite, des noms des arbres, des plantes, des lieux et des points d'eau. Vous serez incapable, si vous ne les avez pas entendu prononcer par quelqu'un, de distinguer, dans le vers de Huḏayl, entre Šāba et Sāya qui sont deux noms de lieu, ni d'être sûr de comprendre ce que sont : le sol rocheux de Nubāyi‘ [...], car ce ne sont point choses que l'on résout par la pénétration ou la finesse de l'esprit comme on résout la dérivation d'un mot rare. On lisait un jour, dans le cercle d'al-Aṣma‘ī, cet hémistiche d'un vers d'Abū Ḏu’ayb : “Au fond du vallon de Ḏāt al-Dayr, son petit resta seul égaré.” “Erreur complète, ô lecteur”, s'écria un bédouin qui était dans l'assistance. “C'est Ḏāt al-Dabr, un col de chez nous.” Et par la suite, al-Aṣma‘ī adopta cette lecture. » On notera, à la lecture de ce passage, que les exemples d'Ibn Qutayba ne se comprennent que si l'on considère que l'on a à faire encore à une scriptio relativement “defectiva” et que c'est l'absence de certains points diacritiques qui explique l'erreur du lecteur non informé par une transmission orale.

    47 Ibn Qutayba, Adab al-kātib, p. 11, 13 à p. 12, 5 ; trad. Lecomte, p. 58.

    48 Kalīla wa Dimna, édition arabe de Beyrouth, p. 51, 1. 8 sq.

    49 Wa qad katabnā laka aḥādīṯ kaṯīra muḍāfa ilā arbābihā wa aḥādīṯ kaṯīra ġayr muḍāfa ilā arbābihā. Kitāb al-buḫalā’, éd. Hārūn, p. 8, 6-7.

    50 On remarquera en particulier la fréquence du recours aux citations de vers qui sont un indice d'une grande diffusion orale des connaissances poétiques à cette époque, alors que ces mêmes vers posent aujourd'hui à l'éditeur des problèmes insolubles du fait de « la multiplicité des variantes et de l'impossibilité quasi absolue de restituer l'original [...] ». Pellat, Le livre des Avares de Ğāḥiẓ, introd., p. II. Le jugement de W. Marçais par lequel Pellat conclut cette introduction met en relief des traits qui, pour nous, rejoignent les caractéristiques d'une littérature encore très marquée par l'oral (c'est nous qui soulignons) : « Le Livre des Avares dénote chez son auteur le goût de l'observation, l'amour du détail précis et typique, et, qui mieux est, un certain penchant pour l'analyse psychologique. Qu'il s'y fût joint un peu d'imagination créatrice, quelque aptitude à inventer une intrigue dont ces anecdotes et ces petits portraits eussent rempli le canevas, le roman, ou du moins la nouvelle, pouvait naître. Par ailleurs, une absence complète de composition, des redites, des digressions, un dernier chapitre de quarante pages qui n'a qu'un très lointain rapport avec le reste de l'ouvrage ; tout le désordre d'un homme spirituel et curieux, et fort érudit, qui, par impuissance peut-être à se discipliner, s'est fait une règle, il l'a dit et redit, du bavardage à bâtons rompus ; et qui, trop persuadé que l'ennui naquit un jour de l'uniformité, a élevé le coq-à-l'âne à la hauteur d'un principe littéraire » (p. VIII-IX).

    51 Sur Abū-l-Farağ al-Iṣbahānī (284/897-356/967), voir E.I.2, I, p. 121b-122a.

    52 Mas‘ūdī, Murūğ al-ḏahab, éd. et trad. Barbier de Meynard, IV, p. 89-90.

    53 Et si ce rôle de conteur disparaît rapidement, au cours de ces dernières décennies, dans les sociétés marquées par le mode de vie occidental, ce n'est pas parce que l'écrit a conquis de nouveaux publics, loin de lā. Les gens ne lisent sans doute pas plus qu'avant, et peut-être moins. C'est que les sollicitations diverses qui s'offrent au public ne laissent plus le temps, le champ, le loisir à la narration et au conte, et ceci aussi bien pour la création que pour l'audition. Et seule l'audition pourrait susciter de nouveaux conteurs et empêcher le tarissement de ce genre de création.

    54 Les chapitres précédents, après ceux que nous avons mentionnés au début de ce chapitre, p. 83, sont consacrés au kalām, au fiqh et à la philosophie.

    55 Comme les bouffons, ou des personnages comme Ǧuḥā ou des sujets erotiques ou la physiognomonie, les chevaux, les armes, les sciences vétérinaires, les sermonnaires, la cuisine, les poisons, les charmes et les amulettes, etc., ou, dans la troisième section, les Sabéens, les Alchimistes.

    56 Fihrist, p. 436, 15- p. 437, 4.

    57 Voir plus haut p. 101-102.

    58 « Une bonne partie des contes dans les Mille et Une Nuits sont des récits à cadre, structure bien connue, qui peut se définir comme un tout composé de deux parties : un conte, ou des contes, racontés par un personnage ou des personnages, dans un autre conte de dimensions plus petites et d'intérêt subordonné, lequel renferme donc le premier comme un cadre renferme une peinture. » M. I. Gerhardt, « La technique du récit à cadre dans les 1 001 Nuits », in Arabica, VIII, 2 (1961), p. 137.

