Chapitre VIII. La Gaṅgādharamūrti
p. 249-272
Texte intégral
1Gaṅgā, la déesse-rivière, purifie de tout péché celui qui se plonge dans ses eaux. Elle est l’eau lustrale contenue dans la gourde de Brahmā, mais elle est aussi fille aînée de l’Himalaya et donc sœur de Pārvatī. Nombreuses sont les légendes qui la mettent en scène437. C’est le mythe de la descente de cette rivière, du monde céleste où elle réside aux mondes souterrains, que les reliefs pallava mettent en scène. Dans les représentations étudiées, le dieu est toujours accompagné de son épouse Pārvatī qui se tient à sa gauche438 et présente, du même côté, l’une de ses mèches de cheveux à la Gaṅgā au buste humain afin de freiner sa descente sur la terre (fig. 166–167). Il est pourvu de quatre, six ou huit bras selon les images, et l’une de ses mains droites est invariablement en vismaya, soulignant ainsi l’aspect merveilleux de l’acte, tandis qu’une autre fait un geste dans lequel le pouce et l’index sont joints, pendant que les autres doigts sont repliés (fig. 168)439. Dans la majorité des reliefs, l’un des bras gauches de Śiva entoure les épaules de Pārvatī. Après avoir relevé les diverses versions que les textes développent et dressé un état des représentations qui précèdent celles des temples construits pallava, je tenterai de définir les particularités des images qui nous occupent. Je conclurai sur la portée symbolique d’un tel relief et en quoi il sert le discours que la dynastie pallava met en image sur les façades de ses temples.
Le mythe de la descente du Gange sur la terre
2Dans le Mahābhārata III.105–108 déjà, le mythe de la descente du Gange sur terre est longuement conté. Le cheval que Sagara préparait pour le sacrifice disparaît. Le roi envoie ses mille fils à sa recherche. Ils creusent le fond de l’océan — vidé par Agastya dans les chapitres précédents afin de permettre aux dieux de vaincre les asura qui s’y cachaient — et atteignent les mondes inférieurs, où ils retrouvent le cheval à côté de l’ermite Kapila. Alors qu’ils se précipitent vers l’animal pour s’en emparer, les mille fils de Sagara sont réduits en cendre par un simple regard de l’ermite. Le roi envoie alors son petit-fils, Aṃśuman, qui, rendant hommage à Kapila, récupère la bête. Le sacrifice du cheval peut continuer. Aṃśuman règne ensuite, puis Dilīpa et enfin Bhagīratha. Ce dernier accomplit une longue et difficile ascèse sur l’Himalaya afin d’acquérir le repos pour ses ancêtres. « Mille années divines passèrent alors et la grande rivière, Gaṅgā, se montra elle-même sous une forme incarnée »440. Elle accepte de satisfaire le souhait du roi. Mais la puissance de ses flots étant trop grande, Bhagīratha doit alors s’engager dans une nouvelle ascèse pour obtenir de Śiva qu’il supporte la rivière. « Ayant parlé ainsi, Ô toi aux longs bras, il alla sur l’Himalaya entouré d’une suite terrifiante brandissant différentes armes. Alors, se tenant debout, il dit à Bhagīratha, le meilleur des hommes : “Sollicite, Ô toi aux longs bras, la rivière, fille du roi des Monts. Je soutiendrai cette excellente rivière [lors de] sa tombée du ciel.” »441. Dieux, sages, gandharva, uraga (nāga), yakṣa, assistent à ce spectacle merveilleux. « Hara la porta, Ô roi, la Gaṅgā, guirlande du ciel tombée sur son front comme une guirlande de perles »442. Elle se sépare ensuite en trois courants et demande à Bhagīratha de la conduire jusqu’aux cendres de ses ancêtres. Elle devient ainsi fille du souverain et s’écoule dans l’océan qu’elle remplit à nouveau.
Fig. 166 : Gaṅgādharamūrti, niche no 24 du mur d’enceinte, face au nord, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 167 : Gaṅgādharamūrti, façade nord, Mātaṅgeśvara, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 168 : Gaṅgādharamūrti, façade nord du sanctuaire, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
3Dans le Rāmāyaṇa443, Bhagīratha, à la suite de ses pères, entreprend une ascèse de mille ans afin de faire descendre Gaṅgā, fille aînée d’Himavan (gaṇgā himavato jyeṣṭhā duhitā, I.40.19 a), dans les mondes souterrains pour purifier les cendres de ses ancêtres. Brahmā lui accorde cette faveur, mais le roi doit pratiquer de nouvelles austérités afin que Śiva accepte de la supporter. Pendant une année, Bhagīratha se tient debout, appuyé sur son orteil (aṅguṣṭhāgranipīḍitām kṛtvā, I.42.1). Mais, lors de sa descente, Gaṅgā, ayant pensé emporter le dieu dans ses flots jusqu’au pātāla, est punie de son arrogance : elle est retenue prisonnière dans la chevelure de Śiva. Pour que ce dernier la relâche, Bhagīratha doit entamer une nouvelle ascèse. La rivière, une fois tombée dans le bindusaras (lac sacré), se divise en sept branches. L’une d’entre elles suit le souverain monté sur son char et tous deux sont accompagnés du cortège des dieux entourés de ṛṣi, daitya, dānava, rākṣasa, gandharva, yakṣa, kiṃnara, serpents, apsara. Cependant, en cours de route, la Gaṅgā envahit l’aire sacrificielle du sage Jahnu qui la boit entièrement puis la relâche par ses oreilles. Elle devient alors Jāhnavī, fille de Jahnu. Libérée, elle continue de suivre le char de Bhagīratha jusqu’au rasātala où reposent les cendres des fils de Sagara qu’elle purifie. Dans le chapitre suivant (43.6), deux noms lui sont attribués : Bhāgīrathī, en tant que fille de Bhagīratha, et Tripathagā, car elle a traversé les trois mondes, céleste, terrestre et souterrain.
4La même histoire agrémentée de nombreuses variantes parcourt les Purāṇa. Ce mythe, à l’instar des versions des deux épopées, est d’obédience śivaïte dans le VyP444, le BrP I.18.25–42 ou le SP 127–128 (voir P. Bisschop [2006 : 186–188]). Cependant, on peut également retrouver cette légende intégrée à un contexte viṣṇuïte, dans lequel le pied de Trivikrama crève l’œuf cosmique ou est baigné par Brahmā avec l’eau de la Gaṅgā. La rivière, tombant du pied de Viṣṇu sur la terre, prend alors le nom de Viṣṇupādī445. Certains textes font encore intervenir les deux dieux : tombée du pied de Viṣṇu, la rivière passera par la chevelure de Śiva avant de rejoindre la terre, fusionnant ainsi les deux aspects du mythe446. Cette oscillation entre un mythe d’obédience śivaïte et viṣṇuïte semble bien ancrée dans l’imaginaire indien, comme en témoignent les poèmes de Kālidāsa447.
5La jalousie d’Umā envers la Gaṅgā résidant dans la chevelure de son époux est parfois la cause de la descente de la rivière sur la terre448. La déesse convainc le sage Gautama de plaider auprès de Śiva pour qu’il délivre la Gaṅgā. Une partie seulement est libérée tandis que l’autre sera relâchée à la demande de Bhagīratha. « Ainsi l’eau sur les mèches de Maheśvara prit deux formes : au sud des monts Vindhya, Gaṅgā est appelée Gautamī, au nord des monts Vindhya, elle est appelée Bhāgīrathī »449. Ce texte tente d’offrir au sud de la péninsule indienne une Gaṅgā qui serait identique à celle qui s’écoule dans le nord : nous assisterons à un processus semblable au sein des dynasties pallava et cōḻa.
6Dès la fin de la littérature du caṅkam, le mythe de Brahmā déversant une eau qui tombe directement dans la chevelure de Śiva est énoncé450. Les poèmes de Kāraikkālammaiyār évoquent Śiva porteur de la Gaṅgā plusieurs fois451 et l’allusion à la jalousie de Pārvatī semble n’intervenir que pour mettre en valeur cet aspect du dieu :
« Maintenant dans tes longues tresses est la nommée Gaṅgā.
