1. Le Caṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇṭi, site et corpus
p. 23-60
Texte intégral
1Afin de situer plus précisément les dieux qui furent ici adorés, les textes qui ont pu y être composés et dont certains y furent gravés, les sculptures qui l’ornent, je présente tout d’abord dans ce chapitre le temple tel que l’archéologie nous permet de le considérer aujourd’hui. Les analyses qui en ont été faites dans la littérature secondaire sont présentées en parallèle. Elles permettent de dessiner les enjeux scientifiques des corpus constitués dans cet ouvrage. Les difficultés à définir un art de la période cōḻa recoupent ici, comme on le verra, celles que soulève l’édition des inscriptions du temple.
Le Caṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇṭi
2Le petit temple portant aujourd’hui le nom de Caṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇṭi est situé au cœur du territoire cōḻa, dans l’actuel district de Trichy, à une douzaine de kilomètres à vol d’oiseau au nord-est de cette ville dont les faubourgs ont recouvert la plus ancienne des capitales de la dynastie des Cōḻa, Uṟaiyūr. Aujourd’hui abandonné, le temple organisé autour d’un sanctuaire shivaïte partiellement remonté dans les années 1970 par l’Archaeological Survey of India [ASI], croûle peu à peu dans une bananeraie qui bruisse entre la Kāvēri et l’un de ses bras, le Koḷḷiṭam (ou Coleroon)1 : c’est là le territoire d’un dieu de l’iṭaiyāṟṟunāṭu, le « Pays d’entre les rivières », ainsi que le désignent les inscriptions du site (le terme nāṭu correspond à une division administrative entre autres, voir Subbarayalu 1973). Le sanctuaire, ou vimāna, et le hall qui le précède, ou maṇḍapa, s’élèvent aujourd’hui sur une haute base, ornée d’une série de petits panneaux sculptés et couronnée par une frise d’avant-trains de lions cornus. Les angles en sont marqués par le même motif de lions cornus, de plus grandes dimensions. Les gueules des félins fantastiques s’ouvrent sur des scénettes. Une deuxième série de panneaux sculptés pare la base des redents et des ressauts qui dessinent le plan de l’élévation, au-dessus du haut soubassement du temple. Cette élévation est marquée par trois larges niches centrales sur chacune des faces du vimāna, que soulignent deux niches plus étroites, et par deux niches sur les murs latéraux du maṇḍapa. Les niches sud et nord du vimāna abritent chacune une statue ; la niche ouest est vide aujourd’hui car la statue qu’elle abritait a été transportée au musée de Madras ; des deux niches du maṇḍapa, celle du mur nord est parée d’une stèle tardive, de dimensions très inférieures à celles de cette niche, représentant un Skanda. Il s’agit d’un replacement récent.
3Un sanctuaire dédié au « grand dieu », mahādeva, c’est-à-dire comme l’indique l’emploi de ce composé d’origine sanskrite à une forme de Śiva, de Tirukkaṭaimuṭi, du « Saint Kaṭaimuṭi », se dressait soit à cet emplacement exact, soit dans des environs très proches, dès le milieu du ixe siècle. C’est alors qu’on grava en effet un jambage de porte et des piliers enregistrant des donations au dieu de Tirukkaṭaimuṭi :
« Salut, Prospérité ! Dans la 18e année de Nandippōttaraiyar qui a guerroyé à Teḷḷāṟu, au grand dieu de Tirukkaṭaimuṭi, pour deux lampes perpétuelles, fut donné de l’or, soixante kaḻañcu… » (inscriptions no 1 et 2).
4Trois d’entre les piliers inscrits gisent à demi-enterrés, non loin de l’angle nord-est de la plate-forme qui précède l’entrée du temple (fig. 2).2 Un quatrième a été réutilisé dans la construction d’un petit temple en briques et stuc, dédié à une déesse, à l’est du site. Ce templion contient également un grand liṅga, celui, peut-être, qui fit l’objet d’un culte dans le cours des ixe et xe siècles dans le sanctuaire du « grand dieu de Tirukkaṭaimuṭi ».
5Sur la photographie « after restoration » publiée par G. Hoekveld-Meijer 1982 (pl. 35) et sur la pl. 175 de l’Encyclopaedia of Temple Architecture [EITA ; M.A. Dhaky 1983a), un ensemble de piliers offrant les mêmes contours que ces piliers gravés mais d’un nombre supérieur a été placé sur une plate-forme constituée à l’est, devant la porte du temple, par le soubassement d’un bâtiment de plus grandes dimensions que le maṇḍapa. Aujourd’hui un certain nombre de ces piliers sont renversés sur la plate-forme.
6Le soubassement de cette plate-forme portait une architecture bâtie en éléments éphémères dont il ne reste aucune trace aujourd’hui. Son profil est différent de celui de la haute base de l’ensemble formé par le vimāna et le maṇḍapa. Ce grand soubassement n’est pratiquement jamais évoqué dans la littérature secondaire, sans doute car il est difficile à placer dans le temps : il ne porte ni inscriptions, ni représentations et les blocs qui le composent sont déplacés par endroits. Dissimulant en partie le soubassement du temple, il constitue une unité architecturale différente de celle que forment le vimāna et le maṇḍapa, unis par la même base où les frises courent de façon continue et où des inscriptions du xe siècle se retrouvent tant sur cette base que sur l’élévation du temple.
7Ce grand soubassement paraît donc constituer un élément plus tardif de l’ensemble et je n’y fais guère référence qu’ici. C’est l’unité architecturale formée par le vimāna et le maṇḍapa que j’appelle dorénavant le Caṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇṭi. S’il s’agit du cœur architectural du site, les piliers gravés d’inscriptions datées en année régnale pallava pour la majorité d’entre elles ne lui appartiennent pas.
8Ces piliers constituent les vestiges les plus anciens du complexe. Rattachés au temple même depuis au moins la fin du xxe siècle où l’on enregistra les inscriptions dont ils sont gravés, ils le sont probablement de façon bien plus ancienne. Le nom du dieu de Tirukkaṭaimuṭi mentionné dans les épigraphes qu’ils portent se retrouve en effet dans les inscriptions des jambages de l’entrée, sur la base et sur les murs du temple adjacent. Mais si la majorité de ces dernières épigraphes utilisent une année régnale cōḻa, les inscriptions des piliers sont, à l’exception d’une d’entre elles se référant à un roi Muttaraiyar, datées en année régnale pallava telle l’inscription no 7 :
« [Salut, Prospérité !], dans la vingt-deuxième année du règne du roi victorieux Nr̥patoṅkavikramavarman… ».
9Si avec le Tiruccaṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇṭi l’on a affaire à l’un des temples les plus anciens bâtis en territoire cōḻa, le territoire du dieu releva donc aussi d’un point de vue « politique » de l’empire des Pallava. Comment dater ce temple ? De quelle sphère culturelle relève-t-il ? Les inscriptions orientent d’abord vers les Pallava et les Cōḻa, dans une période qu’on pense donc transitionnelle entre les uns et les autres, au ixe siècle puis au début du Xe siècle, alors que les Pallava disparaissent et que naît l’empire des Cōḻa. C’est aussi dans cette partie du Cōḻa-maṇḍalam, du territoire traditionnel des Cōḻa, où s’élève encore le temple de Tirucceṉṉampūṇṭi qu’on rencontre ce qui demeure l’un des témoignages les plus anciens de l’art des Pallava, la grotte de Trichy, datée du début du viie siècle. Mais le site jouxte les terres de plusieurs autres dynasties : la frontière nord de l’empire des Pāṇṭiya, adversaires et alliés tant des Pallava que des Cōḻa, est si proche que ce site a pu appartenir à cet empire, au moins à certaines époques. La capitale des Muttaraiyar, dynastie mineure qui fut en contact avec les Pallava, les Cōḻa et les Pāṇṭiya, n’est pour sa part qu’à six km de là et l’inscription no 11 du site est datée en année régnale d’un mystérieux Muttaraiyar : « Salut, Prospérité ! En l’an 13 du règne du Muttaraiyar Iḷaṅkō… ». Enfin, les Paḻuvēṭṭaraiyar apparaissent aussi dans l’épigraphie du temple (inscription no 17). Kīḻaiyūr-Mēlappaḻuvūr, siège de cette dynastie mineure du pays tamoul durant la période cōḻa, est localisé à trente-cinq km environ au nord-ouest du site. À une distance un peu plus importante dans la direction du sud-est se trouve Koṭumpāḷūr, capitale d’une autre dynastie mineure, celle des Irukkuvēḷ.
10Ainsi sa situation géographique constitue d’emblée le site du temple de Tirukkaṭaimuṭi à la croisée de plusieurs domaines, qu’on désigne par le nom des dynasties qui se sont succédé ou rencontrées sur ce même espace. Le singulier isolement du temple ajoute une dimension supplémentaire au caractère exemplaire du site. La confrontation avec ce que l’on considère comme les textes les plus anciens de la bhakti shivaïte tamoule en précise l’étrangeté. Le temple n’apparaît pas en effet aujourd’hui dans les éditions du Tēvāram, cette anthologie d’hymnes shivaïtes composés, pour l’essentiel, en l’honneur d’un Śiva de tel ou tel lieu du pays tamoul et dont la fourchette de datation s’étage entre le viie et le ixe siècle. Les noms du dieu dans les inscriptions, celui plus ancien et plus commun de Tirukkaṭaimuṭi et le plus rare Tiruccaṭaimuṭi, apparaissent cependant tous deux dans le Tēvāram. Dans les éditions actuelles, ils y sont associés à un temple moins ancien, portant peu d’épigraphes et dont on ne sait si la divinité a jamais porté un nom similaire durant la période cōḻa, ou même, avant la constitution des premières éditions imprimées du corpus, au début du xxe siècle. L’on verra (chapitre 4) que le temple de Caṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇṭi est pourtant bien le temple auquel s’adresse l’hymne 1.111 du Tēvāram (annexe I).
11L’abandon du temple est peut-être ancien. Isolé dans la campagne, il ne se situe pas dans la proximité immédiate du village le plus proche, celui de Kōvilaṭi qui comporte plusieurs temples, shivaïtes et vishnouites, présentant un cœur archéologique remontant à la période cōḻa. On ne connaît pas d’autres vestiges archéologiques anciens à moins de quelques kilomètres et le corpus épigraphique du temple correspond à une période d’activité brève. Une inscription du début du xxe siècle atteste d’une restauration achevée en1928 (Report 1975.140) et depuis l’anastylose menée dans les années 1970, le temple a recommencé de tomber en ruines : on constate la rapidité d’un tel processus et l’état des recherches ne permet pas de se prononcer sur la date d’un premier abandon du temple. Peut-être, ainsi que le suggère Leslie C. Orr3, fut-il lié d’une façon très étroite à sa donatrice royale et disparutil peu après celle-ci.
12C’est ainsi que le temple de Tirukkaṭaimuṭi, entre deux périodes majeures du pays tamoul, l’âge pallava et l’ère cōḻa, sur une aire où s’entrecroisent pas moins de six territoires dynastiques, apparaît exemplaire autant que singulier, aux friches de l’art dit cōḻa.
Dieu et divinités du temple
13L’étude présentée dans les chapitres qui suivent est agencée autour des grandes figures divines représentées. Rayonnement du dieu et parcours du dévot, le programme iconographique fait dans tous les cas la part belle à Śiva, comme on pouvait s’y attendre. Il n’en est pas moins bien particulier. Les trois grandes figures des niches marquant le centre des murs du sanctuaire faisaient face à trois directions de l’espace, la porte d’entrée du sanctuaire ouvrant à l’est. Le décor des façades est organisé autour de chacune de ces niches, prenant leur sens dans leur rapport au liṅga en ronde-bosse qu’abritait le sanctuaire. Les figures en très haut-relief des niches sont sculptées en effet pour être appuyées sur un fond et leur disposition dans la structure du temple les offre comme adossées au liṅga dont elles apparaissent ainsi que des émanations figurées. De même que l’on tourne autour du liṅga, l’on tourne autour du temple, en contemplant les dieux de niches coiffées de frontons destinés à être sculptés.
14Quant aux petits bas-reliefs du soubassement qu’emplacement, dimensions et technique de taille en léger bas-relief adoptée signalent comme représentations de moindre importance, certains sont également disposés par rapport aux figures des niches et se comprennent donc aussi par rapport au liṅga. Cependant la succession des panneaux marque un autre type d’organisation symbolique dévotionnelle, disposé selon une horizontale qu’appelle le circuit de la circumambulation du temple. Les deux frises de soubassement où apparaît Viṣṇu constituent l’ensemble iconographique le plus important du temple et c’est par lui que l’on entamera donc l’exploration iconographique. Très présent ce dieu est pourtant peu visible. Des statues des niches, le Brahmā au nord du sanctuaire est le seul élément qu’on peut qualifier de typique d’un temple de l’âge cōḻa. La très grande majorité des temples construits entre le ixe et le xiiie siècle dans le delta de la Kāvēri sont en effet ornés pareillement d’un Brahmā au nord. Les faces nord des temples de la période pallava ne sont pas en revanche ainsi parées, tandis qu’une forme de Śiva occupe la niche nord tant des sanctuaires de Koṭumpāḷūr et de Kīḻaiyūr-Mēlappaḻuvūr, au sud et au nord du site dans des territoires que les inscriptions permettent de définir comme antérieurs ou contemporains du Caṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇṭi.
15Pour ce qui est de Śiva, musicien dans la niche de la face sud, il se faisait ardhanārīśvaramūrti à l’ouest, faisant ainsi honneur à la quatrième figure majeure du temple, la déesse. De tout le programme iconographique de l’âge cōḻa, cet emplacement est celui qui offre le plus de variables. On y voit des Viṣṇu, des Hari-Hara, des Ardhanārīśvara, comme ici et au Nāgeśvara de Kumpakōṇam dont la base s’orne également de séries narratives, des couples formés de Śiva et de Pārvatī et d’autres formes de Śiva4. À partir de la fin du xe siècle, la liṅgodbhavamūrti dont nous verrons qu’elle est apparue et s’est ici placée sur les fondations royales des Pallava, se fait plus commune que les autres formes divines. Elle commande par exemple le programme iconographique du temple de Puḷḷamaṅkai, dans la deuxième moitié du xe siècle (Schmid 2005c, p. 58-71). Le Seigneur à demi-féminin trouve alors parfois une place au nord du temple (à Kōṉērirājapuram et Kuṟṟālam par exemple)5.
16Ardhanārīśvara est souvent représenté dans l’art des Pallava mais l’iconographie musicienne qu’il présente alors est propre aux Pallava. Elle est bien différente de celle qui ornait le temple à Tirukkaṭaimuṭi. La figure musicienne du dieu n’est pas loin cependant : la face sud du sanctuaire abrite un Śiva tenant une vīṇā, debout. Cet emplacement est occupé dans tous les temples de la période pallava puis dans la grande majorité des temples de l’âge cōḻa par un Śiva assis dit « dakṣiṇāmūrti ». Perdurant d’une période à l’autre, d’une dynastie aux autres, ce Śiva assis est d’une grande importance dans le pays tamoul, dont, en outre, il ne s’exporte quasiment pas. À Tirucceṉṉampūṇṭi cette figure typique du pays tamoul ne fut cependant sculptée que sur le fronton situé au-dessus du musicien (fig. 3b). Cette dakṣiṇāmūrti est elle-même surmontée d’un Śiva dansant en ānanda-tāṇḍava. Aucun autre fronton du temple que celui de cette face sud ne présente de figures : les frontons ouest et nord sont à peine ébauchés et très abîmés.
