Chapitre 5 – Patrimoine culturel et contestation de l’espace
p. 105-118
Texte intégral
1L’espace public à Tripoli est fragmenté, divisé entre communautés, scène de conflits armés, mais également de conflits doux de développement. Dans ces conflits chaque groupe d’acteurs veut imposer sa perception de sa ville ou de son quartier à l’aide de programmes ou de projets, en voulant créer sa vision de l’espace. Ce remodelage de l’espace public, souvent perçu en termes économiques et considéré comme un bien de développement, est le sujet de ce chapitre.
2Ici, l’espace public devient une sorte de produit urbain, et constitue à ce titre une véritable ressource pour divers groupes d’utilisateurs existants et potentiels. Mais leurs intérêts varient considérablement selon leur classe sociale. Le patrimoine culturel englobe la culture, les valeurs et les traditions d’une communauté, d’un groupe ou d’une nation en particulier. Au travers de ses manifestations multiples, il est une composante urbaine clé qui s’adapte et évolue au fil du temps au gré des changements que connaît la ville, tout en conservant son identité, son intégrité et sa continuité. Il constitue un élément clé des dimensions sociales, économiques et environnementales du développement durable1. Mais le patrimoine est également un bien – quelque chose qui est transmis par les générations précédentes. À la lumière de l’espace de ségrégation que constituent certains aspects de la ville de Tripoli, le patrimoine devient un sujet de préoccupation majeure lorsqu’un groupe s’en sert contre un autre, se l’approprie, ou le détruit à des fins politiques et/ou économiques. Étant donné ce caractère conflictuel du patrimoine à Tripoli comme ailleurs, les experts ont fortement préconisé la participation de toutes les parties prenantes aux discussions concernant les biens à préserver et les modalités de leur préservation. Les notions d’« engagement civique », de « planification participative » et d’« inclusion » sont au premier plan des déclarations et des recommandations internationales en faveur du développement urbain durable et de la conservation du patrimoine2. Néanmoins, certains auteurs3 affirment que la planification participative est souvent manipulée, médiée par le pouvoir et conditionnée par les contraintes du caractère démocratique de la sphère politique, laquelle est influencée par les forces du marché qui établissent les « règles du jeu ». L’exemple d’appropriation de l’espace que je présenterai plus en détail concerne la construction de parking de taxis dans le centre historique de la ville de Tripoli, qui a suscité de nombreuses polémiques4.
3Dans les années 1960, la ville de Tripoli disposait d’un terminal ferroviaire qui la reliait à certaines parties de la Syrie, d’un aéroport et d’un port maritime actif ; malheureusement, aucun de ces modes de transport officiels ne fonctionne plus aujourd’hui. À Tripoli, les transports informels (taxis non officiels, minibus et microbus) sont aujourd’hui de loin les modes de transport les plus courants. Au cours de l’histoire, la principale zone de transport a été conçue en bordure de la ville historique de Tripoli qui n’était pas conçue pour accueillir un trafic routier intense. En raison de son emplacement actuel, de la détérioration du mode de transport formel et de l’absence de plans clairs de régénération urbaine, le centre historique rassemble désormais toute la gamme des modes de transport informels et de nombreuses gares routières. Certaines de ces gares sont réservées aux voyages de proximité et d’autres aux voyages vers des destinations extérieures à la ville. Les taxis sont orientés vers les déplacements à l’intérieur de Tripoli et vers les endroits proches, tandis que les minibus et les microbus sont orientés vers les déplacements à l’extérieur de Tripoli. En effet, les Tripolitains préfèrent les véhicules privés aux transports publics pour leurs déplacements, en raison de la faible efficacité, voire de l’absence de ces derniers. De plus, en raison du trafic élevé et de la faible vitesse de circulation des voitures, les installations de sécurité pour les piétons n’existent que par le biais de chemins pavés et d’îlots de sécurité. Il n’y a pas de dispositifs de modération du trafic, les feux de circulation ne fonctionnent pas et les gendarmes de circulation provoquent plus qu’autre chose des embouteillages aux carrefours. L’étude de cas du projet de parking à Tripoli, dont l’idée est de construire une station de taxis destinée aux zones en dehors de la ville, illustre les mécanismes et les stratégies de lutte et d’émancipation de la population. J’étudie ce parking comme un objet frontière ; producteur d’identité par le biais de confrontation, de transaction et d’interaction, il est un lieu d’échange et de rencontre entre les différents acteurs et des institutions privées et publiques.
