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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral 1. UN PROBLÈME D’INTERPRÉTATION 2. LA DYNAMIQUE DES DÉPARTS 3. LA LOGIQUE DES RAPPORTS SOCIAUX DANS L’ÉMIGRATION 4. LES LIAISONS DÉPART/ARRIVÉE ET LA RESTRUCTU-RATION DES RAPPORTS VILLAGEOIS 5. CLASSES, COMMUNAUTÉS ET APPARTENANCE NATIONALE Notes de bas de page Auteur

    Communautés villageoises et migrations de main-d’œuvre au Moyen-Orient

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre 5. Migrations et stratégies de reproduction sociale

    Gilbert Beaugé

    p. 197-232

    Texte intégral 1. UN PROBLÈME D’INTERPRÉTATION 2. LA DYNAMIQUE DES DÉPARTS 3. LA LOGIQUE DES RAPPORTS SOCIAUX DANS L’ÉMIGRATION 1. Le kafala. 2. La stratégie des entrepreneurs libanais. 4. LES LIAISONS DÉPART/ARRIVÉE ET LA RESTRUCTU-RATION DES RAPPORTS VILLAGEOIS 1. La restructuration des rapports familiaux. 2. La terre comme enjeu collectif de l’émigration. 5. CLASSES, COMMUNAUTÉS ET APPARTENANCE NATIONALE Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Les caractéristiques d’un mouvement migratoire, et en particulier la manière dont il apparaît comme un phénomène de transformation et de changement social dépendent tout aussi bien des conditions historiques et économiques qui déterminent le départ et l’arrivée que des objectifs que se fixent les migrants et des moyens dont ils diposent pour les atteindre. De ce point de vue, le fait que le Liban dispose d’une très longue tradition migratoire et qu’il s’agisse d’un pays qui s’appauvrissait en même temps que les pays du Golfe s’enrichissaient ne suffit pas à restituer toute la complexité des mouvements liés à cette tendance si l’on ne fait pas intervenir également la manière dont elle s’est manifestée au sein des différentes communautés, catégories et fractions de la société libanaise. Mobiliser ce registre explicatif, c’est tenter de souligner en quoi la perspective de l’émigration était de nature à transformer en profondeur les conditions de la reproduction des groupes sociaux concernés en apparaissant comme un des moyens possibles de promotion et de reclassement social. Plus précisément, étant donné que les objectifs visés dépendent eux-mêmes très étroitement des moyens disponibles, c’est-à-dire de la manière dont les conditions objectives sont intériorisées ou imaginées par les différentes catégories d’agents, l’analyse des opérations par lesquelles chacun construit son propre parcours renvoie à celle des conditions qui devaient être remplies pour qu’elles fussent possibles, c’est-à-dire concevables et réalisables.

    2Les trois études de cas que nous venons d’exposer représentent trois moments de l’émigration libanaise vers le Golfe en même temps que trois types d’insertion et de diversification professionnelles. Déterminé par les circonstances du démarrage de chaque filière villageoise ainsi que par les clivages socio-politiques de départ qui diffèrent profondément d’un cas à l’autre, chacun de ces flux est également déterminé par les conditions particulières de l’activité et de la présence légale des étrangers dans les pays du Golfe. Toutefois, il est frappant de constater qu’à la diversité des conditions de départ et/ou d’arrivée correspond une relative identité de réponse dans les modalités de socialisation des flux : même dans le cas de Kfar Rummân où le processus est beaucoup plus long et diffus, le jeu des solidarités communautaires en exil et la réactivation des logiques villageoises antérieures s’impose comme une des constantes du mouvement.

    3Dans le cas de Kfar Rummân, le mouvement migratoire s’étend sur une trentaine d’années et se dirige vers le Koweit qui est le premier pays du Golfe à faire appel à l’émigration arabe. Pour les émigrés de Kfar Rummân, c’est leur non-spécialisation et leur diffusion sur l’ensemble du marché du travail et des occasions d’activité qui, jouant sur plusieurs points d’ancrage simultanés, a permis de démultiplier les possibilités des nouveaux venus. Ceci n’excluait pas que certains membres de la communauté aient acquis une position de force dans le travail du fer, et c’est encore cette stratégie de démultiplication des possibilités de travail que l’on voit à l’œuvre dans le redéploiement géographique de la communauté au cours de la dernirèe période en direction de l’Irak, de la Libye ou de l’Arabie Saoudite.

    4Dans le cas de Kaakour, l’intégration à la société d’accueil ne s’est pas réalisée de la même manière : le mouvement s’étend sur un peu plus d’une vingtaine d’années et si la communauté a évolué de manière à faire la différence entre ceux qui restaient et ceux qui retournaient au village, ceux qui restent n’envisagent pas de le faire de façon définitive. Certains ont fait venir leurs familles mais leurs enfants nés au Liban retournent y poursuivre leurs études. D’autres, les célibataires engagés dès le départ dans un processus de migration tournante recomposent les rythmes de leur présence/absence. Les liens avec le village d’origine restent vivaces, les projets de retour sont construits en fonction de la situation villageoise et l’intégration au pays d’accueil reste limitée au seul secteur du champ relationnel nécessaire à la bonne gestion des affaires. Contrairement à Kfar Rummân, l’émigration de Kaakour s’est appuyée sur une spécialisation collective étroite qui a permis à la communauté d’acquérir un quasi monopole sur le marché de la pierre taillée à Riyadh et, sous la pression des conditions globales de l’activité en Arabie Saoudite, une très forte différenciation est apparue au sein même du groupe entre les gros entrepreneurs d’un côté, les artisans et les salariés intermittents de l’autre. Dans le cas précédent, ces différences étaient largement médiatisées par la société koweitienne.

    5Enfin, dans le cas de Zghorta, il s’agit d’une émigration temporaire, vieille d’une dizaine d’années, presque entièrement liée au cycle d’une entreprise et la proportion de ceux qui restent aujourd’hui, par rapport à l’importance numérique qu’a pu atteindre le mouvement, est tout à fait réduite. Les Zghortiotes, beaucoup moins nombreux en volume absolu, mais également relatif, que dans les deux cas précédents, sont tous partis en Oman sollicités par un chef d’entreprise lui-même originaire du village et ont tous travaillé dans son affaire même si, remplacés par les Asiatiques, ils l’ont pratiquement tous quitté depuis soit pour s’employer ailleurs dans le pays, soit pour rentrer au village, soit pour s’installer à leur compte. Beaucoup plus que dans les autres cas, le recrutement, les rémunérations et la logique des rapports sociaux au sein de l’entreprise ont épousé les rapports de parenté et de clientélisme, sans interdire une différenciation croissante au fur et à mesure que se modifiaient les conditions générales de la stratégie d’entreprise.

    6Dans tous les cas, la situation de guerre quasi permanente au Liban depuis 1975 et la dynamique des conflits engagés ont profondément remodelé la signification des départs ainsi que les perspectives de retour.

    7Les stratégies collectives ou individuelles qui aboutissent à tel ou tel parcours et qui, dans l’éventail des parcours possibles, ne sont autre chose que le produit d’une combinaison des stratégies des agents intéressés qui tend à accorder leurs intérêts respectifs à leur capacité d’initiative à tel moment du parcours, renvoient aussi bien à la pression que le réel exerce sur les départs qu’à la manière dont les départs sont réinterprétés dans un imaginaire collectif qui tend, au moins dans un premier temps, à en magnifier les termes. Si, de façon initiale, la pression des conditions socio-économiques de départ liée à la capacité d’initiative et d’anticipation de certains individus contribue largement à frayer de nouvelles perspectives en indiquant la voie à suivre, au fur et à mesure que le mouvement se développe et que se développe parallèlement tout un imaginaire fabuleux lié aux perspectives de succès, les conditions même de ce succès deviennent de plus en plus difficiles, aboutissant ainsi au paradoxe selon lequel le départ n’est jamais aussi bien valorisé dans l’imaginaire que lorsqu’il a cessé, dans le réel, d’être porteur de succès initiaux qu’il avait rendu possibles. C’est dans cet intervalle, où l’individu est renvoyé au groupe en même temps que le sens social des départs accuse les divergences les plus profondes avec ses significations objectives, que réside le principal problème d’interprétation que pose l’analyse des mouvements migratoires.

    1. UN PROBLÈME D’INTERPRÉTATION

    8On pourrait être tenté de réinterpréter la dynamique du mouvement migratoire libanais en direction du Golfe en mettant l’accent soit sur la logique propre des conditions objectives qui ont déterminé ce mouvement à l’un ou l’autre pôle sur lesquels il s’est constitué (société d’origine/société d’accueil), soit en soulignant la cohérence des comportements qu’il a suscités, des attitudes ou des stratégies qui ont été mises en œuvre, en un mot, des trojectoires toujours spécifiques et singulières auxquelles il a donné lieu. Dans un cas, les régularités globales d’ensemble sont réputées restituer toute la complexité d’un phénomène qui, pour partie au moins, échappe au contrôle et à l’initiative que ses agents directs peuvent exercer sur lui ainsi qu’au sens qu’ils tentent de lui imprimer. Dans l’autre cas, en soulignant la manière dont tel individu ou tel groupe s’approprie et façonne la logique d’une expérience sociale dont il contribue à fixer les contours et qu’il tente de totaliser, le risque consiste à méconnaître la manière dont elle s’insère dans une dynamique d’ensemble dont l’objectivité en partie lui échappe et qui s’impose à lui, de l’extérieur. Cette antinomie qui prend un tour particulièrement aigu dans l’interprétation des mouvements migratoires renvoie à l’histoire même des sciences sociales.

    9Dès l’abord, il est remarquable que Marx, d’un côté, Durkheim, de l’autre, utilisent chacun les mêmes critères d’extériorité et de contrainte, l’un pour définir l’aliénation, l’autre pour définir le fait social. Pour l’un comme pour l’autre, s’il s’agit de fixer d’une manière générale le rapport de l’individu à la collectivité, chez Marx cette position aboutit à mettre en perspective de ses analyses la manière dont les acteurs sociaux contribuent à transformer le réel alors que chez Durkheim elle aboutira à analyser la manière dont ils intériorisent le réel, d’où le privilège accordé par lui à une sociologie de l’éducation. Toutefois, en dépit de cette divergence de point de vue, les conséquences de cette position sont, pour l’un comme pour l’autre, comparables : elles consistent à ne saisir le sujet que dans le cadre des régularités globales d’ensemble (sociales ou économiques) en faisant de ces régularités le ressort même des mouvements sociaux. Du coup, ce sont les logiques individuelles ou de groupe qui disparaissent ou passent au second plan.

    10Marx abandonne très tôt la problématique de l’aliénation jugée « trop anthropologique » pour en faire une aliénation inscrite dans l’objectivité des rapports de classes où l’individu, l’acteur, n’apparaît plus que comme « support de rapports sociaux », extérieurs à lui-même et sur lesquels il n’a aucune emprise en tant qu’individu. Durkheim énonce très tôt un déterminisme strict du social sur l’individuel en essayant de délimiter la spécificité d’un registre proprement sociologique par un principe de méthode (« expliquer les faits sociaux par des faits sociaux ») mais retrouvera cette antinomie entre l’individu et le groupe précisément lorsqu’il tentera d’élaborer la notion de solidarité : pour Durkheim la notion de solidarité mécanique apparaît comme un principe d’objectivation du subjectif, inversement, la notion de solidarité organique rend compte d’une réappropriation par le groupe des régularités instituées. De son côté, Marx inaugure un déterminisme généralisé de l’économique sur l’ensemble des activités sociales en faisant l’hypothèse d’un sens de l’histoire mais en négligeant d’élaborer les outils permettant de penser que « les hommes sont à la fois les produits et les acteurs de leur histoire ». Dès lors, les décalages existant entre la logique d’ensemble des rapports sociaux et les pratiques individuelles ou de groupe, ou même les décalages existant entre une forme sociale donnée et d’autres formes antérieures ne pourront plus être pensés, dans cette perspective, que comme survivances. Survivances : des pratiques qui ne correspondent plus à des régularités d’ensemble tout en continuant à correspondre à des pratiques localisées ou inversement.

    11Pour ne prendre que l’exemple de la société libanaise aujourd’hui, il est tout à fait instructif de repérer cet antagonisme et cette complémentarité dans les apports respectifs de Marx et de Durkheim, parmi les chercheurs qui se réclament de l’héritage de l’un ou de l’autre. L’enjeu réside bien évidemment dans la manière d’interpréter et d’analyser les effets combinés, compatibles ou contradictoires des appartenances nationales, des appartenances de classes et des appartenances communautaires, villageoises, claniques ou familiales sur les pratiques individuelles et inversement de saisir de quelle manière ces pratiques contribuent à modifier l’agencement de ces appartenances les unes par rapport aux autres.