17Cette brève description permet de constater que le schéma iconographique du temple de Tirucceṉṉampūṇṭi ne correspond ni aux programmes des fondations royales Pallava qui l’ont précédé, ni aux modèles les plus courants de la période cōḻa. Peut-on retrouver la logique qui présida à l’organisation des figures ? S’agit-il d’une forme de transition entre deux périodes, d’un schéma qu’oriente une culture propre à une région ? L’exploration détaillée des corpus iconographiques afférents, nécessaire pour tenter de répondre à ces questions, occupe une grande part de cet ouvrage. Il faut pour les comprendre esquisser l’archéologie de la structure qui les porte. Elle recoupe l’historiographie du temple : l’une et l’autre s’éclairent, permettant d’apprécier comment le temple mais aussi le concept d’art cōḻa fut bâti.
Le monument et sa datation : littérature secondaire et corpus in situ
18Les observations de terrain permettent une approche critique de la littérature secondaire. Les auteurs qui mentionnent le temple le font dans un cadre précis. Ils cherchent à définir un art « Cōḻa ». Le Caṭaiyar est considéré comme l’un des représentants les plus anciens de celui-ci. C’est à ce titre qu’il a retenu l’attention.
19Le temple ne comporte pas d’inscription de fondation. Il ne se distingue pas là du tout-venant des temples du delta. La fondation royale de Tanjore elle-même n’est pas pourvue d’une inscription de fondation. Mais cette caractéristique fait naître bien des spéculations sur l’archéologie de ce que l’on peut définir comme des fondations locales étant donné l’implication de la communauté locale dans la vie du temple. La présence du roi y est supposée sur des bases épigraphiques qui résistent à l’analyse bien plus qu’on ne l’a cru.
20Quant à dater le temple, c’est sur sa base qu’ont reposé nombre des réflexions des auteurs dans le domaine de l’histoire de l’art, considérant peut-être l’élévation et le plan de celle-ci comme seuls « originaux », mais se fondant sans doute aussi sur une documentation parfois obsolète, car datant d’une période antérieure aux années 1970, durant lesquelles le temple fut remonté. Ornée d’une série de petits panneaux sculptés, couronnée par une frise d’avant-trains de lions cornus, la haute base du Caṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇṭi est assurément remarquable comme celles de bien d’autres temples du delta6. Pourtant, en définitive, ce sont les inscriptions du Caṭaiyar qui sont utilisées pour dater celui-ci, dans une logique implicite qui prend sa source dans le premier ouvrage paru évoquant le Caṭaiyar, celui de S. R. Balasubrahmanyam. La brève analyse des sources secondaires ici proposée nécessite ainsi d’être complétée par celle du corpus épigraphique du temple qu’on trouve en annexe (IV). Il permet de comprendre les difficultés éprouvées par des auteurs dont on se demande s’ils se sont jamais rendus sur le site et qui ont surtout à cœur de se répondre les uns aux autres.
21Après les deux pages que lui consacra S. R. Balasubrahmanyam (1971 p. 56-58), le temple a été décrit et analysé par Douglas Barrett(1974, p. 70-71), K. V. Soundara Rajan dans son article de 1975 (p. 276-277), Gerda Hoekveld-Meijer (1982, p. 105-106), et enfin par M. A. Dhaky dans l’Encyclopaedia of Temple Architecture (Dhaky 1983a, p. 169). Quelques pages de la thèse de D. Th. Sanford (1974, p. 138-140) portent sur l’une des frises de la base.
22S. R. Balasubrahmanyam (1971) inclut le temple dans un ouvrage sur le premier art cōḻa, où les descriptions de temples se succèdent selon l’ordre chronologique que définit l’auteur. Apparaissant aux pages 56-58, le Caṭaiyar y relève des trente temples de la période de Parāntaka I (907-955), constituant le titre de cette part du livre, où, placé après les temples de Puḷḷamaṅkai, de Tiruvāṭutuṟai et de Tirukkaḻavūr (à l’est du site), le Caṭaiyar est suivi par le sanctuaire de Tirukkaliṭṭattai (situé à soixante-dix km environ au nord-est de Tirucceṉṉampūṇṭi, non loin de Tiruvāṭutuṟai). S. R. Balasubrahmanyam signale les inscriptions plus anciennes datées en année régnale pallava du site, puis des inscriptions dites de Parāntaka I sur les murs du temple actuel, de la 14e à la 37e année de ce roi. L’auteur précise que le temple existait durant l’époque des Pallava. Il fait l’hypothèse d’un premier temple en briques pourvu de piliers, puisque presque toutes les épigraphes de la période pallava, sont gravées sur des piliers. Le temple construit en pierre daterait du règne d’Āditya I (870-907) ou de Parāntaka I (907-955)7. Le Seigneur à demi-féminin retrouvé près du sanctuaire incline S. R. Balasubrahmanyam à penser que le temple serait d’Āditya I, sur la base d’une hypothèse qu’il a faite quant au temple de Tirukkaḻavūr qui comporte une ardhanārīśvaramūrti.
23Dans sa note 14, S. R. Balasubrahmanyam donne une liste des inscriptions retrouvées sur le site. Les inscriptions de la période cōḻa apparaissent en premier. La plupart d’entre elles sont dites de Parāntaka I. La liste des inscriptions de la période pallava est incomplète et imprécise.
24Les informations données par S. R. Balasubrahmanyam se rapportent peu à un travail in situ : le village mentionné se situe plus loin en effet que cet auteur ne le pense (le temple ne peut y être rattaché) ; une seule photo floue, insérée en outre entre plusieurs de celles du site de Tirukkarukāvūr (pl. 52), est publiée. Le seul élément archéologique du site cité est l’ardhanārīśvaramūrti. Il ne s’agit pas d’un élément in situ puisque la statue a été transportée au musée de Madras avant les années 1960, où S. R. Balasubrahmanyam a pu l’examiner.
25Le Caṭaiyar constitue ainsi un exemple de la déformation imposée par le concept d’art cōḻa aux données archéologiques mises en forme dans l’ouvrage de S. R. Balasubrahmanyam. L’auteur donne la primauté à l’épigraphie, d’une part, à un art cōḻa d’essence tamoule, d’autre part8. Le temple relève du corpus des temples du règne de Parāntaka I parce que les murs de la structure actuelle portent des inscriptions datées pour leur majorité en années régnales de ce roi. Alors même que S. R. Balasubrahmanyam mentionne des inscriptions d’époque pallava, il inclut ce temple dans l’art du règne de Parāntaka I, sans pour autant préciser ce qui lui permet de rattacher les inscriptions en question à ce Cōḻa et après avoir supposé un sanctuaire datant d’Āditya I.
26Lorsque D. Barrett (1974) étudie le temple, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, il note que le Caṭaiyar présentait un étage sous son couronnement, que son maṇḍapa est de forme 1b et qu’il s’élevait sur une base de type B6, qu’on ne rencontre ailleurs dans le corpus datant du début de la période cōḻa qu’à Puḷḷamaṅkai. D. Barrettsignale que le Śiva dansant dans la posture dite en ānanda-tāṇḍava du fronton sud est à son sens la première forme connue du genre. Les observations de cet auteur, son système de classification des soubassements des temples, et la présence d’inscriptions « introconvertible » de Parāntaka I, à partir de la 14e année du règne de ce roi, l’amènent à dater le temple des environs de 920. D. Barrett mentionne une seule inscription de la période pallava (de l’an 22 du roi Nr̥patuṅgavarman Pallava) pour dire simplement qu’il n’y a pas à en tenir compte pour dater le temple.
27Le corpus épigraphique de la période pallava est ainsi pratiquement ignoré et balayé du champ scientifique. Les inscriptions attribuées à Parāntaka I par S. R. Balasubrahmanyam sont ici la base de la datation donnée.
28K. V. Soundara Rajan (1975) considère d’abord pour sa part le temple comme un exemple d’une architecture « Muttaraiyar ». On peut conserver ici la capitale car il s’agit clairement pour cet auteur d’un art dynastique, c’est-à-dire placé sous l’étroite dépendance du patronage de la dynastie mineure des Muttaraiyar. L’inscription no 11 du temple datée en année régnale Muttaraiyar constitue à l’évidence la base de cette classification. Il s’agirait pour l’auteur de l’inscription la plus ancienne retrouvée sur le site, où le temple aurait été édifié sous le patronage du Muttaraiyar ici mentionné. Il est en réalité difficile de situer dans le temps l’inscription : on est dépendant des données généalogiques et des surnoms des Muttaraiyar. L’état très lacunaire de la documentation à leur propos ne permet pas de savoir qui est l’Iḷaṅkō Muttaraiyar de l’épigraphe en question9, mais son emplacement sur un pilier où les autres inscriptions sont datées en années régnales pallava ne me paraît pas en faveur de l’hypothèse d’une fondation patronné par un Muttaraiyar fournissant de surcroît simplement la date d’un don fait par une tēvaṉār makaḷ, une « fille divine »10. L’auteur fait de la forme de Śiva de la face sud du sanctuaire un dakṣiṇāmūrti sans plus d’explications puisqu’il donne une simple liste des dieux représentés. Le dieu debout tenant une vīṇa (instrument à cordes) prête cependant à discussion… Enfin, la date la plus ancienne d’un roi Cōḻa serait celle de la dix-huitième année d’Āditya I. Mais aucune inscription aujourd’hui visible ou jamais enregistrée ne correspond à une telle épigraphe. La superstructure est dite faite vraisemblablement de briques et de stuc, mais la base encore visible de celle-ci est bien en pierre.
29En résumé, un certain nombre d’incohérences dans la description amènent à douter de l’analyse proposée. Le patronage Muttaraiyar supposé s’inscrit quant à lui comme une variante de celui d’un art royal Cōḻa, pour proposer celui d’une dynastie mineure. Les temples sont le produit d’une dynastie qui les patronne. Lorsque K. V. Soundara Rajan envisage à nouveau la question d’un art Muttaraiyar dans le volume de l’EITA, publié en 1983 autour de l’art méridional, Tirucceṉṉampūṇṭi a changé de catégorie dynastique : il s’agit alors en effet d’un exemple de l’école des Cōḻa de Tanjore, apparaissant à ce titre dans la section qui leur est consacrée par M. A. Dhaky. D’un ouvrage à l’autre, l’auteur aurait donc modifié sa perspective ? Il ne s’en explique pas. L’utilité de la contribution de K. V. Soundara Rajan tient aussi à ces glissements dans la classification. Ils démontrent à quel point le temple est difficile à ranger dans une catégorie ou une autre. Sans doute faut-il tout d’abord l’examiner réellement… K. V. Soundara Rajan a publié en 1978 un ouvrage portant sur l’art du pays tamoul et du Kerala. Tirucceṉṉampūṇṭi n’y apparaît que dans des listes de temple sans détails. Il s’agit d’un des témoignages de la munificence des derniers Pallava dans un cas, d’un exemple de la phase initiale d’un art de la période Cōḻa dans le second : la perspective de l’auteur ne varie donc pas seulement dans le temps mais d’une page à l’autre d’un même livre11. Il se contredit parfois12. La rapidité des analyses peut être tenue pour responsable d’incohérences qui ne seraient dues qu’à une absence de précision données. Il reste que celle-ci introduit beaucoup de confusion dans la vision qu’on peut avoir du bâtiment.
30Dans son ouvrage presque contemporain de la seconde contribution de K. V. Soundara Rajan qui apparaît dasn le volume de l’EITA consacré à l’architecture sudindienne (1983a et b), G. Hoekveld-Meijer (1982) est l’auteur qui a consacré au Caṭaiyar un peu plus que quelques paragraphes, ou listes, descriptifs. Notons dès l’abord que l’ensemble de l’ouvrage repose sur le concept d’ateliers royaux opérant dans le delta ; les temples sont envisagés dans la perspective d’un art royal des Cōḻa. Ce travail de G. Hoekveld-Meijer est en fait quasi-parallèle à celui mené par l’Archaeological Survey of India qui remonta le temple entre la publication de D. Barrett et celle-ci. L’auteure disposait donc d’un corpus dorénavant plus complet. Même si les références ne sont qu’allusives en dehors des deux pages mentionnées plus haut, ce temple est l’un de ceux auxquels G. Hoekveld-Meijer fait référence le plus souvent dans son ouvrage, à des endroits dispersés. Les discussions techniques basées sur des critères architecturaux reprennent en le complexifiant le système proposé par D. Barrett. La base et l’élévation sont l’objet d’analyses minutieuses à partir desquelles l’auteure opère un classement. Puis en fonction de cette classification, G. Hoekveld-Meijer donne une évolution chronologique de l’art Cōḻa, datant entre autres le Caṭaiyar en se basant sur des éléments nouveaux ou non, sur des comparaisons avec d’autres temples et sur l’insertion dans tel ou tel réseau architectural.
31Sur le modèle qu’avait posé D. Barrett, la base du Caṭaiyar est ainsi l’objet de nombreuses observations et analyses de G. Hoekveld-Meijer (p. 105-106)13. L’auteure rappelle qu’elle est formée d’une moulure dite kapota, surmontée d’une autre dite kumuda qui supporte une frise de ces lions cornus (léogryphes) qu’on rencontre souvent sur les bases des temples dès les Pallava. Le profil d’une base additionnant kumuda et léogryphes est commun sur les temples pallava. On l’observe aussi sur le temple d’âge cōḻa de Śrīnivācanallūr, que G. Hoekveld-Meijer (1982, p. 56) qualifie d’idiome Pallava méridional. La succession verticale de trois éléments, kapota, kumuda et léogryphes se rencontre seulement à Puḷḷamaṅkai et à Tirucceṉṉampūṇṭi (1982, p. 203). Il s’agirait d’une variante de l’héritage pallava, introduite à Tirucceṉṉampūṇṭi14.
