Chapitre 7. Les alliés chrétiens et musulmans
p. 59-69
Texte intégral
1La Voix des Dalit souligne la nécessité d’avoir des alliés. Selon le recensement décennal de 2001, la population appartenant aux « castes répertoriées » s’élève à 15,75 %. L’usage constant et non distancié de cette catégorie officielle par la revue illustre à nouveau son absence d’analyse de l’État. Malgré leur augmentation en pourcentage (14 % au début des années 1980), vue leur faiblesse économique, les jati intouchables constituent un ensemble mineur. Dans le contexte de la caste, les limites de l’intouchabilité sont floues, mouvantes. Il n’existe pas d’ensemble. Un Brahmane vit des moments d’intouchabilité. Aucune jati de très bas statut n’est égale à sa voisine. Les rangs proches tendent à se disputer. Dans le champ de l’action affirmative qui a poussé des groupes à se faire « répertorier » pour bénéficier d’emplois d’État, les critères sont élastiques. Différents processus en cours, la « sankritisation »170, l’enrichissement de certaines jati dans des activités anciennes (dom de Varanasi, etc.), le dévouement à des guru charismatiques, le prêche bhaktivadi (religion d’effusion), le développement inégal de l’instruction et de l’urbanisation, l’apparition d’hommes d’affaires, de trafiquants et de gangsters dalit et l’émergence d’une couche d’employés de l’État tendent à fragmenter la catégorie. Même uni, l’ensemble dalit ne peut constituer une majorité électorale. Les membres des basses castes ne sont ni armés ni désireux de se battre. Les grandes castes paysannes, leurs concurrents directs, les écraseraient. Rajshekhar, sensible aux rapports de forces, en semble conscient. Les alliés des Dalit sont de deux types. Les alliés de circonstance peuvent être toutes sortes de non-vaidik. Il n’est pas impossible de mettre en œuvre des associations ponctuelles avec les tenants du BSO, surtout s’il s’agit des « ennemis francs » organisés par le RSS. Les alliés idéologiques forment une catégorie plus restreinte, qui appelle un traitement spécial. La valorisation des idées, aussi maltraitées soient-elles, constituent l’un des éléments qui structurent la Dalit Voice.
2Les « sécularistes », les « progressistes », les « rationalistes » et l’« intelligentsia » ont fait partie des soutiens considérés comme acquis, ce qui leur a d’ailleurs valu d’être manipulés. Leur importance dans les perspectives de coopération et de lutte, notable entre 1977 et 1981, s’est vue ensuite remise en question. Les « sécularistes » (version locale du laïque) se sont vus de plus en plus souvent traités de quelque chose comme « pseudo-laïcard » (so-called secularist, la même terminologie est utilisée au RSS), pendant que l’intelligentsia, où les journalistes ont un très grand poids, s’est offusquée de la manière dont la Dalit Voice traitait les « papiers toilette nationaux ». Les progressistes et laïques, surtout de gauche, ont été « démasqués » comme « alliés du BSO » selon un processus commun dans le stalinisme. Les rationalistes sont les moins maltraités par cette évolution, grâce à la dette que VTR se reconnaît vis-à-vis de Periyar. Leur cohabitation, dans le groupe des alliés de la Dalit Voice, avec les tenants des religions révélées les moins tolérantes porte à relativiser leur influence.
3La position de la Voix des Dalit vis-à-vis des chrétiens, un peu plus de 2 % de la population indienne, combine, en ce qui concerne Rajshekhar, respect et revendication. Il a publié ses premiers ouvrages aux presses du diocèse de Bangalore. C’est en prenant pour modèle la Société de littérature chrétienne (Christian Litterature Society) que le journaliste polémiste a lancé l’Académie littéraire dalit, avec le soutien de plusieurs institutions catholiques. Rajshekhar affirme : « Les missionnaires chrétiens ont derrière eux un long passé de dévouement altruiste envers les Intouchables. » Dans des textes où il dénonce « l’Inde hindoue »171, il vante sans nuances la mère Teresa, exception remarquable à ses pulsions172 antipaternalistes et à son mépris de la charité. Le dogme chrétien conservateur, opposé à la planification des naissances, fonde les tirades communautaristes de Rajshekar sur le sujet. Il vante les collèges chrétiens, « les meilleures institutions d’enseignement où que ce soit en Inde »173. Il ajoute : « Ce sont les chrétiens qui ont apporté la civilisation en Inde174. »Au début des années 1980, alors que les conversions d’hindous au christianisme bouleversent l’opinion, poussant les missionnaires à agir de manière discrète, la Voix des Dalit soutient le droit de chacun à changer publiquement de religion et plus spécifiquement le droit des chrétiens à faire du prosélytisme parmi les hindous. Cela fera des partisans, des « esclaves », du BSO en moins. Lorsque des affrontements ont lieu entre les militants du RSS, de la VHP ou du Bajrang Dal et des organisations chrétiennes, la Voix des Dalit et ses brochures prennent toujours le parti des chrétiens, soulignant le caractère émancipateur du message chrétien pour les damnés de la caste, prenant à d’autres moments la défense des églises sur un ton « communautariste », comme si la Dalit Sahitya Academy était une association chrétienne175. Dans la revue, plusieurs intervenants réguliers et 10 à 20 % de lecteurs portent des noms christianisés.
