Chapitre 2. Répétition et variation
p. 383-441
Texte intégral
A) Le style formulaire
1Le lecteur/auditeur de Sīrat al-Malik al-Ẓāhir Baybarṣ étant constamment confronté à des répétitions de mots, de phrases, de séquences narratives, il est tentant de vouloir appliquer au texte la théorie élaborée par Milan Parry et Albert Lord, connue sous le nom de « oral-formulaic composition ». Dans un des chapitres de son livre, The Thirsty Sword, Peter Heath, dans l’analyse de la structure de Sīrat ‘Antar, pose clairement les problèmes qu’une telle approche entraîne. La différence entre le corpus qui sert de base à la théorie et le corpus des siyar, dit-il, « ne peut pas être écartée d’un revers de main1 ». Ce sont, en fait, les termes fondamentaux de la théorie (« formule » et « thème ») et leur définition qui posent problème :
Reconnaître les ressemblances entre diverses traditions narratives ne doit pas nous conduire à ignorer les différences. En outre, cette différence de procédé narratif est particulièrement importante car elle affecte notre utilisation des deux termes d’analyse exploités par Lord et Parry : Parry a défini la formule comme « un groupe de mots régulièrement employés dans les mêmes conditions métriques pour exprimer une idée essentielle » et Lord a défini le thème comme « des groupes d’idées régulièrement employés dans la récitation d’une histoire dans le style formulaire de la chanson traditionnelle ». En employant ces termes, il est essentiel de se souvenir qu’ils ont été mis en place dans le contexte de l’étude de récits composés en vers métriques. En fait, la formule est expressément définie en terme de métrique (« mots employés dans les mêmes conditions métriques »), et dans la mesure où le thème est défini en termes de formule (« employée dans la récitation d’une histoire dans le style formulaire »), il semble que, pour lui aussi, la métrique doive être présente2.
2Il faut effectivement garder en mémoire que le corpus d’origine des études de Parry et Lord est composé de chansons narratives serbo-croates. La théorie développée à partir de ce corpus a pu leur servir, par la suite, pour l’étude de poèmes épiques de tradition orale, tels que les poèmes d’Homère ou encore ceux de la tradition saxonne, comme Beowulf3. Peter Heath met donc en garde contre les dangers inhérents à l’utilisation de la théorie de Lord et Parry :
Employer de façon automatique les concepts de formule et thème, tels que Parry et Lord les ont définis, afin de décrire la composition de Sīra ‘Antar entraîne une distorsion analytique sur deux niveaux. D’abord, c’est ne pas rendre justice à la théorie de Lord et Parry ; en généralisant, nous contribuons à la confusion qui plane souvent sur les discussions académiques de la formule et du thème. Ensuite, utiliser sans discernement critique des concepts qui n’étaient pas à l’origine destinés à décrire des récits en prose (même lorsqu’il s’agit de prose rimée) risque de nuire à la justesse de nos propres analyses4.
3Afin de pouvoir utiliser cette théorie du formulaire, Peter Heath propose un compromis : si l’utilisation du concept « formule » pose le problème de la métrique, en revanche celui de thème, en tant que « groupe d’idées », « dépend moins des aspects de la forme littéraire que la formule5 ». Le terme sera donc conservé. Pour le terme « formule », Peter Heath suggère une alternative en utilisant « traditional phrase »6 qu’il définit ainsi pour en justifier l’emploi :
L’expression traditionnelle peut être définie comme un groupe de mots utilisés de façon récurrente dans une tradition narrative pour exprimer une idée simple. Bien qu’il ait beaucoup de traits en commun avec la formule, ce terme permet l’identification d’exemples de récurrence verbale extensive dans un récit, sans être limité par des formes littéraires spécifiques. Dans ce sens, l’expression traditionnelle, telle qu’elle est définie ici, ne déplace pas la formule et ne la fait pas disparaître mais elle l’inclut. La formule est une forme particulière de l’expression traditionnelle7.
4Cette mise au point me paraît essentielle et c’est pour cela que j’ai désiré citer abondamment la mise en garde de Peter Heath qui représente une véritable réflexion méthodologique. Jusqu’à quel point peut-on transférer une théorie élaborée à partir d’un corpus spécifique, régi par des règles qui lui sont propres, à un corpus qui obéit, de toute évidence, à des règles de composition différentes, même si, en effet, on perçoit de fortes analogies ? L’attitude de Peter Heath est, en fait, de remodeler la théorie pour l’ajuster à son objet d’étude. Ainsi il parle de l’application problématique des concepts mêmes qu’il élabore (« expression traditionnelle », thème, scène) car, dans l’expression traditionnelle, la même idée (le signifié) peut être exprimée par différents groupes de mots (le signifiant)8, ceux-ci, bien sûr, présentant des analogies. Pour prendre un exemple concret déjà illustré dans le chapitre précédent, l’expression traditionnelle qui représente l’idée de la cérémonie d’intronisation dans une charge peut utiliser plusieurs groupes de mots (signifiant) ; même si le plus courant est « هاتوا كرك », on trouve également « 9 هاتوا بنش », ou une variante chez les chrétiens « هاتوا قبلار ». Lorsque la cérémonie est transposée dans le monde chrétien, elle subit des transformations mineures qui ne sont que verbales. Comparons par exemple celle du fascicule 51 :
هاتوا كرك حالاً صار على اكتاف القره اصلان فصرخت الشاويشه ما شاء الله مستاهل بايش قال الملك هذا يكون مدير مال الساحل10
et celle du fascicule 114 :
هاتوا قبلار فحالاً صار على اكتاف توما وصرخوا البطارقه لايق بأيش قال هذا غفر مبيت صيوانى11
5Non seulement le signifié ne change pas, mais le « calque » des formules renvoie à la structure en miroir et au fait que les mondes que l’on oppose fonctionnent, en fait, sur des modes identiques. La hiérarchisation, que Peter Heath opère en quatre niveaux, fonctionne toujours selon cette dichotomie signifié/signifiant12. Si l’on prend le niveau le plus complexe, celui de la « construction dramatique complète » (signifié), la « scène » qui lui correspond (signifiant) peut varier dans certains de ses éléments. Cette description me semble correspondre tout à fait à ce qui se passe dans Sīrat al-Malik al-Ẓāhir Baybarṣ et pourrait être une constante dans la composition des siyar.
6Il n’en reste pas moins que l’application d’une grille de lecture, même adaptée, sur un objet d’étude pour lequel la grille n’a pas été élaborée pose souvent plus de problèmes qu’elle n’en résout. Mais cela a au moins le mérite de faire réfléchir à la méthode d’approche. On peut choisir d’appliquer la grille seulement dans certains cas, qui font alors figure de « cas d’école », ou encore, comme le fait Peter Heath, d’adapter la grille à l’objet. Mais on peut aussi choisir de réfléchir non pas à partir de la grille mais à partir du corpus. Prenons, par exemple, le terme « formule ». Ce terme figure dans le vocabulaire général dans lequel il désigne un signifié finalement peu précis, comme dans l’expression « avoir le sens de la formule », ou « c’est une bonne formule ». Il se décline ensuite dans des domaines variés comme les sciences (« une formule mathématique », « une formule chimique »), ou encore le tourisme où il désigne un ensemble de prestations pour un prix donné. En littérature, le terme existe avant son appropriation par Lord et Parry (« une formule toute faite », par exemple) qui, eux, lui donnent un sens précis et l’érigent en système. Cela doit-il nous empêcher de redéfinir le terme à partir de ce que propose notre objet d’étude ? Est-il besoin d’inventer un autre terme ? Lorsque Peter Heath « invente » le terme « expression traditionnelle », il tente d’élargir le champ sémantique pour y faire entrer notre objet d’étude, les siyar, et l’on comprend bien sa préoccupation si l’on admet que le terme « formule » ne peut en aucun cas désigner autre chose que ce qu’il désigne dans la théorie de Lord et Parry. Or ces derniers reprennent aussi à leur compte des termes qui, à l’origine, s’appliquent à d’autres objets d’études : « thème », « scène » sont redéfinis pour « coller » à l’objet. Aucune grille, aucune approche ne peut s’approprier et monopoliser un terme de façon qu’il ne puisse plus être utilisé autrement, d’autant que pour ce faire ces termes sont soumis à des définitions particulières. Dans son article sur les scènes de bataille, Jean-Patrick Guillaume prend également des précautions avant d’analyser ces scènes selon la grille du style formulaire13. Il conclut en justifiant ainsi son utilisation :
Il en est du style formulaire comme de la quasi-totalité des catégories utilisées en analyse littéraire : dès lors qu’elles sont presque toujours constituées à partir d’un corpus et d’une tradition donnés, leur élargissement à d’autres types d’œuvres et à d’autres traditions entraîne nécessairement un certain degré d’approximation, une certaine marge d’incertitude, qui reste tolérable dès lors que l’on demeure conscient de la spécificité des textes dont on parle, et que l’on s’efforce de les objectiver. Après tout, si l’on considère les poèmes homériques, ou les chansons de geste, comme le « noyau dur » du genre épique, il est bien évident que la Sīrat ‘antara (sic), et à plus forte raison la Sīrat Baybars présentent à leur égard des différences considérables ; cela ne nous empêche pas de parler à leur propos d’« épopée » ou de « récit épiques », sans que cela semble entraîner des confusions ou des distorsions excessives. De la même manière, on peut, me semble-t-il parler de « style formulaire » et de « formule » à propos de ces mêmes textes, dès lors que l’on reste conscient du fait qu’ils en présentent une variété en quelque sorte marginale, et que l’on évite, par conséquent, de leur attribuer, de façon mécanique, toutes les propriétés du prototype.14
7Les Anglo-Saxons semblent, d’ailleurs, sans gêne utiliser le terme « epic » pour traduire « sīra15 ».
8Dans la mesure où de nombreuses « expressions traditionnelles » dans Sīrat Baybarṣ participent à la composition de scènes type à caractère rituel16, je n’hésiterai pas pour ma part à utiliser l’expression « formule » ou « formule rituelle ». Le concept de « thème » a déjà été utilisé dans le contexte des siyar pour définir certains moments récurrents, en particulier pour l’ouverture ou la clôture d’un épisode17 ; j’élargirai ce concept à tous les éléments qui constituent les scènes types. Ce concept de scène type est tiré de diverses adaptations de la théorie de Lord et Parry. Dans un article publié en 1968, Donald Fry tente de mettre un peu d’ordre dans une terminologie où « motif », « theme » et « type-scene » sont parfois utilisés les uns pour les autres18. L’école française des études sur Beowulf semble vouloir évacuer cette notion de « type-scene » :
Il est tentant d’utiliser ces deux concepts de « thème » (petite unité à but multiple : oiseaux de bataille, discours – brefs -, brillance d’une arme, bravoure...) et « scène type » (unité plus vaste et qui se suffit à elle-même : batailles, discours – longs –, banquets...). Néanmoins, il est préférable de se référer à ces deux types de « blocs » en tant que motif (au lieu de thème) pour les unités dépendantes plus petites et thème (au lieu de scène type) pour les unités plus vastes19.
9Pour ma part, je tenterai de définir les termes que j’utilise à partir d’un exemple qui est la scène type que je nomme : « les ambassades d’Ibrāhīm ». Cette scène type commence par l’écriture de la lettre du roi remise à Ibrāhīm pour le personnage à qui l’ambassade s’adresse ; elle se termine lorsque Ibrāhīm, revenu auprès du roi, lui remet la réponse. La scène est composée de divers « thèmes » :
Écriture et remise de la lettre.
Préparatifs d’Ibrāhīm.
Chevauchée au camp ennemi avec Sa‘d comme écuyer.
Passes d’armes et chant.
Entrée dans le pavillon ou le dīwān.
Remise de la lettre et de la réponse.
Demande des frais de route.
Retour au camp musulman.
10Chacun de ces thèmes peut être aussi décomposé en motifs. Par exemple, le thème des préparatifs d’Ibrāhīm comprend les motifs suivants :
L’armure.
Le linceul.
La prière des morts.
11À son tour, chaque motif est constitué d’une ou plusieurs formules qui se composent d’un groupe de mots répétés, parfois avec quelques variations, chaque fois que le motif apparaît dans le même contexte, c’est-à-dire dans le même thème appartenant à la même scène type. D’autre part, plusieurs scènes type peuvent se combiner pour former un épisode type : les ambassades d’Ibrāhīm, par exemple, sont une scène type de l’épisode type « Prise d’une ville » ou « Chevauchée contre l’Islam » selon le cas. Dans les exemples donnés plus loin, je m’intéresse plus particulièrement aux niveaux supérieurs : épisode type, scène type et thème.
12Qu’il s’agisse de formule, de motif, de thème ou de scène type, l’important est de souligner que leur répétition dans le récit est toujours susceptible d’être soumise à des variations. Ces variations sont, dans la plupart des cas, signifiantes. Pour les épisodes types, comme pour les scènes types, il s’agit de constructions théoriques à partir du corpus. En d’autres termes, aucun épisode de la Sīra n’est l’épisode type à partir duquel les autres se construisent en répétant les formules, les motifs, les thèmes et les scènes, exactement de la même manière ou avec des variations. On trouve effectivement dans le texte des formules rituelles qui se répètent suffisamment souvent dans les mêmes occasions pour voir là des éléments de bases constitutifs des thèmes et des scènes. En revanche, pour les scènes types et surtout pour les épisodes types, le texte ne propose pas de parangon. Cela ne doit pas nous empêcher, à travers la répétition de scènes et d’épisodes analogues, utilisant des thèmes et des formules similaires, de tirer des schémas types. Ces schémas permettent de noter et d’estimer à leur juste valeur les variantes par rapport à ce qui apparaît comme une trame. Cela permet aussi d’apprécier la dynamique du récit qui ne se contente pas de construire des scènes et des épisodes pour simplement les répéter mais qui montre comment ces scènes et ses épisodes s’élaborent selon un processus, puis, ayant atteint une forme plus ou moins accomplie, comment un jeu de variations se met en place pouvant aller jusqu’à la déconstruction.
13Plusieurs scènes types peuvent être prises en considération. Dans l’article intitulé « Ibrāhīm’s Embassies: Repetition As narrative Strategy »20, j’ai déjà abordé ce problème en analysant non seulement la structure de la scène type mais aussi la façon dont elle s’élabore dans le récit à partir d’un embryon qui se développe pour arriver à elle, elle-même utilisée par la suite avec des variations significatives dans le contexte. Ces variations montrent aussi comment le récit joue avec ses propres conventions. Ainsi la scène, pour des raisons particulières, peut être tronquée, dévoyée ou traitée sur le mode comique, etc.
B) Les épisodes types
14Les épisodes type peuvent être perçus comme une série de scène types qui s’enchaînent, dans un ordre donné21. Chacune des scènes type est composée de thèmes qui comprennent tous des formules rituelles. Ainsi l’épisode de la conquête d’une ville peut être analysé de la façon suivante :
a) Épisode type : prise des villes franques
15Scène type 1 : Phase préparatoire.
Thème : le roi en son conseil.
Thème : lettre prévenant d’un danger.
Thème : lecture de la lettre au conseil.
Thème : ordre de mettre l’armée en marche.
16Scène type 2 : Ambassade d’Ibrāhīm.
Thème : écriture et remise de la lettre.
Thème : préparatifs d’Ibrāhīm.
Thème : chevauchée avec Sa‘d comme écuyer.
Thème : passes de guerre.
Thème : entrée dans le pavillon ou le dīwān.
Thème : remise de la lettre et déclaration de guerre.
Thème : demande des frais de route.
Thème : retour au camp musulman.
17Scène type 3 : Siège de la ville.
Thème de la parade.
Thème des combats singuliers.
Thème de l’impasse.
18Scène type 4 : Le fidāwī récalcitrant.
Thème : le fidāwī demande la souveraineté des forteresses.
Thème : Promesse du roi à celui qui prendra la ville.
Thème : Šīḥa entre en lice.
19Scène type 5 : La ruse.
Thème : déguisement de Šīḥa.
Thème : compétition entre Šīḥa et le fidāwī.
Thème : association Šīḥa et le fidāwī.
20Scène type 6 : Ouverture de la porte de la ville.
Thème : libre circulation de Šīḥa.
Thème : Šīḥa et les gardes.
Thème : Šīḥa prévient l’armée musulmane.
Thème : le fidāwī ouvre la porte.
21Scène type 7 : La bataille.
Thème : chants de bataille.
Thème : description de la bataille.
Thème : prise le la ville par les musulmans.
22Scène type 8 : Les récompenses.
Thème : réclamation de la souveraineté des forteresses.
Thème : révélation de l’identité de Šīḥa.
Thème : soumission du fidāwī récalcitrant à Šīḥa.
23Ce schéma est à prendre comme une reconstitution des diverses scènes types et des différentes étapes de la conquête. Dans le récit, il peut y avoir des effets d’interpolation, des retours en arrière et une fragmentation qui permettent au récit de trouver une dynamique sans laquelle les différents moments s’enchaîneraient de façon mécanique. C’est aussi ce qui fait que, malgré le nombre très élevé de ces conquêtes, la répétition n’est jamais ressentie comme monotone ou ennuyeuse. Les variations au schéma proposé ci-dessus produisent également un jeu sur l’attendu et l’inattendu dont il faudra reparler. D’autre part, les épisodes de la prise des villes ne comprennent pas tous les scènes types décrites plus haut. Il s’agit là du schéma le plus complet. Parfois une voire deux scènes types peuvent manquer. Les scènes type peuvent, à leur tour, être réduites à un ou deux des éléments constitutifs de la scène complète. En fait, le schéma décrit ci-dessus est un schéma composite qui combine des éléments dispersés à travers le récit et les différents épisodes22. On note une concentration de la prise des villes franques dans la première moitié du récit. Voici la liste des villes et le numéro des fascicules23 :
24On note, dans cette liste, que certaines villes (Antioche, Beyrouth, Constantinople) font l’objet de plusieurs « conquêtes ». Les cas d’Antioche et de Beyrouth sont particulièrement intéressants dans la mesure où il ne s’agit jamais d’en faire des villes musulmanes mais de les soumettre en leur faisant payer un tribut. Les villes restent sous la coupe de leur babb, par exemple Alfrad Mākūl à Antioche, mais les musulmans qui y vivent doivent être traités correctement et une somme d’argent versée annuellement. Constantinople fait l’objet de plusieurs sièges, mais même lorsque la ville tombe son statut ne change pas. Les rapport entre le babb de Contantinople, Mīḫā’īl, avec Baybarṣ d’un côté et Ǧawān de l’autre sont suffisament ambigus pour qu’il arrive toujours à tirer son épingle du jeu, sauf à la fin, après l’exécution de Ǧawān où il sera, lui aussi, mis à mort par les fidāwīyeh24.
1) La prise de Tripoli
25Dans l’épisode de la première prise de Tripoli, le récit n’utilise pas la scène type de l’annonce au dīwān. Le récit fait un détour qui représente une variante dans la manière d’apprendre au roi ce qui se passe dans son royaume : Baybarṣ et Ibrāhīm font le tour de la ville (ici Damas) pour savoir comment se comporte le nouveau gouverneur. Ils n’apprennent rien sur lui mais, en revanche, ils apprennent qu’il se passe des choses étranges à Tripoli. La scène type ici se décompose de cette manière :
Baybarṣ se déguise et fait un tour dans la ville.
