Le plan d’une ville
p. 5-10
Texte intégral
1Chaque ville1 a une forme particulière, un visage qui lui est propre, mais le plus souvent, on ne prête pas attention à la nature de sa configuration. Généralement un regard sur un plan touristique nous fournit quelques indications. Les tracés des rues nous apparaissent : ruelles tortueuses, impression d’enchevêtrement, ou bien au contraire, perception d’une trame régulière avec des rues se coupant à angle droit ; bâtiments officiels concentrés dans un même quartier ou disséminés dans toute la ville...
2De toute façon, si l’on a le désir d’embrasser vraiment l’immensité d’une ville, il faut accéder à un point élevé, se hisser au sommet d’une colline, gravir un monument. Ce n’est qu’au prix de cet effort que l’on peut découvrir comment s’organise le tissu urbain, quel rôle jouent les artères principales, les perspectives, si la ville est aérée par des parcs publics, si le cours d’un fleuve la partage en rives et enfin si la ville s’étend jusqu’aux confins de notre horizon, là où la terre et le ciel se confondent.
Quelques repères pour apprécier la forme d’une ville
3Il faut rappeler que la forme d’une ville s’accorde souvent avec le site géographique où elle s’implante. Le site délimite, trace un territoire. Une ville peut être circonscrite au sein du méandre d’un fleuve, elle peut aussi se situer sur un plateau, se retrancher au milieu d’une île ou s’étendre le long d’un rivage. Son implantation, son extension sont alors en grande partie fixées par des limites naturelles.
4Mais la forme d’une ville ne dépend pas seulement de sa localisation géographique. Une ville, une cité sont aussi l’expression d’une volonté, d'une décision conduite par un groupe d’hommes qui, pour des raisons politiques, parfois religieuses, choisissent de fonder une ville.
5Deux grands types de villes peuvent alors être identifiés.
6Une ville peut être créée ex-nihilo. C’est ce que l’on appelait autrefois des "villes neuves". Pondichéry est une "ville neuve". Aujourd’hui on les nomme "villes nouvelles". Chandigarh, située dans le Punjab, est une "ville nouvelle". Généralement ces villes construites de toutes pièces présentent un plan régulier en damier. C'est le cas de Pondichéry, de Jaipur, de Chandigarh, de Washington…
7Mais une ville peut se constituer différemment à partir d’un point, d’un noyau existant et puis se développer par exemple autour d’une cathédrale, d’un château, d'une église. Sa physionomie sera totalement différente de celle d’une "ville nouvelle". Des quartiers se forment alors, et s’enroulent généralement de façon radio-concentrique autour du centre initial C’est le cas du centre historique médiéval de Paris et de Barcelone, et dans une certaine mesure, des nombreuses médinas. La médina est une ville traditionnelle musulmane (Tunis, Fez...). Le plan adopte souvent en ce cas l’aspect de ruelles tortueuses, étroites, avec des culs-de-sacs, des rues en boucle avec, parfois, des murs aveugles du côté de la rue...
8En Occident, l’origine du plan en grille remonte au IVème siècle avant J.—C. avec Hippodamos de Milet, philosophe et architecte qui créa la ville du Pirée selon un plan en damier Ce modèle fut repris par les Romains, puis à partir du XVIème siècle les Européens, par commodité, adoptèrent à nouveau le plan en grille ou en damier lorsqu’ils décidèrent de fonder des villes dans leurs colonies. La ville de Pondichéry en fournit une belle illustration.
9Les plans en grille ont existé dans différentes civilisations. On peut citer à ce propos la ville de Jaipur fondée au début du XVIIIème siècle et qui offre un exemple parfait de plan régulier en forme de damier. Cependant, d’autres modèles tendant à s’apparenter au plan en grille sont identifiables en Inde, dans d’autres lieux. Par exemple à Madurai, la ville s’organise en rues régulières se coupant à angle droit tout autour du temple dédié à Meenakshiyamman. Il semble que ce tracé régulier ait pour dessein de faciliter et d’encourager les différentes processions qui se déroulent à proximité du lieu sacré.
10Le plan en damier répond d’abord à un besoin de rationalité. Sa composition permet un découpage en parcelles régulières et offre la possibilité de lotir équitablement. Le plan en damier autorise une répartition en quartiers homogènes quartiers administratifs, résidentiels, commerçants. Le tracé des rues qui se coupent régulièrement à angle droit facilite le flux de circulation, à la différence des ruelles tortueuses des villes médiévales. Les rues rectilignes permettent aussi une meilleure surveillance et une intervention rapide lorsque des troubles éclatent.