    12D’un côté, c’est en terme de survivances que Claude Dubar et Salim Nasr analysent la manière dont l’expression des solidarités communautaires, religieuses ou de clientèle interfère avec la dynamique des affrontements de classes : « Cette solidarité familiale, cette tendance à se rattacher à des ancêtres réels ou mythiques et à s’identifier à la lignée constitue le premier rapport social traditionnel et demeure encore le foyer de nombreuses pratiques sociales au Liban comme dans l’ensemble du monde arabe (...) la réalité décrite constitue bien un ensemble de survivances du système de rapports de clientèle »1. D’un autre côté, c’est en terme d’opposition entre solidarités mécaniques et solidarités organiques que Yves Schmeil tente de restituer la complexité des alliances entre groupes appartenant à des classes, des confessions ou des clans différents ainsi que la manière dont elles se nouent, se dénouent ou se renouent, alternativement sur un plan (axe) ou sur l’autre : « une fois connue la distribution des statuts qui s’acquièrent et l’organisation de ceux qui sont prescrits, il importe d’évaluer l’éventualité de cumuls, d’abord sur chacun des axes puis en les combinant »2.

    13Dans cette perspective, on définit les conditions de cohésion d’un groupe et l’appartenance à une forme donnée de regroupement social par rien d’autre que l’adhésion à un ensemble de valeurs et l’intégration à un système de rôles et de statuts « sui generis », générant et énonçant eux-mêmes leurs propres orientations. Chaque type de regroupement social est donné par un principe d’unification a priori statistique ou autre, et l’articulation d’un niveau de totalisation sur l’autre est déduit par la hiérarchie des comportements qu’il autorise ou interdit. C’est la métaphore des appartenances par emboîtements successifs qui oriente la recherche et que l’on retrouve dans le travail de Yves Schmeil : « La figure la plus adéquate serait celle d’un cône, quoiqu’on puisse se contenter de le déplier en partant d’un pôle individuel pour aboutir à un pôle collectif, tout en gardant un aspect circulaire pour bien montrer que certaines structures sont plus centrales que d’autres. Plus on va vers la périphérie et moins le statut est élevé : par conséquent les structures sont hiérarchisées selon les statuts qu’elles combinent, non pas que chaque niveau de statut appartienne obligatoirement à une structure de même niveau, mais que celles-ci servent de pôles d’attraction (...) Et comme il est clair que plus on s’approche du pôle collectif et plus la détermination est aisée statistiquement, on adoptera l’hypothèse qu’une grande partie de la variance de la distribution des statuts s’explique par la confession, une part moins importante par la résidence, une part encore plus faible par l’appartenance de classe, etc. »3.

    14De ce point de vue, postuler l’unité d’une appartenance sociale donnée (la nation, la classe sociale, le village, la confession, la famille élargie, etc.) revient le plus souvent à se donner un principe objectif de permanence, de comptabilité et de fermeture réputé homogène et stable pour les individus qui y participent, relativement à l’éventail des comportements réputés y correspondre : le champ des pratiques religieuses, celui des pratiques économiques, celui des pratiques familiales, etc. La conséquence de ce point de vue est double. D’un côté, on se prive des moyens d’analyser la manière dont un champ interfère avec un autre ou la manière dont certaines pratiques se combinent avec d’autres de niveau différent : rapports de parenté comme substituts des rapports de production, appartenance confessionnelle comme substitut de l’appartenance nationale ou politique, dynamique des clans comme substitut de la dynamique des classes, etc. D’un autre côté, en méconnaissant la logique des pratiques sociales les plus atypiques ou les plus récentes, c’est-à-dire les moins probables, qui n’apparaissent qu’en tant que résidus de la variance expliquée, on se prive des moyens d’analyser la manière dont les cadres collectifs de ces pratiques évoluent et se transforment.

    15On ne peut saisir le rapport des agents sociaux à leur position sociale ni à la manière dont ils combinent la totalité de leurs appartenances si on ne comprend pas comment ils ont été produits et se sont construits eux-mêmes comme membres de telle catégorie ou occupants de telle position. Inversement, on ne peut saisir la logique propre de chaque catégorie sociale si on ne saisit pas la manière dont elle autorise ou interdit telle ou telle stratégie de reclassement social ou la manière dont elle ménage ou non des continuités ou des ruptures entre chaque type d’appartenance. Ainsi, ce qui dans le champ de la culture occidentale apparaîtra comme une rupture ou une incohérence renvoyant vers une hypothèse de dissociation des composantes de la personnalité, sera vécu ailleurs sur le mode de la complétude et de la continuité.

    16L’oubli de la genèse historique, d’un côté, celui des stratégies collectives, de l’autre conduisent à « naturaliser » des attributs individuels ou collectifs qui ne paraissent jamais aussi évidents que lorsqu’ils s’inscrivent dans des « traits psychologiques » d’un côté, des « caractères nationaux » ou des attributs de classe dans l’autre. Ainsi, « le Libanais » aurait le goût du voyage et le « don » des langues, il serait plus fin négociateur que quiconque, se trouvant toujours au bon endroit au bon moment.

    17On saisit bien le type de difficulté qu’il nous faut affronter : elle consiste à rendre compte des incessantes et réciproques conversions qui s’opèrent, par le biais de pratiques sociales toujours singulières, entre des systèmes composites mais coextensifs de repérage et de comportements, d’opposition ou d’assemblage, sans que l’on puisse entièrement réduire ces zones où surgissent des manières de faire et de s’organiser relativement inédites, ni à de simple « reflets » des conditions matérielles objectives d’existence et les hiérarchiser sous cet angle, ni y voir la manifestation d’une « expressivité symbolique » pure et simple en dehors de tout ancrage objectif. La notion de stratégie nous paraît particulièrement adaptée à faire le lien entre ces deux aspects.

    18De proche en proche, du fait même que l’émigration recompose le jeu des régularités globales objectives qui s’exercent sur chacun, tout en suscitant de nouvelles formes de solidarité, de régulation et de contrôle, elle nous situe au cœur même des processus par lesquels les acteurs interviennent sur leur environnement social pour le conformer à leurs objectifs et faire qu’il réponde aux problèmes qu’ils rencontrent, problèmes auxquels il ne peuvent pas ne pas apporter une solution. Ce faisant, ils retrouvent des solutions et des manières de faire plus anciennes lesquelles, loin d’apparaître comme des « survivances » sont la réactivation dans des contextes radicalement nouveaux de pratiques dont les significations se sont transformées. Peu importe d’ailleurs que ces nouvelles formes de solidarité reposent sur des bases réelles ou imaginaires, peu importe en définitive qu’un employeur libanais embauche sa clientèle de préférence à une force de travail anonyme en pensant que c’est son intérêt, même si c’est faux, puisque les capacités de cohésion et d’assemblage du clientèlisme interviennent concrètement à l’articulation des rapports de production et des rapports entre les familles, et qu’elles le font en différant l’émergence de rapports de classes objectivés. Le problème est moins celui de la réalité objective des représentations qui sous tendent ces pratiques, que celui de leur efficacité symbolique et de leur capacité à se combiner avec des phénomènes réputés d’un tout autre registre : politique, familial, religieux, économique, etc.

    19Le mouvement migratoire libanais en direction du Golfe doit donc être analysé à l’articulation de plusieurs registres de détermination, lesquels n’exercent pas tous le même type de contraintes, ne se traduisent pas de la même manière au niveau des comportements et des pratiques, ménagent ou non des marges d’initiatives et de contrôle aux populations concernées, apparaissent ou pas dans le prolongement des tendances ou des expériences antérieures : itinéraire personnel et familial, histoire sociale et communautaire, évolution des conditions générales de l’activité, etc. Tel niveau de détermination, réel ou symbolique, prescrit ou acquis, ne saurait a priori être considéré comme plus déterminant qu’un autre vis-à-vis de tel ou tel aspect des pratiques migratoires, puisque c’est précisément la logique des enchaînements, des conjonctions ou des divergences qui les réunit ou les oppose qu’il s’agit de mettre en évidence et d’analyser. Nous ferons donc l’hypothèse que la façon dont la communauté libanaise émigrée tente de contrôler les comportements de ses membres pour faire face aux situations nouvelles tout en préparant l’avenir, dépend du mode et du type d’agencement entre les différents niveaux, circuits, champs ou domaines de la pratique qui se combinent dans le champ de l’expérience migratoire et constituent de ce fait autant de sous-structures régies par leurs logiques propres, lesquelles ne convergent pas forcément avec la logique des autres sous-systèmes, ni chacune avec une logique unitaire d’ensemble.

    20Nous nous efforcerons donc de restituer la logique de chaque moment fort du mouvement migratoire : le départ, la stratégie des entrepreneurs, la dynamique des rapports sociaux au sein de la communauté émigrée, la dynamique des retours, etc., en tenant compte simultanément de l’ensemble des niveaux de détermination auxquels ils correspondent (appartenance nationale, communautaire ou de classe) tout en essayant de voir comment la logique de chaque niveau ou de chaque moment se transforme ou se reproduit lorsqu’on passe d’un niveau ou d’un moment à l’autre.

    2. LA DYNAMIQUE DES DÉPARTS

    21D’emblée, la perspective du départ et du « voyage » s’inscrit au Liban dans l’épaisseur d’une expérience et d’une mémoire collectives qui ont largement contribué à banaliser cette éventualité en reproduisant d’une génération sur l’autre les manières d’être et de faire requises pour y faire face. L’acquisition et l’usage de passeports distincts utilisables conjointement ou de façon alternée selon les circonstances, l’apprentissage des langues et le maitien de contacts étroits avec la communauté à l’étranger font partie des modalités de la socialisation du groupe avec l’idée que l’éventualité d’avoir un jour à s’expatrier, si l’occasion ou la situation se présente, constitue quelque chose de « naturel ».

    22Il est tout à fait remarquable, par ailleurs, que la gestion des parcours migratoires soit ici l’affaire de tout le groupe concerné par les départs, aussi bien des familles ou des membres de la famille restés au village que de la communauté en exil, et que l’issue pour chacun dépende aussi étroitement de la possibilité de compter sur l’entraide collective que de sa capacité, lorsque cette entraide rencontre des limites, à transformer individuellement le champ des possibles, ou inversement. Dans tout un ensemble de situations, comme c’est le cas dans les pays du Golfe où le succès dépend autant sinon davantage de l’aptitude à gérer habilement un espace relationnel mouvant et aléatoire que de l’ampleur du capital matériel dont on dispose pour y parvenir, il est remarquable que la physionomie d’ensemble du mouvement, la manière dont il a évolué et s’est transformé, soit dues autant à la personnalité propre de certains membres de la communauté et à la façon dont ils ont su anticiper, gérer et infléchir le réel, qu’aux conditions objectives propres auxquelles tout le monde était confronté.

    23Ainsi, et parce qu’à un moment donné, la pression des conditions économiques qui s’exerce sur tous, vouant chacun au départ au moins de manière potentielle, contribue à réduire l’efficacité des stratégies de reproduction sociale qui avaient prévalu jusqu’alors, le départ s’impose aussi bien à ceux qui, disposant d’un capital matériel ou relationnel diminué n’ont plus d’autres solutions pour le revaloriser que d’élargir sa sphère de reproduction, qu’à ceux qui, ne disposant d’aucun capital, ne peuvent plus trouver sur place d’occasions pour l’acquérir. Mais précisément parce que cette dynamique s’inscrit au sein même de l’espace familial et qu’elle a d’abord pour tout « horizon d’attente » l’évolution de la situation villageoise, elle a suscité d’emblée une double différenciation.

    24Une première différenciation entre villages inégalement soumis à l’évolution d’ensemble que connaissait la société libanaise a eu pour conséquence d’accuser les disparités, parfois même d’un versant à l’autre d’une même vallée, vouant certains d’entre eux plus que d’autres à rechercher une issue dans les départs.

    25A l’intérieur d’un même village, ensuite, elle a eu pour conséquence d’opérer une deuxième différenciation entre les familles ou les clans pour qui le village avait partiellement cessé de constituer l’horizon de leurs stratégies de reproduction et celles ou ceux qui, cantonnés à la terre et incapables d’élargir les bases de leur reproduction ont dû affronter des départs massifs comme un événement qui leur était imposé de l’extérieur et vis-à-vis duquel leur « initiative sociale » ne faisait que se réduire.

    26Dans le cas de Kfar Rummân, où la pression des conditions économiques semble s’être fait sentir beaucoup plus tôt et de manière beaucoup plus structurelle sur l’ensemble d’une communauté villageoise vouée très tard au travail de la terre et particulièrement à la culture du tabac, on observe un appauvrissement plus poussé et plus précoce des paysans, ainsi qu’une recomposition rapide de la propriété des sols. Dans une communauté à majorité chiite, cet antagonisme prendra la forme d’un clivage extrêmement marqué entre le zaïm local et sa clientèle d’un côté, la section villageoise du parti communiste et sa clientèle de l’autre. Les premiers départs seront relativement nombreux tout en étant le fait d’une population relativement pauvre.

    27Dans les deux autres cas, il est significatif d’observer que l’initiative du départ a toujours appartenu, non pas aux membres des familles les plus défavorisées, mais aux membres des familles engagées dans un processus de déclassement social, que ce processus soit lié à une baisse générale du niveau d’activité pour des familles qui jusqu’alors en contrôlaient le cours (c’est typiquement le cas des petits entrepreneurs de Kaakour), ou, ce qui revient au même, qu’il soit lié à une chute progressive de l’influence politique et sociale d’une grande famille (c’est le cas, pour Zghorta, de la famille Karam).

