Conclusion
p. 81-90
Texte intégral
1Le parcours de la revue n’est pas anodin. Enrichie d’inspirations islamistes, coloniales, conservatrices nord-américaines et de bruits venus de la rue indienne, de fragments choisis comme un Selection du Readers’ Digest de la pensée normée d’une époque de matchs de cricket, de puritanisme inquiet et de télévisions obscènes, l’objet arbore la consistance d’un patchwork. C’est un objet kitsch. Il a un caractère commun et reproductible. C’est pourtant un ensemble proche de se rompre, à la texture faite d’éléments qui s’accordent mal ou qui se repoussent. Des éléments de pensées et de théories s’y trouvent juxtaposés, les tendances à fragmenter ce qui est compliqué, oublier ce qui est ambivalent et couper les créations intellectuelles du contexte de leur création aggravant la scène. Les contradictions abondent au point de constituer le premier message. Elles sont connectées à la position globale des Intouchables, écartelés entre demande de protection et désir d’émancipation, ainsi qu’au fait que les basses castes se disputent d’abord entre elles. Elles s’enracinent aussi dans la position particulière du groupement qualifié et anglicisé des lecteurs au sein d’une communauté plébéienne et prolétarienne. Sous un habillage historique et culturel typé, centré autour d’une problématique de caste-classe propre à l’Asie du Sud, le produit se rapproche d’autres ersatz intellectuello-industriels, radotant la même antienne depuis les débuts du capitalisme244. La tension propre à la caste s’incarne dans les rapports qui deviennent obsédants entre des jati, formant système d’identité non territorialisé considéré de plus comme arriéré, et les communautés très territorialisées mais porteuses d’identités intenables. L’ensemble constitue un instrument remarquable pour comprendre notre époque, ses tendances et ses non-dits, notamment ce qui joue avec le sentiment de supériorité moderniste, sujet central mais jamais nommé de la logorrhée haineuse de la Voix des Dalit. Réduisant le complexe à un élément emblématique, pratiquant l’amalgame et l’hypersymbolisation, usant des modes de conditionnement de la publicité et des méthodes des officines de dressage de chiens, retrouvant, à peine inversé quand aux sujets, les accents du discours antiterroriste contemporain, en quête d’ennemi susceptible de resserrer les rangs de « l’Occident »245, la Voix des Dalit est un reflet remarquable, à peine déformant, des idées dominantes contemporaines.
2En ce qui concerne le positionnement particulier de l’élite dalit, la revue met très bien en valeur trois choses. Ce petit monde est fait de dominés très relatifs aspirant assez brutalement au statut de dominants, leur fidélité à leur groupe étant aussi proclamatoire que vacillante. Leur pensée est une pensée de frustrés qui travaille par amalgame en usant de clichés disponibles sur le marché de la déshumanisation pour tenter de compenser son propre sentiment de déréliction. Elle reflète enfin la perception ultraconservatrice d’un groupe de gens tentés épisodiquement par le chambardement.
3La revue met en avant, avec ce qu’elle appelle bouddhisme, une religion entièrement politique et emblématique, assujettie à tous les instants aux aléas d’une lutte, quelque part légitime mais quelque part aussi quasi démente, pour la reconnaissance. Les nationalistes hindous, les communistes en leur temps, ont Conclusion rarement atteint ce degré de manipulation, de mort des affects et de dessèchement de la pensée. Recyclant des staliniens en les soumettant au racialisme et aux bigoteries monothéistes, la revue était en terrain dangereux. Elle est tombée dans tous les pièges. Aucune émotion, aucun concept, aucun mode de vie pouvant être appelés « bouddhistes » n’y transparaissent. La rage et la haine, omniprésentes au point de constituer le second message, sont nettement dévalorisés par le bouddhisme qui, rappelons-le, base son enseignement sur le karma, le contrôle des affects et la « gestion » des mérites. L’austérité pudibonde qui se déploie ici n’est pas une spécificité. Elle est petite-bourgeoise et postvictorienne avant de se nourrir aux sources nord-américaines des époques Reagan et Bush. Il suffit d’être antibrahmane et pro-Dalit. Ces derniers sont considérés comme naturellement puis « racialement » bouddhistes.
