Chapitre VI. La Jalandharasaṃhāramūrti
p. 211-221
Texte intégral
1La niche centrale de la façade nord de la majorité des temples pallava construits est occupée par une représentation du dieu Śiva qui pose de nombreux problèmes dont le premier, et le plus conséquent peut-être, est celui de son identification377. Toutes ces images se composent sur le même modèle. Śiva, assis en tailleur dans la partie supérieure du panneau, les jambes et la taille entourées d’un yogapaṭṭa, pose ses bras inférieurs sur les genoux tandis que ses deux mains supérieures tiennent le rosaire et la gourde. Au contraire des formes ascétiques de la façade sud, comme le Śiva au banian ou le Śiva mendiant où un « Śiva de la forêt » laisse sa longue chevelure détachée tomber derrière ses épaules, le dieu est ici coiffé d’un haut jaṭā-makuṭa doublé d’une auréole et paré de nombreux ornements tels que colliers, bracelets, décorations florales sur les bras, longues boucles d’oreille, cordons sacrés (fig. 134). Sous son siège, un démon, souvent armé d’une massue, est à demi couché, comme écrasé, et l’une de ses mains en vismaya exprime la stupeur ou l’admiration. Un disque est planté verticalement dans son épaule (fig. 135). Il a des yeux globuleux et une bouche pourvue de crocs, symboles de son aspect terrible, et est paré de toutes sortes d’ornements très travaillés. Selon les représentations, Sūrya et Candra peuvent apparaître derrière les épaules de Śiva (fig. 136). Viṣṇu et Brahmā, en adoration, encadrent parfois la niche (fig. 137).
2Il s’agit, selon moi, de la mise en scène du dieu Śiva terrassant le démon Jalandhara. Je vais, dans un premier temps, exposer les difficultés d’identification que soulève cette image. Après une analyse de ce mythe dans la littérature sanskrite et tamoule, je tenterai de définir le processus de formation d’une telle représentation et les emprunts qu’elle a pu effectuer, aussi bien au niveau visuel que symbolique, à d’autres courants religieux.
Jalandharasaṃhāramūrti, une identification délicate
3La situation de cette image dans la niche centrale de la façade nord et la récurrence de ses apparitions témoignent de son importance au sein de l’iconographie pallava des temples construits. Ce mythe apparaît ici représenté pour la première fois. De même, en dehors d’un exemple isolé378, cette image ne réapparaîtra plus : son déclin suivra celui de la dynastie.
Fig. 134 : Jalandharasaṃhāramūrti, façade nord du sanctuaire, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 135 : Jalandharasaṃhāramūrti, façade nord, Iṟavāttāṉeśvara, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 136 : Jalandharasaṃhāramūrti, niche no 17 du mur d’enceinte, face au nord, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 137 : Jalandharasaṃhāramūrti, façade nord, Piṟavāttāṉeśvara, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
4L’absence de développement ultérieur de cette représentation est l’un des facteurs qui contribue à la difficulté de son identification. N’ayant pas été reprise, elle semble tomber dans l’oubli379. La composition de cette image ne facilite pas non plus son interprétation. En effet, Śiva en posture de yoga au-dessus d’un démon à demi allongé ne permet pas de saisir au premier abord la trame narrative de ce relief. On ne peut alors s’étonner de l’identification de cette image comme Śiva yogin380 ou Yogīśvara381. F. L’Hernault (1975 : 106) l’avait interprétée dans un premier temps comme une forme de Dakṣiṇāmūrti, justifiant son hypothèse non seulement grâce à la posture du dieu mais aussi à sa mise en opposition systématique avec la forme du Śiva enseignant sous l’arbre banian qui occupe la niche centrale de la façade sud.
5Aucune de ces identifications ne prend en compte le disque planté dans l’épaule du personnage allongé sous le dieu (fig. 138). Il me semble pourtant que cette arme est la clé de l’interprétation de ce relief. Placée au centre de l’image, elle découpe le personnage de la partie inférieure dont la position marque clairement la défaite. Malgré la posture immobile du dieu, on comprend donc qu’il s’agit d’une mise à mort. Or, un démon ennemi de Śiva découpé par le cakra constitue la trame du mythe qui met en scène Śiva vainqueur du démon Jalandhara. Ainsi, tout comme K. V. Raman, B. Sasi Sekaran et R. Nagaswamy382, j’identifie cette représentation comme Jalandharasaṃhāramūrti.