4Durant la phase fondatrice de la revue, entre 1977 et 1981,1e fondateur de la Dalit Voice soulignera souvent les conjonctions existant à son avis entre le marxisme et le christianisme. Quand les critiques du marxisme vont prendre de l’importance, après 1982, puis devenir extrêmement virulentes, le message chrétien ne sera pourtant pas dévalorisé.
5Les critiques et réserves que la Voix des Dalit émet à l’endroit des chrétiens sont de deux ordres. Le grief le plus important concerne la place des Intouchables dans l’Église et la perpétuation de discriminations dans la communauté chrétienne. En 1978, Shetty écrit déjà que « la pratique de l’intouchabilité est commune chez les chrétiens dans l’Église de l’Inde du Sud »176. Assez rares au début de la Voix des Dalit, ces remarques se multiplient à la fin des années 1980. Des critiques distillées dans la « novlangue »177 militante de la revue insistent : les chrétiens « pratiquent le racisme » à l’église178, il y a des « partisans du BSO » dans cette dernière. « Les chrétiens dalit doutent de la sincérité des dirigeants de haute caste de l’Église »179, remarqueront souvent les lecteurs assidus après 1995.
6Le second registre est plus circonstanciel. Face à la montée du nationalisme hindou et la multiplication des violences, les dirigeants du christianisme indien réagissent de deux manières. Ils tentent d’« indigéniser » leur pratique, tendance auquel le Vatican – pour les catholiques – mettra un frein mais à laquelle la Voix des Dalit ne trouve rien à redire quand il s’agit de s’inspirer des « peuples originels ». Ils se contentent de soutenir avec insistance que les Dalit (ex-Intouchables ou hors-castes pour les missionnaires) sont au moins aussi anciens et liés à la terre que les adivasi (tribaux). Les responsables de la chrétienté réagissent aux tensions en négociant, y compris avec le RSS et la Vishva Hindu Parishad. Dans ce contexte la hiérarchie catholique sera plusieurs fois accusée de tiédeur et de tendance au compromis, faiblesses associées à l’influence d’ex-Brahmanes au sein des institutions catholiques180. Ils sont accusés de ne mettre guère d’ardeur pour soutenir les revendications des chrétiens dalit, privés de la possibilité de bénéficier des quotas d’embauche181. Un Brahmane reste un Brahmane et la vérité du Christ montre ses limites. Après 1992 puis 1994, avec la conversion de Rajshekhar au bouddhisme, les relations de la revue avec la chrétienté seront réévaluées en termes d’allégeance. Les ecclésiastiques qui reconnaissent la prééminence d’Ambedkar182 seront jugés favorablement, les autres étant mis à l’index...
7Les musulmans constituent un groupe social plus important (11,6 % de la population en 1991) mais un potentiel politique très fragmenté. Vis-à-vis d’eux le discours de la Voix des Dalit a connu une évolution plus profonde. Il n’est pas certain que les conversions d’hindous à l’islam aient été plus nombreuses que celles d’hindous au christianisme ou des « retours » musulmans à l’hindouisme durant les deux décennies passées. Elles ont en revanche connu une publicité très importante à partir de 1981, quand un village entier de membres de basses castes est entré dans la religion de Mohammed à Minakshipuram, dans le Sud tamoul183. Contrairement à ce qui se passe à propos des chrétiens, la communauté musulmane s’est trouvée au centre des grandes controverses et des conflits qui ont agité la péninsule indienne. Il n’y a pas que le prosélytisme.