4La part énorme que la Dalit Voice attribue au racisme, au puritanisme246 et au mythistoire247 symbolise son insertion dans la pensée dominante actuelle. C’est le troisième message. Ces catégories ne sont affectées ni par la médiatisation ni par la marchandisation, ou plutôt elles sont bien vendables et médiatisables. Dans les pays du Sud leur prépondérance est écrasante, quoique ambivalente. Pour prendre un exemple, la popularité des emblèmes, symboles, repères et modes de pensée nazis, sous forme de jeux vidéos ou autres est telle qu’elle influence des mouvements de libération (Palestine, Dalit), quand bien même ces mouvements se situent sans ambiguïté dans l’opposition au nazisme248. Ce dernier était racialisant, amateur de mythistoire et puritain. L’importance de configurations symboliques fortes mais mal fixées dans le champ des représentations contemporaines est presque trop bien illustrée par la Dalit Voice et ses accès de fièvre. Les systèmes d’idées armées (idéologies « polarisées ») perdent leur pertinence dans le cadre de la mondialisation mercantile pendant que l’emblématique, des marques de chaussures au drapeau bleu du dhamma, renforce son influence, structurante et déstructurante à la fois, au travers de jeux peu contrôlés avec la puissance dont la propension à mentir et détester est un sous-produit pour frustrés mal classés249. Ces phénomènes, qui ne sont pas tant attachés aux perspectives d’émancipation des faibles qu’aux perspectives de dominés aspirant à la domination, sont loin d’être sans conséquences et méritent d’être suivis.
5Il est particulier, mais nullement exceptionnel, d’observer les représentants de groupes abaissés, pour la couleur de la peau et d’autres éléments, se servir de la pensée racialisante et de certains de ses symboles et modes d’organiser la réalité en tentant plus ou moins de la retourner, d’en faire un instrument d’émancipation. L’effet d’imbibation culturelle, qui associe de manière complexe le passé colonial et des faits de la caste, se comprend mieux quand on se remémore que les rédacteurs de la Voix des Dalit réagissent plus qu’ils n’agissent. Ils sont sensibles aux idées-chocs, aux clichés, aux oxymorons face auxquels ils se positionnent par l’acceptation sans retenue ou l’opposition à outrance. Ils pensent global et amalgament, d’abord par système puis par habitude. L’affirmation en pour ou contre, noir et blanc, met en scène un dualisme primai, fondateur, qui ouvre la voix aux positionnements racisants. Les tentatives pour échapper à la pensée fusionnelle250, développées par la revue, auraient pu poser matière à débat si elles n’avaient été réduites à des tropes avant d’éclater en une perspective bipolaire d’une grande rusticité. Cette non-pensée binaire cherche à se placer dans un courant puissant de stupéfaction intellectuelle qui balaye ce début de millénaire chrétien251, celui de la globalisation par le bas. Elle y arrive bien.
6Le racialisme de la Dalit Voice est fait de l’emboîtement de plusieurs fragments de pensée venus d’horizons et d’expériences historiques sensiblement distinctes. Sans porter les responsables de la revue à chercher une théorie cohérente, leur interaction a été capable de porter plusieurs discours d’hétérophobie et de création d’espèces dans l’espèce vers des extrêmes de plus en plus affirmés. Cela s’est souvent produit en effectuant des balancements entre deux pôles, ce qui devrait être, et que les Autres empêchent, et ce que l’on accepte ou laisse faire afin de se débarrasser des oppresseurs gêneurs. La perspective n’est pas fondée sur l’organicisme social mais ce dernier est tellement prégnant en Inde qu’il trouve sa place en nombre d’occasions. La racisation induite par les mots de la Dalit Voice s’enracine fréquemment dans des schémas de vendetta. Il faut rendre ce que l’on a subi. Au centuple. Une générosité indécise, présente au début des années 1980, disparaît peu à peu vers 1990. Depuis il n’en reste rien. Les influences des théories des « Fils du sol », la culture de la vengeance des émeutes et du cinéma, la promotion du sentiment de responsabilité collective par les nationalistes hindous et les conservateurs musulmans se retrouvent combinées au fonds dravidianiste et adi-hindu. Comme les amateurs de vendetta ne vivent pas sans la perpétuation du collectif ennemi, cette tendance, qui promet des « rivières de sang », est peut-être l’une des moins dures. L’exigence de traitements différenciés, rare au début, s’affirme