Fig. 138 : Le démon Jalandhara et le disque planté dans son épaule, détail de la Jalandharasaṃhāramūrti, façade nord du sanctuaire, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
La mise à mort du démon Jalandhara dans les Purāṇa
6La destruction de Jalandhara est contée dans le ŚP et le PP383. Śiva crée le disque en dessinant un cercle sur les eaux ou en dansant sur l’énergie des dieux. Il lance l’arme sur le démon Jalandhara au cours d’une bataille et le découpe en deux. Dans le LP I.97, Śiva, de son orteil, dessine sur la grande eau (mahāṃbhasi, v. 16 b) un disque et défie Jalandhara, démon né de l’océan qui a conquis les dieux, de le soulever. S’apprêtant à se battre, le démon lève le disque Sudarśana qu’il place sur son épaule. C’est alors que l’arme le découpe. Bien que le texte ne mentionne pas un dieu engagé dans une méditation ou pratiquant le yoga qui pourrait être mis en relation avec le Śiva des images pallava, cette dernière version se rapproche quelque peu des reliefs étudiés, d’une part puisqu’elle ne met pas en scène de combat à proprement parler comme le faisaient les deux précédentes, d’autre part du fait de la présence du disque sur le point de découper le démon, en commençant par l’épaule. Ainsi, la présence et la fonction du cakra dans ces images sont les seuls indices permettant de proposer l’identification de Jalandharasaṃhāramūrti. La composition des représentations pallava de ce mythe ne trouve pas de parallèle exact, à ma connaissance, dans les textes puraniques sanskrits.
7Bien que les descriptions que l’on trouve dans les Āgama soient souvent le reflet d’une iconographie postérieure à la période pallava (supra p. 74–75), l’un d’entre eux va cependant attirer mon attention ici. Parmi les quelques ouvrages agamiques qui présentent la forme de Jalandharasaṃhāramūrti, l’Ajitāgama propose une description qui, se rapprochant des reliefs pallava de ce mythe, vient confirmer l’identification que je soutiens: « One should make [the God] with spread hair, peaceful, on the right and left respectively holding fire and the rosary of Elaeocarpus ganitrus, with another right [hand], with the threatening [hand-pose] showing Jalaṃdhara, having placed a left arm on his left knee, squatting with a cloth wound round loins and knees, with Umā, with the moon as ornament, [then,] in front of him, the infuriated Jalaṃdhara knocked over by the discus. This is the divine form « slayer of Jalaṃdhara ». »384. Ce passage, malgré quelques différences fondamentales avec les reliefs étudiés comme la présence d’Umā ou la main du dieu en tarjanī-hasta, semble s’appuyer sur les représentations pallava puisque les images de ce mythe sont quasi inexistantes dans l’iconographie cōḻa qui sert pourtant de modèle aux descriptions de la majorité de ces traités. La rareté de cette figure largement méconnue en dehors du corpus des images pallava justifie donc le fait que la littérature secondaire sur l’iconographie l’ignore (H. K. Sastri [1916] ; J. N. Banerjea [1956, réimpression 1974]) ou, lorsqu’elle la cite, ne peut fournir de représentation (T. A. G. Rao [1914, réimpression 1968]385).
La création d’une image
8Afin de compléter le survol de la mise en forme textuelle de ce mythe, il me reste à mentionner son apparition dans la littérature tamoule. Cet épisode commence à être évoqué avec les hymnes du Tēvāram, dans lesquels il n’occupe, d’ailleurs, qu’une très petite place. La trame narrative s’inspire de celle des Purāṇa sanskrits, sans apporter d’éléments essentiels à la compréhension de cette image. Śiva crée le disque386 qui découpe le corps de Calantaraṉ (Jalandhara) : « L’Habile a coupé en deux celui qui désirait se battre, Calantaraṉ qui excelle dans la bataille, avec le disque »387.