11Cependant, la régularité du tracé et la répétition du même gabarit des immeubles peut engendrer une relative monotonie si des places, des alignements d’arbres, des fontaines ne viennent rompre cet équilibre par trop rigoureux. En outre, le plan en grille dans une grande ville ne présente pas une réelle commodité quand on veut se rendre d’un point à un autre. Il doit être alors tempéré par la construction d’une artère en diagonale. C’est le cas, par exemple, de la ville de Washington.
12La ville de Pondichéry, telle qu'elle existe aujourd'hui et telle qu’on peut la lire en regardant son plan, a pu sauvegarder presque entièrement son tracé originel. Il s’agit d’une "ville neuve" construite dans une certaine mesure ex-nihilo au XVIIème siècle par les Français selon un plan en grille. Il faut rappeler, en effet, qu’avant leur venue, des implantations de tisserands et de pêcheurs devaient exister. Des temples aussi avaient été construits. Les Français n’occupèrent point un terrain totalement vierge. Mais rien ne permet aujourd’hui de dire avec précision si les Français, en créant leur ville neuve, ont été partiellement influencés par les structures villageoises existantes. Ses rues se coupent régulièrement à angle droit et déterminent une répartition par quartiers homogènes. Le grand canal sépare toujours l’ancienne "ville blanche" de la "ville noire". Il faut rappeler qu’au moment de la fondation de la ville actuelle en 1673 par François Martin, une forteresse fut d’abord érigée face au front de mer. C’est de part et d’autre de cette forteresse que les premiers quartiers ont été lotis. Démantelée au XVIIIème siècle par les Anglais, la forteresse a totalement disparu du paysage de Pondichéry. Mais le vaste quadrilatère qu’elle occupait a été transformé et aménagé aujourd’hui en jardin public. Afin de rendre la ville inattaquable, les Français l’avaient ceinte d’un grand rempart bastionné à la Vauban2 dont les portes d’accès monumentales réglementaient et autorisaient le passage. Cette enceinte a aussi disparu, mais le tracé de cette limite est toujours particulièrement lisible sur le plan de la ville elle est devenue une voie de circulation. Le boulevard circulaire utilise l’emplacement de l'ancienne ligne de fortification bastionnée.
13Pondichéry n’a donc pour l’instant pas subi de bouleversements notables au niveau de son plan initial. Mais de profondes transformations risquent d’affecter les superstructures, c’est-à-dire le bâti, le gabarit des maisons et leur localisation dans leur parcelle. Le Grand Canal qui partage et réunit "ville blanche" et "ville noire" et qui draîne sur chacune de ses rives de nombreux marchands ambulants et familles sans abri, ce Grand Canal orienté nord-sud est en voie d’être progressivement recouvert. Sa disparition ne peut qu’altérer l’image traditionnelle de la ville. En outre, le tracé des rues, plus précisément la largeur des voies dessinées il y a près de trois siècles n’est plus tout à fait adaptée au flux et à l’intensité de la circulation d’aujourd’hui. Tout laisse penser que la physionomie actuelle de la ville risque d’être profondément modifiée et son plan initial profondément bouleversé. Là encore des logiques différentes s’affrontent : nécessité de moderniser une cité, avec le risque toujours majeur de laisser disparaître une part essentielle de sa mémoire culturelle.
***
14Quelle est la caractéristique du plan de la ville de Pondichéry ?
15Pour quelles raisons ce type de plan a-t-il été choisi ?
16Le plan de la ville de Pondichéry a-t-il évolué depuis sa création ?
17Quels sont les structures, les bâtiments de la ville qui ont disparu ? Par quoi ont-ils été remplacés ?
18Le plan de la ville de Pondichéry présente-t-il encore un réel avantage au niveau de la circulation ?
19Est-il possible de se repérer facilement dans Pondichéry, le tracé des rues nous y aide-t-il vraiment ?
20Peut-on donner en Inde des exemples de villes nouvelles conçues selon un plan en grille ?
21Peut-on identifier en Inde des villes qui se sont développées autrement qu’en adoptant un plan en grille ?
22Dans une autre ville, dans votre village, le tracé des rues est-il régulier, rectiligne ou au contraire tortueux, comportant des ruelles qui tournent et s’enroulent autour d’un édifice : le temple par exemple ?
23Ressent-on une différence de perception, d’impression selon que l’on se promène dans des rues droites et régulières ou selon que l’on déambule dans des rues étroites qui tournent sans cesse ?
Notes de bas de page
1 On utilise le mot ville pour exprimer les différentes formes qu’une ville peut adopter, c'est-à-dire que l’on insiste sur sa morphologie. En revanche, la cité exprime le lieu institutionnel où s’exercent les lois et la responsabilité du citoyen.
2 Ingénieur français qui, à la fin du XVIIème siècle, perfectionna considérablement l’art militaire en améliorant le système de défense par l’utilisation d’ouvrages bas, avancés, faisant saillie sur l'enceinte d’une place-forte.
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