Les limites et la notion de passage dans la ville que j’habite
p. 37-41
Texte intégral
1En étudiant les limites, il s’agit de poursuivre l'exploration et de pénétrer toujours davantage dans l’intimité d’une ville. Éléments peut-être moins immédiatement identifiables, même pour l’habitué d’un quartier, les limites murs d'enceinte, fleuves, canaux, bord de mer, voies ferrées, boulevards structurent l’espace urbain et occupent dans la ville divers territoires selon la nature de leur fonction et de leur destination. Les limites constituent des frontières, des marches intermédiaires qui déterminent des espaces parfois différents. Ces limites, ces frontières peuvent généralement être traversées, contournées, certaines demeurent parfois infranchissables. Mais le plus souvent, les notions de limite et de passage sont étroitement associées. La limite autorise et induit le passage, elle indique que l’on change de nature de territoire, et qu’un franchissement a bien lieu.
Quelques caractéristiques du rôle des limites dans une ville
2Les limites peuvent "barrer" un passage pour des raisons à la fois de défense et de sécurité, voire de nécessité de réglementation dans les échanges commerciaux. C’était le cas dans le passé pour les murs d’enceinte de villes et les barrières d’octroi. Le passage alors en était strictement contrôlé. C’est toujours aujourd'hui pour des raisons de sécurité que les murs de casernes ou de prisons constituent des barrières infranchissables.
3Cependant, quand bien même certaines de ces limites (les murs d’enceinte, par exemple) ont perdu leur affectation d’origine (rôle de défense et de protection des habitants d’une cité) et sont devenues de simples architectures du passé ou ont été réhabilitées en monuments historiques, elles continuent à s’inscrire dans le plan et l’organisation de la ville. Elles affectent et nourrissent ma vision de la ville et influencent le cours de ma déambulation.
4D’autres limites se présentent également comme des obstacles compacts infranchissables. Elles correspondent alors souvent à des espaces d’activités qui possèdent leurs propres contraintes, leur propre régulation. Il n’est pas aisé de les franchir, il faut les contourner. C’est le cas des voies ferrées, des autoroutes, des pistes d’atterrissage.
5Les limites peuvent modifier profondément le sens d’un passage en transformant la nature des espaces : murs et portes d’un temple. Elles marquent alors une transition, une césure entre deux espaces entraînant un changement de qualification des lieux : espace sacré, espace profane.
6La transition que crée la limite entre deux types d’espace peut fournir aussi des renseignements sur la nature d’un mode d’occupation des quartiers, sur la diversité des activités d’une cité : habitat pavillonnaire dispersé sur une rive, habitat collectif sur l’autre rive ; commerces en-deçà d’un boulevard, sièges administratifs au-delà.
7Une autre propriété de la limite est son ambivalence. En effet, la limite s’inscrit profondément dans le paysage de la ville1. Elle partage, sépare un espace d’un autre espace et imprime sa marque dans le tissu urbain. Et dans le même temps, la limite unit, réunit deux espaces. Elle constitue un point parfois fragile de passage entre deux lieux, deux secteurs d'activité. A Pondichéry, le Grand Canal a longtemps, pendant la période coloniale, servi de limite, de ligne de démarcation entre l’ancienne "ville blanche" et l'ancienne "ville noire".
8La limite est souvent une ligne, une frontière naturelle : mer, rivière, fleuve, etc. Bien souvent, le lit d’une rivière aménagé en canal, le cours d’un fleuve constituent une limite franche et naturelle desservant deux quartiers, deux parties de ville distinctes. Cette séparation, quand il s’agit d'un fleuve, peut même devenir une frontière entre deux pays. Dans une ville, les quartiers situés de part et d’autre de chaque rive peuvent évoluer de façon différente. C’est le cas de Paris, de Budapest.
9Le bord de mer, à Pondichéry constitue coté est l’extrême limite de la ville. La promenade qui longe la mer est aussi le lieu priviligié des Pondichériens qui entre 18h et 21h y effectuent pour se délasser d’incessants allers et retours.
10Tenter de reconnaître les limites d’une ville, c’est identifier ces "coutures", ces "bordures", tous ces éléments structurants qui, dans la cité, relient un quartier à un autre, une rive à une autre, un fragment de rue à un autre fragment : ponts, passerelles, tobbogans, passages souterrains... Parfois ces coutures, ces limites s’inscrivent tout près du champ intime de la maison. En effet, les kolam dessinés par les femmes chaque matin dans la rue constituent une sorte de limite extrême de la maison. Le kolam, espace mi-privé, mi-public constitue l’ultime extension de l’espace domestique. Il semble bien qu'au-delà de l’espace occupé par lui, l’on se situe dans "l’Au-Dehors" et que l’on rejoigne une zone plus neutre et homogène : celle de l’espace public.
11Tenter de m’approprier les limites de la ville que j’habite, c’est aussi apprécier au cours d’un trajet, d’une déambulation, la façon dont elles peuvent influencer mes pratiques et mon comportement de marcheur, de promeneur, voire d'automobiliste. C’est être vigilant sur la nature de la marche qui risque d’être sensiblement modifiée par l’obstacle que je n’avais peut-être pas prévu. Je peux être détourné et contraint de revenir sur mes pas. Mais je peux avoir également le désir de franchir tel pont, telle passerelle, parce que j’ai été alerté par la présence d’un édifice, d’une boutique, d’un café situé de l’autre côté de la rive, de l’autre côté d'une limite.
***
12En regardant le plan de la ville de Pondichéry, peut-on identifier des limites ?
13S’agit-il de limites naturelles ? S'agit-il de limites créées par l’homme ?
14Quel rôle peuvent jouer pour le citadin les limites qui ont été identifiées ? Ont-elles un rôle fonctionnel ? Esthétique ?
15Dans la rue, les kolam jouent-ils un rôle de limite ?
16Représentent-ils l’ultime extension du domaine propre à la maison ?
17Au cours d’une déambulation, quelles limites peuvent être vécues comme un obstacle ?
18Quels sont les moyens que la cité offre pour les franchir ?
19Pour approfondir
20D'anciennes limites : enceintes, forteresses, etc. ont-elles laissé des traces à Pondichéry ?
21Dans quelle mesure ces nouvelles limites continuent-elles à structurer l’espace urbain ?
Notes de bas de page
1 Une limite, une ancienne enceinte de ville peut, par exemple, avoir disparu. D’anciens forts, d’anciens remparts, d’anciennes fortifications ont souvent été détruits et l’espace qu’ils occupaient transformé en boulevard, promenade ou jardin public, ou sont simplement absorbés par le développement des villes, comme ces temples des limites (ellai-ammaṉ-kōvil) qui ne sont plus désormais aux frontières de la cité... Ces témoignages n’en constituent pas moins une marque, une trace visible dans le paysage urbain.
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