Ma vie sans moi1
p. 17-20
Note de l’éditeur
Ce texte est la version non expurgée et remise à jour, d´une notice adressée par François Gros au ´collectif´ responsable du Répertoire biographique des membres scientifiques de l´EFEO, paru pour son centenaire en 2002 sous le titre Chercheurs d́Asie.
Texte intégral
1Né à Lyon, le 17 décembre 1933.
Cycle complet d´études universitaires classiques à Lyon: Licence ès Lettres classiques, Diplôme d’études supérieures (en grec homérique), et Agrégation de grammaire (1957).
2Simultanément, orienté vers les études indiennes par l´enseignement d´Armand Minard en grammaire comparée et sanskrit, il passe à Lyon la licence d’études indiennes mais suit aussi pendant trois ans avec ferveur et assiduité l’enseignement d’ethnologie d’André Leroi-Gourhan, cueillant au passage la licence correspondante.
3Entre 1957 et 1960, carrière "extérieure" d´enseignant au lycée Bugeaud d’Alger, puis, à titre militaire, au lycée de Constantine avant que le plan du même nom l´affecte à l’École Militaire de Strasbourg pour la promotion interne de futurs officiers algériens, africains et malgaches.
4Arraché à l’enseignement secondaire par la Fondation Thiers, il y passe trois ans (1960–1963) dans la compagnie, entre autres, de Pierre Nora, Jean Tulard, Jean Gattégno, Marc Fumaroli. Fréquente alors, par ordre croissant de régularité et d’intérêt, l’INALCO (Hindi et Tamoul), l’Institut de Civilisation indienne et le Collège de France, la VIème Section de l’EPHE (devenue l´EHESS) pour Louis Dumont et Daniel Thorner, le Musée Guimet et l´Association française des Amis de l´Orient (dont il deviendra plus tard Président pour une dizaine d´années) et surtout la Cinémathèque, encore rue d’Ulm puis au Palais de Chaillot, heureusement plus proche de la Fondation Thiers.
5En 1963, F. Gros s´apprête à revenir à la littérature française quand Jean Filliozat l’engage à l’Institut français de Pondichéry, créé en 1954 par le Ministère des Affaires Etrangères. Promu sur place à l’EFEO en 1967, il y restera dix ans. Souvent seul permanent européen en indianisme, il joue alors, comme le leur dit un jour T.P. Meenakshisundaram, Vice-Chancelier de la toute nouvelle Université de Madurai, le rôle de mūlavigraha, la statue du sanctuaire, dont la statue de procession, l´utsavavigraha, la plus en vue, restait Jean Filliozat, fondateur et directeur, grand voyageur à travers le monde. A l’invitation de ce dernier qui se révélait un maître de terrain passionnant, pas du tout conventionnel, toujours curieux et d’une érudition inépuisable, F. Gros s´est spécialisé dans le domaine culturel dravidien et les études médiévales et modernes, une approche d´abord littéraire mais avec des nostalgies mal assouvies d´historien.
6A son départ en retraite, Jean Filliozat souhaita transformer dans cet esprit sa direction d´études à l’EPHE en chaire d´ « Histoire et Philologie de l´Inde méridionale » et obtint en 1977 que F. Gros lui succédât à l’EPHE, comme à la tête de l’EFEO. Pour préserver la synergie originelle, F. Gros devint aussi ´responsable scientifique´ de la section d’indologie de l’Institut français de Pondichéry (Ministère des Affaires Etrangères), et entra dans son Conseil scientifique à sa création en 1977. Il y siégera tant que durera ce conseil, jusqu´en 2002.
7En 1977, la direction de l’EFEO est encore un mandat gratuit; il n’y a ni directeur des études, ni conservateur de bibliothèque, ni services de gestion adéquats. Cette situation jugée anormale dès le début de son mandat pèse lourd sur l’activité scientifique de F. Gros à l’EPHE mais ne cessera qu´avec la mise en place d´un nouveau statut d’établissement, que les procrastinations politiques et administratives feront attendre douze ans, lui permettant enfin de quitter la direction de l´EFEO le 30 novembre 1989. Durant cette période, la spécificité de l´EFEO en tant que Grand Etablissement de l’Education Nationale à l’étranger fut d’autant plus délicate à imposer que la politique extérieure française en Asie du Sud et du Sud-Est n´encourageait pas autant qu´aujourd´hui les initiatives sur ces terrains minés, dans tous les sens du mot.