4Ce chapitre vise à illustrer la dichotomie entre les différents acteurs, leur représentation de l’espace et la légitimation de son usage à travers la question de la construction d’un parking de taxis en plein site historique. L’enjeu est la gestion du patrimoine et les conflits d’espace entre différents acteurs. En me penchant sur la problématique des transports publics terrestres à la lumière des enjeux de la préservation du patrimoine, je vise à développer une compréhension plus approfondie de la manière dont la gestion de l’espace et l’implantation d’éléments dans celui-ci sont déterminantes dans le processus d’identification sociale dans un « lieu anthropologique » défini par Marc Augé comme étant « cette construction concrète et symbolique de l’espace qui ne saurait à elle seule rendre compte des vicissitudes et des contradictions de la vie sociale, mais à laquelle se réfèrent tous ceux à qui elle assigne une place, si humble ou modeste soit-elle5 ». Ce chapitre comporte trois sections. La première étudie les acteurs et leurs différents points de vue et positions à l’égard de ce projet et les différents langages. La deuxième montre comment le projet aide à établir l’identité et à construire les divers points de vue en réseau : comment le projet a aidé à structurer un réseau de personnes qui soutiennent ou qui résistent au projet. Il élabore les conflits découlant du projet entre les différents acteurs qui se sont engagés dans le processus de prise de décision. Enfin, je présenterai les différents groupes d’intérêt et groupes de pression : nous verrons que ce conflit existe, car il existe, avant tout, une différence d’intérêts entre les acteurs.
La position des différents acteurs
5Dans la recommandation de l’Unesco6 sur les paysages urbains historiques, il a été préconisé d’appliquer une approche de la gestion urbaine fondée sur la valorisation du paysage afin de garantir l’intégration des préoccupations de conservation du patrimoine culturel dans le cadre plus large du développement urbain durable. La recommandation stipule que le patrimoine culturel est une construction sociale, soumise à diverses interprétations liées à l’expérience personnelle, aux connaissances, aux pratiques et à l’évolution dans le temps, et remet en question les méthodes existantes de caractérisation et de cartographie du paysage urbain.
[La logique d’une gestion patrimoniale] part d’abord d’une reconnaissance de ce qu’un territoire ou une structure spatiale est un patrimoine, et qu’il y a plusieurs acteurs qui de facto sont concernés par la gestion de ce patrimoine […]. Elle implique d’abord que l’on sorte de la logique des affectations monospécifiques, qui est de découper le territoire en zones où un acteur spécifique pourra aller faire tout ce qu’il veut. Cette gestion patrimoniale implique ensuite des procédures où, dès le départ, on associe tous les acteurs pour conduire avec eux une vraie négociation7.
6Dans une approche en réseau8 appliquée à l’espace, trois langages sont soulignés. Ces langages sont ceux de l’autorité publique ou l’administration, de la société civile et des experts9. Selon Bruno Latour, « la Constitution moderne invente une séparation entre le pouvoir scientifique chargé de représenter les choses et le pouvoir politique chargé de représenter les sujets10 ». Selon lui, la tripartition des acteurs sociaux en présence, c’est-à-dire les pouvoirs publics, le demandeur et les résidents, en est le reflet : le pouvoir politique charge un expert (ou un groupe d’experts), proposé par le demandeur, d’étudier les impacts potentiels d’un projet sur l’environnement.
7L’environnement est un concept multidimensionnel. Il renvoie à un type de relations, et non à des objets11. Il est une construction idéelle, une « catégorie cognitive désignant des objets spécifiés par rapport à un sujet de référence12 ». Il est envisagé ici à partir de l’idée de « cadre de vie » qui se concentre sur les acteurs sociaux et les différentes façons de communiquer entre eux dans la gestion conjointe de leur milieu urbain. Il sera présenté à travers la relation que les différents acteurs instaurent entre eux, et ce, à partir de la relation idéelle qu’ils entretiennent avec lui. Il en résulte de multiples approches simultanées de la gouvernance du patrimoine et de la gestion de l’environnement, avec des réseaux d’acteurs qui coopèrent ou s’opposent sur différents projets pour servir leurs objectifs et intérêts individuels.
8De telles circonstances soulèvent deux questions pertinentes liées au projet du parking à Tripoli. Premièrement, dans des sociétés de plus en plus fragmentées, comment peut-on envisager une gestion de l’environnement et du patrimoine qui reconnaît la pluralité des identités et sert de médiateur entre les différentes représentations de l’histoire et les expériences urbaines ? Deuxièmement, les controverses sur le patrimoine et l’environnement peuvent-elles contribuer à une gouvernance urbaine plus collaborative grâce à la coproduction de connaissances locales ? Les réponses à ces questions sont fournies à la lumière de Tripoli.
9À Tripoli, l’utilisation d’un réseau routier insuffisant provoque des embouteillages quotidiens qui ont un impact sur l’économie, car ils augmentent les coûts de transport ainsi que la pollution de l’air. La faiblesse des revenus du transport entraîne une concurrence dangereuse, avec des répercussions sur les niveaux de service offerts, notamment sur la sécurité routière. Il est donc impératif de mettre en place un plan de réforme et de réglementation efficace et complet pour le secteur des transports publics terrestres à Tripoli, selon la municipalité et le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR).
10Afin de répondre à ce besoin, le gouvernement et le CDR, en partenariat avec la municipalité de la ville, ont lancé un projet de parking souterrain de quatre étages, qui selon des estimations préliminaires pourrait accueillir environ 500 voitures. Il réhabilite le centre-ville de la place al-Tal et attire à nouveau les capitaux et les visiteurs. C’est l’emplacement du parking qui a été problématique et le degré de priorité du projet selon la population.
