Chapitre IX. Le programme iconographique des temples pallava
p. 273-333
Texte intégral
Le temple du Kailāsanātha à Kāñcipuram
1Le temple du Kailāsanātha (plan I), construit en grès tendre, harmonise avec subtilité une abondance de représentations divines488. L’équilibre qui se dégage de cette accumulation surprenante d’images śivaïtes fait de cet ensemble la pièce maîtresse de l’art pallava. Si les temples construits de Bādāmi ou d’Aihoḷe dans le Deccan précèdent le Kailāsanātha de Kāñcipuram, érigé entre la fin du VIIe siècle et les vingt premières années du VIIIe, les innovations de ce dernier en ce qui concerne l’architecture, l’iconographie et l’épigraphie ainsi que son ampleur même font de ce temple le premier de cette envergure en Inde du sud. Le sanctuaire principal qui abrite aujourd’hui la Somāskandamūrti et le liṅga comporte, sur ses façades, neuf cellas ouvertes sur l’extérieur, orientées vers l’est ou vers l’ouest (fig. 188). Les façades ainsi que l’intérieur des cellas sont ornés de représentations, narratives pour la plupart. Ce sanctuaire, imposant déjà par sa taille, est entouré d’un mur d’enceinte comprenant cinquante-huit chapelles, abritant toutes des bas-reliefs (fig. 189–190). L’espace qui se trouve entre ces niches est également pourvu de représentations (fig. 191). Cette enceinte est percée de deux entrées : l’une à l’est et l’autre à l’ouest. Cette dernière est aujourd’hui condamnée et l’on ne pénètre donc dans le temple que par l’est. Entre le premier maṇḍapa, orné de quatre déesses, et le sanctuaire, probablement contemporains, un hall a été construit à une époque bien plus tardive. Ses murs sont dépourvus d’images. Lorsque le dévot s’approche du complexe, il est accueilli par une rangée de huit petits templions que l’épigraphie (IP no 58–59) permet d’attribuer à l’épouse de Narasiṃhavarman II Rājasiṃha, patron du temple. L’intérieur de chaque cella est occupé par une Somāskandamūrti. Des liṅga de granit noir, qui paraissent postérieurs, ont été installés devant ces images. Seuls le liṅga et son socle qui occupent le sanctuaire du templion F sont taillés dans un grès jaune semblable à la pierre utilisée pour l’ensemble du temple (fig. 192). S’agirait-il ici d’un liṅga pallava ? Les trois façades de ces templions sont ornées de bas-reliefs. Entre cette rangée de sanctuaires et l’entrée de la cour principale, les murs d’une petite enceinte ont été ajoutés, recouvrant en partie les représentations des façades de deux des templions. La partie est constitue aujourd’hui l’unique entrée du temple. Ces murs entourent un sanctuaire de taille inférieure à celle du sanctuaire principal. Il s’élève au milieu de ce qui devait constituer l’entrée originelle et deux inscriptions (IP no 69–70) nous permettent de l’attribuer à Mahendravarman III, fils de Rājasiṃha. Il semblerait cependant que cet ensemble ait été érigé du temps de Rājasiṃha lui-même puisque l’on sait que ce fils n’a pas régné (supra p. 38).
2Je vais tenter, dans ce chapitre, de définir le programme iconographique du temple du Kailāsanātha, basé sur l’étude des formes de Śiva qui précèdent. Étant donné que je ne m’intéresse dans cet ouvrage qu’aux images narratives, la présentation du programme restera succincte et incomplète489. Je commencerai par établir le principe organisateur des images sur le sanctuaire principal. Ce n’est que dans un deuxième temps que je me pencherai sur les reliefs que les niches du mur d’enceinte abritent. Je situerai les images non narratives, mais ne traiterai en détail que les représentations dans lesquelles le dieu agit. Je choisis de les présenter une par une et à partir de là seulement, je m’efforcerai de dégager la thématique à laquelle elles répondent. Je me tournerai ensuite vers l’analyse des images de la rangée extérieure de templions et je tâcherai de montrer que, malgré la taille réduite de ces monuments, l’organisation de leur représentation fait écho à celle du sanctuaire principal. Excluant les bas-reliefs du mur d’enceinte de la petite cour qui ne représentent pas Śiva en personne, je conclurai l’étude de ce temple sur une brève analyse des façades du sanctuaire de Mahendravarman III.
Le sanctuaire principal
3La cella principale contient ce qui devait être l’image de culte, la Somāskandamūrti490 et un liṅga de grande taille, fort probablement postérieur à l’époque pallava. Les neuf autres cellas attenantes aux façades abritent également des formes de Śiva incarné. Bien que la neuvième soit fermée au public et que le prêtre certifie qu’aucune image ne l’habite, je suis tentée de supposer qu’une représentation de Śiva, peut-être dansant la jambe levée, occupait le mur du fond. En effet, les cellas des façades sud et nord se répondent : les cellas no 2 et 8 sont ornées d’un Śiva dansant du Type-des-deux-jambes-repliées tandis que les no 3 et 7 comportent la famille divine répartie sur leurs trois parois. Il me paraît donc probable que les cellas no 1 et 9 offrent la même image et puisque la première abrite un Śiva dansant du Type-de-la-jambe-levée-à-la-verticale (fig. 103 [p. 169]), la no 9 devait en contenir un également.
4Les cellas extérieures des façades est, sud et nord sont ouvertes à l’est, tandis que celles de la façade arrière sont orientées vers l’ouest. Le premier ensemble, face à l’est, ne semble pas dépendre du déroulement des images des façades dans le sens de la pradakṣiṇā. En effet, ces dernières traduisent une évolution de la figure divine alors que les représentations des cellas sont disposées par paires, identiques bien qu’inversées (fig. 88 [p. 159] et 102 [p. 168]). Ne pourrait-il pas s’agir ici de l’établissement de la figure divine comme appartenant aussi bien au monde de la façade sud, dominé par les humains et évoluant dans l’espace indompté, qu’au monde des dieux de la façade nord ?
5En revanche, les trois cellas de la façade arrière, ouvertes à l’ouest, se succèdent en reprenant, semble-t-il, le déroulement des images des murs extérieurs du sanctuaire. En effet, les cellas no 4, 5 et 6 contiennent respectivement des reliefs de Śiva mendiant (fig. 51 [p. 127], 56 [p. 130], 58–59 [p. 131]), de Gaṅgādharamūrti (fig. 171 [p. 261], 178–180 [p. 267]) et de Tripurāntakamūrti (fig. 149–153 [p. 234–236]). La présence de Gaṅgādharamūrti, face à une ouverture qui devait également servir d’entrée ou de sortie, est probablement motivée par l’idée de purification du dévot pénétrant dans le temple (supra p. 268). Placée au milieu des deux autres représentations, elle peut cependant être envisagée sous un angle plus symbolique. Dans le sens de la pradakṣiṇā, le mendiant de la cella no 4, Śiva errant, à deux bras, incarnation d’une forme humaine malgré sa qualité divine, est suivi par le relief de la descente du Gange sur la terre, symbole du lien entre monde divin et monde humain (supra p. 268–269). La Tripurāntakamūrti de la cella no 6, forme divine par excellence, figure sous laquelle Śiva, réceptacle de toutes les énergies, attaque les démons, vient conclure ce trio. L’enchaînement de ces trois représentations semble être l’illustration du passage d’un Śiva « sauvage » à un Śiva « royal », tel qu’il est figuré sur les façades du sanctuaire (supra p. 169–171 et infra p. 282–283).
6La façade sud se compose, dans le sens de la pradakṣiṇā, d’une double présentation du couple divin assis, du dieu au banian suivi de la Liṅgodbhavamūrti et se conclut sur une représentation de Śiva mendiant. La première image est recouverte de stuc (fig. 193). On y reconnaît néanmoins Śiva assis, pourvu de quatre bras mais ne tenant aucun attribut. Il est accompagné de la déesse debout et souriante, à sa droite, appuyée sur son bras droit. Le dieu prend le menton de la jeune femme dans sa main gauche naturelle, tandis que sa main droite correspondante semble lui caresser la joue. Un gaṇa est assis à leurs pieds. Ne pourrait-il pas s’agir ici d’une scène amoureuse, précédant peut-être le mariage puisque la figure féminine se situe à la droite du dieu491 ? La représentation suivante s’inscrit dans la continuité de la première (fig. 194). Śiva possède maintenant six bras et tient deux attributs, le crâne ou la lune dans sa main supérieure gauche et un autre dans sa main supérieure droite que je ne peux identifier. Cette fois-ci, la déesse est assise à sa gauche. Elle a donc pris la place d’épouse qu’elle occupera par la suite. Bien que Śiva adopte une pose un peu hiératique, la déesse est assise avec une certaine nonchalance et semble discuter. Le couple est entouré de deux formes féminines : une Gajalakṣmī à sa droite et une déesse surmontée de deux chasse-mouches (fig. 195). Ces deux déesses seraient-elles un symbole de la prospérité et de la victoire futures, attributs de la royauté ? En effet, le passage du premier au deuxième relief traduit, à mon sens, l’aspect humain de la vie amoureuse du couple divin qui, à la suite de son mariage, offrira au monde une descendance, à l’instar de la famille royale. Il s’agirait donc d’une promesse du maintien de l’ordre cosmique, grâce à Skanda parmi les dieux, grâce à l’héritier royal parmi les hommes.
7Ces deux images précèdent le Śiva assis sous un arbre (fig. 26–27 [p. 81–82]). Emblème de la connaissance, il est celui qui dispense son enseignement. Le panneau met en scène la transmission du savoir : les sages assis aux pieds du dieu semblent à leur tour transmettre ce qu’ils viennent d’apprendre à leurs disciples qui les écoutent. C’est ce savoir qui doit atteindre le dévot en dernier lieu. La torche dans la main du dieu renverrait, selon moi, au rituel d’initiation du Śaivasiddhānta : par l’application de cet instrument sur les doigts du disciple, le maître coupe ses liens et lui permet de devenir ācārya à son tour (supra p. 100–103). Symboliquement, le dévot, après avoir aperçu le couple divin et avoir reçu l’annonce de sa descendance, est initié par la torche du dieu.
8La Liṅgodbhavamūrti qui suit (fig. 108–109 [p. 180–181]) met en scène le principe d’incarnation lui-même, le passage d’une forme aniconique à une forme figurée. Elle se pose en quelque sorte comme le point de départ de toute l’iconographie qui va suivre. Le dévot y a accès seulement après avoir été initié. Le relief du Śiva mendiant (fig. 46 [p. 118] et 73 [p. 141]), qui présente un dieu à caractère quasiment humain, à deux bras, errant parmi les hommes, les sages et leurs épouses, succède à la Liṅgodbhavamūrti. Le principe d’incarnation suggéré par cette dernière se réalise alors dans la personne du Śiva mendiant. C’est là, il me semble, un premier niveau de lecture des reliefs de cette façade.
9Ces images véhiculent également l’idée de la révélation. Les deux premières, qui mettent en scène Śiva et son épouse, annoncent au monde leur descendance ; le Śiva enseignant transmet la connaissance et pourvoit à l’initiation ; la Liṅgodbhavamūrti effectue une révélation corporelle, mettant fin à l’illusion des dieux et par là même du dévot initié ; le Śiva mendiant se révèle aux hommes comme il s’est précédemment révélé aux dieux. Un troisième niveau de lecture, qui ne concerne cette fois-ci que les trois derniers reliefs, serait la reprise de l’iconographie bouddhique et jaïne. Le dieu au banian reprend l’épisode du Buddha dans le parc aux gazelles lors de son premier sermon (supra p. 103–104). La Liṅgodbhavamūrti semble s’inspirer de l’apparition de Buddha sous la forme d’un pilier de flammes, ainsi représenté à Amarāvatī (supra p. 181–183). Le Śiva mendiant imite les moines bouddhistes et jaïns errant à la recherche d’aumônes (supra p. 135–139).
10Enfin, les reliefs du Śiva enseignant et mendiant dessinent un dieu à l’aspect ascétique et sauvage, qui évolue essentiellement parmi les hommes, dans la forêt ou, plus généralement, dans un lieu non domestiqué. Dans la même optique, le couple divin pourrait être assis sur la montagne, lieu « sauvage », résidence de Śiva, et la Liṅgodbhavamūrti, qu’elle soit reliée à l’épisode dit « de la forêt de pin » ou au monde chaotique dans lequel Viṣṇu et Brahmā se disputent la supériorité (supra p. 177–179), appartiendrait donc également à l’espace indompté.
11La façade ouest du sanctuaire apparaît sous le signe de la transition. Les trois images des cellas de façade en témoignent (supra p. 279–280). Mais c’est également ce que suggère la succession des deux Śiva dansant. Dans le sens de la pradakṣiṇā, un premier Śiva danse dans les champs de crémation, à la suite du Śiva mendiant (fig. 73 [p. 141], 86 [p. 158] et 94 [p. 162]). Le deuxième, levant sa jambe, reflète une idée de puissance et de victoire (fig. 89 [p. 159] et 95 [p. 165]). Ainsi les deux formes dansantes semblent s’articuler de telle sorte qu’elles permettent la transition entre deux aspects de Śiva : un Śiva ambigu et sauvage, proche du monde des hommes, le Śiva des champs de crémation, et un Śiva conquérant, guerrier, royal, appartenant au monde divin (supra p. 169–171). Le premier Śiva habite la façade sud tandis que le deuxième prendra place sur la façade nord. C’est à travers deux figures dansantes du dieu que le dévot basculera d’un monde à l’autre.
12La façade nord s’ouvre à nouveau sur une forme dansante. Śiva Kālārimūrti (fig. 196) accomplit ici une danse de victoire sur le corps de son ennemi vaincu. Par l’intermédiaire de la danse, le dévot plonge maintenant dans un monde purement divin : Śiva est vainqueur d’un dieu. La circumambulation se poursuit avec une image de Tripurāntakamūrti (fig. 159–160 [p. 241]). Sollicité par les dieux en détresse et s’incarnant afin de sauver le monde, Śiva assume ici les caractéristiques de l’avatāra et devient emblème de royauté (supra p. 238–239). Jalandharasaṃhāramūrti lui succède (fig. 134 [p. 212] et 138 [p. 215]). Vainqueur d’un démon qui terrorisait le monde, Śiva s’inscrit à nouveau dans une logique d’avatāra, dans la continuité de la précédente, et peut donc prétendre également au statut d’« avatāra śivaïte ». La représentation de la déesse qui suit (fig. 158 [p. 241]) fait appel aux mêmes éléments que la forme de Tripurāntakamūrti à laquelle elle est associée, aussi bien visuellement qu’idéologiquement (supra p. 240–242). La circumambulation se termine sur une représentation de Gaṅgādharamūrti (fig. 168 [p. 251]) à la symbolique royale très accentuée. Śiva, comme le souverain, est le maître des éléments, le protecteur de l’Univers, le lien entre mondes céleste et terrestre. De plus, ce mythe de la descente du Gange reflète l’idée de pureté de la lignée que les Pallava revendiquent (supra p. 265).
13Les représentations de la face nord renvoient donc toutes à l’illustration de la fonction royale, qu’il s’agisse de l’apparition du dieu en tant qu’avatāra ou à l’expression de la victoire, de la protection du monde et de sa pureté. Śiva assume donc la fonction jusqu’ici attribuée à Viṣṇu. C’est là un tournant tout à fait nouveau dans l’iconographie śivaïte. Les Pallava créent en effet une iconographie narrative qui prend maintenant en charge tous les aspects de la divinité : du sauvage ou humain au purement divin et royal. Le passage délicat de l’un à l’autre est mis en scène dans le déroulement des représentations au cours de la pradakṣiṇā492.
