Chapitre V. Une danse de victoire : Gajasaṃhāramūrti et Kālārimūrti
p. 187-208
Texte intégral
Gajasaṃhāramūrti
1L’oscillation entre un Śiva sauvage, terrible et sanglant, et un Śiva conquérant et protecteur, qui libère le monde du joug des démons, est à l’œuvre dans les représentations de Śiva couvert de la peau de l’éléphant, dansant victorieux sur la tête de sa victime. Mon étude va ici s’attacher à déterminer quel est celui de ces deux aspects qui prime dans les reliefs pallava, en m’appuyant sur l’analyse des textes, dans un premier temps, puis des images.
L’image d’un dieu terrible et sanglant traverse les textes
2Le combat d’une divinité contre un éléphant est un épisode commun aux divers courants religieux indiens344. Le Buddha, par la simple bonté émanant de sa personne, maîtrise l’éléphant en rut Nālāgiri qui vient s’agenouiller à ses pieds. Kṛṣṇa tue l’éléphant de Kaṃsa, Kuvalayāpīḍa, incarnation du démon Riṣṭa (Harivaṃśa 74). À son tour, Śiva vainc l’éléphant et se couvre de sa peau.
3Kālidāsa évoquait déjà le mythe de Śiva couvert de la dépouille de l’éléphant dans son Meghadūta. Le narrateur s’adresse au nuage : « Alors, quand Paçupati commencera sa danse, étends-toi horizontal au-dessus de la haute forêt de ses bras dressés : brillant de la lumière du soir, rouge comme les fleurs fraîches des rosiers de Chine, remplace ainsi pour lui la sanglante dépouille de l’éléphant : d’un œil tranquille, que l’effroi ne troublera plus, Bhavānī verra ton acte pieux »345. Śiva, dansant, vêtu de la dépouille de l’éléphant, apparaît comme une forme effrayante du dieu, au point de troubler la déesse elle-même.
4C’est l’idée d’un vêtement constitué d’une peau d’éléphant que l’on retrouve dans le Kumārasambhava. Śiva, ayant pris l’apparence d’un brahmane, tente de dissuader Pārvatī d’épouser le dieu en sous-entendant que Śiva est un personnage terrible alors que la déesse est douce et délicate : « Réfléchis toi-même : convient-il d’unir, de quelque manière, ces deux choses : la robe de soie de l’épousée, dont le cygne est le symbole, la peau de l’éléphant, qui répand des gouttes sanglantes ? »346. Cependant, plus loin, au cours du mariage, cette peau devient fin vêtement : « La cendre, sur les membres, se changea en un fard blanc, les crânes des morts devinrent l’éclatante beauté du diadème, la peau de l’éléphant fut, sur les flancs, une fine soie aux dessins de pigments jaunes »347. La peau de l’éléphant semble être, chez Kālidāsa, une marque de l’aspect terrible de Śiva, l’un de ses attributs fondamentaux, bien que l’auteur ne fasse jamais référence à un démon que le dieu aurait tué et dépouillé.
5Dans le Cilappatikāram, la peau de l’éléphant est aussi l’une des caractéristiques de Śiva, lorsque la déesse est décrite parée des attributs du dieu :
« [La déesse] portait sur la tête un blanc pétale semblable à la lune,
un œil qui ne cligne pas s’était ouvert, déchirant son front ;
elle avait une bouche de corail, des dents à la blancheur éclatante,
elle avait un cou devenu noir après avoir avalé le poison,
elle avait courbé la haute montagne, attachant la corde faite d’un serpent enragé,
elle avait une poitrine soutenue par un bandeau fait d’un serpent aux dents perçantes,
tenant un trident dans sa main ornée de bracelets,
ayant couvert son corps d’une peau d’éléphant,
la femme portait une ceinture faite d’une peau de lion empli de fureur »348.