Si la fille de la montagne
À la bouche de fruit-mûr, unie à ton corps, s’en apercevait
Que ferais-tu ? […] »452
7Śiva porteur de la Gaṅgā est une image qui traverse les hymnes du Tēvāram, sans que le pied de Viṣṇu ou l’eau dans le vase de Brahmā ne soient impliqués. « Quelle est cette merveille d’avoir posé la rivière abondante sur une mèche rouge »453 ? La rivière céleste descend sur la terre à la suite de l’ascèse du roi Pakīrataṉ454. Elle possède une puissance destructrice lorsqu’elle tombe du ciel où elle réside455. Malgré cela, dans les mèches de Śiva, elle est semblable à une goutte de rosée (6–50–10 cd). Il suffit à Śiva de détacher gracieusement une mèche de cheveux pour la recevoir (6–18–5 cd). La légende exposée jusque-là dans ces hymnes semble donc reprendre les grands traits de la tradition sanskrite issue des deux grands textes épiques. On y trouve cependant quelques éléments sur lesquels la tradition méridionale insistera particulièrement. Certains hymnes mentionnent la Gaṅgā comme l’épouse du nord de Śiva456, dont Pārvatī est jalouse457. Śiva doit alors cacher la rivière céleste458. Pour mettre fin à la querelle amoureuse, le dieu chante et danse : « Il porta sur sa tête la kaṅkai ; et la jeune femme bouda, là, en entendant le son [de ses eaux] pendant qu’il [la] portait ; voulant en terminer avec cette querelle d’amour, il chanta le cāmavētam ; il dansa au son de cette musique pendant qu’il chantait »459.
Premières apparitions de Gaṅgādharamūrti
8Avant de se tourner vers les représentations narratives à proprement parler, un relief d’époque gupta mérite d’être signalé. Il s’agit d’une stèle en haut-relief à la sculpture délicate provenant de Batura (Madhya Pradesh) que T. E. Donaldson (2007 : vol. I, 213–214 et vol. II, 216, fig. 143) identifie comme une Gaṅgādharamūrti et situe dans la deuxième moitié du Ve siècle. Śiva y est représenté assis, la jambe gauche repliée sous les fesses. Adoptant une pose très naturelle, il tient une longue hache de sa main supérieure droite tandis que la main supérieure gauche étire une mèche échappée de son jaṭā-makuṭa. Aucune forme féminine ne la surplombe, mais ce simple geste, que l’on retrouvera dans les représentations postérieures de ce mythe, évoque sans aucun doute la descente du Gange. Ne peut-on pas ainsi imaginer, sur la base d’une telle image, que ce geste était suffisamment familier aux spectateurs de l’époque pour renvoyer à cet épisode sans que le déroulement du mythe soit mis en scène460 ?
9Parallèlement, au Ve ou VIe siècle, une image narrative apparaît sur une terre cuite gupta de Rajaona (Bihar)461. Śiva, assis dans la partie gauche, à deux bras seulement et ithyphallique, tend une mèche qu’il présente à la rivière personnifiée. Les mains jointes sur sa poitrine, elle s’agenouille humblement devant lui sur le makara. Sa taille est à peine inférieure à celle du dieu. Derrière elle, un petit individu tient le parasol au-dessus de sa tête. Trois personnages masculins, groupés autour de Śiva, assistent à la scène. L’un d’entre eux est agenouillé, en prière. Quelque chose, peut-être un oiseau, vole au-dessus du groupe de la déesse.
10Le relief de la descente du Gange à Elephanta inaugure un tout autre mode de représentation dont la composition générale subsistera dans les images ultérieures. Śiva se tient maintenant au centre, debout, déhanché. L’une de ses deux mains droites, au niveau de l’épaule, tient délicatement une mèche de cheveux qui recevra la Gaṅgā, à l’opposé de l’épouse qui occupe la gauche naturelle462. Au-dessus de la coiffe du dieu, le buste féminin de la déesse fluviale personnifiée, à trois têtes, apparaît. W. O’Flaherty, dans C. Berkson et alii (1983 : 35), l’identifie comme les trois rivières, Gaṅgā, Sarasvatī et Yamunā. Je préfère la considérer, à la suite de K. L. Mankodi (1973), comme l’expression de Gaṅgā Tripathagā, qualifiée ainsi dans le Rāmāyaṇa une fois la traversée des trois mondes accomplie — elle est Mandākinī lorsqu’elle traverse le ciel, Bhāgīrathī sur la terre et Bhogavatī dans les mondes souterrains. L’un des deux bras gauches de Śiva se pose sur l’épaule de Pārvatī, debout également et déhanchée. Son visage, qui n’est pas tourné vers le dieu, est légèrement incliné vers le bas. Cette attitude a conduit M.-E. Adicéam (1976 : 107), et à sa suite É. Parlier-Renault (2006 : 71), à qualifi la déesse de « coquettement boudeuse ». Elle voit ici l’expression de la jalousie de Pārvatī devant la réception de la Gaṅgā par son époux, comme les Āgama le soulignent. Si les reliefs cōḻa expriment clairement cette idée, je ne vais pas ici dans le sens de l’auteur. La déesse ne semble pas réellement boudeuse, bien qu’elle ne soit pas tournée vers le dieu. Un léger sourire éclaire même son visage. Le trio divin est entouré de nombreux personnages assistant à l’exploit de Śiva. Un homme agenouillé, un poignard à la ceinture, pourrait représenter Bhagīratha en vénération devant Śiva.
11À la fin du VIe siècle probablement, la paroi ouest du temple excavé de Lalitāṅkura, à Trichy, s’orne de la première représentation narrative pallava, Gaṅgādharamūrti (fig. 169). Le dieu, au centre, la jambe gauche fermement plantée au sol, la droite pliée, le pied posé sur un gaṇa, tire de l’une de ses deux mains droites la mèche sur laquelle vient se loger la Gaṅgā, au buste de femme, les mains en añjali. De l’autre côté de la coiffe du dieu, opposé à la rivière, un chien est assis. Le dieu est entouré de dévots agenouillés, de sages et d’êtres volants, répartis symétriquement autour de lui.
12Le panneau est encadré de deux pilastres sur lesquels est gravée une longue inscription dont la première strophe se présente ainsi :
« “S’il aperçoit la Kāvērī, dont les flots charment les yeux, qu’orne une guirlande de jardins
Et qui possède d’aimables vertus, le divin amant de la rivière pourrait s’en éprendre !”
Effrayée par cette idée, la Fille de la Montagne abandonne le palais de son père, et sur cette montagne, me semble-t-il,
Pour toujours établir sa demeure, en disant : “Cette rivière est la bien-aimée du Pallava”463 ».
13La fille de la montagne (girikanyakā) semble faire référence à la Gaṅgā elle-même et non pas à Pārvatī464, absente de la scène. En effet, la rivière, fille aînée du roi des Monts, s’installant sur cette colline aux côtés de Śiva est le sujet même de la représentation qu’encadre l’inscription. Elle y descend à cause de la jalousie qu’elle éprouve envers une autre rivière, la Kāvēri, qui s’écoule réellement au pied de la colline et vers laquelle le dieu de pierre se tourne. En outre, le texte évoque une installation permanente, faisant ainsi référence au matériau dans lequel est sculpté le relief. Ces doubles sens suggérés dans la première strophe de l’épigraphe entre une situation réelle et une représentation divine taillée dans le roc se poursuit entre le dieu et le roi Mahendravarman I, patron du temple. Alors que Śiva est lui-même ici représenté accomplissant son exploit, le roi est dit être figuré dans la pierre : « Through Sathyasandha’s bodily image created out of imperishable stone, an imperishable embodiment of his fame has been made »465. D’un côté donc, la mise en parallèle de la Gaṅgā (de pierre) qui descend s’installer auprès de Śiva et de la Kāvēri (réelle) qui s’étend au pied de la colline, et de l’autre la mise en parallèle entre Śiva et le roi. On assiste ici à un double processus de divinisation : la Kāvēri, devenant rivale de la rivière sacrée, se sacralise en quelque sorte à son tour tandis que le roi endosse le caractère divin de Śiva. Comme Śiva, Mahendravarman règne sur la rivière purificatrice, comme Śiva il est responsable de sa présence sur la terre466.