Le mur d’enceinte, cour principale
14Toutes les niches du mur d’enceinte ouvertes à l’est ou à l’ouest493 abritent des Somāskandamūrti, symbolisant l’axe de la famille divine. L’espace qui les sépare est occupé par un couple assis dans une position semblable à celle de Śiva et de son épouse. Cependant, le personnage masculin n’est pourvu que de deux bras et aucun enfant n’est placé dans le giron de la figure féminine (fig. 197). Il s’agit très probablement de représentations de couples royaux, renforçant ainsi, par leur alternance avec les Somāskandamūrti, la symbolique royale de ces dernières.
Niches no 4–7
15C’est à partir de cet axe est-ouest que les nombreuses images à caractère essentiellement mythologique vont se répartir. La série des reliefs orientés au nord s’ouvre sur un Gaṇeśa, assis, à quatre bras, dans la niche no 4. C’est en effet par la vénération de cette divinité que doit commencer tout rituel. On voit donc ici que cette pratique est déjà en vigueur chez les Pallava494. La niche no 5 contient une déesse accompagnée de son lion, dont j’ai déjà évoqué l’aspect guerrier et royal, suivie dans la niche no 6 par Subrahmaṇya, assis (fig. 198). Ce dieu est ici non seulement l’emblème de la descendance royale, mais il est également l’enfant sur les genoux de sa mère (niches no 1 à 3) devenu jeune guerrier495. La niche no 7, abondamment couverte de stuc, est occupée par un personnage féminin à deux bras (fig. 199). Assise, entourée de trois dévots à ses pieds et de deux assistants au chasse-mouche, elle fait le geste de la menace. Elle ressemble fortement aux figures féminines qui apparaissent régulièrement dans l’espace entre les niches, souvent assises dans un environnement forestier (fig. 200), alternant avec des couples royaux assis496. Considérant sa place dans l’une des niches réservées aux divinités, j’en conclus qu’il s’agit d’une déesse. Je ne peux cependant la nommer497. Son aspect pacifique semble en faire une contrepartie de la déesse guerrière accompagnée de son lion dans la niche no 5, illustrant deux atouts de la royauté incarnée par la figure, au centre, du jeune prince Skanda, le roi futur.
Niches no 8–13
16Le groupe des cinq représentations qui suivent la Tripurāntakamūrti de la niche no 8 (fig. 143–145 [p. 226]) met en scène quatre avatāra de Viṣṇu au milieu desquels la naissance de Skanda s’insère. Le mythe illustré dans la niche no 9 est difficile à identifier. Viṣṇu, tout en arme, un arc à la main, chevauche Garuḍa (fig. 201–202). Le dieu est engagé dans un combat face à trois personnages. La divinité ne portant ni disque ni conque, je suppose qu’il s’agit de Viṣṇu grâce à sa posture. Il est en effet déjà représenté ainsi dans l’iconographie gupta qui met en scène le mythe de Gajendramokṣa498. Au Temple du Rivage à Mahābalipuram, le relief qui occupe la façade sud du petit sanctuaire renfermant un Viṣṇu couché est très abîmé, mais on distingue cependant un dieu à plusieurs bras montant une forme humaine. Au Vaikuṇṭha Perumāḷ à Kāñcipuram, au cours de la seconde moitié du VIIIe siècle, une représentation sur la façade nord au rez-de-chaussée figure Viṣṇu chevauchant sa monture. Au premier étage, la même façade contient une niche qui met en scène la Gajendramokṣamūrti, tandis que sur la façade sud apparaît une copie exacte de notre relief du Kailāsanātha (fig. 203), laissant alors supposer que cette image est différenciée de celle du mythe de Viṣṇu protégeant l’éléphant. Je n’ai pu identifier la légende que ce relief illustre.
17La niche no 10 abrite une représentation de l’avatāra de Viṣṇu, Narasiṃha, combattant corps à corps son ennemi Hiraṇyakaśipu (fig. 204). La figure de l’Homme-lion est représentée depuis l’ère gupta499. En pays tamoul, il semblerait que cette image narrative soit la première500. Cette figure sera reprise au Vaikuṇṭha Perumāḷ à Kāñcipuram, au premier étage sur la façade nord, où deux panneaux se succèdent : le premier représente le combat à proprement parler et le deuxième met en scène le dieu plongeant ses mains dans les entrailles de son ennemi501.
18Le panneau de la niche no 11 est une pièce difficile à identifier qui met en scène un combat (fig. 205–207)502. Exemplaire unique, il ne correspond à aucune image que nous connaissons aujourd’hui. La partie gauche de la représentation est occupée par un personnage à deux bras, le haut du corps incliné vers l’arrière, qui brandit le foudre de sa main droite comme s’il s’apprêtait à le lancer. Coiffé d’une haute couronne, la tête entourée d’une auréole, il est également pourvu d’un cordon sacré et de ceintures nouées sur les hanches. Le foudre est l’attribut d’Indra et, en tant que dieu mineur, il n’est pas surprenant de le trouver représenté avec deux bras. Derrière lui, deux personnages le retiennent dans son élan. Brahmā est aisément reconnaissable grâce à ses trois têtes et ses quatre bras. Il tient la gourde dans l’une de ses mains gauches. La deuxième figure masculine pose l’une de ses deux mains sur la poitrine d’Indra afin d’arrêter son geste. Aucun élément particulier ne me permet de l’identifier. Dans le coin supérieur gauche de l’image, seuls les bustes de deux autres personnages sont visibles. Celui de gauche est pourvu de quatre bras et fait le geste de la menace. Dans la partie droite du panneau, l’adversaire d’Indra, de petite taille, coiffé d’une couronne conique, arc, flèche, épée et bouclier en main, se tient sur un lotus dont la tige grimpe au milieu de plantes aquatiques. Sa nature divine est suggérée par ses quatre bras. Il est engagé dans le combat, assisté de cinq petits personnages volants de même taille que lui (fig. 208). Sous les feuillages du lotus, une figure ventrue au sexe indéfinissable est assise, les mains en añjali. Elle est ornée d’une coiffe travaillée, de bracelets aux bras et aux poignets, de boucles d’oreille qui tombent sur les épaules et de colliers. Il semblerait que deux ailes se dessinent derrière son dos et, bien que cassé, son nez pourrait avoir la forme d’un bec (fig. 209).
19Le Mahābhārata et le Paripāṭal sont les deux textes qui m’ont permis d’identifier cette image comme la naissance de Skanda. Cet épisode est conté à trois reprises dans le Mahābhārata (III.213–218 ; IX.43 ; XIII.84), mais il est suivi du combat contre Indra dans la première seulement de ces trois versions. Alors que Svāhā vient de s’unir à Agni sous la forme de l’une des femmes des sages, elle change d’apparence afin de ne pas laisser accuser injustement ces épouses par les habitants de la forêt :
« “Ceux qui verront ma beauté, inconcevable dans la forêt, diront à tort qu’une faute a été commise avec Pāvaka (Agni) par les brahmanes. Afin d’éviter cela, je prendrai la forme de Garuḍī. Sortant ainsi de la forêt, je serai satisfaite.” Après être devenue Suparṇī, elle sortit de la grande forêt »503.
20Puis Svāhā ayant placé la semence d’Agni dans une urne, un enfant à six têtes et douze bras naît. « Il prit le grand et terrifiant arc qui détruit les ennemis des dieux, déposé là par le destructeur des trois cités »504. Alors qu’il se met à rugir, d’innombrables évènements secouent l’univers. Voyant le monde ainsi ébranlé, chacun crie au malheur. Certains l’attribuent aux femmes des sages, d’autres à Garuḍī. « Entendant cette parole, Suparṇī dit : “Mais c’est mon fils !”. S’étant approchée lentement de Skanda, elle dit : “Je suis ta mère.” »505.
21Mais les dieux demeurent inquiets : « Ayant entendu cela à propos de Skanda, les dieux assemblés dirent à Vāsava : “Tue immédiatement, Ô Śakra, Skanda à la force incroyable. Si tu ne l’anéantis pas maintenant, celui à la grande force deviendra Indra, Ô Śakra, s’étant emparé des trois mondes, de nous et de toi.” Il leur répondit, agité : “Cet enfant est d’une très grande force ! Après avoir attaqué le Créateur des mondes lui-même, il pourrait le détruire au combat. Que toutes les mères du monde, dont l’héroïsme se manifeste à l’envie, aillent maintenant vers Skanda et le tuent.” Et après avoir dit “Qu’il en soit ainsi”, elles partirent »506.
22Cependant, cette attaque échoue : devant l’invincibilité de Skanda, les mères se détournent du combat et, se mettant à ses ordres, l’adorent. Indra n’a plus d’autre choix que de l’affronter en personne, mais il est lui-même abandonné par les dieux qui se réfugient en Skanda.
23« Alors, abandonné des dieux, Śakra envoya son foudre sur Skanda. Lancé rapidement, il frappa son flanc droit et déchira le côté de celui à la grande âme, Ô Grand Roi. De la blessure faite par le foudre, naquit un autre homme. Il était jeune, il portait une armure dorée et des anneaux magiques qui donnent la puissance. Né de l’ouverture faite par le foudre, il était Viśākhas. Ayant vu naître cet excellent personnage, dont la splendeur est semblable au feu de la fin des temps, Indra, effrayé, joignit ses mains et alla chercher refuge en Skanda »507.
24La naissance de Skanda est également rapportée de nombreuses fois dans le Paripāṭal. Mais seul le poème V, consacré à Cevvēl (Murukaṉ/Skanda), contient un passage qui évoque le combat entre Indra et Murukaṉ :
« C’est dans un étang vert (fleuri) de nīlam, du très haut Himalaya
Qu’elles t’ont donné naissance, dit-on, sur une couche de lotus :
Ô Murukaṉ au grand renom ! À l’instant où Tu naquis
Le Seigneur des immortels dont il est difficile de posséder la gloire
Prit son vajra qui crache le feu et, transgressant tout, pensa T’abattre :
Des six fragments différents devenus six êtres,
Tu Te fis un être unique — vive Toi ! — Enfant aux éminentes victoires !
Quand, par la lutte qui n’était qu’un jeu que Tu avais désiré, avec ton corps infantile,
Purantaraṉ fut réduit par tes mains nues,
Analaṉ qui ignore la souffrance, l’ayant tiré de son corps,
T’a donné un coq sauvage (gage) de prospérité ; le Seigneur
Comblé de la richesse des cieux, l’ayant tiré de son corps,
T’a donné le paon orné de plumes à points éclatants ;
Ñamaṉ au sceptre parfait, l’ayant tiré de son corps,
T’a donné un chevreau gracieux de la chèvre aux yeux noirs.
Ainsi, offerts pour armes avec leurs vœux par eux et par d’autres,
Le chevreau, le paon, le mâle gallinacé,
L’arc ligaturé avec les marques, le bois, l’épée,
La lance à pointe en forme de feuille, bien fixée, la hache, le pic,
Le feu aux rayons destructeurs, la guirlande, la cloche,
Tenant dans tes douze mains tous ces (attributs) de formes différentes,
Sur ce fruit (de lotus), rayé et (piqué) de points, Tu as dépassé les limites de la gloire
Du Seigneur des immortels du paradis sans tache ! »508
25Grâce à ces deux textes, on peut donc identifier cette représentation de la niche no 11 comme le combat entre Indra et Skanda lors de la naissance de ce dernier. Skanda est ici représenté comme un enfant. Le Paripāṭal évoque bien un « corps infantile » (v. 55). L’épée et le bouclier, l’arc et les flèches qui sont placés dans les mains du jeune dieu dans le relief le sont aussi dans le Mahābhārata et le Paripāṭal. Ne pourrait-on pas alors identifier le personnage à quatre bras qui domine la scène dans le coin supérieur gauche comme « le destructeur des trois cités », qui, dans le Mahābhārata, a déposé son arc pour le dieu enfant et qui maintenant assiste au combat ? Dans le texte tamoul, Skanda est né sur une couche de lotus, dans un étang vert (v. 47–48) tandis que dans l’épopée, ce sont les roseaux (śara), déterminant un lieu aquatique également, qui reçoivent le dieu. Or, le petit personnage de notre image est bien figuré assis sur un lotus entouré de feuillages symbolisant l’eau. Indra est représenté attaquant l’enfant avec son foudre, acte attesté dans les deux textes. Il est cependant retenu par Brahmā et un autre personnage, référant à un acte impulsif que les autres dieux tentent de réprimer. L’action irréfléchie d’Indra trouve, semble-t-il, un écho dans le Paripāṭal : à la naissance de Murukaṉ, Indra se munit de son foudre avec l’intention de l’attaquer, « transgressant tout » (v. 51–52). Les cinq personnages volants autour de Skanda participent à la bataille. Bien que pourvus de deux bras seulement, ils sont représentés à l’image du dieu, de petite taille et rondelets, une coiffe conique sur la tête. Il pourrait s’agir de gaṇa, accompagnant le jeune enfant dans ses exploits guerriers. Cependant, leur ressemblance avec la figure divine, ainsi que leur nombre, permettrait plutôt de supposer qu’il s’agit des six corps du dieu précédant leur union : juste avant le combat contre Indra, Murukaṉ, selon le Paripāṭal (v. 53–54), n’est pas un seul être mais six, issu des six femmes des sages. Enfin, le personnage en añjali, sous le lotus de Skanda, est pourvu d’ailes dans le dos et son nez légèrement évasé est semblable à un bec. On pense alors au Mahābhārata qui introduit le personnage de Garuḍī, forme sous laquelle Svāhā sort de la forêt après s’être unie à Agni. Pendant féminin de Garuḍa, son apparence devrait être semblable à celle du roi des oiseaux. Ainsi, il s’agirait dans le coin inférieur droit de l’image, de Garuḍī, mère du dieu, revenue auprès de lui pour l’adorer, en accord avec le texte. Mahābhārata et Paripāṭal permettent donc non seulement d’identifier cette représentation, mais encore, chacun à leur tour, de justifier la présence et l’organisation des éléments qui la composent.
26La situation de ce relief au milieu d’une série de représentations viṣṇuïtes est surprenante. Skanda, l’enfant assis dans le giron de sa mère dans les premières niches du mur d’enceinte, se met à agir. Il incarne le principe de la royauté d’une part car il apparaît comme le souverain futur et d’autre part parce que le roi des dieux lui-même se sent menacé par sa venue au monde. Puisque c’était essentiellement l’iconographie viṣṇuïte qui symbolisait jusque là la royauté, ne pourrait-on pas envisager ce relief, inséré exactement au milieu d’une série d’avatāra viṣṇuïtes, comme l’illustration de la prise en charge de cet aspect par l’iconographie śivaïte ?
27La niche no 12 contient un relief de Trivikrama (fig. 181–183 [p. 270] et supra p. 269). Enfin, venant clore la série des représentations viṣṇuïtes, le barattage de l’océan apparaît dans la niche no 13 (fig. 210–212)509. Ce thème a été représenté chez les Gupta de manière différente510, puis repris par les Cāḷukya dans les grottes de Bādāmi au VIe siècle511. Or, le mode de représentation des reliefs pallava est tout à fait unique. Viṣṇu, sur la gauche du panneau, n’est pas représenté sous la forme d’une tortue, comme le stipule le mythe, mais prend figure humaine, debout, soutenant le pilier du barattage avec l’un de ses quatre bras gauches. Ses jambes se croisent dans une attitude nonchalante, contrastant avec l’exploit accompli qui devrait nécessiter un effort considérable. Porteur du disque et de la conque, le dieu entoure de l’un de ses bras gauches les épaules de Garuḍa, identifiable grâce au bec qui lui sert de nez, la main droite près de la bouche. Le cheval sorti de l’océan est représenté à la droite de Viṣṇu. Au centre du pilier, un petit personnage volant, couvert de stuc, porte un récipient. Il pourrait s’agir soit de Garuḍa volant le nectar d’immortalité selon certaines versions de ce mythe, soit de l’amṛta personnifiée jaillissant de l’océan. À notre droite, deux rangées de personnages sont superposées, tenant chacune une partie du serpent à cinq têtes utilisé comme corde de barattage. La figure centrale de la rangée du haut est dotée d’une large auréole derrière la tête, tandis que les deux personnages du bas en sont dépourvus. De chaque côté du visage de ces derniers, une masse arrondie de cheveux dépasse de leur coiffe, selon le modèle attibué aux démons (fig. 129 [p. 203]) ou aux personnages secondaires, comme les gardiens de porte par exemple (fig. 213). Ces remarques me permettent de supposer que la rangée supérieure est composée de dieux et s’oppose à la rangée inférieure constituée de démons. Il n’existe, à ma connaissance, qu’un seul relief identique à celui-ci dans une niche sud du premier étage du Vaikuṇṭha Perumāḷ à Kāñcipuram. Ce mode de composition ne sera pas repris dans les images postérieures, ajoutant celle-ci à la liste déjà longue des représentations inaugurées par la dynastie des Pallava et qui disparaîtront avec elle512.