32L’auteure constitue ainsi le Caṭaiyar comme participant d’un groupe de douze temples à trois niches à images sur les murs sud et nord du temple (1982, p. 101)15. Les niches se seraient multipliées dans le temps sous l’influence de programmes iconographiques de plus en plus ambitieux. Le Caṭaiyar – base et élévation – daterait quant à lui de la fin du ixe siècle. G. Hoekveld-Meijer discute alors l’épigraphie du temple qui ne remonte pas, écrit-elle au-delà de 920, soit la date posée par D. Barrett. Celle-ci crée une difficulté car les trois niches du temple forment une exception à la règle que l’auteure voudrait appliquer aux temples du groupe, plus récent, qu’elle a constitué (1982, p. 103). Ajoutons ici que les niches de ce sanctuaire ne sont peut-être pas toutes des niches à images car les niches du maṇḍapa sont bien différentes de celles du vimāna : elles sont moins hautes et moins larges, et aucun fronton ne paraît avoir été prévu pour elles. On voit mal comment la niche sud pourrait avoir abrité le ventre rebondi d’un de ces Gaṇeśa que l’on observe sur les temples du territoire exposant les statues des niches sud du maṇḍapa. Le temple de Puḷḷamaṅkai fournit un exemple de niches proprement décoratives, qu’on pourrait aussi avoir conçues à Tirucceṉṉampūṇṭi où aucune image susceptible d’orner ces étroites niches du maṇḍapa n’a été retrouvée16. Il reste que le Caṭaiyar offre à l’œil une base d’un type qu’on pourrait qualifier d’« archaïque », car proche encore des temples pallava17 dont la construction s’arrêta dans le cours du ixe siècle. Cet archaïsme s’inscrit dans la vision d’un art de la période cōḻa cependant et on peut tout autant considérer le profil de cette base comme une nouveauté de la fin de l’âge pallava, utilisant les acquis de celui-ci…
33En réalité, il ne me semble pas que les éléments de la base permettent d’asseoir des datations fines des temples. Les discussions complexes portant sur la disposition des moulures des bases dans les ouvrages de D. Barrettet de G. Hoekveld-Meijer en font douter : les auteurs parviennent à des conclusions différentes en partant des mêmes corpus et de prémisses scientifiques similaires. De plus, les bases peuvent être, et cela de l’avis de D. Barrettlui-même à certains endroits de son ouvrage, d’une date très différente de celle de l’élévation du temple. On touche à l’une des difficultés majeures de l’établissement de la chronologie des temples du Tamil Nadu à partir du ixe siècle. La construction de ces temples pouvait en fait s’étaler sur des décennies. Le caractère moderne de nombre de couronnement posés aujourd’hui sur une élévation assurément de date cōḻa est un constant rappel d’un phénomène bien attesté et auquel tous ces auteurs font quant à eux allusion lorsqu’ils évoquent la reconstruction en pierre de temples faits de briques. Les inscriptions elles-mêmes étaient parfois recopiées, selon un processus bien documenté dans certaines épigraphes. En outre, les remplois d’éléments inscrits sont communs. Tout élément en pierre est donc susceptible de demeurer, d’être réutilisé, etc.18.
34D’autre part, l’on peut suivre sans hésitation G. Hoekveld-Meijer (1982, p. 105) lorsqu’elle pose que des inscriptions gravées sur le temple après 920 n’empêchent pas d’envisager une date antérieure, vers la fin du ixe siècle. Il s’agit là d’une autre difficulté en effet. Un bâtiment est nécessairement antérieur aux inscriptions qu’on y a gravées. Mais l’intervalle de temps entre la mise en place du support d’une épigraphe et la gravure de celle-ci est difficile à évaluer lorsque, comme ici, aucune des inscriptions n’évoque la fondation du temple. C’est sur un tel intervalle que jouent les auteurs mais sans prêter attention aux supports ni au contenu des inscriptions
35Mais en réalité la date de 920 que G. Hoekveld-Meijer considère est simplement celle qu’avait avancée D. Barrett. Et celle-ci ne paraît pas tant motivée par l’analyse fine de certains éléments du corpus architectural et épigraphique que par la critique sous-jacente de l’ouvrage de S. R. Balasubrahmanyam… D. Barretta simplement repris les hypothèses de S. R. Balasubrahmanyam, ou plutôt a discuté le travail de celui-ci mais sans vérifier lui-même les sources, épigraphiques pour l’essentiel, sur lesquelles S. R. Balasubrahmanyam s’appuyait. Ni D. Barrett, ni G. Hoekveld-Meijer n’ont un accès de première main aux inscriptions et leur dépendance vis-à-vis de l’ouvrage de S. R. Balasubrahmanyam n’en est que plus grande, même s’ils le discutent sans toujours le citer19. Bien d’autres épigraphes dont certaines assurément antérieures ont été gravées sur le site que celle que S. R. Balasubrahmanyam estime dater de 920. L’ensemble des discussions est en l’occurrence entièrement faussé par l’assise artificielle que constituèrent des auteurs qui ne prennent pas en compte l’entièreté de l’exposé de S. R. Balasubrahmanyam – lui-même partial dans sa présentation des données. On constate aussi que l’évaluation de l’histoire du temple est gênée par l’importance donnée à un art royal, seul susceptible de produire des temples aux yeux de G. Hoekveld-Meijer. Elle conduit cette auteure à supposer des schémas directionnels dans la dissémination des temples. Leur fondation se fait par rapport à des épicentres, déterminant des régions artistiques. Tanjore, devenue rapidement une capitale pour les Cōḻa, est l’épicentre majeur.
36On retrouve ici une conception centralisée de la production artistique. Les ateliers royaux se seraient éventuellement succédé sur un même site, chaque roi cherchant à effacer les traces de ses prédécesseurs. Les temples sont la marque qu’imprime le roi sur ce qui est son royaume. Le travail in situ livre une réalité archéologique plus complexe.
37La contribution publiée par M. A. Dhaky (1983a) dans l’EITA pourrait apparaître plus originale. Elle n’est pas cependant argumentée et il faut non seulement reconstituer mais corriger le travail sous-jacent que l’auteur mena sur le corpus épigraphique20. Ses remarques sur l’architecture semblent par ailleurs recopiées sur celles de D. Barrett (la comparaison avec le temple de Puḷḷamaṅkai revient là encore), tout en demeurant plus descriptive. Reprenant en effet sans doute lui aussi simplement l’hypothèse de S. R. Balasubrahmanyam mais sans la compléter ou la discuter, M. A. Dhaky (1983a, p. 169) pense à un temple en briques reconstruit en pierre, sous le règne de Parāntaka I, en 920-921 environ. C’est dans ce même volume dont M. A. Dhaky est le coordinateur scientifique que paraît la contribution de K. V. Soundara Rajan sur une architecture Muttaraiyar dont le temple de Tirucceṉṉampūṇṭi était l’un des modèles quelques années plus tôt, et dont il n’est plus ici question.
38Mais après l’unique photographie, floue, de S. R. Balasubrahmanyam 1971 (fig. 52) et l’absence d’illustration dans D. Barrett1974, M. A. Dhaky publie plusieurs photographies où apparaît le temple remonté grâce au travail de l’ASI. Dans l’article de Padma Kaimal de 1996, le Caṭaiyar fait ensuite partie des temples de référence d’un art dit cōḻa. Il apparaît sur la carte (fig. 2) de cette auteure avec les sites de Tiruveṟumpūr et de Puñcai comme l’un des trois sites typiques du premier art cōḻa où l’on ne peut mettre en évidence aucun patronage royal.
39Il est possible que le travail de l’ASI ait joué un rôle important dans l’établissement de la renommée du temple dans les dernières années du xxe siècle ; elle est en tout cas concomittante de celui-ci. Les particularités du corpus épigraphique du Caṭaiyar ont pu motiver en partie un travail d’anastylose rendu plus facile par l’abandon cultuel du sanctuaire : les épigraphistes ont souligné l’intérêt présenté par les inscriptions dès le début du xxe siècle et c’est sur le corpus épigraphique que repose la première description du temple, celle de S. R. Balasubrahmanyam en 1971 qui comme à son habitude s’attache surtout aux données épigraphiques et interprète celles-ci dans la perspective d’un art dynastique qui est la sienne. Les frises décorant le soubassement du temple ont aussi pu jouer un rôle dans l’intérêt restreint qu’il suscita. L’une d’elles est en effet inspirée par le récit du Rāmāyaṇa qui attire toujours l’attention des chercheurs, ne serait-ce que parce qu’un tel corpus permet une étude croisée des sculptures et des textes, comme celle de D. Th. Sanford (1974). Les autres représentations du temple n’ont guère suscité d’intérêt malgré leur grande qualité et peut-être parce que le Śiva musicien de la face sud est endommagé tandis que l’emblématique ardhanarīśvaramūrti avait été retirée du sanctuaire.
40Cette première présentation du temple montre l’importance du corpus épigraphique pour l’archéologie de l’âge cōḻa. On demeure parfois perplexe face à la place prise par les inscriptions dans une littérature secondaire dont les auteurs, pour leur majorité – cf. D. Barrett, G. Hoekveld-Meijer, D. Th. Sanford – ne lisent pas le tamoul et ne semblent pas toujours considérer le détail de ce qui a été publié à leur sujet21. Tous les ouvrages postérieurs à celui que publia S. R. Balasubrahmanyam en 1971 s’appuient, peu ou prou, sur celui-ci. Or la vision dynastique de l’art de la période cōḻa sur laquelle S. R. Balasubrahmanyam assoit ses travaux l’a conduit à présenter dans un ordre chronologique ces temples qu’il semble impossible de dater à moins d’études très précises au cas par cas – un travail qui nécessite de rassembler tout d’abord le matériel afférent et dont l’analyse demeure difficile étant donné la variété des constituants de cet ensemble. Les listes de critères établis par D. Barrettet G. Hoekveld-Meijer sont longues et précises, mais aboutissent souvent à constater des archaismes, des exemples exceptionnels… K. V. Soundara Rajan et M. A. Dhaky font, quant à eux, osciller le site entre plusieurs corpus au gré d’une fantaisie épigraphique parfois déroutante. Enfin, on retrouve dans la perspective d’un art royal qui anime les œuvres de tous ces auteurs le modèle pyramidal prôné par B. Stein à partir des études épigraphiques. B. Stein (1999 [1980], p. 324) fait des temples royaux de Tanjore et de Gaṅgaikoṇṭacōḻapuram le couronnement de la pyramide épigraphique qu’il bâtit. Une fois élevé, le Rājarājeśvara de Tanjore constitue un prototype (Ibid. p. 327). G. Hoekveld-Meijer évoquant le triangle de la tour-sanctuaire de Ga ?gaiko ? ?acōḻapuram sur l’horizon reprend ce modèle. Les temples royaux sont alors constitués en pyramides de granite qui donnent corps à la théorie de B. Stein pour ordonner une production artistique dans laquelle on distingue un schéma directionnel.
41Mon approche, de type monographique, est différente. Dater le temple est une gageure à laquelle j’ai été sans cesse confrontée mais parce que j’ai cherché à le replacer dans la trame sociale et dévotionnelle à laquelle il appartenait et dont il porte ainsi témoignage. La question de la date du temple n’est pas secondaire mais je la comprends dans une autre perspective : l’élaboration du temple s’inscrit dans un temps long ; une date précise, donnée par une inscription, ne concerne pas l’ensemble des vestiges. Valables pour la plupart des temples du delta de la Kāvēri de tels constats sont d’autant plus importants à Tirucceṉṉampūṇṭi qu’on se trouve dans un site abandonné dont le sanctuaire est inachevé et la période d’activité fut, si l’on en croit l’épigraphie, assez brève. Dater le temple revient à établir une chronologie relative des vestiges disponibles, puis à tenter de situer cette échelle dans une chronologie absolue. Quant au modèle royal, il ne cesse d’être remis en cause par les données in situ.
42Enfin, d’une certaine façon, le travail de terrain corrobore l’importance du corpus épigraphique : le nombre, la disposition, la surface qu’on réserve aux inscriptions sur le temple viennent à l’appui d’études qui les considèrent autant. Ce corpus me paraît d’autant moins devoir se détacher du temple qui le porte, ou l’a porté. C’est pourquoi j’ai voulu commencer par une présentation physique du complexe.
43Il est temps maintenant d’en présenter les inscriptions.
Le corpus épigraphique
44L’édition du corpus de Tirucceṉṉampūṇṭi a été préparée pour l’essentiel à partir de l’édition antérieure partielle de South Indian Inscriptions [SII] de lectures in situ et de photographies. J’ai consulté le Dr. G. Vijayavenugopal sur de nombreux points. On trouvera dans l’annexe IV les inscriptions (texte et traduction) présentées dans un ordre chronologique plausible, accompagnées de l’indication de leur emplacement et des références bibliographiques, ainsi que de quelques autres notations. J’y fais référence dans le corps de cet ouvrage en utilisant les numéros que j’ai attribués aux inscriptions. Ainsi l’inscription no 1 est-elle celle qui se trouve en première position dans ce corpus.
45Les traductions présentées sont imparfaites : la langue technique est souvent difficile ; respecter l’ordre des mots en tamoul s’avère parfois impossible ; nombre de conventions syntaxiques sont inhabituelles ; certains termes n’apparaissent dans aucun dictionnaire et ne sont pas compris ; d’autres ont donné lieu à des débats divers ; les inscriptions sont parfois inachevées ou endommagées, etc. Le contenu lui-même est intéressant à bien des égards (cultes, onomastique, géographie des lieux, économie de la région, etc.) mais les listes de mesures de terre ne sont pas toujours compréhensibles. Enfin j’ai ordonné ces inscriptions selon la chronologie qui m’en paraît la plus probable. Mais si le doute demeure souvent quant aux dates absolues à donner aux épigraphes, l’ordre relatif lui-même ici adopté est hypothétique, ne serait-ce que parce que le chiffre de l’année régnale manque parfois.
46Pour ce qui concerne la présentation du texte de ces inscriptions, j’ai utilisé les conventions suivantes : [x] pour une restitution de signes qu’on ne lit plus mais qui paraît certaine, (x) pour des signes qu’on lit mal sur la pierre. Le [x*] utilisé dans les SII pour une restitution de signes dont on ne peut être certain qu’ils ont été gravés mais qui sont nécessaires au sens est peu utilisée ici car le choix a été fait de normaliser le moins possible les textes. Un double crochet droit apparaît parfois ([[x]]]). Il indique la reprise d’une conjecture, donnée en tant que telle, dans une publication antérieure. Les conventions propres à chaque inscription sont parfois précisées dans les remarques qui les précèdent car les conditions d’édition sont variées à l’extrême (elles peuvent même varier à l’intérieur d’une même inscription).
47Par ailleurs, aucune solution de présentation du texte ne paraît satisfaisante si l’on fait, comme ici, le choix de la translittération qui est une forme d’édition. Présenter les akṣara en continu tels qu’ils sont sur la pierre (lorsqu’ils y sont encore aujourd’hui) ? Le texte se présente alors comme illisible ; on n’évite pas le problème des voyelles qu’on supplée ou non ; les saṃdhi ne sont pas toujours grammaticaux, etc. Signaler ou non les phénomènes de saṃdhi, dont l’élision finale des u ? Rétablir les longueurs des voyelles qui ne sont pas notées ? La solution adoptée est hybride : sont notées les coupures de mots signalées dans les épigraphes ; sont séparés deux termes lorsque, outre l’unité grammaticale reconnaissable, d’une part, aucun phénomène de saṃdhi n’est noté, que, d’autre part, aucun phénomène de suffixation ne paraît impliqué et, enfin, qu’un procédé de composition éventuel ne semble pas ainsi brouillé. On a conservé partiellement les termes en composition sans hacher les termes lorsqu’il s’agit de toponymes : ainsi le nom de lieu dans l’expression tirukkaṭaimuṭimahādeva, « le grand dieu de Tirukkaṭaimuṭi » est-il présenté sans toutes les coupures possibles. Mais on pourrait bien entendu présenter tirukka-ṭaimuṭimahādeva, ou tiru-k-kaṭaimuṭi mahādeva, pour souligner le phénomène de saṃdhi entre le préfixe tiru et le terme kaṭaimuṭi, lui-même sans doute un composé formé de kaṭai et de muṭi. tiru-k-kaṭai-muṭi-mahā-deva est une autre option possible, signalant les procédés de composition utilisés, de façon certaine pour le composé d’origine sanskrite mahā-deva, et probablement dans le cas de kaṭai-muṭi.