    28Entre 1974, c’est-à-dire à partir du moment où se font sentir les premiers effets du renchérissement des produits pétroliers, et 1975 qui marque l’entrée de la guerre au Liban, le mouvement s’amplifiera ne faisant en quelque sorte qu’approfondir les disparités antérieures. Toutefois, les conditions initiales qui ont été à l’origine de chacun de ces flux marqueront en profondeur la physionomie ultérieure de chaque mouvement. Dans le cas de Kfar Rummân, c’est une communauté importante, socialement peu différenciée et intégrée à la société d’accueil mais à des niveaux relativement modestes qui s’ouvrira aux nouveaux arrivants. La capacité d’intégration communautaire de ces nouveaux venus, particulièrement par le travail, sera relativement limitée et ceux-ci, dans une phase ultérieure devront se réorienter vers d’autres pays (l’Irak, l’Arabie Saoudite). Toutefois, la communauté en place résistera à la concurrence asiatique. Dans le cas de Kaakour, c’est tout au plus trois ou quatre entrepreneurs solidement implantés sur le marché local qui accueilleront ou feront venir les nouveaux arrivants. Ces entrepreneurs sont toujours dans le Golfe, mais le gros des effectifs s’est nettement différencié entre ceux qui ont été contraints au retour et ceux qui, pour faire face à la concurrence asiatique, ont dû s’installer comme artisans. Enfin, dans le cas de Zghorta, la perte de contrôle de la seule entreprise qui était à l’origine de l’essentiel des départs n’a laissé subsister sur place que ceux parmi les membres de la communauté qui ont su, suffisamment tôt, amorcer une reconversion locale.

    29D’une manière générale, les premiers à partir furent à la fois ceux qui ont anticipé au mieux l’évolution de la situation générale tout en disposant d’un patrimoine matériel suffisant pour leur permettre de tenter leur chance sur d’autres bases que la simple vente de leur force de travail, et ceux que leur situation matérielle précaire contraignait plus que d’autres au départ. Toutefois, ce mécanisme doit être nuancé sur deux plans. D’une part, ceux qui, partis les premiers, auraient eu la possibilité de rester, mais ne l’ont pas fait, étaient fréquemment liés par alliance avec certains de ceux qui n’auraient pas pu ne pas partir et qui les ont donc suivis. Cette conjonction sera à l’origine d’une relance du clientélisme de clan à travers le mouvement des départs. D’autre part, la démarche qui consiste à tenter d’isoler la manière dont a été impulsé chaque mouvement, est inégalement pertinente selon les situations. Dans le cas de Kfar Rummân, il s’agit d’un processus relativement continu, plus collectif, amorcé dans les années 50 sur la base d’une reconversion des départs en direction de la Palestine. La notion de premier départ s’estompe dans une tradition villageoise à partir de laquelle se recomposent des clivages politiques qui joueront un rôle décisif. Par ailleurs le mouvement se poursuivra sans à coup et à un rythme régulier. Dans le cas de Zghorta, l’effet de premier départ est en grande partie lié à un choix de méthode privilégiant, parmi d’autres choix possibles, les seuls départs en direction d’Oman.

    30Dans une très large mesure, ces départs ont contribué à renforcer sur des bases familiales la position relative au sein du village de ceux qui restaient et qui bénéficiaient des occasions d’activité abandonnées par les premiers. Cet aspect a largement contribué à approfondir les différences entre familles au sein des villages selon la manière dont chacune d’elle était ou non partie prenante du mouvement ou, comme c’est le cas à Kaakour, où chaque grande famille était présente dans l’immigration, à différencier les familles nucléaires au sein des familles élargies. Inversement, au fur et à mesure que l’émigration apparaissait comme une source de revenus alternatifs importants, elle a contribué à affaiblir la position de ceux qui étaient restés vis-à-vis de ceux qui étaient partis, ceux-ci ne tirant plus désormais leur pouvoir que du soutien matériel que leur procuraient ceux-là. Ainsi, se met en place un double processus de déstructuration/maintenance : pendant que les premiers partaient, les seconds approfondissaient les logiques de reproduction sociale antérieures, c’est-à-dire pour l’essentiel la dynamique des liens qui, consistant à entretenir un rapport privilégié avec la terre mais une terre qui, apparaissant de moins en moins comme un outil de production et une source de revenu, consistait sur un autre plan à diversifier les occasions d’emploi de manière à minimiser les risques, faisant de chacun un employé-paysan ou un paysan-employé.

    31Les premiers partis ayant pu témoigner relativement tôt du succès de leur démarche et, au moins dans un premier temps, ayant su créer les conditions sociales d’une initiative durable leur laissant des marges de manœuvre importantes, notamment dans le recrutement de leur main-d’œuvre à un moment où, sans être encore totalement amorcée et donc codifiée comme elle le sera par la suite, la conjoncture dans les pays du Golfe était déjà ou encore extrêmement favorable (1960-1975), c’est véritablement à partir de cette période que se mettent en place les conditions d’un mouvement plus soutenu qui produira dans la période suivante l’essentiel de ses effets. Du point de vue des entrepreneurs émigrés, et à une période (1975) où les coûts en main-d’œuvre n’avaient pas encore acquis tout le poids dont ils pèseront ultérieurement sur la marche des entreprises dans la mesure où les conditions générales de l’activité favoriseraient une politique de hauts salaires4 le recrutement dans les rangs villageois poursuivait principalement deux objectifs :

    1. Reproduire et éventuellement élargir leurs zones d’influence villageoise et dans certains cas leur clientèle tout en disposant d’une force de travail connue, sur laquelle ils pouvaient compter et avec qui les rapports étaient facilités d’autant dans la mesure où leurs tenants et aboutissants se situaient dans le village.

    2. Mobiliser ce capital relationnel pour utiliser au mieux, d’abord pour eux puis, de proche en proche, pour l’ensemble de la communauté, les possibilités qu’offrait la situation dans le Golfe, particulièrement les possibilités d’initiatives, de contacts, de passation de marché et d’intermédiaires divers que de simples rapport de travail n’auraient jamais permis d’établir.

    32La situation évoluant, ces deux objectifs deviendront parfois contradictoires (cf. infra) mais dans l’immédiat, ils sont au principe même du recrutement, c’est-à-dire de la manière dont le mouvement migratoire va se développer y compris dans les formes dérivées de mobilisation et d’embauche qui vont apparaître au fur et à mesure que de nouveaux pôles d’initiative et d’activité surgiront au sein de la communauté, donnant lieu à un processus de recrutement en chaîne qui ne trouvera un point d’arrêt que dans la concurrence de la main-d’œuvre asiatique et le resserrement des conditions de passation des marchés à partir des années 1980. Dans l’immédiat donc, les entrepreneurs recrutent dans les rangs villageois, selon une logique qui, si elle ne respecte pas le champ exact des proximités et des distances, opère au moins un double processus de sélection entre ceux qui souhaitaient partir mais ne sont pas recrutés et ceux que l’on souhaitait recruter et « faire venir », mais qui ne veulent pas partir.

    33C’est le résultat de ce double processus de sélection et la manière dont il épouse le jeu des proximités préétablies, c’est-à-dire la logique des alliances villageoises, un membre extérieur au village pouvant très bien par ailleurs être « plus proche » d’un certain point de vue et pour certaines raisons5 qu’un villageois éloigné, que l’on retrouve à l’œuvre au sein même de l’entreprise : la hiérarchie d’entreprise, les rémunérations, la marge d’initiative extérieure personnelle de chacun, la possibilité ou non de s’engager sur des activités ne relevant pas de l’entreprise et de le faire en dehors ou non de son temps de travail, le choix des périodes d’absence, de travail ou de retour au village, etc., autant d’aspects qui relevant directement d’un « arrangement » avec le patron reproduisent fidèlement le champ des proximités antérieures.

    34De ce point de vue, on peut dire que la logique d’entreprise, c’est-à-dire l’usage des possibilités qu’elle offre, pour les uns, et l’octroi de cet usage, pour les autres, reproduit et amplifie sur des bases différentes le jeu des proximités et des distances interpersonnelles nouées au sein même du village qu’elle prolonge en quelque sorte un peu comme si, se présentant jusqu’à un certain point une entreprise collective, chacun en attendait qu’elle contribue autant à la promotion de celui qui en est le propriétaire, le détenteur des capitaux, qu’à la promotion de ceux qui, tous villageois, contribuent à son fonctionnement. Nous essayerons de montrer ultérieurement jusqu’à quel point ce mode de fonctionnement, rendu possible au cours d’une certaine période, par les conditions particulières qui existaient dans le Golfe a brutalement été stoppé, expliquant en grande partie la perte de contrôle du capital dans le cas de la communauté zghortiote en Oman et le type de diversification dans la division technique et sociale des tâches dans le cas de la communauté de Kaakour à Riyadh. Inversement, la faiblesse de ce mécanisme dans le cas de Kfar Rummân et la plus grande dispersion de la communauté dans le tissu social d’accueil permettent de comprendre sa relative stabilité jusqu’à la période actuelle.

    35Sans doute touchons-nous là une des différences les plus significatives entre l’émigration maronite (Kaakour, Zghorta) et l’émigration chiite dans le Golfe, le cas de Kfar Rummân échappe partiellement à ce modèle : issu d’un processus de mobilisation relativement continu, l’émigration se diffuse sur l’ensemble du marché du travail koweitien et le jeu des solidarités communautaires passe d’abord par la dynamique des rapports hors travail. Cette logique interdit que se mettent en place une dynamique d’exploitation interne de la force de travail en même temps que les critères collectifs du succès se déplacent : ceux de Kfar Rummân qui ont réussi à Koweit (le « millionnaire rouge ») n’envisagent plus d’investir au village et préfèrent participer à la construction d’écoles ou d’hôpitaux, circuits par lesquels se reproduisent aujourd’hui les rapports de clientélisme et le jeu des appartenances.

    36La logique que nous avons décrite précédemment se manifeste partiellement dans les activités liées au fer et dans le cadre de l’Iron factory, mais l’émigration étant beaucoup plus ancienne, moins liée comme dans les cas précédents à l’impulsion que lui ont donné certains hommes et donc mieux répartie sur l’ensemble de la communauté, on n’observe pas comme dans le cas de Zghorta et, dans une moindre mesure dans celui de Kaakour, un effet de polarisation autour des entreprises.

    37Toutefois, les exemples de Kaakour et de Zghorta permettent de penser que, loin de correspondre à la logique habituelle du marché « libre » du travail, c’est-à-dire d’un marché sur lequel la force de travail se négocie de façon impersonnelle6, le recrutement opéré par l’émigration libanaise reproduit dans le cadre de l’entreprise les proximités et les distances qui prévalaient dans le village, amorçant du même coup la possibilité qu’au retour la logique des relations villageoises se façonne sur celles qui s’étaient forgées dans l’entreprise et les reproduise. Encore faut-il que la communauté villageoise ait conservé une cohésion suffisante malgré l’exil pour continuer à se reproduire de façon dominante sur les bases qui étaient les siennes avant le départ. Dans tous les autres cas, soit que la communauté de départ soit déjà extrêmement différenciée (c’est en partie le cas de Zghorta), soit que la dynamique des retours se soit affaiblie (c’est le cas de Kfar Rummân) la logique d’entreprise passe au second plan en même temps que les rapports de production tendent à devenir anonymes. Nous reviendrons sur cet aspect. Dans l’immédiat, il importe d’analyser la manière dont cette forme de recrutement a structuré la dynamique des rapports sociaux au sein de l’émigration et a influencé son évolution.

    3. LA LOGIQUE DES RAPPORTS SOCIAUX DANS L’ÉMIGRATION

    38Sans doute l’émigration ne fait-elle qu’exacerber dans un cas, celui de la communautée émigrée, et révéler dans l’autre, celui de la société d’accueil, une caractéristique commune à l’ensemble du monde arabe mais inégalement marquée selon les situations rencontrées et les catégories sociales concernées : le fait que les rapports de parenté et plus généralement d’alliances interfèrent toujours avec les rapports de productions et plus généralement de travail. Sans doute note-t-on aujourd’hui et au moins dans certains domaines comme celui de la rencontre stricte entre le capital et le travail une tendance à une différenciation plus nette de chaque registre, et l’on doit faire observer que les formes de cette rencontre y prennent de plus en plus l’allure d’une rencontre entre nationaux (arabes) et étrangers (non-arabes). Ceci n’est peut être pas sans rapport avec cela. Quoi qu’il en soit, et au moins pour ce qui concerne la nature des rapports sociaux au sein de l’émigration, plusieurs observations doivent être faites.