dans le sillage des extraits de discours dravidianistes. Les « premiers arrivants » ont des privilèges. Ils sont revendiqués d’abord sur certains plans puis étendus à l’ensemble de la perspective sociale. La logique du « premier peuple » était l’armature de pensée de l’Angkar durant les massacres de masse au Cambodge (1975–1979). Cette notion de race « antérationaliste » est populaire252. Le racisme dur et « primai » qui fait des Autres des bestiaux détestés est critiqué avec virulence, puis invoqué avec naturel en matière de Brahmanes, traités de « cafards » et de « serpents », les termes exacts employés par les milices hutu au Rwanda à l’encontre de la minorité tutsi en 1994. Pratiqué au début comme un jeu provocateur, il ouvre peu à peu, après 1990, sur des appels de lecteurs à l’extermination des créatures immondes. La racialisation relative, hiérarchique, est vouée aux gémonies, puisque c’est l’une des lectures possibles du système de caste, la seule qui soit retenue. Des perceptions de ce type, réduisant les catégories à deux et inversant les critères usuels (le noir est beau, l’adivasi c’est le top) se sont peu à peu introduits, en bonne place, depuis certains séminaires Panthères dalit et les mouvements afro-américains. La hiérarchisation de la valeur humaine par la culture, le langage et les croyances se concrétise par la surévaluation de la culture anglo-saxonne, commune aux Dalit aisés et qualifiés, aux nationalistes hindous et aux élites de haut rang, et par la réduction de l’hindouisme à un fatras, au mieux, à la barbarie radicale, au pire. Le côté conservateur et institutionnalisé de la Voix des Dalit rencontre la vieille et tenace influence des missionnaires chrétiens et celle, plus récente, des deobandi musulmans.
7La Voix des Dalit refuse l’exploitation au nom de la couleur ou de l’ethnie mais ne définit jamais ce qu’est l’exploitation, ni d’ailleurs l’ethnie. Cela lui permet d’ignorer concrètement la première et de faire grand usage de la seconde. La revue n’aime pas la génétique. Elle évite de confier sa racialisation aux sciences qui se déclarent exactes, mais elle définit son interprétation fantaisiste de l’histoire et de la culture comme une science plus qu’exacte, un savoir d’autorité qui fait des Brahmanes, des sionistes-Juifs et des « Occidentaux » impérialistes des espèces nuisibles, capables en toute occasion de transmettre leur venin et d’exercer leur oppression. Les Dalit constituent une espèce portée par d’autres valeurs et une autre histoire. C’est une « bonne espèce », l’introduction de la vertu morale venant aggraver le tableau essentialisateur. Cette manière de classer provient de la culture communautariste indienne développée depuis un siècle et demi, profondément hybridée de schémas modernisateurs, de culte de la puissance et de discours « civilisationnels » chrétiens et laïques plus ou moins détournés253. Le racisme de la revue exprime souvent un penchant égalitaire : il y a des races, elles sont irréductiblement différentes et se valent toutes. C’est ce que dit Rajshekhar quand il insiste sur le fait que les « nazis hindous » ont leur place en Inde, la place d’une minorité d’ailleurs. L’existence, mille fois soulignée, d’un mal absolu, d’attitudes irrécupérables et de péchés impardonnables dans une partie de la population suppose cependant, à nouveau, son éloignement ou son extermination, propositions d’abord allusives puis de plus en plus ouvertes, souvent introduites sur le ton de la prophétie apocalyptique : tous seront détruits et Dieu – ou l’Histoire – reconnaîtra les siens. Après avoir fait de l’apartheid et de ses horreurs une référence centrale du discours de dénonciation254, le racialisme de la revue est enfin séparateur. L’évocation positive du ghetto pour musulmans ou du Dalitistan (le territoire dalit) en témoigne. Contrairement aux autres inflexions du paradigme racialiste de la revue, celle-ci, assez insistante au début, est devenue de moins en moins importante, au fur et à mesure que la rhétorique bahujan, associant les Dalit aux minorités et aux basses castes pour constituer 85 %255 de la population, les non-hindous, gagnait du terrain, les autres axes de racialisation s’affirmant. Sans nous permettre de juger Rajshekhar, Biswas, Thomas et leurs lecteurs, en nous référant seulement à des exemples de discours parallèles et comparables et à leurs conséquences, il nous paraît qu’ils se sont jetés ou laissés poussés vers des perspectives ingérables.