8Elle a été accusée par les nationalistes hindous (RSS et alliés), l’aile conservatrice du Congrès et d’autres forces politiques à la mobilité surprenante et l’ampleur considérable, de soutenir l’adversaire pakistanais, de refuser la planification des naissances, d’organiser la migration clandestine des Bangladeshi et des Pakistanais vers l’Inde, de profiter des opportunités d’emploi dans les pays arabes, de s’opposer à toute législation civile, de pratiquer la polygamie, d’entraver le développement, de mettre en échec l’alphabétisation, de fonder l’expansion du banditisme, de recevoir des fortunes du Golfe persique et de l’Arabie Saoudite, d’« exporter » des filles et des femmes indiennes, de séduire ou violer les hindoues, de promouvoir le séparatisme, de soutenir les moudjahidine afghans et enfin d’entretenir un terrorisme à base de bombes et de rumeurs avant de participer à la diffusion des thèses islamistes radicales. Ces accusations forment aujourd’hui le cœur des représentations populaires et moins populaires que les hindous – ainsi que de nombreux chrétiens, sikhs, jaïn – entretiennent à propos de l’islam et des musulmans. Leur spécificité est de globaliser, d’entretenir ou de fonder de la communauté et de la différence, de l’identité unie et séparée. Elles sont fortement dépendantes de l’actualité et de ses aspects spectaculaires. Les grandes particularités de l’islam indien, l’importance des courants soufis, la présence de sectes communautaires sur base de jati, la notoriété des écoles d’ulema d’Asie du Sud, le développement mondial du Tabligh-e-Jamaa de Delhi ou l’interpénétration relative du chiisme et du sunnisme n’ont pas été retenues par le discours public. Elles n’intéressent pas non plus la Dalit Voice, rivée aux sources journalistiques peu regardantes et aux rumeurs.
9La Voix des Dalit, moins familiarisée avec l’univers des musulmans qu’avec celui des chrétiens, tend d’autant plus à les idéaliser pour les « construire » en tant qu’alliés. Dès 1978, alors que ses rapports avec les musulmans restent très livresques, Rajshekhar évoque la possibilité d’une alliance Harijan-Muslim, faisant référence à des exemples historiques dans l’ex-royaume du Nizam d’Hyderabad184. Le thème est repris après 1982 en usant des analyses de G. Omvedt. Les premiers musulmans commencent à s’exprimer dans la revue, qui va devenir un catalogue des positions figées puis des dérives extrémistes de l’islam indien. La Voix des Dalit met en parallèle la situation des musulmans et celle des Dalit, indiquant que, selon les indicateurs socio-économiques185 – utilisés lorsqu’ils peuvent appuyer un discours de « victimisation » des « minorités » –, les musulmans connaissent une « situation pire » que celle des Dalit. Ils sont victimes « d’atrocités » de la part des communistes, de l’Ordre social brahmanique, des deux conjointement ou des deux fusionnés, cette thématique étant liée à l’importance de la communauté musulmane au Bengale occidental, seule province dirigée par des communistes tout au long de la période186. L’anticommunisme est ancien dans les milieux musulmans conservateurs. L’intervention soviétique en Afghanistan l’a renforcé. La Dalit Voice prend la défense des musulmans à propos du prosélytisme187, de l’argent étranger188, de la Charia et du patriotisme sans évoquer la polygamie qui choque les puritains de la publication189. On y évoque « les écrits antimusulmans »190 traqués jusque dans les journaux musulmans, à comparer aux thèmes des « activités antisoviétiques » ou aux pratiques « antisociales », ce dernier terme fleurant plutôt l’époque victorienne.