    39En aval, c’est-à-dire sur le plan de la société d’accueil, le kafala apparaît comme le rapport social dominant. Tout étranger dans le Golfe quel qu’il soit (entrepreneur ou simple manœuvre) ayant besoin d’un kafil, c’est d’abord dans ce rapport que se nouent les formes de sa présence dans le Golfe. Ce sont les conditions de la rencontre entre « nationaux » et « étrangers » qui structurent ce rapport7. Il s’agit d’un rapport fluctuant, transitoire, particulièrement soumis à la dynamique de la négociation interindividuelle, et faisant l’objet d’un choix de la part de l’émigré, il s’agit d’un aspect majeur dans la mise en œuvre de sa stratégie sociale, ce qui permet de comprendre les changements fréquents dont il fait l’objet. Ceci n’empêche pas que, dans ses grandes lignes au moins, le kafala épouse les fluctuations globales de l’activité, notamment dans la marge de manœuvre qu’il préserve à l’étranger, beaucoup plus complexe et diversifiée dans le cas de l’entrepreneur que dans le cas de l’ouvrier, et dans le cas du travailleur « opérant pour son propre compte » que dans celui de l’ouvrier. Dans une très large mesure, c’est la manière même dont a évolué le kafala qui permet de comprendre les formes successives des rapports sociaux au sein de la communauté immigrée dans le Golfe.

    40Mais sur un autre plan, la nature des rapports sociaux au sein de la communauté émigrée dépend également des rapports qu’ils ont continué d’entretenir avec le village et le pays d’origine et dont nous avons amorcé l’analyse dans la logique des recrutements. Dans tous les cas que nous avons étudiés, ces rapports sont restés vivaces, toujours réactivés, extrêmement marquants et même dans le cas de Kfar Rummân, où l’on observe un début d’intégration à la société d’accueil et une relance des départs, l’intégration au Koweit est d’autant mieux assumée que la communauté reproduit, en partie au moins, la logique des rapports villageois.

    41Si, de manière dominante, la dynamique des rapports sociaux au sein de l’émigration dépend pour l’essentiel des situations de travail que l’on a rencontrées ou que l’on a contribué à définir, en revanche ces situations elles-mêmes sont difficilement compréhensibles si l’on ne tient pas compte à la fois, des conditions objectives générales existant dans les pays d’arrivée, de la manière dont ces conditions ont été appropriées et transformées par la dynamique communautaire et plus généralement des stratégies que chaque catégorie d’agent, selon son ancienneté dans l’émigration, les caractéristiques de sa situation initiale et ses perspectives de retour, était en mesure d’élaborer afin de concilier et rendre compatible tout ce qui, en apparence au moins, apparaissait comme incompatible et contradictoire.

    42Une analyse minutieuse du réseau extrêmement serré et complexe des rapports existant au sein de la communauté émigrée nous impose donc de partir du kafala et d’énoncer le système de règles qu’il institue avant de voir comment le jeu sur ces règles pouvait progressivement faire partie de la règle du jeu. Du même coup, cette approche nous permettra de clarifier les stratégies adoptées par les entrepreneurs, de voir comment elles pouvaient correspondre à des intérêts convergents de la part des émigrés employés, mais également de la part des ressortissants des pays d’arrivée et de voir comment, à l’intérieur même des règles fixées par le kafala, c’est la logique d’ensemble des sociétés du Golfe mais également celle des sociétés d’origine qui transparaissait et se transformait.

    1. Le kafala.

    43Tout étranger qui veut résider dans l’un des pays du Golfe doit le faire sous le parrainage d’un citoyen du pays qui représente en quelque sorte sa caution légale face aux autorités du pays. Ceci signifie que l’étranger, n’ayant pas d’existence légale propre, ne peut être personnellement propriétaire d’aucun bien immobilier, bâtiment ou terrain, ni d’aucun outil de travail, tout devant être déclaré au nom d’un citoyen du pays : le kafil.

    44Dans la pratique, l’implantation des sociétés étrangères dans le Golfe étant de plus en plus subordonnée à une participation minimale du capital local toujours fixée par décret, le kafil se transforme formellement en associé, tout en restant juridiquement le garant de l’entreprise. Cette formule ouvre la possibilité à toutes sortes de variantes depuis le cas où, le capital initial étant entièrement apporté par l’investisseur étranger, il sera déclaré en totalité au nom du kafil, ou conformément à ce qu’exige la loi : dans ce cas l’étranger faisant fonction de directeur général sera officiellement salarié de l’entreprise, jusqu’au cas où, la participation du capital local étant égale ou supérieure aux prescriptions légales, le kafil apparaîtra également comme un partenaire dans le capital. Ce que toutes ces variantes ont en commun, c’est qu’au seul titre de la garantie qu’il exerce et du service qu’ elle représente, le kafil va réclamer une rémunération : cette rémunération sera plus ou moins importante selon sa position et son rang, c’est-à-dire selon l’aide que le kafil pourra procurer à l’entreprise pour lui faire obtenir des contrats, faciliter ses activités et assurer son profit. Bien entendu, dans le cas où le kafil apparaît également comme un partenaire du capital, les marges qu’il prélève au prorata de ses parts, comme n’importe quel associé, sont calculées en déduction des « commissions » qu’il touche en tant que kafil.

    45Le principe est le même aussi bien pour le petit artisan que pour la firme multinationale à ceci près que le kafil du premier occupera un rang inférieur à celui de la deuxième : alors que le kafil de l’artisan est généralement un petit fonctionnaire, un chauffeur de taxi, etc., le kafil d’une importante firme multinationale se recrute directement dans les rangs de la famille royale ou de ses alliés. Ainsi, toute une hiérarchie des kafils s’instaure qui reproduit les hiérarchies locales en épousant la hiérarchie des capitaux étrangers, n’importe quel ressortissant du pays pouvant, au moins de façon formelle, exercer cette fonction. Quant au travailleur étranger, son kafil sera généralement celui de son employeur surtout lorsqu’il s’agira d’entreprises importantes, sans que toutefois cela soit obligatoire : dans ce cas il se limitera à réclamer au travailleur une somme forfaitaire proportionnelle à son salaire. Le système a également pour effet d’interdire à l’ouvrier de se livrer à des activités multiples sauf autorisation le plus souvent négociée avec son kafil et de l’attacher à l’entreprise pour laquelle il a été recruté et que par conséquent il ne pourra quiter, sauf procédure exceptionnelle dite de « release » : dans tous les autres cas, lorsque l’ouvrier voudra changer d’entreprise, il lui faudra retourner dans son pays d’origine et faire une nouvelle demande.

    46Dans le cas du capital, la fonction de kafil n’est pratiquement limitée que par les capacités de gestion de chacun d’eux : il est habituel, que ce soit en Arabie Saoudite, au Koweit ou en Oman, que tel personnage éminent de l’Etat exerce cette fonction simultanément pour de nombreuses firmes étrangères de premier plan. Toutefois, ce choix du kafil revenant à l’initiative de l’entreprise, mieux vaudra dans certaines circonstances s’attacher les services d’un personnage de moindre rang, mais beaucoup plus disponible, que ceux d’un personnage de rang supérieur mais difficilement accessible. Dans le cas des ouvriers, le nombre maximum de travailleurs dont un kafil peut s’occuper simultanément, c’est-à-dire pour lesquels il dispose d’un volant permanent de visas, est fixé par décret, et on observe actuellement, suite à de nombreux abus, une tendance à réduire les quotas maximums autorisés qui, il y a quelques années encore, pouvaient atteindre de 10 à 15°000 individus.

    47Le kafala constitue concrètement le rapport social autour duquel se nouent les convergences et les antagonismes d’intérêt entre l’Etat, le clan dirigeant, les autres couches de la société locale, le capital et le travail étrangers.

    48A un niveau général, et dans un premier temps (1974-1979), l’appel au capital étranger a été suscité par l’Etat en utilisant le biais des appels d’offre internationaux et l’aménagement de conditions extrêmement favorables à la mise en valeur du capital : il s’agissait au cours de cette période de susciter un puissant mouvement d’investissement en provenance de l’étranger en ménageant la possibilité de profits largement supérieurs à ceux qui existaient dans les pays d’origine du capital tout en créant les conditions d’un contrôle du capital étranger par le capital local. Dès 1974, et dans la perspective d’attirer le capital étranger, les états du Golfe ont consenti, par le biais des appels d’offre d’Etat, des conditions de rémunération du capital particulièrement élevées, déduction faite de ce que nous avons suggéré ailleurs d’appeler le « taux de garantie »8 qui correspond au rapport des prélèvements ou commissions effectués par les kafils sur le chiffre d’affaire des entreprises. Nous avons vu que ces prélèvements étaient d’autant plus importants, que le rôle du kafil dans la marche de l’entreprise était plus accentué, c’est-à-dire que son intervention dans l’obtention de contrats et de contrats obtenus dans de meilleures conditions, était plus décisive. Son rôle toutefois ne s’arrête pas là : il interviendra également de façon efficace dans les commissions de classement des entreprises leur permettant d’avoir accès à tel ou tel type de marché, et, selon la place et le rang qu’il occupe au sein de la hiérarchie d’Etat, sur simple intervention du kafil de telle ou telle entreprise, le marché sera accordé à tel « adjudicataire » ou ne le sera pas.

    49On a bien le sentiment à partir de cette période que la compétition que les entreprises étrangères dans le Golfe peuvent se livrer par les coûts joue un rôle extrêmement réduit dans leur stratégie d’obtention des marchés et que l’existence des surprofits d’entreprise ne répond pas à la stricte logique du marché, telle du moins que le jeu de la concurrence nous en fournit le modèle. D’un côté, en effet, le capital étranger ne saurait s’investir dans la région s’il n’avait pas l’espoir d’un profit supérieur à celui qu’il trouvait dans son pays d’origine déduction faite des prélèvements de garantie, d’un autre côté, faiblement crédibles sont les analyses qui versent le gonflement des adjudications d’Etat ou même de certains marchés « privés » au compte de la « mentalité rentière » qui comme chacun sait est dispendieuse, faiblement regardante et ostentatoire. La perplexité des économistes sur ce plan renvoie au peu d’attention qu’ils accordent généralement à la dynamique des rapports sociaux, laquelle joue ici un rôle tout à fait essentiel.

    50Dès cette période, le rapport de kafala qui lie le capital étranger à certains segments de la société locale, dont il est difficile pour l’instant de dire s’ils ont ou non vocation à se constituer comme « classe »9, produit toute une série d’effets, qui sont essentiellement des effets de transition et que seul permettait d’escompter le gonflement des appels d’offre d’Etat au-delà du surprofit moyen mondial.

    1. D’une part, en limitant le jeu de la concurrence, mais également, par contre-coup, les possibilités d’entente entre les entreprises étrangères, le système du kafala reporte en partie sur la société locale la logique de l’investissement étranger dans le Golfe : dans la mesure où la passation des marchés traduit davantage la prééminence de certaines fractions locales sur d’autres fractions plutôt qu’une logique de coûts comparés, les rapports existant entre ces entreprises, d’origines nationales distinctes, reproduit et reflète les rapports qui existent entre les différents segments de la société locale qui les représentent.

      1. D’autre part, le kafala laisse ouverte la possibilité d’une récupération partielle par les ressortissants nationaux des surprofits concédés par l’Etat, tout en ménageant les conditions d’émergence possible d’une classe d’entrepreneurs locaux associés au capital étranger. En effet, le prélèvement de garantie est une des formes possibles des redistributions qu’opère l’Etat sur le montant global de la rente mais qui présente cette particularité d’associer les nationaux à la marche des entreprises étrangères. Simultanément, il est le lieu priviégié de l’articulation entre l’Etat et le secteur dit « privé ».

      2. En délocalisant sur les entreprises et les entreprises seules la gestion au jour le jour de la force de travail qu’elles emploient, le kafala autorise une intensification accrue de l’exploitation de la force de travail comme source de surprofits additionnels, en faisant l’économie de la gestion de la rencontre locale entre le capital et le travail. Simultanément, en laissant toute marge de manœuvre au capital étranger pour gérer comme il l’entend la dynamique des rapports sociaux dans et « hors » entreprise, il rend possible les formes de socialisation de la force de travail que nous venons de décrire en reportant sur les antagonismes entre appartenances nationales les antagonismes caractéristiques du monde du travail.

      3. Enfin, il induit une logique de l’investissement extrêmement particulière, caractérisée par une diversification maximale des activités et un retrait immédiat des bénéfices (« immediate profit making »), deux aspects qui vont jouer un rôle de premier plan dans l’évolution de la division technique du travail au sein des communautés émigrées : processus de sous-traitance en cascade.

    51Ces caractéristiques générales permettent de comprendre l’allure du mouvement migratoire libanais en direction du Golfe dès les années 1970 ; elles vont également nous permettre de mieux préciser la stratégie des entrepreneurs émigrés.

    2. La stratégie des entrepreneurs libanais.

    52Dans tous les cas que nous avons étudiés, l’essentiel de la préoccupation des entrepreneurs qui furent à l’origine du mouvement d’émigration a été de créer les conditions de leur rencontre avec celui qui allait devenir leur kafil. Cette démarche ne s’est pas accomplie du jour au lendemain et tout témoigne du fait que cette initiative a été longue, compliquée, soumise à de nombreux retournements de situations et pour tout dire, laborieuse. De plus, rares sont les situations dans lesquelles le choix d’un kafil s’est opéré de façon définitive et si, d’une certaine manière, la nécessité de trouver un kafil avec lequel « on puisse s’entendre » constitue bien une des conditions du succès, savoir changer de kafil lorsque la situation se présente ou l’impose, constitue également une des manières de le garantir et de le renforcer. Sur ce plan, rien n’est jamais définitivement acquis et si la force de la parole donnée continue encore à garantir la bonne marche des affaires, au fur et à mesure que les enjeux qu’elle dissimule se précisent, se précisent également les potentialités de conflits et de malentendus qu’elle comporte.