8Pourquoi les hauts administrateurs dalit écrivent-ils ou laissent-ils écrire ces choses en leur nom ? Nous avons utilisé l’expression d’« élite subalterne » afin de mettre en scène un groupe satisfait quant au revenu, mais d’une notoriété mesurée qui ne satisfait pas ses attentes quand au rang. Ce groupe est de plus imbu de culture bureaucratique, dépourvue d’imagination, standardisée, répétitive, peu sensible au temps et aux circonstances. C’est peut-être parce qu’il accepte un guru, ou un neta (chef charismatique) qui ne cesse de l’insulter tout en le flattant et lui disant qu’il est l’avenir et la fine fleur du pays256, que ce groupe se montre aussi manipulable. Une autre hypothèse serait son insatisfaction croissante, liée à la baisse de statut de l’État. Il vit par ailleurs de plus en plus dans des zones gardées et clôturées avec d’autres gens riches, membres des hautes castes abominées dont les Dalit associés et transformés par l’éducation et l’État lorgnent « les femmes ». Il y a plus de quoi fantasmer que théoriser. Les membres de l’élite dalit sont focalisés sur des enjeux symboliques et statutaires. L’enjeu est leur visibilité pour le « BSO », pour l’État indien et les États-Unis, pour l’establishment, pour les professeurs étrangers et, en dernier lieu seulement, pour d’autres mouvements de libération ethno-raciaux, essentiellement nord-américains. Ayant atteint leur aisance et copié leur mode de vie, ils désirent la place symbolique, le statut mythifié et globalisé d’ennemis de haute caste qui sont parfois introduits dans leurs familles en plus que de régner dans leur service, laboratoire ou bureau. Cette proximité avec un ennemi soi-disant mortel et le caractère symbolique de l’affrontement expliquent en partie pourquoi toutes les outrances paraissent bonnes. Il s’agit d’entamer le prestige et la crédibilité, mettre en doute le patriotisme, suspecter les activités. La mise en cause du droit à s’affirmer et rester dans le pays vient ensuite, comme naturellement, au bout d’une chaîne d’arguments dénonciateurs. La faiblesse de l’élite subalterne dalit alimente sa virulence. Son poids médiocre par rapport aux dirigeants politiques et aux nouveaux notables du mouvement dalit (genre BSP) aggrave son malaise. Il alimente sa propension à lancer des surenchères provocatrices, proférant des propos terribles auxquels elle se met bientôt à croire.
9Il reste à se demander pourquoi des intellectuels européens ou indiens, qui disposent de recul et d’informations, qui ne sont pas engagés dans des luttes pour la reconnaissance et le statut ni englués sans possibilités de choix dans les résidus conceptuels du colonialisme, se sentent obligés de citer la Dalit Voice, comme une source honorable et non comme le symptôme d’un état, dangereux ou non, mais certainement problématique. Le dernier exemple est celui de Kanungo (2004), mais la revue est régulièrement invoquée, dans des publications plutôt libérales ou marquées à gauche, comme s’il s’agissait d’une base de données de qualité. La revue a introduit sur la scène des idées contemporaines en Inde des données spécifiques qui suffisent à justifier qu’on lui porte de l’intérêt. Par ailleurs, la légitimité de la violence, y compris verbale, ou futilité de la rage pour sortir du paternalisme et de la misère, sont des enjeux importants que la connaissance de la publication permet d’aborder. La manière dont les exigences égalitaires fondent de nouvelles hiérarchies durcies ou des classements d’essence, dans le discours de la revue et dans les sociétés où elle intervient, permet des comparaisons d’importance. Ce n’est pas ce qui est fait. Personne n’analyse la Voix des Dalit.