    59 Hamaḏānī : né en 358/968 à Hamaḏān et mort en 398/1008 à Hirāt.

    60 Ainsi par exemple dans la neuvième maqāma, al-ğurğāniyya, l'introduction fait à peine plus d'une ligne, et la troisième partie, la "reconnaissance", même pas une.

    61 Ainsi dans la douzième maqāma, al-Baġdādiyya, il n'y a qu'une seule partie, qui est le récit de ‘Īsā. Dans la treizième maqāma, al-Baṣrīyya, il n'y a que les deux premières parties et pas de troisième consacrée à la reconnaissance.

    62 Par exemple dans la maqāma onze, al-Ahwāziyya, Abū-l-Fatḥ n'est pas nommé ; dans d'autres, le procédé de la reconnaissance est modifié, dans la mesure où Abū-l-Fatḥ est nommé dès le début, ou en cours de récit, comme dans les maqāmāt 21, al-Mawṣiliyya, 22, al-Maḍīriyya, 37, al-Armāniyya, 42, al-Waṣiyya, 44, al-Dīnāriyya, 46, al-Mulūkiyya, 50, al-Ḫamriyya.

    63 Voir la maqāma quarante-cinq, al-Ši‘riyya, où un jeune homme pose à ses auditeurs un grand nombre de questions d'érudition rhétorique, sur des vers dont les šaṭr-s ont des propriétés variées, et où il fait l'exégèse de certaines de ses questions en proposant une réponse.

    64 C'est ainsi qu'au début de la vingt-deuxième maqāma, al-Maḍīriyya, il décrit ainsi son héros : « Abū-l-Fatḥ al-Iskandarī, homme à la langue pure (faṣāḥa), il l'appelle et elle lui répond ; homme d'éloquence, il lui commande et elle lui obéit. »

    65 Ainsi, au début de la seizième maqāma, al-Makfūfiyya, quand ‘Īsā b. Hišām déclare : « Je traversais des régions de la province d'Ahwāz, en quête de termes étranges que je chassais ou de paroles éloquentes pour en faire provision. » Édition de Beyrouth, p. 78, 2-3.

    66 Édition de Beyrouth, p. 75, 4 ; p. 76, 5.

    67 Voir, par exemple, la quatorzième maqāma, al-Fazāriyya, éd. Beyrouth, p. 70 : « fa-ayna ši‘ruka min kalāmika ? » ; voir aussi la vingt-neuvième maqāma, al-‘Irāqiyya, p. 143 : « Existe-t-il un vers de louange des Arabes dont le destinataire n'ait été rendu célèbre ? » ; ou la trente-sixième maqāma, tout entière traversée de poésie arabe, et où Satan (Abū Murra) déclare : « Je suis Satan, il y a toujours l'un d'entre nous pour aider tout poète ; c'est moi qui ai dicté à Ǧarīr la qaṣīda que j'ai déclamée. » Maqāma 36, al-Iblīsiyya, p. 184, 6-8.

    68 Ḥaddaṯanā ‘Īsā b. Hišām qāla ; les deux exceptions concernent la septième maqāma, al-Ġaylāniyya, qui substitue ḥaddaṯanī à ḥaddaṯanā, et la huitième, al-Aḏirbiğāniyya, qui simplifie : qāla ‘Īsā b. Hišām ; cela, dans l'un et l'autre cas, ne modifie pas le caractère oral de l'expression.

    69 La plus longue des maqāmāt étant la maqāma vingt-deux, al-Maḍīriyya, qui, dans l'édition de Beyrouth, fait 134 lignes, suivie par la Ṣaymariyya (43), qui fait 105 lignes, et les quatre maqāmāt, al-Asadiyya (6), al-Wa‘ẓiyya (27), al-‘Irāqiyya (29) et al-Bašariyya (52), qui font entre 75 et 80 lignes.

    70 Voir plus haut, note 67.

    71 Maqāma 3, al-Balḫiyya, et maqāma 47, al-Ṣufriyya, éd. Beyrouth, p. 16 et 231.

    72 Voir éd. de Beyrouth, p. 68, 6-69, 5, et p. 228, 3-229, 1.

    73 Voir les deux vers finaux, quasi identiques, dans les maqāmāt 15, al-Ğāḥiẓiyya, et 41, al-‘Ilmiyya, éd. de Beyrouth, p. 77 et 203 ; ou des expressions semblables ou même identiques dans les maqāmāt 6, al-Asadiyya, et 7, al-Ġaylāniyya, p. 30, 5, et p. 39, 7-8 ; ou dans les maqāmāt 7, al-Ġaylāniyya, et 14, al-Fazāriyya, p. 39, 7-8, et p. 68, 2-3 ; ou dans les maqāmāt 19, al-Sasāniyya, et 25, al-Mağā‘iyya, p. 93, 1-3, et p. 127, 7-8, etc.

    74 Voir plus haut, p. 105.

    75 Voir par exemple p. 73, 8 ; p. 75, 4-5 et 11 ; p. 79, 2-3 ; p. 98, 7 ; p. 99, 1 ; p. 202, 6-8, etc.

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.

    Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

    Voir plus de livres
    Armées et combats en Syrie de 491/1098 à 569/1174

    Armées et combats en Syrie de 491/1098 à 569/1174

    Analyse comparée des chroniques médiévales latines et arabes

    Abbès Zouache

    2008

    La ville arabe, Alep, à l’époque ottomane

    La ville arabe, Alep, à l’époque ottomane

    (XVIe-XVIIIe siècles)

    André Raymond

    1998

    Les cadis d'Iraq et l'État Abbasside (132/750-334/945)

    Les cadis d'Iraq et l'État Abbasside (132/750-334/945)

    Mathieu Tillier

    2009

    Fondations pieuses en mouvement

    Fondations pieuses en mouvement

    De la transformation du statut de propriété des biens waqfs à Jérusalem (1858-1917)

    Musa Sroor

    2010

    La grande peste en Espagne musulmane au XIVe siècle

    La grande peste en Espagne musulmane au XIVe siècle

    Le récit d’un contemporain de la pandémie du XIVe siècle

    Aḥmad bin ‘Alī bin Muḥammad Ibn Ḫātima[Abū Ǧa‘far Ibn Ḫātima al-Anṣārī] Suzanne Gigandet (éd.)

    2010

    Les stratégies narratives dans la recension damascène de Sīrat al-Malik al-Ẓāhir Baybarṣ

    Les stratégies narratives dans la recension damascène de Sīrat al-Malik al-Ẓāhir Baybarṣ

    Francis Guinle

    2011

    La gent d’État dans la société ottomane damascène

    La gent d’État dans la société ottomane damascène

    Les ‘askar à la fin du xviie siècle

    Colette Establet et Jean-Paul Pascual

    2011

    Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité

    Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité

    Ahmed Bouyerdene, Éric Geoffroy et Setty G. Simon-Khedis (dir.)

    2012

    Le soufisme en Égypte et en Syrie

    Le soufisme en Égypte et en Syrie

    Sous les derniers mamelouks et les premiers ottomans. Orientations spirituelles et enjeux culturels

    Éric Geoffroy

    1996

    Les maîtres soufis et leurs disciples des IIIe-Ve siècles de l'hégire (IXe-XIe)

    Les maîtres soufis et leurs disciples des IIIe-Ve siècles de l'hégire (IXe-XIe)

    Enseignement, formation et transmission

    Geneviève Gobillot et Jean-Jacques Thibon (dir.)

    2012

    France, Syrie et Liban 1918-1946

    France, Syrie et Liban 1918-1946

    Les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire

    Nadine Méouchy (dir.)

    2002

    Études sur les villes du Proche-Orient XVIe-XIXe siècles

    Études sur les villes du Proche-Orient XVIe-XIXe siècles

    Hommage à André Raymond

    Brigitte Marino (dir.)

    2001

    Voir plus de livres
    1 / 12
    Armées et combats en Syrie de 491/1098 à 569/1174

    Armées et combats en Syrie de 491/1098 à 569/1174

    Analyse comparée des chroniques médiévales latines et arabes

    Abbès Zouache

    2008

    La ville arabe, Alep, à l’époque ottomane

    La ville arabe, Alep, à l’époque ottomane

    (XVIe-XVIIIe siècles)

    André Raymond

    1998

    Les cadis d'Iraq et l'État Abbasside (132/750-334/945)

    Les cadis d'Iraq et l'État Abbasside (132/750-334/945)

    Mathieu Tillier

    2009

    Fondations pieuses en mouvement

    Fondations pieuses en mouvement

    De la transformation du statut de propriété des biens waqfs à Jérusalem (1858-1917)

    Musa Sroor

    2010

    La grande peste en Espagne musulmane au XIVe siècle

    La grande peste en Espagne musulmane au XIVe siècle

    Le récit d’un contemporain de la pandémie du XIVe siècle

    Aḥmad bin ‘Alī bin Muḥammad Ibn Ḫātima[Abū Ǧa‘far Ibn Ḫātima al-Anṣārī] Suzanne Gigandet (éd.)

    2010

    Les stratégies narratives dans la recension damascène de Sīrat al-Malik al-Ẓāhir Baybarṣ

    Les stratégies narratives dans la recension damascène de Sīrat al-Malik al-Ẓāhir Baybarṣ

    Francis Guinle

    2011

    La gent d’État dans la société ottomane damascène

    La gent d’État dans la société ottomane damascène

    Les ‘askar à la fin du xviie siècle

    Colette Establet et Jean-Paul Pascual

    2011

    Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité

    Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité

    Ahmed Bouyerdene, Éric Geoffroy et Setty G. Simon-Khedis (dir.)

    2012

    Le soufisme en Égypte et en Syrie

    Le soufisme en Égypte et en Syrie

    Sous les derniers mamelouks et les premiers ottomans. Orientations spirituelles et enjeux culturels

    Éric Geoffroy

    1996

    Les maîtres soufis et leurs disciples des IIIe-Ve siècles de l'hégire (IXe-XIe)

    Les maîtres soufis et leurs disciples des IIIe-Ve siècles de l'hégire (IXe-XIe)

    Enseignement, formation et transmission

    Geneviève Gobillot et Jean-Jacques Thibon (dir.)