Fig. 169 : Gaṅgādharamūrti, paroi ouest, Lalitāṅkura, Trichy (cliché G. Ravindran, EFEO, 2008).
14À Mahābalipuram, datés du règne de Narasiṃhavarman I Māmalla, deux reliefs représentent la descente du Gange. Le premier, grand et célèbre rocher sculpté au pied de la colline467, est organisé autour d’une faille dans la roche où sont représentés plusieurs nāga, mâle et femelle, symbolisant l’eau. Sūrya et Candra, la tête entourée d’une grande auréole, se tiennent de chaque côté. À droite, immenses éléphants, êtres célestes, animaux de toutes sortes se dirigent vers la faille. À gauche, Śiva, debout dans la partie supérieure et entouré de gaṇa, tient une lance, une hache, un serpent et fait le geste du don. À sa gauche Bhagīratha accomplit son ascèse, la jambe droite repliée, les bras levés et les mains jointes au-dessus de la tête. Au-dessous de ce groupe, un petit sanctuaire de Viṣṇu est entouré de sages assis, certains en posture de yoga. Au bas du panneau, au bord de l’eau, plusieurs personnages sont en prière. Le reste de la scène est occupé par des animaux, des chasseurs, des êtres célestes. Tous les éléments du mythe de la descente du Gange sont rassemblés ici : Śiva accorde la faveur que sollicite Bhagīratha et, à l’instar des versions du Mahābhārata et du Rāmāyaṇa, l’ensemble des mondes céleste, humain et animal vient assister à l’arrivée de la rivière divine sur la terre.
15Justifiant la présence du petit sanctuaire viṣṇuïte au sein de cette représentation, Ch. Schmid (2006 : 499–501) émet l’hypothèse d’une lecture de cet immense relief en liaison avec la représentation du Trivikrama de la grotte de Varāha qui le surplombe. En effet, dans cette dernière, Brahmā lave le pied du géant. Cette eau, en tombant sur la terre deviendrait la Gaṅgā, réceptionnée par Śiva dans la représentation du grand rocher. Un tel dispositif renverrait ainsi aux versions du mythe dans lesquelles Gaṅgā est Viṣṇupādī, reçue dans les mèches de Śiva avant de s’installer sur la terre (supra p. 252). Si l’on accepte cette lecture, cette représentation s’insère alors sans difficulté dans le corpus d’images viṣṇuïtes qui ornent les monuments de Mahābalipuram jusqu’au VIIe siècle468.
Fig. 170 : Gaṅgādharamūrti, paroi nord, Ādivarāha, Mahābalipuram (cliché G. Ravindran, EFEO, 2009).
16Simplifiée à l’extrême, la représentation de Gaṅgādharamūrti de la paroi nord du temple excavé d’Ādivarāha à Mahābalipuram (fig. 170) est également intégrée dans un ensemble majoritairement viṣṇuïte469. Śiva, de sa main droite supérieure, tient la mèche sur laquelle la Gaṅgā va tomber. La rivière céleste, représentée sous forme entièrement humaine, a les mains jointes sur la poitrine, les jambes rassemblées et pliées pour plonger dans la chevelure du dieu. Ch. Schmid (2006 : 510) a remarqué plusieurs similitudes entre la grotte de Varāha et celle-ci, à environ un kilomètre l’une de l’autre. Ainsi, ne pourrait-on envisager le fait que la représentation de ce mythe, grâce au dispositif mis en place dans le grand relief, ait été perçue comme chargée d’une connotation viṣṇuïte malgré l’absence du Trivikrama ?
17Bien que la représentation du Dharmarāja ratha, sur le même site, soit organisée sur un modèle proche de celle de la grotte d’Ādivarāha, quelques différences sont à noter : la Gaṅgā se tient à gauche de Śiva et cette image retrouve sa place en contexte śivaïte470.
18Les reliefs des temples construits continueront à s’inscrire dans un corpus dédié à Śiva. Contrairement aux deux représentations de Mahābalipuram dans lesquelles la déesse fluviale est représentée sous forme entièrement humaine, elle gardera, dans les temples construits, un buste de femme mais sera pourvue d’un corps serpentin. Peut-être sous l’influence des formes de l’Ouest (supra p. 255–256), l’épouse de Śiva, dont l’absence se remarquait dans les quatre premiers reliefs pallava, est introduite à son côté. Pārvatī accompagne maintenant Śiva dans toutes les représentations de Kāñcipuram. Cependant, la déesse n’apparaît jamais comme boudeuse ou irritée par la présence de la Gaṅgā. Bien que la jalousie de Pārvatī soit connue des textes qui précèdent les images pallava471, cet aspect n’est pas mis en scène dans ces reliefs où la jeune femme paraît tout à fait détendue, le buste légèrement tourné vers son époux, une main parfois appuyée sur la jambe de Śiva (fig. 171–172)472.
Le chien, gardien des mondes souterrains ?
19Le chien dans les représentations pallava de Gaṅgādharamūrti (cella no 5 du Kailāsanātha : fig. 171, Iṟavāttāṉeśvara : fig. 172, Mātaṅgeśvara : fig. 173 et Mukteśvara : fig. 174) est un élément dont la présence est difficile à justifier. La difficulté vient du fait qu’aucun texte, à ma connaissance, ne mentionne son intervention au cours de l’épisode de la descente du Gange sur terre. L’hypothèse que propose M.-E. Adicéam (1976 : 106 et 113) me paraît être la plus plausible jusqu’ici : il s’agirait de l’un des deux chiens (ou des deux chiens dans le cas du relief de la cella no 5 du Kailāsanātha) gardiens du monde de Yama, hostiles à la descente de la Gaṅgā dans les mondes souterrains473. L’animal, dans les représentations pallava, est placé de l’autre côté de la tête de Śiva, à l’opposé de la rivière divine (excepté dans le relief du Mukteśvara [fig. 174] où ils se trouvent côte à côte). On pourrait envisager alors la présence de ce chien comme un renvoi à la trame narrative elle-même, puisque la Gaṅgā, appartenant au monde céleste, se propose de pénétrer dans les mondes souterrains. La bête se dresserait donc face à cette divinité qui va entrer sur le territoire qu’elle garde. Dans cette optique, la présence de cet animal dans la partie supérieure des panneaux est curieuse : gardiens des enfers, ils devraient occuper la partie inférieure.
Fig. 171 : Gaṅgādharamūrti, cella no 5, façade ouest, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché G. Ravindran, EFEO, 2008).
Fig. 172 : Gaṅgādharamūrti, façade nord, Iṟavāttāṉeśvara, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 173 : Gaṅgādharamūrti, intérieur du porche d’entrée, mur sud, Mātaṅgeśvara, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 174 : Gaṅgādharamūrti, à la droite de l’entrée de la cella, Mukteśvara, Kāñcipuram (cliché G. Ravindran, EFEO, 2008).