Il entend quelqu’un parler d’un problème.
Il le fait venir au dīwān.
Le personnage lui explique ce qui se passe.
26La ville peut être Le Caire ou Damas, ou Alexandrie, ou Alep. Il s’agit, en général d’une ville importante du royaume où le roi se trouve à ce moment-là du récit. Le déguisement est souvent celui d’un derviche, comme ici, et le roi est fréquemment accompagné d’un ou deux proches compagnons. Son attention est retenue par un bruit, des gens qui accourent, un attroupement :
والملك وابراهيم وسعد ابا رياح تبدلوا بصفات دراويش قرندليه ورجعوا الى الشام نزلوا فى بعض الخانات باتوا ذلك الليله وقاموا تانى يوم صاروا يدورا25 بالشام من محل الى محل ومن سوق الى سوق26 الى ان وصلوا لسوق الخيل نظروا الناس عمال تتراكد27
27Les formules qui constituent ce thème de la « promenade incognito » se trouvent dans des expressions telles que « من محل الى محل و من سوق الى سوق », la rupture étant produite par l’événement central qui vient rompre l’absence de fait inhabituel. Une des caractéristiques de cette scène type est de ne pas donner de détails sur la promenade incognito. Puisque rien d’inaccoutumé ne se produit, le chemin pris par le roi et ses amis n’est pas décrit et les activités des souks traversés ne trouvent aucune place dans le récit.
28Lorsque Baybarṣ reçoit l’homme qui est la cause de l’événement imprévu pour lui faire raconter son histoire, le thème de l’opprimé apparaît avec la formule rituelle :
وسار مع ابراهيم الى ان وصلوا لقصر الابلق دخل اليسير قبل الارض دعا وترجم وبافصح ما تعلم تكلم دعا للملك بدوام العز والنعم وازالة البؤس والنقم وقال له مظلوم يا امير المؤمنين28
29L’occasion se prête à la ritualisation puisqu’il s’agit d’une audience officielle, bien qu’impromptue. Le prisonnier a conscience de l’occasion. La ritualisation du récit avec des formules de prose rimée attire l’attention sur le langage, au moment où le texte insiste sur l’effort fait par le prisonnier pour « bien parler », ce qui confère d’ailleurs une sincérité à son discours. Ce qu’il va raconter ne peut être que la vérité. L’aspect solennel de l’audience ne masque cependant pas son caractère privé. L’épisode commence par la volonté de Baybarṣ de découvrir quelque chose par lui-même et se poursuit dans une veine semblable. Baybarṣ ne lève le voile sur son identité (29 رفع التبديل) que le temps de l’audience. Il part ensuite, toujours déguisé, pour Tripoli, pour vérifier les dires du prisonnier30.
30La participation active de Baybarṣ est une des caractéristiques de cet épisode. Il ne se contente pas d’accepter, comme c’est parfois le cas, l’annonce du danger ou de l’oppression, pour ensuite mettre son armée en route et assiéger la ville en question. Cette participation entraîne une aventure de Baybarṣ et de ses amis à l’intérieur de la ville avec la complicité de Šīḥa qui a déjà investi la place. La présence de Šīḥa fait référence à la scène type où il se trouve déjà dans la ville assiégée à préparer sa conquête. Elle renvoie aussi au thème de la libre circulation de Šīḥa, ici par sa connaissance des souterrains secrets qui conduisent en dehors de la ville. Après une aventure rocambolesque dans le ḫān de Tripoli qui se termine par une variante de la bataille, avec seulement quatre participants du côté des musulmans qui se renvoient des chants guerriers, Baybarṣ et ses amis finissent par sortir de la ville par le souterrain et, Šīḥa ayant prévenu le vizir Šāhīn qui était en marche pour Le Caire après l’expédition précédente, l’armée fait le siège de Tripoli.
31Le décalage qui s’installe dès le début de l’épisode par rapport à un schéma type va affecter toutes les scènes qui le constituent. On retrouve une variante similaire plus tard, dans l’épisode de la prise de Ṣūr qui commence de la même manière : Baybarṣ déguisé fait le tour du Caire et entend parler du hammam de Ṣūr à l’entrée duquel le babb a fait peindre le portrait de Baybarṣ sur lequel tous les clients du hammam doivent cracher avant d’entrer. Baybarṣ se rend à Ṣūr incognito, mais seul cette fois-ci, et se fait prendre prisonnier. À partir de cette scène préparatoire, les décalages s’enchaînent, faisant intervenir des thèmes empruntés à d’autres épisodes, comme l’emprisonnement de Baybarṣ. Les scènes types sont donc des canevas assez souples à partir desquels de nombreuses variantes, insertions et interpolations deviennent possibles.
32Dans l’épisode de la première prise de Tripoli, Baybarṣ ayant mis le siège à la ville, le babb al-Brinḏ31 décide d’installer un camp aux portes de la ville. Lorsque Baybarṣ envoie Ibrāhīm en ambassade, il le met en garde contre la réaction possible du babb et lui donne des consignes qu’Ibrāhīm refuse de suivre car il a établi les règles de l’ambassade et personne ne peut y déroger :
قال له الملك يا ابراهيم هذا البرنذ وانت شاهدت افعاله ومضروب فيه المثل اذا احد فعل شئى بقولو32 له شو فعلت قطعت راس البرنذ فالاولى يا ابراهيم انك تعطيه الكتاب وتجيب منه الجواب من غير لا كلام ولا عتاب ولا تفعل شئى من الاسباب فقال له والله يا امير المؤمنين ومدد جدى ابا السبطين33 فلا يمكن اسلم كتابك الى احد من الملوك اذ لم يفز واثب على الاقدام وياخذ الكتاب بادب واحتشام وآخذ منه حق الطريق الف دوكاتى تمام ولو كان حواليه جن سليمان عليه السلام قال له روح افعل ما يدك ربح الله افعالك34
33Le rituel de l’ambassade se met en place, mais il est interrompu par un piège tendu par Ǧawān qui a fait creuser des trous devant le pavillon du babb. Une bataille s’ensuit, et Ibrāhīm et Sa‘d doivent remettre leur ambassade au lendemain. Ǧawān tente de blâmer les musulmans pour ce qui s’est passé, mais al-Burṭuquš rétablit la vérité et le babb fait donner la bastonnade à Ǧawān pour avoir terni sa réputation en tant que roi. Les obstacles s’accumulent pour que cette ambassade ne puisse pas se dérouler selon les règles d’Ibrāhīm. Lorsqu’il arrive enfin au pavillon du babb, le lecteur/auditeur sait qu’il peut s’attendre à un nouvel échec de l’ambassade. Le récit insère alors un élément comique autour du repas que le babb al-Brinḏ offre à Ibrāhīm. Ce repas, en lui-même, constitue une variante de l’ambassade, mais l’intervention de Sa‘d et l’altercation qui s’ensuit montrent aussi une scène type « en devenir ». Le babb tente de résister au rituel d’Ibrāhīm en revenant au rituel plus courant et en l’incitant à expédier son affaire :
وقال له يا ابن الكورانى لو كان كل رسول كتاب يعمل مثلك ما كان احد كتب كتاب نحن نعرف العاده رسول الكتاب يحضر لعند الملك المبعوث له يعطيه الكتاب بأدب فيامر له بالطعام والضيافه قدر ساعه زمان ثم يعطيه الجواب بقا جنابك عامل هنار حديد وضرب لاف35
34Le repas est une nouveauté qu’Ibrāhīm accepte, bien qu’il ne soit pas dans la coutume de ses ambassades, mais il en fait une stratégie dilatoire, en dévorant et réclamant encore plus :
قال له طيب تفضل اقعد وهات كتابك وخوذ جوابك وانصرف بلأمان فقال له ابراهيم يا بب ان كان نيتك تضيفنى بالطعام لا مانع فانا باكل من زادك فامر له البب بالطعام وجلس ابراهيم بنصف الصيوان36
35Lorsque Sa‘d se présente, il exige qu’on lui apporte aussi à manger. Le Prince s’étonne de leur appétit féroce, s’impatiente et réitère sa demande. L’attitude du babb al-Brinḏ est conforme aux mises en garde de Baybarṣ et celle d’Ibrāhīm conforme aux principes érigés par lui pour ses ambassades :
وقد تعجب من ذلك الأكل ثم قال ايه يا ابن الكورانى هات كتابك وخوذ جوابك فقال له وانت رد قوم على اقدامك وخوذ الكتاب فلما سمع البرنذ ذلك الكلام احتد ونتر الحسام وانطبق على ابراهيم انطباق الغمام فقحص ابراهيم الى برات الصيوان واستلقاه كما اسلقى37 الارض العطشانه اوائل الامطار 38
36Les ordres brusques du babb pour se débarrasser au plus vite de cet ambassadeur provoquent cette réaction d’Ibrāhīm qui s’installe pour manger. L’arrivée de Sa‘d, sans protocole, démonte le caractère rituel de l’ambassade. Depuis le début, les règles ne sont pas respectées et on sent bien que quelque chose d’inhabituel va se produire. À ce stade, il est vrai que la réputation d’Ibrāhīm en tant qu’ambassadeur de Baybarṣ n’est pas encore faite et les règles qu’il impose ne sont pas toujours respectées. Elles le seront plus tard lorsque les babb-s, prévenus par Ǧawān ou al-Burṭuquš, sauront ce qu’il en coûte de ne pas suivre les instructions d’Ibrāhīm à la lettre. Un rituel en remplace un autre. Si l’ambassade ne peut pas se dérouler comme prévu, alors c’est un combat, avec ses propres formules, qui vient prendre sa place. La prose rimée ainsi qu’une formule telle que
واستلقاه كما اسلقى39 الارض العطشانه اوائل الامطار
sont empruntées aux scènes de bataille. Le combat ayant été initié, il se développe ensuite avec l’intervention des musulmans prévenus par Sa‘det les chants de bataille se répondent. La scène de bataille remplace ici les traditionnels combats singuliers entre les chrétiens et les émirs musulmans, puis les fidāwīyeh. La prose rimée se prolonge dans le texte à travers une rime unique (ān), jusqu’aux dispositions prises par le babb et Ǧawān pour soutenir le siège. Le passage en prose rimée avec cette rime unique est particulièrement long puisqu’il s’étend sur quatre pages40. La rime est initiée par l’introduction du rāwī :
قال الراوى يا ساده يا كرام صلوا على النبى العدنان41
37Une fois les portes de la ville refermées, le siège s’éternise sans issue possible puisque le seul accès connu des musulmans, le souterrain emprunté auparavant par Baybarṣ et ses compagnons, a été bouché.
38C’est à ce moment que commence la scène type du fidāwī récalcitrant. Mais, comme pour le reste de l’épisode, celle-ci est en décalage par rapport à ce que l’on attend. Le fidāwī en question est Ḥasan al-Mašnātī de la forteresse Mašnāt. Il n’accepte ni l’autorité de Baybarṣ ni celle de Šīḥa. En l’absence de Manṣūr al-‘Uqāb, parti à la recherche de Ma‘rūf, c’est le seul muqaddam à connaître tous les souterrains des villes franques. Sans entrer dans le détail de ce thème, on peut remarquer qu’il se démarque du thème habituel des fidāwīyeh récalcitrants par plusieurs aspects : d’abord le fait qu’il ne s’agit pas d’un fidāwī parti à la recherche de Ma‘rūf ; ensuite parce que Šīḥa est aidé dans son action pour l’amener à l’obéissance par la sœur de ce fidāwī, ‘Ayša, qui se déguise en soldat franc et se fait appeler Nūr al-Masīḥ pour pouvoir pénétrer dans Tripoli. Un élément comique se développe à partir de ce déguisement, lorsque al-Burṭuquš et Ǧawān tombent amoureux de Nūr al-Masīḥ avant même de l’avoir vu :
وصارت الكرستيان توصف نور المسيح ومحاسنها42 باللطافه والظرافه وعلى هوى الوصف الذى عمال يوصفوه بالمحاسن صار الى البرطقش غرام بنور المسيح لان يا اخوان الاذن تعشق قبل العين احيانا43
39Il en va de même pour Ǧawān, après avoir entendu la description faite par al-Burṭuquš à la suite de son entrevue avec Nūr al-Masīḥ :
فلما سمع جوان ذلك الوصف لعب به الغرام44
40Le décalage continue dans la scène type de l’ouverture de la porte de la ville : ‘Ayša est chargée par Šīḥa de prévenir l’armée musulmane en montant sur les créneaux de la ville et en envoyant un message à l’aide d’une flèche. Mais elle utilise ce stratagème à ses propres fins et fait prisonniers les hommes qui se présentent à la porte, à savoir Sa‘d puis Ibrāhīm puis Baybarṣ lui-même. La scène utilise alors la formule rituelle des trois appels pour faire apparaître Šīḥa. Cette formule prélude à l’obéissance des fidāwīyeh récalcitrants et le texte ici met en exergue ses propres stratégies narratives lorsque Ḥasan al-Mašnātī refuse d’appeler Šīḥa parce qu’il est en rébellion et qu’il veut le rester [c’est Ibrāhīm qui s’adresse au roi alors qu’ils sont prisonniers] :
افندم كيف تقع بالقفص وموجود بالدنيا سلطان الرجال سيحه45 جمال الدين فاذا كنت بتامر بصرخ عليه ثلاثه اصوات فان ما لبّانا نأخذ منه المقام ونعطيه الى سعد قال له سعد لا لا انا ما بدى صير سلطان انا بدى عيشه ست الحسان46 ثم تقدم ابراهيم وفك سعد وحسن وقال لهم خذوا حزركم فقال له حسن يا ابراهيم ليش شيحه من الملائكه والا من الجان حتى يحضر باى مكان قال له اذا كنت ما تصدق اصرخ عليه وشوف كيف بيحضر فقال له حسن لا لا انا ما بصرخ عليه لاننى عاصى اصرخ له انت لانك طايع47
41Le but ici n’est pas d’amener ‘Ayša à l’obéissance puisqu’elle est acquise à la cause du roi et de Šīḥa, comme elle le dit elle-même à ce dernier lorsqu’il se dévoile à elle et aux autres prisonniers après le troisième appel d’Ibrāhīm :
وقالت له ولك انت متى كنت تحكى48 قال لها لما حلت علىّ انظار الملك انطلق لسانى وان سئلتى عنى انا سلطان الرجال شيحه جمال الدين وهذا اخوكى عصيان لابد اسلخه وعلق جلده على باب قعلته لكان بكل عقلك يا عيشه انتى فعلتى هذه الفعال بل ادعى الى الأخرس الذى درّبك حتى فعلتى هذه الفعال قال فلما سمعت عيشه ذلك الكلام فكأنها التجمت بلجام واطرقت براسها الى الارض وصفنت حصه من الزمان ورفعت رأسها وقالت له يا ابو الهمم ان كان بتريد طاعه من النساء فانا بقول الف طاعه خوند ومنازل السلامه الى قان قنات الحصون وعزها شيحه جمال الدين وان كان بدك طاعه من الرجال فهذا اخى قدامك حاكيه وافعل به ما شئت49
42C’est Šīḥa lui-même qui propose à Ḥasan le marché traditionnel : celui qui ouvrira la porte de la ville et prendra le babb al-Brinḏ, deviendra sultan des forteresses. Le thème peut alors reprendre son cours.
43Qu’il s’agisse du thème de l’ambassade d’Ibrāhīm ou de celui du fidāwī récalcitrant, on assiste à un dédoublement des éléments qui les constituent, comme si l’épisode butait sur des obstacles qui l’empêchent d’avancer, à la manière de Sa‘d qui bute sur un trou puis sur un autre, au moment de la première tentative d’ambassade.
44La seconde prise de Tripoli reprend les scènes type en revenant au modèle proposé. La situation est la suivante. Après la prise de la ville, Baybarṣ s’est emparé du babb al-Brinḏ et l’a attaché à une croix, le conduisant ainsi à travers tout le pays. Sa femme veut le venger et le libérer, et elle va se plaindre à son père, le babb Kašyānūš de Ǧazāyir al-Nār. Celui-ci se rend à Tripoli avec plusieurs rois francs et, bien sûr, Ǧawān et al-Burṭuquš. Baybarṣ apprend ainsi la nouvelle :
قال الراوى يا ساده الى يوم الملك جالس يقظان غير ناعس يصلى ويسلم على النبى لأنه بيمنه كل جزع يابس وباب الديوان استد وداخل البراج يصيح سبحان هادى الطير قال الملك وعالم الغيب وراحم الشيب العلامه براح السلامه قال افندم من حمص العديه تنقل الكتاب منازل وصل ليد الملك فضه وقراه يرى من يد غياث الدين حالكم50 حمص الى حضرة امير المؤمنين...51
45La scène type est en partie tronquée de formules rituelles, comme celle qui consiste à lire la lettre aux dignitaires une fois que Baybarṣ en a pris connaissance52, et le texte poursuit en donnant l’explication de la présence du babb Kašyānūš à Tripoli. Baybarṣ se met en route avec son armée et assiège de nouveau la ville. Le récit interpole alors une scène de ruse et de contre-ruse inspirée par le fait que Ǧawān s’est assuré les services d’un fidāwī chrétien, Qawādīs al-Mālṭī, qui se charge de délivrer le babb al-Brinḏ, toujours attaché à sa croix, et qui en profite pour droguer Ibrāhīm et Sa‘d, et enlever Baybarṣ. Encore une fois, le récit fait apparaître les procédés narratifs en les désignant par leur usage hyperbolique : cinq fioles de banǧ sont utilisées par les personnages qui se droguent les uns les autres dans un monastère. En fin de compte, après un nouvel enlèvement de Baybarṣ par Ǧawān, lorsque le roi délivré retourne au monastère avec Ibrāhīm et Sa‘d ils trouvent tout un groupe de personnages drogués et, plutôt que d’expliquer ce qui s’est passé ou comment tous ces personnages sont arrivés là, le texte fait simplement les comptes :
وساروا الى ان وصلوا الى الدير نظروا جوان مطالع على اغا الصالحانى وشيحه وموسى ابن حسن القصار والمقدم خطاب صاحب قلعة دمويه وسليمان الجاموس ومعهم القران كشيانوش وقواديس المالطى وبعض من الملوك وبعد ما راح الملك ارتما سبعة عشر تعفينه بنج لذلك الدير53
46Lorsque le siège reprend, Baybarṣ envoie Ibrāhīm en ambassade et, cette fois-ci, la scène se déroule en suivant les formules rituelles et les règles édictées par Ibrāhīm. Cependant, une variante est introduite, comme pour compenser l’ambassade tronquée de la première prise de Tripoli : alors que la coutume d’Ibrāhīm est de demander mille ducats pour ses frais de route (ḥaqq aṭ-ṭarīq), cette fois-ci il réclame cette somme à chacun des rois présents :
فالتفت كشيانوش الى جوان القران54 وقال له ابونا شو عمال يقول الشى باشى قال له اعطيه يا فليونى حق الطريق الف دوكاتى فامر له البب بالف ذهب فاخذهم ابراهيم وحطهم بديل المعتريه وتقدم الى قدام البرنذ وقال له اندر يا بب فقال له شو بتريد يا ابن الكورانى قال له حق الطريق فقال له ما اخذت الف ذهب قال له ابراهيم يا بب الكاب55 لكل الملوك وانتم عشره فكل واحد يأتى بالف دوكاتى ولا اضربكم بحد السيف اطير منكم الهاماتى فأمر له البب البرنذ بالف ذهب اخذهم وسار لعند غيره وصار يدور على الملوك جميعهم واخذ عشرة الاف دينار حطهم بديل المعتريه وطلع من الصيوان كأنه الأسد الكاسر وركب بظهر الصلخديه56 وطلع المسير لعند الملك الظاهر57
47La scène suivante est une nouvelle variante du fidāwī récalcitrant. Le problème des souterrains se pose une nouvelle fois et Baybarṣ décide de partir seul. Il rencontre deux hommes, al-Tīm et al-Mulhib, prêts à prendre la ville si le roi leur promet la souveraineté des forteresses, mais il s’agit en fait de deux chrétiens que Šīḥa arrête et met à la torture. Cette variante inattendue met en contraste le comportement de Šīḥa vis–à-vis des fidāwīyeh ismaéliens qu’il entreprend de convaincre par la ruse. Il les menace parfois et les drogue, mais ne les maltraite jamais vraiment58 alors qu’il se montre sans pitié pour les fidāwīyeh chrétiens. Šīḥa est réellement l’homme aux cent visages, non seulement parce qu’il se déguise et prend l’allure et les traits de n’importe quel autre personnage mais aussi parce qu’il y a en lui des facettes totalement différentes. Cette variante montre aussi comment chacune des aventures que Baybarṣ entreprend seul tourne finalement à son désavantage et comment il a sans cesse besoin de ses compagnons pour lui sauver la mise.