10D’un autre côté, les grandes forces nationales ne la citent pas comme une autorité mais l’oublient. Au grand dam de Rajshekhar, les organes du RSS, qui usent en matière de Dalit d’un ton allusif ou diplomatique, l’ignorent. Les « papiers toilette nationaux » font de même. Dans la fraction de l’intelligentsia cosmopolite qui approuve la revue ou ne lui trouve rien de particulier, le nom des opprimés de la caste est devenu capable, comme celui des ouvriers le fut au temps du stalinisme, de produire une paralysie intellectuelle si caricaturale qu’elle en devient pitoyable. La mise à mal de l’eschatologie historiciste, qui accompagne la théorie du complot dans les colonnes de la Dalit Voice, ouvre le champ aux perspectives ethnoracisantes, ou plus hétérophobes encore, dans des milieux qui se prétendent progressistes, universalistes et éclairés. Il semble que la quête d’un ennemi uni et solide, qui fonde, entre autres, l’idée actuelle d’Occident, soit devenue une manière de pensée usuelle. Il est possible que l’adhésion inconditionnelle au bouddhisme politique et, de manière implicite, au racialisme antisémite, soit, au moins en Inde, parfois aux États-Unis et en France, une façon de se démarquer du marxisme auparavant valorisé. Il paraît justifié, face au discrédit dans lequel le marxisme est tombé, de se montrer extrémiste et aveugle. Une partie des intellectuels désire par ailleurs racheter les positions « pro-brahmaniques » de l’orientalisme de leurs pères ou marquer leur différence dans le milieu minuscule des indianistes. Ces phénomènes, pour marginaux qu’ils soient, sont aussi affligeants que les inepties ou les appels à la haine diffusés par la revue indienne257.
Notes de bas de page
244 Voir certains « nouveaux philosophes » ou « nouveaux intellectuels » français, particulièrement en version médiatisée, si friands d’envolées essentialisant l’Occident tout en vantant l’universalisme, pourfendant le terrorisme, usant de notions d’histoire fragmentaires et périmées, imbus d’un sens de la mission absolu autant que dérisoire. La différence avec la Dalit Voice est que ces subalternes dominés par les industries de médias et le complexe militaro-industriel croient défendre des dominants, en massacrant la pensée et oubliant le sens critique. Ils ne font que se faire du mal. Leur côté grotesque n’arrive pas à faire regretter l’époque où des intellectuels d’une autre trempe s’enorgueillissaient de « porter le beau nom de stalinien ». Ce sont seulement des gadgets.
245 Ce n’est pas le lieu pour analyser cette création identitaire qui n’a rien à envier à des ensembles comme l’Hindutva des nationalistes hindous, ou le Dar ul islam revu par les islamistes. Ce sera fait dans un ouvrage à paraître, intégrant les faits passionnants mais démoralisants mis en scène par la situation en Asie du Sud.
246 Le puritanisme recule pour la première fois depuis un siècle dans l’arène publique face aux ravages du sida et aux transformations affectant les milieux méprisés de dominés et les classes dominantes cosmopolites. Il est possible de parler de prostitution qui pourrait être légalisée. Ce sont les nationalistes hindous, champions en la matière durant des décennies, qui se trouvent à gérer le phénomène. Les Dalit sont très en retrait avec leurs discours de missionnaires.
247 Heuzé, in Assayag (dir.), 1999.
248 La définition des juifs par de nombreux courants qui trouvent bon de soutenir en toute occasion l’État d’Israël, débarrassée de l’effusion religieuse et de la culture séfarade ou ashkénaze, est lentement devenue de plus en plus proche de celle, raciale et généalogique, favorisée palle IIP Reich. Par ailleurs, le rapport obsessionnel de la revue à des Juifs absents mais emblématiques et à des nazis jugés omniprésents est à la fois surprenant et exemplaire.
249 L’univers actuel est très souvent synthétisé, par des personnages et des entités socio-économiques puissants au point de donner vie à leurs fantasmes, comme une salle de classe. Si l’Inde reste une perdante globale dans la salle de classe du monde, les Dalit apparaissent comme les cancres de l’Inde. Dans le cadre de ces classements si puissants, les pensées chrétiennes, gandhiennes anarchisantes ou les multiples inflexions de la bhakti ne sont plus là – ou si peu – pour soutenir que « les derniers seront les premiers ». Les laïques progressistes indiens souscrivent presque tous à l’image de la salle de classe. Ils veulent seulement, parfois, changer le professeur. Les révoltés ne sont fascinés que par la puissance et la réussite financière. La revue est pragmatique en prenant acte.