48En réalité ne pas couper le mot permet parfois de ne pas prendre parti dans une analyse qu’il ne me semble pas possible de mener ou qui ne me paraît pas aboutir à des conclusions certaines : kaṭaimuṭi peut se décomposer en kaṭai et muṭi. Mais peut-être s’agit-il aussi d’un terme n’impliquant pas de composition. De même pour ce qui concerne les noms propres, plusieurs césures sont souvent possibles.
49Ainsi si j’ai cherché à rendre le texte plus compréhensible, nombre de choix sont arbitraires. Seuls des fac-similés ou des photos peuvent réellement donner accès à ces inscriptions. Les épigraphes varient dans leur présentation des termes, parfois d’une ligne à l’autre et adopter un système entièrement cohérent s’est avéré impossible. Quant à l’écriture, les caractères grantha sont simplement translittérés lorsqu’il n’y a pas d’ambiguïté possible. Un d, un s, un h ne peuvent être que de la grantha par exemple. Mais certains caractères, comme t, k, u, ū, sont les mêmes dans les deux alphabets, grantha et tamoul. Ils correspondent à la même translittération ici. Une telle option souligne la difficulté à distinguer dans les épigraphes si on utilisa un alphabet tamoul ou grantha. Dans une région où existait alors une autre écriture qui n’est pas utilisée à Tirucceṉṉampūṇṭi, la vaṭṭeḻuttu, ces alphabets qu’une vision rétrospective peut qualifier d’hybrides sont l’une des caractéristiques les plus intéressantes de ce temple des ixe-xe siècles en effet. Ils se situent entre le monde des Pallava qui s’exprimèrent dans un sanskrit écrit en grantha, mais aussi dans des versions particulières d’alphabets nord-indiens, et dans un tamoul gravé dans un alphabet toujours utilisé aujourd’hui et qu’on retrouve communément dans les épigraphes en tamoul de l’âge cōḻa. Le caractère perméable des cultures « sanskrite » et « tamoule » est ici particulièrement perceptible.
50Enfin, on rencontre des symboles numériques dans ces inscriptions. Ils ne sont pas toujours lisibles. Ils sont notés par un S dans le cas d’une lecture incertaine et par le chiffre arabe correspondant lorsqu’ils ont été déchiffrés.
Les inscriptions de Tirucceṉṉampūṇṭi : publication
51Des inscriptions provenant du site de Tirucceṉṉampūṇṭi apparaissent pour la première fois dans l’un des premiers Reports publiés, celui de l’année 1901. Elles constituent là un ensemble de 21 inscriptions portant les numéros 282 à 303 et sont commentées à la p. 5 (§ 10). Elles connaissent une première publication en 1932, dans le volume 7 de South Indian Inscriptions [SII], qui édite alors 27 et non pas 21 épigraphes : certaines des inscriptions recopiées en 1901 se trouvent sur des piliers de section quadrangulaire à leur base et à leur sommet, et octogonaux en leur milieu, comportant des inscriptions différentes sur différentes faces ; d’autres inscriptions avaient été recopiées l’une à la suite de l’autre comme une seule inscription. Ces dernières sont distinguées à partir de lettres dans SII 7. L’inscription « 303 » de 1901 correspond ainsi à cinq inscriptions différentes dans SII 7, l’une répartie sur deux piliers, deux autres se trouvant sur une autre face de ces mêmes piliers et, enfin, deux autres sur un pilier différent : 303A, 303B, 303 C, etc.
52Mais de fait, il faut considérer que seules 26 inscriptions furent enregistrées en 1901 puis publiées : le même texte se voit attribué deux numéros, 504 et 514, dans SII 7. Il s’agit bien d’inscriptions exactement semblables, y compris dans les akṣara peu lisibles. Sur place, je n’ai pas retrouvé SII 7.504, censée avoir été gravée sur le mur nord du maṇḍapa : une erreur s’est glissée là lors de l’édition qui a créé un doublon factice.
53Puis, en 1975, le Report fait état de plusieurs inscriptions en provenance du site. Il s’agit, entre autres, de l’ensemble des inscriptions gravées sur le mur ouest, datées en années régnales de rois Cōḻa (mais le chiffre de l’année a disparu dans les trois cas), qui n’apparaissent pas dans les ouvrages précédents (ARE 1975.134-140). Elles sont publiées ici pour la première fois (inscriptions no 30-32).
54Deux autres épigraphes de ce Report de 1975 étaient déjà connues. L’une d’elles, datée du règne du Pallava Nr̥patuṅgavarman, a été gravée sur une dalle qui gît aujourd’hui un peu à l’écart du temple. Elle avait été signalée dans Indian Archaeology 1970-1971 et apparaît dans Mahalingam 1988 (no 334). Le texte en est aussi publié ici pour la première fois (no 12). Une deuxième inscription avait été publiée dans SII 7 mais le Report de 1975 fait état d’une suite. In situ, on a bien cette impression, même si le texte fait difficilement sens (no 17). Cette deuxième part de l’inscription consiste en limites de terres, modalités de dons et noms de personnes qui y sont impliquées, sans qu’un lien clair apparaisse avec la première partie de l’inscription. Peut-être est-ce la raison pour laquelle elle avait d’abord été laissée de côté. Le texte en question est ici publié pour la première fois.
55Enfin, l’une des inscriptions de ce Report de 1975 est restée introuvable malgré son importance. Épigraphe gravée sur une « loose slab », elle a été publiée par D. Dayalan (2005). Le texte (contenu et présentation physique) en est très semblable à celui de la plus ancienne des inscriptions du site, gravée sur le jambage droit de la porte d’entrée du temple. S’agit-il d’une copie de cette inscription ? D’un brouillon ? N’ayant pas retrouvé l’épigraphe, il n’est pas possible d’avancer plus avant sur le chemin des hypothèses – sans compter qu’il n’est pas possible d’exclure une erreur lors de l’enregistrement des inscriptions.
56Le corpus épigraphique ici présenté compte ainsi trente-deux inscriptions : pour ce qui concerne l’épigraphe demeurée introuvable, je renvoie à la publication de D. Dayalan. Considérant sa grande ressemblance avec l’inscription no 2 du corpus et son caractère moins soigné qui me paraît correspondre à une inscription comme celles que portent les piliers retrouvés aux alentours du temple, elle porte ici le no 1.
Les inscriptions de la période pallava
57Aujourd’hui que le temple a été en partie reconstruit par l’Archaeological Survey of India, mais que les piliers inscrits qui appartenaient peut-être à un maṇḍapa qu’une simple base signale dorénavant, sont dispersés aux alentours du temple, il n’est pas facile de retrouver toutes les inscriptions publiées ou non et le travail des épigraphistes du début du xxe siècle apparaît d’autant plus précieux.
58L’introduction au Report de 1901 signalait déjà (p. 5) l’importance d’épigraphes dont certaines datent de la fin de la période pallava, tandis que d’autres sont datées dans le règne de Nr̥patuṅgavarman, considéré comme représentant une dynastie dont on sait depuis qu’elle est fantôme, les « Gaṅga-Pallava ». L’enregistrement ancien de ces inscriptions pourrait signifier l’importance qu’on leur attribuait, peut-être à cause de ces Gaṅga-Pallava, et certainement parce que plusieurs dynasties différentes apparaissent dans la courte période où le temple fut inscrit22 : rois Pallava et Cōḻa mais aussi un roi Muttaraiyar sont ici mentionnés.
59Huit inscriptions sont datées en années régnales de Pallava. Six d’entre elles sont gravées sur les piliers (no 3-8), une sur un piédroit (no 1), une sur ce qui était peut-être une dalle de plafond (no 12). Je ne sais pas à quoi ressemble le support de l’une d’entre elles (no 2). Les piliers comportent par ailleurs quatre autres inscriptions dont la date manque mais qu’on suppose du cours du ixe siècle parce qu’elles se trouvent sur ces piliers comportant des épigraphes datées en années régnales d’un Pallava (no 3, 4, 9 et 10). Enfin, l’une des inscriptions des piliers porte une date en année régnale d’un Muttaraiyar (no 11).
60Pour ce qui concerne la chronologie absolue, les dates des rois Cōḻa sont à peu près établies. La date de l’inscription en année régnale d’un Muttaraiyar est en revanche impossible à préciser dans l’état actuel des recherches – ce sont les éléments matériels de l’épigraphe elle-même qui sont les plus utiles (pilier, paléographie, voisinage d’autres inscriptions). Les inscriptions de la période pallava concernent les règnes de Nandivarman III et de Nr̥patuṅgavarman. Les dates des Pallava ne reposant sur aucun élément précis fiable, les variations des dates absolues des règnes peuvent atteindre cinquante années d’un auteur à un autre. À l’une des extrémités de ce spectre chronologique, Nandivarman III régna entre 821 et 844 et à l’autre, entre 847 et 872 (cf. le tableau de concordance donné par C. R. Srinivasan, 1979, p. 25, qui ne recense pas moins de sept autres hypothèses différentes de datation s’inscrivant entre ces deux propositions). On peut simplement considérer comme certain que ce roi a été actif entre 850 et 860 (Francis 2009, p. 646). Toute une série de dates est également proposée pour Nr̥patuṅgavarman. Il fut en tout cas actif entre 860 et 870 (Francis 2009, p. 646). D’autre part Nandivarman III aurait régné pendant 25 ans et Nr̥patuṅgavarman pendant 41 ans, dans la deuxième moitié du ixe siècle pour l’essentiel. Le règne de ce Pallava-là est en partie parallèle à celui de deux autres Pallava, Kampavarman, qui aurait régné 32 ans, et Aparājitavarman, qui eut un règne plus court, de 18 ans peut-être. Ces trois rois dominèrent le sud du Tonṭaimaṇṭalam. Selon les tablettes cōḻa de Karanṭai, l’un deux fut vaincu par Parāntaka I Cōḻa. Mais les démêlés avec les Cōḻa avaient commencé dès le règne du fondateur de cette dynastie, Vijayālaya, qu’on fait remonter au milieu du ixe siècle.
61Notons enfin que le Pallava Nr̥patuṅgavarman fit graver les tablettes de Bāhūr (Vākūr), village relevant aujourd’hui du territoire de Pondichéry : il semble ainsi que son royaume s’étendait au moins de Bahūr à Tirucceṉṉampūṇṭi.
Les inscriptions datées en année régnale cōḻa
62Les inscriptions qui suivent celles des Pallava d’un point de vue chronologique sont généralement supposées être du Cōḻa Parāntaka I. Une telle identification peut s’appuyer sur plusieurs critères. Il faut les préciser. En effet si ce roi Cōḻa eut un règne fort long et si les inscriptions qu’on attribue à son règne sont nombreuses, les critères d’une telle attribution sont rarement donnés. Or celle-ci prend à Tirucceṉṉampūṇṭi un relief particulier, comme nous allons le voir. Les critères sur lesquels je me suis appuyée sont de plusieurs types. Ils mettent en valeur la difficulté à dater le bâti de pierre du site.
63Dès l’abord, la paléographie de ces inscriptions datées en années régnales cōḻa paraît ancienne : les lettres sont bien dessinées, soigneusement, et bien détachées les unes des autres. Elles ne sont ni très petites, ni très grandes et présentent une grande régularité dans leurs dimensions et dans l’alignement. Le n dental apparaît sous forme d’une boucle assez visible lorsqu’il est combiné avec un autre caractère23. Une certaine rondeur enveloppe l’ensemble des caractères, qu’on retrouve dans l’ensemble du xe siècle. Mais toute datation basée sur la paléographie comporte une marge d’erreur très importante étant donné l’absence d’étude paléographique d’ensemble. Le lapicide peut aussi avoir un style propre, la région avoir élaboré des modèles particuliers, etc.
64Les critères historiques que constituent les types des inscriptions auxquelles on a affaire sont plus solides. Aucune des épigraphes du site datées en années régnales cōḻa n’est préfacée par un éloge royal. Or ceux-ci apparaissent après le règne de Parāntaka I, à la fin du xe siècle avec Rājarāja I. Ensuite, les années régnales sont ici celles de « Parakeśarivarman », qui est le surnom royal de Vijayālaya I et de Parāntaka I24. S’ils partagent un tel surnom avec nombre d’autres Cōḻa, puisque, d’après les tablettes des Cōḻa, les souverains de la dynastie le portent en alternance avec celui de Rājakeśarivarman, le Parakeśarivarman des inscriptions 14 à 28 de Tirucceṉṉampūṇṭi paraît néanmoins pouvoir être identifié comme Parāntaka I grâce à la périphrase matirai koṇṭa, « celui qui prit [la ville de] Maturai », précédant la mention du surnom royal. Il s’agit en effet d’une sorte d’embryon d’éloge royal en soi, que Parāntaka I est seul à porter parmi les souverains surnommés Parakeśarivarman25.
65Il reste que certains de ces critères ne peuvent pas être utilisés pour l’inscription gravée sur le piédroit gauche du temple (no 13), ni pour l’une de celles qui fut gravée sur le mur sud du maṇḍapa (no 14). La deuxième année de règne donnée dans ces deux inscriptions est celle d’un simple kōpparakeśari, qui n’est accompagné d’aucun proto-meykkīrtti. Le nombre donné pour l’année régnale n’aide guère : tous les rois Cōḻa surnommés parakeśari peuvent être concernés. On peut ainsi songer à Vijayālaya I, dont le règne approximatif s’étend de 850 à 871 et qui n’a pas de proto meykkīrtti avant la troisième année de son règne. Mais l’embryon de meykkīrtti de Parāntaka I n’apparaît pas non plus avant la troisième année de son règne et les deux épigraphes peuvent donc aussi avoir été gravées alors que régnait Parāntaka I. Les emplacements, celui de l’inscription no 13, face au piédroit inscrit sous l’autorité d’un roi Pallava, et celui de l’épigraphe 14 sur l’élévation du mur sud du maṇḍapa, n’infirment ni ne confirment aucune hypothèse. Si l’inscription no 13 ornant le piédroit gauche de l’entrée du temple fut gravée durant le règne de Vijayālaya, elle serait quasi contemporaine de celle du piédroit droit (no 1) car datant de 852 (l’inscription du piédroit droit date de 853 si l’on adopte une chronologie pallava basse). Si elle date du règne de Parāntaka I, elle serait de 909. Plus de cinquante années séparent donc les deux dates possibles… S. R. Balasubrahmanyam ne discute aucune des deux épigraphes. Il considère simplement qu’aucune inscription antérieure à une quatorzième année de règne ne se réfère à Parāntaka I (1971, p. 57-58, note 15). Les seules inscriptions no 13 et 14 de notre corpus sont ici concernées26. Chacune de ces inscriptions peut, en outre, être attribuée à chacun des deux Cōḻa, Parāntaka I et Vijayālaya.