48Afin d’examiner le schéma de la chevauchée des fils des héros, nous allons nous reporter à un certain nombre d’épisodes de la seconde partie du manuscrit. Ceci pour deux raisons ; d’une part ce schéma n’apparaît pas dans la première partie qui concerne les héros59 eux-mêmes, d’autre part les épisodes sélectionnés sont tous de la même main (B2). Les variations du schéma sont d’autant plus significatives qu’elles ne peuvent pas être imputées à un changement de main. Nous commencerons par l’analyse du schéma tel qu’il se présente dans un épisode tardif60 qui concerne la chevauchée de Qaṭmūriǧ Abū ‘Amda, le fils de ‘Arnūs et de Kātrīn, la fille d’un des rois des Balkans61. Il convient de rappeler les circonstances car elles remontent au tout début de l’histoire de ‘Arnūs62. Après avoir été chassé de Catalogne pour avoir tué le fils du roi ‘Abd al-Ṣalīb, ‘Arnūs est adopté par le babb al-Maġlawīn, roi des Balkans, qui se fait passer pour son vrai père, à l’instigation de Ǧawān qui a bien compris qu’il s’agit, en fait, du fils de Ma‘rūf. ‘Arnūs atteint l’âge d’homme et devient un chevalier impressionnant, si bien qu’al-Maġlawīn craint qu’il ne désire prendre sa place. Il l’envoie collecter les tributs des trente-six rois des Balkans sous sa coupe, mais leur demande de refuser de payer et de le débarrasser de ‘Arnūs. Devant leur refus, ‘Arnūs les tue les uns après les autres. Le trente-sixième roi tente de prendre ‘Arnūs au piège en lui donnant sa fille Kātrīn en mariage, mais celle-ci prévient ‘Arnūs de la duplicité de son père ; il le met à mort puis retourne à Sofia, en laissant Kātrīn derrière lui, enceinte d’un enfant mâle, nommé Qaṭmūriǧ. Ce dernier réapparaît donc aux fascicules 166-167.
49Une des raisons de la concentration de ce type d’épisodes dans la deuxième moitié du récit réside dans l’apparition d’un autre cycle, à la fois concurrent et complémentaire, celui des fils des héros qui commence au fascicule 107 avec l’apparition du fils d’Ibrāhīm et qui s’intensifie avec les chevauchées des fils de ‘Arnūs, pour se terminer au fascicule 172, avec le retour de Ṣafrīn, le fils de ‘Arnūs et de Ṣafrīna, la fille de l’empereur de Rome, au sein de l’Islam. En reconstruisant l’épisode complet selon les scènes types on obtient le schéma suivant :
b) Épisode type : la chevauchée des fils des héros contre l’Islam
50Scène type 1 : Amitié d’un ou plusieurs des héros avec un jeune babb.
Thème : un des héros entend parler du babb.
Thème : le héros se déguise et rend visite au babb.
Thème : ils se lient d’amitié.
51Scène type 2 : Préparation de la chevauchée.
Thème : Ǧawān fait le tour des rois francs pour les inciter à prendre les armes contre l’Islam.
Thème : Ǧawān arrive dans un pays franc et rencontre le babb.
Thème : il reconnaît les héros et persuade le babb de partir en guerre.
Thème : préparatifs de la guerre.
52Scène type 3 : Le roi est prévenu de la chevauchée du babb.
Thème : le roi en son conseil.
Thème : lettre prévenant d’un danger.
Thème : lecture de la lettre au conseil.
Thème : ordre de mettre l’armée en marche.
53Scène type 4 : La chevauchée.
Thème : le babb prend successivement les villes musulmanes.
Thème : il établit son camp à al-Swaydīya et attend l’armée musulmane.
Thème : l’armée musulmane arrive.
54Scène type 5 : L’ambassade d’Ibrāhīm.
Thème : écriture de la lettre.
Thème : préparatifs d’Ibrāhīm.
Thème : chevauchée avec Sa‘d comme écuyer.
Thème : passes d’armes.
Thème : remise de la lettre et déclaration de guerre.
Thème : retour au camp musulman.
55Scène type 6 : Le champ de bataille (maydān).
Thème : la parade.
Thème : les combats singuliers.
Thème : la bataille générale.
Thème : le babb est fait prisonnier.
56Scène type 7 : L’action de Šīḥa.
Thème : Šīḥa découvre la mère du babb.
Thème : Šīḥa délivre la mère du babb.
Thème : Šīḥa révèle l’identité du babb.
Thème : retrouvailles du fils et de ses parents.
Thème : conversion du babb.
57Scène type 8 : Renversement de la situation.
Thème : le babb lutte contre son camp.
Thème : victoire des musulmans.
Thème : récompenses.
58Plusieurs remarques s’imposent. D’une part, certaines scènes types, comme celle où le roi est prévenu de la chevauchée, sont une simple variation de la scène type de l’épisode de la prise des villes franques ; de même, la scène type du siège devient la scène type du maydān avec les mêmes thèmes. Les deux types d’épisodes peuvent inclure une ambassade d’Ibrāhīm (ou un de ses substituts), mais pas nécessairement. Encore une fois, il s’agit ici de l’épisode type reconstitué. La séquence chronologique subit des variations, d’une part avec les prolepses, d’autre part à cause de l’effet de simultanéité qui se dégage du récit, lorsque deux scènes type s’imbriquent : la première s’interrompt pour laisser la place à la seconde puis reprend son cours, donnant ainsi l’impression que les événements racontés sont simultanés. La formule verbale qui introduit cet effet est souvent du type « ...63 اما الملك فانه ». Il arrive fréquemment
aussi que les scènes type soient interverties, entraînant la nécessité d’une analepse. Dans l’épisode type de la chevauchée des fils des héros contre
l’Islam, il arrive que la première scène type soit celle de l’annonce de la chevauchée du roi. Ensuite, le récit « raccroche » à l’aide d’une formule du type «...64 وكان السبب ب ».
59Quelques exemples pourront montrer comment les épisodes types se développent à partir des scènes types décrites plus haut et le genre de variations introduites par le récit. Le premier épisode considéré concerne la première et la seconde prises de Tripoli aux fascicules 37-38-39-40.
1) La chevauchée de Qaṭmūriǧ
60L’épisode débute directement avec la deuxième scène type qui voit Ǧawān faire le tour des rois francs pour se plaindre de l’Islam et les inciter à partir en guerre :
قال الراوى يرجع الكلام الى العرص الدنان جوان القرنان فأنه لما هرب من وقعة السويدية صار يدور فى البلاد ويحرض الملوك وما احد يسمع له كلام الى ان وصل الى رومة المداين ودخل لعند القيصر صفرين باشقران وهو ينعى بالويل والثبور وعظائم الأمور65
61Les lamentations de Ǧawān ne sont pas nouvelles et le thème de Ǧawān et les rois francs court depuis le début du récit lorsque, après la mort du roi al-Ṣāliḥ Ayyūb, il assiste incognito au dīwān désignant Baybarṣ comme son successeur66. Il va alors se plaindre auprès des rois de la côte et les prévenir du danger :
الى ان وصلو67 [جوان والبرطقش] لارض العريش دخل على ملكها وهو باكى العين حزين القلب واخبره بما جرى فقال له يا ابونا هذه الماده ما بتخصنا ملك وبايه على ملكه نحن شو كتر غلبتنا بينهم وانت ليش حامل هل سلم بالعرض فقال له جوان آه يا مفجوع انت مانك عارف شو بده يجرى من هل مرفوس وانت شوا على بالك ما هى رايه الماده الا على دقنى وتركه وسار لعند ملك عسقلان واحكا له مثل ما احكا الى ملك العريش فقال له يا ابونا نحن شو بخصنا بدعوت الملوك وصرفه وما حسن جوان يدهى بعقله فتركه وراح لعند ملك صور وقف بباب الديوان قرا قداس ودخل على البب الروم عط68 وبكا قدامه وتوجع له واخبره عن المبايعه فقال له يا ابونا هذه الماده ما لنا فيها تعلق قال له جوان آه فليونى شو بده يجرى منه لانه هذا الذى دلت عليه الدلايل والكتب والذى بده يهدم المعابد والكنايس ويعمرهم جوامع ومدارس69
62Beaucoup plus tard dans le récit, les rois francs connaissant Ǧawān et ses manigances, et surtout les désastres qui ont suivi les diverses campagnes militaires contre l’Islam, c’est sans état d’âme qu’ils le chassent de chez eux. La formule ayant fait son temps, elle se transforme alors comme par exemple dans l’épisode du babb Qarṣanṯīn al-Īṭālī :
وسار [جوان] على بلاد الافراج وكلما دخل على ملك يطرده مثل الكلب الذى مدوده ادنه70
63Dans la mesure où la première scène type ne figure pas dans cet épisode, le thème de la reconnaissance des héros en visite chez le babb n’apparaît pas. En revanche, l’idée de la reconnaissance est présente puisque Ǧawān a bien repéré la marque sur la joue de Qaṭmūriǧ qui le désigne comme un des fils de ‘Arnūs. Un des intérêts de cet épisode réside dans le fait que Ǧawān tente de réconcilier Qaṭmūriǧ avec l’empereur de Rome, Ṣafrīn, pour que tous les deux chevauchent contre l’Islam, or, les deux sont des fils de ‘Arnūs. La courtoisie de Ṣafrīn envers Ǧawān tranche avec la manière dont il est généralement chassé par les autres babb et nous donne une indication sur la nature de cet empereur, digne successeur de son grand-père Frīdrīk71 qui lui-même s’était converti à l’Islam72. Ǧawān lui rappelle tous les « méfaits » de Baybarṣ à l’égard de sa famille et des chrétiens, en se gardant bien de dire le rôle qu’il a joué dans toutes ces affaires :
قال له آه فليونى رين المسلمين قتل اخوك وكسر عساكره ونهب زخائره73 وامواله وانت صرت قيصر وجلست على كرسى رومة المداين والعار راكبك ما تقوم تركب عليه وتاخذ ثارك وتقوم بناصر الكرستيان فضحك صفرين وآخذه الى جانبه وامر له بالمشروب الى ان هدى روعه قال له ابونا رين المسلمين مسعد ومن عاند المسعد لا يموت الا مكمد وثانياً فيه عهود بينى وبين الرين انى لا اركب على بلاده74
64L’ironie narrative se met en place lorsque Ǧawān se mêle de réconcilier les deux rois, Ṣafrīn et Qaṭmūriǧ, en froid depuis que ce dernier refusait de payer un tribut au premier, sans savoir qu’il sont déjà frères. La notion de pacte devient un enjeu essentiel. D’une certaine manière, Ǧawān déplace cette notion qui lie Ṣafrīn à Baybarṣ, comme s’il s’agissait d’un pacte contre-nature, pour le remplacer par un pacte entre Ṣafrīn et Qaṭmūriǧ. Le même terme est utilisé dans une cérémonie présidée par Ǧawān au dīwān de Rome :
وصلوا الى الديوان وجلسوا على كرسى الأحكام وعمل صفرين الى البب قطمورج الضيافات المعتبرات وجوان اجرا بينهم العهودات وصاروا كأنهم اخوات75
65L’ironie tient au fait que pour Ǧawān il s’agit d’un mensonge, d’un pacte tout aussi contre-nature que celui entre Ṣafrīn et Baybarṣ, mais un pacte qui, croit-il, arrange ses affaires, alors qu’en fait il s’agit d’un vrai pacte, comme une confirmation tacite et mystérieuse du lien qui lie les deux hommes.
66Le plan élaboré par Ǧawān suit l’itinéraire habituel : Brousse, Madīnat al-Ruḫām, avec ensuite le but d’atteindre Alep :
قال قطمورج الى جوان ابونا انت اعرف فى بلاد الأسلام على اى بلد نطلع قال له فليونى ما فى علينا اهون من ارض برصه وهى اول بلاد الأسلام وبعدها نملك مدينة الرخام76
67Notons que le récit n’est pas conforme à ce qui se passe d’ordinaire : en fait le texte laisse le plus souvent entendre que la première ville que les Francs atteignent et attaquent est Madīnat al-Ruḫām ; une fois prise, les musulmans se replient sur Brousse, poursuivis par les Francs. Mas‘ūd Bayk, gouverneur de Brousse, prévient alors Baybarṣ qui lui conseille d’abandonner la ville et de se réfugier à Alep, le temps que l’armée du Caire vienne planter ses tentes à al-Swaydīya. On retrouve ce schéma dans de nombreux épisodes dont les plus marquants sont ceux de la reine Ḥamqā’ (fascicule 129-130) et de la reine Baḥrūma, 146-147, mais la ville semble être considérée comme la première étape vers la conquête des villes musulmanes depuis le fascicule 79. Madīnat al-Ruḫām est considérée dans le texte comme la ville de ‘Arnūs, conquise par lui sur les Francs. Contrairement à Brousse qui depuis le début de la Sīra est une ville musulmane, Madīnat al-Ruḫām est comme une épine dans la chair des rois francs. Sa position est donc instable et chaque fois que la ville est affaiblie (par exemple par l’absence ou la maladie de ‘Arnūs) les Francs s’empressent de l’occuper, espérant pouvoir ainsi avancer par étapes jusqu’à Alep et même Damas. Le manuscrit de Damas ne comporte pas la prise de Madīnat al-Ruḫām par ‘Arnūs et il est vraisemblable que cet épisode figure dans un des fascicules manquants entre les fascicules 70 et 71. La première mention de la ville apparaît dans le fascicule 74 et elle est déjà la ville de ‘Arnūs. Par la suite, c’est Šīḥa qui, déguisé en patriarche, en parle à Ismā‘īl, lorsque le babb al-Aṣfīn profite de l’absence de ‘Arnūs pour investir la ville :
قال له اعلم سيدي باني انا بترك فى مدينة الرخام ولما اتى عرنوس وفتح البلد فتوح الاسلام ما قاسا على الرعايه فلاجل ذلك ما هان علينا فيه77
68Le récit de la chevauchée de Qaṭmūriǧ continue avec le siège de Brousse et entre dans la scène type de l’annonce des nouvelles à Baybarṣ :
فكان الملك ذات يوم جالس يقظان غير ناعس يصلى ويسلم على نبى لان بيمينه كل جزع يابس وباب الديوان استد وداخل البراج يصيح سبحان هادى الطير فقال الملك وعالم الغيب وراحم الشيب العلامه براح السلامه قال له افندم من برصه تنقل الكتاب منازل وصل ليد الملك فضه وقراه يرا من يد مسعود بك78...
69La scène se déroule selon le modèle type et, après avoir lu la lettre de Mas‘ūd Bayk et pris l’avis des dignitaires du dīwān, Baybarṣ réunit l’armée et envoie différentes lettres dont une à ‘Arnūs pour qu’il s’assure de la protection de Madīnat al-Ruḫām et fasse ensuite route pour Brousse avec son armée. Nous avons là, peut-être, une explication du fait que Ǧawān déroge au plan habituel : ‘Arnūs se trouve à Madīnat al-Ruḫām et il veut vraisemblablement éviter les rencontres entre le père et le fils. Brousse lui semble un bon compromis, dans la mesure où, par le passé, la ville a fréquemment été abandonnée aux Francs sans coup férir. Or c’est sans compter avec la présence d’al-Qara Aṣlān qui décide de résister. Dans une scène d’ambassade inversée, alors que Mas‘ūd Bayk vient de lire la lettre de Qaṭmūriǧ demandant à ce qu’on lui livre la ville, al-Qara Aṣlān coupe la tête du messager :
فلما فهم مسعود بك ذلك الكلام اعرضه على اعيان برصه وقال لهم شو قلتم بالجواب قال له القره اصلان انا على رد الجواب وفز طرق البطريق على وارديه اطاح راسه من بين كتفيه79
70Il s’agit, bien sûr d’une rupture du rituel et du protocole qui ne peut qu’entraîner une altération des scènes type suivantes. Après une journée où al-Qara Aṣlān se bat en combat singulier contre les Francs, les uns après les autres, il doit affronter à lui seul toute l’armée que Qaṭmūriǧ envoie contre lui. En effet, la règle établie veut que les chevaliers se suivent sur le champ de bataille ; or, al-Qara Aṣlān veut se battre seul :
[فقال] له القره اصلان لا وسر بابا مدين لا احد يبرز الا انا ما دام الحرب براز ولكن متى ما شفتم الروس حملت حملة واحده ابقوا ساعدونى وانحدر الى الميدان وطلب البراز واقام على ذلك الحال وهو حامى الميدان مدة عشرة ايام80
71Une fois toute l’armée des Francs lâchée sur al-Qara Aṣlān, la scène prend un tournant différent et entre dans la scène type des batailles, avec la formule rituelle qui annonce la prose rimée et la confrontation des armées :
وبرز القره اصلان كعادته صال وجال وطلب البراز ما شاف الا عسكر الروس81 حملت عليه حملة واحده فتلقاهم كما تستلقى الأرض العطشانه اوائل الأمطار وصرخ الله اكبر والتحش على الكفار بضرب احر من النار...82
72Les cavaliers de Brousse sont rapidement suivis par l’armée de ‘Arnūs qui vient prendre la relève. Le récit répète alors la scène des combats singuliers mais « normalise » la scène avec Naṣīr al-Nimr qui remplace al-Qara Aṣlān, puis le jour suivant Ismā‘īl, puis Hadīr al-Ru‘ūd, puis Ya‘qūb al-Hadīrī, ceci pendant vingt jours, jusqu’à l’arrivée de Baybarṣ et son armée. Il s’ensuit un combat singulier entre Qaṭmūriǧ et Baybarṣ qui le fait prisonnier.