10Le flirt de la revue avec l’extrémisme musulman commence avec les massacres de 1982 en Assam191 et le rath yatra192 de 1983 qui sera le point de départ de l’offensive de la Vishva Hindu Parishad contre les conversions puis de la campagne qui aboutira à la destruction de la Babri Masjid d’Ayodhya le 6 décembre 1992, date anniversaire de la mort d’Ambedkar193. En 1982, la revue soutient l’exigence d’électorats séparés pour les musulmans et les Dalit, revendication qui horrifie les congressistes aussi bien que les nationalistes hindous194. Rajshekhar remarque que la conversion des Dalit à l’islam ferait plus peur aux « hindous nazis » que l’adoption du bouddhisme195. La revue prend la défense de l’urdu, langue nationale du Pakistan, idiome minoritaire en Inde196, parfois contre l’avis des musulmans de l’Inde197. Elle appuyé la tentative de l’imam Bukhari (Delhi) pour créer une milice d’autodéfense en 1986. À cette date Rajshekhar commence à introduire des thèmes antisionistes virulents, associant, parce qu’ils haïraient l’islam et les musulmans, l’État d’Israël, la « ploutocratie juive nord-américaine », « l’Occident », les « hindous nazis » et l’« Ordre social brahmanique ». En 1991, la revue soutient Saddam Hussein, ce qui lui fait rejoindre, pour une fois, le sentiment dominant en Inde. Rajshekhar affirme ensuite que le dictateur irakien a gagné, « la Dalit Voice ne se trompant jamais »198. La destruction de la mosquée de Babur est analysée comme un complot des États-Unis d’Amérique199, manipulant les « nazis hindous » pendant que des appels à rejoindre l’islam sont publiés dans le courrier des lecteurs et la publicité. Si la venue au pouvoir des Taliban200 est comprise comme le résultat d’une nouvelle machination des États-Unis201 (« seule la Dalit Voice l’a écrit »), donc un événement négatif, toutes les zones d’affrontement entre des populations musulmanes et des pouvoirs « soi-disant laïques » – so-called secularist – (Turquie202, Tunisie, Algérie) ou entre des musulmans et des chrétiens ou d’ex-communistes (Fédération de Russie, Kosovo, Bosnie, Philippines, Tchétchénie, à l’exception notable de la Chine et d’une Afrique oubliée) sont décrites comme les lieux d’assassinat massif ou de « génocides » de populations sans défense, porteuses de causes justes. « Le croissant » est alors systématiquement préféré à « la croix »203. La manière dont Rajshekhar gère les tensions que cette position peut faire surgir avec les chrétiens n’est pas abordée204. Après 1989, les guérillas du Cachemire et le Mouvement islamique des étudiants indiens (SIMI), fondé douze ans plus tôt, sont soutenus dans leurs affirmations et pratiques les plus outrancières (ce dernier sera dissous en 2002)205. L’Islam Sevak Sangh, fondé en 1989 au Kerala sur le modèle du RSS, sinon qu’en plus il pose des bombes, est vanté comme « cent pour cent militant et efficace »206 : il sera banni en 1992. La Dalit Voice reprend à son compte la doctrine207 du « choc des civilisations » introduite sur la scène nord-américaine en 1993, en se plaçant du point de vue musulman, jamais du point de vue indien ni d’ailleurs, c’est fort remarquable, du point de vue bouddhiste.
11En ce qui concerne les alliances, la Dalit Voice et ses fondateurs passeront d’une position tranchée à l’autre, la ligne de démarcation étant la démolition de la Babri Masjid d’Ayodhya. Des articles exigeant que les musulmans viennent au secours des Dalit restent un genre apprécié jusqu’à maintenant208 mais, avant 1992, les éditoriaux parlaient souvent de la nécessité d’unir les Dalit à la puissante minorité musulmane, afin de renforcer les premiers en leur donnant le goût de se battre209. La doctrine coloniale des « races martiales », qui fit par exemple des sikhs et des Gorkha (Népalais) des guerriers « naturels », reprend à cette occasion du service. D’autres thèmes, comme la fraternité entre les mangeurs de vaches (beef eaters), sont invoqués pour tenter de concrétiser une alliance qui ne prendra forme que de manière ponctuelle, dans le Nord, sous la direction de représentants ou partisans des grandes castes paysannes (Mulayam Singh Yadav) et sous celle, beaucoup moins marquante, de ce membre dévoyé du BSO qu’est Vishvapratap Singh (en 1989). Le thème propagandiste de la prépondérance numérique musulmane, estimée à 15, 25 voire 35 % de la population, les recensements étant un « mensonge hindou », est constamment mis en scène. La rédaction évoque cependant 25 % de musulmans en 1986 pour réduire le chiffre à 15 % en 1999 lorsque VTR répond à une lettre de Shyed Shahabuddin, un député musulman210. La statistique communautaire est donc un champ élastique. L’unité de toutes les minorités, sikhs-musulmans-Dalit-chrétiens, est évoquée dans la seconde partie des années 1980, quand la révolte des jeunes sikhs fait trembler l’État pendant que les musulmans se mobilisent pour défendre la Charia, contre les Versets Sataniques de Salman Rushdie, et pour défendre la Babri Masjid.