20C’est en effet aux pieds de Śiva qu’une représentation de Gaṅgādharamūrti sur la façade ouest du Viśva Brahma (début du VIIIe siècle) à Ālampur place le chien (fig. 175). Il est fort possible qu’un relief similaire d’un temple voisin, le Svarga Brahma, comporte également cet animal au même endroit, en partie caché par la jambe du dieu (fig. 176)474. Dans ce dernier, une petite femme est assise dans le coin inférieur droit : il doit s’agir de la Gaṅgā, ayant atteint les mondes souterrains. Dans l’image du Viśva Brahma en revanche, un homme est représenté à sa place, dans la même position. Un flot empli de poissons coule derrière la jambe de Śiva et atteint l’oreille droite de ce personnage. Il s’agit donc du sage Jahnu qui intervient dans le récit du Rāmāyaṇa (supra p. 251) retenant les eaux de la Gaṅgā dans son oreille. Dans ces deux représentations, le flot sacré s’écoule et atteint le bas du relief, domaine terrestre où Bhagīratha accomplit son ascèse mais également mondes souterrains où les morts, sous forme de personnages émaciés, résident. Le chien, au bas de l’image, s’insère donc parfaitement dans le déroulement narratif mis en scène dans le panneau et semble venir confirmer l’hypothèse de sa présence comme symbole de la demeure des morts475.
Fig. 175 : Gaṅgādharamūrti, façade ouest, Viśva Brahma, Ālampur (cliché V. Gillet, 2004).
Fig. 176 : Gaṅgādharamūrti, façade est, Svarga Brahma, Ālampur (cliché V. Gillet, 2004).
21Les reliefs pallava ne s’étendent pas sur le déroulement narratif à proprement parler de cette légende, contrairement aux reliefs d’Ālampur qui mettent bien en scène le trajet de la rivière, des mondes célestes aux mondes souterrains, en passant par l’oreille de Jahnu. La composition des images pallava insiste sur la réception de la rivière divine par Śiva et non pas sur l’écoulement de celle-ci jusqu’au pātāla. Le chien semble donc être un élément rappelant le déroulement du mythe sans pour autant mettre en scène toutes les étapes. Le commencement et l’aboutissement de l’épisode sont ramassés dans des symboles, mis en opposition de chaque côté de Śiva, que le spectateur se doit de restituer par lui-même, utilisant sa propre connaissance du mythe. Ne pourrions-nous pas, de plus, envisager au-delà de la trame narrative une opposition symbolique entre d’une part les mondes célestes représentés par la Gaṅgā et d’autre part les mondes souterrains dont le chien serait le gardien ?
Portée symbolique de Gaṅgādharamūrti
22Le Gange, symbole de purification et de libération, s’écoule dans le nord de la péninsule indienne. Cependant, certains textes tentent de sacraliser les rivières méridionales. Le BP (Gautamīmāhātmya 6–8), par exemple, se soucie d’offrir au Nord comme au Sud une rivière sacrée (supra p. 252). Toutes deux ont de fait la même origine : l’eau lustrale du vase de Brahmā qui vient se loger dans la mèche de Śiva. Ce passage, en définissant ces deux courants d’eau comme identiques, révèle un véritable désir d’élever la rivière sacrée méridionale au niveau de la Gaṅgā. C’est un principe similaire que l’on retrouve dans l’inscription de Trichy (supra p. 256– 258), qui rapporte le fait que la Gaṅgā descend, ayant peur de perdre son bien-aimé Śiva attiré par la Kāvēri qu’il contemple. La rivière méridionale est ici présentée comme supérieure à celle du Nord puisque cette dernière se sent menacée. Et c’est le dieu, auquel le roi s’identifie, qui est responsable de cette descente du Gange dans le sud où elle est immortalisée dans la pierre.
23Bien que la Kāvēri ne semble plus jouer de rôle dans les images des temples construits, l’association entre le dieu représenté et le souverain perdure. En effet, les actions du dieu sont les reflets du devoir royal476. À travers ce mythe, les souverains de cette dynastie revendiquent donc la responsabilité de la descente du Gange sur la terre, plus précisément dans le sud où ils règnent477. Cette image de la descente du Gange rappelle, comme le souligne Ch. Schmid (2006 : 495–501) qui y ajoute les représentations de Gajalakṣmī et de Govardhanadhara, l’image de la consécration royale. La comparaison entre l’eau de la Gaṅgā inondant la tête divine et l’abhiṣeka apparaît clairement exprimée dans un vers de Kālidāsa : « L’eau du sacre, tombant à grands flots sur sa tête, était pareille en sa splendeur retentissante au Gange, qui tombe sur la tête du dieu ennemi de Tripura »478. Puis, comme Śiva recevant les flots impétueux de la rivière pour les laisser tomber sans dommage dans le monde des hommes, le roi devient le maître de l’eau qui s’écoule sur la terre, le protecteur de ses sujets contre les eaux dévastatrices venues du ciel. Il illustre en outre la fonction royale d’intermédiaire entre le monde des dieux et le monde des hommes (infra p. 268–269). Les images de Gaṅgādharamūrti semblent donc véhiculer toute une idéologie royale grâce au processus d’assimilation entre la figure du souverain et celle de Śiva : intermédiaire entre le monde divin et le monde terrestre, le roi est consacré par les eaux divines, qu’il maîtrise et introduit dans la région du sud pour la protection et le salut de son peuple.
24En outre, les Pallava adoptent probablement cette forme, qui devient alors centrale au sein de leur iconographie, en raison de l’idée de la pureté de la lignée à laquelle elle peut renvoyer. Certains passages dans l’épigraphie y font clairement allusion. La strophe par laquelle commence aujourd’hui l’inscription de fondation du Kailāsanātha à Kāñcipuram évoque simplement le concept de purification par les eaux de la rivière céleste : « Elle qui s’écoule du joyau de Sthāṇu, qui emplit le lac des Trois Mondes, qu’elle vous purifie…, la Maṇḍa(kinī)… ! »479. Elle sanctifie donc la tête du dieu-roi mais également le lieu dans lequel elle s’installe, en l’occurrence le Sud. Dans l’inscription de Paṉaimalai, la pureté que la lignée des Pallava introduit lors de sa « descente » est comparée à celle de la rivière divine s’écoulant sur la terre : « De ce dernier [l’ancêtre éponyme Pallava], qui avait posé le pied sur le chemin qui purifie, [descend], Comme le cours de la Mandākinī descend de la lune [note du traducteur : Rencontrée lors de son passage sur la chevelure de Śiva], cette estimable et grande lignée des Pallava »480. La même idée réapparaît clairement dans les tablettes de Kācākkuṭi de Nandivarman II : « C’est de lui [Aśokavarman] que descendit la lignée des Pallava […], qui se montre puissante comme une incarnation partielle de Viṣṇu, et, purifiant l’univers tout entier, pure comme la descente du Gange »481. La « descente » des Pallava, dont la pureté est comparable à celle du Gange, sur la terre et dans le Sud482, se conçoit donc comme un phénomène purificateur, semblable à la rivière divine descendant sur la terre.
Gaṅgādharamūrti aux dimensions multiples
25L’ensemble des représentations pallava de Gaṅgādharamūrti dans les temples construits est orienté vers le nord. Cette direction est réservée aux formes combattantes, puissantes et royales, telles que Jalandharasaṃhāramūrti, Kālārimūrti, Tripurāntakamūrti. Bien que Gaṅgādharamūrti ne se présente pas à proprement parler comme une forme destructrice ou combattante, elle prend place à leur côté, répondant à une symbolique royale commune, comme nous venons de le voir.
26Or, la Gaṅgādharamūrti de la niche no 50 du mur d’enceinte du Kailāsanātha fait face au sud (fig. 177), regardant dans la même direction que les images qui accentuent l’idée de don et de dévotion envers Śiva (infra p. 318–319). Ce relief s’organise selon un mode légèrement différent des autres reliefs pallava de ce mythe. Śiva se tient dans la même posture, la main gauche élevant l’une de ses mèches pour recevoir la Gaṅgā. Son épouse s’appuie nonchalamment sur sa jambe gauche. Une forme arrondie dépasse de derrière l’épaule droite du dieu. Serait-ce le liṅga, illustrant ainsi son double aspect, iconique et aniconique, et insistant par là-même sur la grâce qu’il octroie à ses dévots humains lorsqu’il se présente sous une apparence facile à appréhender ? Enfin, Bhagīratha, sur la gauche de la représentation, joint ses mains au-dessus de sa tête et fléchit sa jambe droite : il pratique l’ascèse qui offrira la Gaṅgā au monde des humains. À ses pieds, un personnage agenouillé que je n’ai pu identifier semble lui rendre hommage. Une telle composition met en valeur l’attribution de la faveur de Śiva sur la demande de ses dévots et pour le bien des mondes.