66Ajoutons que dans ce cas difficile la paléographie ne permet pas de trancher, même si l’allure générale des deux épigraphes no 2 et 13 qui se font face est distincte. Certes l’inscription pallava utilise plus de termes d’origine sanskrite et donc de lettres grantha ; mais elle est aussi plus souple et les espaces entre les akṣara un peu plus importants. L’épigraphe cōḻa quoique très élégante semble raide face à celle-ci ; elle est plus anguleuse et le nombre d’akṣara inscrits par ligne plus irrégulier. L’inscription pallava reflète ainsi à mon sens une maîtrise de l’écrit, qui est moindre dans le cas de l’épigraphe cōḻa, ce qui incline à ne pas les considérer comme presque contemporaines. Cependant la paléographie des deux inscriptions no 13 et 14, qui pourraient donc être datées en années régnales d’un même roi, est également distincte27. Or si on considère que l’écriture de l’inscription no 13 est plus archaïque que celle de l’inscription no 14, on est ramené à l’hypothèse d’une inscription de Vijayālaya I pour l’inscription no 13 et de Parāntaka I pour l’inscription no 14.
67Ces deux inscriptions no 13 et 14 datées en années régnales cōḻa seraient-elles contemporaines de la fin de la période où l’on a gravé des épigraphes datées en années régnales des Pallava ? Ou seulement celle du piédroit ? Vijayālaya I est originaire de la région d’Uṟaiyūr, qui ne se situe qu’à une douzaine de kms au sud-est de Tirucceṉṉampūṇṭi. L’inscription no 13 a pu avoir été placée comme une réponse à celle de Nandivarman III Pallava, qui est l’une des premières épigraphes du site (inscription no 2)… Enfin, les inscriptions 3 et 4 sont le fait d’une donatrice royale pallava qui apparaît aussi sur le site proche de Niyamam, mais là, cette donatrice date non seulement en année régnale cōḻa mais dans le règne d’un rājakeśarivarman, qui serait Āditya I. De telles inscriptions donnent corps à l’hypothèse d’un temple qu’on a commencé au moins de bâtir sous le règne de Vijayālaya I, prédécesseur d’Āditya I et fondateur de la lignée des Cōḻa.
Inscriptions et littérature secondaire
68Dans tous les cas, les inscriptions du piédroit sont les plus anciennes du corpus qui soient gravées sur le temple lui-même. L’une d’entre elles au moins est bien antérieure à la date de 920 discutée pour le temple dans la littérature secondaire.
69Pourquoi D. Barrett, que suivent G. Hoekveld-Meijer puis K. V. Soundara Rajan et M. A. Dhaky, passe-t-il ces inscriptions sous silence ? L’emplacement des inscriptions des piédroits peut être tenu pour responsable de leur mise à l’écart. Certes il ne s’agit pas de remplois : les piédroits sont de mêmes dimensions ; ils correspondent parfaitement à leur fonction actuelle et ils étaient en place lors des premières visites des épigraphistes en 1901 ; les deux inscriptions se répondent d’un point de vue visuel. Mais on peut supposer que le cadre de pierre des piédroits est antérieur à l’ensemble de l’élévation en pierre du temple qui porte des inscriptions plus tardives, toutes datées en années régnales cōḻa.
70Le corpus épigraphique apparaît ainsi utilisé de façon bien particulière dans le cadre de la datation du temple. Celle-ci ne s’appuie pas sur l’ensemble des inscriptions. Le corpus épigraphique se retrouve scindé implicitement en deux parts, déterminant deux phases distinctes de l’archéologie du temple. La première partie du corpus, datée en années régnales pallava, attesterait l’existence d’un sanctuaire disparu, qu’on peut supposer construit pour une grande part en matériaux périssables ; la seconde part du corpus, datant de la période cōḻa ancienne, témoigne de la construction à ce moment d’un temple de pierre, dont les vestiges sont encore visibles aujourd’hui. C’est cette seconde part qu’évoquent les auteurs dès lors qu’ils étudient les manifestations artistiques qui les intéressent, négligeant les épigraphes les plus anciennes du site. De fait ils s’intéressent non à l’établissement d’un site sacré, ni aux traces les plus anciennes de celui-ci mais aux caractéristiques visibles du temple qui se dresse à cet endroit, et comporte nombre d’éléments de l’âge cōḻa. Il est possible que les épigraphes de l’âge cōḻa soient bien les seules à prendre en compte si l’on cherche à dater la structure bâtie en pierre aujourd’hui visible mais une telle démarche réclame d’être justifiée. Quant à l’inscription de la deuxième année d’un « Parakeśari » gravée sur les murs du temple, elle disparaît des publications… La quasi-copie de l’inscription no 1 du temple gravée sur un piédroit avec l’inscription no 2 fait s’interroger plus encore, d’une part, sur la relation entre les deux périodes anciennes de l’existence du site « pallava » et « cōḻa », d’autre part, sur la date de la première inscription gravée en année régnale d’un Cōḻa du temple.
71Les inscriptions des piédroits ont-elles été gravées l’une après l’autre ? Laquelle serait plus ancienne ? Quelle est la fonction des copies d’une inscription ? Comment en tenir compte lorsqu’on date le temple ?
72Les piédroits de l’entrée du temple opèrent une jonction remarquable entre les corpus épigraphiques des périodes pallava et cōḻa. Les deux inscriptions qu’ils portent marquent en effet, l’une, le début de la période pallava, l’autre, le début de la période cōḻa du site. L’inscription datée de Nandivarman III est la première ou l’une des toutes premières du corpus pallava. L’inscription qui lui fait face est pour sa part la première, ou l’une des deux premières, du corpus daté en années régnales cōḻa. Les piédroits se situent aussi physiquement entre les deux ensembles épigraphiques. Les piliers de granite inscrits de la période pallava demeurent à l’extérieur du temple construit sur lequel sont inscrites les épigraphes de l’âge cōḻa, tandis que ces piédroits marquent l’entrée du temple en pierre tel qu’il se dresse encore. Enfin, verticaux, ils obligent à une disposition de l’écriture intermédiaire entre celles qu’on utilise sur les piliers de la période pallava où les lignes peuvent se déployer dans les trois dimensions, et la base et l’élévation du temple où les deux dimensions accentuent l’horizontalité des écrits qu’on y grava, pour leur majorité, durant le xe siècle.
73À l’entrée du temple de pierre deux corpus se font ainsi face. Leur paléographie souligne la beauté d’une rencontre qui n’est certainement pas fortuite. La facture de l’inscription pallava est en effet incontestablement plus soignée que celle des piliers de granite indépendants. L’élégance de ces deux inscriptions s’accorde avec leur emplacement très visible et il me paraît certain que l’épigraphe d’âge cōḻa a été gravée ici en réponse à l’inscription du Pallava. Mais cette réponse peut avoir été mise en valeur par la nouvelle gravure, la copie, d’une inscription ancienne considérée comme fondatrice pour le culte, à savoir l’inscription no 1 du site, dont la gravure est beaucoup moins soignée et qui se trouvait peut-être inscrite sur un pilier.
74C’est pourquoi je considère que l’hypothèse d’un sanctuaire antérieur aux inscriptions de la période cōḻa, en matériaux périssables pour partie, explique nombre des éléments archéologiques en présence. Soulignons cependant que le corpus épigraphique ne s’oppose pas à une date antérieure à celle qu’avancent les auteurs pour la structure en pierre considérée comme l’un des premiers exemples de la période cōḻa. Les élévations des temples Pallava sont recouvertes de représentations sculptées : elles ne sont pas inscrites. Les inscriptions pallava se rencontrent sur les bases et les piliers des temples ; les inscriptions de la période cōḻa sont gravées sur les mêmes emplacements mais aussi sur les espaces offerts par les élévations de fondations locales qui ne comportent pas les panneaux sculptés en bas-relief parant ces espaces dans les fondations royales Pallava. La disponibilité de ces derniers emplacements n’est donc pas nécessairement chronologique. Elle peut être aussi fonction du caractère local du site, où le décor sculpté est moins riche que dans une fondation royale. Enfin, les espaces libres de bas-reliefs pouvaient avoir été peints ou stuqués en un premier temps : dans le temple royal du Kailāsanātha, certains espaces n’ont pas reçu de bas-reliefs mais portaient des peintures28. À Puḷḷamaṅkai, ainsi que sur le temple un peu plus récent de Puñcai, les inscriptions les plus anciennes ont été gravées sur les bases des temples, alors qu’aucune épigraphe de la période pallava n’est disponible dans ces sites. Les murs y furent peut-être d’abord recouverts de peintures ou de bas-reliefs en stuc, disparus depuis. L’édification en pierre fut peut-être là aussi progressive. Aucune épigraphe n’y fait allusion.
75L’hypothèse d’un temple en pierre dont la construction aurait été commencée sous le règne de Vijayālaya I (ca. 850-871 ?), soit dès le milieu du ixe siècle, ne peut donc être écartée. Les briques sont rares sur le site aujourd’hui. Celles qu’on y retrouve sont de la même taille que celles qui sont utilisées sur le temple dédié à une forme locale de déesse (ce qu’on appelle une piṭāri en tamoul moderne), et les publications n’en parlent pas. Mais on peut aussi supposer que ces matériaux ont disparu depuis bien longtemps, voire qu’ils ont été réutilisés dans le templion à la déesse29.
76Aucun élément de l’architecture ni du décor ne peut étayer l’hypothèse puisque leur analyse repose toujours, en définitive, sur les corpus épigraphiques. Dans le cas du Caṭaiyar si la date du corpus d’âge cōḻa est à revoir, il faut simplement aussi repenser la chronologie de l’architecture et du décor tels qu’on les a énoncés… La sculpture des frontons du Caṭaiyar illustre ce principe.
77G. Hoekveld-Meijer (1982, p. 182) rapproche le décor architectural du Caṭaiyar et celui du temple de Puñcai. Tout porte à croire que les éléments de décor sculpté les plus anciens de ce dernier site datent de la fin du xe siècle30. Le décor, ou du moins certains éléments de celui-ci, aurait donc été apporté très tardivement dans le temple de Tirucceṉṉampūṇṭi, bien après les parties de l’élévation où sont gravées les inscriptions datées en années régnales de Parāntaka I. D’autres hypothèses de travail fonctionnent aussi bien cependant. Les frontons des niches de Tirucceṉṉampūṇṭi sont très semblables à ceux de Koṭumpāḷūr, attribués, à la fois sur la base des inscriptions dorénavant lacunaires du site et sur des considérations de style et d’iconographie entre 850 et 950. Là encore les avis sont très divergents (cf. Balasubrahmanyam 1971, p. 108-137 ; Barrett1974, p. 86 ; Hoekveld-Meijer 1982, p. 291-29431), mais les dernières analyses publiées confirment que l’Irukkuvēḷ qui fonda le Mūvārkōyil de Koṭumpāḷūr fut actif dans la deuxième moitié du ixe siècle et le début du xe32. Les dates ainsi attribuées au Muvārkōyil de Koṭumpāḷūr et celles du temple de Tirucceṉṉampūṇṭi sont tout à fait compatibles. Le rapprochement avec Puñcai, initié par D. Barret et poursuivi par G. Hoeveld-Meijer, crée plus de problèmes. La comparaison des trois frontons de Koṭumpāḷūr, de Tirucceṉṉampūṇṭi et de Puñcai sculptés au-dessus des niches à images des trois temples paraît indiquer, comme on peut en juger par soi-même grâce à la figure 3, l’ancienneté du temple de Koṭumpāḷūr et le caractère plus récent de celui de Puñcai. Les perlages les plus développés se situent à Koṭumpāḷūr. Ils occupent seuls le centre du fronton, paré dans les deux autres sites d’une scène. Le médaillon placé entre les deux têtes de makara du haut du fronton de Koṭumpāḷūr y est bien à sa place comme un épicentre de composition, équilibré, bombé, inspiré d’un élément végétal. À Tirucceṉṉampūṇṭi, cet élément est un cadre circulaire dans lequel s’inscrit une figure ; l’inspiration végétale n’est plus guère perceptible. À Puñcai les dimensions de cet élément se sont réduites ; l’inspiration végétale est là mais il ne s’agit pas d’un bouton bombé : c’est plutôt un assemblage de feuilles. Le fronton de Tirucceṉṉampūṇṭi apparaît comme une étape nécessaire à l’évolution du décor tel qu’il se présente à Koṭumpāḷūr, où le végétal occupe la première place, et à Puñcai, où le détail est extrêmement fouillé. Le décor de Tirucceṉṉampūṇṭi fait une place importante aux figures à la différence de Ko ?um pāḷūr ; les éléments de décor ne s’y déploient pas avec autant de raffinement qu’à Puñcai mais ils ont conservé une certaine rondeur, qu’on n’observe sur le site de Puñcai dont les frontons s’inscrivent plus nettement dans deux dimensions.
78Ces observations sont cependant délicates d’utilisation : un temple ou un autre pourrait montrer une préférence pour le caractère historié de la sculpture et on ne dispose pas à ce jour d’étude fiable sur les décors qui permettent de dater ceux-ci. La petite figure du médaillon du fronton de Tirucceṉṉampūṇṭi rend plus délicate encore l’affaire. Qu’on se situe à la fin du ixe siècle, ou ce qui est bien possible dans le cas du seul fronton sculpté du temple, vers le milieu du xe siècle, ce danseur divin est l’une des toutes premières représentations connues d’un Śiva qui est l’emblème du site emblématique du mouvement śaiva-siddhāntin de Citamparam33. Or l’un des frontons du site de Puñcai aussi est orné d’une de ces figures de Śiva dansant dans une posture définie comme ānanda-tāṇḍava (danse de la félicité), considérée également comme l’une des toutes premières du genre…
79On comprend ainsi à quel point le caractère enchevêtré des styles et des iconographies impose d’être particulièrement prudent dès lors qu’on veut indiquer une datation.
80Pour ma part, je situe l’élévation du temple en pierre de Tirucceṉṉampūṇṭi entre la fin du ixe et le début du xe siècle – mais cette fourchette de datation doit être prise au sens littéral : l’édification du temple s’est étirée sur plusieurs années ; et la date des piliers et des sculptures autonomes peut encore être discutée par rapport à celle de cette structure en pierre. La copie d’une inscription de donation qu’on veut alors considérer comme attestant un don d’un roi Pallava, et cela que cette épigraphe ait été effectivement ou non commanditée par celui-ci, a, je crois, marqué cette nouvelle phase du site. L’on verra, dans le chapitre 4, que le formulaire de datation ici employé et l’introduction d’une nouvelle catégorie dévotionnelle dans l’enregistrement du don gravé sur le piédroit du temple lui-même appuie l’hypothèse.