12Après la mise à bas du monument d’Ayodhya, les éditoriaux parlent de « chance » et de « développement heureux », perspectives mêlant vision de l’apocalypse et appels à la « lutte finale »211. Face à ce qui se transforme en victoire des nationalistes hindous, ce sont cependant les Dalit, crédités bientôt des succès électoraux du Bahujan Satnaj Party, que la revue appelle à venir au secours des « frères musulmans »212. La Voix des Dalit offre un peu plus tard son arbitrage dans la dispute indo-pakistanaise213. Le but de ces annonces n’est pas tant politique qu’identitaire. Il s’agit de faire croire que les Dalit, qui ont été nombreux à se mobiliser contre la Babri Masjid214 aux côtés des nationalistes hindous, ne sont pas des hindous. Un peu dépités, les responsables de la revue notent, à la fin de la décennie 1990, que les musulmans ne constituent pas des alliés crédibles pour les Dalit. Des points de vue parfaitement inverses et de plus en plus extrémistes viennent cependant offrir un contrepoint.
13Agissant de la même façon qu’à propos des chrétiens, et des sikhs en matière de mœurs, la revue se refuse à entamer quelque polémique que ce soit sur les pratiques intolérantes et plus encore sur les textes sacrés ou législatifs musulmans. Rajshekhar signe par exemple en 1992 une réponse enthousiaste à un lecteur affirmant qu’il ne faut jamais s’occuper des caractéristiques communautaires, comme le voile ou la réclusion des femmes (pardah), car on risque de blesser des susceptibilités215. Ce point de vue est communautariste et partisan puisque les mœurs des Brahmanes et plus généralement des hindous sont détaillées et férocement critiquées. Il s’insère par ailleurs dans l’ensemble de pratiques de « respect égal pour toutes les religions » (sarva dharma sambhav) légué par Μ. K. Gandhi, qui est une des sources de ce que les Indiens nomment le secularism.
14De nombreuses contributions critiquent en revanche les organisations politiques musulmanes. La Ligue musulmane est soupçonnée de « mollesse » et d’« amateurisme », le Jamaat-e-Islami est accusé d’être conservateur, élitiste et ami du RSS216, l’organisation de réislamisation par le bas Tabligh-e-Jamaa se voit donner des leçons de religion217, les comités de sauvegarde de la Babri Masjid sont décrits comme s’entredéchirant et pour cela condamnés, les mollahs, imams et « maulvis » sont dénoncés comme des partisans voilés de la théorie du karma218 et des « complices du BSO ». Des musulmans « laïques », il convient de se méfier autant que des marxistes hindous. Les hommes politiques musulmans219, après avoir soutenu l’Original Brahmanical Party (le Parti du Congrès), se retrouvent à mendier des strapontins au BJP (nationaliste hindou) ou à des partis régionalistes. Les élites musulmanes, concurrentes possibles de l’élite dalit, sont jugées avec suspicion ou dénigrées220. Les « masses musulmanes » sont en revanche décrites avec un populisme que ne concurrence que le paternalisme. Elles sont « ignorantes et innocentes »221.
Notes de bas de page
170 Se reporter à l’œuvre de M.N. Srinivas.
171 R. Shetty, Dalit Movement in Karnataka, Christian Litterature Society, Madras, 1978.
172 Le terme semble mieux convenir que « principes ».
173 R. Shetty, Ambedkar and his Conversion, a Critique, Dalit Action Committee, Bangalore, 1980.
174 V.T. Rajshekhar, Hinduism, Fascism and Gandhism. A Guide to Every Intelligent Indian, Dalit Sahitya Academy, Bangalore, 1984.
175 « On accuse l’Église de faire du prosélytisme sous couvert de recherche et de recevoir des fonds de l’étranger, mais qui n’en reçoit pas ? Voyez Sai Baba de Bangalore », écrira R. Shetty dans Ambedkar and his Conversion, a Critique, 1980.
176 R. Shetty, Dalit Movement in Karnataka, 1978.
177 Voir George Orwell, 1984 [1948].
178 Dalit Voice, vol. 12, no 1, 1992.
179 Dalit Voice, vol. 15, no 15, 1996.
180 Il est très possible que le compte rendu des activités chrétiennes sous des titres rédactionnels tels que « Jesuits to Fight Nazis », qui est une tendance constante dans la revue (vol. 13, no 4, p. 22), ait fortement indisposé la hiérarchie de l’Église.