Niches no 14–25
28La série viṣṇuïte s’arrête ici pour laisser place à nouveau aux représentations de Śiva. La niche no 14 contient un Śiva dansant en position d’archer, posture guerrière, symbole de combat et de puissance (fig. 214). Il est suivi dans la niche no 15 par une représentation de Śiva coupant l’une des têtes de Brahmā (fig. 64–66 [p. 134])513. La mise en scène de ce mythe est rare dans l’iconographie śivaïte et c’est ici la première à ma connaissance. Le dieu agit en personne, s’élançant au-dessus de la victime. Il suspend la tête de Brahmā, dans l’une de ses quatre mains gauches, tranchée avec la hache qu’il brandit encore dans l’une de ses mains droites. Les autres mains tiennent trident, serpent et lacet tandis que deux autres font, à gauche, un geste proche de celui de l’oreille de lion (siṃhakarṇa) et vismaya, traduisant l’étonnement ou l’aspect merveilleux d’un exploit. Reste un attribut dans l’une de ses mains droites que je ne peux identifier. L’aspect terrible de Śiva est encore souligné, si besoin est, par ses yeux globuleux, caractéristiques des formes terribles divines ou démoniaques. Cette scène pourrait se présenter comme le premier volet du mythe qui se poursuivra dans la niche no 52 par l’errance de Śiva (supra p. 132–133 et fig. 63).
29La niche no 16 est occupée par la célèbre représentation de Śiva archer combattant Arjuna (fig. 215)514. Dans le Mahābhārata III.39–41, alors que les Pāṇḍava sont en exil dans la forêt, Arjuna entreprend une longue et difficile ascèse sur le sommet de l’Himalaya. C’est alors que Śiva apparaît sous la forme d’un chasseur et poursuit le sanglier après lequel court déjà Arjuna. Se disputant la prise, le Pāṇḍava et la divinité s’affrontent, d’abord avec un arc, puis avec une épée, avec des arbres, des pierres, à mains nues, et enfin au corps à corps. Exténué, Arjuna s’évanouit. Satisfait de la vaillance du guerrier, Śiva se révèle alors et lui accorde l’arme pāśupata qu’Arjuna était venu réclamer. Dans le relief étudié, c’est la première partie du mythe qui est mise en scène : arc en main, Śiva déguisé en chasseur et le Pāṇḍava s’affrontent, dans la posture de l’archer. Les deux figures possédant deux bras, seule la coiffure permet de les différencier. En dépit de l’auréole qui apparaît derrière la tête du personnage de droite, je préfèrerais identifier celui-ci comme Arjuna. En effet, sa haute coiffe rappelle la tiare de Viṣṇu ou des figures royales, ce qui siérait parfaitement à Arjuna, puisque, selon la légende, il n’est pas déguisé, contrairement à Śiva que ni le Paṇḍava ni le spectateur ne peuvent reconnaître. La forme arrondie qui se dessine derrière le dos de la divinité pourrait alors être identifiée au liṅga accompagnant la forme humaine de Śiva. Cet épisode se conclura sur le don de l’arme pāśupata, représenté dans la niche no 36, face au sud.
30L’épisode de la pénitence d’Arjuna, du combat et de la remise de l’arme a été représenté bien avant les Pallava. Il s’agit de l’une des rares séquences mythologiques śivaïtes mise en scène avant la fin du VIIe siècle. Ces trois temps du récit sont illustrés sur les trois faces d’un pilier retrouvé à Rajaona515 — la quatrième face étant occupée par un relief de Śiva recevant le Gange sur sa mèche.
31La Jalandharasaṃhāramūrti de la niche no 17 (fig. 136 [p. 213]) est suivie, dans la niche no 18, d’une représentation unique, non identifiée à ma connaissance (fig. 216–218)516. Śiva, en position d’archer, émerge d’une ouverture en forme d’amande, semblable à celle au centre de laquelle il apparaît dans la Liṅgodbhavamūrti. L’ovale derrière le dieu suggère peut-être la partie supérieure du liṅga. Armé du trident, de la hache, de l’arc et peut-être du lacet, Śiva fait le geste de vismaya avec l’une de ses quatre mains droites. Le relief étant encore recouvert de stuc, il est difficile de déterminer les gestes de ses autres mains. Au bas du panneau, un nāga et une nāginī, la tête surmontée d’un ou plusieurs capuchons de serpents, rendent hommage au dieu. Un personnage s’enfuit sur la droite du panneau, le bras gauche sur la poitrine et le bras droit levé, comme pour se protéger de Śiva. Au-dessus de lui, le buste de Viṣṇu apparaît, les mains inférieures en añjali, les mains supérieures tenant le disque à droite et la conque à gauche. La composition de ce relief semble suggérer un mythe que l’on pourrait reconstruire de la manière suivante : la forme humaine de Śiva jaillit du liṅga pour protéger les nāga des attaques d’un personnage qui s’enfuit, scène à laquelle assiste Viṣṇu. C’est la représentation de la façade nord du templion G qui va me permettre d’identifier ce personnage. En effet, le même mythe y est mis en scène (fig. 219). Śiva, qui possède maintenant quatre bras, porte le trident de sa main inférieure droite. Il apparaît dans une ouverture en amande, également dans la position de l’archer. Coiffé d’un jaṭā-makuṭa, le dieu a des yeux révulsés, propres aux divinités terribles, ainsi que des crocs, que l’on ne pouvait voir dans l’image du mur d’enceinte. Il pointe l’index de sa main inférieure gauche, signe de menace, vers le personnage qui s’enfuit, représenté dans le panneau juxtaposé, à la gauche de la niche. Ici entièrement dépourvue de stuc, l’image originale nous livre l’identification de cet ennemi : son nez en forme de bec nous permet de reconnaître Garuḍa (fig. 220). La présence de Viṣṇu dans la niche secondaire à la droite de Śiva ainsi que dans le panneau du mur d’enceinte prend alors tout son sens, puisque l’oiseau est sa monture. Ce dieu intégré à cette scène pourrait par ailleurs contribuer à la mise en relief de la supériorité de Śiva : alors que le tout puissant détruit le véhicule de Viṣṇu, ce dernier est en prière devant lui. Une troisième représentation de cet épisode, petit bas-relief qui orne le toit de la niche no 15 (fig. 221), reprend cette composition.
32La mise à mort de Garuḍa par Śiva n’est mentionnée, à ma connaissance, que dans la littérature tamoule. Les premières évocations succintes de ce mythe se trouvent dans des poèmes d’Appar : « Celui qui a pris l’œil d’un dieu à un moment donné, celui qui est devenu grand dans chaque ère, celui qui est le futur et le passé, celui qui a détruit le corps de Kāma qui avait un arc de solide canne à sucre, celui qui s’est couvert avec la peau d’un éléphant mâle engagé dans le combat, celui qui a réduit en poudre le corps lui-même du roi des oiseaux, qui a pris la tête de celui qui accomplissait un sacrifice, une fois le sacrifice détruit, je l’ai vu à Ārūr, je suis à ses pieds, oubliant tout »517 et « Il est celui qui m’a pris comme serviteur après m’avoir séparé des basses gens ; il est celui qui s’est installé à Kuṭamūkkil qu’il a créée ; il est celui qui est assis sur un lotus frais et épanoui ; il est celui qui a rendu la vie, après l’avoir tué, au roi des oiseaux ; il est celui qui est différent, prenant les offrandes dans un crâne blanc ; il est celui qui possède la grande ville de Vīḻimiḻalai ; il est celui qui dépasse les limites de la terre ; il est les pieds eux-mêmes qui m’ont comme serviteur »518.
33Plus de huit siècles après, cette légende est développée dans le Kāñcipurāṇam. Le texte tamoul à notre disposition aujourd’hui a été écrit au début du XVIIIe siècle. Il est en fait une réécriture d’un texte appelé Kāñcīmāhātmya, en sanskrit, que je n’ai pu consulter. Ce dernier, antérieur, n’est cependant pas daté519. Dans le chapitre no 18 du « Seigneur des Serpents », les reptiles se rendent à Kāñcipuram, dans le temple du Seigneur des Serpents, Paṇātarēccaram, qui n’est autre que Śiva, et adorent ses pieds, las des attaques de Garuḍa envers leurs semblables.
34« Ayant adoré Civa en accord avec les règles, ils firent la demande suivante : “Nous prenons refuge [en toi], il n’y a pas d’autre refuge pour nous. Nous craignons le roi des oiseaux, qui nous fait trembler et nous émerveiller. C’est en adorant profondément les anneaux de fleurs fraîches aux chevilles du grand dieu à la bannière au large taureau qu’il a obtenu la force.” Celui qui a un œil sur le front [leur] accorda généreusement sa grâce.
35Forts de cette protection ainsi obtenue par la douce grâce de Celui qui a des ornements de serpents, qui porte comme ornements des serpents, ils demandèrent avec supériorité, après avoir dit sans peur : “Ô Kaluḻaṉ (Garuḍa), vas-tu bien ?” à Kaluḻaṉ, [leur] cruel ennemi, qui s’est approché de notre dieu en compagnie de Hari. Ces mots seront prononcés clairement dans tous les mondes »520.
36La présence de ce mythe dans les textes dévotionnels et puraniques tamouls, alors qu’il est absent des textes sanskrits, suggère qu’il appartient à cette région : cette légende prend place à Tiruvīḻimiḻalai, district et taluk de Tiruvārūr (poème 6–53 d’Appar et poème de Cēntaṉār), à Tiruvārūr (poème 6–26 d’Appar) et à Kāñcipuram, dans le temple nommé Paṇātarēccaram, que je n’ai pu localiser. Les représentations qui nous en sont parvenues semblent se limiter aux trois mentionnées ci-dessus dans le temple du Kailāsanātha. Elles apportent de nombreux éléments narratifs par rapport aux brèves allusions d’Appar : alors que le poète se contente d’évoquer la réduction en cendre de Garuḍa, puis son retour à la vie, les reliefs mettent en scène Śiva jaillissant probablement du liṅga. Le dieu apparaît armé, signalant qu’il s’agit d’une forme combattante. La mise à mort de Garuḍa à proprement parler n’est cependant pas représentée, mais il est évident que celui-ci s’enfuit pour échapper à la colère divine qui s’abat sur lui. C’est ici que le Kāñcipurāṇam521 fournit d’autres éléments nécessaires à la compréhension de l’ensemble du bas-relief. La présence d’un couple de nāga, en prière sous Śiva, renvoie à l’adoration du dieu par les serpents afin d’échapper au malheur que cause le roi des oiseaux parmi eux. Ils construisent un objet de culte, Paṇātarēccaram, qu’ils vénèrent ensuite. Mais Paṇātarēccaram étant simplement un nom de Śiva, cet objet de culte peut être une forme iconique ou aniconique, une représentation divine anthropomorphique ou un liṅga. Le relief opte pour une forme anthropomorphique sortant d’un liṅga, répondant ainsi à l’idée d’incarnation que l’iconographie pallava met en scène (supra p. 184–186). Cette légende, qui naît dans le pays tamoul et y demeure, témoigne de l’irruption de traditions locales dans l’iconographie pallava qui n’hésite pas à les placer côte à côte avec les grands mythes pan-indiens.
37Dans le relief de la niche no 19 (fig. 222), une forme combattante de Śiva, la jambe droite tendue et la gauche fléchie, posée sur une sorte d’escalier, pointe un trident vers le bas avec l’une de ses quatre mains. À l’instar des formes terribles ou ascétiques, ses cheveux sont détachés, la tête surmontée d’un chignon. Śiva est entouré de quatre personnages dont deux sont agenouillés, mains jointes sur la poitrine, à ses pieds. Cependant, celui de notre droite ne se tourne pas vers le dieu, mais dans la direction vers laquelle il se dirige. Enfin, sous le pied gauche de Śiva, un double petit personnage est allongé au milieu de lignes ondulées.
38Cette représentation pourrait renvoyer au mythe de la destruction du sacrifice de Dakṣa522 ou du meurtre du démon Andhaka. Dans le premier cas, Śiva surgit au milieu du sacrifice de Dakṣa, faisant fuir les participants et en massacrant plusieurs dans sa colère. Les personnages autour du dieu dans cette image représenteraient alors ceux qui assistent au sacrifice et les figures allongées pourraient, quant à elles, renvoyer aux victimes de Śiva. Cependant, le trident dans les mains de la divinité demeure inexpliqué. Dans les versions les plus anciennes de ce mythe, Śiva n’ayant pas reçu de part réservée au cours de ce sacrifice, se déguise en ascète et construit un arc magique. Dans le Mahābhārata X.18, il perce de son trait le sacrifice qui se matérialise en gazelle et dans le Rāmāyaṇa I.66, il décapite les dieux avec ses flèches. Ce n’est que dans des versions plus tardives de cette légende que la destruction du sacrifice sera accomplie par Vīrabhadra, forme terrible issue de Śiva523. Śiva-Vīrabhadra n’est pas mentionné comme portant le trident524. Il coupe la tête de Dakṣa, arrache les yeux et les dents du Soleil, coupe les mains d’Agni, écrase les épaules d’Indra. Or, le trident étant ici au centre de la représentation, il est possible d’envisager ce relief comme la mise en scène du meurtre du démon Andhaka. En effet, dans les Purāṇa, c’est avec cette arme que Śiva se débarrasse de son ennemi525. Mais lorsque le sang du démon s’écoule de sa blessure, de nouvelles créatures identiques naissent de chaque goutte versée et le dieu doit faire appel à des divinités féminines terribles afin de le boire. Si le Tēvāram n’évoque pas les figures féminines, en revanche, il insiste sur Śiva perçant son adversaire de son trident526. Le double petit personnage allongé dans un milieu liquide pourrait alors être la représentation du démon se multipliant dans son sang.