73Šīḥa arrive et le récit entre dans la scène type de l’action de Šīḥa. Lorsqu’il annonce que Qaṭmūriǧ est le fils de ‘Arnūs, la scène prend un tour imprévu et comique lorsque ce dernier se demande qui peut bien être la mère :
قال له قوم اطلق البب قطمورج فأنه ولدك فلما سمع عرنوس ذلك الكلام فرح غاية الفرح وركد على ابنه واطلقه وطيب خاطره وقال له لا تخاف يا ولدى والتفت الى شيحه وقال له افندم ابن مين هذا من بنات الملوك83
74Il est vrai que l’histoire remonte à sa première jeunesse et que Kātrīn, retrouvée par Šīḥa dans un monastère des Balkans, est la première femme épousée par ‘Arnūs, laissée sur place après la mort de son père et le départ de ‘Arnūs, et manifestement oubliée par lui, mais pas par le récit qui avait bien promis que l’on reparlerait d’elle et de son fils, selon la formule consacrée :
ثم اختلا معها وازال بكارتها فتروح منه حامل باذن مسير المحامل بولد ذكر يسمى قطمورج ابو عمد حين ظهوره يبقا له كلام84
75Kātrīn est l’une des deux femmes de ‘Arnūs non converties à l’Islam au moment où Šīḥa la retrouve car il l’a épousée alors qu’il croyait être le fils d’al-Maġlawīn. L’autre épouse est Mārīna, la propre fille d’al-Maġlawīn, qu’il épouse lorsqu’il apprend qu’il n’est pas le fils du babb et qu’il pense alors être celui de Kinyār. Son mariage avec Mārīna suit de près celui avec Kātrīn et le fait d’être bigame ne semble pas du tout gêner ‘Arnūs. Tout se passe comme si ce premier mariage n’avait qu’une importance relative, entre autres celle de sauver ‘Arnūs du poison préparé à son intention par son beau-père. Du reste, textuellement, la nuit de noces se réduit à la citation précédente, alors que celle de son second mariage, avec Mārīna, est beaucoup plus détaillée et représente le thème complet de la nuit de noces, thème dont les éléments de base se trouvent dans les descriptions de nuits de noces précédentes, depuis le fascicule 3. ‘Arnūs ne s’en tire pas sans quelques reproches de la part de Kātrīn, reproches qui, même s’il les écarte, reflètent de sa part une attitude discourtoise qui tranche avec celle de Baybarṣ envers sa femme, par exemple :
ولما دخلت الى الصيوان وقعت على عرنوس وصارت تبكى وتقول له يا ديابره ما هذه عوائد اولاد الحلال كل هذه الأيام لم تسئل عنى ولو لا حضورى اليوم كان راح ابنى بلاش واحرمنتى اياه فقال لها لكى المعذره يا سموا البرنسس لأننى مشغول بامر الدنيا والأحكام والحروبات85
76De fait, le personnage de ‘Arnūs est traité de façon ambivalente par le texte. D’une part son attitude est souvent sanctionnée par d’autres personnages, comme le fait que jusque tard dans le récit il continue à boire du vin lorsqu’il se trouve en pays franc, ou qu’il ne peut entendre la description d’une belle jeune femme sans immédiatement se rendre à ses côtés pour la séduire. D’autre part, ses aventures amoureuses et ce qui en résulte constituent une partie importante du récit ; elles contribuent également à ramener les éléments marginaux vers le centre et à augmenter l’espace métaphorique de l’Islam.
77Qaṭmūriǧ prisonnier et l’armée franque en déroute, il ne reste plus que le rituel de la conversion et celui de la circoncision pour que l’épisode prenne fin. Ces deux rituels sont effectivement mentionnés, sans effet particulier. Pour la conversion, elle est instantanée dès que Qaṭmūriǧ apprend que ‘Arnūs est son père :
فلما سمع قطمورج كلامها حالاً اجاب الى الأسلام ونطق بالشهاده86
78Le récit se dispense du texte de la formule rituelle de la šahāda qui figure souvent dans la scène type. Quant à la circoncision, elle est mentionnée rapidement :
وسيف الدين عرنوس نزل بقناقه قلعة الكبش واحضر الجراح باشى طهر ابنه قطمورج واعطاوا وهب وفرق الفضة والذهب وبعد سبعة ايام طاب جرح قطمورج فأخذه ابوه وطلع على الديوان87
79La circoncision de ‘Arnūs avait une tout autre allure88.
80Parmi les variations notoires de cet épisode, la scène type de l’ambassade est particulièrement intéressante car elle subit une inversion radicale. L’absence totale d’Ibrāhīm dans cet épisode n’est pas expliquée dans le texte. Aucune ambassade des musulmans vers les chrétiens n’a lieu, aucune trêve n’est proposée. L’ultimatum, cette fois-ci, vient des Francs et la réponse est violente. Toutes les règles établies sont balayées d’un coup de sabre qui fait voler la tête du messager. Le texte entre ainsi dans une phase très expéditive et, de plus en plus, les scènes types élaborées au cours du récit vont subir des variations qui vont davantage dans le sens de la réduction que de l’expansion. Mis à part l’épisode de Kirǧīn, fils de ‘Arnūs et de Kirǧīna89, qui ne compte que 50 pages dans un fascicule de la même main que les autres épisodes considérés ici, on note un abrégement des épisodes. À titre de comparaison voici la liste des épisodes concernant les fils francs90 de ‘Arnūs dans les fascicules de la même main (B2) :
Qaṭlūniǧ (fascicule 117), 100 pages.
Kirǧīn (fascicule 119), 50 pages.
Maryam al-Ḥamqā’ (fascicules 129-130), 164 pages.
Yatmūrid (fascicules 132-133), 104 pages.
Dūmār (fascicule 157), 40 pages.
Qaṭmūriǧ (fascicule 166-167), 64 pages.
Mīrūniš (fascicule 170), 44 pages.
81L’épisode de Ṣafrīn apparaît au fascicule 171 (main C) et comporte 48 pages. À titre de comparaison aussi, on peut ajouter à cette liste celle des épisodes concernant les fils que ‘Arnūs a de ses mariages avec des princesses du pays des ‘aǧam, mais ces épisodes ne suivent pas du tout le même schéma. Les épouses ‘aǧamīya de ‘Arnūs sont toutes musulmanes et ont épousé ‘Arnūs au cours d’une expédition qui se termine par la libération de leur royaume qui, jusque-là, était sous le joug du qān Halawūn. Dans le cas des épouses franques, ‘Arnūs les avait mises dans son harem à Madīnat al-Ruḫām et on se souvient que le magicien Armānīya91 avait dispersé ce harem. En ce qui concerne ses épouses ‘aǧamīya, ‘Arnūs les laisse simplement sur place et retourne en terre d’Islam. Il s’agit donc plus de retrouvailles à la suite de problèmes rencontrés par les épouses et leur fils. Ces derniers sont au nombre de trois :
Ḫasqān Šāh (f.134), 58 p.
Nasrīn Šāh (134), 36 p.
‘Uṯmān Šāh (167), 28 p.
82Il reste à évoquer le cas particulier de Ṣamṣām al-Ḥabašī (169, 102 p.) dont la conception a vraisemblablement lieu dans un fascicule manquant du manuscrit92. Son dīwān redonne cependant une nouvelle vie à l’épisode type, en incluant des scènes comiques de magie, car la mère de Ṣamṣām est une magicienne, et un effet d’inversion puisque c’est elle qui « trouve » les fils de ‘Arnūs, emprisonnés, puis Ibrāhīm et Sa‘d qu’elle fait prisonniers, alors que d’ordinaire c’est la femme de ‘Arnūs qui est trouvée, généralement par Šīḥa.
83Dans le schéma type, l’épisode de Qaṭmūriǧ se situe entre celui extrêmement élaboré de Maryam al-Ḥamqā’ et celui extrêmement condensé de Mīrūniš. Cet épisode-ci est le dernier à présenter les scènes types de la chevauchée d’un des fils de ‘Arnūs et il se situe après la mort de ce dernier, ce qui explique peut-être sa concision.
2) La chevauchée de Mīrūniš
84Scène 1 : Préparatifs de la chevauchée.
Ǧawān se rend à Rome chez l’empereur pour lui apprendre la nouvelle de la mort de ‘Arnūs et des fils des rois du Portugal93, ainsi que de la mise à mort par Baybarṣ des rois francs responsables de la mort de ‘Arnūs.
Il demande à Ṣafrīn de chevaucher contre l’Islam pour venger les rois francs.
Ṣafrīn refuse au nom du pacte passé avec Baybarṣ.
Il envoie Ǧawān auprès du babb Mīrūniš, roi de Ǧazāyir Mīrūn.
Ǧawān se présente chez le babb de la part de Ṣafrīn et lui demande de chevaucher contre l’Islam.
Le babb accepte et lui demande son plan.
Préparatifs de guerre.
85Scène 2 : Le siège d’al-Ruḫām.
L’armée de Mīrūniš se rend à al-Ruḫām et assiège la ville.
Mīrūniš envoie une ambassade à Ṣamṣām qui gouverne la ville.
86Scène 3 : L’ambassade.
87Le messager se présente et donne la lettre à Ṣamṣām.
Ṣamṣām lit la lettre qui lui demande de livrer la ville.
Ṣamṣām coupe la tête du messager.
Ṣamṣām sort avec l’armée et jette la tête du messager comme toute réponse.
88Scène 4 : Les combats ;
Ṣamṣām combat les Francs les uns après les autres. Le lendemain c’est le tour de Qaṭlūniǧ, puis les autres fils de ‘Arnūs pendant 20 jours.
Ǧawān conseille à Mīrūniš de descendre lui-même sur le champ de bataille et il fait prisonnier quatre des fils de ‘Arnūs.
Mīrūniš décide de lancer une attaque générale. Bataille.
Les fidāwīyeh et Baybarṣ arrivent avec l’armée du Caire.
89Scène 5 : L’annonce à Baybarṣ (retour en arrière / analepse).
Badr al-Ġafīr raconte au roi ce qu’il a vu.
Baybarṣ rassemble l’armée et prend la mer pour se rendre à Madīnat al-Ruḫām.
90Scène 6 : L’action de Ya‘qūb al-Hadīrī [Hadīr al-Ru‘ūd]94.
Ya‘qūb al-Hadīrī [Hadīr al-Ru‘ūd] entend parler de la chevauchée de Mīrūniš contre l’Islam.
Il se rend à Mīrūn, déguisé, avec ses hommes.
Il découvre Mīrūna, la mère de Mīrūniš et l’épouse de ‘Arnūs.
Il la ramène à Madīnat al-Ruḫām.
91Scène 7 : Nouvelle bataille.
Ya‘qūb al-Hadīrī [Hadīr al-Ru‘ūd] se bat contre Mīrūniš et le fait prisonnier.
Les Francs sont mis en déroute.
92Scène 8 : La conversion de Mīrūniš.
Mīrūna dit à son fils qu’il est le fils de ‘Arnūs.
Mīrūniš se convertit.
Circoncision de Mīrūniš.
93Détaillé de cette manière, l’épisode donne l’impression d’être aussi développé que l’épisode type, malgré l’absence de certaines scènes, comme celle habituellement longue de l’ambassade d’Ibrāhīm. En fait, chaque élément est réduit à sa plus simple expression et l’ensemble ne totalise que 44 pages. Ajoutons à ceci qu’un élément intrus, par rapport à l’épisode type, vient étoffer le récit. En effet, l’action de Šīḥa est ici remplacée par celle de Ya‘qūb al-Hadīrī [Hadīr al-Ru‘ūd] dont l’histoire s’entremêle avec celle de la chevauchée. Le récit doit donc donner des détails sur la raison de sa présence, ce qu’en général il ne fait pas pour Šīḥa qui est sans cesse en déplacement et toujours là où il faut. Ya‘qūb al-Hadīrī [Hadīr al-Ru‘ūd], ancien fidāwī chrétien, était revenu dans sa forteresse qu’il avait quittée après s’être converti à l’Islam et avoir rejoint ‘Arnūs à al-Ruḫām. Depuis la mort de ‘Arnūs, c’est lui qui avait pris la direction des affaires dans cette ville et c’est également lui qui en confie le gouvernement à Ṣamṣām après son départ. Le personnage est une des figures montantes de la dernière partie de la Sīra, et ses démêlés avec sa famille et sa forteresse font l’objet de plusieurs épisodes depuis le fascicule 111. Lorsqu’il revient chez lui, ses gens s’opposent à lui à cause de sa conversion. Il tue tous ceux qui ne veulent pas se convertir, y compris sa femme et deux de ses fils, le troisième, al-‘Arfīd, étant absent des lieux, et part avec les hommes qui ont accepté de se convertir et de le suivre. C’est en chemin qu’il entend parler de la chevauchée de Mīrūniš et qu’il part pour Mīrūn avec ses hommes. D’une certaine manière, l’épisode de la chevauchée de Mīrūniš fonctionne comme un tremplin pour le rebondissement de l’histoire de Ya‘qūb al-Hadīrī, mais aussi comme une chute, puisque la suite montre la révolte d’al-‘Arfīd contre son père, révolte qui se poursuit par une fausse conversion95 puis par la mort d’al-‘Arfīd. Dans la mesure ou Ya‘qūb al-Hadīrī est devenu un des héros du récit, au même titre que ‘Arnūs qu’il remplace à Madīnat al-Ruḫām, l’épisode qui le concerne fait aussi partie de la chevauchée des fils des héros contre l’Islam, mais avec toute une série d’inversions.
94Un des points intéressants dans la structure du récit à ce moment-là est la double imbrication des épisodes : d’une part l’épisode de Ya‘qūb al-Hadīrī et de son retour dans sa forteresse s’insère dans l’épisode de la chevauchée de Mīrūniš, d’autre part la conversion de Ṣafrīn, l’empereur de Rome, s’insère dans l’épisode de la chevauchée d’al-‘Arfīd contre l’Islam, provoquant ainsi un autre point de contact et de contraste. C’est sur le bateau ramenant Ṣafrīn, sa mère et ses deux tantes (une autre épouse de ‘Arnūs et une autre épouse de Šīḥa) à Alexandrie avec les prisonniers que Ya‘qūb al-Hadīrī accuse son fils de trahison et lui coupe la tête96.
95La chevauchée de la reine al-Ḥamqā’ est un des épisodes les plus développés de la chevauchée des fils des héros. Il n’atteint pas la complexité de l’épisode d’al-Ṭūfrīn97, le fils d’Aydamur et de Durr Mulk, dont l’histoire se mêle avec celle de Nuwayrid, le fils de Šīḥa, mais il se démarque par le fait que pour une fois il s’agit d’une fille de ‘Arnūs. En effet, il s’agit du seul exemple féminin dans la Sīra de la descendance des héros, traité de la même manière que leur descendance masculine. Cependant, parce qu’il s’agit d’une fille, l’épisode ne se termine pas sur les retrouvailles de la reine avec son père et sa mère (al-Ranqīs) et sa conversion à l’Islam, mais se prolonge par l’émergence d’une fitna à cause d’elle et de ses prétendants, suivie d’une nouvelle aliénation d’Ibrāhīm.
3) La chevauchée de la reine Maryam al-Ḥamqā’
96Scène 1 : Préparation de la chevauchée.
Le récit de Badr al-Ġafīr à ‘Arnūs.
La reine Maryam al-Ḥamqā’ remet à leur place les ducs, ses prétendants.
Intervention de Ǧawān.
Préparation de la chevauchée contre l’Islam.
Ǧawān va trouver la « mère » de la reine, une magicienne, pour en savoir plus sur Maryam. Il apprend qu’elle est la fille de ‘Arnūs et de Ranqīs.
Puis il va chercher des bateaux auprès du duc Aġnātīf.
97Scène 2 : ‘Arnūs et la reine.
‘Arnūs part pour l’île al-Māni‘a pour voir cette reine dont lui a parlé Badr.
Qaṭlūniǧ apprenant le départ de son père décide de le suivre.
Ils se font passer pour deux frères, fils du roi du Portugal.
Ǧawān revient au camp des Francs et reconnaît ‘Arnūs et son fils qu’il fait arrêter.
98Scène 3 : L’avancée des Francs.
Siège d’al-Ruḫām.
Repli de l’armée d’al-Ruḫām sur Brousse. Prise d’al-Ruḫām.
99Scène 4 : Baybarṣ apprend la nouvelle.
Baybarṣ reçoit une lettre de Mas‘ūd Bayk.
Il ordonne à Mas‘ūd Bayk de se replier sur Alep.
Il prépare l’armée du Caire et se met en marche.
100Scène 5 : Les combats.
La prise de Brousse.
L’installation des Francs à Swaydīya.
Combat singulier : al-Qara Aṣlān et Aġnātīf.
La bataille. Combat entre Maryam et al-Qara Aṣlān.
Le défilé de l’armée du Caire.
101Scène 6 : L’ambassade d’Ibrāhīm.
Sans attendre les quarante et un jours habituels, Baybarṣ écrit la lettre et la confie à Ibrāhīm.
Ibrāhīm se retire dans son pavillon pour se préparer.
Il arrive au camp de la reine et tombe sous le charme de sa beauté.
Il décide de ne pas parader devant elle.
La reine le reçoit et lui offre à boire, puis se plaint qu’il n’a pas fait sa parade habituelle.
La parade amoureuse d’Ibrāhīm.
Ibrāhīm donne la lettre à la reine.
La reine donne la réponse à Ibrāhīm.
Ibrāhīm réclame les frais de route.
Ibrāhīm apporte la réponse au roi.
102Scène 7 : L’action de Šīḥa.
Šīḥa et Ibrāhīm partent à la recherche de ‘Arnūs et Qaṭlūniǧ pour les délivrer.
Šīḥa va trouver Tāǧ Nās pour qu’elle les aide.
Šīḥa déguisé en Ǧawān se fait prendre par la magicienne, Ramramīma, la « mère » de Maryam.
Intervention d’Ibrāhīm, Nuwayrid et Tāǧ Nās.
Libération de ‘Arnūs, Qaṭlūniǧ et Ranqīs.
103Scène 8 : Les combats singuliers.
Tuḫtamur se bat contre la reine. Blessé, il tombe amoureux d’elle.
Combats des généraux et des fidāwīyeh.
Combat entre Baybarṣ et la reine. Baybarṣ enlève la reine.
Bataille générale.
Repli de Ǧawān et des ducs.
Bataille navale : al-Baṭarnī et l’amiral Šātlīt.
Fausse conversion de Šātlīt. Fuite de Ǧawān et al-Burṭuquš.
104Scène 9 : Retrouvailles.
Maryam retrouve sa mère, Ranqīs, qu’elle croyait morte.
Elle apprend que ‘Arnūs est son père.
Elle se convertit.
105Scène 10 : Les rivaux
Tuḫtamur veut demander la main de Maryam et en parle à Ismā‘īl qui doit intercéder pour lui.