81Enfin, le Caṭaiyar fait partie d’une catégorie assez fermée de temples de l’âge cōḻa dont le soubassement est paré d’une frise illustrant le Rāmāyāṇa (Sanford 1974, p. 91-95, Schmid 2002, 2005b). Là encore, il faut pour comprendre les enjeux iconographiques replacer ces éléments remarquables dans l’ensemble auquel ils appartiennent.
Le corpus iconographique : les frises du soubassement
82Comme d’autres temples de la période cōḻa, le soubassement du Caṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇti est décoré de petits panneaux sculptés succédant les uns aux autres pour former une frise courant tout autour du temple. Deux frises de ce type ornent, l’une au-dessus de l’autre, le soubassement du temple. Les panneaux qui les composent apparaissent dans l’annexe V de cet ouvrage, où ils sont présentés à partir de l’entrée du temple, en suivant la circumambulation. Chaque panneau s’est vu attribuer un numéro et une lettre, qui permettent de le situer dans les deux directions, horizontale et verticale, du temple. Le panneau 1a est le premier panneau de la première frise que l’on rencontre à partir du sol. Le premier panneau sculpté visible est aujourd’hui le panneau 2b, qui représente Rāvaṇa secouant le mont Kailāsa.
83Par le nombre des représentations, ces frises constituent, de loin, l’ensemble iconographique le plus important du temple. Les petits panneaux se détachent à intervalles réguliers d’une bande de pierre lisse intervenant entre deux moulures. Situés dans l’aplomb des éléments verticaux qui décorent l’élévation du temple, ils lient le soubassement et l’élévation : colonnettes et pilastres engagés semblent les avoir pour base, figures et éléments architecturaux s’entrelaçant harmonieusement.
84Le principe même de ces frises est nouveau en Inde méridionale. On ne les rencontre jamais en effet sur les fondations royales Pallava, tandis qu’elles relèvent d’un art de la période cōḻa. Par ailleurs, si dans les temples d’âge cōḻa, dont le décor est soigné, les panneaux de la base sont souvent sculptés, ils présentent rarement une histoire en continu comme ici. L’attention porté au narratif et au décoratif dans le Caṭaiyar est particulière et, dans le corpus des temples illustrant la geste de Rāma, c’est le seul que je connaisse qui comporte une scène mythologique, un Varāha soulevant la Terre, dans la gueule d’un des léogryphes. Les léogryphes de Tirucceṉṉampūṇṭi ouvrent tous leurs larges bouches sur une petite scène, formant ici comme une troisième série de panneaux. L’iconographie des gueules des léogryphes est cependant trop vague pour la considérer ici comme narrative : en dehors de la représentation de la manifestation du sanglier, il s’agit de combats opposant des figures humaines entre elles ou à des monstres, selon des modèles bien connus par ailleurs. Notons cependant déjà que ces modèles relèvent de l’art dit cōḻa et qu’on ne les rencontre pas durant la période pallava : là encore, le Caṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇṭi témoigne de l’introduction de motifs nouveaux dans un temple de l’Inde méridionale.
85La première frise de panneaux qu’on rencontre en partant du sol, série 1 ici par convention, comprend trente-cinq représentations et la seconde, toujours en partant du sol, série 2 par convention, présente quarante bas-reliefs sur les soixante-six emplacements disponibles. Certains panneaux sont cassés en effet ; un certain nombre ont pu n’avoir jamais été sculptés.
86Ces frises représentent les līlā de Viṣṇu et de ses avatāra, celles de Śiva et des humains à travers les danseurs et les musiciens qui se mêlent aux aventures divines pour souligner qu’on a bien affaire ici à une véritable « mise en scène des mythes »34. Formant un ensemble narratif dans le cas du Rāmāyaṇa, ces frises s’inspirent de la littérature épique et puranique, mais aussi, je pense, de textes d’un genre plus ouvertement dévotionnel dont le Tiviyapirapantam tamoul est sans doute le représentant le plus proche.
87Précisons en effet ici l’usage de l’expression « narratif ». Un panneau isolé relève du genre narratif s’il a été sculpté en référence à une histoire précise. Mais la mise en sculpture d’une narration peut aussi apparaître en plusieurs panneaux successifs, figurant les personnages dans des situations distinctes, apparaissant les unes après les autres dans l’espace du temple comme dans le temps du récit. La disposition de ce qu’on peut alors qualifier de cycle narratif sculpté sur plusieurs panneaux peut être considérée comme l’équivalent visuel d’un texte. Sans nécessairement supposer un rapport d’illustration avec un texte précis, l’annexe V, où les panneaux sont disposés les uns après les autres comme ils le sont sur le soubassement du temple, présente des références textuelles possibles.
88La recherche d’une relation avec un texte a ses limites. Certains bas-reliefs participent de traditions qui se révèlent aujourd’hui essentiellement iconographiques et la relation avec le narratif n’est pas toujours aisée à établir. Un Kr̥ṣṇa danseur fait-il allusion à une histoire précise ? Ou bien témoigne-t-il que les dieux dansent… Les mêmes questions se posent quant aux Śiva dansants du temple, sculptés sur un fronton ou sur le soubassement. La littérature dévotionnelle qui s’adresse à un dieu danseur pourrait être plus proche de telles représentations qu’un genre narratif supposant une histoire conférant un sens particulier, éventuellement propre à ce texte, à la danse du dieu.
89En outre, les bas-reliefs composant les frises sont parfois d’une composition complexe : certains regroupent plusieurs épisodes dans un même panneau ; dans d’autres cas, un même épisode est scindé en deux panneaux au moins (c’est souvent ainsi qu’on représente le combat de Sugrīva et de Valī par exemple). Si je ne reprends pas ici les typologies parfois utilisées pour distinguer dans des représentations de type narratif ce qui serait cinématographique, collusif, explosif, concentré sur un objet principal, horizontal suivant tel axe, etc. c’est que les auteurs, peu nombreux, qui ont étudié les représentations de type narratif proposent chacun leur propre classification, qui s’adapte au corpus pris en compte35. Je m’intéresse quant à moi pour l’essentiel au contenu et à l’insertion des figures dans l’ensemble du temple et je signale les particularités de la composition au cas par cas36.
90Signalons pour finir que l’étude ici présentée s’appuie sur des séries similaires sculptées sur d’autres temples. Le temple de Tirucceṉṉampūṇṭi relève en effet d’un petit corpus de temples présentant des ensembles narratifs particuliers sur leurs soubassements. Outre le Naltuṇai Īśvara de Puñcai et le Paracurāmeśvara de Tirumaṅkalam, où les cycles sont particulièrement développés, le temple de Puḷḷamaṅkai et le sanctuaire vishnouite de Tirupūvaṉai déjà étudiés (cf. Schmid 2002, 2005b, 2005c), le Nāgeśvara de Kumpakōṇam et le Gopurapaṭṭi de Pāccil37, comportent des cycles plus ou moins longs de représentations de la geste de Rāma. Bien d’autres temples présentent de petits panneaux ramaïtes isolés sur leurs soubassements cependant : je dispose d’un large corpus comparatif comprenant, entre autres, les frises décorant les temples d’Āṉāṅkūr, de Māṉampāṭi, de Tiruvāṇṭarkōyil, d’Olakapuram, de Tiruvicanallūr, de Tuṭaiyūr et du Saptarrṣīśvara de Lalkuṭi. Sur ces mêmes temples du territoire cōḻa et sur d’autres encore, des épisodes mythologiques mettant en scène d’autres dieux ont aussi été sculptés. Enfin, les temples du Karnataka constituent l’un des horizons iconographiques de ces corpus de représentations narratives du territoire cōḻa : la complémentarité des deux territoires dévotionnels est évidente ; la qualité et la diversité des sculptures narratives des soubassements de la dynastie hoysaḷa est connue et, quoique très partiellement, étudiée38. Il reste ainsi autant à faire au Karnataka sans doute que dans le pays tamoul. Il faudrait pour cela maîtriser les sources, entre autres épigraphiques, en kaṇṇada, ce qui n’est pas mon cas.
91Pour ce qui est de la présentation, les panneaux sont désignés par les lettres a et b pour chacun des emplacements disponibles, puisque ces panneaux sont situés exactement les uns au-dessus des autres. L’ordre adopté est topographique : les numéros se suivent dans le sens de la circumambulation, en commençant par le premier panneau situé à gauche de la porte d’entrée du maṇḍapa du temple. Lorsque c’est possible, les scènes représentées sont identifiées. Pour ce qui est des épisodes krishnaïtes, les références sont celles de l’édition critique du Harivaṃśa39 (« La Lignée de Hari [Viṣṇu] »), et celles de l’édition d’Émile Burnouf quant au Bhāgavatapurāṇa. Pour ce qui concerne la geste de Rāma, dont les versions sont innombrables, si j’ai privilégié le Rāmāyaṇa de Vālmīki pour des raisons sur lesquelles je reviens plus bas (infra, p. 64), les variations d’un tel récit sont telles que deux et parfois trois références sont données cependant. La première correspond à l’édition couramment utilisée qu’est The Rāmāyaṇa of Vālmīki, with the commentary of Rāma ; la seconde à l’édition critique du même texte publiée à Baroda ; la troisième, enfin, à la traduction du Rāmāyaṇa du poète tamoul Kampaṉ, publiée par l’université de Tanjore. Dans ce dernier cas, le travail a été fait à partir d’une traduction et non d’un texte original, mais vérifier les références dans le texte pour ceux qui en sont capables prend moins de temps que de les chercher ex nihilo. Les analyses conduites jusqu’ici m’inclineraient en outre à inclure d’autres références à des textes en tamoul, à commencer par le Tiviyapirapantam pour ce qui est de la légende de Kr̥ṣṇa ou celle de Rāma. Sur chaque panneau, les correspondances étant, sauf exception, imprécises, on pourrait en fait multiplier à l’envi les références à des textes sanskrits, tamouls… Il s’agit ici de présenter ce qui peut servir à une recherche ultérieure, éventuellement plus précise pour tel ou tel épisode et dans cette perspective, inclure au moins une référence à un texte tamoul paraît essentiel.
92Les panneaux recouverts sont indiqués comme tels, les panneaux décorés de feuillages également et ceux dont l’identification est problématique brièvement décrits. Lorsque la statue de la niche placée au-dessus de cette frise a été conservée, son identification en accompagne une reproduction placée dans un cadre noir afin de la différencier nettement des photographies des petits panneaux.
93Pour ce qui est de la littérature secondaire, D. Th. Sanford (1974) est le seul auteur à avoir évoqué la première série de panneaux qu’on rencontre en partant du sol, qui correspond à des épisodes du Rāmayaṇa. Ce scientifique n’avait pu voir la frise dans son entièreté cependant, car le temple de Tirucceṉṉampūṇṭi faisait l’objet de travaux lorsqu’il s’y rendit. Je m’appuie donc sur une étude de terrain dont l’annexe V de cet ouvrage est le produit et à laquelle je renvoie pour le détail de l’identification de chacun des panneaux concernés (références textuelles, etc.). Je détaille dans les chapitres afférents aux manifestations de Viṣṇu et de Brahmā, certaines des identifications que le mauvais état des panneaux rend difficile. C’est en effet sur le détail de l’identification des scènes que repose toute analyse de l’ensemble. La mienne m’amène à me situer dans une perspective différente de celle de D. Th. Sanford qui interprète la présence du Rāmāyaṇa sur les bases des temples comme l’expression d’une idéologie royale, expliquant l’importante place dévolue à une thématique vishnouite sur des sanctuaires shivaïtes40. Modèle du bon roi, Rāma aurait été figuré sur ces temples issus d’un patronage royal.
94Pourtant, comme je l’ai montré à propos du temple de Puḷḷamaṅkai (Schmid 2005c), considérer les représentations de Rāma comme celles du roi idéal ne convainc pas. Les figures vishnouites sont en Inde, dès la période post-gupta dans le nord, nombreuses à être sculptées sur des temples shivaïtes faisant montre d’une ouverture sur d’autres divinités dont on ne rencontre pas l’équivalent en contexte vishnouite. Sur la face nord, l’épisode très représenté dans les soubassements des temples d’âge cōḻa du Kirāta [53-54b] qui met en scène la dévotion au dieu Śiva d’un dévot vishnouite est inséré entre deux représentations de déesse terrible et la série elle-même s’achève sur un dernier Śiva dansant41. Cette face illustre ainsi parfaitement une coexistence des divinités que l’on retrouve dans l’ensemble du temple42. La supposition d’un patronage royal participe à mon sens d’une conception d’un art cōḻa comme un art impérial de type centralisé, qu’on retrouve donc ici à l’œuvre43. De fait, si en dehors des grandes fondations royales, le lien des temples d’âge cōḻa avec la dynastie des Cōḻa est controversé, on constate qu’en outre les quelques fondations royales de l’art cōḻa ne font pas une place spécifique à Rāma.
95Les donations enregistrées à Tirucceṉṉampūṇṭi pour une reine constituent ici les témoignages les plus solides d’une présence royale dans un temple sans inscription de fondation. La reine qui apparaît à Tirucceṉṉampūṇṭi se nomme Māṟampāvai. Elle y relève d’un important corps de donatrices, constituant la moitié du corpus épigraphique. Ce phénomène inhabituel trouve dans l’iconographie du temple des échos particuliers. La forme choisie pour orner la face arrière du temple était un Seigneur à demi-féminin. L’importance des figures féminines dans la deuxième série de panneaux est également très particulière. Si l’on suppose un modèle royal à l’œuvre dans les sculptures du Rāmāyaṇa à Tirucceṉṉampūṇṭi, plutôt qu’à Rāma, l’époux-roi, ne devrait-on songer à l’épouse et reine idéale Sītā ?
96Cette frise compte aussi de nombreux reliefs de feuillages décoratifs. Ils soulignent le caractère quelque peu disparate de la série pour ce qui est de l’iconographie mais leur beauté met l’accent sur l’habileté des sculpteurs qui travaillèrent le monde miniature de Tirucceṉṉampūṇṭi.