39La niche no 20, plus large que les autres, abrite un relief de Brahmā assis en compagnie de son épouse. Sa paroi extérieure ouest est ornée d’une représentation dans laquelle un personnage à plusieurs têtes est agenouillé aux pieds d’un Brahmā debout. Le stuc qui recouvre cette image semble suggérer une double représentation du dieu. Je reconnais ici, pour ma part, la mise en scène de l’attribution d’une faveur au démon Rāvaṇa par Brahmā, qui ouvrirait ainsi la série des reliefs des niches no 40 à 42527. Les niches no 21, 22, 23 et 24 contiennent respectivement une représentation de Tripurāntakamūrti (fig. 155–157 [p. 237]), Kālārimūrti (fig. 127 [p. 203]), Gajasaṃhāramūrti (fig. 123 [p. 198]), Gaṅgādharamūrti (fig. 166 [p. 250]). Les espaces entre les niches no 19 à 23 sont occupés par des représentations de déesses. Entre la niche no 19 et no 20 Jyeṣṭhā est assise, à deux bras, entourée du personnage à tête de taureau, d’un gaṇa portant une large assiette sur la tête, d’un personnage muni d’un chasse-mouche et d’une femme debout. Entre la niche no 20 et no 21, Mahiṣāsuramardinī est représentée assise sur une tête de buffle, à huit mains tenant, de droite à gauche, une épée ou un poignard, le disque, le trident, l’arc posé sur la tête de buffle, le serpent, la conque et la hache. Deux personnages sont agenouillés à ses pieds et rappellent, malgré le stuc qui les recouvre masquant leur geste, les reliefs de la déesse aux pieds de laquelle les dévots se sacrifient, fort représentée sur le site de Mahābalipuram528. Cette image du Kailāsanātha est cependant la seule mise en scène de ce thème jusqu’ici retrouvée sur le site de Kāñcipuram. Dans le large espace entre les niches no 21 et no 22, les sept mères (fig. 223) sont accompagnées de Gaṇeśa et d’un personnage assis à deux bras, portant ce qui semble être une massue dans la main gauche, les cheveux déliés, les jambes entourées d’un cordon de yoga, dans la même posture que le Śiva assis sous l’arbre banian (fig. 224). Enfin entre la niche no 22 et no 23, une déesse terrible est assise, à huit bras, portant serpent, cloche, trident, bol à aumônes et hache (fig. 225). Bien que recouverte de stuc, on reconnaît néanmoins les mêmes caractéristiques que la déesse qui danse aux côtés du Śiva dansant (fig. 165 [p. 244]) et qui se retrouve à la droite de Tripurāntakamūrti (fig. 164 [p. 244]).
40Cette série de déesses paraît pouvoir être mise en relation avec le déroulement narratif du Devīmāhātmya529 : la tueuse du buffle puis les sept mères ainsi que Kālī qui apparaissent pour participer au combat contre Śumbha et Niśumbha sont ici présentes. Gaṇeśa et la figure masculine aux côtés des mères n’ont cependant pas de place dans ce récit. Il s’agit peut-être tout simplement ici de la reprise d’un modèle iconographique déjà connu530. Enfin, Jyeṣṭhā, déesse aux contours encore mal définis, ouvre la série de ces déesses. Elle est absente du Devīmāhātmya et il m’est impossible de justifier sa présence. Le groupe que constituent ces divinités féminines est suivi, entre les niches no 23 et no 24, d’une représentation d’Agastya, entièrement couverte de stuc, dont c’est probablement l’une des premières apparitions531.
41La partie sud du mur d’enceinte se termine sur la niche no 25 qu’occupe un Śiva dansant, la jambe levée (fig. 82 [p. 156]). Tournée vers le nord, direction réservée à l’aspect guerrier et royal de Śiva, cette image confirme le caractère régalien de cette danse (supra p. 164–166)532.
Niches no 35–55
42À partir de la niche no 35, les reliefs font face au sud.
43La niche no 35 abrite un relief dans lequel Śiva, debout, la jambe droite tendue et la gauche fléchie, le pied posé au-dessus d’une forme arrondie, possède quatre bras (fig. 227–228). Il s’appuie de sa main supérieure gauche sur un arc, tandis que la main inférieure fait un geste dont je n’ai pu identifier la signification : le majeur est replié sur la paume qui fait face au spectateur. Sa main inférieure droite fait le geste du don (varada) et la main supérieure semble se refermer comme pour tenir quelque chose que l’on ne voit plus. À la droite du dieu, un personnage à deux bras est à terre, surplombé par une figure masculine également pourvue de deux bras, coiffée d’un chignon et portant une hache sur l’épaule. Cette représentation met en scène, à mon sens, le mythe de Caṇḍeśa : le jeune homme à la hache, ayant coupé la jambe de son père maintenant à terre, voit apparaître Śiva au-dessus du liṅga533. Déjà mentionnée dans le Tēvāram534, l’histoire de ce saint appartenant à la tradition tamoule est longuement développée par le Periyapurāṇam de Cēkkiḻār (strophes 1206 à 1265). Un jeune brahmane, Vicāraśarman, dévot de Śiva, verse quotidiennement le lait produit en surplus par les vaches de son troupeau sur un liṅga de sable qu’il a confectionné. Son père furieux, averti par les habitants du village mécontents, se met à battre son fils et renverse le liquide consacré aux ablutions. Voyant le lait répandu, le jeune homme saisit un bâton qui se transforme en hache et coupe lui-même la jambe de son père. Il peut ainsi continuer à adorer le liṅga. Séduit par sa dévotion, Śiva apparaît alors et le bénit : l’enfant devient Caṇḍeśa et le dieu, après lui avoir offert vêtements et nourriture, le couronne d’une guirlande de fleurs.
44Il s’agit très probablement ici de la première mise en scène de ce mythe, et l’on soulignera le caractère unique de cette représentation dont on ne connaît pas ou peu d’équivalent535. Au Mukteśvara et au Mātaṅgeśvara à Kāñcipuram, le couronnement de Caṇḍeśa, qui deviendra célèbre dans l’iconographie cōḻa, est mis en image apparemment pour la première fois (fig. 229). L’illustration de l’histoire d’un saint appartenant à la tradition tamoule témoigne ici encore une fois de l’introduction de caractéristiques locales dans l’iconographie pallava.
45Śiva, assis en compagnie de Pārvatī, occupe la partie supérieure de l’image qui prend place dans la niche no 36 (fig. 230). Le dieu porte, semble-t-il, un liṅga sur son épaule droite, illustrant à la fois son aspect iconique et aniconique. Dans le coin inférieur droit de l’image, une figure masculine à deux bras, mains jointes sur la poitrine, est agenouillée. Un gaṇa lui présente un objet de forme allongée, pareil à un arc. Un autre gaṇa, au-dessus du premier, joue avec un serpent. On se souvient ici de la représentation gupta de Rajaona représentant le don de l’arme pāśupata à Arjuna536 : le guerrier est agenouillé devant l’arc personnifié sous la forme d’un gaṇa, à quatre bras. Sur la droite du panneau sont assis Śiva et son épouse, sur la montagne. Il me paraît donc possible d’identifier l’image pallava, dont les éléments qui la composent sont semblables à ceux que l’on trouve dans la représentation gupta, comme le don de l’arme pāśupata537. Elle illustrerait ainsi le deuxième volet de l’épisode mis en scène dans la niche no 16, le combat entre Śiva et Arjuna (fig. 215 [p. 300]).
46Le dieu au banian occupe la niche no 37 (fig. 22 [p. 80]) et Śiva dansant la niche no 38 (fig. 87 [p. 158]). Ils sont séparés par un groupe de onze personnages assis sur un trône au lion, d’apparence royale. Le nombre onze évoque les Rudra, émanations de Śiva538. Couverts de stuc grossier, le nombre de leurs bras est difficile à déterminer, mais il semble que certains d’entre eux en possèdent quatre. Sur leur gauche est représentée Sarasvatī, les deux bras supérieurs tenant la gourde et le rosaire tandis que les deux bras inférieurs sont en abhaya et tiennent une fleur (fig. 231). Encadrée de deux assesseurs la saluant, surmontés eux-mêmes de chasse-mouches, elle est assise sur un lotus, la jambe droite repliée sur son siège. Elle paraît s’abriter sous un arbre. Dans la niche no 39, dont la taille est supérieure aux autres, répondant à la niche no 20 qui abrite Brahmā, Viṣṇu est assis en compagnie de ses deux épouses. Un relief de Trivikrama orne discrètement la paroi est de cette niche (fig. 185–187 et supra p. 269–272).
47Les niches no 40, 41 et 42 renferment, selon moi, une série de trois représentations consacrées à Rāvaṇa539. Le premier relief met en scène la soumission de Rāvaṇa à Śiva, dans laquelle le démon, dompté par le dieu, se tient à ses pieds. Il accompagne ses louanges de musique jouée sur les tendons de son bras qu’il a extrait, selon la version tamoule du mythe540. La deuxième image est très abîmée mais je suppose, notamment grâce à la place qu’elle occupe entre deux représentations qui mettent en scène Rāvaṇa, que le démon devenu dévot est récompensé par Śiva541. Enfin la troisième image est l’illustration du célèbre épisode dans lequel Rāvaṇa soulève le mont Kailāsa sur lequel Śiva est assis542.
48Le relief de la niche no 43 représente Viṣṇu, agenouillé, qui s’apprête à offrir son œil à Śiva lorsqu’une fleur vient à manquer au cours de l’adoration du liṅga543. Śiva, qui surplombe la scène en compagnie de son épouse, élève derrière sa tête un objet qui ressemble à une guirlande. Une forme arrondie dépasse sur sa droite : il pourrait s’agir du liṅga. Viṣṇu obtiendra le disque créé par Śiva en récompense de sa profonde dévotion, faisant de cette image le deuxième volet de l’épisode de la mise à mort de Jalandhara dans la niche no 17 (fig. 136 [p. 213] et supra p. 219).
49La scène suivante, dans la niche no 44, représente le mariage d’un couple divin (fig. 232–233). Brahmā, sur la gauche du relief, accomplit les rites de la cérémonie. Le fiancé place sa future épouse à sa droite, la tenant par la main. Coiffé d’une couronne conique et d’un double cordon croisé sur la poitrine, il pourrait être, au premier abord, identifié comme Skanda dont ce sont deux caractéristiques. Cependant, je préfère considérer qu’il s’agit de Śiva lui-même, mais représenté en tant que dieu jeune, comme le suggère F. L’Hernault (1978 : 100). Cette hypothèse est confirmée, à mon sens, par le relief de la niche suivante, où l’on voit Śiva assis en compagnie de son épouse, cette fois-ci à sa gauche, marquant ainsi l’étape qui suit leur mariage (fig. 234)544. L’union du couple divin a été mise en scène à Bombay (Elephanta, Jogeśvarī) et Ellorā545, précédant ainsi les représentations des temples construits pallava. Cependant, jamais Śiva ne porte de coiffe conique ni de cordon croisé sur la poitrine. La ressemblance de Śiva avec Skanda dans cette image est donc particulière aux Pallava et cette ambiguïté souligne, me semble-t-il, le concept du jeune prince devenu roi qui fonde sa famille, assurant ainsi la pérennité de la lignée. Dans la niche no 51, ce couple divin offrira au monde sa descendance, le jeune Skanda destiné à monter sur le trône, dans la scène bien connue de la Somāskandamūrti (fig. 235).
50La niche no 46 abrite un Śiva dansant du Type-du-pied-au-genou (fig. 75 [p. 118] et supra p. 147). Cette image est suivie d’une scène qui renvoie probablement à la résurrection de Kāma (fig. 236)546. Śiva et son épouse, assis, surplombent un personnage agenouillé. En dépit de l’érosion de cette partie du panneau, je suppose qu’il s’agit de Rati, l’épouse de Kāma venant supplier Śiva de rendre la vie à son époux. En effet, un gaṇa porteur d’une bannière sur laquelle on distingue un animal recouvert de stuc qui pourrait être un makara, accompagne un personnage debout à gauche de l’image, les bras croisés sur la poitrine. Cet animal marin étant considéré comme l’emblème de Kāma, on peut alors identifier cette figure ainsi malgré l’incertitude due à la restauration.
51La niche no 48 abrite une représentation de Śiva jouant de la vīṇā (fig. 237–238). Le dieu, debout, la jambe gauche repliée et posée sur un piédestal, tient l’instrument de musique de ses deux mains inférieures. Sa main supérieure droite suspend un serpent par la queue tandis que la main opposée revient gracieusement vers l’épaule. À sa gauche, deux personnages, l’un au-dessus de l’autre, sont coiffés de larges chignons qui rappellent ceux portés par les chasseurs (fig. 215 [p. 300]). Celui qui se trouve au premier plan danse au son de la musique divine. Derrière lui, son compagnon élève un objet allongé au-dessus de sa tête, comme s’il s’agissait d’un long poignard avec lequel il s’apprête à couper son chignon. Deux couples célestes chevauchant des taureaux volent au-dessus de cette scène. Śiva se présente ici comme le musicien, tout comme il est par ailleurs le danseur. Mondes céleste et humain reçoivent le don de sa musique. Sur la partie supérieure d’un linteau du temple de Pārvatī à Nāchnā, d’époque gupta, on assiste déjà à la mise en scène du concept du Śiva musicien : celui-ci est assis, jouant de la vīṇā, au centre d’un groupe qui l’écoute547.
52Les niches no 49 et 50 mettent respectivement en scène la Liṅgodbhavamūrti (fig. 111 [p. 185]) et la Gaṅgādharamūrti (fig. 177 [p. 267]). Cette dernière insiste sur la pénitence de Bhagīratha et l’accord de la faveur requise (supra p. 266). Si la niche no 51 abrite une image bien connue, la Somāskandamūrti (fig. 235), en revanche, le relief de la niche no 52 représente une forme de Śiva difficile à identifier (fig. 63 [p. 133]), que je propose d’envisager comme le Śiva errant à la suite de la décapitation de Brahmā dans la niche no 15 (supra p. 132–133). La niche no 53 contient le Śiva mendiant dans la forêt de pin (fig. 48–50 [p. 118–119]) et la niche no 54 renferme la première représentation de la défaite de Rāvaṇa face à Vālin, adorateur de Śiva548.
53Le dernier relief de cette face du mur d’enceinte, niche no 55, est une représentation de Caṇḍeśa, sa longue chevelure détachée tombant sur les épaules, assis, la jambe droite à plat sur le siège, tenant dans sa main droite une hache recouverte de stuc. Il est difficile d’affirmer que le jeune homme coupant la jambe de son père et cette forme sont reliées. Le fait que le récit mythologique ouvre la partie nord du mur d’enceinte et que cette figure hiératique la clôture nous permet peut-être de le supposer, au moins à l’époque des Pallava.
54Cette divinité joue un rôle fondamental dans le culte des temples méridionaux. Si Gaṇeśa doit être invoqué au début de tout rituel, afin d’écarter les obstacles, Caṇḍeśa doit l’être à la fin : une pūjā qui ne se termine pas sur sa vénération, en lui offrant les restes des offrandes faites à Śiva, demeure sans effet549. Son opposition et sa complémentarité avec Gaṇeśa est en vigueur au Kailāsanātha : la partie sud du mur d’enceinte commence par une représentation de Gaṇeśa et la partie nord se termine sur Caṇḍeśa. La plupart des traités attribuent le nord-est à ce dernier et c’est à cet emplacement qu’on le retrouve dans ce temple550.
Organisation des images du mur d’enceinte
55Après avoir décrit et identifié, dans la mesure du possible, les images abritées par les niches du mur d’enceinte, je vais tenter de définir le concept qui détermine leur organisation. On remarque, au premier abord, que l’on ne se retrouve quasiment jamais face à une narration continue. Les représentations narratives se juxtaposent, illustrant de nombreux mythes dans lesquels Śiva est l’acteur, mais également parfois d’autres dieux, tels que Viṣṇu, Murukaṉ et déesses.