8Indianiste, donc forcément attaché à toutes les structures mises en place à Pondichéry, F. Gros s’est cependant surtout consacré au redéploiement de l’EFEO vers l’Asie du Sud-Est où elle devait à ses yeux retrouver sa place. Le mouvement ira s´accélérant plus tard de façon spectaculaire, mais il fut impulsé par lui dès les années quatre-vingts, sans publicité excessive:
Retour officiel au Vietnam, après trente ans d’absence, dès novembre 1983. Les trois volumes du Catalogue des livres en Han Nôm, plus de trois mille pages, parus à Hanoi en 1993 en coédition franco-vietnamienne sont co-signés par F. Gros parce qu´ils sont le résultat positif durable, mais retardé, de l’accord de coopération signé dix ans plus tôt le 30 novembre 1983 entre le Comité des Sciences Sociales du Vietnam et l’EFEO et sitôt mis en œuvre par la ténacité des deux partenaires et d´une équipe largement bénévole.
Contacts officieux et missions discrètes au Cambodge (avec l´accord précis de la Direction d’Asie du MAE, et des états d´âme de la Direction des Affaires Culturelles), dès la fin de 1983.
Ouverture officielle et spectaculaire du Centre de l’EFEO en Malaisie, à Kuala Lumpur, fin 1987, grâce à notre ambassadeur Jean Perrin, ami de l’EFEO et grand connaisseur de l’Asie.
Visites officieuses, puis officielles, à Vientiane au Laos entre 1987 et 1989. Une mission effectuée avec Madeleine Giteau, ancien membre de l’Ecole, et Francine d´Orgeval, représentant le MAE, aboutit à des accords de coopération co-signés avec le MAE.
Fondation en 1988 du Fonds d’édition des Manuscrits du Cambodge, introduisant pour la première fois à l’EFEO un mécénat d’importance (A.G.F., Indo-Suez, etc.), mis en place par F. Bizot à Chiang Mai en Thaïlande puis implanté avec succès au Cambodge et au Laos.
L’activité éditoriale de l’EFEO, aujourd’hui assurée par des personnels dont le recrutement est relativement récent, continue largement des séries lancées pendant la période de 1980 à 1989. Leur objectif affiché était le plus souvent de promouvoir les initiatives des centres de l’Ecole en Asie et de donner à leurs activités locales autonomie et visibilité maximales:
91980, Textes et Documents nousantariens, à Jakarta (huit volumes sortis entre 1980 et 1989).
101985, Cahiers d’Extrême-Asie, bilingues franco-anglais, publiés depuis le centre de Kyoto.
111987, Collection des Romans et Contes du Vietnam écrits en Han, publiés à Taipei.
121987, Réimpressions de l’Ecole française d’Extrême-Orient, série inaugurée à Paris.
S’y ajoutent les premiers catalogues des fonds de la bibliothèque et des nouvelles acquisitions, devenus possibles après 1981 par la création, au terme de trois ans d’efforts, d’un poste de conservateur de bibliothèque, occupé par Christiane Rageau qui travaillait à la Bibliothèque nationale, premier pas vers ce centre de documentation sur l’Asie que l’EFEO pouvait devenir, mais que les années quatre-vingt-dix n’ont pu favoriser vraiment.
13F. Gros souhaitait inscrire à l’entrée de son bureau directorial sa formulation personnelle d’un second corollaire du fameux Principe de Peter: "Dans une hiérarchie, l’esprit de subordination est inversement proportionnel à la compétence", ou sa variante anglaise plus directe: « In a hierarchy, sycophancy is in direct proportion to incompetence », mais ses collaborateurs immédiats l’ont dissuadé de léguer l´irrévérence à ses successeurs.