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97Mes analyses reposant sur les corpus épigraphique et iconographique appellent dès maintenant les remarques suivantes. Tout d’abord, même si l’iconographie du temple est restée pratiquement inexplorée et très peu publiée, dès lors qu’il s’agit de tenter de préciser la date du temple, iconographie et épigraphie se croisent. On a constaté que le problème de la datation est omniprésent dans la littérature secondaire, où le Caṭaiyar apparaît comme un élément du vaste corps des temples de l’âge cōḻa qu’il faut organiser pour en permettre l’étude. Pourtant si les analyses reposent sur les inscriptions, aucune n’est une étude épigraphique : il s’agit toujours de définir des manifestations artistiques (Architecture and sculpture, Early Chola Temples …). Les inscriptions ne sont qu’un moyen de datation. Or si l’utilisation du corpus épigraphique pour dater un temple de pierre demeure délicate autant que nécessaire, l’on voit que l’insertion du support gravé dans l’ensemble du temple est indispensable à son utilisation dans cette optique. Dans le cas de Tirucceṉṉampūṇṭi, le travail in situ permet ainsi dès maintenant quelques constats. D’après les critères définis ci-dessus, la dernière inscription gravée sur le site date de la fin du règne de Parāntaka I, en 945 (no 28 ; l’année de règne manque dans les inscriptions 29-32). Douze inscriptions datent de la fin de la période pallava, de la deuxième moitié du ixe siècle, qu’elles relèvent ou non de la dynastie des Pallava elle-même, et les vingt autres du début de la période cōḻa, de la première moitié du xe siècle assurément, peut-être de la fin du ixe siècle pour deux d’entre elles. La période ainsi couverte par l’épigraphie, un siècle environ, est d’une remarquable brièveté. Elle signale l’importance d’un site où trois computs dynastiques différents ont été utilisés : pallava, muttaraiyar et cōḻa pour un total d’inscriptions aussi important que d’autres fondations locales où les épigraphes ont été gravées sur des périodes bien plus longues, durant cinq siècles par exemple à Puñcai et à Tirumaṅkalam, pour n’évoquer que des corpus épigraphiques que je connais bien.
98Soulignons pour finir qu’aucune inscription ne comporte de passage continu en sanskrit. Ces épigraphes sont en tamoul, même si certains termes d’origine sanskrite sont écrits en grantha. Les épigraphes que je qualifie de pallava parce qu’elles ont été gravées durant la période pallava, le sont parfois au sens royal du terme, les donations étant le fait de membres de la famille des Pallava. Mais elles portent ainsi la marque du ixe siècle, où l’usage du sanskrit semble peu à peu décliner dans les inscriptions sur pierre : on n’a pas utilisé ici le sanskrit dont l’inscription de la grotte de Trichy à quelques kilomètres de là atteste la maîtrise au début du viie siècle. Sans doute les inscriptions de Tirucceṉṉampūṇṭi et celle de la grotte de Trichy relèventelles de sphères culturelles distinctes, entre local et royal… leur confrontation permettrait-elle de mieux comprendre comment ces mondes s’articulent ?
99Quant aux petits panneaux constituant le corpus iconographique de cet ouvrage, ils ont une importance que leurs dimensions et leur emplacement ne permet guère de présumer. La présence des bas-reliefs de feuillage signale qu’il s’agit d’un répertoire des figures connues tant de divinités shivaïtes ou vishnouites que de la déesse assez complet : lorsqu’on ne sait plus quelle scène représenter, on sculpte un décor de feuilles. Or on rencontre ici, du côté vishnouite, des formes connues en Inde septentrionale mais aussi des figures qui paraissent propres au pays tamoul. Leur apparition et leur diffusion font s’interroger : certaines, tel Kr̥ṣṇa le flûtiste, se retrouvent en Inde septentrionale par la suite. De leur côté, les bas-reliefs du Rāmāyaṇa pourraient bien aussi être les premières représentations connues de la légende qui soient d’une telle variété. Les bas-reliefs liés au Rāmāyaṇa sont en effet apparus en Inde du Nord et nombre de scènes sculptées dans les temples cāḷukya au Karnataka sont antérieures à celles du site de Tirucceṉṉampūṇṭi. Mais Tirucceṉṉampūṇṭi pourrait s’avérer pionnier sur deux plans. D’une part, il marque peut-être l’apparition de représentations du Rāmāyaṇa dans le pays tamoul ; d’autre part, certains épisodes connaissent ici une première représentation sculptée dans le monde indien pris dans son ensemble : c’est au-delà de son cercle géographique « tamoul » que le temple s’inscrit alors.
100Du côté shivaïte, la situation est complexe. Nombre de scènes sont inspirées de l’art pallava. Elles peuvent n’avoir aucun équivalent en Inde septentrionale. C’est là le cas de la bhikṣāṭanamūrti représentée à deux reprises à Tirucceṉṉampūṇṭi et qui ne connaît pas moins de quatre représentations au Kailāsanātha de Kāñcīpuram. La place faite aux formes de Śiva dansant est grande par ailleurs, ce qui constitue un trait méridional et rapproche également le temple de Tirucceṉṉampūṇṭi des fondations royales des Pallava où la danse de Śiva est très représentée. Mais chacune des figures de Śiva a de fait une histoire particulière, qu’il faut retracer pour pouvoir interpréter l’ensemble qu’elles constituent. Chacune participe d’autre part du programme d’ensemble du temple.
101C’est pourquoi les bas-reliefs du soubassement du temple sont d’abord considérés comme l’un des éléments de l’analyse qui suit, prenant pour base les dieux qui y apparaissent : Brahmā, Śiva et la déesse, abrités par les niches du sanctuaire, mais d’abord la troisième divinité de la bhakti dont on vient de constater qu’elle est si présente sur le soubassement, Viṣṇu.
Notes de bas de page
1 L’opération a été entamée en mars 1970. Les pl. 175-179 de M. A. Dhaky (1983a) dans l’Encyclopaedia of Temple Architecture [EITA] montrent le temple une fois remonté, comme les photos 34, 35 et 35b de Hoekveld-Meijer 1982. D’après S. R. Balasubrahmanyam (1971, p. 56-58), c’était alors encore un temple de piṭāri, de « déesse » (voir, infra, note 67, p. 230 des éléments plus précis quant à la signification de ce terme) une situation de culte qu’il devait peut-être à une situation en marge des circuits cultuels d’un certain hindouisme, organisé pour l’essentiel autour de divinités masculines. Mais il est possible que les informations données à S. R. Balasubrahmanyam se rapportent en fait non au temple principal organisé autour d’un sanctuaire à Śiva mais au petit sanctuaire de la déesse, construit en briques au nord-est du site. Le bâti du temple est bien plus récent mais c’est aujourd’hui encore un lieu de culte à une divinité féminine. Notons que des pierres du site sont utilisées en remploi dans le complexe de la pompe irriguant les terres alentours, installé près du temple.
2 Sauf mention contraire, les clichés sont de moi-même. L’inscription no 1 se trouve sur un support que ni moi, ni aucun membre de notre petite équipe, n’avons retrouvé. D’après une notation en marge du transcrit disponible à Mysore, la pierre où l’inscription fut gravée a été retirée du sanctuaire lors du travail de restauration entrepris. Les traces laissées par la pierre et le type d’écriture employé font penser à des inscriptions du type de celle des piliers. Je remercie Nicolas Cane de m’avoir transmis les informations de la marge du transcrit de Mysore.
3 Je remercie Leslie C. Orr de cette séduisante suggestion (communication personnelle).
4 Dans le temple shivaïte voisin de Kōvilaṭi, c’est aussi un Ardhanārīśvara qui occupe la niche de l’arrière du temple. La figure n’est pas aussi raffinée que celle de Tirucceṉṉampūṇṭi et ne présente pas l’allongement caractéristique du site, qu’on retrouve à Koṭumpāḷūr et au Sundareśvara de Centalai. Aucune des inscriptions du temple n’est aussi ancienne que celles de Tirucceṉṉampūṇṭi. La plus ancienne date sans doute de la fin du xe siècle (cf. ARE 1901.276-281, SII 7.486-501 ; sur le lien entre Kōvilaṭi et Tirucceṉṉampūṇṭi, cf. Schmid, à par. a). Le temple semble donc avoir succédé dans le temps à celui de Tirucceṉṉampūṇṭi.
5 Certains toponymes du pays tamoul d’étymologie à la fois sanskrite et tamoule sont translittérés de bien des façons. C’est le cas de Kōṉērirājapuram, un composé qui associe tamoul (kōṉēri) et sanskrit (rāja), mais aussi celui du plus connu Gaṅgaikoṇṭacōḻapuram, qui connaît des orthographes diverses. Même s’il semble qu’on devrait choisir aujourd’hui soit une translittération du sanskrit, soit une translittération du tamoul, j’ai choisi pour certains toponymes, tel Kōṉērirājapuram et Gaṅgaikoṇṭacōḻapuram, de respecter un usage qui non seulement est commun dans la littérature secondaire et permet donc de faciliter la reconnaissance du nom de lieu mais qui est en accord avec certaines des orthographes les plus anciennes qu’on rencontre sur les sites, où l’on mélangeait alphabet tamoul et écriture grantha notant le sanskrit.
6 Son profil a été comparé avec celui de la base du temple de Puḷḷamaṅkai, que je date du début du xe siècle (Schmid 2005c). Le soubassement de ce dernier temple porte aussi deux séries de panneaux sculptés, dont l’iconographie est de surcroît proche de celle des panneaux de Tirucceṉṉampūṇṭi, puisque l’une des frises de Puḷḷamaṅkai est entièrement consacrée au Rāmāyaṇa. La comparaison avec ce temple de Puḷḷamaṅkai joue dans les dates avancées pour le temple de Tirucceṉṉampūṇṭi dans la plupart des publications.
7 Les dates données sont celles de Nilakanta Sastri 1955.
8 L’organisation des trente temples de la période de Parāntaka I est floue dans le détail. La première inscription d’âge cōḻa dans le Caṭaiyar serait de l’an 2 de Parāntaka ; mais dans le temple précédent, il s’agit de l’an 14 du même roi et dans le temple suivant de la 22e année régnale. Le classement ne serait donc pas uniquement chronologique ? En fait, le manuscrit de Colin Mackenzie a recensé pour le temple précédent (Tirukkalavūr) quatre inscriptions d’un Rājakeśarivarman, qui pourrait être Āditya I. S. R. Balasubrahmanyam n’a pas vu ces inscriptions mais en tient probablement compte dans l’ordre qu’il donne aux temples, dans un flou impressionniste qui était peut-être, alors, sinon la seule solution, du moins un état de travail possible.
9 Sur l’impossibilité d’établir l’identité de ce Muttaraiyar, Govindasamy 1965, p. 45-46. Le même titre apparaît dans plusieurs inscriptions, éventuellement avec la même année de règne, infra, p. 258-259.
10 Sur les filles divines, infra, note 8, p. 204 et p. 266.
11 Cf. Soundara Rajan 1978, p. 98, où le temple est un exemple de base (basic) de la magnificence Pallava, et p. 115, où il illustre le maniérisme régional.
12 K. V. Soundara Rajan (1975) présente une classification, selon laquelle le temple relève du type Ib, qui consiste en ekatala, temples à un seul étage de couronnement. G. Hoekveld-Meijer (1982, p. 53, 55, 56) fait quant à elle remarquer qu’on a ici affaire à un dvitala, un temple à deux étages, dont le second étage est manquant. Mais le Caṭaiyar réapparaît dans un autre groupe de Soundara Rajan (1975), le IVc, constitué de dvitala, et qui, donc, serait plus en accord avec G. Hoekveld-Meijer. Peut-être K. V. Soundara Rajan a-t-il inclus le temple dans deux groupes différents car il n’était pas certain du profil du couronnement lorsqu’il a étudié le temple. G. Hoekveld-Meijer qui a pu assister à la reconstruction dispose d’autres documents (cf. sa note 57 du chapitre 2, selon laquelle : « cf. Soundara Rajan, 1975, pl. 141, a comparison of this illustration with our pl. 35 clearly shows the difference between the ruin and the reconstructed shrine. »). Pour G. Hoekveld-Meijer, K. V. Soundara Rajan aurait dû se baser sur la composition de la base qui lui aurait permis de remarquer l’incohérence du groupe qu’il avait constitué. À mes yeux, l’étude de la composition de la base, que G. Hoekveld-Meijer hérite de D. Barrett, n’apparaît pas non plus cependant comme un critère fiable de datation.
13 Nous renvoyons ici à la fig. 2, p. 126-127 de Barrett1974 et à la fig. 83, p. 168, de Dhaky 1983a [EITA] qui rassemblent sur la même page le profil de la base du Caṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇṭi et celle du temple de Puḷḷamaṅkai. Ces figures permettent aussi de constater combien les variations sont nombreuses d’une base à l’autre. Les proportions des éléments jouent, à mon avis, un rôle important dans la variation et si les bases des deux temples comportent des éléments similaires elles n’en sont pas moins assez différentes. L’une des frises de panneaux sculptés n’est pas même située au même endroit sur les deux bases, par exemple.
14 La base du temple pose à G. Hoekveld-Meijer un véritable problème lorsqu’elle la compare à celle de Puḷḷamaṅkai : cette dernière devrait être antérieure, d’après la théorie de cette auteure, à celle de Tirucceṉṉampūṇṭi, ce qui est contredit par toutes les autres données des deux temples. Hoekveld-Meijer estime par ailleurs que la base du Caṭaiyar aurait été copiée sur celles de temples Pallava mais aussi Cāḷukya (p. 214). Cette base participerait des expériences des architectes de sept temples particuliers, qui cherchent la composition « correcte » d’une base. On aurait affaire à Tirucceṉṉampūṇṭi à la première étape vers la vari cōḻa, c’est-à-dire un bandeau de pierre, vari, qui manque sous la niche à images centrale mais se trouve toujours sous les niches latérales ; on en observerait un développement plus tardif dans le Nāgeśvara de Kumpakōṇam, où le bandeau manque sous les trois niches, tout comme à Śrīnivācanallūr (cf. la fig. 42 de Hoekveld-Meijer 1982). Le raisonnement me paraît pertinent en l’occurrence.
15 Le groupe constitué par cet auteur comprend également les temples du Nāgeśvara à Kumpakōṇam, de Tiruviṭaimarutūr, de Cempiyaṉ Mahādevī et de Tiruvārūr, mais le plus proche d’entre eux est Śrīnivācanallūr.
16 Le Nāgeśvara de Kumpakōṇam et le temple de Śrīnivācanallūr illustrent deux possibilités opposées qui démontrent, je crois, qu’il n’y a aucune nécessité à corréler les statues et les niches dans les temples d’âge cōḻa. À Kumpakōṇam, les statues sortent directement du mur et ne sont pas contenues par des niches. Au contraire, à Śrīnivasanallūr, les statues des niches latérales, très étirées en hauteur et étroites, ont été retaillées pour pouvoir y prendre place. S’il n’y a pas adéquation initiale entre niche et statue, certaines des niches qui ailleurs nous apparaissent aujourd’hui comme des niches à images peuvent aussi avoir été initialement pensées comme décoratives. Le cas de Tirucceṉṉampūṇṭi fut peut-être courant. Enfin, Leslie C. Orr m’a rappelé que dans le territoire pāṇṭiya, dont on peut situer l’extrémité septentrionale près du sud de Tirucceṉṉampūṇṭi, les temples présentent souvent des niches vides.
17 Hoekveld-Meijer 1982, p. 107 signale que les deux éléments inférieurs de la base du Caṭaiyar (kapota et kumuda), sont les mêmes que ceux du temple de Tiruveṟumpūr, qui aurait luimême été inspiré par le temple pallava de l’Olakkaṇṇeśvara de Mahābalipuram. Daté de la fin du ixe siècle par Hoekveld-Meijer, le temple de Tiruveṟumpūr partage aussi avec celui de Tirucceṉṉampūṇṭi ses trois niches dans l’élévation latérale du sanctuaire et un Śiva dansant dans le fronton de la niche principale de la face sud. Cependant si des éléments architecturaux et iconographiques rapprochent bien ces deux temples, le Caṭaiyar partage aussi nombre de détails avec bien d’autres sites. Quant à la date donnée au temple de Tiruveṟumpūr, elle ne me paraît pas assurée : bien des éléments de ce temple me semblent bien plus tardifs.