56Leur disposition ne semble pas pour autant arbitraire. Deux groupes se dégagent, déterminés par la direction à laquelle ils font face551. Les représentations guerrières, victorieuses et royales sont dirigées vers le nord, répondant ainsi aux mêmes exigences que les reliefs de la façade nord du sanctuaire. Ces images mettent en scène les exploits de Śiva qui s’incarne en une forme combattante — combat contre Arjuna ou contre l’éléphant, terrassement de Kāla, mise à mort de Garuḍa — ou qui apparaît en tant que sauveur d’un monde en péril et emblème de la royauté — Tripurāntakamūrti, Jalandharasaṃhāramūrti, Andhakāsuramūrti, Gaṅgādharamūrti. Lorsque Śiva agit pour écarter le danger qui menace l’univers, il répond aux principes de formation d’un avatāra de Viṣṇu, assumant la fonction de ce dernier. La présence d’avatāra viṣṇuïtes, insérés parmi la série de représentations śivaïtes, prend alors tout son sens : répondant à la même symbolique que les différentes formes de Śiva présentées sur cette façade, ils peuvent se substituer au dieu suprême pour glorifier les fonctions du roi. Si l’illustration du principe de royauté prime ici sur le sectarisme, d’autres reliefs tels que Jalandharasaṃhāramūrti, Viṣṇu adorant le liṅga ou la Liṅgodbhavamūrti, se chargeront par ailleurs de démontrer la supériorité de Śiva.
57Le deuxième groupe de représentations, face au sud, illustre l’aspect bénéfique de Śiva en mettant l’accent sur le don. Toutes les images de la façade sud du sanctuaire sont reprises : le dieu au banian, qui symbolise le don de la connaissance, la Liṅgodbhavamūrti, celui de la révélation parmi les dieux, le Śiva mendiant, celui de la révélation parmi les hommes. Śiva et Pārvatī assis, dont la présence renvoie à la promesse d’une descendance et donc à la promesse du maintien de l’ordre cosmique, est suivi, quelques reliefs plus loin, de la Somāskandamūrti. On peut ajouter à ce type de reliefs les deux Śiva dansant et le Śiva musicien, dans lesquels le dieu fait don de sa danse et de sa musique. Si le don comme récompense d’une action vaillante est un principe mis en évidence dans la représentation de l’épisode de la remise de l’arme pāśupata à Arjuna, il se présente cependant essentiellement comme la conséquence d’un acte de dévotion. C’est en effet ce que suggèrent les mythes qui mettent en scène Caṇḍeśa, Rāvaṇa, Viṣṇu adorateur du liṅga, Rati et Kāma. Les trois premiers insistent sur une idée chère au mouvement de bhakti qui consiste en l’offrande d’une partie de son corps au dieu adoré552.
58Deux thèmes, Śiva dansant et Śiva recevant le Gange, sont illustrés aussi bien sur le mur sud que sur le mur nord, témoignant ainsi de leur double fonction. Le Śiva dansant, présent sur la façade ouest du sanctuaire, est une image de transition entre le dieu de la façade sud et celui de la façade nord (supra p. 169–171). La danse de Śiva peut ainsi être envisagée sous un aspect victorieux, combattant et royal, comme dans les niches no 14 (fig. 214 [p. 300]) et 25 (fig. 82 [p. 156]) où il adopte la posture de l’archer ou lève sa jambe. Parallèlement, sa danse dans les bûchers, niche no 38 (fig. 87 [p. 158]), ou la danse de la niche no 46 (fig. 75 [p. 148]), révèlent l’aspect sauvage ou bénéfique du dieu.
59Gaṅgādharamūrti, symbole de royauté, trouve naturellement sa place tournée vers le nord (fig. 166 [p. 250]). Or, lorsque l’accent est mis sur l’idée de don en tant que récompense, comme dans la niche no 50 (fig. 177 [p. 267]), l’image est alors orientée vers le sud. Le mode de composition, relativement unifié par ailleurs, se transforme : Śiva est encore figuré recevant le fleuve céleste dans sa chevelure, mais Bhagīratha pénitent est maintenant introduit à son côté. Il faut souligner ici que, si les images qui font face au nord sont symbole de royauté de par leur aspect guerrier et conquérant, on peut cependant en dire autant des images de ce mur d’enceinte qui leur sont opposées. En effet, le thème du don qui se dégage de l’ensemble de ces représentations apparaît également comme l’un des devoirs du souverain.
60On remarque deux niches, au nord et au sud, dont la taille est supérieure aux autres. Celle du sud (niche no 20) est occupée par Brahmā et sa parèdre tandis que celle de la partie nord (niche no 39) renferme une image de Viṣṇu entouré de ses deux épouses. Leur présence, à mon sens, ne peut s’expliquer qu’en regard des Somāskandamūrti du mur ouest : l’ensemble du mur d’enceinte pourrait être envisagé comme un grand sanctuaire, au fond duquel se trouve l’image de culte, encadrée à sa gauche par Brahmā et à sa droite par Viṣṇu553. L’alternance des couples royaux figurés entre les niches avec les Somāskandamūrti renforce encore la symbolique royale qui sous-tend cette dernière, puisque si les deux divinités subordonnées à Śiva encadrent la famille divine, elles encadrent donc en même temps le couple royal. En outre, une série de Somāskandamūrti occupe également la partie est du mur d’enceinte, faisant face à l’ouest. Or, l’on se souvient qu’une ouverture, aujourd’hui murée, se situait à l’arrière du sanctuaire. Lorsque le dévot pénétrait dans le temple par cette porte, les images de la partie est du mur d’enceinte lui offraient donc une série de Somāskandamūrti. Ce double sens, selon un axe est-ouest, se retrouvera dans l’organisation spatiale des autres temples pallava (infra p. 325).
Les templions extérieurs
61La rangée des huit templions ouverts à l’est disposée à l’entrée du temple serait contemporaine ou légèrement postérieure à l’érection du sanctuaire principal et de son mur d’enceinte. Les trois façades de ces petits monuments sont ornées d’images de Śiva qui se trouvent pour la plupart déjà représentées dans le complexe principal. L’organisation de ces reliefs semble obéir aux mêmes principes qui régissent ceux du sanctuaire, c’est-à-dire une répartition entre une façade sud dédiée aux formes bénéfiques et/ou « sauvages » et une façade nord dépositaire des formes guerrières et victorieuses.
62Les façades sud sont occupées par un Śiva assis sous le banian (templions B, G : fig. 34 [p. 90] et H : fig. 28 [p. 83]), une forme à deux bras en posture de yoga (templion C : fig. 38 [p. 108]), une Liṅgodbhavamūrti (templion D : fig. 112–113 [p. 185]), le don du disque à Viṣṇu (templion E : fig. 140–141 [p. 220–221]) et Harihara (templion F : fig. 239–241). Les représentations qui font face au nord mettent en scène les formes suivantes : Jalandharasaṃhāramūrti (templions B et D), Śiva dansant à la jambe levée (templion C), Gajasaṃhāramūrti (templion E : fig. 117–119 [p. 195]) et Śiva réduisant en cendre Garuḍa (templions G : fig. 219–220 [p. 302]). La façade nord du templion H offre une figure ambiguë que l’on pourrait, faute de meilleure interprétation, considérer comme une figure gardienne (fig. 45 [p. 113] et supra note 233).
63En revanche, les représentations des façades ouest sont beaucoup plus hétérogènes. Si l’on retrouve le Śiva dansant du Type-des-deux-jambes-repliées, qui occupait déjà la façade arrière du sanctuaire principal, sur les templions E (fig. 91 [p. 160]) et G (fig. 90 [p. 160]), de nombreuses formes terribles et conquérantes y prennent place : Kālārimūrti (templion D : fig. 128–129 [p. 203]), Tripurāntakamūrti (templion F : fig. 142 [p. 226]), Gajasaṃhāramūrti (templion H : fig. 120 [p. 196]). Une forme considérée comme bénéfique, le Śiva mendiant (templion B : fig. 47 [p. 118]), fait également face à l’ouest554. On pourrait penser, à cause de la présence de ces formes aux thématiques diverses, que la symbolique de cette façade est moins bien définie que les autres. Cependant, ne serait-il pas possible d’envisager la présence de formes aussi bien guerrières que bénéfiques sur les façades arrière comme l’illustration du principe de transition, dans le sens où leur niche principale peut accueillir une image autant qu’une autre ?
Sanctuaire de Mahendravarman III
64Le sanctuaire de Mahendravarman III offre une iconographie quelque peu différente de celle du complexe principal. Celle-ci est cependant très difficile à étudier aujourd’hui, les reliefs ayant été restaurés et recouverts d’une abondante couche de stuc. À l’intérieur de l’ardha-maṇdapa, un Śiva dansant (fig. 72 [p. 140]) fait face à un Śiva mendiant (fig. 54 [p. 130]), dont l’association et la complémentarité ont déjà été évoquées (supra p. 139–140). C’est en passant devant ces deux images que le dévot pénètre dans le sanctuaire au fond duquel il aperçoit la Somāskandamūrti. Au Śiva au banian de la façade sud répond une Gajasaṃhāramūrti face au nord (fig. 116 [p. 195]). C’est le seul temple pallava de Kāñcipuram, excepté le Mukteśvara qui obéit à d’autres critères de disposition des images (infra p. 328), qui ne met pas en opposition le dieu au banian et Jalandharasaṃhāramūrti. Bien que s’écartant de ce qui devait sans doute déjà se présenter comme la norme pallava, la répartition de ces deux images conserve néanmoins la thématique développée par ailleurs : une forme bénéfique au sud s’oppose à une forme terrible au nord. Il serait possible d’envisager ici ces deux images comme participant de la représentation d’un Śiva « sauvage ». En effet, la Dakṣiṇāmūrti évolue dans la forêt et la Gajasaṃhāramūrti dont les mains sont dépourvues de trident, comme dans notre image, pourrait également renvoyer à une forme des espaces non domestiqués et non à un dieu vainqueur d’un démon (supra p. 194–197).
65La façade ouest est occupée, de manière inattendue, par un couple assis. Le stuc conférant deux bras seulement à la figure masculine, il pourrait s’agir alors d’un couple royal. Renverrait-il à Rājasiṃha accompagné de son épouse assise à sa gauche, parents du jeune prince, que ce dernier place face à l’œuvre de son père, en guise d’hommage ? Il est cependant extrêmement délicat de valider une telle hypothèse qui repose peut-être sur une erreur du restaurateur. En effet, la figure masculine pouvait être pourvue de quatre bras à l’origine. Elle deviendrait alors une image de Śiva accompagné de son épouse, portant éventuellement son fils dans son giron. Les éléments d’analyse étant très incertains, je ne me prononcerai donc pas sur ce point.
66L’absence de représentations qui mettent Śiva en scène sur les faces intérieures du petit mur d’enceinte construit autour du sanctuaire de Mahendravarman est un fait remarquable si l’on considère leur profusion dans la grande cour. Cette étude se consacrant essentiellement aux formes narratives de Śiva lui-même, je ne traiterai donc pas le programme iconographique de cette enceinte.
Autres temples pallava construits
Temples de la première moitié du VIIIe siècle
67La disposition des images dans les autres temples pallava construits de la première moitié du VIIIe siècle suit les mêmes principes que ceux adoptés sur le sanctuaire principal du temple du Kailāsanātha. Les reliefs sont répartis en fonction de la direction à laquelle ils font face. On peut ainsi définir une façade sud réservée aux formes bénéfiques et « sauvages », liées à la révélation et au monde des hommes, une façade arrière de transition et une façade nord consacrée aux formes guerrières, conquérantes et royales, évoluant en contexte divin. La seule image commune à tous ces temples est le Śiva enseignant des façades sud. Elle s’oppose, sur la façade nord de la majeure partie des monuments, à une représentation de Jalandharasaṃhāramūrti. Il en est ainsi au Piṟavāttāṉeśvara, à l’Airāvateśvara, à l’Iṟavāttāṉeśvara et à l’Amareśvara555. Cette image est parfois entourée de représentations chargées des mêmes connotations telles que Kālārimūrti et Gaṅgādharamūrti (Iṟavāttāṉeśvara : fig. 242 et Amareśvara : fig. 9 [p. 55]) ou Kālārimūrti et Tripurāntakamūrti (Airāvateśvara). Lorsque la Jalandharasaṃhāramūrti est absente, elle est remplacée par une forme au symbolisme équivalent : Tripurāntakamūrti au Temple du Rivage (fig. 154 [p. 237]) ou Rāvaṇa soulevant le mont Kailāsa à l’Ōlakkāṉeśvara556.
68Les façades arrière sont généralement ornées d’un Śiva dansant, image de transition (supra p. 169–171). Cependant, à l’Iṟavāttāṉeśvara (fig. 74 [p. 142]) et à l’Amareśvara, le Śiva dansant de la façade arrière est entouré d’un Śiva tuant l’éléphant et d’un Śiva mendiant. J’ai souligné plus haut (supra p. 141–142) que ces trois images étaient le symbole d’un Śiva de la forêt ou de l’espace non domestiqué en général, un Śiva « sauvage ». Dans ces deux temples, Śiva, enseignant dans les bois au milieu d’animaux, se lève et erre. Au cours de cette errance, il danse, mendie et combat l’éléphant. Il devient ensuite le Śiva de la façade nord, vainqueur des démons et des dieux, image de la royauté, qui s’incarne pour sauver les mondes.
69Les images qui prennent place sur les façades des porches varient d’un temple à l’autre. Les façades de l’ardha-maṇḍapa du Piṟavāttāṉeśvara sont occupées par Gajalakṣmī au sud (fig. 13 [p. 58]) et la déesse debout sur son lion au nord (fig. 14 [p. 58]). Cette paire est également présente au Kailāsanātha557. L’ardha-maṇḍapa de ce petit sanctuaire est donc clairement réservé aux divinités féminines, illustrant chacune un aspect de la royauté : Gajalakṣmī, symbole de prospérité, et déesse au lion, figure d’avatāra (supra p. 240–242). L’association entre ces deux figures disparaît à l’Airāvateśvara : le Śiva mendiant s’installe à la place de Gajalakṣmī558. La déesse au lion ouvre la pradakṣiṇā sur des formes royales et guerrières tandis que le Śiva mendiant la clôt aux côtés du guru, formes de la forêt, préservant ainsi la thématique de chaque façade. La déesse guerrière continuera d’occuper les façades nord des porches, excepté à l’Ōlakkāṉeśvara et sur le petit sanctuaire du Temple du Rivage où Kālārimūrti lui est substitué. Cette image est cependant chargée d’un symbolisme équivalent et ne remet donc pas en cause le principe de la direction du nord réservée aux formes à connotation guerrière et royale. Les temples postérieurs représenteront la déesse au lion en opposition à Gaṇeśa559.
70À l’intérieur des ardha-maṇḍapa, Śiva dansant et Śiva mendiant se font face dans un premier temps (Piṟavāttāṉeśvara et sanctuaire de Mahendravarman III au Kailāsanātha : supra p. 139). Or, si dans les temples postérieurs le Śiva dansant à la jambe levée garde sa place, généralement tourné vers le nord, il sera opposé d’abord au Viṣṇu adorant le liṅga (Airāvateśvara), puis au Rāvaṇa soulevant le mont Kailāsa (Iṟavāttāṉeśvara et Amareśvara)560. Ces deux représentations étant symbole de suprématie śivaïte, de souveraineté puisque ce sont deux grandes figures royales qui se soumettent, et de dévotion, elles rassemblent donc les divers aspects de Śiva en une même image, opposée à une forme dansante de victoire, reprise à l’iconographie viṣṇuïte (supra p. 164–165). Les premières font face au sud, insistant donc peut-être sur l’aspect dévotionnel, tandis que la deuxième est orientée vers le nord, direction réservée aux figures de victoire. En pénétrant dans le sanctuaire, le dévot entre donc en contact avec des formes de son dieu investies de tous les aspects symboliques qu’elles peuvent revêtir par ailleurs.