    53Dans tous les cas, l’établissement d’un rapport de confiance réciproque avec le kafil est au principe même du démarage de l’entreprise. Ce rapport peut prendre des formes relativement « avancées » lorsqu’il s’agit par exemple d’une délégation de pouvoir allant jusqu’à exercer cette fonction en lieu et place de son détenteur (ce sera par exemple le cas de Najib à Riyadh qui disposera lui-même du pouvoir de recruter) ou se limitant, dans le cas le plus fréquent, à enregistrer le capital initial au nom du kafil en contrepartie de son parrainage formel. Tout dépendra sur ce plan des circonstances particulières de la rencontre entre les deux protagonistes, de leur insertion sociale respective et de ce que chacun est prêt à concéder en contrepartie de ce qu’il escompte. Ce rapport ne reposant que sur un « gentleman’s agreement » qui trouve son ancrage dans la convergence momentanée des intérêts qu’il sanctionne, soit ces intérêts sont « banalisés » et formulés indépendamment des performances possibles de l’entreprise, dans ce cas la redevance de garantie peut être formellement assimilée à un bail commercial (les exemples de kafils « de complaisance » ne manquent pas), soit les intérêts de l’un sont étroitement « associés » aux intérêts de l’autre et dans ce cas la stabilité de la relation va dépendre des modalités du partage et des conditions de son évolution au cours du temps. Dans ce cas, et toute choses différentes par ailleurs, la redevance est analogue à celle qui lie le fermier exploitant au propriétaire terrien : elle apparaît alors comme une sorte de rente prélevée par les kafils uniquement en vertu du fait que le droit de propriété et particulièrement de la propriété des moyens de production est réservé aux seuls nationaux. Cet exemple tout à fait inattendu de « fermage industriel » offre comme pour celui qui lui sert de modèle toutes les possibilités de conflits portant sur la durée des accords, la répartition des profits et des charges et le partage des risques vis-à-vis des débouchés marchands. Il offre aussi toutes les perspectives de capitalisation de la redevance par les kafils. Ce qu’il importe de souligner ici, c’est que ce « gentleman’s agreement » dissimule toujours un rapport de force latent et non institutionnalisé dont l’évolution va dépendre aussi bien de la stratégie adoptée par chacune des parties en présence que de l’évolution globale des conditions de l’investissement et de l’activité. A notre connaissance, aucune étude systématique du kafala n’a encore été entreprise à ce jour. Les quelques éléments épars dont nous disposons nous permettent toutefois de faire l’hypothèse qu’au cours des dix dernières années, deux grandes tendances permettent de comprendre la manière dont il a évolué.

    54Entre 1974 et 1981, le gonflement intentionnel des appels d’offre d’Etat a permis tout à la fois la venue massive de capitaux étrangers et des redistributions internes considérables sous formes de « commissions de garantie ». C’est au cours de cette période que le systhème du kafala se rode et produit l’essentiel des effets qui en étaient escomptés : une association étroite des capitaux étrangers avec le secteur privé sous contrôle étatique. Selon la place et le rang que chacun d’eux occupe au sein des sociétés du Golfe, la stratégie des kafils a oscillé entre le parrainage « banalisé » de nombreuses entreprises de moyennes importance et le parrainage « en association » d’un nombre plus restreint d’entreprises plus importantes. Inversement, la stratégie des entrepreneurs étrangers oscillait entre consentir des commissions importantes ayant des « effets d’entraînement » significatifs et s’acquitter de commissions de « complaisance » sans aucun effet associé. Dans un cas, l’entrepreneur étranger mise sur le long terme en réduisant ses marges immédiates, dans l’autre, il fait du « coup par coup » en procédant à des retraits immédiats, mais dans tous les cas il s’agissait de maximiser le profit selon les cycles d’expansion visés et en situation de haute conjoncture. Dans ce cadre, les prétentions des kafils ne sont limitées en baisse que par la concurrence qui, à rang égal, fait qu’un entrepreneur étranger peut toujours susciter les services d’un autre kafil. Inversement, la capacité de négociation des entrepreneurs étrangers dépend à la fois de la solidité de leur implantation dans leur pays d’origine respectif et du champ relationnel local sur lequel ils sont susceptibles de s’appuyer.

    55A partir de 1981, avec le renversement partiel des termes du marché pétrolier et la révision en baisse des budgets des Etats, c’est-à-dire l’amorce d’une situation mieux soumise aux termes de la concurrence, on observe un retournement de tendance. Tout nous porte à penser qu’aujourd’hui un partage des enjeux s’est opéré et que se dessine, dans la plupart des pays pétroliers du Golfe, l’émergence d’une classe d’entrepreneurs privés étroitement associée avec le capital étranger arabe ou occidental. Cette tendance correspond d’ailleurs à une venue beaucoup plus massive de capitaux et de travailleurs asiatiques qui, sur certains segments au moins de l’activité sociale, imposent une régulation par les coûts qui fait la différence avec la période antérieure. Nous avons là l’amorce d’une périodisation possible de la transformation de la rente en capital et, quoi qu’il en soit des hypothèses qui sous-tendent cette périodisation, permettent de mieux saisir la manière dont ont évolué les rapports sociaux au sein des entreprises libanaises dans le Golfe. Elle s’opère en deux temps.

    56Dans un premier temps, c’est la négociation des conditions mêmes du kafala dans le cadre d’une conjoncture très largement favorable pour le capital et les initiatives étrangères, qui ouvre la possibilité d’une démultiplication en « cascade » des rapports sociaux d’origine dans le cadre même de l’entreprise : si pour l’entrepreneur qui bénéficie du soutien sans restriction que lui apporte son kafil tout se joue en définitive dans la manière dont évolue ce rapport sur le plan des conditions collectives de l’investissement, par contre cette situation va lui permettre à son tour, tout en proposant à la main-d’œuvre villageoise qu’il va solliciter des rémunérations très largement supérieures à celles du village, de jouer vis-à-vis d’elle, à moindre échelle certes mais de manière significative, un rôle comparable de « protection » et de « promotion ». Ce rôle va principalement s’exercer dans deux directions. La première va consister à délocaliser ce « rapport de confiance » sur ceux qui lui sont le plus proches notamment dans des opérations de sous-traitance qui, permettant au premier d’élargir son volant d’opérations, permettront au second de sortir du simple rapport salarial qui le liait au premier, dans la mesure où lui-même et pour son propre compte recrutera de la force de travail en lui confiant des tâches, génératrices d’un surplus ou d’une plus-value qu’il pourra s’approprier. La deuxième va consister à laisser toutes latitudes et même aider ceux qui bénéficient de cette confiance à amorcer à leur tour une dynamique d’entreprise autonome en liaison avec leur propre kafil sur des activités connexes ou complémentaires. Si dans ce cas, l’entreprise perd un employé et perd également l’équivalent du temps de travail ainsi que la fraction du chiffre d’affaire qu’elle lui a concédé afin qu’il puisse amorcer cette logique, par contre, elle s’y retrouve dans la diversification du réseau de redevances et d’obligations qu’elle constitue autour d’elle : un service rendu n’étant jamais perdu. Ceci permet d’ailleurs de comprendre que, pour l’essentiel, l’installation d’un nouveau venu « à son compte » se réalise rarement en dehors du secteur d’activité de l’entreprise dont il sort, la communauté dans son ensemble témoignant ici d’une stratégie d’implantation et de présence progressive où la connaissance que chacun peut acquérir du milieu constitue autant et souvent davantage que les moyens proprement matériels dont il dispose au départ pour s’y affirmer.

    57Dans un second temps, les conditions générales de la négociation avec le kafil devenant plus difficiles et réduisant d’autant la marge de manœuvre des patrons d’entreprises vis-à-vis de leurs ouvriers et de leur personnel d’encadrement, on observe l’amorce d’une dislocation du jeu communautaire qui marque la limite au-delà de laquelle les perspectives moyennes de profits s’étaient à ce point réduites que rien ne garantissait plus à terme la logique des échanges ou ne la garantissait plus que dans des cercles de plus en plus restreints.

    58Cette recomposition prendra principalement deux formes : l’amorce d’une dynamique de retours ; mouvements de restructuration de la division technique et sociale des tâches. Cette évolution permet de comprendre à la fois, les formes initiales du recrutement, mais également la manière dont ont évolué et se sont diversifiées les conditions de travail des émigrés libanais dans le Golfe.

    59D’un côté, les formes initiales du kafala autorisaient que ne soient pas mis en œuvre de simples rapports de travail de patrons à ouvriers et dans la mesure où les rapports villagoies étaient garants du fait qu’un service rendu ne l’était jamais en vain, tout le monde d’une manière ou d’une autre a pu bénéficier de la situation. D’un autre côté, le resserrement des termes du kafala parallèle à celui des conditions générales de l’activité réduisait le champ des échanges intra-communautaires à un niveau moins intéressant que celui sur lequel il pouvait continuer à s’exercer au Liban ou ailleurs.

    60Il eut été possible sans doute, quoique la démarche présentât de nombreuses difficultés, de mieux cerner les transferts de valeur des uns aux autres selon la nature des relations ou des rapports existants entre les membres de la communauté, et entre celle ci et les ressortissants nationaux avec lesquels elle était en contact. C’est ce que nous avons tenté de faire dans le cas de Zghorta. Mais, sans avoir à approfondir cet aspect, il apparaît dans tous les cas, que les rapports de production et d’échange sont surdéterminés par des rapports d’alliance et de parenté, qu’il s’agisse de s’allier après coup avec des gens avec qui on s’est associé pour le travail ou au contraire de travailler avec des gens avec qui on était déjà allié.

    61Cet aspect apparaît d’abord selon l’axe vertical et hiérarchique qui lie les entrepreneurs émigrés aux ouvriers dont ils ont facilité ou suscité la venue, il apparaît également selon l’axe horizontal des formes de coopération qui, pour un niveau donné d’initiative et de responsabilité, a privilégié les relations entre pères et fils ou entre frères et beau-frères comme forme dominante d’entreprise et de répartition des tâches. Si ces formes trouvent leur point d’ancrage dans le village et antérieurement au départ, remodelées tout au long du parcours migratoire, elles trouvent aussi leur point d’aboutissement au retour ou même, tout au long du séjour, dans l’ensemble des activités qui, sans être directement des activités de travail, en dépendent, comme les formes d’usage de l’épargne, l’entretien des rapports avec le village, la division et la répartition des charges et des pouvoirs à l’intérieur de la famille ou de la lignée, etc.

    62Dans tous les cas et à l’intérieur de la communauté libanaise, malgré le fait qu’il s’agisse d’une émigration conjointe de capital et de travail on voit bien que la situation interdisait l’émergence de rapports de classes, au sens où on utilise généralement ce terme même si, et il est possible de le vérifier, le parcours migratoire n’a fait qu’amplifier les différences sociales qui existaient au départ : les plus riches s’enrichissant davantage tandis que pour les plus pauvres le séjour se soldait souvent par un échec ou une opération à somme nulle.

    63En revanche, on voit également que cette situation est encadrée de part et d’autre et dans une certaine mesure est rendue possible par l’existence de quasi-rapports de classe, au sens où pour l’essentiel ce sont des antagonismes d’intérêts qui s’y manifestent mais au sens également où la situation interdit qu’ils se manifestent comme tels : les kafils d’un côté, l’existence d’une force de travail yéménite, indienne ou pakistanaise surexploitée de l’autre fixent les limites à l’intérieur desquelles se déploie le jeu des solidarités communautaires.

    64En effet, d’un côté c’est l’existence des surprofits d’entreprise qui permet de comprendre la forme des rapports que nous venons de décrire au sein de la communauté émigrée, de l’autre la diversification des rapports de travail n’est possible que grâce à l’existence d’une force de travail meilleur marché que la force de travail libanaise et qui permettait à celle-ci de s’installer à son compte soit comme artisan soit comme sous-traitant lié à l’entreprise mère.

    65Au fur et à mesure que, sous la pression des kafils, le surprofit d’entreprise ne pourra plus se maintenir que par une diminution des coûts en main-d’œuvre et une intensification de l’exploitation de la force de travail, marquant du même coup les limites à l’intérieur desquelles s’exerçaient les solidarités villageoises, les entreprises vont progressivement remplacer la main-d’œuvre libanaise par une main-d’œuvre d’origine asiatique, amorçant la première vague de retour pour ceux qui dans l’intervalle n’étaient pas parvenus à s’installer à leur compte. Seules les entreprises qui disposaient dans leur pays d’origine de solides bases de repli et par conséquent des moyens de s’opposer plus fermement à la stratégie des kafils et aux pressions du marché résisteront à cette tendance. Résultat et produit de la gestion antérieure des rapports sociaux au sein des entreprises qui avaient soutenu jusqu’alors le mouvement migratoire, cette situation opére une première différenciation entre ceux qui rentrent, ceux qui restent et ceux qui, soit que les nouvelles conditions de travail dans le Golfe ne leur paraissent plus suffisament attrayantes, soit que les conditions de leur retour leur paraissent trop précaires, iront tenter leur chance dans d’autres pays.