27Enfin, le relief de la cella de façade no 5 est orienté vers l’ouest (fig. 171 [p. 261]). Comme dans les autres représentations, Śiva, qui possède ici huit bras, est accompagné de sa parèdre à sa gauche et tient, du même côté, la mèche de cheveux sur laquelle descendra la Gaṅgā, pourvue d’un buste de femme. On remarque un petit animal dressé sur ses pattes avant, recouvert de stuc, sous les coudes droits du dieu. S’agirait-il d’un autre chien se tenant au-dessous du premier, représentant ainsi la paire de gardiens du monde de Yama ? L’entourage de Śiva est ici bien plus varié que dans les autres images pallava de ce mythe. On trouve, aux pieds du dieu et à la gauche de Pārvatī, un petit cheval qui évoque le point de départ de cette légende, à savoir le cheval du sacrifice à la recherche duquel partent les fils de Sagara qui seront réduits en cendre. Le pied gauche de Śiva repose sur le dos d’un gaṇa tandis qu’un autre petit personnage, un chasse-mouche sur l’épaule, salue la divinité. Sur la paroi qui se trouve à la gauche de cette scène, Viṣṇu se tient debout, au premier plan, saluant Śiva de l’une de ses mains arrière. À ses côtés, un autre personnage debout est représenté avec deux bras, joints sur la poitrine, portant une haute tiare. Un foudre flotte au-dessus de son épaule droite (fig. 178–179). Ces éléments me poussent à identifier cette figure comme Indra, assistant à la descente du Gange. De plus, l’aspect royal de cette représentation justifierait en quelque sorte la présence de ce dieu dans le sens où il est lui-même considéré comme le « roi des dieux ». Sur le mur opposé, à la droite de Śiva, Brahmā, pourvu de trois têtes, lui rend également hommage. Il est cependant relégué au second plan, la première place étant occupée par un personnage debout, à deux bras en añjali, coiffé d’une couronne conique (fig. 180). À nouveau, un foudre est suspendu dans les airs derrière son épaule gauche. Il pourrait s’agir de Bhagīratha, accompagné du vajra considéré comme symbole de royauté, dont le rôle dans le déroulement de ce mythe expliquerait la présence.
Fig. 177 : Gaṅgādharamūrti, niche no 50 du mur d’enceinte, face au sud, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 178 : Viṣṇu et Indra ( ?) rendent hommage à Gaṅgādharamūrti, cella no 5, façade ouest, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 179 : Indra ( ?) rend hommage à Gaṅgādharamūrti, cella no 5, façade ouest, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 180 : Brahmā et Bhagīratha (?) rendent hommage à Gaṅgādharamūrti, cella no 5, façade ouest, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
28La situation de ce relief dans la cella au centre de la façade arrière du sanctuaire est motivée, selon moi, par une idée qui se surimpose à celle de la symbolique royale ou de la grâce divine. Pour tenter de la comprendre, il faut évoquer la présence de la Gaṅgā dans les temples gupta. Sans reprendre ici l’évolution de l’image de cette déesse couplée à celle de la Yamunā483, je retiendrai seulement l’idée de purification symbolique offerte par ces deux rivières à l’entrée des temples. Selon
29S. Kramrisch (1946 : vol. 2, 314–315), elles sont disposées sur les jambages des portes pour trois raisons : elles symbolisent d’une part les ablutions rituelles dans le tīrtha, d’autre part la transmutation du dévot terrestre qui acquiert un corps céleste pour pouvoir entrer en contact avec la divinité, mais aussi l’initiation (qu’un bain dans le Gange confère). La présence de ces rivières sous forme humaine, placées à l’entrée des sanctuaires en tant qu’agent de purification du dévot qui pénètre dans le temple, est un principe qui semble avoir été inauguré par les Gupta. Adopté par l’ensemble de la tradition septentrionale, il se répand jusque dans le Deccan, dans les temples des dynasties cāḷukya et rāṣṭrakūṭa484.
30Or, ces deux rivières sont absentes des jambages de porte des temples pallava, montrant que cette caractéristique n’a pas été retenue par les souverains de cette dynastie. Cependant, la présence de Gaṅgādharamūrti à l’arrière du sanctuaire principal du Kailāsanātha pourrait être envisagée sous cet angle. En effet, ce relief fait face à une porte, aujourd’hui condamnée, qui permettait sans doute aux dévots de pénétrer dans le temple par l’arrière. Si cela fut le cas, Śiva recevant le Gange dans sa chevelure accueillait celui qui entrait dans la cour par la porte ouest. Les deux piliers qui encadrent cette ouverture sont les seuls du temple à être soutenus par des nāga, symboles aquatiques, venant alors confirmer le lien qui existe entre cette entrée et la Gaṅgādharamūrti. Cette image paraît donc être placée ici afin de purifier le dévot franchissant cette porte, reprenant ainsi l’utilisation symbolique de la rivière des temples gupta.
31Je proposerais également l’idée que cette image, au centre de la façade ouest, devient l’emblème d’une transition entre un monde des hommes et un monde des dieux que les Śiva dansant qui l’encadrent expriment déjà (supra p. 169–171). La Gaṅgādharamūrti incarne le thème de transition à son tour en ce sens que Śiva permet la communication entre le monde céleste auquel appartient la Gaṅgā et le monde des hommes qu’elle va rejoindre grâce à l’intervention du dieu. À travers la forme de Śiva, dont les actions deviennent le modèle de celles du roi, c’est la fonction royale qui est illustrée : le souverain se pose en tant qu’intermédiaire entre le monde des hommes et le monde des dieux. Ne serait-ce pas ici la signification de l’iconographie pallava elle-même, lien entre monde divin et monde du dévot ? À une transition horizontale qui s’établit avec le déroulement des images dans le sens de la pradakṣiṇā s’ajoute une transition verticale prise en charge par la Gaṅgādharamūrti.
32Il faut noter ici deux représentations de Trivikrama qui apparaissent dans le temple du Kailāsanātha. La première, dans la niche no 12 du mur d’enceinte (fig. 181), s’insère dans une série de représentations des avatāra de Viṣṇu. Brahmā lavant le pied du dieu est absent, contrairement à l’image de la grotte de Varāha à Mahābalipuram (supra p. 258). À la droite du géant, Bali offre un vase à eau à Viṣṇu sous la forme du nain, Vāmana, afin d’établir la donation de terre (fig. 182), tandis qu’à sa gauche, Garuḍa, que nous reconnaissons grâce à son nez en forme de bec, malmène un personnage au sol (fig. 183)485. Excepté le Bhāgavatapurāṇa486, aucun texte, à ma connaissance, n’évoque un combat auquel participe Garuḍa au cours de cet épisode. Dans cet ouvrage, originaire du sud et considéré comme postérieur d’un ou deux siècles à nos reliefs, les démons attaquent Viṣṇu suite à la défaite de leur maître. Un affrontement entre ennemis et alliés du dieu s’ensuit (VIII.21.13–17). Garuḍa, le roi des oiseaux (patatrirāj) enchaîne Bali sur le lieu même du sacrifice487. Or, l’image pallava étant antérieure à ce Purāṇa, on peut donc supposer une version méridionale de ce mythe qui intègre Garuḍa et sur la base de laquelle ce relief et la version de ce texte auraient été élaborés.