71La moitié de ces temples ouvre à l’ouest : Piṟavāttāṉeśvara, Airāvateśvara, Ōlakkāṉeśvara et le petit sanctuaire du Temple du Rivage. Cependant, hormis l’Ōlakkāṉeśvara qui est isolé, les trois autres temples sont à proximité de sanctuaires ouvrant à l’est, avec lesquels ils semblent former paire. Le Piṟavāttāṉeśvara, l’Airāvateśvara et le petit sanctuaire du Temple du Rivage sont proches, respectivement, de l’Iṟavāttāṉeśvara, de l’Amareśvara et du plus grand sanctuaire du Temple du Rivage, tous trois orientés vers l’est. Les temples pallava semblent donc s’organiser sur un axe est-ouest, deux directions auxquelles l’image de culte doit faire face. Cet axe est très marqué au temple du Kailāsanātha. Non seulement le mur d’enceinte était percé de deux ouvertures à chaque extrêmité, mais également, lorsque le dévot pénètre par l’une de ces deux portes dans la cour, cette dernière est envisagée comme une cella, ouverte à l’est et à l’ouest, au fond de laquelle la famille divine s’assoit derrière le liṅga (supra p. 319–320). Renforçant encore l’importance de cet axe, les cellas de façade qui ornent le sanctuaire principal ouvrent, encore une fois, dans ces deux directions.
72Cependant, on remarque que la disposition des reliefs ne varie pas en fonction de l’ouverture du sanctuaire : le dieu au banian occupe toujours la façade sud, Jalandharasaṃhāramūrti la façade nord. La place des représentations est donc déterminée par l’orient auquel elles font face, et non par un déroulement des images qui répondrait uniquement au sens conventionnel de la pradakṣiṇā.
Temples de la deuxième moitié du VIIIe siècle
73Les trois derniers temples pallava du VIIIe siècle, le Mukteśvara, le Mātaṅgeśvara et le Kailāsanātha de Tiruppattūr, modifient l’organisation des représentations de leurs façades par rapport aux monuments antérieurs561.
74Le Mātaṅgeśvara reste inachevé : la moitié de la façade arrière ainsi que la façade sud ne sont pas sculptées. La niche centrale de la façade nord est toujours occupée par Jalandharasaṃhāramūrti562, mais encadrée ici d’une figure en marche à sa droite, dont la présence pourrait être reliée à cette dernière (fig. 44 [p. 113] et supra p. 111–112), et d’un Skanda hiératique à sa gauche (fig. 243). À la droite de ce groupe, un personnage debout, la tête entourée d’une large auréole, serait la personnification de l’un des deux astres, Sūrya ou Candra. De l’autre côté, lui correspondant, une autre figure debout est très abîmée. Enfin, cette façade comprend, à ses extrémités, un gardien à gauche et une Gaṅgādharamūrti à droite (fig. 167 [p. 250]). Sur la façade du porche, qui s’ouvre sur une forme simplifiée du Śiva mendiant (supra p. 129–132), on trouve, de droite à gauche, un Śiva dansant du Type-des-deux-pieds-au-sol à huit bras (fig. 77 [p. 150]), une déesse hiératique à quatre bras, dépourvue de monture et encadrée de deux figures féminines, et enfin une représentation de Śiva couronnant son dévot Caṇḍeśa, probablement l’une des premières représentations de ce type qui connaîtra une grande célébrité dans les temples cōḻa. La façade arrière est occupée par la Liṅgodbhavamūrti, entourée de figures féminines (fig. 107 [p. 176]). Cet emplacement sera réservé à cette forme dans une grande partie des monuments méridionaux postérieurs.
75On remarque que plusieurs différences majeures apparaissent si l’on compare le programme iconographique des temples de la première moitié du VIIIe siècle avec celui-ci. Tout d’abord, des figures hiératiques sont insérées parmi les formes narratives, comme celle de Skanda, par exemple, dont c’est la première apparition dans l’une des niches principales de la façade des temples construits pallava563. La déesse également s’est transformée, bien qu’elle occupe toujours la façade nord du porche : de son aspect guerrier aux nombreux bras armés, un pied sur son lion, elle passe à une forme qui s’est raidie, les deux pieds plantés sur le sol, possédant quatre bras seulement dont les deux supérieurs tiennent le disque et la conque. Le Śiva mendiant et le Śiva dansant se succèdent, rappelant le lien qui les unit dans les temples antérieurs (supra p. 139–140). Cependant, le dieu danse les deux pieds au sol, introduisant une rupture avec les reliefs antérieurs : c’est la première fois dans l’iconographie pallava que Śiva, abandonnant définitivement sa posture des deux-jambes-repliées, adopte celle-ci pour danser. Cette juxtaposition de figures śivaïtes illustrant différents aspects de la divinité montre que la symbolique des directions qui avait été établie dans les temples antérieurs est modifiée. Il me paraît difficile de dégager un fil directeur qui unirait les reliefs de cette façade. S’agirait-il de l’expression d’une iconographie en transition ou bien la disposition de ces représentations se construit-elle sur la base d’éléments qui m’échappent ?
76Le temple du Mukteśvara est proche du Mātaṅgeśvara, sans que l’on puisse pour autant déterminer lequel est le modèle de l’autre. Son iconographie paraît cependant répondre à un programme mieux défini, bien que je n’aie pu en cerner toutes les subtilités. La façade nord de l’ardha-maṇḍapa (fig. 245) propose le même enchaînement des images que dans le monument précédent. Seul le Śiva dansant diffère puisqu’il lève ici la jambe, reprenant une posture bien connue des temples antérieurs, symbole de victoire. Sur la façade nord du sanctuaire, des figures debout et bien droites, parfois difficiles à identifier, prennent place. Dans le sens de la pradakṣiṇā, on reconnaît l’un des deux astres grâce à sa large auréole ; puis Skanda, debout et bien campé sur ses deux jambes, un cordon croisé sur la poitrine et la tête couverte d’une coiffe conique (fig. 246) ; puis peut-être Harihara portant hache et conque ; puis une figure masculine à deux bras, entourée de deux assesseurs mais ne portant aucun attribut ; enfin, la représentation du deuxième astre précède un gardien sur lequel se termine la façade nord. La façade arrière est occupée par la Liṅgodbhavamūrti (fig. 106 [p. 176]). L’organisation des images de la façade sud est également inhabituelle. Elle regroupe en effet plusieurs représentations narratives mettant Śiva en scène (fig. 247) : Kālārimūrti, Dakṣiṇāmūrti au centre et Jalandharasaṃhāramūrti. On retrouve le Gaṇeśa installé sur la façade sud du porche, comme il apparaissait déjà à l’Iṟavāttāṉeśvara, mais ici entouré à sa droite du couple Śiva et Pārvatī se tenant debout, l’époux enlaçant la jeune femme, et à sa gauche d’un couple assis que je ne peux identifier, l’homme ayant deux bras et portant une massue (fig. 248)564.
77La disposition des représentations sur le sanctuaire est donc modifiée dans ce temple par rapport au modèle décrit précédemment. Ici, une façade nord non narrative est suivie d’une Liṅgodbhavamūrti puis d’un ensemble de représentations narratives. La répartition de ces dernières, antérieurement déterminée par leur direction, obéit ici à un principe différent. L’idée qui se dégage de cette nouvelle organisation semble se baser sur une séparation entre formes non narratives et formes narratives. De divinitées présentées dans leur essence, cultuelles pourrait-on dire, on passe à un monde où Śiva agit. La transition s’accomplit à travers la Liṅgodbhavamūrti qui, symbolisant le passage d’une forme aniconique à une forme figurée, permet au Śiva ayant pris corps de s’insérer dans une représentation mythologique.
78À l’intérieur de l’ardha-maṇḍapa de ces deux temples qui ouvrent à l’ouest, des images narratives prennent place. Sur le mur nord, donc orientées au sud, on trouve à notre gauche une représentation de Rāvaṇa soulevant le mont Kailāsa et à notre droite une Gajasaṃhāramūrti. Face à la première, au Mukteśvara, répond une représentation de Rāvaṇa devenu dévot565, et face à la deuxième, un Śiva dansant, du Type-des-deux-pieds-au-sol (fig. 79 [p. 151]). Dans ce même temple, de chaque côté de l’entrée du sanctuaire qui abrite une Somāskandamūrti, on peut voir à droite une Kālārimūrti (fig. 131 [p. 204]) et à gauche une Gaṅgādharamūrti (fig. 174 [p. 262]). Les grands thèmes développés dans les temples de la première moitié du VIIIe siècle se retrouvent ici. Cependant, la direction qui leur est attribuée ne correspondant plus tout à fait à celle déterminée précédemment, c’est un autre type de répartition des images qu’il faut dégager. On pourrait définir la situation des représentations des murs sud et nord sur la base de paires se répondant : à l’aspect terrible s’oppose l’aspect bénéfique du même mythe. Il en est ainsi, d’une part, pour Rāvaṇa soulevant le Kailāsa et Rāvaṇa dompté devenu dévot et, d’autre part, pour Gajasaṃhāramūrti, forme terrible de la danse, et un Śiva dansant d’apparence bénéfique. D’un point de vue symbolique, Gaṅgādharamūrti et Kālārimūrti renverraient respectivement à la purification du dévot pénétrant dans le sanctuaire (supra p. 268) et à l’assurance de la protection de Śiva s’il le vénère, renvoyant ainsi au mythe du jeune homme sauvé des griffes de Kāla en adorant le liṅga.
79Or, s’il est possible de déterminer un sens pour la disposition des images dans l’ardha-maṇḍapa du Mukteśvara, ce n’est plus le cas en ce qui concerne le Mātaṅgeśvara. Les espaces de chaque côté de la porte d’entrée du sanctuaire sont occupés par des gardiens. À Rāvaṇa soulevant le mont Kailāsa répond un Śiva dansant du Type-de-la-jambe-levée-à-la-verticale, qui pourrait, pour la première fois, évoquer la compétition de danse (fig. 104 [p. 169] et supra p. 167). De même, face à la Gajasaṃhāramūrti (fig. 124 [p. 199]), se trouve une représentation de la descente du Gange (fig. 173 [p. 262]). Je ne peux établir de lien entre ces diverses formes.
80Enfin, le temple du Kailāsanātha de Tiruppattūr, s’il reprend également les grands thèmes développés dans les temples de la première moitié du VIIIe siècle, les organise sur ses façades de manière quelque peu différente. La façade sud comprend, dans le sens de la pradakṣiṇā, une figure de Śiva mendiant, de Śiva sous le banian et de Jalandharasaṃhāramūrti (fig. 249) qui abandonne la façade nord. La façade ouest est occupée par la Liṅgodbhavamūrti. Enfin, la façade nord met en scène Kālārimūrti, Kirātārjunīyamūrti, Śiva dansant du Type-des-deux-pieds-au-sol, Gaṅgādharamūrti et Harihara (Śiva et Viṣṇu se tenant l’un à côté de l’autre) (fig. 250). Sur l’ardha-maṇḍapa on peut voir, au sud, Gaṇeśa et une image de Śiva et son taureau auquel répondent la déesse au lion et le couple divin sur la façade nord. Certaines images, telles que Śiva mendiant, le dieu au banian, Kālārimūrti et Gaṅgādharamūrti conservent donc la direction à laquelle elles étaient assignées dans les premiers temples construits de cette dynastie. La Liṅgodbhavamūrti, en revanche, prend la place qu’elle gardera sur l’arrière des sanctuaires postérieurs.
81Ces trois temples, se détachant de leurs prédécesseurs, témoignent donc d’une évolution de l’iconographie pallava. La symbolique des directions et des images déterminée dans les temples de la première moitié du VIIIe siècle se brouille et les programmes iconographiques apparaissent plus confus. Encore rattaché cependant à l’iconographie des temples construits puisque les mêmes thèmes sont réutilisés, on pourrait alors qualifier cet ensemble de transitionnel.
Notes de bas de page
488 Pour les études générales consacrées au temple du Kailāsanātha, voir R. Nagaswamy (1969 et 1988), C. Minakshi (1983), K. R. Srinivasan (1983 a), É. Parlier-Renault (2006 : 141–268). Un ouvrage, dont une partie s’intéresse à ce momument, vient seulement de paraître aux éditions Agam Kala Prakashan à Delhi. Il est signé Arputharani Sengupta.
489 Il fera l’objet d’une étude approfondie dans une monographie du Kailāsanātha à laquelle E. Francis, Ch. Schmid et moi-même travaillons.
490 On peut s’étonner de sa taille, réduite par rapport aux autres images de ce thème qui occupent le mur du fond des nombreuses cellas de ce temple.
491 Je remercie Ch. Schmid de sa remarque sur le fait qu’une déesse placée à la droite du dieu suggère sans doute le statut d’épouse non légitime. Pour appuyer cette hypothèse, je renvoie aux images du mariage de Śiva et Pārvatī dans lesquelles le dieu amène devant le feu sa fiancée qu’il garde la plupart du temps à sa droite. Voir T. E. Donaldson (2007 : fig. C. 14–16 et 25 à 77). La déesse mariée se tiendra le plus souvent à la gauche de son époux.
En ce qui concerne l’identification de ce relief sur la façade sud du Kailāsanātha, je m’oppose à C. Minakshi (1983 : 84) et É. Parlier-Renault (2006 : 155 et 198–199) qui l’interprètent comme une dispute amoureuse renvoyant à l’histoire de la descente du Gange. En effet, selon elles, Śiva prenant dans le creux de sa main le menton de Pārvatī rappellerait les représentations cōḻa de ce mythe. É. Parlier-Renault ajoute que le fait que cette image soit opposée à une descente du Gange, sur la façade nord, va dans le sens de cette hypothèse. Je ne décèle ici, pour ma part, aucun indice de querelle, et caresser le menton de la jeune femme qui tourne son visage vers le dieu pourrait être envisagé comme un geste amoureux.
492 Un maṇḍapa sur lequel sont représentées quatre déesses assises, deux face au nord et deux face au sud, se trouve à l’est du sanctuaire. Aujourd’hui entièrement recouvertes de stuc, elles sont difficiles à étudier dans les détails. Orientées au nord, une représentation de la déesse au lion est couplée avec celle de Jyeṣṭhā. Sur la façade sud, Gajalakṣmī répond à une déesse tenant rosaire et gourde, peut-être Sarasvatī. Principes féminins faisant écho au principe essentiellement masculin du sanctuaire, ils répondent aux mêmes exigences que les reliefs des façades : dirigées vers le sud, deux déesses pacifiques liées à la connaissance et à la prospérité sont opposées à au moins une déesse guerrière, figure d’avatāra. Le statut de Jyeṣṭhā est très ambigu : bien qu’elle n’ait, à priori, pas l’aspect d’une déesse guerrière, elle est cependant souvent associée à la déesse accompagnée du lion (façade nord du sanctuaire principal, mur d’enceinte face au nord entre les niches no 19 et 20). Pour une brève étude de Jyeṣṭhā, voir Ch. Schmid dans E. Francis, V. Gillet et Ch. Schmid (2008 : 469–471).
493 Niches no 1 à 3, no 26 à 33 et no 56 à 58.
494 On remarque cependant que, sur le sanctuaire, Gaṇeśa n’ouvre pas la pradakṣiṇā alors qu’il le fera à l’Iṟavāttāṉeśvara, sur la façade sud du maṇḍapa (fig. 16 [p. 58]), et ne quittera plus cette place dans les temples postérieurs.
495 Pour une analyse de l’aspect guerrier de ce dieu, voir F. L’Hernault (1978 : 139–184).
496 Ces figures féminines se trouvent entre les niches no 4 et 5 ; 8 et 9 ; 10 et 11 ; 11 et 12 ; 13 et 14 ; 14 et 15 ; 16 et 17 ; 35 et 36 ; 36 et 37 ; 40 et 41 ; 41 et 42 ; 43 et 44 ; 44 et 45 ; 46 et 47 ; 47 et 48 ; 49 et 50 ; 51 et 52 ; 53 et 54. Ce sont entre autres ces personnages féminins qui poussent P. Kaimal (2005) à considérer ce temple comme dédié tout autant à Śiva qu’à la déesse et à élaborer l’hypothèse d’un symbolisme sexuel du temple qui ne repose, à mon sens, sur aucun élément fondé.