9Dans le Kantapurāṇam, Calantaraṉ assiège le mont Kayilai. Śiva endosse alors la forme d’un vieux sage, se munit d’une gourde, d’un bâton, d’un parasol388 et part à la rencontre de Calantaraṉ. Sa tentative de convaincre le démon de s’en retourner étant vaine, le dieu, sous forme de muni, dessine alors un cercle sur le sol qui se transforme en disque. Il défie Calantaraṉ de le soulever. Mais le démon, écrasé par son poids, le pose sur sa tête. L’arme se met alors en mouvement et coupe son corps en deux. Śiva reprend sa forme et, du feu qui jaillit de son troisième œil, anéantit l’armée de Calantaraṉ389. Cette version est intéressante dans la mesure où, outre le fait qu’aucun combat n’est mentionné, il est précisé que Śiva prend l’aspect d’un sage afin de créer le disque et de défier Jalandhara. Postérieure d’au moins quatre siècles à nos reliefs, elle semble donc se rapprocher des images pallava plus étroitement que ne l’avaient fait celles des autres textes narratifs sanskrits évoqués plus haut. Reflèterait-elle une légende locale plus ancienne sur laquelle l’image pallava aurait été modelée ? Si des éléments de la tradition tamoule ont été introduits dans plusieurs mises en scènes de cette dynastie390, cette hypothèse me semble en fait peu probable en ce qui concerne les reliefs de Jalandharasaṃhāramūrti. En effet, la littérature du caṅkam ignore ce mythe tandis que la littérature tamoule de bhakti ne l’évoque que rarement391. Seuls les textes puraniques sanskrits le détaillent longuement, permettant ainsi de considérer cette légende comme issue de la tradition sanskrite.
10Les images pallava, les premières à ma connaissance qui illustrent cet épisode, restent néanmoins très éloignées des versions textuelles. Si elles peuvent être rapprochées de la version d’un Purāṇa tamoul considérablement postérieur, il est cependant aisé d’envisager une influence des représentations de pierre sur la forme que prendra ce mythe dans cette région. À mon sens, cette légende trouve son expression iconographique sur les façades des temples pallava non pas en réponse à une version textuelle qui l’aurait influencée, mais pour des raisons d’ordre religieux et politique. Cette hypothèse va me permettre de justifier d’une part le choix de ce thème, rare dans l’iconographie indienne, et d’autre part son mode de composition inhabituel.
Le disque, élément clé de l’image : lien avec le bouddhisme, lien avec le viṣṇuïsme
11Le disque, comme on l’a vu, est l’élément qui conduit à l’identification de cette forme comme une Jalandharasaṃhāramūrti. En effet, en dehors de cette arme fichée dans l’épaule du démon, rien dans la composition du panneau ne permet de reconnaître l’affrontement entre Śiva et Jalandhara. La mise en parallèle avec les textes aussi bien sanskrits que tamouls n’a pu apporter les éléments nécessaires à la justification d’une telle disposition des personnages pour la représentation d’une mise à mort d’un démon. Or, le cakra renvoie à deux courants religieux, le bouddhisme et le viṣṇuïsme.
12Jalandharasaṃhāramūrti, dans la niche centrale des façades nord, est systématiquement mise en opposition avec les représentations du dieu au banian, au centre des façades sud des sanctuaires. Le rosaire, attribut de l’ascète, et le yogapaṭṭa autour des jambes sont communs aux deux représentations392. Les gazelles, les êtres célestes, les sages, l’arbre banian, sont empruntés au bouddhisme dans les représentations pallava du Śiva enseignant (supra p. 103–104). Or, la Roue de la Loi, élément fondamental des reliefs bouddhiques de l’épisode du sermon, est absente. Curieusement, le disque créé par Śiva, dont la représentation est semblable à celle de cette dernière bien que leur signification diverge, apparaît dans les images systématiquement opposées aux Śiva enseignant et, fait encore plus intrigant, de profil, juste sous le siège du dieu, comme dans les reliefs du sermon du Buddha (fig. 134 [p. 212] et 139). Le disque, dans les représentations de Jalandharasaṃhāramūrti, agit donc à mon sens comme un renvoi au cakra bouddhique, réutilisé et intégré au mythe śivaïte. Créé par Śiva lui-même, il est mis en mouvement pour sauver le monde. Dans la même perspective, l’emprunt au bouddhisme pourrait justifier la posture de Śiva : une divinité en méditation vainqueur d’un démon rappelle l’épisode de Buddha sous l’arbre de l’éveil, assiégé par Māra393. Le choix de ce thème śivaïte et la composition de la représentation s’établissent donc, selon moi, en réponse à l’iconographie bouddhique, inspirés aussi bien de l’épisode de la conquête de Māra que de la mise en mouvement de la Roue de la Loi.
Fig. 139 : Buddha délivrant son sermon, grotte 1, Ajaṇṭā (cliché W. Spink, 1968, American Institute of Indian Studies).