33Au cours de cet épisode, il est dit que Brahmā lave le pied de Viṣṇu lorsqu’il atteint le monde céleste. Cette eau purifiée au contact du pied du dieu suprême tombe à travers l’atmosphère et purifie les trois mondes (BhP VIII.21.3–4). Si le relief de la niche no 12 ne représente pas cet aspect du mythe, en revanche, la deuxième représentation de Trivikrama dans ce temple semble l’intégrer. Situé sur la paroi extérieure est de la niche no 39 du mur d’enceinte qui abrite une image de Viṣṇu accompagné de ses deux épouses, cette image n’est pas immédiatement visible. Il faut pénétrer dans l’espace étroit qui sépare les niches no 39 et no 40 pour pouvoir la contempler. Composée sur le même modèle que la représentation de la niche no 12, elle est cependant inversée (fig. 185) : Garuḍa frappant un personnage est à la droite du dieu (fig. 186) tandis que Bali et Vāmana sont à sa gauche (fig. 187). Du pied gauche levé de Viṣṇu, une forme fine et allongée entièrement recouverte de stuc, difficile à définir, retombe le long du panneau. L’hypothèse la plus vraisemblable est qu’il s’agit des flots de la Gaṅgā qui s’écoulent sur la terre après avoir lavé le pied divin. Si cet élément était présent à l’origine, cette image serait alors en accord avec l’épisode de Trivikrama tel qu’il est conté dans le Bhāgavatapurāṇa. En admettant que cette supposition soit correcte, la présence de la version viṣṇuïte du mythe de la descente du Gange dans un temple śivaïte est surprenante. Pourrait-elle se présenter comme une sorte de réminiscence du grand bas-relief de Mahābalipuram, qui devait être perçu comme glorieux encore du temps de Rājasiṃha ? Mettrait-elle en valeur l’aspect royal de ce mythe dont la cause peut être attribuée autant à Viṣṇu, dieu de la royauté jusque-là, qu’à Śiva qui est à son tour investi d’une symbolique royale ? Sa présence, dans tous les cas, témoigne d’une certaine ouverture du śivaïsme qui n’hésite pas à intégrer dans ses temples des images relevant d’autres courants.
Fig. 181 : Trivikrama, niche no 12 du mur d’enceinte, face au nord, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 182 : Trivikrama, détail de Vāmana, niche no 12 du mur d’enceinte, face au nord, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 183 : Trivikrama, détail de Garuḍa, niche no 12 du mur d’enceinte, face au nord, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 184 : Trivikrama, Viśva Brahma, Ālampur (cliché V. Gillet, 2004).
Fig. 185 : Trivikrama, paroi extérieure est de la niche no 39 du mur d’enceinte, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 186 : Trivikrama, détail de Garuḍa, paroi extérieure est de la niche no 39 du mur d’enceinte, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 187 : Trivikrama, détail de Vāmana, paroi extérieure est de la niche no 39 du mur d’enceinte, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Notes de bas de page
437 Voir C. Sivaramamurti (1976).
438 Dans un relief sur une stèle à Kuṉṉattūr, près de Mahābalipuram, découverte en 2007 par N. Ramaswamy du Centre EFEO de Pondichéry, la déesse se tient à la droite de Śiva. Pour une étude de cette représentation, voir E. Francis, V. Gillet et Ch. Schmid (2008 : 432–434 et fig. 3).
439 Cette mudrā ressemble à ce que T. A. G. Rao (1914, réimpression 1968 : 15) décrit comme siṃha-karṇa ou kaṭaka-hasta. Cependant, il est également possible de penser que ce geste est une variante de la forme de la connaissance (supra p. 81). La deuxième hypothèse expliquerait alors le geste semblable à celui du dieu au banian que fait Śiva dans la stèle de Kuṉṉattūr (cf. note précédente).
440 saṃvatsarasahasre tu gate divye mahānadī | darśayām āsa tam gaṅgā tadā mūrtimatī svayam | | Mahābhārata III.107.14.
441 evam uktvā mahābāho himavantam upāgamat | saṃvṛtaḥ pārṣadair ghorair nānāpraharaṇodyataiḥ | |
tataḥ sthitvā naraśreṣṭhaṃ bhagīratham uvāca ha | prayācasva mahābāho śailarājasutāṃ nadīm |patamānāṃ saricchreṣṭhāṃ dhārayiṣye triviṣṭapāt | |
Mahābhārata III.108.3–4.
442 tāṃ dadhāra haro rājan gaṅgāṃ gaganamekhalām | lalāṭadeśe patitāṃ mālāṃ muktāmayīm iva || Mahābhārata III.108.9.
443 L’histoire de Sagara et de ses fils commence au chant 37 du livre I, Bālakāṇḍa. L’histoire de l’ascèse de Bhagīratha et de la descente du Gange est rapportée aux chapitres 41 et 42.
444 VyP 47.24–43, dont la version est proche de celle du Rāmāyaṇa ; au chapitre 42, l’histoire de la descente de la rivière sur la terre n’est pas rapportée, mais il est dit qu’elle est doublement sacrée car elle a été en contact avec le corps de Śiva.
445 Viṣṇupurāṇa (VP) II.8.102–117 et IV.4.1–19 ; PP, Bhūmikhaṇḍa 17 et Sṛṣṭikhaṇḍa 30 ; BhP VIII.21.3–4 ; Nāradapurāṇa (NP) I.11.179–182.
446 Mārkaṇḍeyapurāṇa (MkP) 56.1–12. Dans l’édition de 2004, qui est supposée suivre le même manuscrit publié par la Société Asiatique du Bengale en 1882, je ne trouve pas trace de cet épisode ; PP, Sṛṣṭikhaṇḍa 62.104–112 et Uttarakhaṇḍa 240.39–60 ; BhP IX.9. NP I.16 rappelle l’origine de la rivière sacrée, une fois la Gaṅgā ayant séjourné dans la chevelure de Śiva : « La Gaṅgā au tel pouvoir est issue de la pointe du pied de Viṣṇu, célébrée dans tous les mondes, la destructrice des grands péchés. » (evaṃ prabhāvā sā gaṅgā viṣṇupādāgrasaṃbhavā | sarvalokeṣu vikhyātā mahāpātakanāśinī || 114). Dans le BP, Gautamīmāhātmya 4, Śiva est d’abord le créateur de la Gaṅgā qu’il offre à Brahmā dans son vase à eau. C’est avec cette eau que ce dernier lavera le pied de Viṣṇu. En tombant, la branche sud de cette rivière sera retenue par la chevelure de Śiva.
447 Le Kumārasambhava évoque autant l’aspect śivaïte du mythe : « Ouvrage nouveau de Tvasṭṛ, une ombrelle fut présentée par le soleil à Śiva et, maintenue près de son diadème, la soie qui la recouvrait miroitait, pareille à la Gaṇgā quand elle choit sur la tête du dieu » (upādade tasya sahasraraśmis tvaṣṭrā navam nirmitamātapatram |sa taddukūlād avidūramaulir babhau vahan gāṅgam iva pravāham || VII.41, traduction B. Tubini, p. 148), que l’aspect viṣṇuïte : [le sage Aṅgiras s’adresse à Himavan] « Comme Gaṅgā est enorgueillie par le pied de Parameṣṭin de même, ton élévation lui confère une seconde dignité » (yathaiva ślāghyate gaṅgā pādena parameṣṭhinaḥ |prasavena dvitīyena tathaivocchirasā tvayā||VI.70, traduction B. Tubini, p. 133). Il en est de même dans le Raghuvaṃśa : « Il traînait une vaste armée qui s’avançait vers la mer orientale : tel Bhagīratha traînant le Gange tombé des nattes de Hara » (sa senāṃ mahatīm karṣan pūrvasāgaragāminīm | babhau harajaṭābhraṣṭāṃ gaṅgām iva bhagīrathaḥ || IV.32, traduction L. Renou, p. 35) et « Sous l’éclat de ses dents, en sortant de la bouche du Maître, elle brillait comme le Gange qui, s’échappant des pieds du dieu, roule vers le zénith » (babhau sadaśanajyotsnā sā vibhor vadanodgatā | niryātaśeṣā caraṇād gaṅgevordhvapravarttinī || X.37, traduction L. Renou, p. 109).