    2012

    France, Syrie et Liban 1918-1946

    France, Syrie et Liban 1918-1946

    Les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire

    Nadine Méouchy (dir.)

    2002

    Études sur les villes du Proche-Orient XVIe-XIXe siècles

    Études sur les villes du Proche-Orient XVIe-XIXe siècles

    Hommage à André Raymond

    Brigitte Marino (dir.)

    2001

    Accès ouvert

    Accès ouvert freemium

    ePub

    PDF

    PDF du chapitre

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque

    Acheter

    Édition imprimée

    • amazon.fr
    • mollat.com
    • leslibraires.fr
    • placedeslibraires.fr
    ePub / PDF

    1 Sur Ibn Isḥāq (85/704-150/767), voir in E.I.2 la notice de J.M. B. Jones, III, p. 834a-835a.

    2 Sur Ibn al-Kalbī (120/737-204/819), voir Fihrist, p. 146-149, et la notice de W. Atallah in E.I.2, IV, p. 516b-517a, sub II. La première section du troisième chapitre du Fihrist est consacrée aux chroniqueurs, aux généalogistes, aux biographes, p. 136-173.

    3 Sur Ibn Sa‘d (168/784-230/845), voir la notice de J. W. Fück in E.I.2, IV, p. 946-947a.

    4 Sur Isḥāq b. Ḥunayn (7-298/910), voir G. Strohmaier, auteur de la notice dans E.I.2, IV, p. 115a-b.

    5 Sur al-Ṭabarī (224/839-311/923), voir Rosenthal, A history of Muslim Historiography, p. 71 sq. ; ou la notice de R. Paret dans la première édition de l’E.I.1, IV, p. 607a-608b.

    6 Il s'agit du grand polygraphe égyptien (849/1145-911/1505), auteur d'un ouvrage bio-bibliographique sur les grammairiens, Buġyat al-wu‘āt, ou des Ṭabaqāt al-ḥuffāẓ. Voir E.I., IV, p. 601-603, la notice de Brockelmann.

    7 Sur Ibn al-Qifṭī (568/1172-646/1248), voir la notice d'A. Dietrich in E.I.2, III, p. 864a.

    8 Sur Ibn Abī Uṣaybi‘a (590/1194-668/1270) et les ‘Uyūn al-anbā’ fī ṯabaqāt al-aṯibbā’, voir la notice de J. Vernet dans E.I.2, III, p. 715a-716a.

    9 Sur Ibn Ḫallikān (608/1211-681/1282), voir J. Fück in E.I.2, III, p. 856a-857a.

    10 On consultera avec intérêt l'ouvrage de F. Rosenthal, A History of Muslim Historiography, déjà mentionné plus haut, note 5.

    11 Lié sans doute à des préoccupations d'ordre juridique, comme le souligne M. G. Carter dans son article « Ṣarf et Ḫilāf, contribution à l'histoire de la grammaire arabe », in Arabica XX, 3 (1973), p. 300-301.

    12 On se référera avec profit à la très suggestive synthèse présentée par Charles Pellat : « La prose arabe à Bagdad », in Arabica IX, 3 (1962), volume spécial sur Bagdad, p. 407-418.

    13 Voir plus haut, p. 31, note 53.

    14 Voir plus loin, p. 249, note 89.

    15 Voir plus haut, p. 83, note 2.

    16 Fihrist, p. 174-206 : Aḫbār al-mulūk wa-l-kuttāb wa-l-mutarassilīn wa a‘māl al-ḫarāğ wa aṣḥāb al-dawāwīn wa asmā’ kutubihim. La troisième section concerne la littérature de type poétique avec, en particulier, le genre chanson, les aġānī.

    17 Tasmiyat al-kuttāb al-mutarassilīn mimman li-rasā’ilihi kitāb mağmū‘. Fihrist, p. 176.

    18 ‘Abd al-Ḥamīd b. Yaḥyā, p. 176. Sur cet auteur, voir la notice de H. A. R. Gibb, in E.I.2, I, p. 67-68.

    19 Rééditée par Muḥammad Kurd ‘Alī, in Rasā’il al-bulaġā’, p. 173-226.

    20 Fihrist, p. 182, mimman ruwiyat rasā’iluhu. Nous suivons ici l'interprétation de Bayard Dodge dans sa traduction anglaise, I, p. 266.

    21 Fihrist, p. 187.

    22 Fihrist, p. 188.

    23 Fihrist, p. 189.

    24 Fihrist, p. 189-206, avec en particulier un long développement sur Marzubānī (p. 196-199) et sur Abū Zayd al-Balḫī, et une notice sur Qudāma b. Ǧa‘far, respectivement p. 204-205, et p. 194.

    25 Fihrist, p. 186.

    26 Nous nous rallions aux conclusions de Pellat dans son introduction à l'édition et à la traduction de la Risāla : Ibn al-Muqaffa‘, "conseilleur du Calife", p. 1-2.

    27 Édition Pellat, introduction, p. 4.

    28 Risāla, p. 32-33.

    29 Risāla, p. 22-25.

    30 Risāla, p. 34-35.

    31 Risāla, p. 58-60.

    32 Risāla, p. 42-45, § 36.

    33 Voir E.I.1, II, p. 1112b, « Ḳiyās », par Wensinck, et « Abū Ḥanīfa », par Schacht, in E.I.2, I, p. 126b. Sur ce passage d'Ibn al-Muqaffa‘, voir l'analyse très pertinente qu'en donne Schacht dans son Introduction au Droit Musulman, p. 53.