11Le CDR a été créé en 1977 et il s’agit d’un service financier et administratif indépendant, placé sous l’autorité directe du Conseil des ministres. La principale tâche confiée au Conseil à l’époque était la reconstruction et le développement du Liban à la fin de la guerre de deux ans (1975-1976), mais la guerre est revenue et a éclaté en 1977, ce qui a empêché le Conseil de poursuivre ses travaux. Le Conseil a été relancé en 1992 et ses responsabilités ont été renforcées en vertu d’une loi générale de 2000, qui a décidé de fusionner le Conseil de mise en œuvre des projets avec le Conseil de mise en œuvre des grands projets de la ville de Beyrouth sous l’autorité du CDR. Le CDR est chargé de trois tâches principales : établir un plan et fixer un calendrier pour la reconstruction et le développement, assurer le financement des projets soumis et superviser leur mise en œuvre et leur exploitation en contribuant au processus de réhabilitation des institutions publiques afin de leur permettre d’assumer la responsabilité de la mise en œuvre d’un certain nombre de projets sous la supervision du Conseil des ministres. Il assume également ses responsabilités dans la planification et le financement de projets. Le CDR est devenu l’organe responsable de tous les grands projets de reconstruction et de développement, qui à son tour est responsable devant le Conseil des ministres, et il mène ses travaux en coordination avec les ministères concernés.
12Dans tout projet public de construction, il existe, d’une part, un espace significatif et utile, et l’inclusion sociale des individus. D’autre part, l’espace en tant que capital économique, par lequel la propriété et l’exploitation sont les moyens de faire fonctionner des institutions créatives en dépouillant les espaces de leurs significations. L’espace a des perceptions variables selon le sens du terrain dans lequel l’acteur social est présent. La logique de la perception de l’espace public par les pouvoirs politiques est celle de la division administrative du territoire. L’espace est porteur de sens et de significations différentes selon le rapport et la profession de chacun, « l’espace n’est pas le milieu (réel ou logique) dans lequel se disposent les choses, mais le moyen par lequel la position des choses devient possible13 ».
13Pour cela, avant d’émettre ou non une autorisation d’exploiter ou de bâtir, l’Autorité générale demande l’avis d’un autre acteur social en cause dans la procédure sur le discours à tenir sur l’espace : l’expert. Le point de vue de l’expert est celui de la logique scientifico-technique, chargé par les pouvoirs publics de tenir un discours sur l’objet qu’est devenu l’environnement, car « lorsqu’un règlement ou une norme a défini une dimension d’un problème, la présence de l’expert qui correspond à cette définition devient légitime et automatique14 ». À Tripoli le gouvernement n’a demandé l’avis d’experts que très tardivement. Les résidents ont réalisé plusieurs études et consultations pour étudier l’effet du parking attendu sur l’environnement général. Les résidents ont étayé leurs demandes et leurs préoccupations en s’appuyant sur l’avis des experts dont les conclusions ont été fournies aux organes administratifs. Sur la base de ce principe, l’autorité politique prend la décision d’autoriser ou de bloquer le projet. Dans ce cas, l’autorité publique ne représente pas la population.
Construction du réseau de résistance
14La représentation et la légitimation de l’usage de l’espace du monde économique et du pouvoir public municipal sont représentées dans le journal Al‑Bayan du 18/06/201515. L’ingénieur Rawad Salameh est responsable de l’étude au sein de la société SETS chargée de l’exécution du projet. Elle inclura également des taxis internes – tels que les lignes al‑Mina et Abou Samra – en plus de douze bus, dont quatre desserviront la ligne Tripoli-Beyrouth et les autres opéreront dans les régions du Akkar, de la Bekaa et d’autres. Le parking devrait être établi dans la zone d’annexion et à côté du bâtiment de l’Union des municipalités d’al‑Fayhaa16, où il existe une zone appropriée de terrains appartenant à l’Union des municipalités d’al‑Fayhaa. Salameh explique qu’il s’agit « d’une première étude qui a développé un concept du bâtiment en termes de forme, de superficie et de besoins, en plus d’une étude économique sur les bénéfices qu’en retirerait la municipalité ». Il estime que le coût initial du projet est d’environ 3 millions de dollars. Salameh attend l’approbation de la municipalité, le projet alors suivra son cours ou s’arrêtera à la phase de planification17. Salameh évoque la raison pour laquelle l’étude n’a pas englobé les bus opérant dans la zone d’al-Tal et de la place al-Nour. Selon lui, les bus sont physiquement présents et leur emplacement ne changera pas, actuellement il n’existe pas de plan de transfert conjoint.
15Pour sa part, l’ingénieure Dima Homsi18, directrice de l’Union des municipalités d’al-Fayhaa, a confirmé que :
L’étude s’est penchée sur la réalité des taxis dans la ville en termes de nombre de voitures et de places de stationnement, et qu’elle est dédiée à l’établissement d’une station de taxis uniquement. Aucune mesure n’a été prise concernant l’élaboration d’un plan de transport commun, même dans le cas où l’extension est prolongée. Si le montant du financement est augmenté, une gare routière et de minibus sera ajoutée. […] L’étude n’est toujours pas terminée, il est prévu de la prolonger de 9 mois pour la finaliser, et elle sera présentée au Conseil municipal pour ajustement, acceptation ou refus, ainsi que soumise à l’approbation de l’agence de financement.