181 Dalit Voice, vol. 12, no 1, 1992.
182 Dalit Voice, vol. 13, no 6, 1994.
183 George Mathew, « Conversions to Islam in Tamil Nadu », Economic and Political Weekly, vol. XVII, no 25, 1982.
184 Shyam Sunder, in V.T. R. Shetty, Dalit Movement in Karnataka, 1978.
185 Dalit Voice, vol. 17, no 11, 1996.
186 « Au Bengale Occidental, les musulmans ont été réduits à l’esclavage sous le règne marxiste », Dalit Voice, vol. 17, no 10, 1996. Cette phrase, typique, reflète mal les précautions et la tolérance du gouvernement dominé par le CPI(M) envers les musulmans.
187 De nombreuses publicités concernant des traductions du Coran en hindi ou en langues vernaculaires sont diffusées dans la revue, ainsi dans le vol. 17, no 10,1996.
188 « Yet another Bluff on Arab Money for Conversions » (« Encore un mensonge sur l’argent arabe destiné aux conversions »), Dalit Voice, vol. 1, no 8,1982.
189 En 1971, selon une étude dont ne ne pouvons pas du tout estimer le sérieux, elle n’était pas plus répandue parmi les musulmans que chez les hindous (moins de 5 %).
190 On a osé écrire que des musulmans se saoulaient. Dalit Voice, vol. 10, no 16,1991.
191 En février 1983, plus de 3 000 migrants principalement musulmans, des paysans venus du Bangladesh vers l’Assam, moins peuplé, furent massacrés à Nellie par des autochtones hindous ou souscrivant à des cultes « tribaux ». Les tensions en Assam sont fortes depuis les années 1950, et l’immigration illégale est considérable. L’agitation qui mena aux massacres de Nellie a commencé en 1981 autour d’un débat sur l’intégrité de la province. L’actuel nationalisme hindou était peu impliqué.
192 Littéralement « pélerinage du chariot », concrètement colonne motorisée de militants transportant des objets de culte et des symboles. Les Rath Yatra ont été une grande invention de l’agit-prop des nationalistes hindous des années 1980.
193 Ce qui a été noté par S. K. Biswas et de nombreux autres leaders dalit comme l’indice d’un « complot brahmane antidalit » particulièrement pervers. Dans l’état actuel des connaissances, et vue la politique du RSS envers Ambedkar, il est difficile de prouver l’intention.
194 « Milli Parliament Demanded », Dalit Voice, vol. 15, no 6, 1996.
195 Dalit Voice, vol. 1, no 9,1982.
196 Avec statut officiel en Uttar Pradesh.
197 « UP Muslims Kill Mother Urdu and Adopt Stepmother Hindi » (« Les musulmans de l’Uttar Pradesh tuent leur mère urdu et adoptent la marâtre hindi), Dalit Voice, vol. 12, no 4,1993. Le style est particulier.
198 « Les Occidentaux blancs racistes, dans leur folie démente de haine anti-islamique, sont en train de créer de plus en plus de fondamentalistes. » Dalit Voice, vol. 16, no 1, 1996.
199 Dalit Voice, vol. 12, no 4, 1993.
200 Ces derniers seront notamment condamnés pour avoir détruit les bouddhas de Bamyan. C’est le seul courant musulman toujours critiqué dans une revue qui passe en revanche fréquemment des avis et des textes de propagande venant de la monarchie saoudienne.
201 Dalit Voice, vol. 16, no 1,1996.
202 « Democracy Killed in Turkey » (« La démocratie liquidée en Turquie »), Dalit Voice, vol. 17, no 10,1997. Il s’agit de l’offensive des militaires contre le Parti de la prospérité (Refah).Thème repris dans le vol. 18, no 3, 1997.