    66Désormais, le jeu des solidarités communautaires, dans un espace moins fluctuant et mieux banalisé dans ses principaux enjeux que ne l’était la situation initiale, va porter sur un tout autre aspect : celui des rapports inter-entreprises à propos des approvisionnements, des passations de marché ou de leur répartition par lots, entre des entreprises dédouanées des régulations communautaires dans la gestion de leur force de travail. Cette tendance va de pair avec un redéploiement de la communauté dans le tissu social d’accueil et l’amorce d’une dynamique d’insertion locale pour la fraction stabilisée de l’émigration. C’est un peu ce qui caractérisait d’emblée la situation de la communauté émigrée de Kfar Rummân à Koweit.

    4. LES LIAISONS DÉPART/ARRIVÉE ET LA RESTRUCTU-RATION DES RAPPORTS VILLAGEOIS

    67Nous avons vu comment la division des tâches et des mandats au sein même de l’émigration entre les membres de la lignée, puis, de proche en proche, entre lignées, apparaissait comme la réponse optimale à la nécessité de conjoindre la nouvelle donne caractérisée par les occasions de profit ou d’emploi dans le Golfe avec la situation villageoise antérieure. Cette logique a mis en évidence le rôle essentiel des rapports entre frères et beaux-frères c’est-à-dire précisément les les relations qui, dans la situation antérieure, étaient au principe même du maintien de la cohésion familiale par le double jeu de la coopération entre frères à l’intérieur même de la famille et entre beaux-frères dans les alliances entre familles. Toutefois, cette logique permet également de mettre en évidence une redistribution des rapports entre époux et entre générations.

    1. La restructuration des rapports familiaux.

    68Jusqu’à une période récente les rapports entre frères et beaux-frères jouaient principalement dans le contrôle des terres et le maintien de l’indivision au sein du groupe familial puis, progressivement, au fur et à mesure que le mariage avec la sœur de l’oncle cessait d’apparaître comme une alliance préférentielle ces rapports ont constitué un des axes possibles des stratégies de mobilité sociale en même temps qu’un enjeu dans la restructuration des rapports d’influence au sein du village : l’endogamie villageoise continuant pour l’essentiel à définir les contours à l’intérieur desquels s’opéraient les remaniements de pouvoir et de richesse, se marier à l’extérieur du village revenait, d’une certaine manière à sanctionner une rupture avec le groupe dans une logique de mobilité ascendante. Encore convient-il d’ajouter que dès lors rien ne pouvait plus garantir la stabilité de ce type d’alliance sinon le type de cohésion qui procure pour le couple un succès social partagé.

    69Ainsi, la transposition à l’étranger et dans le domaine de l’entreprise et des activités professionnelles des dispositions et des manières de faire acquises et éprouvées sur place dans le contrôle des terres et des richesses liées à la terre permet-elle tout à la fois et en mobilisant des moyens comparables, de maîtriser les nouvaux circuits de la promotion sociale lorsque ceux-ci passaient désormais et prioritairement par l’exil, tout en continuant à faire le lien avec la situation ancienne : rares sont ceux qui, partis célibataires, se sont mariés à l’étranger. Clé de voûte de l’édifice familial mais aussi du succès des parcours migratoires, les relations entre frères et beaux-frères sont également son point faible, pour peu que soit compromise l’autorité qui en garantit la reproduction : celle des pères et, plus généralement des anciens. Elle est doublement compromise pour peu que eux-mêmes se trouvent vis-à-vis d’autres en situation de dépendance. Or, c’est précisément le risque que l’on observe tout au long du parcours migratoire. Ce risque va prendre des formes différentes selon la manière dont cette relation sera sollicitée.

    70D’un côté, en exil, les relations entre frères et beaux-frères sont doublement renforcées par le sentiment d’hostilité potentielle que diffuse le milieu et par le souci de ceux qui ont réussi de maintenir, quitte à en payer le prix, un clientélisme dont la raison d’être se situe principalement dans le village lors du retour. Or, s’il est de moins en moins rare, surtout parmi les familles les plus défavorisées, que des rapports de clientélisme distincts partagent l’espace familial, d’une manière générale, ceux-ci en épousent les contours.

    71D’un autre côté, au village, l’autorité des anciens ne repose plus que sur la délégation de pouvoir qui leur vient de leurs fils émigrés, seule base sur laquelle ils peuvent envisager d’influencer la logique des décisions villageoises et faire fructifier le capital matériel mais également symbolique cumulé à l’extérieur par les cadets.

    72Enfin, les rapports entre époux, durement sollicités par l’expérience de la séparation aboutissent à une redistribution des rôles au sein du couple, la stabilité de celui-ci étant désormais soumise à la vigilance des familles restées au village.

    73Ainsi, cette relation va-t-elle faire l’objet d’un double affrontement : à l’intérieur du groupe familial d’abord et l’enjeu de cet affrontement sera celui d’un nouveau partage des pouvoirs et des responsabilités entre génération et entre conjoints. Entre familles ensuite, et l’enjeu de cet affrontement concernera la fixation du niveau de rentabilité sociale de l’émigration à l’intérieur du village entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés.

    2. La terre comme enjeu collectif de l’émigration.

    74C’est très certainement autour du contrôle des sols que se jouent la plupart des affrontements entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés. Tant que la terre à vocation agricole restait synonyme de richesse et de pouvoir les vagues successives d’émigration contribuaient à un mouvement de réappropriation paysanne qui ne transformait pas la vocation des sols mais opérait un transfert de richesses au profit des villageois dans leur ensemble et au détriment des propriétaires fonciers extérieurs progressivement exclus des enjeux proprement internes. A partir des années 1950, lorsque ce mouvement de réappropriation fut pratiquement accompli et que les revenus liés aux activités de la terre commencèrent à décliner, on observe l’amorce d’un mouvement d’exode rural et une tendance à la diversification du champ des activités : c’est la logique du paysan-salarié qui progresse tout au long de cette période (1950-1975) en même temps que les rapports au sol évoluent et se transforment. Le Liban dans son ensemble, mais plus particulièrement les régions montagneuses du Mont-Liban font l’objet d’une réappropriation à vocation touristique de la part des pays arabes soumettant les terrains à une première vague de spéculation foncière. C’est comme terrain à bâtir que l’accès à la terre devient désormais support de pouvoir et de richesse. L’amorce du courant migratoire en direction du Golfe et le début des hostilités au Liban devaient contribuer à amplifier cette tendance, la terre devenant dès lors une valeur refuge soumise à une spéculation mobilière intense. Dès que les revenus en provenance de l’émigration se précisent, on observe un blocage des ventes de terrain de la part de ceux qui, parce qu’ils en détenaient la propriété, ont pu différer leur départ. Ce blocage correspond par ailleurs à un emballement de la demande de terre. On note dès cette période une montée vertigineuse des prix des terrains, ceux-ci étant pris désormais dans une logique spéculative que ne connaissait pas la période antérieure ou qu’elle avait connu sous des formes différentes. C’est que l’accès au sol se situe exactement à l’articulation des logiques anciennes et des logiques nouvelles où, dans tous les cas, la propriété terrienne a toujours représenté la seule manière de renforcer sa position à l’intérieur du village sans rompre le cercle de son ancrage social, alors qu’elle représente aujourd’hui un des moyens le plus sûr et le plus immédiat de lutter contre l’érosion de l’épargne tout en prodiguant les signes de son succès social.

    75Caractéristique dans le cas de Kaakour, cette demande de terre est moins nette dans le cas de Zghorta et encore moins dans le cas de Kfar Rummân où elle est plus étalée, plus diffuse, davantage médiatisée par la collectivité locale. Dans ce cas, il s’agit d’une communauté déjà bien intégrée à Koweit et pour laquelle le maintien des liens avec le village a cessé d’être médiatisé par le sol : l’épargne se dirige vers d’autres usages. Par ailleurs, dans le cadre du village le mouvement de redistribution foncier oppose la famille dominante aux paysans parcellaires. Dans le premier cas, celui de Zghorta, la rupture des liens avec le sol est déjà ancienne, la durée de l’émigration a été courte et l’épargne se dirige prioritairement vers l’amélioration de l’habitat existant et l’initiative artisanale.

    76Si l’épargne en provenance de l’émigration constitue bien aujourd’hui la ressource essentielle de la plupart des villages permettant aux familles de vivre et d’investir dans l’éducation des enfants, le problème que pose l’épargne est d’abord celui de la lutte contre l’érosion du pouvoir d’achat qu’elle représente. Ici, plusieurs perspectives se présentent, inégalement risquées mais, en revanche, inégalement rémunératrices et qui dépendent pour l’essentiel de la situation antérieure des migrants, de la situation de leur lignée et du succès qu’ils ont ou non obtenu pendant leur séjour.

    77En gros, la différence s’opère entre ceux qui, de retour, se lancent dans la logique de l’investissement productif sous la forme d’un petit atelier ou celle plus ambitieuse d’activités orientées vers l’extérieur du village, et ceux qui renoncent du fait de la guerre ou ne peuvent y accéder, sachant que tous, d’une manière ou d’une autre visent d’abord à améliorer leurs positions par l’accession à la propriété. Dans la plupart des cas, ces deux démarches ne sont pas contradictoires mais se succèdent si bien que l’on peut considérer que la construction d’un logement précède toujours la recherche d’un nouvel emploi ou la mise en œuvre d’une stratégie de réinsertion productive, et ceci d’autant plus que l’une peut facilement être mise en œuvre durant la période de séjour à l’étranger, tandis que l’autre l’est beaucoup plus difficilement.

    78Compte tenu des stratégies de rétentions des sols mises en œuvre par ceux qui sont restés, compte tenu également de l’inflation que connaissent la plupart des matériaux de construction au Liban mais aussi de la fluctuation conjoncturelle des activités dans le Golfe, nombreux sont ceux pour qui amorcer la construction de leur demeure « par tranches » sans attendre d’avoir suffisamment épargné pour y parvenir constitue une réponse optimale à la fois aux conditions de leur séjour dans le Golfe et aux conditions générales de leur retour.

    79Il nous faut admettre sur ce plan que le mouvement de revalorisation des terrains à bâtir et des matériaux de construction allant beaucoup plus vite que le renchérissement du pouvoir d’achat des émigrés, par rapport à celui de ceux qui sont restés, et beaucoup plus vite également que la valorisation bancaire de l’épargne de ces deux catégories prises ensembles, la course à l’habitat « par tranche » constitue la réponse la moins hasardeuse à l’érosion du pouvoir d’achat de tous, dans une situation où, par ailleurs, les taux de change comparés de pays à pays ne cessent de fluctuer au détriment des émigrés en même temps que diminue l’écart des rémunérations entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés.

    80Cet aspect contribue puissamment à façonner la physionomie de l’émigration libanaise dans le Golfe en instaurant une logique de l’intermittence au cours de laquelle les séjours passés dans le Golfe sont entrecoupés de nombreux séjours passés au village et mis à profit pour la construction de l’habitat : les délais de finition de l’un dictant très communément le prolongement ou au contraire l’arrêt de ce mouvement de noria. Ici encore, et en réplique à ce que l’on observe dans la division du travail au sein de la communauté émigrée, il est fréquent que les coopérations entre frères et beaux-frères organisent l’avancement des travaux, soit qu’il s’agisse pour deux frères de prolonger la maison du père en lui rajoutant des étages successifs, soit que les regroupements effectués apparaissent simplement comme une manière de faire l’économie des coûts en main-d’œuvre. Seuls les émigrés dont les revenus dans le Golfe se situent à des niveaux plus élevés peuvent envisager de rémunérer une force de travail locale dans la construction de leur habitat. Dans ce cas, ils s’occuperont à mettre en place les conditions de leur réinsertion dans le champ des activités productives et rémunèreront la force de travail villageoise dans des conditions comparables à celles qui avaient motivées leur embauche dans le Golfe.

    81Cette tendance générale doit être nuancée. Dans le cas de Kfar Rummân, rares sont les familles dont l’existence matérielle dépend encore directement des revenus de l’émigration. Les envois d’argent se sont raréfiés et la reproduction de la communauté émigrée a cessé de s’articuler, au moins dans ses grandes lignes sur l’espace villageois. On observe l’émergence d’une logique de « colonie » sans doute liée à l’ancienneté du mouvement. Même si le recrutement continue à s’opérer dans les rangs villageois en même temps que les mariages continuent à se contracter dans le village, un dynamisme communautaire auto-centré s’est mis en place qui recycle les nouveaux arrivants. L’épargne s’oriente essentiellement vers l’investissement, les placements bancaires locaux ou l’éducation des enfants que l’on envoie en Angleterre ou au Canada. Ceux parmi les émigrés qui ont réussi vivent fréquemment en milieu koweitien.

    5. CLASSES, COMMUNAUTÉS ET APPARTENANCE NATIONALE

    82L’émigration libanaise expérimente aujourd’hui des formes de mobilité et de solidarité sans commune mesure avec celles qu’elle avait connu auparavant, au moment même où la situation intérieure évolue et se transforme à un rythme et sur une échelle parfaitement imprévisibles il y a seulement une dizaine d’années. A certains égards, et par rapport à la façon dont évolue la situation intérieure, le mouvement migratoire peut passer pour un phénomène mineur et de faible importance compte tenu de la dynamique de changement social qui s’est engagée depuis. D’un côté, il est de plus en plus évident que c’est de l’étranger et parmi les communautés en exil que s’élaborent les formes sociales et que se mettent en place les mécanismes qui contribueront à la reconstruction nationale et qui, jusqu’à aujourd’hui au moins, lui ont permis de ne pas succomber à la guerre.