448 BP, Gautamīmāhātmya 6 et 7.
449 maheśvarajaṭāvāri evaṃ dvaividhyam āgatam | vindhyasya dakṣiṇe gaṅgā gautamī sā nigadyate | uttare sāpi vindhyasya bhāgīrathy abhidhīyate | | BP, Gautamīmāhātmya 8.77.
Dans le PP, Uttarakhaṇḍa 240.39–60, cette séparation entre une rivière qui coule au nord et une autre au sud, à la suite des prières de Gautama et de Bhagīratha, est également évoquée.
450 eri malar tāmarai iṟai vīḻtta peru vāri
viri caṭai poṟai ūḻttu viḻu nikar malar ēyppa
taṇivuṟa tāṅkiya taṉi nilai calatāri
maṇi miṭaṟṟu aṇṇaṟku mati āral piṟantōy nī
Paripāṭal IX.4–7 : « Pour Calatāri, unique en son état, qui a ralenti et porté / Les grandes eaux déversées par le Dieu au lotus en fleur de feu, / Tombées comme une fleur épanouie mûrie par le poids de ses tresses dénouées, / Pour le Seigneur à la gorge de saphir, Tu es né des vénérables Āral, Ô Toi ! », traduction F. Gros (1968 : 54–55).
451 Il est appelé tūya puṉaṟkaṅkai ēṟṟōr, « celui qui reçoit la kaṅkai aux eaux pures » (« Le Poème de l’Admirable », strophe 8 bc) ; kaṅkaiyāṉ tiṅkaṭ katir muṭiyāṉ, « celui qui a la kaṅkai, celui qui a l’éclat de la lune sur son chignon » (« Le Poème de l’Admirable », strophe 11 c). Il est celui « aux tresses non mouillées bien que tout un fleuve y soit entré » (āṟu pukku[m] naṉaiyāc caṭai muṭi, « Le Double Collier de Gemmes », strophe 13 de, traduction Karavelane [1982 : 54]).
452 iṉivār caṭaiyiṉil kaṅkai eṉ
pāḷaiyaṅkattu irunta
kaṉi vāy malai maṅkai kāṇileṉ
ceyti […]
« Le Double Collier de Gemmes », strophe 5 abcd, traduction Karavelane (1982 : 52). Voir également : « Le Poème de l’Admirable », strophe 90 et « Le Double Collier de Gemmes », strophe 7.
453 veḷḷa nīr oru cem caṭai vaitta viyappu atē (2–1–5 d).
454 3–122–3 ab, 4–65–7, 4–73–4.
455 Voir par exemple 1–84–4 ab, 3–62–2 cd.
456 malai maṭa maṅkaiyōṭum vaṭa kaṅkai naṅkai maṇavāḷar āki makiḻvar ; […] (4–8–9 a)
« Celui qui se réjouit devenant l’époux de la dame kaṅkai du Nord ainsi que de la belle femme de la montagne ».
457 kaṅkai nīr caṭaiyuḷ vaikka kāṇṭalum maṅkai ūṭa (4–34–10 a)
« La jeune femme bouda aussitôt qu’elle vit [Civa] placer dans sa mèche l’eau de la kaṅkai ».
458 4–45–6 abc.
459 cūṭiṉar kaṅkayāḷai ; cūṭiya tuḻaṉi kēṭṭu aṅku
ūṭiṉāḷ naṅkaiyāḷum ; ūṭalai oḻikka vēṇṭi
pāṭiṉār cāmavētam ; pāṭiya pāṇiyālē
āṭiṉār […] (4–27–2).
460 Ce thème est en effet cher à la dynastie des Gupta. Les monnaies frappées sous les règnes de Samudragupta (milieu du IVe siècle) et de Kumāragupta (milieu du Ve siècle) portent une image de la Gaṅgā, debout sur un makara (voir O. Viennot [1964 : 34]). Cette dynastie instaure la présence de la Gaṅgā et de la Yamunā à l’entrée des temples, caractéristique qui n’apparaît jamais chez les Pallava alors qu’on retrouve ces deux déesses sur les jambages des portes des temples de nombreuses autres dynasties (infra p. 268). D’autre part, le thème de la descente du Gange apparaît dans l’inscription d’Allahabad de Samudragupta : […] pradāna-bhuja-vikkrama-praśama-śāstravāky-odayair uparyyupari-sañchay-ochchhritam anekamārggaṃ yaśaḥ [ | ] punāti bhuvana-trayaṃ paśupater jjaṭ-āntar-guhā-nirodha-parimokṣa-śighram iva pāṇḍu gāṅgaṃ [payaḥ] [ | | 9] (J. F. Fleet [1888, réimpression 1981 : 215] ; « [Samudragupta] whose fame, ever ascending higher and higher masses, and travelling by many paths, (namely) by liberality, prowess of arm, sobriety and utterance of scriptural texts, purifies the three worlds, like the white water of the (holy river) Gaṅgā, dashing forth rapidly when liberated from the confinement in the inner hollow of the matted hair of Paśupati, (which rises up in ever higher and higher masses and flows through many paths) », traduction J. F. Fleet [1888, réimpression 1981 : 220]). Pour les Gupta établis dans le nord, la présence de la rivière sacrée dans leurs inscriptions, sur leurs temples et sur leurs monnaies se comprend parfaitement.
461 Voir C. Sivaramamurti (1976 : fig. 6, 18), M. Rabe (2001 : fig. 60) et T. E. Donaldson (2007 : vol. I, 212 et vol. II, 26, fig. C36). Ce relief se trouve aujourd’hui à l’Indian Museum de Calcutta. G. Kreisel (1986 : plate A 16, notes 407 et 421) à la suite de K. Kumar (1975 : 106, plate XII) et T. E. Donaldson (2007 : vol. I, 213) à la suite de K. L. Mankodi (1981) ont proposé d’identifier une autre terre cuite gupta provenant de Rang Mahal, au Rajasthan, comme Gaṅgādharamūrti. Cette identification est motivée par une figure volante au-dessus des nombreuses têtes d’un personnage bedonnant. Cependant, rien ne semble indiquer que ce personnage est Śiva, ni qu’il s’agit d’une descente du Gange.
462 Pour la représentation d’Elephanta, voir T. E. Donaldson (2007 : vol. II, fig. 150). Une image, dans le temple excavé de Rāvaṇa Phadi à Aihoḷe (R. S. Gupte [1967 : pl. 125, 69–71 et 105–112] et T. E. Donaldson [2007 : vol. II, fig. 151]), daté de la fin du VIIe siècle, met en scène Śiva sur un mode similaire, debout au centre, accompagné de sa parèdre à gauche, de Bhagīratha à droite et de la Gaṅgā aux trois corps au-dessus de sa tête. Cependant, le dieu tient une mèche de cheveux de chaque côté. On ne peut donc déterminer la place qu’occupera la rivière divine.
463 kāvīrīn nayanābhirāma-salilām ārāma-mālā-dharām
devo vīkṣya nadī-priyaḥ priya-[gu]ṇām apy eṣa rajyed iti |
sāśaṃkā giri-kanyakā pitṛ-kulaṃ hitvēha manye gi[rau]
nityan tiṣṭhati pallavasya dayitām etāṃ bruvāṇā nadīm | |
Inscription de Mahendravarman I, strophe 1, traduction S. Brocquet (1997 : 485).
464 M. Lockwood (2001 : 130).
465 śilākṣareṇa janitā satyasandhasya bhautikī |
mūrtiḥ kīrttimayī cāsya kṛtā tenaiva śāśvatī | |
Vers 4 de l’inscription du pilier de droite. C’est ici la lecture et la traduction de M. Lockwood (2001 : 130–131) que je propose, qui corrige, après vérification sur la pierre, l’erreur de E. Hultzsch (SII I, no 33–34), qui a lu śilā[kh]ara au lieu de śilākṣara.
466 Sur une analyse de la relation entre cette image divine et le roi, voir M. Locwood (2001 : 129–135) et E. Francis (à paraître).