13Dans le viṣṇuïsme également, le cakra est un élément central, attribut par excellence de Viṣṇu. Or, les textes d’obédience śivaïte associent régulièrement la création de ce disque et la mort de Jalandhara avec le don de cette arme. C’est ainsi qu’à la suite de la victoire de Śiva sur le démon, le LP I.98 rapporte que, sur le sommet de l’Himavan, Viṣṇu installe un liṅga qu’il adore en prononçant les mille noms de Śiva, chacun accompagné d’une fleur. Mais ce dernier en dissimule une afin de tester l’intensité de la dévotion de Viṣṇu qui, constatant son absence, s’apprête à offrir l’un de ses yeux. Satisfait, Śiva lui remet alors le disque Sudarśana et lui offre un œil semblable à un lotus. Lorsque le Tēvāram évoque la victoire de Śiva sur Jalandhara, il associe le plus souvent les deux épisodes. Après avoir découpé le démon, le disque sera remis à Viṣṇu : « Il a accordé sa grâce à celui qui est éminent, dont l’œil rouge est devenu lotus épanoui, [lui accordant] le disque éclatant qui a coupé en deux Calantaraṉ désireux de bataille. »394. De même, une version similaire de cette légende se retrouve dans le Kantapurāṇam cité ci-dessus.
14Ce deuxième volet du mythe est représenté probablement pour la première fois dans deux temples pallava : dans la niche no 43 du mur d’enceinte au Kailāsanātha, mais aussi dans l’ardha-maṇḍapa de l’Airāvateśvara395. En outre, l’association entre la mort de Jalandhara et le don du disque à Viṣṇu permet peut-être d’identifier le relief de la façade sud du templion E dans le complexe du Kailāsanātha à Kāñcipuram (fig. 140), faisant face à Jalandharasaṃhāramūrti qui occupe la façade nord du templion D396. La partie supérieure de ces deux panneaux est identique : Śiva en posture de yoga tient rosaire et gourde dans ses deux mains supplémentaires. Cependant, dans le relief de la façade sud du templion E, la partie inférieure n’est plus occupée par le démon à demi allongé mais par un personnage agenouillé, très abîmé, peut-être adorant le liṅga (fig. 141). La succession de ces deux moments, création du disque par Śiva et don de ce disque à Viṣṇu qui en fera son emblème, ne serait-elle pas mise en scène dans ces deux images qui se font face ?
Fig. 140 : Viṣṇu adore le liṅga, façade sud du templion E, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
15Le principe de la supériorité śivaïte qu’illustre l’association de ces deux volets du mythe apparaît comme un premier niveau de lecture. Par ailleurs, la Jalandharasaṃhāramūrti prend en charge un aspect fondamental de Śiva que l’iconographie pallava des temples construits développe. Si Śiva s’incarne en de nombreuses formes en réponse à un mouvement de bhakti qui cherche à rapprocher le dévot de son dieu (supra p. 71–73), il le fait également en réponse à un besoin de l’iconographie śivaïte à représenter les fonctions du roi. En effet, jusqu’à la fin du VIIe siècle, l’iconographie viṣṇuïte essentiellement était emblème de royauté, Viṣṇu, époux de la terre et de la fortune, fournissant le modèle du souverain. Ce dieu s’incarnait afin de sauver les mondes en péril : de même le roi devait protection à ses sujets. Or, les Pallava, à partir de la fin du VIIe siècle, deviennent profondément śivaïtes. L’iconographie de cette époque, si elle continue à emprunter parfois des images viṣṇuïtes à connotation royale comme au Kailāsanātha397, choisit cependant de transmettre à Śiva les qualités de souverain idéal attribuées à Viṣṇu. Pour cela, Śiva doit s’incarner sur le modèle des avatāra de Viṣṇu et venir sauver un monde en danger, devenant alors « avatāra śivaïte » (voir aussi infra p. 230–231). Si les mythes śivaïtes illustrant cet aspect de Śiva ne manquent pas et sont bien connus de la littérature brahmanique de cette époque, ils n’avaient pas trouvé jusque là, pour la plupart, d’expression visuelle. C’est donc à partir de l’iconographie śivaïte pallava que cet aspect de Śiva commence à être pris en charge de manière systématique et organisée. Le dieu, afin de sauver le monde de la menace de Jalandhara, crée le disque et élimine le démon, rétablissant alors l’équilibre de l’Univers. Les formes de Kālārimūrti (supra p. 206–208), Tripurāntakamūrti (infra p. 233–240) et Gaṅgādharamūrti (infra p. 264–265) illustrent toutes également un aspect de la fonction royale : elles occupent la façade nord des temples pallava, aux côtés de l’image centrale de Jalandharasaṃhāramūrti. Cette direction apparaît alors comme réservée aux formes de la victoire et de la royauté.
