Conclusion
p. 517-522
Texte intégral
1Le VTK est destiné à montrer la sainteté d’un certain nombre de tīrtha et à rendre pèlerins virtuels ou réels sensibles à leur symbolisme. A cette fin, l'auteur recourt à divers procédés qui caractérisent chacun un type de lieu saint et illustrent ainsi la hiérarchisation des tīrtha représentés (I) : pour les Monts sacrés, il montre la perfection du lieu saint (II et annexe 4 no 1 à no 4) et les mérites qu’on acquiert en s’y rendant ; il évoque des sujets de gloire des villes traditionnelles (III), rappelle la légende édifiante d’un héros dans les villes non traditionnelles (IV) ; il confère un statut sacré aux lieux saints locaux en relatant les légendes de statues découvertes (V).
2Le VTK puise la matière, sujet de gloire du lieu saint, largement dans une tradition de légendes transmises par les commentaires des Āvaśyaka, de l’Uttarādhyayana, etc. (cf. Introduction § 13), — rarement dans des répertoires de miracles (IV § 3), et occasionnellement à des faits historiques passés ou contemporains. Les renseignements précis et datés (pillages, meurtres, listes dynastiques, constructions de temples, consécrations ou restaurations de statues) sont corroborés par le témoignage des inscriptions ou des chroniques persanes, comme l’ont déjà remarqué Bühler et Kielhorn, il y a un siècle. Parfois encore, ce texte donne des éléments topographiques précis qu’ont voulu exploiter des travaux récents.
3Mais le VTK ne se veut pas un catalogue exhaustif et objectif de documents. Il ne nous renseigne guère par exemple sur les pèlerins et leur voyage. Les visiteurs des lieux saints "viennent des quatre horizons" (cf. annexe 4 no 12) et appartiennent aux quatre classes (32 § 1). Il est précisé cependant qu’ils ne sont pas nécessairement jaina śvetāmbara, mais aussi digambara ou de toute autre confession (cf. 22 § 2d et infra). Le voyage du pèlerin était, comme nous l’apprend Rājaśekhara (cf. Introduction § 2), une entreprise majestueuse et coûteuse (22) que Jinaprabha ne se préoccupe pas de le décrire : seul le k.22 évoque les fêtes organisées lors des différentes étapes. La vision de l’histoire reste simpliste : les mleccha, turukka, etc. (annexe 4 no 10 et no 11), associés à l'ère kali et à la négligence des dieux protecteurs (annexe 4 no 6), sont les Barbares dont le saccage (annexe 4 no 7) sert à justifier la non perfection du lieu saint. La description du tīrtha est souvent stéréotypée ou empreinte de merveilleux. Bref, réalité et légende servent également la glorification du lieu saint.
4Etant donné la perspective orientée qui est la sienne, le VTK apporte des renseignements sur la dévotion et la vie religieuse des laïcs et des moines célébrés dans les kalpa : ainsi, sur les règles qui entourent la quête (36), l’étiquette (36, 47), les mets autorisés et les types de jeûne (32, 47), les éléments du culte (V § 7).
5Il montre également quelles ont pu être les techniques de l’édification utilisées par les Maîtres jaina au Moyen Age : méditation, conduite exemplaire, prêches (40), joutes oratoires (22, 47, 51), merveilleux (17, 32, 43, etc. : cf. IV et V) et panégyriques (kalpa) de diverses sortes (cf. supra).
6Plus généralement, il est une source d’enseignements sur les coutumes, les mentalités et les courants religieux de l'Inde du Moyen Age et les rapports qu’ils entretiennent.
7Dans ce texte, on voit apparaître en effet les tendances qui ont permis au jinisme de conserver son identité et sa vitalité jusqu’à l’époque actuelle : en distinguant nettement dans la terminologie les adeptes du jinisme et les gens d’autres obédiences, il montre que les jaina ont le sentiment d’appartenir à une communauté et savent même dépasser les divisions sectaires (22 § 2d) ; la mainmise des congrégations sur les lieux saints (V § 5), l’autorité incontestée et croissante des Maîtres (VI § 7), témoignent de l’organisation et de la force de cette communauté qui, grâce à ses principes religieux et à son pouvoir économique, sait se ménager la bienveillance des sultans au pouvoir à cette époque (22, 51, 60).
8Le jinisme semble avoir su gagner la sympathie des autres communautés : on voit à plusieurs reprises (28, 32, 43) que les fidèles jaina imposent leur culte en sachant allécher ou impressionner les populations qu’ils côtoient. Les relations avec les sivaïtes paraissent avoir été plus houleuses : dans telle histoire (40), les jaina et les sivaïtes se disputent l’occupation d’un temple, dans telle autre (47), les jaina opèrent des conversions plus ou moins forcées à leur religion. Mais en règle générale, les jaina semblent avoir coexisté paisiblement et fait triompher leur dogme en assimilant habilement les dieux locaux, tels le Yakṣa Bambhasaṃti (17), le śivaïte MāṇikyaR̥̥ṣabha (47), le tribal CellaṇaPārśva (43), dans le culte rendu aux Jina.
9L’influence exercée par d’autres courants religieux a abouti à une évolution du jinisme que l’on voit s’esquisser dans ce texte du 14e siècle : on constate le rôle croissant des divinités féminines (Ambā, Padmāvatī, surtout) qui entretiennent des relations privilégiées avec le héros de leur choix (VI) ; on voit aussi l’importance accrue des dieux mineurs (Kṣetra-pāla, Dharaṇendra, Kapardin, entre autres), intercesseurs entre le T. et les fidèles (VI et annexe 4 no 19 et no 20). Cette tendance à la dévotion personnelle, qui correspond à une évolution visible dans d’autres courants religieux du Moyen Age, s’accompagne de la faveur grandissante dont jouit le culte des images des Jina (V § 2 et annexe 4 no 15 à no 18). Elle se caractérise aussi par l’autorité des Maîtres dotés de pouvoirs extraordinaires, encore accrue par l’influence grandissante au sein du jinisme populaire des pratiques alchimiques ou magico-religieuses (II § 6 et § 7).
10L’histoire et l’histoire des religions doivent donc prendre en compte un texte comme le VTK et approfondir les renseignements qu’il donne par l’analyse d’autres œuvres apparentées (prabandha, rasa, etc.) encore fort peu étudiées — voire inédites —. On pourra ainsi espérer améliorer la connaissance de l’histoire du jinisme, de son organisation interne ainsi que des courants religieux, des mouvements politiques et économiques auxquels il participe durant cette période encore mal connue qu’est le Moyen Age indien.
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012