250 Ces tentatives, un peu mieux argumentées, concernent aussi les nationalistes hindous qui usent de l’anti-islamisme pour fonder une séparation et une affirmation des hindous, puis se fourvoient dans des schémas fusionnels entre les hindous et la terre qui ne profitent qu’à des fous de puissance. La fusionnalité ou l’effusion, moins totale, sont parfaitement légitimes et profondément humaines dans les relations affectives, le rapport à la nature et en philosophie. Elles semblent en revanche mener à des impasses graves en politique dans le cadre de sociétés de masse.
251 L’ère bouddhique est au milieu de son troisième millénaire, ce qui n’intéresse à aucun moment la Voix des Dalit.
252 Elle est d’ailleurs proche de celle développée par Savarkar dans Hindutva, who is a Hindu ? [1924], Vir Savarkar Trust, Bombay, 1989, xiv-141 p. Savarkar avait puisé dans le fonds bengali de B. C. Chatterjee, dans l’idéalisation de Shivaji (auquel il consacra un ouvrage : Hindu Pad-Padashahi, B. G. Paul & Co., Madras, 1925, xvii-296 p.) et dans Mazzini pour construire sa théorie de la nation. Il fut d’abord un révolutionnaire, adepte de l’action violente contre l’autorité coloniale, porté à idéaliser l’unité hindous-musulmans. The Indian War of Independence of 1857 [1909] (Phoenix Publications, Bombay, 1947, xxvi-552 p.) expliquait ce point de vue et fut interdit. Savarkar, expédié au bagne, y conçut Hindutva... alors que les émeutes et affrontements entre hindous et musulmans ébranlaient l’Empire. Il devint par la suite secrétaire de la Hindu Mahasabha (fondée en 1915), parti politique conservateur et hindouiste resté dans le Congrès national indien jusqu’en 1937. Sur Savarkar, personnage d’importance essentielle pour comprendre l’Inde d’aujourd’hui, lire Dhananjay Keer, Veer Savarkar, Sangam Books Limited, New Delhi, 1988, 569 p. Keer est le biographe d’Ambedkar, de Phule, de Tilak et de Gandhi.
253 « Le barbare est celui qui croit au barbare (Claude Lévi-Strauss). »
254 La revue a tenté d’envoyer des émissaires à la conférence de Durban sur le racisme (2000), mais ils n’ont pas eu droit à des passeports. Leur visée était de faire reconnaître le système de caste et l’intouchabilité comme forme de racisme et « apartheid indien ».
255 C’était le pourcentage des Hutu dans la population rwandaise en 1984. Il est passé à 92 %.
256 Des personnages comme Sai Baba n’agissent pas autrement, en visant un public beaucoup plus argenté et consciemment hindou.
257 Les numéros de janvier 2001 à avril 2004 montrent une aggravation du racisme de plusieurs genres. Plus généralement, la phobie du complot et la haine d’autrui sont devenus moteurs principaux de la pensée. La « juiverie » et le « complot sioniste-brahmane » sont notamment au centre de l’argumentaire à côté de thèmes venus des États-Unis ou de rumeurs comme « le sida, complot contre les Noirs ». La revue s’est épaissie et sa présentation est meilleure. L’influence djihadiste musulmane semble se renforcer. Cf. « Jihad against Zionismi », Dalit Voice, vol. 22, no 8, 2003. Un texte nommé Zionist Arthashashtra, publié au Koweit, prolongement du Protocole des Sages de Sion, circule dans les milieux Dalit Voice. Ironiquement ou non, il est diffusé en Inde, ainsi que la Dalit Voice, par les librairies de la gauche et de l’extrême-gauche. Il est vrai que des textes d’Ambedkar restent présentés d’une manière quasi-religieuse en anglais biblique (Thus spake Ambedkar), à côté de dénonciations du « fascisme ». En 2006 (no 2 et no 3 du volume 25), les perspectives antisémites, antisionistes et racistes persistent. La revue tend à constituer des banques d’articles de son propre fonds et à les proposer aux lecteurs comme les références sur le sujet. Une culture close nourrie par vingt-cinq ans de publication émerge.
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