Ibrāhīm veut demander la main de Maryam et en parle à Šīḥa.
Retour au Caire.
106Parmi les différences avec l’épisode type, on peut noter les interpolations de scènes, comme par exemple la scène de l’amitié d’un des héros avec le jeune babb qui apparaît ici en deuxième position par rapport à l’épisode type et prend la tournure d’échange galant. Le récit de la première scène est pris en charge par Badr al-Ġafīr mais glisse rapidement vers le narrateur qui annonce ainsi le transfert :
كان سيف الدين جالس بديوانه عمال يتعاطا احكامه وباب الديوان استد وداخل لعنده بدر الغفير ابن شاكر فلاقا له عرنوس وامر له بالجلوس وسلم عليه وقال له شو فيه من الأخبار قال له والله يا خوند فيه معى حديث غريب فقال له هات لشوف فأبتداء بدر يحكى الى عرنوس ونحن نحكى لمن يسمع والنبى بالقيامه فيمن يصلى عليه يشفع...
قال الراوى ان بدر كان داير رمته التقادير على جزاير المانعه98
107Notons aussi l’interpolation de la scène type 3 de l’épisode type « La chevauchée des fils des héros contre l’Islam » (« Le roi est prévenu de la chevauchée du babb ») entre deux scènes qui appartiennent à la chevauchée, prenant ainsi la quatrième position. De la même manière, la scène type 7 (« L’action de Šīḥa ») est interrompue par celle des combats. L’ensemble de l’épisode, en fait, est construit selon le modèle de l’interpolation de scènes. Le traitement du temps et de l’espace se trouve affecté par une telle stratégie narrative qui permet de transporter le récit d’un lieu à un autre, de faire ressortir la simultanéité des actions, de traiter de façon plus élaborée et détaillée certaines scènes.
108C’est le cas, en particulier, de l’ambassade d’Ibrāhīm qui mérite une mention spéciale. Bien que Maryam soit décrite dans le texte comme une amazone, dans les mêmes termes que son frère Qaṭlūniǧ, elle est traitée différemment par les musulmans et leur attitude face à cette guerrière qui s’en prend à l’Islam s’adapte à cette nouvelle situation. Le fait que Baybarṣ n’attende pas les quarante et un jours coutumiers n’est pas vraiment expliqué dans le texte, mais il est interprété par Maryam al-Ḥamqā’ comme un affront intentionnel :
وكان جوان قاعد عند الملكه فقال غنادره شو فيه قالوا له ابونا جايه الشى باشى من عند الرين فالتفتت الملكه البرطقش وقالت له لا يا سيف الروم على الحساب انت ما تكذب كيف بتقول الرين ما بكاتبك الا بعد واحد واربعين يوم قال لها اسئلى جوان عن ذلك فأن كان ما هو هيك بكون انا الكاذب بقا شى هل ماده الذى عملها الرين خلاف العاده مانى عارف فهزت الملكه براسها وقالت انا فهمت المضمون ودينى الرين استصغرتى حتى كاتبنى قوام99
109Ibrāhīm s’est préparé selon son rituel même si la scène n’est pas développée ici comme elle l’est dans d’autres ambassades mais, en voyant Maryam, il regrette d’avoir revêtu son armure :
والله لو اعرف ما لبست الدراع100
110Il ne voit pas la nécessité d’imposer à Maryam ce qu’il impose aux autres babb-s et il est prêt à enfreindre toutes les règles de l’ambassade qu’il a lui-même élaborées :
ما هو لازم تسحب بوجهها حسام ولا هو لازم قيامها للكتاب لأنها بنت قيامها ما هو فخر101
111Le texte revient à trois reprises sur ces infractions aux « habitudes » d’Ibrāhīm en reprenant les termes ‘āda et ‘awā’id102. Ceci conduit Maryam à penser qu’Ibrāhīm, comme le roi, veut la rabaisser, en particulier lorsqu’il se dispense de la parade guerrière qui est généralement ce que tous attendent, émerveillés par les prouesses d’Ibrāhīm :
قالت له يا حاج ابراهيم الملوك ناموسهم واحد ذكور او اناث وانا سمعانه انه لك عوائد تدخل على الملوك وانت ساحب الشمنتار وبتعمل هنار فيا للعجب ما فعلت قدامى شىء كأنك استصغرنى103
112Le plus frappant dans cette scène est la transformation que subit l’ambassade à travers cet ensemble de variations. Le poème que déclame Ibrāhīm à son arrivée au camp franc est remplacé ici par un ġazal qui commence ainsi :
فكان هناك عيد فوق عيد104 | تجــلى وجــــه مـــريــــم يــــــــوم عــــيـــــــــــد |
113Quand, à la demande de Maryam, il se met à parader, le rituel reprend son cours mais l’esprit même en est changé et devient un spectacle qui se transforme en parade amoureuse. La relation acteur/spectateur apparaît dans les termes utilisés lorsque Ibrāhīm se lève pour exécuter le rituel
فقال لها ابراهيم ما شاء الله ما دام فيه هيك مروه براسك وقفى حتى فرجيكى105
et que les gens se précipitent pour voir le spectacle et commenter sa performance :
وصارت تتراكد الفرسان ناح الصيوان واقبلت الدوقات والأعيان وصاروا يتفرجوا على ذلك الأسد الغضبان ويقولوا الى بعضهم واى واى يا المسيح والدين الصحيح هذا فارس بون البون106
114Pour Ibrāhīm, non seulement il s’agit d’un coup de foudre dès qu’il la voit, mais en plus elle possède les qualités d’un vrai chevalier, cette vertu chevaleresque (murū’a) qui en fait l’égale d’un roi. Pour Maryam, l’adresse d’un cavalier sur son cheval et ses passes d’armes, la valeur et le courage dépassent la fracture entre chrétiens et musulmans. Lorsqu’elle parle des rois chrétiens et de leur attitude envers les ambassades d’Ibrāhīm et leur rituel, elle dit :
يا حاج ابراهيم عمال تقول بينقهروا منك الملوك ودينى ما بينقهر الا كل جبان واما صاحب الناموس بيفتخر بفعلك وبيتعلم الفراسه منك107
115L’ambassade devient la première phase dans un rituel de cour dans lequel la reine joue aussi son rôle de femme courtisée lorsqu’elle se lève pour prendre la lettre, connaissant par cœur toutes les étapes de l’ambassade. Cependant, il y a un danger à changer les règles d’un rituel public et communautaire pour des raisons privées. Ce rituel concerne l’intérêt de la communauté en tant que première étape vers la réintégration d’un personnage. Transformé en parade amoureuse pour le bénéfice d’un seul, les conséquences ne se font pas attendre. Le déplacement du rituel déclenche une série de malentendus, une fracture entre deux individus (Tuḫtamur et Ibrāhīm), et finalement le risque d’une fitna, ce qui serait l’inverse du but de l’épisode de la chevauchée des fils des héros. Finalement Ibrāhīm devient le champion de la reine dans le plus pur esprit chevaleresque et sauve la communauté menacée par l’ennemi étranger.
C) L’attendu et l’inattendu
116Si la répétition appartient à l’attendu, en revanche la variation constitue l’inattendu dans le récit. Bien sûr, à partir du moment où on retrouve, à travers divers épisodes, le même type de variation, celle-ci finit par ne plus se différencier de la répétition et devient un élément attendu. Plusieurs procédés narratifs permettent d’échapper à ce phénomène. Tout d’abord, certaines scènes, qui participent à des épisodes similaires, ne sont que peu répétées, et toujours avec des variations. La stratégie consiste par exemple à donner deux fois la scène avec des variations de détails et installer l’attendu, puis à la répéter une troisième fois, mais avec des variations beaucoup plus profondes qui bouleversent l’effet attendu de la scène. Parfois il suffit d’installer le processus une fois puis de l’enclencher une seconde fois en lui donnant un tour imprévu. Le lecteur/auditeur repérant des éléments qu’il a déjà lus ou entendus anticipera la suite, mais le récit ne comblera pas son attente, au contraire, il le surprendra. Deux scènes qui font partie des conquêtes amoureuses de ‘Arnūs illustrent cette stratégie.
117J’ai déjà parlé de la première dans le chapitre précédent, en comparant deux épisodes très similaires et en pointant sur les variations. Il s’agit de la conquête par ‘Arnūs de Ṣafīra et de celle d’Ibrīza al-Qannāṣa. Un des intérêts du récit de ces conquêtes réside dans le fait que même si les scènes paraissent identiques, des différences de détail en modifient légèrement le cours. Un détail d’importance dans ce cas précis réside dans la différence de statut des deux femmes, dont l’une est la fille de l’empereur de Rome, ainsi que dans leurs personnalités contrastées, impliquant, par exemple, un rôle beaucoup plus actif d’Ibrīza al-Qannāṣa dans le reste de l’épisode. De fait, elle se révèle être une véritable amazone aventurière. La scène de la conquête amoureuse avait pris un tour comique dans l’épisode d’Ibrīza al-Qannāsa et l’épisode se développe dans le sens de l’aventure guerrière, la femme combattant aux côtés de son époux.
118Lorsque les éléments qui constituent cette scène sont repris au fascicule 157, ils sont radicalement transformés bien qu’un lien étroit soit tissé entre les trois scènes. En effet, on se souvient que dans le cas d’Ibrīza al-Qannāṣa c’était Mārīna, la deuxième épouse de ‘Arnūs, qui lui avait envoyé le portrait de ‘Arnūs. Au fascicule 157, la princesse Biyātrīs reçoit le même portrait d’Ibriza al-Qannāṣa. Dans ce fascicule, l’épisode se développe pour aboutir aux retrouvailles entre ‘Arnūs et Ibrīza al-Qannāṣa et leur fils Dūmār108. Dans les deux scènes précédentes, le schéma se décomposait ainsi :
Errance de ‘Arnūs.
Arrivée près d’un palais.
Invitation de la princesse.
Le portrait.
Mariage de Arnūs avec la princesse.
‘Arnūs se présente au babb comme Yatmūrid.
119Dans l’épisode de la princesse Biyātrīs109, les éléments sont bouleversés dès le départ :
‘Arnūs quitte son armée pour poursuivre une gazelle.
Voyant des soldats grecs en manœuvre, il se déguise et se mêle à eux.
Rencontre avec le babb Ǧundāwīl. Il se présente comme Yatmūrid.
La nuit, la princesse rejoint ‘Arnūs. Scène du portrait.
‘Arnūs la demande au babb en mariage.
120La métaphore de l’amour et de la chasse est, bien sûr, un cliché déjà utilisé et manipulé dans l’épisode d’Ibrīza al-Qannāṣa. Ici, ‘Arnūs laisse son armée pour une chasse à la gazelle qui va se révéler être une « chasse amoureuse ». Au regard de la suite des événements, une simple remarque d’Ismā‘īl, au moment où ‘Arnūs exprime son désir, prend un sens parfaitement ironique :
قال الراوى واما سيف الدين عرنوس فأنه لا زال سائر بعسكره الى ان وصل الى جسر الحديد نظر قدامه غزال عمال يرتع فقال الى عمه يا عمى كان بدى هذا الغزال طيب آخذه معى على مدينة الرخام فقال له يا وليدى نحن نصطاد السباع بقا غزال مثل هذا بيعسر علينا110
121Il s’agit déjà de mettre le lecteur/auditeur en garde. D’une part, les chasseurs de lion ne devraient peut-être pas chasser les gazelles qui sont d’ailleurs le gibier du lion lui-même. D’autre part, le fait de mentionner la facilité de la tâche doit mettre le lecteur/auditeur en alerte.
122Contrairement à ce qui se passait dans les scènes précédentes, « l’errance » de ‘Arnūs le conduit, cette fois-ci, non pas devant un palais où se languit une princesse en mal d’amour, mais au cœur de l’armée du babb Ǧundāwīl. La rencontre guerrière avec le babb – ils se battent en combat amical – non seulement prélude mais aussi préside à la rencontre amoureuse. D’une part, le babb est si épris de ‘Arnūs sans l’avoir jamais vu, qu’il tente de l’imiter dans son habillement et son comportement de cavalier. La renommée et la description de ‘Arnūs sont donc suffisantes pour que le babb s’éprenne de son image, vérifiant ainsi le vers appliqué à ‘Arnūs lorsqu’il succombe à la seule description des princesses : « parfois l’amour vient d’abord par l’ouïe. » ‘Arnūs se présente à lui comme quelqu’un qui connaît bien al-Dīyābruh, si bien qu’ils sont de force égale, ce qui plaît au babb et justifie son amitié pour ce nouveau venu, même s’il a été battu par lui au combat. Comme le fait remarquer un de ses officiers :
فتقدم الى عنده واحد من الظباط وقال له يا بب انت قلدت الديابره بالعده والجواد ولكن ما بتحسن تقلده بالشجاعة111
123Le dialogue qui s’installe entre le babb Ǧundāwīl et ‘Arnūs fonctionne en contrepoint du dialogue habituellement réservé à la princesse et ‘Arnūs :
وسار فيه على البلد وهم بالطريق سئله البب حضرتك من اى البلاد ومن تكون من العباد قال له انا من بلاد البردقان واسمى يتمورد فقال له يا حلة البركات وادخله الى سرايته وانزله بخاص القاعات واحضر له مشروب السكر وبعده قدم الطعام اكلوا وانبسطوا وصاروا يتحادثوا الى حكم نصف الليل وبعدها فز البب اخذ عرنوس ودخلوا فيه الى الحرم وحطه بقاعه كانها كنز ومفكوك عنها الطلاسم وقال له يا غندار هون محل منامتك112
124La scène remplace celle pendant laquelle la princesse reçoit et divertit ‘Arnūs ; il semble ne manquer que les poèmes, mais ceux-ci viendront bientôt. ‘Arnūs est introduit dans le harem comme le loup dans la bergerie, pourtant, comme dans les scènes analogues, il n’est pas le prédateur, mais le gibier endormi remarqué par la chasseresse. L’épisode d’Ibrīza al-Qannāṣa explicite ce que les autres épisodes sous-entendent. Ici, l’effet produit est d’autant plus fort que la scène se passe pendant la nuit. En effet, la princesse Biyātrīs s’introduit dans la chambre et ‘Arnūs est donc surpris dans un demi-sommeil. Mis à part l’élément des boissons et du repas déplacé à la scène précédente, le schéma est à peu près le même que dans les épisodes antérieurs, avec les poèmes, la séquence du portrait et de la marque sur la pommette de ‘Arnūs. La conversion ayant eu lieu, le mariage est consommé mais aucune descendance n’est mentionnée ni la promesse d’un dīwān qui lui serait consacré. En soi, cette dérogation à l’usage porte un sérieux coup à la répétition. La variation est trop importante pour être ignorée. L’épisode se poursuit comme on pourrait s’y attendre et le mariage officiel entre Yatmūrid/‘Arnūs et Biyātrīs a lieu, toujours sans mention d’une quelconque progéniture. Lorsque la scène de l’arrivée de nuit de la princesse se répète avec, cette fois-ci, sa sœur, Mārsīl113, le lecteur/auditeur serait tenté d’y voir un épisode comique. Mais le dialogue prend rapidement un tour plus sérieux. D’une part, alors que l’attitude de Biyātrīs était calquée sur celle de Ṣafīra et d’Ibrīza al-Qannaṣa, celle de Mārsīl s’en démarque par son aspect plus direct. La scène type du portrait, dans les autres épisodes, fait office de jeu galant, de préliminaire, et elle entraîne des corollaires comme la conversion puis le « mariage114 ». Or, ici la demande se fait sans aucun préliminaire :
واصطبرت الى الليل وراحت الى عند عرنوس كما ذكرنا وطلبت منه الوصال115
125L’impossibilité énoncée par ‘Arnūs est d’ordre religieux et fonctionne comme la contrepartie négative, justifiant le refus, de la conversion qui justifiait le mariage :
فقال لها يا روخى هل يجوز ان اجمع بين الأختين وهذا شىء محرم بجميع الأديان116
126Mārsīl a une solution facile : puisque le mariage avec deux sœurs est impossible, il suffit de se débarrasser de la première. L’inquiétude de ‘Arnūs pointe derrière son rire et se change en colère lorsqu’il découvre Biyātrīs égorgée à côté de lui au petit matin. La mort sanglante de Biyātrīs, puis celle de Mārsīl tuée par son père le babb Ǧundāwīl à qui elle ne cherche même pas à cacher son crime ni la raison pour laquelle elle l’a commis, transforme cet épisode en un contrepoint macabre des deux précédents. Les retrouvailles avec Ibrīza al-Qannāṣa et son fils Dūmār renforcent l’effet de contrepoint en rappelant le thème ou sujet117 qui vient de subir ces variations.
127Le thème des conquêtes amoureuses est tout particulièrement prégnant en ce qui concerne les variations et le jeu sur l’attendu et l’inattendu. ‘Arnūs est, de loin, le plus virtuose dans ses conquêtes et le plus prolixe, à tel point qu’il acquiert une réputation de vert-galant, si bien que même Baybarṣ se méfie parfois et tente d’anticiper sur ce qui risque de se passer. On se souvient, par exemple comment al-Ṣāliḥ Ayyūb avait dû forcer Ma‘rūf pour qu’il accomplisse à la fois son devoir et son destin lorsque, en tant que chef de bayt Ǧamr, sa fonction était de protéger la reine Maryam pendant son pèlerinage à Jérusalem. Or, lorsqu’un épisode similaire s’enclenche, avec les mêmes formules rituelles et des scènes identiques, Baybarṣ refuse d’envoyer ‘Arnūs, alors que cela fait partie de ses fonctions, comme le rappelle le vizir Šāhīn :
وقال له يا ابو الوزر لمن بدنا نرسل غفرجي باشي يغفر البنت فقال افندم هذه الغفاره لبيت جمر ولمعروف ومن بعده لولده عرنوس فقال الملك هذا عرنوس ليس له امانه على البنات لانه فتنه لبنات الملوك وثانيا عرنوس الان صاير شراق وملك ما تليق به الغفاره ان يمشي بالعصايه قدام الملكه118
128Naturellement, ‘Arnūs n’en fait qu’à sa tête et il se rend à Yāfā auprès de la reine119 et renvoie Šaraf al-Dīn Šarr al-Ḥuṣūn qui avait été envoyé par le roi.
129Les conquêtes de ‘Arnūs sont nombreuses, mais leur mode opératoire est finalement assez varié et peut être organisé par thèmes :
130L’errance qui conduit ‘Arnūs après d’un palais ou dans une ville où il adopte un déguisement.
Al-Ṣafīra (f. 73)
Maryam (f. 79)
Al-Ranṭā (f. 79)
Ibrīza al-Qannāṣa (81)
Biyātrīs (f. 157)
131Au cours d’une campagne militaire en pays franc.
Kātrīn, fille d’un roi des Balkans (f. 65)
Kātrīn, fille du babb al-Mankubīrd (f. 68)
Ġazāla, fille d’une magicienne (f. 76)120
Al-amīra Kātrīn, fille du babb al-Afras de Ǧazāyir al-Za‘farān (f. 154)
132Le on-dit, lorsqu’on lui fait la description d’une princesse.