    34 Risāla, p. 30-31, § 19 et 20, dont voici le texte, dans la traduction qu'en donne Pellat : « Cependant, si la religion qui nous est venue de Dieu n'avait rien laissé dans l'ombre, si tous les cas d'espèce, les mesures et les décisions, tout ce qui peut se produire et apparaître chez les hommes entre le jour où Dieu a envoyé son Prophète et celui où ils le rencontreront, avaient fait l'objet d'une disposition révélée, ils auraient eu à porter une charge excessive, ils se seraient sentis à l'étroit dans leur religion, ils auraient reçu des enseignements trop détaillés pour que leurs oreilles pussent les entendre et leur cœur les comprendre ; leur raison et leur esprit seraient restés perplexes, car ces deux instruments dont Dieu les a particulièrement dotés auraient été inutiles ; ils n'en auraient eu nul besoin et ne les auraient exercés que sur des questions déjà réglées par une révélation. Mais Dieu s'est borné à leur faire la grâce d'une religion que leur esprit n'aurait pas été capable de concevoir seul, ainsi que l'ont reconnu les pieux adorateurs d'Allah quand ils ont dit : “Nous n'aurions pas été à même de nous diriger si Dieu ne nous avait pas dirigés.” »
    « Ensuite, Dieu a laissé à l'opinion personnelle toute latitude pour inspirer les décisions et les mesures qui n'entrent pas dans ce cadre général, mais il en a réservé l'usage aux seuls détenteurs du pouvoir, le peuple n'ayant à cet égard d'autre droit que celui de conseiller quand on le consulte, de répondre quand on l'appelle et de donner en secret des avis sincères. »
    On retrouve ici des accents du Préambule de Barzawayh qui précède Kalīla wa Dimna.

    35 Risāla, p. 44-47, § 39-40.

    36 F. Gabrieli, article « Ibn al-Muḳaffa‘ », in E.I.2, III, p. 908b. Ce n'est qu'avec les mu‘tazilites que la raison pourra revendiquer sa supériorité.

    37 Édition critique Muḥammad al-Dālī. Beyrouth, 1982, p. 5-20.

    38 Ibn Qutayba, Adab al-kātib, p. 6, 2-5. Quand le cas se présente, nous avons recours à la traduction proposée par G. Lecomte des principaux passages de cette Préface dans « L'introduction du Kitāb adab al-kātib d'Ibn Qutayba », in Mélanges Massignon, III, p. 45-64. Pour ce passage, voir p. 50.

    39 Ibn Qutayba, Adab al-kātib, p. 6, 14-7, 4.

    40 Ibn Qutayba, Adab al-kātib, p. 7, 4 à 9, 1. La critique de l'argumentation porte sur l'affirmation : la réflexion commence avec la fin de l'action et l'action commence avec la fin de la réflexion. Muḥammad b. Ǧahm l'illustre avec la construction d'une maison et le mouvement qui va du toit aux fondations. On retrouvera dans le Kitāb al-ḥurūf de Farabi, § 41, p. 85, 14-15 et § 106, p. 129, 6 sq., une utilisation du même exemple de la maison, du sol à la terrasse, ou du mur et de sa base. Sur Muḥammad b. Ğahm, cf. Pellat, Milieu basrien, p. 67, et l'article de Lecomte sur « Adab al-kātib » in Mélanges Massignon, III, p. 56.

    41 Ibn Qutayba, Adab al-kātib, p. 6, 7-9, Lecomte, trad., p. 51.

    42 Ibn Qutayba, Adab al-kātib, p. 16, 5-14, trad. Lecomte, p. 61. « De telles outrances de langage étaient déjà considérées comme lourdes lorsque l'adab était encore dans toute sa fraîcheur, et que le temps n'avait encore rien gâté : on mettait alors son point d'honneur à parler une langue correcte et on rivalisait en science, et on pensait que cela venait après la capacité à saisir ce que l'on recherchait et à atteindre ce que l'on espérait. Quel renversement aujourd'hui. Le Prophète a d'ailleurs dit : “Ceux d'entre vous qui me sont le plus haïssables sont les bavards, ceux qui parlent trop et les volubiles.” » Le ḥadīṯ que cite Ibn Qutayba est rapporté par Tirmiḏī dans son Ṣaḥīḥ, Kitāb al-birr, ch. 71, et par Ibn Ḥanbal dans son Musnad, IV, p. 193-194.

    43 « Nous lui recommandons encore de hiérarchiser les termes de ses lettres, en les adaptant au rang de celui qui envoie la lettre comme à celui du destinataire. Il ne devra pas adresser aux petites gens des termes nobles, ni aux personnages importants des termes vulgaires. J'ai constaté que les secrétaires négligeaient cette règle dans leurs épîtres et mélangeaient tout sans faire de distinction [...]. Il arrive que le secrétaire commence sa lettre en disant : “Que Dieu te traite généreusement !”, ou “Que Dieu te préserve !” Puis, lorsqu'il arrive au milieu de la lettre et qu'il a énuméré les torts du destinataire, il lui dit : “Que Dieu te maudisse et qu'il t'avilisse !” Comment pourrait-il à la fois traiter généreusement, maudire et avilir ? » Adab al-kātib, p. 18, 3-6, et p. 19, 1-4. Trad. Lecomte, p. 19.