203 Ce sont les termes employés pour décrire les situations, notamment en Bosnie : « Bosnia : Clash of Cross and Crescent Erupts in the Heart of Europe » (« Bosnie : l’affrontement de la Croix et du Croissant éclate dans le cœur de l’Europe »), Dalit Voice, vol. 15, no 6, 1996. Cette perception communautariste est caractéristique de la vision indienne des choses : voir ainsi « Will Clash of Cross and Crescent Lead to Third World War ? » (« La confrontation de la Croix et du Croissant va-t-elle mener à la troisième guerre mondiale ? »), Dalit Voice, vol. 13, no 25, 1994 ; « Bosnia : Latest Victims of West Anti-Islamic Hatred » (« Bosnie : les dernières victimes de la haine occidentale de l’islam), Dalit Voice, vol. 11, no 25, 1992.
204 Plusieurs publicités et des lettres de lecteurs diffusées dans la revue évoqueront des « erreurs » dans les Evangiles et « 50 000 contrefaçons dans la Bible », erreurs rectifiables par une lecture appropriée du Coran. Par exemple Dalit Voice, vol. 1, no 9,1982.
205 Créée en 1977 à la Jamiat de Delhi (la seconde université musulmane en Inde après Aligarh) l’organisation s’est d’abord faite connaître par sa nostalgie du califat, aboli en 1924 par les Turcs, puis elle a évolué vers un radicalisme résolument international. En décembre 1992 et janvier 1993, alors que Bombay était ravagée par deux cycles de pogroms, d’affrontements et de répression, le SIMI trouva judicieux de placarder dans les lieux publics des affiches appelant les hindous à se convertir à l’islam. L’organisation vient d’être interdite pour ses liens avec des groupements cachemiri et pakistanais par la coalition dominée par le BJP.
206 Dalit Voice, vol. 12, no 1, 1992. Dans ce numéro de la revue, la surenchère islamiste se donne libre cours sur des thèmes comme « le Coran permet la violence, il faut unir musulmans et Dalit, OBC » ; « Qu’avons-nous fait pour soutenir l’Irak ? » (sous-entendu : rien) ; « Nos musulmans [de l’Inde] sont fainéants et lâches, l’ISS suit la vraie voie, la niasse musulmane est un volcan, il existe un axe [le terme usité pour l’alliance Hitler-Mussolini n’est pas introduit par hasard] Occident-Sion-Aryens-BSO » ; « La Dalit Voice ne s’est jamais trompée. Ils veulent vous détruire », etc.
207 Doctrine d’une partie de la droite aux États-Unis où l’on reconnaît les perspectives impérialistes (plus ou moins déçues et ambiguës) de Spengler, W. Durant, Toynbee, W. Murr, J. Monnerot et autres amateurs d’ennemi oriental capable de ressusciter l’esprit des Croisades.
208 « Coran directs muslims to fight for Dalit liberation » (« Le Coran intime aux musulmans de lutter pour la libération des Dalit), aurait écrit un journaliste kenyan cité par la revue (vol. 13, no 6,1994). Vue la manière dont est traitée le courrier des lecteurs, le contenu de ce que les contributeurs au genre envoie subit des altérations. Le Coran ne dit rien sur les Intouchables de l’Inde. Ceux qui y trouvent des incitations à lutter contre l’oppression en général se livrent à une variété douteuse d’herméneutique ou exhibent leur inculture, malgré la contribution de l’iranien d’Ali Shariati, idéologue de la Révolution islamique d’Iran. Voir Ali Shariati, Histoire et destinée, Sindbad, Paris, 1982,140 p.
209 « Dalits must join hands with minorities » (« Les Dalit doivent s’unir aux minorités), Dalit Voice, vol. 1, no 11, 1982.
210 Dalit Voice, vol. 18, no 4,1999. Le propos de V.T. Rajshekhar n’est pas tellement de réconforter Shahabuddin que de répéter ce qui lui tient à cœur, à savoir que les hindous ne forment nullement la première communauté du pays, les musulmans étant placés systématiquement avant dans les décomptes qui séparent les vaidik (réduits à 10 % de la population), les autres minorités aisées (5 %) et les non-hindous (le reste moins les musulmans et les Dalit [15,75 %] mais dont la cohésion semble fragile, les musulmans étant cités comme modèle communautaire).
211 « Welcome Development of BM Demolition » (« Épisode bienvenu dans la destruction de la Babri Masjid »), Dalit Voice, vol. 12, no 4, 1993. Le texte évoque aussi « l’extermination des musulmans de l’Inde, commencée par les saints nus [les dirigeants de confréries de renonçants hindous associés dans le Dharma Sansad de la Vishwa Hindu Parishad] aidés des hindous nazis et des Occidentaux racistes. » « Un succès majeur de la solution espagnole en vue [référence à la Reconquista]. Les nazis sont très rusés mais, nous écrivons avec le cœur brûlant, une communauté avachie se réveille finalement grâce aux nazis, le règne de la loi est mort, leur but ultime est d’arracher la kabbah de la Mecque qu’ils disent être un Ungam de Shiva », etc.