Fig. 141 : Viṣṇu adore le liṅga, partie inférieure, façade sud du templion E, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Notes de bas de page
377 Ce chapitre a déjà fait l’objet d’une publication : V. Gillet (2007 a). Il me paraît cependant nécessaire de l’inclure à nouveau ici, cette forme se présentant comme l’une des représentations clé dont l’exclusion ne permettrait pas de cerner le programme iconographique des temples pallava. On la retrouve, en effet, sur les façades nord de tous les monuments construits, excepté au Mukteśvara et au Kailāsanātha de Tiruppattūr où elle occupe une niche de la façade sud. Il faut également souligner que les temples construits sur le site de Mahābalipuram, le Temple du Rivage et l’Ōlakkāṉeśvara, ne comptent pas cette représentation parmi les thèmes disposés sur leurs façades. Ce chapitre a déjà fait l’objet d’une publication : V. Gillet (2007 a). Il me paraît cependant nécessaire de l’inclure à nouveau ici, cette forme se présentant comme l’une des représentations clé dont l’exclusion ne permettrait pas de cerner le programme iconographique des temples pallava. On la retrouve, en effet, sur les façades nord de tous les monuments construits, excepté au Mukteśvara et au Kailāsanātha de Tiruppattūr où elle occupe une niche de la façade sud. Il faut également souligner que les temples construits sur le site de Mahābalipuram, le Temple du Rivage et l’Ōlakkāṉeśvara, ne comptent pas cette représentation parmi les thèmes disposés sur leurs façades.
378 Un petit bas-relief cōḻa sur le soubassement du temple de Śivayoganātha à Tiruvicanallūr (taluk de Kumbakonam et district de Tanjavur) illustre ce mythe. Voir V. Gillet (2007 a : fig. 11). C’est, à ma connaissance, le seul exemple en dehors de l’iconographie pallava.
379 Les restaurations de deux temples, l’Airāvateśvara et l’Amareśvara, témoignent de l’incompréhension du spectateur face à cette forme oubliée. Pour une image de la Jalandharasaṃhāramūrti à l’Amareśvara précédant la rénovation, voir fig. 9 [p. 55] et V. Gillet (2007 a : fig. 8). À la place de ce relief, les restaurateurs ont représenté Brahmā, probablement à cause des deux attributs du dieu, gourde et rosaire, et de sa situation dans le temple. En effet, Jalandharasaṃhāramūrti, à l’époque pallava, et Brahmā, à partir de l’époque cōḻa, partagent les mêmes attributs ainsi que leur place dans la niche centrale de la façade nord.
380 F. L’Hernault (1978 : 107–108).
381 K. R. Srinivasan (1983 a : 62).
382 R. Nagaswamy (1969 : 23) identifie comme Jalandharasaṃhāramūrti une représentation de Śiva tuant Garuḍa au Kailāsanātha, mais évoque la Jalandharasaṃhāramūrti sur la façade nord du sanctuaire du même temple, sans autres commentaires (1988 : fig. 27). K. V. Raman et B. Sasi Sekaran (1992) étudient brièvement cette forme qu’ils identifient comme Jalandharasaṃhāramūrti. É. Parlier-Renault (2000) considère cette représentation comme figurant la mise à mort du dieu Kāma par Śiva. Mais, ayant remarqué a posteriori le disque dans l’épaule du démon, elle accepte (2006 : 182–187) l’identification de cette image comme Jalandharasaṃhāramūrti, tout en maintenant l’idée d’un Śiva Kāmāntaka qu’elle surimpose à la nouvelle interprétation. Pour plus de détails, voir V. Gillet dans E. Francis, V. Gillet et Ch. Schmid (à paraître).
383 ŚP, Rudrasaṃhitā, Yuddhakhaṇḍa V.13–26 et Śatarudrasaṃhitā 30. Mais cette deuxième version est beaucoup plus courte et le disque n’apparaît pas. PP, Uttarakhaṇḍa 3–18 et Uttarakhaṇḍa 96–104. Deux chapitres, que P. Bisschop me signale, sont consacrés à cette légende dans un texte viṣṇuïte, l’Ahirbudhnyasaṃhitā 43–44. Cependant, ce récit, datant probablement du XIe siècle, ne fournit pas d’éléments utiles à la compréhension des reliefs étudiés.