    44 Ibn Qutayba cite ensuite des exemples de périphrases et poursuit : « Cet homme vivait pendant une période brillante et était doué d'une vaste culture dans les sciences et dans la langue ; on ne pouvait donc lui reprocher, dans l'exercice de son métier de kātib, que de délaisser les mots faciles et les idées courantes. » Sur cette différence écrit-oral, cf. Aristote, Rhétorique, III, 12, 1413b, 8-22.

    45 Voir Fück, ‘Arabiya, p. 87, 91 et 113.

    46 ‘Uyūn al-aḫbār, I, p. mīm-nūn. Cité par Lecomte, Ibn Qutayba, p. 435. Dans sa Préface du Kitāb al-ši‘r wa-l-šu‘arā’ (Introduction au Livre de la Poésie et des Poètes, édition et traduction Gaudefroy-Demombynes, p. 20), Ibn Qutayba revient sur ce problème des rapports de l'écrit et de l'oral, mais dans une toute autre perspective, celle de la transmission des sciences, et dans un tout autre contexte, celui de la littérature poétique. Dans ce cas, la transmission orale s'impose nécessairement pour compléter ce qui manque à l'écrit : « Toute science doit être transmise oralement, et ce besoin n'est nulle part si grand que pour la science de la religion, et après elle, pour la poésie, à cause des expressions rares qui s'y trouvent, des variétés dialectales, du langage insolite, des noms des arbres, des plantes, des lieux et des points d'eau. Vous serez incapable, si vous ne les avez pas entendu prononcer par quelqu'un, de distinguer, dans le vers de Huḏayl, entre Šāba et Sāya qui sont deux noms de lieu, ni d'être sûr de comprendre ce que sont : le sol rocheux de Nubāyi‘ [...], car ce ne sont point choses que l'on résout par la pénétration ou la finesse de l'esprit comme on résout la dérivation d'un mot rare. On lisait un jour, dans le cercle d'al-Aṣma‘ī, cet hémistiche d'un vers d'Abū Ḏu’ayb : “Au fond du vallon de Ḏāt al-Dayr, son petit resta seul égaré.” “Erreur complète, ô lecteur”, s'écria un bédouin qui était dans l'assistance. “C'est Ḏāt al-Dabr, un col de chez nous.” Et par la suite, al-Aṣma‘ī adopta cette lecture. » On notera, à la lecture de ce passage, que les exemples d'Ibn Qutayba ne se comprennent que si l'on considère que l'on a à faire encore à une scriptio relativement “defectiva” et que c'est l'absence de certains points diacritiques qui explique l'erreur du lecteur non informé par une transmission orale.

    47 Ibn Qutayba, Adab al-kātib, p. 11, 13 à p. 12, 5 ; trad. Lecomte, p. 58.

    48 Kalīla wa Dimna, édition arabe de Beyrouth, p. 51, 1. 8 sq.

    49 Wa qad katabnā laka aḥādīṯ kaṯīra muḍāfa ilā arbābihā wa aḥādīṯ kaṯīra ġayr muḍāfa ilā arbābihā. Kitāb al-buḫalā’, éd. Hārūn, p. 8, 6-7.

    50 On remarquera en particulier la fréquence du recours aux citations de vers qui sont un indice d'une grande diffusion orale des connaissances poétiques à cette époque, alors que ces mêmes vers posent aujourd'hui à l'éditeur des problèmes insolubles du fait de « la multiplicité des variantes et de l'impossibilité quasi absolue de restituer l'original [...] ». Pellat, Le livre des Avares de Ğāḥiẓ, introd., p. II. Le jugement de W. Marçais par lequel Pellat conclut cette introduction met en relief des traits qui, pour nous, rejoignent les caractéristiques d'une littérature encore très marquée par l'oral (c'est nous qui soulignons) : « Le Livre des Avares dénote chez son auteur le goût de l'observation, l'amour du détail précis et typique, et, qui mieux est, un certain penchant pour l'analyse psychologique. Qu'il s'y fût joint un peu d'imagination créatrice, quelque aptitude à inventer une intrigue dont ces anecdotes et ces petits portraits eussent rempli le canevas, le roman, ou du moins la nouvelle, pouvait naître. Par ailleurs, une absence complète de composition, des redites, des digressions, un dernier chapitre de quarante pages qui n'a qu'un très lointain rapport avec le reste de l'ouvrage ; tout le désordre d'un homme spirituel et curieux, et fort érudit, qui, par impuissance peut-être à se discipliner, s'est fait une règle, il l'a dit et redit, du bavardage à bâtons rompus ; et qui, trop persuadé que l'ennui naquit un jour de l'uniformité, a élevé le coq-à-l'âne à la hauteur d'un principe littéraire » (p. VIII-IX).