14Bien qu´il aime les livres et s´en entoure volontiers, l´irrespect de F. Gros s´en prend aussi à la (bio-) bibliographie, ou plutôt un scepticisme profond sur l´intérêt du genre. En exergue de son premier exercice dans cette voie il plaçait déjà cette phrase désabusée de Péguy « Les références qu´on ne vérifie pas sont nécessairement justes ». Il entend donc limiter l´évocation de son activité scientifique classique à quelques publications plus significatives, à commencer en 1968 par Le Paripāṭal, texte tamoul de l’ancienne littérature, couronné par le Prix Saintour de l´Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1969 et suivi d´articles sur la littérature du Sangam, jusqu´au Livre de l’Amour de Tiruvaḷḷuvar en 1992, prolongé par une réflexion sur les commentaires du texte et leur signification dans un univers médiéval en interface avec le sanskrit. D´autres écrits consistent notamment en études sur la dévotion shivaïte tamoule, la poésie et les représentations de Kāraikkālammaiyār, la lecture indienne des hymnes du Tēvāram ou le sens des légendes du Periya Purāṇam. Une étude sur Uttaramērūr, histoire‚ légende et monuments, publiée avec R. Nagaswamy, avait, à sa parution en 1970, retenu l´attention de Bernard-Philippe Groslier. L´archéologue était sensible à l´effort original pour restituer à travers les textes architecturaux sanskrits et les inscriptions tamoules la vision normative qui présida à l´édification d´un temple et à l´implantation concrète d´un site de village brahmanique. Cela prenait valeur de manifeste, préludant à un effort de promotion d´une archéologie de site et au lancement, à son initiative, en 1980 du programme collectif et pluridisciplinaire sur Tiruvannamalai qui mobilisa pour plus de quinze ans le centre de Pondichéry et ses partenaires.
15Grâce à leur implantation à Pondichéry, les études françaises en tamoul, la seconde langue moderne de l’Inde sur le plan global, restent honorables. F. Gros est depuis 1979 le seul membre non indien du Board of Governors de l’International Institute of Tamil Studies à Madras, où il ne siège d´ailleurs jamais, et depuis 1989 vice-président de l’International Association for Tamil Research (réélu en 1995). Aujourd’hui il demeure engagé dans deux programmes scientifiques de l´Institut français: un atlas historique du sud de l’Inde jusqu’en 1600, essentiellement centré sur l’épigraphie tamoule, en collaboration entre le laboratoire de géomatique de l´Institut français et diverses institutions indiennes, et une histoire culturelle du Tamil Nadu contemporain, de conception plutôt littéraire mais très inspirée des approches méthodologiques de Roger Chartier, Pierre Bourdieu ou Sheldon Pollock. Les premiers résultats publiés, tous deux fin 2002, en collaboration avec un chercheur de l´Institut français, Kannan M., concernent les tentatives tamoules pour construire une littérature dalit et Ĺarbre Nâgalinga, nouvelles d́Inde du Sud, choix de traductions et présentation critique d´un demi-siècle de production littéraire tamoule.
16Les activités de représentation qui usent le temps à écrire rapports, projets ou discours sont justement destinées à l´oubli. Ainsi d´un bilan critique de « l´EFEO Domaine indien 1951-1976 », publié pour le 75ème anniversaire de l´institution et dont le sous-titre « Vingt-cinq ans de philologie? » a perdu dans le titre courant le point d´interrogation provocateur qui lui donnait tout son sens! L´année de la France en Inde aura toutefois permis à F. Gros d’être l’éditeur de Passeurs d’Orient‚ Encounters between India and France, important album et recueil très varié de textes bilingues sur l’indianisme français, publié en 1991 par le Ministère des Affaires Etrangères et devenu introuvable, d´enregistrer un récital de poésie tamoule de plus de deux heures à la Maison de la Poésie au Centre Pompidou (en attendant de publier une anthologie qui mûrit et grossit toujours) et de faire en duettiste complice de Kapila Vatsyayan une apologie pour l’indologie aujourd´hui dans un séminaire franco-indien de l´India International Centre tenu à New Delhi en avril 1990…
17Son élection, plutôt fortuite, à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, dès 1982, fut pour lui l’occasion d’une unique communication dont le titre symbolise et résume fidèlement son engagement scientifique: « Le poids du Sud dans les études indiennes ».
Notes de bas de page
1 Titre du premier recueil de poèmes d´Armand Robin.
Auteur
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012