497 Son aspect pacifique évoquerait Pārvatī ou Umā. Elle ne peut être associée, à mon sens, à la figure de Kāmākṣī, qu’É. Parlier-Renault (2006) considère comme centrale dans le programme iconographique de ce temple. Pour une discussion sur la figure de Kāmākṣī et la réfutation de sa présence dans l’art pallava, voir V. Gillet dans E. Francis, V. Gillet et Ch. Schmid (à paraître).
498 Voir le relief sur la façade nord du temple de Deogarh. É. Parlier-Renault (2006 : fig. 3, p. 203) remarque également cette similitude. C’est probablement cette ressemblance qui pousse C. Minakshi (1983 : 68) à identifier cette image comme une Gajendramokṣamūrti.
499 Un relief abîmé se trouve sur le site d’Udayagiri selon J. G. Williams (1983 : 47) et un autre à Tigowa, au Bundelkhand, datant du Ve siècle (voir J. G. Williams [1983 : 93]). Une image de petite taille sur le linteau d’une porte à Nāchnā, première moitié du VIe siècle, semblerait être la première représentation d’un combat entre le dieu et le démon (voir J. G. Williams [1983 : 112, fig. 128]). Aux alentours de la même période, à Maṛhiā, au sud de Bhumara, plusieurs bas-reliefs viṣṇuïtes apparaissent dans le temple de Vāmana : un Viṣṇu chevauchant Garuḍa sur la porte, Vāmana probablement dans le sanctuaire, Hayagrīva et enfin Narasiṃha. Ce dernier fait face au nord et le dieu entoure sa jambe autour du démon, annonçant le mode des représentations à venir (voir J. G. Williams [1983 : 122]). Un relief de Narasiṃha, mais non engagé dans le combat, se trouve dans la grotte 4 à Bādāmi, datant probablement de la fin du VIe siècle (voir R. D. Banerji [1928 : 37–41, plate XVIII a]). Pour d’autres exemples cāḷukya, se reporter également à É. Parlier-Renault (2006 : 272 et fig. 182).
500 Précédant la représentation qui nous occupe, deux petits bas-reliefs, datés de l’époque pallava au début du VIIe siècle par R. Champalakshmi (1981 : 94–95, fig. 23 et 24) qui les considère comme les premiers en pays tamoul, ont été trouvés à Muṉṉūr (taluk de Tiṇṭivaṉam, district de Viḻuppuram) et à Maṇimaṅkalam (taluk et district de Kāñcipuram). Dans les deux cas, la figure léonine est assise parmi les dieux Śiva, Pārvatī, Brahmā, Skanda et autres.
501 Il est possible qu’un relief sur la façade nord du petit sanctuaire de Viṣṇu au Temple du Rivage représente également Narasiṃha. Françoise L’Hernault, dans J. Dumarçay et F. L’Hernault (1975 : 96), l’identifie comme Trivikrama, mais le relief est aujourd’hui très abîmé. À nouveau, sur la façade nord du plus grand sanctuaire de ce complexe, deux représentations se ressemblant fortement encadrent Tripurāntakamūrti : très érodées, elles sont aujourd’hui difficiles à lire. F. L’Hernault (1975 : 93) signale que ces deux reliefs ont été identifiés par R. Nagaswamy comme Narasiṃha combattant Hiraṇyakaśipu puis plongeant ses mains dans les entrailles du démon. Elle propose, pour sa part, d’interpréter le panneau situé à notre droite comme le combat entre le dieu-lion et le démon et le relief de notre gauche comme Śarabheśamūrti. Il est extrêmement difficile de valider une hypothèse plus qu’une autre étant donné l’état de la pierre. Si Śarabheśamūrti est un concept qui semble se développer ultérieurement, ce qui irait à l’encontre de l’hypothèse de F. L’Hernault (une des premières représentations apparaît dans l’Airāvateśvara de Darasuram datant du XIIe siècle), il semblerait en revanche plus logique au premier abord que cette image se trouve sur une façade d’un temple śivaïte plutôt qu’une double représentation du combat de Narasiṃha. Mais il faut avouer que se baser sur une logique sectaire dans ce temple est aléatoire : des éléments viṣṇuïtes et śivaïtes se côtoient, rendant impossible toute séparation nette entre les deux courants. Pourquoi ne pas envisager alors ces deux reliefs comme renvoyant aux deux étapes du combat de Narasiṃha et Hiraṇyakaśipu, précédant ainsi celles que l’on retrouvera ultérieurement au Vaikuṇṭha Perumāḷ ? Cette idée pourrait être renforcée par le fait que les bas-reliefs royaux au Temple du Rivage apparaissent comme les précurseurs de ceux qui occupent la galerie du Vaikuṇṭha Perumāḷ. Voir E. Francis, V. Gillet et Ch. Schmid (2007 : 589–590).
502 A. Rea (1909 : 31) n’interprète pas cette image comme la représentation d’un mythe en particulier. Il reconnaît Brahmā et suppose que le personnage principal est Yama. R. Nagaswamy (1969 : 22) l’identifie comme un Viṣṇu, sans plus de précision. C. Minakshi (1983) reste silencieuse au sujet de ce relief. É. Parlier-Renault (2006 : 204) pense qu’il s’agit d’une représentation du combat d’Indra contre Triśiras. Pour une réfutation de cette dernière interprétation, voir V. Gillet dans E. Francis, V. Gillet et Ch. Schmid (à paraître).
503 acintayan mamedaṃ ye rūpaṃ drakṣyanti kānane |
te brāhmaṇīnām anṛtaṃ doṣaṃ vakṣyanti pāvake | |
tasmād etad rakṣyamāṇā garuḍī saṃbhavāmy aham|
vanān nirgamanaṃ caiva sukham mama bhaviṣyati | |
suparṇī sā tadā bhūtvā nirjagāma mahāvanāt |
Mahābhārata III.214.8–10 a.
504 gṛhītaṃ tu dhanus tena vipulaṃ lomaharṣaṇam |
nyastaṃ yat tripuraghnena surārivinikṛntanam | |
Mahābhārata III.214.20.
505 suparṇī tu vacaḥ śrutvā mamāyaṃ tanayas tv iti |
upagamya śanaiḥ skandam āhāhaṃ jananī tava | |
Mahābhārata III.215.4.
506 skandaṃ śrutvā tato devā vāsavaṃ sahitābruvan |
aviṣahyabalaṃ skandaṃ jahi śakrāśu māciram | |
yadi vā na nihaṃsy enam adyendro’yaṃ bhaviṣyati |
trailokyaṃ saṃnigṛhyāsmāṃs tvāṃ ca śakra mahābalaḥ | |
sa tān uvāca vyathito bālo’yaṃ sumahābalaḥ |
sraṣṭāram api lokānāṃ yudhi vikramya nāśayet | |
sarvās tv adyābhigacchantu skandaṃ lokasya mātaraḥ |
kāmavīryā ghnantu cainaṃ tathety uktvā ca tā yayuḥ | |
Mahābhārata III.215.13–16.
507 tyakto devais tataḥ skande vajraṃ śakro’bhyavāsṛjat |
tadvisṛṣṭaṃ jaghānāśu pārśvaṃ skandasya dakṣiṇam |
bibheda ca mahārāja pārśvaṃ tasya mahātmanaḥ | |
vajraprahārāt skandasya saṃjātaḥ puruṣo’paraḥ |
yuvā kāñcanasaṃnāhaḥ śaktidhṛg divyakuṇḍalaḥ |
yad vajraviśanāj jāto viśākhas tena so’bhavat | |
taṃ jātam aparaṃ dṛṣṭvā kālānalasamadyutim |
bhayād indras tataḥ skandaṃ prāñjaliḥ śaraṇaṃ gataḥ | |
Mahābhārata III.216.12–14.
Le Kathāsaritsāgara (Livre III : Lāvāṇaka, sixième flot) évoque également cet épisode. Skanda est né de la semence de Śiva reçue par la bouche d’Agni puis déposée dans le Gange. « Sur ces entrefaites, vaincu par le démon Tāraka, le roi des dieux, abandonnant le combat, trouva refuge sur les pics infranchissables du Meru. Les dieux et les sages vinrent se réfugier auprès du jeune homme aux six bouches, qui, entouré d’eux, leur assura leur protection. Au fait de cette nouvelle, Indra crut qu’on lui avait enlevé son royaume, et chancela, puis s’en fut, plein de jalousie, combattre le jeune Kumāra. Du corps de celui-ci frappé par le foudre, naquirent deux fils : Śākha et Viśākha, animés tous deux d’une force égale. Avec ses deux fils, il l’emportait sur la puissance d’Indra vaincu, lorsque Śiva arriva, écartant en personne son rejeton du combat : “Tu es né pour tuer Tāraka et défendre le royaume d’Indra. Accomplis donc ton devoir !” lui ordonna-t-il. Réjoui par ses propos, Indra, abandonnant aussitôt sa haine, s’inclina et entreprit de consacrer Kumāra général en chef. », traduction J. P. Osier, p. 166.
508 nivantu ōṅku imayattu nīlam paim cuṉai
payantōr eṉpa patumattu pāyal
perum peyar muruka niṉ payanta ñāṉṟē
aritu amar ciṟappiṉ amarar celvaṉ
eri umiḻ vacciram koṇṭu ikantu vantu eṟinteṉa
aṟu vēṟu tuṇiyum aṟuvar āki
oruvaṉai vāḻi ōṅku viṟal cēey
ārā uṭampiṉ nī amarntu viḷaiyāṭiya
pōrāl vaṟum kaikku purantaraṉ uṭaiya
allal il aṉalaṉ taṉ meyyiṉ pirittu
celva vāraṇaṅ koṭuttōṉ vāṉattu
vaḷaṅkeḻu celvaṉ taṉ meyyiṉ pirittut
tikaḻ poṟi pīli aṇi mayil koṭuttōṉ
tiruntu kōl ñamaṉ taṉ meyyiṉ pirivittu
irum kaṇ veḷ yāṭṭu eḻil maṟi koṭuttōṉ
āaṅku avarum piṟarum amarntu paṭai aḷitta
maṟiyum maññaiyum vāraṇaccēvalum
poṟi vari cāpamum maraṉum vāḷum
ceṟi ilai īṭṭiyum kuṭāriyum kaṇicciyum
teṟu katir kaṉaliyum mālaiyum maṇiyum
vēṟu vēṟu uruviṉ i āṟu iru kaikkoṇṭu
maṟuvil tuṟakkattu amarar celvaṉ taṉ
poṟi vari koṭṭaiyoṭu pukaḻ varampu ikantōy
Paripāṭal V.48–70, traduction F. Gros (1968 : 26–29).
509 Voir A. Rea (1909 : 31) ; R. Nagaswamy (1969 : 22) ; C. Minakshi (1983 : 71–72) ; É. Parlier-Renault (2006 : 205).
510 Voir la grotte 19 à Udayagiri (J. G. Williams [1983 : 87]) et un linteau dans un temple de Pawaya dont le revers est occupé par une représentation du sacrifice de Bali et de Trivikrama (J. G. Williams [1983 : 52–54, fig. 51]). Dans ce relief, quatre personnages tirent sur le serpent qui sert de corde de barattage, au-dessus duquel sont assis Viṣṇu, Lakṣmī, Surabhī, Garuḍa et d’autres personnages que l’auteur identifie comme Brahmā et Skanda.
511 Dans la grotte no 2 et 4 (R. D. Banerji [1928 : pl. 11 d et 12 d]), les représentations de ce mythe sont identiques. Au centre, la tortue, avatāra de Viṣṇu, soutient un pilier au-dessus duquel on peut voir une forme humaine en añjali. Ce pilier est entouré du serpent sur lequel, de chaque côté, un groupe de personnages tire afin de baratter la mer de lait. Ce mode de représentation sera celui que l’on retrouvera le plus fréquemment par la suite en pays tamoul.
512 Il est surprenant de ne pas trouver Varāha aux côtés des avatāra de Viṣṇu représentés dans ce temple. En effet, cette forme été abondamment représentée un siècle auparavant sur le site de Mahābalipuram et son iconographie, comme celle de Trivikrama, était donc familière aux Pallava.
513 Voir A. Rea (1909 : 31) ; R. Nagaswamy (1969 : 22) ; C. Minakshi (1983 : 73–74) ; É. Parlier-Renault (2006 : 205–206).
514 Voir R. Nagaswamy (1969 : 23) ; C. Minakshi (1983 : 74–76) ; É. Parlier-Renault (2006 : 206).
515 J. G. Williams (1983 : 150, fig. 238 à 240) date ces représentations d’environ 500 ap. J.-C. Voir également M. D. Rabe (2001 : fig. 57 à 59) qui propose le milieu du Ve siècle. Ce mythe a également été représenté sur une porte de Nagarī, datée entre le IIIe et le Ve siècle. Voir J. G. Williams (1983 : 141).
516 A. Rea (1909 : 32), sans interpréter ce mythe, reconnaît Śiva debout sur une plateforme soutenue par un dévot, un nāga qu’il suppose être Ādiśeṣa, Viṣṇu en tant qu’adorateur ; R. Nagaswamy (1969 : 23) l’identifie comme Jalandharavadha.
517 oru kālattu oru tēvar kaṇ koṇṭāṉai
ūḻitōṟu ūḻi uyarntāṉ taṉṉai
varu kālam cel kālam āyiṉāṉai
vaṉ karuppu cilai kāmaṉ uṭal aṭṭāṉai
poru vēḻa kaḷiṟṟu urivai pōrvai yāṉai
puḷ araiyaṉ uṭal taṉṉai poṭi ceytāṉai
aru vēḷvi takarttu eccaṉ talai koṇṭāṉai
ārūril kaṇṭu aṭiyēṉ ayartta āṟē ! (6–26–3).
518 kuṇṭaroṭu pirittu eṉai āṭkoṇṭār pōlum ;
kuṭamūkkil iṭam ākki koṇṭār pōlum ;
puṇṭarika putu malar ātaṉattār pōlum ;
puḷ aracaik koṉṟu uyir piṉ koṭuttār pōlum ;
veṇtalaiyil pali koṇṭa vikirtar pōlum ;
viyaṉ vīḻimiḻalai nakar uṭaiyār pōlum ;
aṇṭattu u puṟattu appāl āṉār pōlum ;
aṭiyēṉai āḷuṭaiya aṭikaḷ tāmē. (6–53–8).
Dans un poème de Cēntaṉār sur Tiruvīḻimiḻalai, dans le neuvième Tirumuṟai (Tiruviccaippa Tiruppallāṇṭu), Garuḍa fait partie de la liste des victimes de Śiva sans qu’aucune explication ne soit donnée. De même, une très brève évocation (kārmali uruva karuṭaṉai kāyntum : « et ayant brûlé Karuṭaṉ au corps sombre ») se trouve au vers 39 du poème intitulé Kōpappiracātam de Nakkiratēvanāyaṉār dans le onzième Tirumuṟai, Taṉippatikaṅkaḷ.
519 Voir l’introduction de R. Dessigane, P. Z. Pattabiramin et J. Filliozat (1964). Les auteurs donnent deux éditions de ce texte auxquelles je n’ai pu avoir accès. J’ai utilisé, pour le Kāñcipurāṇam, une édition locale tamoule de Kāñcipuram imprimée en 1964.