    51 Sur Abū-l-Farağ al-Iṣbahānī (284/897-356/967), voir E.I.2, I, p. 121b-122a.

    52 Mas‘ūdī, Murūğ al-ḏahab, éd. et trad. Barbier de Meynard, IV, p. 89-90.

    53 Et si ce rôle de conteur disparaît rapidement, au cours de ces dernières décennies, dans les sociétés marquées par le mode de vie occidental, ce n'est pas parce que l'écrit a conquis de nouveaux publics, loin de lā. Les gens ne lisent sans doute pas plus qu'avant, et peut-être moins. C'est que les sollicitations diverses qui s'offrent au public ne laissent plus le temps, le champ, le loisir à la narration et au conte, et ceci aussi bien pour la création que pour l'audition. Et seule l'audition pourrait susciter de nouveaux conteurs et empêcher le tarissement de ce genre de création.

    54 Les chapitres précédents, après ceux que nous avons mentionnés au début de ce chapitre, p. 83, sont consacrés au kalām, au fiqh et à la philosophie.

    55 Comme les bouffons, ou des personnages comme Ǧuḥā ou des sujets erotiques ou la physiognomonie, les chevaux, les armes, les sciences vétérinaires, les sermonnaires, la cuisine, les poisons, les charmes et les amulettes, etc., ou, dans la troisième section, les Sabéens, les Alchimistes.

    56 Fihrist, p. 436, 15- p. 437, 4.

    57 Voir plus haut p. 101-102.

    58 « Une bonne partie des contes dans les Mille et Une Nuits sont des récits à cadre, structure bien connue, qui peut se définir comme un tout composé de deux parties : un conte, ou des contes, racontés par un personnage ou des personnages, dans un autre conte de dimensions plus petites et d'intérêt subordonné, lequel renferme donc le premier comme un cadre renferme une peinture. » M. I. Gerhardt, « La technique du récit à cadre dans les 1 001 Nuits », in Arabica, VIII, 2 (1961), p. 137.

    59 Hamaḏānī : né en 358/968 à Hamaḏān et mort en 398/1008 à Hirāt.

    60 Ainsi par exemple dans la neuvième maqāma, al-ğurğāniyya, l'introduction fait à peine plus d'une ligne, et la troisième partie, la "reconnaissance", même pas une.

    61 Ainsi dans la douzième maqāma, al-Baġdādiyya, il n'y a qu'une seule partie, qui est le récit de ‘Īsā. Dans la treizième maqāma, al-Baṣrīyya, il n'y a que les deux premières parties et pas de troisième consacrée à la reconnaissance.

    62 Par exemple dans la maqāma onze, al-Ahwāziyya, Abū-l-Fatḥ n'est pas nommé ; dans d'autres, le procédé de la reconnaissance est modifié, dans la mesure où Abū-l-Fatḥ est nommé dès le début, ou en cours de récit, comme dans les maqāmāt 21, al-Mawṣiliyya, 22, al-Maḍīriyya, 37, al-Armāniyya, 42, al-Waṣiyya, 44, al-Dīnāriyya, 46, al-Mulūkiyya, 50, al-Ḫamriyya.

    63 Voir la maqāma quarante-cinq, al-Ši‘riyya, où un jeune homme pose à ses auditeurs un grand nombre de questions d'érudition rhétorique, sur des vers dont les šaṭr-s ont des propriétés variées, et où il fait l'exégèse de certaines de ses questions en proposant une réponse.

    64 C'est ainsi qu'au début de la vingt-deuxième maqāma, al-Maḍīriyya, il décrit ainsi son héros : « Abū-l-Fatḥ al-Iskandarī, homme à la langue pure (faṣāḥa), il l'appelle et elle lui répond ; homme d'éloquence, il lui commande et elle lui obéit. »

    65 Ainsi, au début de la seizième maqāma, al-Makfūfiyya, quand ‘Īsā b. Hišām déclare : « Je traversais des régions de la province d'Ahwāz, en quête de termes étranges que je chassais ou de paroles éloquentes pour en faire provision. » Édition de Beyrouth, p. 78, 2-3.

    66 Édition de Beyrouth, p. 75, 4 ; p. 76, 5.

    67 Voir, par exemple, la quatorzième maqāma, al-Fazāriyya, éd. Beyrouth, p. 70 : « fa-ayna ši‘ruka min kalāmika ? » ; voir aussi la vingt-neuvième maqāma, al-‘Irāqiyya, p. 143 : « Existe-t-il un vers de louange des Arabes dont le destinataire n'ait été rendu célèbre ? » ; ou la trente-sixième maqāma, tout entière traversée de poésie arabe, et où Satan (Abū Murra) déclare : « Je suis Satan, il y a toujours l'un d'entre nous pour aider tout poète ; c'est moi qui ai dicté à Ǧarīr la qaṣīda que j'ai déclamée. » Maqāma 36, al-Iblīsiyya, p. 184, 6-8.

    68 Ḥaddaṯanā ‘Īsā b. Hišām qāla ; les deux exceptions concernent la septième maqāma, al-Ġaylāniyya, qui substitue ḥaddaṯanī à ḥaddaṯanā, et la huitième, al-Aḏirbiğāniyya, qui simplifie : qāla ‘Īsā b. Hišām ; cela, dans l'un et l'autre cas, ne modifie pas le caractère oral de l'expression.