Mīrūna al-Šamsīya (f. 84-85)
133Aventure en pays ‘aǧamī à la suite d’un enlèvement de Baybarṣ ou d’une campagne militaire.
Bīǧāna (f. 99)
Billawra (f. 128)
Ǧawāhir Ḫān, fille de Šāh Baḫramān (mentionnée au f. 128 en référence à un épisode antérieur manquant dans le manuscrit)
134Campagne militaire en pays Ḥabašī.
Al-amīra Tāǧ Mīrūn, fille d’al-Ṭamṭīm, roi de Dūr (référence à un épisode manquant — voir f. 169)
135Il faut ajouter à cette liste Mārīna, la fille du babb al-Maġlawīn dont ‘Arnūs était amoureux mais qu’il pensait être sa sœur (f. 65) ; puis Salmā al-Biqā‘īya, son épouse musulmane, fille du muqaddam Sulṭān al-Biqā‘ī, de la forteresse al-Biqā‘. Les épisodes concernant ces deux épouses sont atypiques pour plusieurs raisons : d’abord il s’agit pour Mārīna de la première histoire d’amour de ‘Arnūs, alors qu’il est encore chrétien. Pour Salmā, le cycle des épouses de ‘Arnūs rencontre celui des épouses des héros, comme Ibrāhīm, Sa‘d ou Aydamur dont les épouses sont enlevées immédiatement ou peu de temps après leur nuit de noces. L’épisode de Salmā se conclut assez rapidement grâce à l’intervention de Šīḥa. Contrairement à ses épouses étrangères, en particulier franques, qui ne peuvent pas se plaindre que ‘Arnūs ne fait aucun effort pour les rechercher, Salmā lui reproche de la délaisser et retourne avec leur fils vivre chez son père121.
136Finalement, l’histoire de trois des femmes de ‘Arnūs mentionnées à un moment ou un autre de la recension ne peut être reconstituée ; il s’agit de Kirǧīna, fille de Saqarmīd, magicien ‘aǧamī (voir fascicules 119 et 165), al-Manǧīkīya, fille du babb Gūnīt de Belgrade (mentionnée au fascicule 137), et Zahzahān, fille du qān Halawūn (voir fascicule 167).
137Le cas de Mīrūna a déjà été évoqué. Il paraît unique dans le récit, pourtant certains indices font penser que ce n’est pas certain. En effet, la scène qui déclenche le départ de ‘Arnūs pour l’île de Mīrūn va être utilisée dans un autre épisode dans lequel Ismā‘īl tance Badr pour avoir décrit la princesse al-‘Aṣmīra à ‘Arnūs, ayant ainsi provoqué son départ et le mettant en danger122. Le fait qu’Ismā‘īl s’en prenne ainsi à Badr al-Ġafīr laisse entrevoir la possibilité d’autres épisodes déclenchés de cette manière. L’ironie vient du fait que, dans l’épisode de Mīrūna, c’est Ismā‘īl lui-même qui décrit la princesse à ‘Arnūs provoquant ainsi son départ. Avec deux exemples seulement, il est difficile d’établir un épisode type, mais la comparaison des scènes est éloquente en ce qui concerne le jeu entre l’attendu et l’inattendu, et les variations possibles. Le second épisode marque également un tournant dans l’attitude de ‘Arnūs. Comparons les récits qui décrivent les princesses dans les deux épisodes, et qui servent de déclencheurs. Dans le fascicule 85, Ismā‘īl revient de l’île de Mīrūn où il a aperçu, sortant de l’église, Mīrūna al-Šamsīya, fille du babb al-Ṣahīǧ :
وسار الى مدينة الرخام والبنت ما راحت من باله ولما وصل دخل على عرنوس سلم عليه وسئله عن وصوله المال قال له وصل123 ولكن انت ليش تعوقت فقال له والله يا وليدى قعدتلى كام يوم لأجل الراحه ولكن شفت لك بنت البب الصهيج وهى بديعه بالحسن والجمال شىء زايد الوصف عن المقال والله اشتهيت لك اياها يا وليدى وانا درت بلاد كثيره ما شافت عينى اختها بالحسن والجمال قال له عرنوس مالنا ومالها ولكن باطنا تشربك بهواها لأن الأذن تعشق قبل العين احيانا واصطبر ثلاثة ايام وغط على جزاير ميرون124
138Dans l’épisode de la princesse al-‘Aṣmīra, c’est Badr al-Ġafīr qui se rend chez ‘Arnūs après une tournée en Espagne et qui lui parle de la princesse. Tout comme Ismā‘īl pour Mīrūna, c’est à la sortie de l’église qu’il l’aperçoit :
فاصطبرت الى يوم الأحد ورحت وقفت عند باب الكنيسه الى ان خلصوا صلاه فطلع الملك ركب وطلعت وراه البرنسس جل الصانع بما صنع ذات طرف احور ووجه انور بديعة بالحسن والجمال والقد والأعتدال كما قيل فى مثلها...125
139Ce blason n’est, somme toute, qu’une variation des divers blasons que l’on peut trouver dans la Sīra, mais ici il est amplifié par un poème introduit par la formule« كما قيل فى مثلها » .
140Pourtant, plus que sa beauté, c’est sa bonté que le texte met en valeur et qui incite Badr à attendre la princesse à la sortie de l’église. Badr est frappé par la générosité qui se dégage du pays :
وملكها اسمه الملك العصمير ولكن لله خواص بعباده فيه ناس عندهم الكرم زائد ومع كبر ذلك البلد وكثر اهلها ما وجدت فيها شحاد فسئلت الخاناتى عن ذلك قال لى يا غندار ما دام البرنسس العصميره بنت الملك طيبه ما بصير فقير ببلدنا126
141À trois reprises Badr al-Ġafīr répète le mot « كرم » et décrit la manière dont les pauvres sont reçus au palais et comment lui-même a fait l’objet d’une somptueuse réception. La générosité de la princesse va de pair avec sa dévotion et ses qualités morales prennent le pas sur sa beauté physique.
142L’épisode se développe alors selon une variation parodique : après la diatribe d’Ismā‘īl contre Badr al-Ġafīr, celui-ci préfère ne plus se montrer au dīwān. Quant à ‘Arnūs, il s’empresse de se préparer au voyage. Mais Qaṭlūniǧ ayant également entendu la description de la princesse se met en route pour arriver à Bassandīd avant son père. Le récit reprend alors la scène type où, dans les autres épisodes, la princesse reçoit ‘Arnūs en lui offrant du vin. Cependant, Qaṭlūniǧ ne semble pas avoir les mêmes dons que son père :
وكان قطلونج بيشرب المدام ولكن ما هو نديم ولا عنده مناغشه مثل ابوه ومدعى بالجبر وعنده كبراويه فصار يشرب هو واياها بدون كلام ولا مناغشه ولا يحكى الا كلمة اللازمه والبرنسس العصميره صدرها رحب للمناغشه فقالت لحالها سكوت هذا البرنس من العجايب تخمين انه مستحى127
143Le contraste apparaît encore plus à l’arrivée de ‘Arnūs et pendant l’échange de poèmes entre la princesse et lui, si bien que, le vin aidant, les choses finissent par se gâter :
وقطلونج ما عاد له مناغشه معها فقط يشرب وهو ساكت الى ان صار حكم الساعه128 ثلاثه لعب المدام براس عرنوس فصار يلعب ويضحك هو والبرنسس ويناغشها مناغشه قلب العقول فقلبت الغيره على قطلومج وصار يطلع بأبوه ويرجف فلاحظت عليه البرنسس فملأت كاس وناولته اياه فأخذه قطلونج وقال الى ابوه يا اختيار لملم حالك شويه بقا عيب عليك انت رتبتك رتبة ملوك قال له ابوه اخرس واقعد بأعتبارك ما بخصك فقال له ابنه من هو يخرس وقام الكاس وطرق ابوه فيه على وجهه فصار له عرنوس كسر شآءمه من129 يده لقاسم الحديد130 طسه على فخذه راح الى مراود العظم الخشن وكان قطلونج جبار ما بالا بالضرب سحب الحسام وطس ابوه على كتفه كذلك جرحه جرح بليغ فقال له عرنوس ولك قطلونج هذا ما هو ضرب وطسه بقاسم الحديد جرحه جرح ثانى وصار بينهم طرق السلاح على الدرق والدم منهم يسبح قدر ساعة زمان انطرحوا الأثنين طول مع عرض وهم ما هم وعيانين على الدنيا وكل واحد مجروح للموت ونزعوا القصر وكسروا السفره وصارت ساعه بتطير العقل فلما وقعوا بالأرض ظنت البرنسس انهم ماتوا131
144La parodie tourne au vinaigre et les failles des héros ressortent d’autant plus que le récit revient fréquemment sur certains aspects peu recommandables des personnages. On perçoit alors une certaine tension entre la nécessité du récit et les valeurs qui s’en dégagent. Les frasques amoureuses de ‘Arnūs sont nécessaires, non seulement pour relancer les divers cycles (conversions, chevauchées) mais aussi pour étendre l’influence de l’Islam. Pourtant ses pratiques sont fortement remises en question par des épisodes comme celui-ci. D’un côté, il semble que la fin justifie les moyens et rien dans le texte, avant cet épisode, ne condamne ‘Arnūs lorsqu’il s’adonne à la boisson avec ses diverses conquêtes. Tout se passe comme si pour l’occasion il reprenait une identité chrétienne jusqu’au moment critique du mariage. L’affrontement avec son fils lui ouvre les yeux sur sa conduite :
صحى عرنوس على روحه لقا الملك والوزر واقفين فوق رؤسهم والدنيا غير دنيا فقال لحاله قاتل الله المدام لأنه يرمى الرجال بالأهوال وطلع بأبنه لقا جرحه بليغ ولا لو العنايه انقطعت رجله فحس نظره فر من وجهه ولا عاد سئل عن حاله بقا بده ابنه واشهد الله بضميره انه ما بقا يذوق المدام من بعد هذه الماده132
145Bien sûr, aucun des deux n’aura la princesse. La découverte de ‘Arnūs et Qaṭlūniǧ par Ǧawān qui dévoile leur identité au babb al-‘Aṣmīr provoque une chevauchée contre l’Islam et l’épisode se poursuit en incluant des scènes qui le font basculer vers un autre cycle. La rivalité entre ‘Arnūs et Qaṭlūniǧ laisse entrevoir que l’épisode ne concerne pas une descendance potentielle pour ‘Arnūs et il s’opère un déplacement dans le récit vers le fils de Šīḥa et Hilāna, Ṭuwayrid qui, comme son frère Nuwayrid avant lui, va se convertir, rejoindre l’Islam et épouser la princesse al-‘Aṣmīra. L’attendu et l’inattendu se mêlent, permettant l’enchevêtrement des cycles. Dès la mention de Hilāna et de Ṭuwayrid, le lecteur/auditeur retrouve l’attendu grâce aux scènes analogues qui le ramènent à l’épisode de Nuwayrid. Il peut alors faire le rapprochement avec la princesse al-‘Aṣmīra et voir quelle direction prend le récit. Nous avons déjà noté que le récit, dans la recension de Damas, faisait assez peu appel au suspense, dévoilant assez rapidement les faits qui entourent un événement. Ceci se vérifie encore une fois dans cet épisode, lorsque le départ de Qaṭlūniǧ est dévoilé dès le début. Le récit joue alors sur d’autres données, comme par exemple l’anticipation de la réaction de ‘Arnūs lorsqu’il découvre son fils chez la princesse ou encore sur un effet de surprise devant le tour que prennent les événements, même si, comme le laisse entendre la diatribe d’Ismā‘īl contre Badr al-Ġafīr, on peut s’attendre à un dénouement différent. D’une manière ou d’une autre, les indices sont toujours présents dans des variations de détails qui fonctionnent comme des signes avant-coureurs.
146Une grille de lecture, quelle qu’elle soit, ne peut être qu’un outil dont il faut savoir percevoir les limites. Lorsque l’outil cesse d’être efficace, parce que le corpus auquel on tente de l’appliquer résiste, on doit pouvoir changer d’outil ou en façonner un à partir du corpus, tout comme Lord et Parry l’ont fait avec la grille de lecture et les outils d’analyse du « style formulaire » pour étudier un corpus défini. Certains de ces outils peuvent servir à l’étude de corpus analogues ou proches, mais ils nécessitent toujours un réajustement. L’analyse du corpus littéraire médiéval anglo-saxon a forgé d’autres outils et d’autres expressions, comme par exemple celui qui couvre le concept de « interlacing » ou « entrelacs ». Ce concept est utilisé pour décrire l’architecture médiévale anglo-saxonne ainsi que les ornementations picturales. On s’est alors aperçu qu’on pouvait aussi l’utiliser en littérature. Doit-on le limiter à ce corpus ? Ne pourrait-on pas aussi utiliser ce concept pour décrire non seulement ce qui se passe à l’intérieur d’une sīra, comme celle de Baybarṣ avec les cycles qui s’enchevêtrent, mais aussi pour décrire les relations que les siyar entretiennent entre elles ? Sīrat Baybarṣ fait souvent l’effet d’une vaste tapisserie dont les motifs sont toujours reliés, même si ce n’est que par un rappel de couleur, un fil que l’on retrouve ici ou là. Parfois les scènes prennent l’allure de motifs récurrents et répétitifs, mais toujours quelque chose change soit dans l’ordre des éléments soit dans des déplacements de motifs, entraînant parfois de profonds changements dans la tonalité et redonnant toujours une nouvelle dynamique au récit. Le double et la substitution figurent parmi les stratégies qui permettent cette redynamisation du récit, et cela depuis le début de la Sīra.
Notes de bas de page
1 Peter Heath, The Thirsty Sword, 105.
(This difference cannot be brushed aside.)
2 Peter Heath, The Thirsty Sword, 105-106.
(Recognizing resemblances between narrative traditions should not lead us to disregard differences. Moreover, this difference in narrative medium is particularly important in that it affects our employment of the analytic terms that Lord and Parry developed: Parry defined the formula as “a group of words which is regularly employed under the same metrical conditions to express an essential idea,” and Lord defined the theme as “groups of ideas regularly used in telling a tale in the formulaic style of traditional song.” In employing these terms, it is essential to remember that they were developed in the context of studying narratives composed in metrical verse. Indeed, the formula is expressly defined in terms of the presence of meter (“words employed under the same metrical conditions”). And to the extent that the theme is defined in terms of the formula (“used in telling a tale in the formulaic style”), it, too, seems to require that meter be present.)
3 Voir Albert Lord, The Singer of Tales.
4 Peter Heath, The Thirsty Sword, 106.
(Automatically employing the concepts formula and theme as Parry and Lord have defined them, to describe Sīrat Antar’s composition invites analytic distortion on two levels. First, it performs the Lord-Parry theory itself a disservice; by generalizing, we contribute to the confusion that has sometimes entered scholarly discussions of formula and theme. Second, uncritically using concepts not originally intended to describe prose (albeit rhymed prose) narratives risks impairing the accuracy of our own analysis.)
5 Peter Heath, op. cit.106
«... is less dependent on aspects of literary form than formula. »
6 « Expression “traditionnelle”. » Le terme « traditional » n’a pas tout à fait la même valeur en anglais que le français « traditionnel ». Les folkloristes l’emploient par exemple pour désigner un type de chanson, « traditional song », connue de tous, transmise oralement et dont on ne connaît pas très bien l’origine, même si les spécialistes peuvent par leurs recherches en définir parfois les auteurs, la période, etc. Des chansons françaises du type « Le Roi a fait battre tambour » ou « Aux marches du palais » seraient classées comme telles. Cela étant posé, je conserve le terme « traditionnelle » dans la traduction en français.
7 Peter Heath, TheThirsty Sword, 106.
(The traditional phrase may be defined as a group of words recurrently used in a narrative tradition to express a simple idea. Although it obviously shares many of the features of the formula, this term is intended to identify instances of extensive verbal recurrence in a narrative without placing specific restrictions on literary forms. In this regard, the traditional phrase, as conceived here, does not displace or abrogate the formula but rather subsumes it. The formula is one special form of the traditional phrase.)
8 . Les exemples utilisés par Peter Heath dans sa démonstration concernent les combats avec le lion dans Sīrat ‘Antar. Bien sûr, il s’agit ici aussi d’une adaptation des termes « signifiant » et « signifié ».
9 . Voir fascicule 29, p. 101 (B/Z, vol. 3, 334) ; fascicule 33, p. 29 (B/Z, vol. 4, 96) ; fascicule 35, p. 71 (B/Z, vol. 4, 160) ; f. 36, p. 98 (B/Z, vol 4, 197) ; f. 37, p. 28 (B/Z, vol. 4, 211).
10 F. 51, p. 143 ; B/Z, vol. 6, 55.
(« Qu’on apporte un manteau ! » Sur le champ on le mit sur les épaules de Qara Aṣlān. Les officiers s’écrièrent : « En qualité de quoi ? » Le roi dit : « Collecteur principal de l’argent de la côte ! »)
11 F. 114, p. 6.
(« Qu’on apporte un manteau ! » Sur le champ on le mit sur les épaules de Tūmā et les officiers s’écrièrent : « En qualité de quoi ? » Il dit : « Gardien du pavillon de nuit ! »)
12 Peter Heath perçoit quatre niveaux avec, pour chacun, une correspondance entre signifié et signifiant :
« Simple idea / traditionnal phrase ; dramatic idea / thematic unit ; dramatic element / theme ; complete dramatic structure / scene” (op. cit., 107).
13 Jean-Patrick Guillaume, « Les scènes de bataille dans le Roman de Baybars : Considération sur le “style formulaire” dans la tradition épique arabe », voir en particulier pages 55-60.
14 Ibidem, p. 58.
15 À preuve le titre même de l’ouvrage monumental de M.C. Lyons : The Arabian Epic.
16 J’entends ici le terme dans son sens le plus large. Le rituel religieux a sa place, mais il n’est qu’une expression particulière du rituel en général. Je ne veux bien évidemment pas suggérer que le récit est un rituel ou même que la performance est un rituel. Le récit est une fiction et la performance est un spectacle. Ce que j’appelle processus de ritualisation tient simplement au fait que les scènes dont il est question sont une représentation fictionnelle d’un rituel. Peu importe qu’elles utilisent ou non les formules rituelles que l’on trouverait dans un quelconque référent du réel. Le texte forge ses propres formules à partir d’un fonds commun qu’il s’approprie. Bien sûr les décalages peuvent être signifiants ou révélateurs.
17 Voir Danuta Madeyska, « Delimitation in the Early Sīrah », Oriente Moderno, 2 (2003), 255-275.
18 Donald K. Fry, « Old English Formulaic themes and Type-Scenes », Neophilologus 52:1 (Jan. 1968), 48-54.
19 Florence Bourgne, « Themes and Motifs in Beowulf », in Beowulf de la forme au sens, éd. Colette Stévanivitch (Paris : Ellipses), 59-67. Voir aussi dans le même ouvrage : André Crépin, « Le style formulaire de Beowulf », 49-58. J’avoue que les raisons « esthétiques » données pour ces choix ne me paraissent pas du tout convaincantes.