16Un autre acteur de pouvoir public, Nabil al-Jisr, président du CDR, lors d’une réunion à la Chambre de commerce, a déclaré que le terrain appartenant à l’Union des municipalités d’al‑Fayhaa dans le nord et l’ouest du nouveau quartier de Tripoli, appelé communément « Dam et Farez », est un emplacement inapproprié pour construire une station, car il n’y a pas de convergence des flux de circulation dans cette zone, ce qui rend toute station inutile19. De plus, le flux du trafic vers et depuis la gare reste à établir. En effet, le directeur du projet ne voit pas l’espace comme un facteur identitaire ou relationnel, mais en termes de capital rentier et de moyens nécessaires à l’activité économique. La logique de l’utilitarisme entre en conflit avec le monde social quotidien de la population. L’un des défis de mise en œuvre est la lutte des habitants contre la propagation de l’offre d’espace à l’entrepreneur du projet. Certes, l’investissement du monde économique dans l’espace, émotionnellement et psychologiquement, est moindre.
17Quant au point de vue des activistes et syndicalistes, Ahmed Khaddour Zubeidi20, chef du Syndicat des ouvriers, a déclaré son opposition au projet :
Nous ne pouvons pas jeter 2 000 familles qui vivent de leur travail dans les stations-services, entre chauffeurs, organisateurs de files et organisateurs de stationnement, pour construire un garage qui emploiera au mieux 30 employés selon nous et 50 selon la municipalité. De plus, le transfert des places de stationnement en dehors de la ville ne sera pas appliqué, car le passager ne paiera pas de frais supplémentaires pour arriver au parking, puis prendre un taxi pour sa destination. Le complexe Charles Helou à Beyrouth en est un bon exemple. Après un mois de fonctionnement, les voitures sont retournées à leurs places de stationnement ou continuent à circuler en ville pour prendre des clients, seuls existent les autobus qui vont en Syrie et à Tripoli, est‑il possible que nous réessayions quelque chose qui a échoué à Beyrouth ?!
18Il propose de commencer autrement en appliquant la loi qui réduira les embouteillages :
Que le pouvoir saisisse d’abord les voitures non autorisées à faire le taxi, le problème sera résolu, nous avons 6 700 véhicules publics de taxi, mais environ 40 000 véhicules font le travail de taxi, ce sont ou des voitures de particuliers ou avec de fausses immatriculations de taxi. Ils laisseront la place aux conducteurs autorisés – qui paient entre 50 et 60 millions de livres libanaises le prix de la licence de taxi et 700 000 livres libanaises par semestre pour la sécurité sociale pour être assurés. Il y a aussi des stations de taxis qui sont vides alors que les fausses voitures circulent et récupèrent tous les clients sous les yeux de la gendarmerie. Les stations de faux chauffeurs de taxi, telles que celles de la place al‑Nour, sont protégées par certains officiers des Forces de sécurité intérieure, je l’affirme fermement. Un autre problème, c’est qu’il y a trop de voitures autorisées dans chaque station, réduire leur nombre ou interdire celles qui n’ont pas l’autorisation d’y être réduira leur nombre, et règlera le problème des voitures stationnées en double file. Nous avons essayé à plusieurs reprises d’organiser cela en coopération avec le ministère des Transports, la municipalité et la gendarmerie, et un comité a été formé avec la municipalité, et nous avons mené une étude de terrain, mais nous n’avons obtenu aucun appui politique.
19La population locale souffre de la façon dont ce projet est géré et de la façon dont ils sont exclus de la planification des projets de la ville. Monsieur Dabliz21 a souligné la logique arbitraire de supériorité de l’État dans sa gestion des projets publics et son approche envers les habitants de la ville de Tripoli. Selon lui, ils sont présentés avec deux choix, l’un étant pire que l’autre : soit accepter des projets insignifiants sans grand impact humain et économique, soit se retrouver sans aucun projet de développement dans la ville. Il précise : « Nous refusons cette façon de faire, nous avons nos spécialistes, nos intellectuels et des personnes compétentes ».