520 Chapitre 18 : paṇātarēca paṭalam
4 viti muṟai civa pūcaṉai āṟṟu māl viṭai koṭi peru-
-māṉiṉ putiya pūm kaḻal aruccaṉai pēṟṟiṉāl puḷaḷiṟai
miṭal eyti atiravu uṟuttu emai alaittu iṭa verīiyiṉam
aṭaikkalam pukuntēm yām kati emakku vēṟu illai eṉṟu irattalum kaṇṇutal aruḷ kūrntu
5 paṉ_nakaṅkaḷai paṇi eṉa tāṅkiṉaṉ paṉṉaka ābaraṇaṉ taṉ
iṉṉi aruḷ peṟum matukaiyāṉ maṟṟu avai entaipāl
ariyōṭum tuṉṉu vem pakai kaluḻaṉai kaluḻaṉē cukam kol eṉṟu añcāmē
paṉṉi mēṉmaiyiṉ viṉāyiṉ im moḻi pār elām eṭuttu ōtum
La traduction que je propose ici a été élaborée à partir de séances de lecture dispensées par le pandit R. Varada Desikan (Centre de l’École française d’Extrême-Orient à Pondichéry) que je remercie chaleureusement. Le chapitre 17 raconte comment Garuḍa obtient la grâce de Śiva et se met à persécuter les serpents.
521 Bien que largement postérieur, ce texte apparaît comme très utile à l’identification de cette image. De fait, les sthalapurāṇa sont souvent élaborés sur la base de légendes plus anciennes. Il semblerait que, dans ce cas, le mythe de la protection des nāga sujets aux attaques de Garuḍa remonte au moins à la période pallava.
522 Voir R. Nagaswamy (1969 : 23) ; É. Parlier-Renault (2006 : 206–207).
523 KP I.14 ; LP I.100.
524 Il porte le disque (cakra), la conque (śaṅkha), la massue (gadā), un bâton (daṇḍa) et un arc (śārṅga) dans le KP I.14.39. Dans le Kāraṇāgama, il est dit qu’il porte l’épée et le bouclier, l’arc et la flèche, le crâne et un court javelot (II.61 ; pour le texte, voir T. A. G. Rao [1914, réimpression 1968 : vol. II, part II, 97]).
525 Voir par exemple MP 179. Dans cette version, c’est sous la forme de Bhairava que Śiva tue le démon.
526 aṟai ār kaḻal antaṉtaṉai ayil mū ilai aḻaku ār
kaṟai ār neṭu vēliṉmicai ēṟṟāṉ […] (1–12–5 ab)
« Celui qui a élevé Antaṉ aux kaḻal résonnantes avec la longue lance à trois lames aiguisées, excellente, sanglante » ;
aṉṟu av antakaṉai ayil cūlattāl
koṉṟavaṉ […] (5–63–9 cd)
« Celui qui a tué, ce jour, cet Antakaṉ avec son trident aiguisé » ;
iruḷ mēvum antakaṉmēl tiricūlam pāycci (7–16–2 b)
« Il a plongé son trident dans Antakaṉ qui désire l’obscurité ».
527 Voir V. Gillet (2007 b : 30). Je remercie Ch. Schmid de cette remarque.
528 Voir Ch. Schmid (2004 et 2006).
529 Ce texte est composé de treize chants, constituant les chapitres 80 à 93 du Mārkaṇḍeyapurāṇa. Pour les références qui vont suivre, j’utilise l’édition de Śrīveṅkaṭeśvara de Bombay (1952), où les chapitres sont numérotés de 1 à 13. Dans le premier chapitre, cette fabuleuse déesse, désignée entre autre sous le nom de Mahāmāyā, « Illusion suprême », apparaît sous la forme de Yoganidrā, le sommeil contemplatif de Viṣṇu. Elle réside dans l’œil de celui-ci. Priée par Brahmā qui se tient dans le lotus sortant du nombril du dieu (nābhikamale viṣṇoḥ sthito brahmā prajāpatiḥ, v. 51 ab) menacé par les démons Madhu et Kaiṭabha, elle quitte le corps de Viṣṇu qui se réveille alors et terrasse les attaquants. Les chapitres 2, 3 et 4 concernent une nouvelle apparition de cette même déesse afin de tuer le démon-buffle Mahiṣa duquel les dieux ne peuvent venir à bout. Détrônés par le démon, ceux-ci viennent se plaindre auprès de Viṣṇu et Śiva. La déesse est alors créée par leur énergie : « Les dieux virent alors cette masse d’énergie immense comme une montagne enflammée, emplissant les quartiers de ciel de flammes ; et cette énergie inégalée, issue du corps de tous les dieux, assemblée en une, devint une femme, emplissant les trois mondes de sa splendeur » (atīva tejasaḥ kūṭaṃ jvalantam iva parvatam | dadṛśus te surās tatra jvālāvyāptadigantaram | | atulaṃ tatra tat tejaḥ sarvadevaśarīrajam | ekasthaṃ tad abhūn nārī vyāptalokatrayaṃ tviṣā | | 2.11–12). Parée de toutes sortes d’armes offertes par les dieux, la déesse part au combat. Le chapitre 3 décrit la bataille finale entre déesse et démon. Ambikā et Mahiṣa s’affrontent : elle lance le lacet sur l’asura, mais ce dernier prend la forme d’un lion, puis d’un homme, d’un éléphant pour reprendre enfin sa forme originelle de buffle. La déesse absorbe le breuvage offert par Kubera et s’enivre : elle rit, les yeux rouges, et se précipite sur son adversaire pour le frapper de son trident. Les chapitres 5 à 13 sont consacrés au combat contre les démons Śumbha et Niśumbha au cours duquel la déesse terrible Kālī ainsi que les sept mères sont créées pour assister la déesse. Les deux représentations qui se font face dans la grotte de Mahiṣāsuramardinī à Mahābalipuram illustrent les deux premiers chapitres de ce texte. Voir K. R. Srinivasan (1964 : 155). Viṣṇu couché sur le serpent constitue le premier volet tandis que le combat de la déesse contre le buffle est le deuxième. Or, on retrouve ce même enchaînement sur la façade nord du sanctuaire du Kailāsanātha : au-dessus de la porte de la cella de façade no 7, à la gauche de la déesse debout sur son lion, un petit bas-relief représente Viṣṇu couché, un lotus sur lequel est assis Brahmā sortant de son nombril, menacé par les démons Madhu et Kaiṭabha qui s’apprêtent à l’attaquer (fig. 226). Pour une étude approfondie de la déesse dans le Devīmāhātmya et une analyse des premières apparitions de Mahiṣāsuramardinī, voir Ch. Schmid (2004).
530 Pour une étude générale sur les sept mères, voir V. R. Mani (1995 : 18–22) et S. K. Panikkar (1997 : 63–65). Représentées dès l’époque kuṣāṇa, elles se retrouveront dans l’Inde entière. Skanda, parfois considéré comme leur fils, les accompagne dans les premières représentations, mais Gaṇeśa le remplace peu à peu. Alternativement, des figures identifiées comme Vīṇādhara, Kālabhairava et Vīrabhadra sont également introduites à leur côté. J’hésite cependant à nommer Kālabhairava ou Vīrabhadra le personnage assis dans le relief du Kailāsanātha, cette interpétation étant probablement postérieure à l’iconographie pallava. Seule une étude détaillée de l’évolution de ce groupe permettrait d’en rendre compte, mais celle-ci dépasse le cadre de cet ouvrage.
531 R. Nagaswamy (1969 : 23) ; C. Minakshi (1983 : 80–82).
532 É. Parlier-Renault (2006 : 208) l’envisage également ainsi.
533 C’est également l’identification que proposent R. Nagaswamy (1969 : 23), C. Minakshi (1983 : 85–87) et É. Parlier-Renault (2006 : 208).
534 Voir par exemple :
ā mali pālum neyyum āṭṭi arccaṉaikaḷ ceytu
pū mali koṉṟai cūṭṭa poṟāta taṉ tātai tāḷai
kūrmaḻu oṉṟāl ōcca kuḷir caṭai koṉṟai mālai
tāmam nal caṇṭikku īntār cāykkāṭu mēviṉārē (4–65–6)
« Ayant fait des prières, [Caṇṭi] a abondamment baigné de lait [le liṅga], [l’]ornant de larges fleurs koṉṟai ; il leva une hache tranchante pour frapper la jambe de son père impatient ; celui qui accorde sa grâce au bon Caṇṭi avec une guirlande de fleurs koṉṟai [venant] de ses mèches fraîches réside à Cāykkāṭu. »
535 Un petit bas-relief sur la base du temple du Nāgeśvara à Kumbakonam, sur lequel Ch. Schmid a attiré mon attention, représente ce mythe sur un mode qui se rapprocherait de l’image pallava.
536 Voir M. Rabe (2001 : fig. 59).
537 Voir également F. L’Hernault (1978 : 61) et É. Parlier-Renault (2006 : 208) qui identifient ainsi cette image. Une forme de Śiva au Temple du Rivage, sur l’une des faces d’un large cube, réfère probablement aussi à ce mythe. Voir J. Dumarçay et F. L’Hernault (1975 : 99–100, ph. 47). Le dieu est assis portant la hache, l’arc, le trident et un objet composé d’un bâton au bout duquel se trouve un personnage à trois têtes et six bras. C’est peut-être ici, comme le suggère F. L’Hernault, la représentation de l’arme divine pāśupata. Śiva, ainsi figuré, renverrait alors à l’épisode du don de cette arme, tout comme la flèche-Viṣṇu qu’il tient dans un relief sur ce même cube évoquerait son exploit qui consiste en la destruction des trois cités.
538 Voir R. Nagaswamy (1969 : 24). Pour une description de ce groupe, voir T. A. G. Rao (1914, réimpression 1968 : vol. II, part 1, 46 et part 2, 386–393). Je remercie ici B. Dagens de m’avoir fait part de cette suggestion.
539 L’étude de la forme de Rāvaṇa dans les représentations pallava a fait l’objet d’un article publié dans Arts Asiatiques : voir V. Gillet (2007 b). Ces trois reliefs y sont traités en détail.
540 Voir V. Gillet (2007 b : 35–36). É. Parlier-Renault (2006 : 209) reconnaît simplement la figure de Rāvaṇa dévot aux pieds de Śiva.
541 Voir V. Gillet (2007 b : 36–37). R. Nagaswamy (1969 : 24), F. L’Hernault (1978 : plan du Kailāsanātha) et à leur suite É. Parlier-Renault (2006 : 210) l’identifient comme Indrānugrahamūrti.
542 Voir V. Gillet (2007 b : 32). J’ajouterai ici aux références textuelles que j’ai citées dans mon article de 2007, celle du Mahābhārata III.259, que mentionne P. Bisschop (2006 : 257). Ce serait ainsi la première évocation de ce mythe dans la littérature bien que ce passage soit sans doute l’un des plus tardifs de cette épopée puisqu’il rapporte la naissance de Rāma.
543 Pour une photographie de ce relief, voir V. Gillet (2007 b : fig. 19 à 21). A. Rea (1909 : 34) avait bien reconnu un Viṣṇu dans le personnage agenouillé, mais il n’a pas interprété le mythe auquel renvoie cette représentation. R. Nagaswamy (1969 : 24), F. L’Hernault (1978 : plan du Kailāsanātha), C. Minakshi (1983 : 91–92) et É. Parlier-Renault (2006 : 208) identifient tous cette image comme une Cakradānamūrti.
544 Si cette hypothèse est juste, cela reprendrait le principe des deux images qui se succèdent au début de la pradakṣiṇā sur le sanctuaire (supra p. 280–282). Cette image a aussi été identifiée comme le mariage de Śiva et Pārvatī par R. Nagaswamy (1969 : 24), F. L’Hernault (1978 : 100), C. Minakshi (1983 : 92–95) et É. Parlier-Renault (2006 : 208).
545 Voir T. E. Donaldson (2007 : vol. II, fig. 29 à 33).
546 Voir également R. Nagaswamy (1969 : 24) et É. Parlier-Renault (2006 : 212).
547 Voir J. G. Williams (1983 : plate 154) et C. Sivaramamurti (1974 : 171, fig. 7). C. Sivaramamurti (1974 : 169, fig. 4) évoque également une terre cuite de l’époque śuṅga, qu’il situe au IIe siècle avant J.-C., qui représenterait Vīṇādharamūrti porté par deux gaṇa. Mais l’identification de ce personnage me semble douteuse. Si sa coiffure ressemble à celle de Śiva (une chevelure retombant derrière les épaules, un petit chignon sur le dessus de la tête), en revanche, rien d’autre ne nous permet de l’identifier comme tel.
548 Voir V. Gillet (2007 b : 38–39). Je remercie E. Francis de ses commentaires qui m’ont permis de corriger une première interprétation erronée de ce relief. É. Parlier-Renault (2006 : 214) identifie le singe comme Nandin.
549 N. R. Bhatt (2000 : 346). Voir également D. Goodall (2009) pour une étude détaillée de cette figure.
550 Ajitāgama, 39.11 ; Rauravāgama, Kp 11.8 ; Somaśambhupaddhati, volume 4, section III, stance 56, qui mentionne tout simplement l’image de Caṇḍeśa au nord-est, semblant faire référence à une tradition bien implantée. Je remercie D. Goodall, qui me signale par ailleurs que le Kailāsanātha serait l’un des premiers temples dans lequel l’image de Caṇḍeśa est placée au nord-est selon les prescriptions des traités, de m’avoir fourni les références de ce dernier texte.
551 R. Nagaswamy (1988 : 50) avait déjà noté cette thématique des directions des images du mur d’enceinte. É. Parlier-Renault (2006 : 216) reprend également cette idée.
552 Voir V. Gillet (2007 b : 40–42).
553 Cette réflexion est élaborée sur la base d’une suggestion de B. Dagens.
554 Seule la Liṅgodbhavamūrti est orientée dans les trois directions sur ces templions. Voir supra p. 184.
555 Je rappelle ici que, à l’Airāvateśvara et à l’Amareśvara, cette représentation a été réinterprétée par le restaurateur en un Brahmā assis (supra note 379).
556 Cette image placée sur la façade nord de ce monument met en valeur l’aspect conquérant de Śiva, vainqueur d’un grand souverain, et non l’aspect dévotionnel tel qu’il est probablement envisagé au Kailāsanātha. Voir V. Gillet (2007 b : 40–42).
557 Gajalakṣmī est assise à la droite du couple divin qui fait face au sud (supra p. 280), opposé à la déesse sur le lion de la façade nord.
558 C’est également le Śiva mendiant que l’on retrouve sur la façade sud de l’ardha-maṇḍapa de l’Ōlakkāṉeśvara à Mahābalipuram.
559 On le retrouve dans les temples de l’Iṟavāttāṉeśvara, peut-être de l’Amareśvara qui a été rénové et plus tard du Mukteśvara et du Kailāsanātha de Tiruppattūr. À partir de ces temples, cette figure deviendra essentielle. Gaṇeśa est celui par qui doit débuter toute prière. Lorsque le temple ouvre à l’est, sa place s’explique donc parfaitement.
560 J’ai analysé ailleurs le rapport d’équivalence qui unit ces deux images. Voir V. Gillet (2007 b : 41–42).
561 Comme je l’ai précisé au début de cette étude (supra p. 61–62), je n’inclus pas ici le temple du Vīraṭṭāṉeśvara à Tiruvatikai bien qu’il appartienne probablement au VIIIe siècle. En effet, cet édifice a subi des modifications constantes, de telle sorte qu’il est devenu presqu’impossible de déterminer les éléments d’origine. En outre, les images de ce monument sont très difficiles à analyser à cause de l’épaisse couche de stuc et de peinture qui les recouvre aujourd’hui.
562 Voir V. Gillet (2007 a : fig. 9)
563 On le retrouve assis au Kailāsanātha dans la niche no 6 du mur d’enceinte, face au nord, et au-dessus de la niche de Jalandharasaṃhāramūrti sur la façade nord de l’Iṟavāttāṉeśvara (fig. 244).
564 F. L’Hernault (1978 : 107 et plan V) identifie cette figure comme Yama.
565 Pour une discussion sur l’identification de cette figure, voir V. Gillet (2007 b : 36–37).
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012