(It is tempting to use those two concepts of theme (small, multi-purpose unit: birds of battle, speeches – when short –, shine of a weapon, bravery...) and type-scene (larger, self-sufficient unit: battles, speeches – when long – banquets...) Nevertheless, it is better to refer to these two types of “blocks” as motif (instead of theme) for smaller, dependant units, and theme (instead of type-scene) for larger narrative units.)
20 Francis Guinle, « Ibrāhīm’s Embassies: Repetition As narrative Strategy », Arabica LI, fasc. 1-2 (janv.-avril 2004), p. 77-102.
21 Il faut tenir compte des épisodes cycliques qui parfois s’entremêlent, comme nous l’avons vu précédemment.
22 C’est, bien sûr, le problème que pose la modélisation : ou bien on part du plus petit dénominateur commun ou bien on tient compte des tous les éléments possibles. Si j’ai fait le choix de la seconde solution, c’est que texte nous y invite. En effet, comme pour les ambassades d’Ibrāhīm, on assiste à l’élaboration des scènes types, et même des épisodes types, des variations étant parfois incluses, parfois excluses.
23 Je ne prends en compte ici que les conquêtes de Baybarṣ en tant que roi. D’autre part, il faut aussi penser que le manuscrit est défectueux entre les fascicules 70 et 71, avec un trou d’environ sept fascicules, et entre les fascicules 180 et [181] où le trou est plus difficile à évaluer mais devrait tourner autour de dix fascicules.
24 Voir fasc. 179, p. 45.
25 يدوروا.
26 . C’est moi qui souligne.
27 F. 37, p. 39 ; B/Z, vol. 4, 213.
(Le roi, Ibrāhīm et Sa‘d Abā Riyāḥ se déguisèrent en derviches calendars et retournèrent à Damas. Ils descendirent dans un ḫān pour la nuit. Ils se levèrent le lendemain et allèrent faire le tour de Damas, de boutique en boutique et de sūq en sūq, jusqu’au moment où il sarrivèrent au sūq des chevaux et virent les gens qui accouraient.).
28 F. 37, p. 44-45 ; B/Z, vol. 4, p. 214.
(Il partit avec Ibrāhīm et arriva au palais al-Ablaq. Le prisonnier entra et baisa le sol, rendant grâce et s’expliquant, et en utilisant le parler le plus pur qu’il connaissait il invoquait la bénédiction [de Dieu] sur le roi, lui souhaitant d’être à l’abri de la misère et du malheur, et lui dit : « On m’a fait du tort, ô Commandeur des Croyants ! »)
29 F. 37, p. 43 ; B/Z, vol. 4, p. 213.
30 Le prisonnier raconte qu’il s’est échappé de Tripoli où se trouve un sūq dans lequel on vend et on achète des prisonniers, ceci à l’instigation de Ǧawān.
31 « Le Prince. »
32 بقولوا.
33 Muḥammad, en fait le grand-père de ses petits fils, Ḥasan et Ḥusayn.
34 F. 37, p. 131-133 ; B/Z, vol. 4, 230.
(Le roi lui dit : « Il s’agit du Prince, Ibrāhīm. Tu as vu de quoi il est capable et on le cite en exemple : si quelqu’un fait quelque chose, on lui dit : “Ce n’est pas comme si tu avais coupé la tête du Prince” Il vaut mieux, Ibrāhīm, que tu lui donnes la lettre, puis tu ramènes sa réponse, sans rien dire, sans aucun reproche, et sans aucune provocation. » Il lui dit : « Par Dieu, Commandeur des Croyants, que mon ancêtre Muḥammad me vienne en aide, il n’est pas possible de remettre ta lettre à un des rois s’il ne se lève pas pour la prendre avec courtoisie et respect, et si je ne lui prends pas mille ducats pour les frais de route, et ceci même s’il était entouré par les ǧinn-s de Sulaymān, que le salut soit sur lui ! » Il lui dit : « Va, fais ce que tu veux. Que Dieu récompense tes bienfaits ! »)
35 F. 38, p. 5-6 ; B/Z, vol. 4, 235-236.
(Il lui dit : « Ibn al-Kūrānī, si tous les messagers se comportaient comme toi, personne n’écrirait plus de lettre. Nous connaissons la coutume du messager : il se présente au roi à qui est adressée la lettre, il la lui donne avec courtoisie, puis il [le roi] fait venir un repas pour lui et lui offre l’hospitalité pendant une heure, puis il lui donne la réponse. Alors que toi tu fais tes passes d’armes et fais le fanfaron. »)
36 F. 38, p. 6 ; B/Z, vol. 4, 236.
(Il lui dit : « Très bien ! Je t’en prie, assieds-toi, donne ta lettre, prends ta réponse et va-t-en en paix. » Ibrāhīm lui dit : « Ô babb ! S’il est dans ton intention de me faire servir un repas, rien ne l’empêche, et je mangerai de tes provisions. Le babb lui fit servir un repas et Ibrāhīm s’assit au milieu du pavillon.)
37 استلقى.
38 F. 38, p. 9-10 ; B/Z, vol. 4, 236.
([Le Prince] s’étonna de les voir manger autant, puis il dit : « Et bien, Ibn al-Kūrānī, donne ta lettre et prends ta réponse ! » Il lui dit : « Et toi, lève-toi et prends la lettre ! » À ces mots, le Prince fut pris de fureur, tira son épée et se rua sur Ibrāhīm. Ibrāhīm se leva d’un bond, sortit du pavillon et l’accueillit comme la terre assoiffée accueille les premières pluies.)
39 استلقى.
40 F. 38, p. 27-31 ; B/Z, vol. 4, 240-241.
41 F. 38, p. 27 ; B/Z, vol. 4, 240.
(Le transmetteur dit : ô mes chers amis, priez pour le Prophète des ‘Adnān.)
42 Le rāwī utilise le pronom féminin ici, alors qu’ailleurs il utilise le pronom masculin comme al-Burṭuquš et les autres pour désigner Nūr al-Masīḥ.
43 F. 38, p. 77 ; B/Z, vol. 4, 250. Le dernier segment est une citation de Baššār Ibn Burd dont on sait qu’il était aveugle.
(Et les chrétiens se mirent à décrire la beauté de Nūr al-Masīḥ ainsi que sa grâce et sa finesse, et à cause de la description merveilleuse qu’ils en faisaient al-Burṭuquš fut pris de désir pour Nūr al-Masīḥ car, mes frères, parfois l’oreille tombe amoureuse avant l’œil.)
44 F. 38, p. 83-84 ; B/Z, vol. 4, 251.
(Lorsque Ǧawān entendit cette description il fut pris de désir.)
45 شيحه.
46 Sa‘d est amoureux de ‘Ayša al-Mašnātīya, la sœur de Ḥasan al-Mašnātī, qui devient effectivement son épouse.
47 F. 38, p. 117-119 ; B/Z, vol. 4, 258-259.
(« Efendem, comment es-tu tombé dans cette cage alors que le sultan des cavaliers, Šīḥa Ǧamāl al-Dīn, est présent en ce bas-monde ? Si tu me l’ordonnes je prononcerai les trois appels ; et s’il ne répond pas, nous le relèverons de sa charge et nous la donnerons à Sa‘d. » Sa‘d lui dit : « Non, non, je ne veux pas devenir sultan. Je veux ‘Ayša la reine de beauté. » Ibrāhīm s’avança ensuite et délivra Sa‘d et Ḥasan. Puis il leur dit : « Soyez prudents ! » Ḥasan lui dit : « Ô Ibrāhīm, Šīḥa est-il donc un ange ou un ǧinn pour pouvoir ainsi apparaître dans n’importe quel endroit ? » Il lui dit : « Si tu ne me crois pas, appelle-le et vois comment il va apparaître. » Ḥasan lui dit : « Non, non, je ne l’appellerai pas parce que je suis en rébellion contre lui. Appelle-le toi car tu lui as prêté obéissance »).
48 Šīḥa s’était fait passer pour un esclave muet.
49 F. 38, p. 120-122 ; B/Z, vol. 4, 259.
(Elle lui dit : « Dis donc toi, depuis quand peux-tu parler ? » Il lui dit : « Lorsque le regard du roi s’est posé sur moi, ma langue s’est déliée. Et si tu te demandes qui je suis, je suis le sultan des cavaliers, Šīḥa Ǧamāl al-Dīn. Quant à ton frère qui s’est rebellé contre moi, il faut que je l’écorche et que je pende sa peau à la porte de sa forteresse. Tu ne penses pas sérieusement, Ayša, que c’est toi qui as fait ces grandes choses. Mais invoque la bénédiction de Dieu sur ce muet qui t’a guidée dans ce que tu as fait. » Il dit. Lorsque ‘Ayša entendit ces mots, ce fut comme si on la bridait. Elle baissa la tête vers le sol et réfléchit un moment. Puis elle releva la tête et lui dit : « Ô maître des desseins, si tu veux l’obéissance des femmes, alors je dis mille fois obéissance, chef, et que la paix soit avec le chef des chefs des forteresses et leur gloire, Šīḥa Ǧamāl al-Dīn. Et si tu veux l’obéissance des hommes, voici mon frère, devant toi. Parle-lui en et fais-en ce que tu voudras. »)
50 حاكم.
51 F. 39, p. 133-134 ; B/Z, vol. 4, 293-294.
(Le transmetteur dit : ô mes amis, jusqu’au jour où le roi était assis, vigilant et alerte, priant le salut sur le Prophète qui fait reverdir la branche desséchée dans sa main droite, lorsque la porte du dīwān s’ouvrit et entra le gardien du pigeonnier qui s’écria : « Gloire à Dieu qui a guidé jusqu’ici le pigeon ! », le roi dit : « Par Celui qui connaît le Secret, le Clément envers les vieillards, quel en est le sceau ? » Il dit : « Efendem, il vient de Homs où l’air est pur. » Après avoir franchi plusieurs étapes, elle arriva entre les mains du roi. Il rompit le sceau, la lut et vit qu’elle venait de Ġiyāṯ al-Dīn, gouverneur de Homs, à son excellence le Commandeur des Croyants...)
52 Une des conditions posées par Baybarṣ lors de son accession au trône est de décider s’il doit divulguer ou non aux membres du dīwān les informations qu’il reçoit. Il lui arrive parfois de plier la lettre et de la ranger dans son habit sans en dire un mot. En général ceci est clairement signifié dans le texte avec, parfois, un rappel de la condition.
53 F. 40, p. 41-42 ; B/Z, vol. 4, 307.
(Ils allèrent leur chemin jusqu’à ce qu’ils arrivent au monastère. Là, ils virent Ǧawān qui avait fait sortir ‘Alī Āġā al-Ṣāliḥānī, ainsi que Šīḥa, Mūsā Ibn Ḥasan al-Qaṣṣār, le muqaddam Ḫaṭṭāb maître de la forteresse Damawīya, Sulaymān al-Ǧāmūs, et avec eux le qirān Kašyānūš et Qawādīs al-Mālṭī, ainsi que quelques rois ; et après le départ du roi, on avait jeté dix-sept fioles de banǧ dans ce monastère.)
54 القرنان.
55 الكتاب.
56 Il s’agit de la monture d’Ibrāhīm, une jument qu’il a gagnée dans un épisode précédent (voir fascicule 36).
57 F. 40, p. 58-60 ; B/Z, vol. 4, 311.
(Kašyānūš se tourna vers Ǧawān le cornu et lui dit : « Mon père, que dit l’ambassadeur ? » Il lui dit : « Mon fils, donne-lui mille ducats pour les frais de route. » Le babb lui fit apporter mille pièces d’or. Ibrāhīm les prit et les mit dans les basques de son manteau. Puis il avança face à Le Prince et lui dit : « Attention, ô babb ! » Il lui dit : « Que veux-tu, Ibn al-Kūrānī ? » Il lui dit : « Les frais de route. » Il lui dit : « N’as-tu pas pris mille pièces d’or ? » Ibrāhīm lui dit : « Babb, la lettre est pour tous les rois et vous êtes dix. Chacun d’entre vous doit mille ducats, sinon je vous passe au fil de mon épée et je fais voler vos têtes ! » Le babb Le Prince ordonna qu’on lui donne mille pièces d’or qu’il prit. Puis il alla vers un autre et fit ainsi le tour de tous les rois. Il prit dix mille dinars qu’il mit dans les basques de son manteau. Puis il sortit du pavillon comme le lion féroce, enfourcha al-Ṣalḫadīya et se mit en route pour rejoindre al-Malik al-Ẓāhir.)
58 Exception faite d’al-Nisr Ibn ‘Aǧbūr, mais celui-ci avait fait bastonner Šīḥa tant et plus, si bien que ce dernier se venge (voir fasc. 32).
59 J’entends ici les personnages importants en dehors de Baybarṣ lui-même, à savoir Šīḥa, Aydamur et surtout ‘Arnūs dont la progéniture fait l’objet de nombreux épisodes de ce type.
60 Voir fascicules 166-167.
61 Voir fascicule 65.
62 Rappelons que ‘Arnūs apparaît pour la première fois dans le texte au fascicule 45, lors du retour d’Ibrāhīm de son ambassade à Rome. Mais son histoire n’est vraiment racontée qu’au fascicule 65, au moment où il s’apprête à chevaucher contre l’Islam.
63 Pour traduire cet effet de simultanéité on pourrait traduire : « Pendant ce temps, le roi...)
64 Selon le cas on peut traduire : « La raison pour laquelle... » ou « Et la cause de... »
65 F. 166, fol. 46v.-47r.
(Le récit revient au vil, au sac à vin Ǧawān le cornu. Lorsqu’il s’enfuit de la bataille d’al-Swaydiya, il se mit à faire le tour du pays, incitant les rois, mais aucun d’eux ne l’écoutait, jusqu’à ce qu’il arrive à Rome al-Madāyin. Il entra chez l’empereur Ṣafrīn Bāšqirān en se lamentant, en gémissant et en geignant de cette immense catastrophe.)
66 Selon la volonté d’al-Ṣāliḥ Ayyūb, les dignitaires prêtent allégeance à Baybarṣ, bien que celui-ci refuse de monter sur le trône à ce moment-là.
67 وصلوا.
68 Dans sa lettre à ‘Īsā al-Nāṣir, ce Rūm ‘Aṭṭ se présente comme le « gouverneur de Beyrouth » (« حاكم بيروت ») et c’est ainsi que le reste du récit le présente. Au fascicule 142, lorsqu’il est question de la bataille de Ṣūr, le roi est nommé « Damkīn ».
69 F. 20, p. ; B/Z, vol. 2, 329-330.
(Jusqu’à ce qu’ils [Ǧawān et al-Burṭuquš] arrivent à al-‘Arīš. Il entra chez le roi, les yeux pleins de larmes et le cœur plein de tristesse, et il [Ǧawān] lui apprit ce qui s’était passé. Il [le roi] lui dit : « Mon père, cette affaire ne nous concerne pas. Les rois et l’allégeance à leur pouvoir, pourquoi irions-nous nous en mêler ? Et toi, pourquoi te compliques-tu la vie ? » Ǧawān lui dit : « Ah, misérable ! Tu ne sais pas ce qui va arriver à cause de ce scélérat. Et toi tu n’en as rien à faire que je paye cette histoire de ma barbe ! » Puis il le quitta et se rendit chez le roi de ‘Asqalān et lui raconta ce qu’il avait raconté au roi d’al-‘Arīš. Il [le roi] lui dit : « Qu’avons nous à voir avec les exigeances des rois ? » et il l’éconduit. Ǧawān ne parvint pas à lui faire changer d’avis. Il le quitta et se rendit chez le roi de Ṣūr. Il se tint près à la porte du dīwān et dit une messe, puis il entra chez le babb al-Rūm ‘Aṭṭ et se mit à pleurer devant lui. Puis il lui fit part de sa douleur et lui apprit l’allégeance [à Baybarṣ]. Il [le roi] lui dit : « Mon père, cette affaire ne nous concerne pas. » Ǧawān lui dit : « Ah, mon fils, si tu savais tout ce qu’il va faire ! Car c’est lui que les signes et les livres ont annoncé, c’est lui qui va détruire les églises et les lieux de culte pour en faire des mosquées et des écoles coraniques.)
70 F. 162, fol. 23r.
(Et il [Ǧawān] se rendit en pays franc, et chaque fois qu’il entrait chez un roi, on le chassait comme un chien galeux.)
71 Ṣafrīn croit que son père est l’empereur Frīdrīk alors qu’en fait il est le fils de ‘Arnūs et Ṣafrīna, une des filles de Frīdrīk. Il découvre ceci plus tard, après la mort de ‘Arnūs (voir le fascicule 171).
72 Voir fasc. 110.
73 ذخائره.
74 F. 166, fol. 47. Référence à l’épisode précédent. Baybarṣ ayant assiégé Rome après le meurtre de l’Empereur Frīdrīk et la mort de son fils Dūfuš, il lève le siège et conclut un traité de non-agression avec Ṣafrīn.
(Il lui dit : « Ah, mon fils, le roi des musulmans a tué ton frère, défait son armée et a pillé ses vivres et ses biens. Toi, tu es devenu empereur et tu restes là assis sur le trône de Rome al-Madāyin la honte sur ton front. Et si tu te levais pour prendre ta revanche et donner la victoire aux chrétiens ! » Ṣafrīn se mit à rire, l’installa à ses côtés et ordonna qu’on lui apporte à boire pour qu’il se calme. Il lui dit : « Mon père, le roi des musulmans bénéficie de la fortune et celui qui s’oppose à la fortune ne peut que mourir dans la détresse. D’autre part, lui et moi avons conclu un pacte stipulant que je ne dois pas attaquer son pays.)
75 F. 166, fol. 53r.
(Ils arrivèrent au dīwān et ils prirent place sur les sièges de l’autorité et Ṣafrīn fit les honneurs de l’hospitalité au babb Qaṭmūriǧ. Ǧawān officialisa le pacte entre eux, si bien qu’ils devinrent comme des frères).
76 F. 166, fol. 54r.
(Qaṭmūriǧ dit à Ǧawān : « Mon père, toi, tu connais mieux que moi le pays de l’Islam, par où devons-nous commencer ? Il lui dit : « Mon fils, le plus simple c’est Brousse qui est la première ville du pays d’Islam, ensuite prendre Madīnat al-Ruḫām »).
77 F. 79, fol. 45v. (main C).
(Il lui dit : « Sache, mon seigneur, que je suis patriarche à Madīnat al-Ruḫām. Lorsque ‘Arnūs est venu conquérir la ville pour l’Islam, il ne s’est pas montré dur avec les habitants et pour cette raison on ne renonce pas facilement à lui).
Le chevauchement avec le fascicule 80 (main B2) permet une comparaison des textes :
فقال له سيدى انا بترك بهذه البلد فلما اخذها عرنوس وفتحها اسلام ما آسا على الرعايا بقى ما بهون علينا فيه
F. 80, p. 4026.
78 F. 166, fol. 54v.
(Un jour le roi était assis, vigilant et alerte, priant le salut sur le Prophète qui fait reverdir la branche desséchée dans sa main droite, lorsque la porte du dīwān s’ouvrit et entra le gardien du pigeonnier qui s’écria : « Gloire à Dieu qui a guidé le pigeon ! » Le roi dit : « Par Celui qui connaît le Secret, le Clément envers les vieillards, quel en est le sceau ? » Il dit : « Efendem, de Brousse. » Après avoir franchi plusieurs étapes elle arriva entre les mains du roi. Il rompit le sceau, la lut et vit qu’elle venait de Mas‘ūd Bayk...)