20L’un des exemples de projets insignifiants aux yeux des Tripolitains est celui de la réhabilitation du centre historique et l’amélioration des infrastructures urbaines de la ville de Tripoli. Ils considèrent qu’ils ont beaucoup perdu dans ce projet divisé en deux volets : le premier volet est achevé et le deuxième est à l’arrêt. Cette discontinuité dans les projets et leurs arrêts sont fréquents, m’explique le journaliste tripolitain Ghassan Rifi22 :
Le gouvernement du Premier ministre Najib Mikati a approuvé 100 millions de dollars de budget pour Tripoli en 2011. Le Premier ministre suivant, Tammam Salam, les a volés et n’a rien donné pour la ville. La décision d’un gouvernement ne peut pas être annulée par un autre gouvernement, c’est-à-dire que le nouveau gouvernement doit les donner à Tripoli. Cette somme est toujours dans la caisse du trésor public. Avec ces 100 millions de dollars, Mikati a proposé : 1 – un centre du ministère de la Santé pour la distribution des médicaments pour les maladies chroniques au lieu de faire le trajet jusqu’à Beyrouth ; 2 – asphalter toutes les rues de Tripoli ; 3 – restaurer la rive est de la rivière de Bab al‑Tebbaneh jusqu’à Qobbeh ; 4 – de petits projets pour soutenir les artisans et leur permettre de développer leur métier. Avec le changement de gouvernement, on n’arrête pas de demander que cette somme nous soit restituée. C’est notre droit et nous ne sommes pas en train de mendier pour que Saad Hariri vienne peindre les bâtiments en bleu à Bab al‑Tebbaneh après la fin des conflits armés à Tripoli. Salam et nos courageux ministres de Tripoli [avec un air moqueur] disent : « Nous allons vous donner une partie des 100 millions. Il y a le projet de chemin de fer et le projet du parking d’al‑Tal et le projet de… ces projets coûtent 62 millions de dollars, on les déduit des 100 millions ». Ce qui est totalement faux, parce que ces trois projets ont été budgétés et décidés pour Tripoli par le gouvernement en 1996, donc bien avant le gouvernement de Mikati en 2011 et le budget consacré à Tripoli. Mais même si on accepte leur offre, il nous reste 38 millions, tu déduis 5 millions de la somme pour des ruelles asphaltées, ce qui fait un total de 33 millions. Malgré cela, les projets de chemin de fer, de parking et de centre de santé ne sont toujours pas réalisés.
21Selon lui, le problème principal réside dans des promesses et des projets insignifiants pour la ville en l’absence de leaders compétents. Rifi donne comme exemple le leader druze et président du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt :
Ce leader va en personne sur le terrain quand un projet se passe dans sa région. Il descend lui-même superviser les routes asphaltées et contrôler la qualité de l’asphalte. Je l’ai vu de mes propres yeux. Il met son jean, une tenue décontractée et mesure la densité de l’asphalte avec l’outil nécessaire pour que cela soit aux normes. S’il trouve une densité légèrement plus basse que 8, il demande de retourner la terre et l’entrepreneur assume sa responsabilité. Donc pour ne pas prendre de risques, l’entrepreneur fait en sorte de procéder comme il faut dès le départ, sachant qu’un leader politique lui demandera des comptes. Avez-vous vu cela chez nous ? Avez-vous entendu un leader politique demander pourquoi tel ou tel projet n’est pas terminé23 ?
22Il a ensuite évoqué deux autres exemples : celui de l’autoroute arabe quand le Premier ministre Fouad Siniora est venu à Tripoli en 1999 avant les élections législatives et a inauguré le projet de l’autoroute qui devait aller de la rue Maarad à Baddawi ; le deuxième exemple est la station de traitement des eaux usées près de la rivière Abou Ali. Rifi a assisté à l’inauguration de ce projet, en présence des députés et des personnalités politiques. Lors de la cérémonie, il a posé la question sur l’arrivée des eaux usées qu’il n’a pas vue. Il a été surpris de voir que les machines ont été déposées, mais les installations ne sont pas encore faites pour les eaux usées qui doivent arriver de la ville de Qalamoun, de Qobbeh et Abou Samra vers la station. Cette station a coûté un million et demi de dollars, n’a jamais fonctionné et les tuyaux n’ont jamais été installés. Énervé, Rifi continue :
À Abou Samra, le projet de nouveau pont qui ne dépasse pas 300 m a pris 6 ans, le chantier de l’autoroute entre Denniyeh et Tripoli a duré 7 ans, tandis que le chantier de l’autoroute dans la région de Sleiman Franjiyeh entre Zaghrata et Ehden qui fait 30 km a seulement duré entre 4 à 6 mois. Pourquoi ? Le Conseil ministériel de développement et de reconstruction est censé travailler dans tout le Liban d’après-guerre. Le stade olympique a coûté 20 millions de dollars, rien n’est aux normes, il se décompose lentement, il n’a pas servi, l’armée l’utilise comme une caserne. Sa maintenance coûte 9 millions de dollars par an. Pourquoi dépenser 20 millions alors qu’il était possible d’acquérir un terrain à proximité du stade municipal à 3 millions de dollars et ainsi économiser 17 millions pour d’autres projets ?
23D’autre part, le Syndicat des chauffeurs et le chef de l’Union des transports urbains Shadi Al-Sayyid ont déclaré dans un entretien accordé au journal Al‑Bayan le 18 juin 2015 :
Personne ne nous a contactés et nous n’avons pas connaissance d’une étude ou d’une station, ni en tant que syndicat des chauffeurs, ni en tant que syndicat des transports routiers, ni en tant que fédération. Pour toutes les stations publiques si tout le monde est sous un même toit et que l’application n’est pas fragmentée, mais qu’il y a une grande difficulté à se déplacer vers un autre endroit, les stations sur al‑Tal sont des « rôles partagés » et soutenus politiquement, et pourtant nous ne pensons pas que les voitures publiques soient la cause du surpeuplement, car elles sont devenues peu nombreuses. Bien que les voitures enregistrées au syndicat se situent entre 6 000 et 7 000, seules 2 000 des voitures travaillent réellement, mais la raison principale est la présence d’autobus et de minibus dans le centre-ville.