384 […] | vikīrṇamūrdhajam śāntam dakṣiṇetarayoḥ kramāt | |
analam akṣasūtraṃ ca vahantam apareṇa tu |
dakṣiṇena tu tarjanyā darśayantaṃ jalandharam | |
vāmajānuni vāmaṃ ca bāhuṃ nyasyotkuṭāsanam |
paryaṅkabandhasaṃyuktaṃ somaṃ somavibhūṣaṇam | |
agre jalandharam kruddhaṃ cakreṇa vinipātitam | kuryād daivam idaṃ rūpam ; […] | |
Ajitāgama 36.274–277ba. Traduction N. R. Bhatt, J. Filliozat, P.-S. Filliozat, vol. III, p. 63–65.
Je remercie B. Dagens de m’avoir signalé ces vers.
Le Kāraṇāgama II.80.1–4 décrit également cette forme mais celle-ci est plus éloignée du mode de représentation pallava. On comprend que Śiva doit être représenté avec deux yeux et deux bras, le teint rouge, tenant un parasol à gauche et un bâton à droite. Il est illuminé de l’éclat de la lune et est enduit de cendres. Un cordon sacré descend en travers de sa poitrine et un rosaire se trouve également dans l’une de ses mains. Le démon tient un arc et une flèche et soulève le disque que le dieu a dessiné : ce disque lui coupe la tête.
385 L’auteur (1914, réimpression 1968 : vol. II, part 2, 97) cite en annexe la description de cette forme dans un ouvrage tardif, la Śrītattvanidhi, dans lequel Śiva porte le parasol et la gourde, qu’il n’a pu mettre en relation avec aucun relief existant.
386 camparaṟku aruḷi calantaraṉ vīya taḻal umiḻ cakkaram paṭaitta
emperumāṉār […] (3–122–2 ab)
« Ayant accordé sa grâce à Camparaṉ, notre Dieu créa un disque crachant du feu pour que Calantaraṉ périsse ». Je n’ai pu identifier Camparaṉ.
387 camaram miku calantaraṉ pōr vēṇṭiṉāṉai cakkarattāl piḷappitta caturar pōlum ; (6–53–2 a).
388 Il tient un bâton et un parasol comme le prescrit le Kāraṇāgama II.80.1–4 et plus tard la Śrītattvanidhi, texte cité par T. A. G. Rao (1914, réimpression 1968 : vol. II, part 2, 97), montrant qu’à partir du XIIe siècle, la trame narrative de la version tamoule de cette légende et les textes normatifs se sont rejoints.
389 R. Dessigane et P. Z. Pattabiramin (1967 : 195–196, strophes 198 à 270).
390 Pour la figure de Rāvaṇa et l’intégration d’éléments tamouls dans l’iconographie pallava, voir V. Gillet (2007 b).
391 Il est cependant compté parmi l’un des huit exploits de Śiva. Voir D. Rangaswamy (1958, réimpression 1990 : 180–181).
392 Cette similitude a conduit F. L’Hernault (1975 : 106) à l’interprétation de ce relief comme une forme de Dakṣiṇāmūrti.
393 Le lien entre l’épisode de Buddha attaqué par Māra et Jalandharasaṃhāramūrti m’a été suggéré par Ch. Schmid.
394 ceru mēvu calantaraṉai piḷanta cuṭar āḻi cem kaṇ malar paṅkayamā ciṟantāṉukku aruḷi (7–16–2 a).
Voir également 6–52–7 a, 7–98–5 ab.
395 Pour ces deux images, voir V. Gillet (2007 b : fig. 19 à 21). Un relief très abîmé du Temple du Rivage à Mahābalipuram, sur la partie gauche du mur sud du sanctuaire principal, présente peut-être une forme de Viṣṇu adorant le liṅga. Mais ce panneau est très fortement endommagé, rendant sa lecture quasi impossible.
396 Pour une image de ce relief, voir V. Gillet (2007 a : fig. 5).
397 La niche no 9 du mur d’enceinte abrite une représentation de Viṣṇu chevauchant Garuḍa, la niche no 10, Narasiṃha combattant le démon Hiraṇyakaśipu, la niche no 12, Trivikrama, et la niche no 13, le barattage de l’océan.
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012