18 À Puñcai, les pieds d’une des statues des niches dissimulent en partie une inscription : la sculpture aurait été disposée après la gravure de l’épigraphe ? À Aṉpil, site proche de Tirucceṉṉampūṇṭi qui apparaît à deux reprises dans le corpus épigraphique de Tirucceṉṉampūṇṭi, c’est uniquement par une pierre en remploi dans le dallage entourant le temple aujourd’hui visible que l’on sait que sur ce site se trouvait un temple dès le xe siècle (une donatrice royale Cōḻa du xe siècle, Cempiyaṉ Mahādevī, y a alors fait un don, cf. infra, note 14, p. 207). Le temple que l’on y voit actuellement est bien plus tardif.
19 Se basant sur des éléments de l’élévation et sur l’épigraphie, G. Hoekveld-Meijer (1982) établit comme suit la chronologie d’un ensemble de temples. Tout d’abord, le Caṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇṭi avant le Nāgeśvara de Kumpakōṇam car ils n’ont ni l’un ni l’autre de makara-torāṇa au-dessus des niches latérales. Puis le le Nāgeśvara de Kumpakōṇam avant le temple de Puḷḷamaṅkai qui présente de hautes niches décoratives qu’on n’observe pas à Kumpakōṇam, où le Nāgeśvara comporte encore des niches latérales, comme le Caṭaiyar de Tirucceṉṉampūṇṭi. Mais les publications mentionnent une inscription de 886 au Nāgeśvara de Kumpakōṇam. Cette inscription constitue la référence à partir de laquelle toute la chronologie est ensuite bâtie et les trois temples de Tirucceṉṉampūṇṭi, de Śrīnivācanallūr et de Lalkuṭi sont alors considérés comme des exercices pour le temple de Puḷḷamaṅkai (ibid., p. 118). En réalité, l’inscription du Nāgeśvara est gravée sur une pierre utilisée en remploi, très isolée dans un corpus épigraphique qui commence ensuite au xie siècle. D’autre part, on peut se demander pourquoi G. Hoekveld-Meijer ne prend pas en compte les inscriptions datées en années régnales pallava du Caṭaiyar qui, gravées à partir du milieu du ixe siècle, correspondent aux hypothèses de datation qu’elle fait. Il s’agit sans doute là encore d’un préjugé méthodologique introduisant une césure entre des corpus dits Pallava et Cōḻa, pourtant étroitement associés in situ.
20 L’inscription datée dans la 18e année du règne d’un Rājakeśarivarman retrouvée sur un pilier dont M. A. Dhaky (1983a, p. 169) fait état dans l’EITA, n’apparaît ni sur le site, ni dans aucune archive ou autre publication. Pour ce qui concerne le temple de Puḷḷamaṅkai, M. A. Dhaky paraît aussi s’appuyer sur une inscription qu’il est seul à connaître (cf. Schmid 2005c, p. 41).
21 Pour ce qui concerne la période pallava, D. Th. Sanford mentionne « four records of Pallava kings » et parle de deux piliers du maṇḍapa dont il ne resterait que la base. Nous verrons qu’il y a bien plus d’épigraphes gravées durant la période pallava – sans qu’il soit toujours possible de démêler le pallava du cōḻa, comme nous le verrons aussi et ce qui explique, sans doute, les confusions souvent faites dans la littérature secondaire. Ces confusions s’ajoutent les unes aux autres et il faut rappeler ici que, contrairement à ce qui a été écrit, la donatrice royale Māṟampāvai n’apparaît pas dans les inscriptions datées en années régnales du Pallava Nr̥patuṅgavarman, sauf dans le Report de 1901. Les publications suivantes et les observations in situ ne recoupent pas cette information du Report qui est sans doute une interprétation particulière, inférée par la mention de Nr̥patuṅgavarman dans plusieurs autres inscriptions. Quant à un Nandivarman IV, auquel D. Th. Sanford attribue l’inscription du piédroit à droite de la porte, son existence (déjà critiquée par T. V. Mahalingam 1969, p. 197-201) a été définitivement balayée par la découverte des tablettes de Vēḷañcēri (cf. K. R. Srinivasan 1983, p. 88-89 ; tablettes publiées par R. Nagaswamy [1979]). Pour ce qui concerne la période cōḻa, il s’agit, entre autres, pour D. Th. Sanford de justifier l’absence d’inscriptions anciennes de Parāntaka I au Nāgeśvara de Kumpakōṇam, à Puḷḷamaṅkai et à Tirucceṉṉampūṇṭi, où aucune inscription ne serait antérieure à l’an 14 du règne de ce Cōḻa. Mais il est possible, à mon sens, que des inscriptions aient été gravées à Tirucceṉṉampūṇṭi dès l’an 2 du règne de Parāntaka I (cf. inscription no 13).
22 L’acte de naissance des Gaṅga-Pallava participe de l’intérêt historiographique du rassemblement et du commentaire de ces inscriptions, au tout début du xxe siècle. Il s’agit d’une dynastie créée alors de toutes pièces pour justifier certaines inscriptions par E. Hultzsch, relevant que dans les tablettes de Vākūr (Bāhūr), le Pallava Nr̥patuṅgavarman se donne pour ancêtre un Koṃkaṇika. L’épigraphiste rapprocha cet ancêtre du roi Koṅkaṇi des tablettes des Gaṅga et posa qu’après Nandivarman II, actif dans la deuxième moitié du viiie siècle, les rois Pallava auraient été d’origine Gaṅga, d’où le terme « Gaṅga-Pallava », pour les distinguer de leurs prédécesseurs, les Pallava originels.
23 Sur les inscriptions du xie siècle, dans la combinaison du caractère n et du caractère t, la boucle du n est quasi invisible et la ligature où le n est bien visible paraît plus ancienne.
24 Ces surnoms peuvent être écrits en alphabet tamoul ou sanskrit, apparaître dans des inscriptions en tamoul ou en sanskrit : j’ai pris le parti de les translittérer selon l’étymon sanskrit ici. Mais ils apparaissent dans le corpus épigraphique sous leur forme tamoulisée quand celle-ci est employée (kecari-, c’est-à-dire kēcari-, en orthographe normalisée contemporaine notant les longueurs du o et du e, etc.)
25 Cf. Francis-Schmid, 2010, p. xii-xvi. Soulignons qu’il s’agit là d’hypothèses de travail. Elles sont vérifiées par toutes les données dont j’ai connaissance mais pourraient être modifiées par d’autres. Des embryons de meykkīrtti différents de celui de Parāntaka I ont été utilisés par des souverains antérieurs, comme Vijayālaya I, qualifié à partir de la 3e année de règne de tañcai koṇṭa, ou à peu près contemporains, tel Āditya II, également surnommé parakeśarin mais utilisant la formule pāṇṭiyāṉai taḷai koṇṭa. Il faudrait multiplier les études monographiques pour être certain que tel ou tel souverain n’utilisait qu’un seul type d’embryon de meykkīrtti, même s’il semble que ces périphrases visaient entre autres, précisément, à permettre l’identification du roi.
26 S. R. Balasubrahmanyam (1971, p. 57) parle des inscriptions de Parāntaka I « ranging from his 14th year to this 37th year ». Il n’y compte donc pas l’inscription no 14 du maṇḍapa. Après lui toutes les publications la passent sous silence.
27 Le caractère notant le k du terme d’origine sanskrite rakṣai est écrit avec une double barre verticale, dans l’inscription no 13. Ce dessin le différencie des autres notations du k dans le reste de l’inscription (il est typique de l’écriture grantha). Dans l’inscription no 14 les deux traits forment plutôt une boucle verticale, ouverte en haut.
28 Il s’agit des espaces intérieurs des chapelles disposées tout autour du prākāra, dont bon nombre portent les traces de peintures. Des ensembles entiers sont encore visibles (figures de Śiva, somāskandamūrti).
29 On voit des briques à l’intérieur des niches à images du sanctuaire, au sud et au nord. Mais il est impossible de savoir s’il s’agit de briques anciennes, datant d’un des premiers états du temple, ou de réfections plus ou moins récentes permettant de stabiliser les statues des niches. Le templion de la déesse lui-même correspond à une architecture qui n’est pas antérieure au xviie siècle, même s’il peut marquer l’emplacement d’un lieu de culte bien plus ancien.
30 Notons que sur les trente pages consacrées à ce site par S. R. Balasubrahmanyam, deux seulement concernent l’aspect extérieur des temples, les autres étant dévolues aux inscriptions. G. Hoekveld-Meijer pour sa part est sans doute partie une fois de plus des conclusions présentées par D. Barrett, qui pense que la sculpture est postérieure à celle de Puñcai. L’analyse des éléments de décor qu’opère G. Hoekveld-Meijer (1982) souligne à plusieurs endroits de son ouvrage l’impossibilité de dater d’après celle-ci. Pour cette auteure (Ibid., p. 146 et 182) les grands kūṭu de Tirucceṉṉampūṇṭi et ceux du temple de Puñcai sont très semblables. Mais l’appendice consacré à l’évolution du kūṭu en Inde méridionale conclut qu’on ne peut lier les variations de forme qu’on observe à une datation quelconque. Rappelons qu’en outre le couronnement du temple de Puñcai est recouvert de stuc tardif tandis que celui de Tirucceṉṉampūṇṭi manque en partie. Le temple de Puñcai présente de toute façon de grandes difficultés de datation, mais l’élévation qui est aujourd’hui la sienne pourrait, dans son ensemble, dater du début du xie siècle. Là encore, l’hypothèse selon laquelle les différents éléments du temple ne datent pas de la même période est celle qui rend le mieux compte des éléments en présence.
31 Le début de l’inscription manque et on en ignore donc la date exacte. Pour K. A. Nilakanta Sastri (1955, p. 155-156), le roi dont on fait ici l’éloge serait du deuxième tiers du xe siècle ; le résumé publié avant l’édition de l’inscription qu’on trouve dans Srinivasa Ayyar 2002 [1941], no 14, mentionne un Pāṇṭiya, que l’éditeur n’a pas retrouvé dans l’inscription et c’est à partir de la défaite d’un Pāṇṭiya que nombre d’auteurs datent cette épigraphe.
32 Soulignons, par exemple, que l’une des filles de ce roi Irukkuvēḷ épousa Parāntaka I Cōḻa, dont le règne aurait commencé en 907.
33 On pourrait aussi, d’un strict point de vue théorique, comme l’écrivit D. Th. Sanford (1974, p. 239), considérer à l’inverse que ce Śiva dansant fait poser une date tardive pour le temple lui-même. Cependant ni les données épigraphiques ni l’analyse des sculptures ne vont dans ce sens.
34 L’expression est d’Édith Parlier-Renault (2006 [Temples de l’Inde méridionale ( vie-xiiie siècles), La mise en scène des mythes]).
35 Voir l’ouvrage fondamental de V. Dehejia (1997) sur l’art narratif bouddhique. Sur le domaine brahmanique cette auteure a édité un volume consacré aux représentations du Rāmāyaṇa en Inde du Sud (The Legend of Rama : Artistic Visions, 1994), contenant, notamment, un article de D. Th. Sanford sur le Nāgeśvara de Kumpakōṇam. D. ThSanford (1974, p. 156-163) présente une analyse des panneaux qu’il a étudiés divisés en Dynamic scenes (cinematographic types, collisive type, explosive type) et Static scenes (confrontation type, central focal object type, horizontal axis type).
36 En Inde, les plus anciens exemples iconographiques de cycles narratifs sont bouddhiques. Ils précèdent d’au moins trois siècles les premiers exemples brahmaniques qui appartiennent au ive siècle ap. J.-C., au moment où émerge un nouveau type de littérature brahmanique, les Purāṇa, dont les composantes traditionnelles (création, recréation, généalogies, ères de Manu et histoire des dynasties) sont liées d’une manière ou d’une autre au genre narratif avec lequel la littérature puranique apparaît en étroite correspondance. Les épopées constituent par ailleurs un ensemble narratif abondamment utilisé par les Purāṇa eux-mêmes. La tradition sculptée de type narratif donne pour sa part accès à un éventail mythologique plus large que celui qu’on trouve dans les textes seuls.
37 Certaines des représentations des soubassements de ces temples sont étudiées dans Schmid 2002. D. Th. Sanford (1974) a proposé des identifications de nombre des panneaux concernés. Il inclut dans le corpus de temples qu’il étudie le temple shivaïte de Dharmapuri sur la route menant au Karnataka, que je ne prends pas en compte car il est loin de la région du delta ici privilégiée.
38 Voir l’ouvrage de Kirsti Evans (1997). L’auteure explique que son ouvrage est une sorte de catalogue de représentations épiques et puraniques sur certains temples. Le centre de Pondichéry a déjà documenté plus de vingt des temples hoysaḷa du Karnataka présentant des frises narratives.
39 Pour les références des textes concernés, consulter la bibliographie en fin d’ouvrage.
40 D. Th. Sanford (1974) insiste sur la ressemblance entre les bases des temples de Puḷḷamaṅkai et de Tirucceṉṉampūṇṭi, déjà signalée du point de vue architectural par D. Barrett, reprise par G. Hoekveld-Meijer, etc. Quant à moi, j’ai établi que le Rāmāyaṇa commence sur la face ouest dans les deux temples. Mais à Puḷḷamaṅkai, le début de l’épopée fait l’objet d’une mise en scène très particulière, dont on n’a pas l’équivalent à Tirucceṉṉampūṇṭi, où la série consacrée au Rāmāyaṇa est aussi la première rencontrée en partant du sol, alors qu’il s’agit de la seconde à Puḷḷamaṅkai. Les différences sont donc également nettes dans les deux sites.
41 Un seul panneau a été sculpté sur la face est, celui qui se situe à l’angle nord-est. Après une interruption de trois panneaux laissés pleins, il est difficile de considérer que cette représentation fait partie d’un cycle continu : les enchaînements en seraient très heurtés.
42 Sur cette forme particulière d’ouverture aux autres divinités du shivaïsme, voir, par exemple, Sanderson 2003 et 2009. Ce phénomène s’exprime dans le Kailāsanātha de Kāñcīpuram de façon marquée. Avant cette fondation il est délicat de se prononcer sur un projet originel alliant représentations vishnouites et shivaïtes. Il peut s’agir d’englober des représentations vishnouites antérieures dans un lieu de culte devenu shivaïte comme à Mahābalipuram (temple du rivage et grotte de Mahiṣamārdinī).
43 Nous ne voyons pas sur quel élément repose l’hypothèse de G. Hoekveld-Meijer (1982, p. 218), selon laquelle Āditya I (870– 900) aurait fait construire le temple de Tirucceṉṉampūṇṭi.
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012