Groupes de pression et groupes d’intérêt
24Une demande a été adressée aux autorités concernées sollicitant deux choses : qu’elles réexaminent les études internationales relatives au trafic précédemment réalisées à Tripoli et la « stratégie de développement 2020 » ; et qu’elles revoient l’étude réalisée par la société SETS au sein du projet européen RAMUD24 pour trouver des solutions. Le comité de suivi des projets de Tripoli a estimé que :
L’étude n’est pas terminée, selon les données, et une étude complète qui prend en compte le trafic habituel conformément aux projets à établir, doit être menée, telle que les ceintures est et ouest, deux stations de voyage et la conversion de la zone d’al‑Tal en zone piétonne, avant d’imposer des projets aléatoires à la faisabilité douteuse. [De plus, le comité a noté que] la mise en œuvre des axiomes des règles de circulation et le fonctionnement des garages fermés et négligés, en plus des projets mentionnés précédemment, sont suffisants pour résoudre plus de 70 % des problèmes de circulation à Tripoli et la congestion causée par le chaos25.
25Le mouvement civil dans la ville de Tripoli a donné un résultat positif, sous la pression populaire et médiatique, qui a mis en évidence les protestations et le rejet de l’intention du CDR de construire un garage souterrain sur la place al‑Tal, le maire a démissionné, ce qui a provoqué de nouvelles élections. Le refus de la municipalité, par consensus de ses membres, et le manque d’approbation par le CDR de céder deux propriétés à la place dans le but de construire le garage a enterré ce projet ambigu avant sa naissance. Cela a provoqué le rejet et la dénonciation de la municipalité par la société civile dans toutes ses composantes et des habitants de la ville dans son ensemble. Les habitants ont requis la soumission de projets de développement significatifs, et un plan pour combattre la marginalisation de la ville qui a lieu depuis des années, voire des décennies. Avec la nomination du nouveau conseil municipal, le projet du parking d’al‑Tal est revenu au premier plan, à la suite d’une réunion entre un comité d’ingénieurs de la municipalité et une délégation du CDR. L’un de ces ingénieurs m’a confié la chose suivante26 :
Dans cette réunion le comité des ingénieurs de la municipalité a rencontré les ingénieurs du Conseil pour le développement et la reconstruction au sein du Syndicat des ingénieurs. Ils leur ont expliqué les problèmes du projet et leurs propositions. Le délégué du Conseil a exprimé son accord sur leur proposition alternative et bénéfique, mais il a expliqué qu’il n’était pas en mesure de changer le site du garage en raison de son imposition par le gouvernement. Alors que le Premier ministre Tammam Salam a promis que la décision reviendrait aux habitants de Tripoli. Tripoli est sorti du projet et, selon le dernier sondage d’opinion réalisé par les partisans du projet, il s’est avéré que 87 % le rejettent. Alors, pourquoi insister ?! Ont-ils décidé d’imposer leur volonté sur celle des habitants de Tripoli ou quoi ?
26Le nouveau conseil municipal de Tripoli, dirigé par Amer al‑Rafei par intérim, après la décision de Ghazal en avril 2015, est revenu à la case départ dans le cas du garage al‑Tal. Il a donc pris une nouvelle décision à sa dernière session, dirigée par l’ingénieur Amer al‑Rafei, de suspendre le projet jusqu’à ce que le CDR prépare un plan directeur intégré pour la région al‑Tal. Cette décision constituait un coup d’État contre la décision précédemment rendue par le conseil municipal dirigé par l’ancien président Nader Ghazal, après avoir rencontré le président Saad Hariri. Ce dernier a insisté sur l’achèvement du garage selon l’étude préparée par le CDR. Le CDR, pour sa part, a incité le conseil municipal de l’époque à adhérer à la décision d’Hariri et au coup d’État contre sa décision précédente, rejetant l’inscription de la question du garage à l’ordre du jour de la session qui s’est tenue sous la présidence du gouverneur Ramzi Nohra, avec la participation de Ghazal au Sérail de Tripoli en février 2015.
27Le conseil municipal de Tripoli, à l’exception de cinq membres qui se sont auparavant opposés au garage en public, ne peut pas se permettre de refuser un projet soutenu par Saad Hariri (en particulier après les récents changements qui ont eu lieu et ont amené un nouveau président du Courant du Futur). La suspension du projet a donc donné lieu à plus d’une hypothèse : d’abord, le sentiment que le Courant du Futur a atteint une impasse, surtout à la lumière des propos sur un recensement qu’il a mené sur ce projet, dont les résultats ont montré que 87 % des habitants de Tripoli rejettent le garage. Deuxièmement, l’incapacité des dirigeants du parti à Tripoli à faire face aux conséquences d’une perturbation de chantier de la place al‑Tal pendant environ trois ans – afin de créer un garage qui mettra l’avenir de la ville en péril, comme l’indiquent la plupart des études. Troisièmement, lors du rassemblement massif organisé par l’équipe des ingénieurs pour le développement de Tripoli en coopération avec la société civile dans le Syndicat des ingénieurs, les participants ont exprimé leur rejet du garage, ce qui a surpris tous les observateurs.