    69 La plus longue des maqāmāt étant la maqāma vingt-deux, al-Maḍīriyya, qui, dans l'édition de Beyrouth, fait 134 lignes, suivie par la Ṣaymariyya (43), qui fait 105 lignes, et les quatre maqāmāt, al-Asadiyya (6), al-Wa‘ẓiyya (27), al-‘Irāqiyya (29) et al-Bašariyya (52), qui font entre 75 et 80 lignes.

    70 Voir plus haut, note 67.

    71 Maqāma 3, al-Balḫiyya, et maqāma 47, al-Ṣufriyya, éd. Beyrouth, p. 16 et 231.

    72 Voir éd. de Beyrouth, p. 68, 6-69, 5, et p. 228, 3-229, 1.

    73 Voir les deux vers finaux, quasi identiques, dans les maqāmāt 15, al-Ğāḥiẓiyya, et 41, al-‘Ilmiyya, éd. de Beyrouth, p. 77 et 203 ; ou des expressions semblables ou même identiques dans les maqāmāt 6, al-Asadiyya, et 7, al-Ġaylāniyya, p. 30, 5, et p. 39, 7-8 ; ou dans les maqāmāt 7, al-Ġaylāniyya, et 14, al-Fazāriyya, p. 39, 7-8, et p. 68, 2-3 ; ou dans les maqāmāt 19, al-Sasāniyya, et 25, al-Mağā‘iyya, p. 93, 1-3, et p. 127, 7-8, etc.

    74 Voir plus haut, p. 105.

    75 Voir par exemple p. 73, 8 ; p. 75, 4-5 et 11 ; p. 79, 2-3 ; p. 98, 7 ; p. 99, 1 ; p. 202, 6-8, etc.

    Du Coran à la philosophie

    X Facebook Email

    Du Coran à la philosophie

    Ce livre est cité par

    • Reymond, Pierre-Louis. (2018) Le savant, le langage et le pouvoir. DOI: 10.4000/books.enseditions.10332
    • Spallino, Patrizia. (2020) Encyclopedia of Medieval Philosophy. DOI: 10.1007/978-94-024-1665-7_229
    • Citot, Vincent. (2022) Histoire mondiale de la philosophie. DOI: 10.3917/puf.citot.2022.01.0111
    • Mlika, Hamdi. (2020) Perspectives on the Notion of Truth in Arabic Philosophy. Studia Humana, 9. DOI: 10.2478/sh-2020-0005
    • López‐Farjeat, Luis Xavier. (2021) ‘Abd al‐Jabbār and al‐Ghazālī on Divine Speech and their Theories of Language. The Muslim World, 111. DOI: 10.1111/muwo.12409
    • Türker, Sadik. (2007) The Arabico-Islamic background of Al-Fārābī's logic. History and Philosophy of Logic, 28. DOI: 10.1080/01445340701223423

    Du Coran à la philosophie

    Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks

    Acheter ce livre aux formats PDF et ePub

    Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org

    Du Coran à la philosophie

    Vérifiez si votre bibliothèque a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books.

    Vous pouvez suggérer à votre bibliothèque d’acquérir un ou plusieurs livres publiés sur OpenEdition Books. N’hésitez pas à lui indiquer nos coordonnées : access[at]openedition.org

    Vous pouvez également nous indiquer, à l’aide du formulaire suivant, les coordonnées de votre bibliothèque afin que nous la contactions pour lui suggérer l’achat de ce livre. Les champs suivis de (*) sont obligatoires.

    Veuillez, s’il vous plaît, remplir tous les champs.

    La syntaxe de l’email est incorrecte.

    Référence numérique du chapitre

    Format

    Langhade, J. (1994). Chapitre II. La langue de la littérature en Prose. In Du Coran à la philosophie (1‑). Presses de l’Ifpo. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.ifpo.5269
    Langhade, Jacques. « Chapitre II. La langue de la littérature en Prose ». In Du Coran à la philosophie. Beyrouth: Presses de l’Ifpo, 1994. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.ifpo.5269.
    Langhade, Jacques. « Chapitre II. La langue de la littérature en Prose ». Du Coran à la philosophie, Presses de l’Ifpo, 1994, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.ifpo.5269.

    Référence numérique du livre

    Format

    Langhade, J. (1994). Du Coran à la philosophie (1‑). Presses de l’Ifpo. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.ifpo.5255
    Langhade, Jacques. Du Coran à la philosophie. Beyrouth: Presses de l’Ifpo, 1994. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.ifpo.5255.
    Langhade, Jacques. Du Coran à la philosophie. Presses de l’Ifpo, 1994, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.ifpo.5255.
    Compatible avec Zotero Zotero

    1 / 3

    Presses de l’Ifpo

    Presses de l’Ifpo

    • Plan du site
    • Se connecter

    Suivez-nous

    • Flux RSS

    URL : http://www.ifporient.org/node/64

    Email : contact@ifporient.org

    Adresse :

    Espace des lettres

    Rue de Damas

    BP 11-1424

    Beyrouth

    Liban

    OpenEdition
    • Candidater à OpenEdition Books
    • Connaître le programme OpenEdition Freemium
    • Commander des livres
    • S’abonner à la lettre d’OpenEdition
    • CGU d’OpenEdition Books
    • Accessibilité : partiellement conforme
    • Données personnelles
    • Gestion des cookies
    • Système de signalement