    83Toutefois, et particulièrement depuis 1982, la situation ne cesse de se dégrader. Si jusqu’à cette date, le Liban avait réussi tant bien que mal à résister aux retombées très lourdes de la guerre de 1975-76, depuis l’invasion de 1982, la crise que traverse le pays ne fait que s’accentuer : aujourd’hui, les Libanais (résidents) produisent à prix constants la moitié de ce qu’ils produisaient il y a dix ans, plus de 30 % de la population active est sans emploi, pour la première fois dans son histoire la balance des paiements est déficitaire, les recettes du service public ne couvrent plus que 20 % de ses dépenses et les flux de marchandises en provenance d’Israël ayant provoqué la fermeture des marchés arabes, on note une chute brutale des exportations10. Ceci advient au moment où les perspectives d’émigration en direction du Golfe se réduisent et au moment où ces pays, du fait de la récession du marché pétrolier, révisent en baisse leurs objectifs de développement.

    84La situation interne de guerre, la chute générale du niveau de l’activité et le mouvement migratoire entretiennent des rapports mutuels de détermination réciproque que l’on ne peut isoler sans prendre le risque de méconnaître la spécificité de la conjoncture libanaise actuelle11.

    85Sur un plan historique, la nation libanaise s’est progressivement constituée par vagues migratoires successives ayant conservé une autonomie communautaire sur un territoire partagé entre l’appartenance nationale stricte et son appartenance à la « nation arabe » : ce n’est qu’au cours de périodes relativement courtes et récentes que l’expression de l’appartenance nationale sous contrôle de l’appareil d’Etat s’est imposée comme « horizon commun » ou comme manière commune de se situer, rendant problématique dans toutes les autres situations et jusqu’à aujourd’hui, une délimitation exacte entre « nationaux » et « étrangers » : plus exactement, cette délimitation étant au cœur même du conflit qui oppose les différentes fractions libanaises entre elles : se prononcer sur ce partage c’est toujours, d’une manière ou d’une autre, prendre parti dans le conflit. Or, nous sommes en présence aujourd’hui d’une situation où une fraction considérable de la population nationale12 réside ou travaille à l’extérieur du pays alors même qu’à l’intérieur, les fractions « étrangères » sont de plus en plus nombreuses et jouent un rôle de plus en plus prépondérant.

    86Par contre coup, l’appartenance nationale subit à nouveau une inflexion décisive : c’est davantage à l’étranger que sur le sol national que les Libanais se reconnaissent entre eux et se revendiquent comme Libanais : beaucoup plus qu’une expérience de la fraternité arabe souvent déçue, l’émigration libanaise dans le Golfe a donné lieu à une expérience de la fraternité intercommunautaire13. Cette revendication prend, sur un plan intérieur, l’allure d’une lutte pour l’hégémonie politique d’une fraction sur les autres fractions et celle d’une compétition extrêmement sévère pour l’accès aux positions de pouvoir.

    87Le conflit libanais a eu pour conséquence directe, avec une chute brutale du niveau de l’activité, une destruction en chaîne et une perte de légitimité des principaux mécanismes sociaux qui, dans la période antérieure à 1975, assuraient la reproduction du compromis entre communautés. Particulièrement, la destruction des principaux segments de l’appareil d’Etat qui a cessé d’avoir le monopole de la justice, de l’éducation et de « l’exercice de la violence légitime » a fait du rapport de forces armé entre milices différentes, la modalité dominante du rapport entre groupes d’intérêts antagoniques. De proche en proche, c’est la reproduction d’ensemble de la formation sociale libanaise qui a été soumise à cette logique dans une situation où, ces intérêts se cessant d’évoluer ou de se transformer partiellement ou totalement, ceci ne pouvait que donner lieu à une recomposition parallèle des alliances venant les sanctionner.

    88Si, dans la période antérieure, le compromis de représentation communautaire au sein de l’Etat, l’amorce d’une dynamique d’affrontement de classes, fondé sur le rapport que chacun entretenait avec les sources de la richesse sociale, et le jeu parlementaire étaient allés de pair avec une relative prospérité économique, aujourd’hui, l’aspect dominant du jeu des solidarités et des antagonismes sociaux passe par le renforcement des logiques de clans et plus généralement des logiques communautaires ou confessionnelles14. L’Etat ayant cessé de détenir le monopole des « relations extérieures », cette tendance s’accompagne d’un renforcement et d’une transformation en profondeur des rapports que chaque communauté entretient avec l’étranger, en ce sens que la seule manière de maintenir ou de modifier le rapport de force local passe par les alliances extérieures que l’on peut ou non contacter.

    89Simultanément, la logique des antagonismes de classes tend à s’atténuer pour ne plus se manifester que de manière médiatisée et différée dans le cadre des rapports entre communautés. Ceci signifie principalement deux choses. D’abord que les antagonismes intercommunautaires ont pris désormais le pas sur les antagonismes de classes ou du moins que ceux-ci se recomposent entre, et à l’intérieur de chaque communauté, en fonction des rapports que chacune entretient avec l’étranger. Les enjeux qui aujourd’hui opposent les communautés entre elles sont, si l’on peut dire, plus forts et d’une autre nature que les intérêts qui, d’une communauté à l’autre, pourraient faire converger les fractions de classe qui les composent vers des objectifs communs. Ensuite qu’à l’intérieur de chaque communauté, chacun attend aujourd’hui davantage et autre chose d’une amélioration d’ensemble de la position que la communauté à laquelle il appartient occupe au sein de l’espace national, que d’une amélioration de sa propre condition personnelle au sein de sa communauté. En d’autres termes, chacun pense avoir plus à perdre d’un affaiblissement relatif de sa communauté par rapport aux autres, que ce qu’il pense avoir à gagner d’une amélioration de sa condition au sein de sa propre communauté. Bien entendu, ces tendances dominantes, qui ne se manifestent pleinement qu’en période de crise aiguë, ne sont pas exclusives de tendances contraires visant une recomposition partielle des rapports de force en présence, particulièrement d’alliances conjoncturelles entre fractions ou sous fractions de grandes familles visant par un équilibre subtil mais précaire des combinaisons et des stratégie qu’elles réalisent à conjoindre les effets cumulés d’appartenances et de loyalismes multiples mais contradictoires.

    90Inversement, ces tendances ne sont pas exclusives d’un renforcement au sein même de chaque communauté des rapports d’exploitation et d’assujetissement mais ceux-ci auront tendance à épouser les réseaux d’allégeance clanique ou interfamiliaux, notamment dans la reconstitution et le renforcement des clientèles. Ainsi, les stratégies de reproduction sociale, notamment les statégies de repositionnement ou de reclassement par lesquelles les communautés, les familles ou les individus tentent d’améliorer leurs positions les uns par rapport aux autres, dépendent-elles à la fois de leur capacité à imposer la légitimité des institutions de reproduction dont elles ont le contrôle, surtout et y compris désormais par les armes, du capital matériel et symbolique qu’ils (ou elles) ont à leur disposition ainsi que des stratégies d’alliances ou de compromis qu’ils (ou elles) sont susceptibles de mettre en œuvre pour y parvenir. Ainsi, envoyer ses enfants faire des études à l’étranger, ou dans une moindre mesure, les envoyer localement dans des institutions sous contôle étranger (Université américaine, par exemple) de préférence à des institutions sous le seul contrôle de l’une ou de l’autre communauté (l’Université Saint-Joseph ou l’Université arabe par exemple) constitue le plus sûr moyen pour les franges dominantes de l’une et de l’autre communauté de reproduire les conditions de leur domination au moins tant que n’est pas remise en cause cette structure de pouvoir.

    91L’exemple du système d’éducation qui, en dépit de tout se reproduit dans des conditions inattendues, et tout à fait caractéristique ; mais le raisonnement pourrait tout aussi bien être étendu à l’ensemble des institutions de reproduction sociale comme l’armée, le système bancaire ou l’appareil d’Etat. Le fait que les stratégies de reproduction sociale passent simultanément et indissociablement par l’imposition et la mise en place de structures susceptibles de les sanctionner et par la conformité à des modèles de comportement qu’aucune institution par ailleurs ne sanctionne, contribue tout à la fois à renvoyer sur la dynamique des rapports interpersonnels les critères de succès ou d’échec et à renforcer le rôle des normes étrangères comme critère d’excellence. D’un côté, cette situation précarise chaque jour davantage les chances d’un consensus social qui seul peut donner la mesure commune d’une « normalisation » des rapports entre groupes. D’un autre, et dans une situation où le jeu sur les règles fait partie de la règle du jeu, on observe de proche en proche un brouillage systématique des différents niveaux ou registres de la pratique sociale : tel conflit interindividuel pourra dégénérer en affrontement intercommunautaire et inversement, tel affrontement entre communautés distinctes donnera lieu à des « règlements de compte » individuels. Ainsi, chaque communauté, de manière collective, mais également chaque famille ou chaque individu, pour leur propre compte sont-ils toujours tenus et sommés de se positionner dans leur pratique la plus quotidienne vis-à-vis des contradictions majeures qui travaillent l’ensemble du corps social libanais.

    92Une contradiction politique dont l’enjeu est le contrôle de l’appareil d’Etat et des fonctions sociales qu’il a pour mission de garantir : l’éducation, la justice, l’armée, la monnaie, etc. Parce qu’il représente encore le principal rouage des médiations légitimes avec les puissances étrangères, que le recrutement opéré par l’appareil d’Etat jusqu’à ce jour a respecté au moins dans ses grandes lignes les représentations communautaires tout en étant l’ultime garant des compromis, même partiels susceptibles d’être réalisés, le contrôle de l’appareil d’Etat demeure toujours un enjeu social de toute première importance. Du point de vue des individus qui participent à son fonctionnement, c’est-à-dire des fonctionnaires, il représente toujours, quoique de moins en moins, une perspective de classement social intéressante. Ce qui nous frappe le plus sur ce plan, c’est moins la déshérence du pouvoir d’Etat que le fait qu’il continue malgré tout, sur des segments entiers de son activité, à intégrer le phénomène de guerre pour en faire un élément structurel et durable de son fonctionnement. Le maintien des cours officiels de la livre libanaise au moins jusqu’à ces quelques dernières années constitue un exemple tout à fait remarquable de cette situation.

    93Une contradiction économique dont l’enjeu concerne d’abord la distribution des tâches de régulation tertiaires et notamment bancaires entre le Liban et le reste du monde arabe et, secondairement la distribution comparée des activités sociales entre communautés à l’intérieur même du pays. Si du fait de la guerre, le Liban dans son ensemble a en partie concédé à d’autres pays (notamment Bahrein) sa fonction de carrefour bancaire entre l’occident et le monde arabe par ailleurs, la hiérarchie des catégories socioprofessionnelles les unes par rapport aux autres s’est complètement transformée du fait que certains secteurs de profit apparaissaient alors que d’autres disparaissaient. Ainsi, la mobilité intérieure d’une activité à l’autre liée à la capacité à gérer simultanément plusieurs types d’activité sans aucun rapport les unes avec les autres, a très certainement représenté avec le phénomène migratoire un des aspects décisifs des stratégies de reclassement social pour l’ensemble des communautés.

    94Une contradiction culturelle enfin : dans la mesure où les contradictions précédantes donnent lieu à une compétition extrêmement sévère entre communautés, l’enjeu de cette contradiction concerne la légitimité des modèles de comportement propres à chacune d’elles et leur capacité à établir sur l’ensemble du pays un consensus homogène. Que ce consensus ne doive ni totalement à la culture arabo-musulmane, ni totalement à la culture occidento-chrétienne, ce qui le caractérise mais, puisant alternativement d’un côté comme de l’autre, soit capable d’en cumuler les avantages plutôt que les inconvénients, c’est un peu ce qui apparaît aujourd’hui comme un enjeu propre de la « libanité ».

    95L’entrée dans la compétition et la concurrence de fractions jusqu’alors inégalement représentées ou exclues des institutions de reproduction sociale, particulièrement l’entrée dans le conflit de fractions considérées comme radicalement étrangères par les uns, mais comme relevant en toute légitimité de l’appartenance libano-arabe par les autres, a eu pour conséquence de contraindre les fractions dominantes à renforcer leurs appuis extérieurs, en même temps qu’elle contraignait les fractions dominées à adopter une stratégie comparable, tout en contestant la légitimité des institutions internes de reproduction et de contrôle social. Le repli des logiques sociales de reproduction à l’intérieur des cercles communautaires n’est ici que l’envers de la compétition qui oppose les puissances étrangères dans le contrôle géo-politique de l’espace libanais. Inversement, l’émigration libanaise en direction du Golfe ou du reste du monde doit être analysée comme une des modalités du rapport que le pays entretient avec l’extérieur.