28Le journal Assafir a été informé que cette décision avait été prise dix jours avant la réunion du comité municipal des ingénieurs chargés du suivi du projet de garage avec le CDR. Cette réunion n’a pas été fructueuse. Lors de sa tenue, les représentants du CDR n’ont soumis que cinq éléments qui ne répondent pas à l’objectif requis, et il a été constaté que le CDR continuait d’adhérer à l’étude. Un de ces éléments est que le garage est destiné aux voitures publiques et privées, et n’accorde aucune importance aux taxis. Des représentants du CDR ont exprimé leur volonté de procéder à des ajustements fondamentaux dans l’étude et de réhabiliter les bâtiments entourant le garage. Cela a incité certains ingénieurs à réfléchir aux moyens de financement, aux ajustements possibles qui contribueraient à un accroissement des débouchés commerciaux, du coût financier, et aux possibilités d’implantation d’un tel projet sans étude sur son impact environnemental. Les représentants du Conseil étaient censés envoyer le procès-verbal de cette session aux ingénieurs pour consultation et signature, mais ils ne l’ont pas fait. Par la suite, selon mes sources, le conseil municipal a tenu une session dirigée par al-Rafei, et le projet de garage a été retiré de l’ordre du jour. Certains membres ont suggéré que le projet soit suspendu jusqu’à la mise en place d’un plan directeur intégré et régional. Cette proposition a fait l’objet d’un vote accepté à l’unanimité.
29Par ailleurs, d’autres membres ont suggéré que le conseil municipal devrait élaborer le contenu du plan directeur du parking. Ils ont souligné que ce schéma ne devrait pas se limiter à la qualification des façades des bâtiments, mais qu’il devrait plutôt spécifier les garages vers lesquels les taxis se déplaceront, les modalités d’entrée et de sortie d’al-Tal, en plus de déterminer le mouvement des piétons, ainsi que la création d’un palais de la culture au-dessus du garage.
30Certains experts de suivi indiquent que les fonds alloués au projet au sein du CDR ne sont pas suffisants pour tout ce qui est proposé, ce qui signifie que le plan directeur nécessite une nouvelle décision du cabinet ministériel et l’allocation de fonds supplémentaires. Ceci semble peu probable, compte tenu de la frustration du gouvernement, et du désaccord des partis politiques représentés dans le gouvernement concernant ce projet. Ils attendent la décision de la suspension totale du projet puisqu’il est clair pour tout le monde que sa légitimité s’est dégradée. Il semble clair que le gouvernement a décidé d’imposer le garage à Tripoli et à ses habitants, malgré le rejet de la société civile, la décision du conseil municipal et du gouverneur du Nord, Ramzi Nohra. Ils ont suggéré de remplacer le projet de parking par un palais de la culture et des conférences à la place du Sérail ottoman, démoli en 1968. Ils ont également proposé d’élaborer un plan complet pour l’avancement du centre du patrimoine. Avant sa démission, le maire, Nader Ghazal, et des membres du conseil municipal ont visité l’ambassade de Turquie, et ont remis à l’ambassadeur Enan Ozlides une lettre pour son gouvernement leur demandant de faire un don à Tripoli pour fonder le palais culturel. Ozlides a promis de transmettre la demande à son gouvernement et de suivre l’affaire jusqu’à son approbation, soulignant que Tripoli signifie beaucoup pour la Turquie, qui soutient les villes sunnites et a effectivement déjà fait un don pour la construction d’un hôpital spécialisé à Sidon.
31Enfin, j’ai été informée par un des ingénieurs qu’une réunion en 2016 a eu lieu à la chambre de commerce de Tripoli, au cours de laquelle la question du garage a été soulevée. Lors de cette réunion, il a été question de redistribution des richesses dans le cadre de ce projet : l’appel d’offres a été transmis à un grand entrepreneur de Beyrouth qui soutient une personnalité politique connue. D’après cette source, un entrepreneur connu pour la construction des routes de Tripoli sera engagé dans des travaux de coulée de béton, alors que les travaux d’excavation et le transport de sable, pour une surface d’excavation de 4 100 m² et de 13 mètres de profondeur, seront sous-traités par un membre du conseil municipal, exerçant dans le domaine. Ils lui ont promis d’établir et de gérer un restaurant pour le parking. Ils ont promis aux autres de leur ouvrir la porte pour des contributions et des investissements ultérieurs, lors du démarrage et de l’attribution de ce garage.
32Ce projet a donc infiltré la politique locale, dans le cadre d’intérêts étroits et de gains personnels au niveau des bénéficiaires. Ceux‑ci insistent pour établir le projet indépendamment de toutes les options proposées et du don turc qui permettrait à l’État d’économiser 24 millions de dollars. Cette somme peut être utilisée, selon eux, dans d’autres projets de la ville, dont le plus important serait la création de deux gares de voyageurs au nord et au sud de la ville, et la création de garages pour les taxis dans les zones adjacentes à la place d’al‑Tal pour transporter des passagers à Abou Samra, au port, à al‑Qobbeh et à Bab al‑Tebbaneh. Il convient de noter que le CDR, appuyé par certains ministres, insiste sur la mise en œuvre de ce projet. Selon les activistes locaux, ils ont utilisé Tripoli, son peuple et sa société civile à leurs profits, soutenus par le président Saad Hariri. Hariri a souligné la nécessité de mettre en œuvre le projet de garage de Tripoli, surpris de voir qu’un plan approuvé par le gouvernement ait été ainsi rejeté. Il s’est étonné que le maire et les membres du conseil municipal lui aient demandé de rejeter cette décision au profit du don turc, que Hariri considère comme grotesque.