212 « The Hindu NaziWaris to totally destroy the Muslims » (« La guerre des hindous nazis vise à détruire complètement les musulmans »), Dalit Voice, vol. 17, no 10,1998. La revue use du terme Brethen, issu de la terminologie de l’anglais biblique, pour y désigner les musulmans.
213 Dalit Voice, vol. 12, no 5, 1993.
214 Un Intouchable a posé la première pierre du temple en 1989, un autre aurait donné le premier coup de pioche contre le site disputé le 6 décembre 1992.
215 « N’insultez pas les femmes musulmanes ! S’il-vous-plaît, ne soulevez pas des problèmes qui agressent nos coreligionnaires qui sont des femmes de religions comme le sikhisme, l’islam ou la chétienté. Des choses comme le vêtement, la réclusion à domicile, le voile, le fait de se couvrir le visage ne devraient jamais être discutées. » K. K. Siddhi, in Dalit Voice, vol. 15, no 9, 1996, p. 9.
216 Dalit Voice, vol. 12, no 1, 1992. « When Will Jamaat-e-Islami Learn ? India Top-Most Muslim Body Fall Prey to Nazis Tricks » (« Quand le Jamat-e-Islami apprendra-t-il enfin ? L’organisation-phare de l’islam indien devient la proie des pièges nazis [nationalistes hindous] »), Dalit Voice, vol. 11, no 23, 1991. Rien n’est dit sur le sectarisme théocratique de cette petite organisation. Certains dirigeants de la Jamaat ont côtoyé les cadres du RSS dans les prisons sous l’état d’urgence, et il en est resté parfois un certain respect réciproque. Lire P.G. Sahashrabuddhe et Manik Chandra Vajpayee, The People versus Emergency. A Saga of Struggle, Suruchi Prakashan, New Delhi, 1991, 647 p. (Source RSS.)
217 « Tablig-e-Jamaa ignoring the spirit of Islam » (« Le Tablig-e-Jamaa ignore le [véritable] esprit de l’Islam »), Dalit Voice, vol. 18, no 4,1999. « Le Jamaa est proche du RSS », affirme le lecteur A. Karim, in Dalit Voice, vol. 2, no 4, 1993.
218 La revue fait comme si elle ignorait qu’il s’agit d’un fondement du bouddhisme.
219 « Muslim leadership alone caused fall of Muslims » (« La chute des musulmans est uniquement due à leurs dirigeants »), Dalit Voice, vol. 17, no 11,1997.
220 « L’élite musulmane est lâche, corrompue et brahmanisée », écrit un lecteur musulman qui n’a pas été sélectionné au hasard, in Dalit Voice, vol. 12, no 5, 1993.
221 Dalit Voice, vol. 18, no 4, 1999.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le vagabond et son ombre
G. Nagarajan
G. Nagarajan François Gros et Kannan M. (éd.) François Gros et Élisabeth Sethupathy (trad.)
2013
Vâdivâçal
Des taureaux et des hommes en pays tamoul
Cinnamanur Subramaniam Chellappa François Gros (éd.) François Gros (trad.)
2014
The legacy of French rule in India (1674-1954)
An investigation of a process of Creolization
Animesh Rai
2008
Deep rivers
Selected Writings on Tamil literature
François Gros Kannan M. et Jennifer Clare (dir.) Mary Premila Boseman (trad.)
2009
Les attaches de l’homme
Enracinement paysan et logiques migratoires en Inde du Sud
Jean-Luc Racine (dir.)
1994
Calcutta 1981
The city, its crisis, and the debate on urban planning and development
Jean Racine (dir.)
1990
Des Intouchables aux Dalit
Les errements d’un mouvement de libération dans l’Inde contemporaine
Djallal G. Heuzé
2006
Origins of the Urban Development of Pondicherry according to Seventeenth Century Dutch Plans
Jean Deloche
2004
Forest landscapes of the southern western Ghats, India
Biodiversity, Human Ecology and Management Strategies
B.R. Ramesh et Rajan Gurukkal (dir.)
2007