467 Ce relief a été identifié pendant longtemps comme la pénitence d’Arjuna et c’est encore ainsi qu’il est localement désigné. La polémique est toujours en cours, malgré la tendance actuelle à pencher pour l’identification d’une descente du Gange. Je ne discute pas ici cette interprétation, qui me semble incontestable. Je souhaite cependant signaler l’étude de M. Rabe (2001) qui envisage une représentation à double sens, figurant à la fois la descente du Gange et la pénitence d’Arjuna et qui propose de belles images de ce relief.
468 Viṣṇu couché, Mahiṣāsuramardinī, Varāha, Trivikrama, Kṛṣṇa Govardhana occupent soit les parois des temples excavés soit des rochers à l’air libre.
469 Ce temple est dédié à Viṣṇu sous la forme de son avatāra du sanglier. La grotte contient deux représentations royales, une forme de Mahiṣāsuramardinī, Gajalakṣmī, Viṣṇu, Brahmā et Harihara. Harihara est représenté le plus souvent en contexte śivaïte. Cependant, sa présence dans cette grotte viṣṇuïte ainsi que sur la façade arrière du Vaikuṇṭha Perumāḷ à Kāñcipuram me permet de penser que cette représentation, à cette période tout au moins, peut appartenir aux deux courants.
470 Voir K. R. Srinivasan (1975 : pl. XIV b). La plupart des représentations de ce temple sont en effet śivaïtes.
471 La strophe 50 du Meghadūta de Kālidāsa évoque déjà la rivalité entre Pārvatī et Gaṅgā : tasmād gaccher anukanakhalaṃ śailarājāvatīrṇāṃ jahnoḥ kanyāṃ sagaratanayasvargasopānapaṅktim | gaurīvaktrabhrukuṭiracanāṃ yā vihasyeva phenaiḥ śaṃbhoḥ keśagrahaṇam akarod indulagnormihastā | |
« Va de là vers Kanakhala, auprès de la fille de Jahnu qui, descendue du Roi des Monts, servit aux fils de Sagara d’escalier pour monter au ciel. Elle avait fait se froncer les sourcils de Gaurī, car son écume était un sourire moqueur et ses vagues accrochées au croissant de lune, les mains dont elle avait saisi la chevelure de Çambhu. », traduction Assier de Pompignan, p. 19. Voir également supra p. 252–254.
472 Je m’oppose ici à É. Parlier-Renault (2006 : 198–199) qui voit dans ces images la manifestation de la jalousie de Pārvatī. Il me semble que l’auteur applique à ces représentations un concept qui ne sera mis en scène que plus tard. En effet, les images cōḻa insisteront plus particulièrement sur cet aspect du mythe et placeront souvent la déesse-rivière à droite, à l’opposé de l’épouse légitime qui se tient à la gauche du dieu.
473 M.-E. Adicéam (1976 : 113) cite le Ṛg Veda X.14, strophes 10 à 12, qui décrit ces chiens. Depuis l’époque védique, le chien a été assimilé à la mort dans le brahmanisme et se retrouve également dans les enfers bouddhiques. Voir D. Masset (à paraître).
474 Ces représentations ont été identifiées comme des Gaṅgādharamūrti dansantes par C. Sivaramamurti (1974 : 185–186) et M.-E. Adicéam (1976 : 121). Or, la jambe gauche de Śiva est plantée au sol tandis que la droite, bien que cassée dans les deux sculptures, est pliée et posée sur un petit gaṇa allongé. La posture des jambes suffit à éliminer l’hypothèse d’une représentation dansante, ce qui conduit également à écarter l’identification du personnage émacié dansant au bas des deux reliefs comme Bhṛṅgī. Il s’agit probablement d’un personnage squelettique, habitant des mondes souterrains, à côté du chien gardien des quartiers inférieurs. Voir P. Kaimal (1999 : 403).
475 Une représentation au Kailāsanātha à Ellorā reprend également la figure du sage Jahnu dont les oreilles sont traversées du flot de la Gaṅgā. Voir T. E. Donaldson (2007 : vol. II, fig. 152). Une foule de personnages et d’animaux, parmi lesquels se trouvent des éléphants, assistent à son arrivée sur la terre, rappelant le grand relief de Mahābalipuram. Si le chien ne semble pas représenté dans cette scène, le cheval du sacrifice est en revanche présent près du pied de Śiva.
476 Sur le rapprochement entre figure royale et figure divine dans les inscriptions pallava, voir l’introduction de S. Brocquet (1997).
477 L’anecdote liée au temple de Gaṅgaikondacolapuram (« la ville du Cōḻa qui a pris le Gange ») témoigne de ce désir toujours vif de faire descendre la Gaṅgā dans les régions méridionales. Rājendra I, patron du temple, aurait lancé une marche sur les bords du Gange et fait venir dans des jarres de l’eau de la Gaṅgā pour la verser dans le lac près du temple. Voir P. Pichard et alii (1994 : 11 et 112).
478 tasyaughamahatī mūrdhni nipatantī vyarocata | saśabdam abhiṣekaśrīr gaṅgeva tripuradviṣaḥ | | Raghuvaṃśa XVII.14, traduction L. Renou, p. 193.
479 nir(y)yāntī sthāṇu-ratnā[t] tri-bhuvana-sarasī-pūraṇī vaḥ punītān
[nānā-var(ṇ)ṇâr(ṇ)ṇavâr(ṇ)ṇas sama-sa-kala-harin] maṇḍa — | | 1
Inscription de fondation, Kailāsanātha, Kāñcipuram, traduction S. Brocquet (1997 : 552).
480 yasmād eṣa[ḥ] — [prabhūtaḥ, prajajñe ou prasūtaḥ] pathi vihita-padāt pāvane mānanīyo
mandākinyā[ḥ] pravāhaḥ śaśina iva mahān anvayaḥ pallavānām | | 2
Inscription sur la base du Tāḷapurīśvara, Paṉaimalai, traduction S. Brocquet (1997 : 590).
481 […] prab[h]aviṣṇuḥ viṣṇor aṃśāvatāra iva vaṃśāvatāra[ḥ] pallavānān nikhila-bhuvana-pāvanatayā gaṃgāvatāra iva ca nir(m)malas samavar(t)tata |
Tablettes de Kācākkuṭi, traduction S. Brocquet (1997 : 657).
482 On peut parler de « descente sur la terre » car leur généalogie est constituée d’une partie mythique, dont Viṣṇu est le premier élément, suivie d’une partie historique que constitue la succession des rois ; de « descente dans le Sud » car, si l’on ne connaît pas l’origine des Pallava, on sait cependant qu’ils viennent d’une région indéterminée au nord du Toṇṭaimaṇṭalam.
483 Je renvoie pour cela à l’ouvrage d’Odette Viennot (1964).
484 On les retrouve, entre autres, sur les jambages de portes des temples aussi bien bouddhistes que brahmaniques à Ellorā (grottes 6, 12 pour les grottes bouddhiques et 14, 15 et 16 pour les grottes hindoues : S. Pandey [1984 : 52–53]), à Aihoḷe (S. Pandey [1984 : 62]) et dans les temples d’Ālampur (S. Pandey [1984 : 62]).
485 La présence de Garuḍa se retrouve dans une représentation du Viśva Brahma à Ālampur, dans lequel il est figuré avec des ailes (fig. 184). Ce temple étant sans doute postérieur à celui du Kailāsanātha, ce relief semble donc s’inspirer des images pallava.
486 Dans le BhP VIII.15–23, l’histoire de Trivikrama est longuement contée.
487 atha tārkṣyasuto jñātvā virāṭ prabhucikīrṣitam | babandha vāruṇaiḥ pāśair balim sautye’hani kratau | |
BhP VIII.21.26.
« Alors le roi des oiseaux, fils de Tārkṣa, connaissant l’intention du seigneur, enchaîna Bali dans les liens de Varuṇa, pendant le sacrifice, le jour où l’on extrait le jus du Soma. », traduction E. Burnouf, tome III, p. 181.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012