Avant-Propos
p. v-ix
Texte intégral
« Je m’appelle Dévotion (bhakti) ; ces deux-ci passent pour être mes fils, ils ont nom Savoir (jñāna) et Détachement (vairagya) ; […] ils succombent sous les coups du Temps. Je suis née dans le Draviḍa, j’ai grandi dans le Karnātaka ; je suis arrivée à la vieillesse en vivant tantôt dans le Mahārāṣṭra, tantôt dans le Gurjara. Là, par l’influence du terrible Kali (yuga, âge), les hérétiques m’ont mutilée. Malheureuse, je suis tombée avec mes deux fils dans un long épuisement. De retour, dans le Vṛndāvana, je me suis comme renouvelée, j’ai (retrouvé) ma beauté ; me voici maintenant redevenue jeune et d’un aspect vraiment merveilleux. Cependant mes deux fils étendus ici, sont accablés de fatigue… (pour moi), m’éloignant de ces lieux, je voyage à l’étranger ».
Bhāgavatamāhātmya 1.48-50, trad. Anne-Marie Esnoul 1956, p. 156.
1Après avoir travaillé sur les premières représentations figurées de Kr̥ṣṇa en Inde septentrionale, mon affectation au centre au centre de l’École française d’Extrême-Orient [EFEO] à Pondichéry ouvrit pour moi une ère de recherche nouvelle. L’iconographie et l’épigraphie de l’Inde du sud ont nourri l’étude ici présentée sur l’implantation des divinités de bhakti dans le pays tamoul et mes recherches ont ainsi suivi un trajet inverse de celui que conte la Bhakti personnifiée, dans le passage fameux du Bhāgavatamāhātmya que j’ai placé en épigraphe. Né de la rencontre entre l’Inde méridionale et une recherche entamée en Inde du nord, « La Bhakti d’une reine » est le premier ouvrage d’une série consacrée à certaines fondations locales du pays tamoul durant la période cōḻa. Il porte sur l’apparition et l’évolution en Inde méridionale de divinités qu’on peut définir, dans une imprécise première approche, comme des dieux de bhakti, Viṣṇu, Śiva et l’ensemble des divinités féminines qu’on range sous la dénomination commode de la « Déesse ».
2De l’Inde septentrionale, où je fis bien des rencontres dont celle d’André Couture que je voudrais remercier ici, au sud de la péninsule, entre textes et matériel archéologique, l’analyse in situ a guidé mon travail. Le temple au dieu de Tirukkaṭaimuṭi qui est l’objet principal de l’étude est pourvu de nombreuses inscriptions et sculptures encore en place. Les premiers vestiges du site où se dresse ce temple datent du ixe siècle et l’on pense d’abord avoir affaire à l’un des premiers temples élevés dans le royaume de ces Cōḻa qui fascinent naturellement tout chercheur ou plus simplement toute personne arrivant dans le pays tamoul aujourd’hui. L’éclat d’un omniprésent mythe cōḻa y repousse en effet dans l’ombre les réalisations des autres dynasties, dont celle des Pallava qui dominèrent une part du pays tamoul avant l’établissement du royaume cōḻa. Les Cōḻa, leurs rois et leur empire, leurs conquêtes supposées d’au-delà des mers règnent sur une identité tamoule très présente dans la vie quotidienne. Pour situer l’importance de celle-ci, rappelons que plusieurs personnes s’immolèrent par le feu en son nom dans le dernier tiers du xxe siècle et que le tamoul a été reconnu comme langue classique de l’Inde au même titre que le sanskrit en 2006.
3Sans être toujours gagnée par la force de ce mouvement identitaire, j’ai été pour ma part séduite par les manifestations artistiques du territoire cōḻa et je remercie N. Ramaswamy (Babu), l’assistant du centre EFEO de Pondichéry, de m’avoir souvent emmenée les étudier. C’est l’étude de la sculpture des fondations du pays cōḻa qui m’amena à celle de leur riche épigraphie. Je suis ainsi devenue une apprentie de l’Inde du Sud où la naissance et l’évolution d’un pouvoir central d’essence royale et d’un hindouisme structuré par les grandes figures de la bhakti sont au centre des débats des historiens. Le travail avec R. Varada Desikan sur le corpus de la bhakti vishnouite tamoule m’ouvrit l’accès aux textes en tamoul des temples. Car les épigraphes ne sont pas les seuls textes de temple du Tamil Nadu : hymnes composés en l’honneur de Śiva ou de Viṣṇu, les poèmes de la bhakti tamoule forment de riches anthologies littéraires. Lorsque je suis arrivée à l’EFEO en 1999, Jean-Luc Chevillard était engagé dans le projet « Tēvāram ». Le titre de ce programme reprend celui du corpus shivaïte d’hymnes attachés à des sites dont la grande majorité correspond à des temples du territoire cōḻa. Je dois à ce chercheur les perspectives d’une incarnation « vivante » des corpus anciens. Eva Wilden m’a pour sa part permis d’entamer un apprentissage de la langue tamoule, à l’origine de l’essai de traduction des épigraphes du temple du dieu de Tirukkaṭaimuṭi. Alors que je m’engageais dans l’étude de certaines inscriptions, Leslie C. Orr m’a montré ce qu’une attention scientifique au monde concret pouvait faire de corpus épigraphiques, trop souvent considérés indépendamment de leurs supports matériels. Les commentaires de Blake Wentworth m’ont permis d’élargir les perspectives de l’ouvrage, en l’ouvrant sur des questions de nature anthropologique. Que mes mes remerciements soient à la mesure du profit scientifique que ces collègues ont représenté pour moi.
4Mais c’est à G. Vijayavenugopal que je dois d’essayer de comprendre l’esprit d’un pays tamoul que hantent dieux, démons, rois et déesses pris dans la musique d’une même langue. Cet éminent spécialiste des inscriptions du pays tamoul a toujours fait preuve d’une disponibilité et d’une gentillesse que j’aimerais saluer avec l’humilité qu’elles suscitent.
5Quant au centre de l’École française d’Extrême-Orient, il fut le lieu de plusieurs rencontres. Emmanuel Francis m’a introduite aux manifestations artistiques des Pallava, assise archéologique, iconographique, épigraphique et symbolique du temple de Tirucceṉṉampūṇṭi. Grâce à mon collègue Dominic Goodall, sanskritiste de formation et shivaïte de choix, j’ai parfois renoué avec un sanskrit qui s’avère indispensable à l’étude des premières manifestations de l’hindouisme en Inde méridionale. Un grand merci à tous deux.
6Depuis septembre 2003, j’enseigne à l’École pratique des Hautes Études où Gerdi Gerschheimer m’a permis de mettre à l’épreuve d’un public exigeant mes hypothèses de travail au fur et à mesure de leur élaboration. Maîtres, chercheurs, étudiants, auditeurs, qu’ils trouvent ici les remerciements que j’ai grand plaisir à leur présenter.
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