79 F. 166, fol. 58r.-v.
(Lorsque Mas‘ūd Bayk comprit ces paroles, il les soumit aux dignitaires de Brousse et leur dit : « Quelle est votre réponse ? » Al-Qara Aṣlān lui dit : « C’est moi qui vais donner la réponse ! » Il se leva d’un bond, frappa le soldat au cou et sépara sa tête de ses épaules. »)
80 F. 167, fol. 2r.
(Qara Aṣlān lui [dit] : « Non, par le secret de Bābā Madyan, personne d’autre que moi ne les défiera au combat, aussi longtemps que la guerre consistera en un combat singulier. Mais lorsque vous verrez les “Russes” se lancer dans une seule attaque, alors vous m’aiderez. » Puis il descendit sur le champ de bataille et défia [l’ennemi] au combat. Il défendit ainsi le champ de bataille pendant dix jours.)
81 Chaque fois que le terme « الروس » apparaît dans le texte, le ḥakawātī le raye et écrit au crayon soit « الكفار », soit « الدشمان ».
82 F. 167, fol. 2r.-3v.
(Qara Aṣlān les défia au combat comme à son habitude, attaquant et paradant, lorsqu’il vit toute l’armée russe se lancer à l’attaque. Il l’accueillit comme la terre asoiffée accueille les premières pluies et s’écria : « Dieu est le plus grand ! » et il fit tomber sur les infidèles des coups plus brûlants que le feu).
83 F. 167, fol. 14r.-15v.
(Il lui dit : « Va délivrer le babb Qaṭmūriǧ car c’est ton fils. Lorsque ‘Arnūs entendit ces mots, il éprouva une joie extrême et courut délivrer son fils et calmer ses esprits en lui disant : « N’aie pas peur, mon fils ! » Puis il se tourna vers Šīḥa et lui dit : « Efendem, de quelle fille de roi est-il le fils ? »)
84 F. 65, p. 20.
(Puis il s’isola avec elle avec elle et prit sa virginité. Elle tomba alors enceinte d’un enfant mâle appelé Qaṭmūriǧ Abū ‘Umd, quand il réapparaîtra nous aurons des choses à en dire.)
85 F. 167, fol. 19r.
(Lorsqu’elle entra dans le pavillon, elle tomba sur ‘Arnūs et se mit à pleurer en lui disant : « Ô Dīyābruh, ce ne sont pas là pas des habitudes des gens bien. Tous ces jours passés sans demander de mes nouvelles ! Si je n’étais pas arrivée aujourd’hui mon fils était perdu et tu m’en aurais privée. » Il lui dit : « Je te demande pardon, ô altesse, mais j’ai été occupé par les choses de ce bas-monde, le gouvernement et les guerres.)
86 F. 167, fol. 19v.
(Lorsque Qaṭmūriǧ entendit ses paroles, il se convertit immédiatement à l’Islam et prononça la šahāda.)
87 F. 167, fol. 20v.
(Sayf al-Dīn ‘Arnūs descendit dans sa résidence, la forteresse al-Kabš, et fit venir le chirurgien en chef pour circoncire son fils Qaṭmūriǧ. Puis il fit des donations, distribua l’argent et l’or ; puis, après sept jours, lorsque la circoncision de Qaṭmūriǧ fut cicatrisée, son père le conduisit au dīwān.)
88 F. 68, p. 2185-2192.
89 F. 119, fol. 35v. La rencontre de ‘Arnūs et Kirǧīna ne figure pas dans les fascicules de la recension damascène de l’IFEAD. Elle se produit vraisemblablement dans un des fascicules manquants. On retrouve une mention de Kirǧīna au fascicule 165, lorsque son père, le magicien ‘aǧamī Saqarmīd, décide de se venger.
90 Le manuscrit étant défectueux, tous les fils francs de ‘Arnūs ne réapparaissent pas dans la recension. Mīrūn, par exemple, le fils de Kātrīn, la fille du babb al-Mankubīrd, conçu au fascicule 68, ne réapparaît plus dans le récit.
91 F. 92.
92 Le récit rappelle toutefois les circonstances de cette rencontre, ce qui nous permet de comprendre l’histoire.
93 Selon les mains, Portugal ou Balkans : il s’agit des fils des rois qui étaient sous la coupe d’al-Maġlawīn, qui se sont convertis en même temps que ‘Arnūs et le suivent à travers tout le récit.
94 Selon les mains : Hadīr al-Ru‘ūd ou Ya‘qūb al-Hadīrī. Il semble qu’il y ait une divergence et une confusion entre les différentes mains entre Ya‘qūb al-Hadīrī (qui s’est converti au fascicule 111) et son frère Hadīr al-Ru‘ūd. Ce dernier nom est d’ailleurs rayé par une autre main et remplacé par Ya‘qūb al-Hadīrī.
95 Voir fascicules 170-171.
96 Voir fascicule 172.
97 Voir fascicules 113-117.
98 F. 129, fol. 14r.-v.
(Sayf al-Dīn était assis à son dīwān à dispenser la justice lorsque la porte du dīwān s’ouvrit et Badr al-Ġafīr Ibn Šākir entra. ‘Arnūs l’accueillit, le pria de s’asseoir et le salua, puis il lui dit : « Quelles nouvelles ? » Il lui dit : « Par Dieu, ô chef ! J’ai une histoire bien étrange à raconter. » Il lui dit : « Dis voir ! » Alors Badr al-Ġafīr se mit à faire son récit à ‘Arnūs. Et nous, nous ferons notre récit à celui qui écoute et, au jour du Jugement Dernier, le Prophète intercédera pour celui qui prie pour lui. Le transmetteur dit : Badr voyageait ici et là quand par hasard il arriva à Ǧazāyir al-Māni‘a).
99 . F. 129, fol. 58r.
(Ǧawān était assis auprès de la reine et il dit : « Messires, que se passe-t-il ? » Ils lui dirent : « Mon père, l’ambassadeur du roi est arrivé. » La reine se tourna vers al-Burṭuquš et lui dit : « Sayf al-Rūm, s’il est vrai que tu n’es pas un menteur, pourquoi m’as-tu dit que le roi attendait quarante et un jour avant d’écrire la lettre ? » Il lui dit : « Demande à Ǧawān, et si ce n’est pas comme cela que ça se passe, alors je suis un menteur. Mais pour quelle raison le roi a-t-il changé son habitude, je n’y comprends rien. » La reine hocha la tête et dit : « Moi, je comprends le message. Par ma religion, le roi considère que je ne vaux pas grand chose en m’écrivant tout de suite. »)
100 F. 129, fol. 59v.
(Par Dieu, si j’avais su je n’aurais pas mis mon armure.)
101 F. 129, fol. 59v.
(Nul besoin de lui tirer l’épée au visage, nul besoin de l’obliger à se lever pour prendre la lettre, car c’est une femme et il n’y a aucune fierté à en tirer.)
102 F. 129, fol. 58r. ; f. 130, fol. 1v. et fol. 2r.
103 F. 130, fol. 2r.
(Elle lui dit : « Ḥaǧǧ Ibrāhīm, hommes ou femmes, les rois ont droit aux mêmes honneurs. J’ai entendu dire que tu avais pour coutume de te présenter devant les rois en tirant ton sabre et de faire des passes d’armes. Alors comment se fait-il que tu n’aies rien fait devant moi, comme si tu considérais que je ne vaux pas grand chose ? »)
104 F. 129, fol. 58v.
(Le visage de Maryam brillait par un jour de fête,
Et il y avait là une fête qui surpassait la fête.)
Vers composé par dame Warda al-Yāziǧī (m. 1924).
105 F. 130, fol. 3r.
(Ibrāhīm lui dit : « Ça alors ! Puisque ta tête est si pleine de valeur chevaleresque, attends voir, regarde-moi ! »)
106 F. 130, fol. 5r.
(Les chevaliers se précipitèrent vers le pavillon et les ducs et les nobles se rapprochèrent pour voir ce lion furieux, et ils se disaient entre eux : « Ah ! Ah ! Par le Messie et la vraie religion, ce chevalier est fantastique ! »)
107 F. 130, fol. 2v.-3r.
(Ḥaǧǧ Ibrāhīm, tu dis que les rois s’offusquent [de ton attitude]. Par ma religion ! Seuls les lâches peuvent s’offusquer. Quant aux gens d’honneur, ils éprouvent de la fierté dans tes actes et ils en tirent une leçon de chevalerie.)
108 Ibrīza al-Qannāṣa fait partie des femmes de ‘Arnūs renvoyées dans leur pays avec leur fils par le magicien Armānīya lorsqu’il disperse le harem de ‘Arnūs (voir fascicule 92).
109 Dans le manuscrit le nom est rayé au crayon et remplacé dans la marge par « Wardat al-Masīḥ »
110 F. 157, fol. 16.
(Le transmetteur dit : Quant à Sayf al-Dīn ‘Arnūs, il continua son chemin avec son armée, et arriva à Ǧisr al-Ḥadīd [le Pont de Fer]. Il vit, devant lui, une gazelle qui paissait. Il dit à son oncle : « Mon oncle, j’aimerais bien prendre cette gazelle et la ramener avec moi à Madīnat al-Ruḫām. » Il lui dit : « Mon fils, nous sommes des chasseurs de lions ; des gazelles comme celle-là ne nous poseront aucune difficulté. »)
111 F. 157, fol. 18v.
(Un des officiers s’approcha de lui et dit : « Babb ! Tu as imité al-Dīyābruh avec l’armure et le cheval, mais tu ne réussiras pas à l’imiter en bravoure.)
112 F. 157, fol. 19v.-18r.
(Il partit pour la ville avec lui et en chemin le babb lui demanda : « Excellence, de quel pays es-tu et qui es-tu parmi les humains ? » Il lui dit : « Je viens des Balkans et je me nomme Yatmūrid. » Il lui dit : « Enchanté ! » Il le fit entrer au palais, dans une salle privée et lui fit porter un sirop puis un repas. Ils mangèrent et prirent du bon temps, et se mirent à converser jusqu’à minuit. Ensuite, le babb se leva, conduisit ‘Arnūs au harem et l’installa dans une chambre sompteuse, comme un trésor qu’on aurait mis au jour en levant les sortilèges qui le cachaient, et lui dit : « Messire, voici ta chambre ».)
113 Le nom est rayé au crayon et remplacé par « Nūr al-Masīḥ ».
114 Dans toutes les scènes qui mettent en jeu un des héros avec une princesse non musulmane, le « mariage » (زواج) est l’accouplement qui suit la conversion de la princesse.
115 F. 157, fol. 25v.
(Elle patienta jusqu’à la nuit puis elle se rendit auprès de ‘Arnūs, comme nous l’avons dit, et lui demanda de se joindre à elle.)
116 F. 157, fol. 25v.
(Il lui dit : « Ma chère, l’union avec deux sœurs est-elle possible ? C’est une chose interdite par toutes les religions ! »)
117 J’emploie ces deux termes dans leur sens musical, comme éléments constituants d’une composition contrapuntique. D’une certaine manière, on pourrait voir la structure de la Sīra comme une vaste composition musicale avec points et contrepoints, sujets et contre-sujets, leitmotive, etc.
118 F. 91, fol. 9v.
(Il lui dit : « Père des vizirs, qui allons-nous envoyer pour assurer la protection de la jeune fille ? » Il lui dit : « Efendem, la protection revient à bayt Ǧamr, à Ma‘rūf et après lui à son fils ‘Arnūs. » Il lui dit : « Les jeunes filles ne sont pas en sécurité avec ce ‘Arnūs, car il séduit les filles des rois. De plus, à présent il fait partie de la garde d’élite et la fonction de protecteur ne sied pas à un roi qui marche avec le bâton d’office devant la reine. »)
119 Il s’agit de Ranqīs, fille du babb al-Kund Farūn
120 Il s’agit d’une référence à un épisode manquant dans le manuscrit.
121 On retrouve Salmā et son fils au fascicule 128. Le fascicule [183], qui provient vraisemblablement d’une autre recension (comme [181] et [182]), propose une variante de l’histoire de Salmā et Ma‘rūf (fils de ‘Arnūs).
122 Voir fascicules 125-126.
123 Une des missions d’Ismā‘īl à Mīrūn était de faire payer un tribut au babb al-Ṣahīǧ.
124 F. 85, p. 4506.
(Il se rendit à Madīnat al-Ruḫām, mais la fille ne lui sortait pas de la tête. À son arrivée, il se présenta devant ‘Arnūs, le salua et lui demanda si l’argent lui était bien parvenu. Il lui dit : « Oui. Mais toi, qu’est-ce qui t’a retardé ? » Il lui dit : « Par Dieu, mon fils, je suis resté quelques jours pour me reposer, puis j’ai vu la fille du babb al-Ṣahīǧ et elle est d’une grâce et d’une beauté extraordinaires, défiant toute description, et par Dieu je l’ai désirée pour toi, mon fils. J’ai sillonné de nombreux pays et mes yeux n’ont jamais vu son égale en charme et en beauté. » ‘Arnūs lui dit : « Je n’ai rien à faire d’elle. » Mais, en son for intérieur, il fut pris au piège de l’amour car parfois l’oreille tombe amoureuse avant l’œil. Il patienta trois jours puis fonça vers Ǧazāyir Mīrūn).
125 F. 125, fol. 43v.-44r.
(J’ai attendu jusqu’au dimanche et je suis allé me poster à la porte de l’église. Lorsqu’ils eurent fini de prier, le roi sortit et monta sur son cheval, et la princesse sortit derrière lui. Que Celui qui l’a faite soit exalté pour cette création ! Son regard était d’un blanc et d’un noir intenses, son visage rayonnait, elle excellait en grâce et en beauté, en stature et en taille, comme on dit de ses pareilles...)
126 F. 125, fol. 43v.
(« Son roi s’appelle le roi al-Aṣmīr, mais Dieu privilégie certaines de Ses créatures, c’est pourquoi il y a des gens d’une grande générosité et malgré l’étendue de ce pays et le nombre élévé de ses habitants je n’ai pas rencontré de mendiant. J’ai questionné le chef du ḫān à ce sujet et il m’a dit : « Messire, tant que la princesse al-Aṣmīra sera en vie, il n’y aura pas de pauvres dans notre pays. »)
127 F. 125, fol. 48v.
(Qaṭlūniǧ buvait le vin, mais ce n’était pas un bon commensal, ne sachant pas faire la conversation comme son père, porté à la force et à l’arrogance. Il buvait avec elle en silence, sans aucune conversation et sans dire un mot qui ne soit nécessaire. La princesse al-Aṣmīra, elle, était tout ouverte à la conversation galante et elle se dit : « Le silence de ce prince est bien curieux ! Il doit être timide. »)
128 Dans le manuscrit le chiffre « 3 » est inscrit au-dessus du « س ».
129 مد.
130 Qāsim al-Ḥadīd, nom de l’épée de ‘Arnūs.
131 F. 125, fols. 51-52r.
(Qaṭlūniǧ ne lui faisait plus la cour, il se contentait de boire et de se taire. Lorsqu’il se fit trois heures, le vin monta à la tête de ‘Arnūs. Il se mit à jouer et à rire avec la princesse, et à lui faire une conversation brillante. La jalousie envahit Qaṭlūniǧ, il se mit à regarder son père et à trembler. La princesse s’en aperçut, elle remplit un verre et le lui tendit. Qaṭlūniǧ le prit et dit à son père : « Dis donc, le vieux ! Reprends-toi un peu ! Honte à toi ! Ton rang est celui d’un roi ! » Son père lui dit : « Tais-toi et assieds-toi. Considère que ce ne sont pas tes affaires » Son fils lui dit : « Qui doit se taire ? » Puis il prit le verre et frappa son père au visage. ‘Arnūs se sentit humilié il attrapa Qāsim al-Ḥadīd et la planta dans sa cuisse jusqu’à l’os. Mais Qaṭlūniǧ était un colosse et il ne fit pas attention au coup. Il tira son épée et frappa son père à l’épaule, le blessant ainsi profondément. ‘Arnūs lui dit : « Dis donc, Qaṭlūniǧ, c’est pas un coup ça ! » Et il le frappa avec Qāsim al-Ḥadīd le blessant une seconde fois. Les coups pleuvaient entre eux sur leur bouclier, avec le sang qui coulait. Une heure durant, ces deux-là se jetèrent l’un contre l’autre, Puis, ils tombèrent tous les deux de tout leur long, sans connaissance, chacun mortellement blessé, le château dévasté, la table cassée ; et ce fut un moment à vous faire perdre la tête. Et lorsqu’ils tombèrent à terre, la princesse crut qu’ils étaient morts.)
132 F. 125, fol. 53v.-54r.
(‘Arnūs reprit connaissance et vit le roi et les vizirs debout au-dessus d’eux et tout chamboulé autour de lui. Il se dit : « Que Dieu anéantisse le vin car il plonge les hommes dans l’horreur ! » Il regarda son fils et vit qu’il était gravement blessé et que sans les soins [qu’il avait reçus] il aurait fallu l’amputer de la jambe. Il sentit le regard de son fils et se détourna de lui, sans plus se poser de question sur son propre état, voulant que son fils aille mieux. Et il jura devant Dieu, en son for intérieur, qu’il ne goûterait plus jamais de vin à partir de ce moment-là.)
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Armées et combats en Syrie de 491/1098 à 569/1174
Analyse comparée des chroniques médiévales latines et arabes
Abbès Zouache
2008
Fondations pieuses en mouvement
De la transformation du statut de propriété des biens waqfs à Jérusalem (1858-1917)
Musa Sroor
2010
La grande peste en Espagne musulmane au XIVe siècle
Le récit d’un contemporain de la pandémie du XIVe siècle
Aḥmad bin ‘Alī bin Muḥammad Ibn Ḫātima[Abū Ǧa‘far Ibn Ḫātima al-Anṣārī] Suzanne Gigandet (éd.)
2010
Les stratégies narratives dans la recension damascène de Sīrat al-Malik al-Ẓāhir Baybarṣ
Francis Guinle
2011
La gent d’État dans la société ottomane damascène
Les ‘askar à la fin du xviie siècle
Colette Establet et Jean-Paul Pascual
2011
Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité
Ahmed Bouyerdene, Éric Geoffroy et Setty G. Simon-Khedis (dir.)
2012
Le soufisme en Égypte et en Syrie
Sous les derniers mamelouks et les premiers ottomans. Orientations spirituelles et enjeux culturels
Éric Geoffroy
1996
Les maîtres soufis et leurs disciples des IIIe-Ve siècles de l'hégire (IXe-XIe)
Enseignement, formation et transmission
Geneviève Gobillot et Jean-Jacques Thibon (dir.)
2012
France, Syrie et Liban 1918-1946
Les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire
Nadine Méouchy (dir.)
2002
Études sur les villes du Proche-Orient XVIe-XIXe siècles
Hommage à André Raymond
Brigitte Marino (dir.)
2001