    Conclusion

    96En premier lieu, il faut noter que si un des effets du conflit libanais a été de revaloriser les logiques communautaires en faisant de la communauté le champ quasi exclusif de mise en œuvre des stratégies de reproduction sociale, ceci a eu des effets diamétralement opposés selon les communautés et la place que chacune d’elles occupait au sein de l’espace national.

    97D’une part, pour les communautés qui contrôlaient l’essentiel des filières permettant, par le biais de l’Etat, du commerce ou de la finance d’accéder aux postes de pouvoir et de prééminence et qui donc avaient plus à perdre qu’à gagner dans le conflit, celui-ci a largement contribué à dévaloriser ces positions, sans offrir de contreparties correspondantes, ne serait ce qu’en réduisant le champ sur lequel elles pouvaient s’exercer. L’accès à ces positions pour les membres des communautés dominées au moment même où elles se vidaient de l’essentiel de leurs attraits n’a pas permis que se constitue une élite de substitution sur les postes laissés vacants par les premiers. D’un côté, les remaniements ministériels successifs ne font que traduire le caractère fluctuant des rapports de force internes alors que le recrutement dans la fonction publique épouse plus que jamais le jeu du clientélisme et des rapports d’influence : l’Etat continuant à rémunérer les fonctionnaires, y compris en période de trouble, disposer d’un poste dans la fonction publique, c’est d’abord avoir la garantie de pouvoir faire autre chose ailleurs, y compris à l’étranger.

    98D’autre part, et à partir du moment où le départ vers le Golfe apparaissait à tous comme l’élément optimal d’une stratégie de reclassement social, le conflit a eu pour effet de précipiter l’évolution de la situation d’ensemble en situant chaque communauté dans une position qui ne pouvait que refléter et amplifier les disparités qui existaient déjà entre elles : s’il existe un capital libanais sunnite très largement expatrié dans le Golfe et dans l’ensemble du monde arabe, (l’exemple de R. Hariri est bien connu), d’une manière générale, la composition sociale de l’émigration chrétienne est plus élevée que celle de l’émigration musulmane dans une situation vouant les musulmans beaucoup plus que les chrétiens à des départs beaucoup plus massifs et beaucoup plus précoces.

    99Il serait sans doute assez vain de vouloir déterminer un moment à partir duquel le fait de rester aurait pu l’emporter sur celui de partir, la comparaison des positions détenues par ceux qui étaient restés vis-à-vis de ceux qui étaient rentrés ne donnant qu’une idée inexacte de la valeur des départs sur le marché des occasions d’emploi et des postes visés : c’est que dans l’intervalle la situation de guerre a modifié les termes de la comparaison de telle manière qu’elle cesse d’être pertinente. En lieu et place d’un marché du travail, tout au plus pouvons nous pointer de proche en proche de nouvelles formes d’organisation et solidarité tant au niveau du recrutement qu’à celui des débouchés : parce que dans tous les cas, les stratégies adoptées se sont traduites en termes de paris effectués sur l’avenir, il y a tout lieu de penser que la seule riposte que pouvaient lui opposer les individus qui étaient soumis à la logique des affrontements armés a consisté à resserrer les liens susceptibles d’échapper aux retournements brusques de situation (familiaux ou claniques) tout en diversifiant au maximum les trajectoires de ses membres. Les stratégies familiales ont donc consisté à organiser minutieusement les parcours de leurs membres de manière à maximiser l’éventail des possibilités qui leur étaient offertes quitte, par la suite, à rétablir les équilibres qui avaient été rompus et à considérer que le succès de tel ou tel ayant été rendu possible par le concours de tous, il y avait lieu, à nouveau de procéder à des rééquilibrages internes. On n’en finirait plus de faire l’inventaire des dettes qui se sont ainsi constituées des uns aux autres à l’intérieur du même espace familial et de la manière dont elles ont été restituées : caisse noire ou mutuelle familiale permettant à l’un de terminer ses études et de contribuer à son tour à la prise en charge d’un frère ou d’un cousin moins âgé, système composite d’hébergement et de soutien momentané, formes diverses d’association et de partage, etc.

    100Toutefois, cette tendance d’ensemble est travaillée par deux tendances contradictoires qui s’appuient, l’une sur la dynamique de l’émigration, l’autre sur la dynamique du conflit intérieur. D’un côté, la dynamique des départs dont nous avons vu qu’elle se manifestait dans toute son amplitude aux deux pôles extrêmes de la hiérarchie sociales à la fois comme moyen de renforcer un pouvoir lorsqu’on le détenait et qu’il menaçait de s’affaiblir, et comme moyen d’y échapper lorsqu’on en était dessaisi, a fait qu’à chaque moment, c’étaient ceux qui occupaient des positions intermédiaires (fonctionnaires, commerçants) qui en subissaient en premier les conséquences et d’abord ceux qui, caractéristiques des classes moyennes, comptaient d’abord sur les moyens dont ils avaient hérités pour faire prévaloir leurs positions. Les stratégies de radicalisation du conflit par lesquelles ces couches se sont efforcées de lutter contre l’affaiblissement de leur influence sociale, ont été un des déterminants qui ont contribué au déclassement des fractions expatriées qui ne pouvaient plus convertir dans des conditions de stabilité suffisante le capital acquis à l’extérieur et pour lesquelles le « voyage » ne pouvait que s’éterniser. D’un autre côté, et à l’étranger, on ne compte plus le nombre de ceux qui, partis comme contremaîtres, ingénieurs ou simples ouvriers se sont retrouvés courtiers en affaires, agents immobiliers ou intermédiaires divers, tous attachés à rompre ce qui à l’étranger ne pouvait apparaître que comme un obstacle à la bonne conduite de leurs affaires et à recomposer, mais sur des bases différentes et avec des enjeux différents, ce qui autrefois s’agençait au sein même de l’espace national libanais : cette aptitude à servir d’intermédiaire dans des transactions, caractéristique de la communauté libanaise. Tous ces vendeurs de services attachés à exercer en dehors de l’espace national, ce qui à proprement parler était devenu une « spécialité » nationale, trouvent dans le Golfe et dans des situations parfaitement ambiguës, l’occasion de transformer en avantages ce qui, au départ, apparaissait comme un handicap et parviennent à nouer des alliances d’autant mieux et davantage valorisables que la situation intérieure libanaise le leur interdisait. Ainsi, et de manière contradictoire, la diaspora libanaise à l’étranger contribue tout en étant absente du terrain immédiat des affrontements, à constituer un enjeu et à peser d’un poids considérable dans la perspective d’une reconstruction à terme du pays.

    Notes de bas de page

    1 Claude Dubar et Salim Nasr, Les classes sociales au Liban, Paris, Fondation nationale des sciences politiques, 1976, pp. 37-38.

    2 Yves Schmeil, Sociologie du système politique libanais, (thèse d’Etat, Université de Grenoble-II, 1976), p. 9.

    3 Ibidem, pp. 74-75.

    4 Sur ce point, cf. Gilbert Beaugé, Stratégies d’entreprises et mobilisation de la force de travail au Moyen Orient arabe, in Migrations et changements sociaux dans l’Orient arabe, CERMOC, Beyrouth, 1985, Diffusion Sindbad.

    5 Notamment pour la raison qui fait que l’endogamie villageoise a cessé de représenter la norme des mariages préférentiels et que, de plus en plus, se marier à l’extérieur apparaît comme un des éléments décisifs d’une stratégie de mobilité sociale ascensionnelle.

    6 Sur les structures du marché du travail dans les pays du Golfe, cf. Gilbert Beaugé, Makram Sader, « The pattern of employment migration and labour in the Gulf countries », Conference on international migration in the arab world, Onu/Ecwa, Nicosie (Cyprus) 11-16 mai 1981, Population Bulletin of Ecwa, 1982, pp. 85-103.

    7 Sur cet aspect, cf. Elisabeth Longuenesse, « Rente pétrolière et structure de classe dans les pays du Golfe », Peuples Méditerranéens, 26, 1984, pp. 147-161.

    8 Gilbert Beaugé, op. cit., Stratégies d’entreprises...

    9 Elisabeth Longuenesse, op. cit., Rente pétrolière...

    10 Kamal Hamdam, Dans le Liban Sud, une économie dévastée, Le Monde diplomatique, Paris, août 1985.

    11 Malgré la difficulté que rencontrent les sciences sociales à penser le phénomène de la guerre et particulièrement la logique du conflit libanais comme s’il s’agissait d’une remise en cause permanente à la fois du réel et des catégories qui nous permettent de le penser, nous rencontrons là en même temps l’exigence d’une réflexion accrue et le point de fuite de toute réflexion qui se voudrait « construite ».

    12 Du moins si l’on entend par « population nationale » la seule fraction détentrice d’un passeport libanais.

    13 Sur cet aspect, cf. Gilbert Beaugé, Alain Roussillon, Le miroir brisé : les enjeux unitaires des migrations au Moyen Orient (à paraître).

    14 Salim Nasr, Les formes de regroupement traditionnels dans la société de Beyrouth (familles, confessions, communautés), D. Chevallier, L’espace social de la ville arabe, Paris, Maisonneuve et Larose, 1979, pp. 145-193.

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    Gilbert Beaugé

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    1 Claude Dubar et Salim Nasr, Les classes sociales au Liban, Paris, Fondation nationale des sciences politiques, 1976, pp. 37-38.

    2 Yves Schmeil, Sociologie du système politique libanais, (thèse d’Etat, Université de Grenoble-II, 1976), p. 9.

    3 Ibidem, pp. 74-75.

    4 Sur ce point, cf. Gilbert Beaugé, Stratégies d’entreprises et mobilisation de la force de travail au Moyen Orient arabe, in Migrations et changements sociaux dans l’Orient arabe, CERMOC, Beyrouth, 1985, Diffusion Sindbad.

    5 Notamment pour la raison qui fait que l’endogamie villageoise a cessé de représenter la norme des mariages préférentiels et que, de plus en plus, se marier à l’extérieur apparaît comme un des éléments décisifs d’une stratégie de mobilité sociale ascensionnelle.

    6 Sur les structures du marché du travail dans les pays du Golfe, cf. Gilbert Beaugé, Makram Sader, « The pattern of employment migration and labour in the Gulf countries », Conference on international migration in the arab world, Onu/Ecwa, Nicosie (Cyprus) 11-16 mai 1981, Population Bulletin of Ecwa, 1982, pp. 85-103.

    7 Sur cet aspect, cf. Elisabeth Longuenesse, « Rente pétrolière et structure de classe dans les pays du Golfe », Peuples Méditerranéens, 26, 1984, pp. 147-161.

    8 Gilbert Beaugé, op. cit., Stratégies d’entreprises...

    9 Elisabeth Longuenesse, op. cit., Rente pétrolière...

    10 Kamal Hamdam, Dans le Liban Sud, une économie dévastée, Le Monde diplomatique, Paris, août 1985.

    11 Malgré la difficulté que rencontrent les sciences sociales à penser le phénomène de la guerre et particulièrement la logique du conflit libanais comme s’il s’agissait d’une remise en cause permanente à la fois du réel et des catégories qui nous permettent de le penser, nous rencontrons là en même temps l’exigence d’une réflexion accrue et le point de fuite de toute réflexion qui se voudrait « construite ».

    12 Du moins si l’on entend par « population nationale » la seule fraction détentrice d’un passeport libanais.

    13 Sur cet aspect, cf. Gilbert Beaugé, Alain Roussillon, Le miroir brisé : les enjeux unitaires des migrations au Moyen Orient (à paraître).

    14 Salim Nasr, Les formes de regroupement traditionnels dans la société de Beyrouth (familles, confessions, communautés), D. Chevallier, L’espace social de la ville arabe, Paris, Maisonneuve et Larose, 1979, pp. 145-193.

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    • Bret, Julien. (2012) Temps migratoires en tension. Temporalités. DOI: 10.4000/temporalites.2029

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    Beaugé, G. (1986). Chapitre 5. Migrations et stratégies de reproduction sociale. In Communautés villageoises et migrations de main-d’œuvre au Moyen-Orient (1‑). Presses de l’Ifpo. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.ifpo.3605
    Beaugé, Gilbert. « Chapitre 5. Migrations et stratégies de reproduction sociale ». In Communautés villageoises et migrations de main-d’œuvre au Moyen-Orient. Beyrouth: Presses de l’Ifpo, 1986. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.ifpo.3605.
    Beaugé, Gilbert. « Chapitre 5. Migrations et stratégies de reproduction sociale ». Communautés villageoises et migrations de main-d’œuvre au Moyen-Orient, Presses de l’Ifpo, 1986, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.ifpo.3605.

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    Longuenesse, Élisabeth, Beaugé, G., & Nancy, M. (1986). Communautés villageoises et migrations de main-d’œuvre au Moyen-Orient (1‑). Presses de l’Ifpo. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.ifpo.3594
    Longuenesse, Élisabeth, Gilbert Beaugé, et Michel Nancy. Communautés villageoises et migrations de main-d’œuvre au Moyen-Orient. Beyrouth: Presses de l’Ifpo, 1986. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.ifpo.3594.
    Longuenesse, Élisabeth, et al. Communautés villageoises et migrations de main-d’œuvre au Moyen-Orient. Presses de l’Ifpo, 1986, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.ifpo.3594.
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