Conclusion
33La division de la ville de Tripoli, comme démontrée précédemment, se reflète dans la division des voix de ces habitants à tout projet qui lui est destiné. Cette opposition et divergence de vision commune de la ville se traduit dans ce chapitre par la crise de confiance entre les Tripolitains et le gouvernement. Les problèmes de corruption, de clientélisme et de manque de volonté politique font que le processus d’élaboration des politiques publiques à Tripoli est enveloppé d’un manque de transparence, d’une politique du secret et de l’absence de diffusion de l’information au public – en somme, d’une réticence à y engager ses habitants. Les politiques publiques ne sont pas affichées en ligne et il est extrêmement difficile d’accéder aux documents gouvernementaux. Le résultat de ce manque d’information est un manque de confiance du public dans le gouvernement. Le manque d’implication du public est peut-être lié à plusieurs facteurs : manque de transparence en général, perte de confiance dans la réactivité du gouvernement, souci d’essayer de gagner sa vie et absorption dans les conflits sectaires et politiques.
34Un obstacle majeur auquel sont confrontées les organisations qui préconisent un changement de politique substantiel réside dans le « système invisible ». Ce terme fait référence à l’ambiguïté entourant le processus de prise de décision, qui est liée à la négociation intersectorielle des élites qui se produit hors de portée du processus démocratique. En d’autres termes, les décisions politiques sont souvent prises en coulisses et il est difficile d’identifier les points d’influence qui ont déterminé le résultat.
35Par ailleurs, les jugements de valeur sont de nature très complexe et sont liés à la structure sociopolitique et aux conditions économiques locales et contribuent à la coproduction de connaissances locales qui remettent en question les conceptions légitimes du patrimoine. Les conflits de projet correspondent à des conflits sur l’espace, et cela est évident lorsque différents acteurs revendiquent la propriété et l’utilisation spécifique de l’espace contesté. La place que prend l’expertise en matière de risques est de la plus haute importance dans le processus de décision politique concernant son acceptation. Autour du rôle de l’expert, des conflits surgiront entre les différents acteurs – deux logiques, deux visions, deux langages, deux réalités du monde trouvent donc ici à s’exprimer, et souvent de façon conflictuelle. C’est sur cette base que le monde politique doit trancher, ajoutant ainsi un troisième langage, et donc une troisième réalité, qui est celle de l’administration.
36Pourtant, cette reconnaissance s’inscrit dans un discours néolibéral traditionnel qui fait progresser l’implication du secteur privé comme solution. Compte tenu de l’absence de conditions préalables à une initiative de privatisation réussie qui protège également les droits des habitants, de sérieuses préoccupations se posent quant au succès potentiel de l’implication du secteur privé dans la gestion du patrimoine. Dans le chapitre suivant, les projets de privatisation détachés du contexte local sont étudiés par rapport à la situation politique et économique particulière dans laquelle ils sont censés se produire. S’il y a une reconnaissance politique des problèmes liés à la gestion du patrimoine, ils sont principalement articulés dans une perspective néolibérale, souvent attribuée à la croissance démographique, à la faiblesse des institutions et à une gestion inefficace. Ces problèmes sont abordés par la réhabilitation des infrastructures, la promotion de la conservation et l’éducation, les réformes institutionnelles et la participation attentive du secteur privé. Les problèmes de patrimoine sont cependant compris comme des inégalités socio-spatiales inhérentes à la composition politique complexe du Liban qui se caractérise principalement par le clientélisme, la corruption et la territorialisation sectaire du pouvoir.
Notes de bas de page
1 Unesco 2016.
2 Unesco 2011 ; Unesco 2016 ; UN-Habitat 2016.
3 Oddos et Aquilon 1997 ; Barrère, Barthélémy et Nieddu 2005 ; Benhamou 2012.
4 Ginzarly, Farah et Teller 2019.
5 Augé 1992, p. 68.
6 Unesco 2016.
7 Puts 1997, p. 15.
8 Callon 1991.
9 Stengers et Zaccaï 1994.
10 Latour 2006, p. 46.
11 Godard 1992, p. 341.
12 Godard 1992, p. 340.
13 Merleau-Ponty 1945, p. 281.
14 Stengers et Zaccaï 1994, p. 88.
15 https://al-bayanlebanon.com.
16 Elle englobe la municipalité des villes de Tripoli, de Baddawi et de Qalamoun.
17 https://al-bayanlebanon.com.
18 Entretien, Tripoli, novembre 2015.
19 https://al-bayanlebanon.com.
20 Entretien, Tripoli, octobre 2015.
21 Entretien au Club des universitaires, Tripoli, 24 mars 2015.
22 Entretien, Tripoli, mars 2015.
23 Entretien, Tripoli, mars 2015.
24 https://www.facebook.com/TripoLi24/posts/780022012061059, visité le 13 décembre 2020.
25 Journal Assafir, Ghassan Rifi, 27 mars 2015.
26 Entretien, Tripoli, mars 2015.

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