6Or, cette peau animale devient parfois attribut de la déesse elle-même. Dans le Cilappatikāram d’abord :
« Te couvrant d’une peau d’éléphant, habillée d’une peau de tigre,
Tu te tiens debout sur la tête noire du buffle sauvage ;
Tandis que les êtres célestes s’inclinent, devenue Veda au-dessus des Veda,
Essence de la sagesse, tu te tiens immobile »349,
7mais aussi dans le LP : « Alors, Kālī, ornée de crânes, brandit dans sa main le trident semblable à la nuit de la destruction, faisant trembler alors même les meilleurs des dieux, intoxiquée par la liqueur qu’est le sang du grand asura ; la démarche d’un éléphant intoxiqué, les yeux agités à cause de son ivresse, le corps couvert d’un vêtement fait d’une peau d’éléphant en rut, elle alla, avec les piśāca et les gaṇa ivres, au devant du seigneur des gaṇa »350. Toujours sans être rattachée à un épisode particulier, cette peau apparaît donc comme un symbole de puissance, marque d’un aspect terrible.
8Ce principe se retrouve dans les poèmes de Kāraikkālammaiyār : « Comme si les nuages d’en-haut s’étaient réunis pour voiler la splendeur du Mont d’or, le corps sacré du Père fut recouvert ce jour-là de la peau noire du furieux éléphant en rut, l’animal à trompe »351 et dans la majeure partie des nombreuses apparitions de cette forme dans les hymnes du Tēvāram. Dans ces derniers, l’animal est en rut (mattayāṉai, kaḷiyāṉai), furieux, en pleine frénésie, en colère, cruel, sauvage, capable de tuer (kolai yāṉaiyiṉ, 3–30–3 a) et invaincu352. C’est alors qu’il s’approche de Śiva, mais le dieu l’affronte et le tue de ses mains353, parfois de son ongle354. Il le dépouille ensuite et revêt sa peau, humide de sang355.
9Environ un cinquième des hymnes qui évoquent Śiva tuant l’éléphant attestent de la présence de la déesse, terrifiée. Trois cas de figure semblent se dessiner : Śiva anéantit l’éléphant qui a effrayé Umā356, Śiva affronte la bête dans le but de terrifier son épouse ou encore Umā est horrifiée par le spectacle sanglant de son époux écorchant l’éléphant357.
10L’animal vient de la forêt (1–51–1 ; 3–81–5). Très souvent, il est dit que Śiva revêt la peau d’un éléphant qu’il a tué. Tuer un éléphant en rut à mains nues est un exploit qui met en valeur la force du dieu et sa puissance. L’aspect merveilleux de cet acte est d’autant plus explicite lorsque Śiva l’accomplit comme s’il s’agissait d’un simple jeu, pour voir l’expression de terreur qui embellit le visage de son épouse. Mais l’éléphant peut également être l’éléphant du sacrifice : « Notre ami a dépouillé l’éléphant du sacrifice à la large trompe [semblable] à un palmier victorieux »358. Qu’est-ce que l’éléphant du sacrifice ? Un autre hymne fournit plus de détails: « With the power of your great penance, you fought fiercely against the lion, the long tiger and the heavy elephant who sprang, roaring, from the sacrificial flames; you tore them apart and wore their skins, but why? […] »359. Ce passage semble bien faire référence au mythe de Cidambaram, dans lequel les sages en colère allument un feu sacrificiel duquel jaillissent des éléments qu’ils envoient combattre Śiva. C’est, à ma connaissance, la seule mention explicite de ce mythe dans le Tēvāram.
11L’éléphant attaché à un poteau (kampam) fait, selon V. M. Subramanya Aiyar, probablement référence à cet aspect du mythe360. Néanmoins, il pourrait s’agir ici de l’éléphant du temple, attaché à un poteau, qui, devenu fou, s’est échappé, erre dans la forêt et est tué par Śiva. Il est très difficile de se prononcer sur ce point : poteau du temple ou poteau sacrificiel, le texte reste muet à ce sujet.
12Une fois l’éléphant vaincu, dépouillé et sa peau revêtue, Śiva se met à danser361. Dans un hymne, sa danse a même pour but de rendre ses esprits à Umā, troublée par l’horreur du spectacle (supra note 357).
13Enfin, un hymne seulement évoque Kayācuraṉ : « Il a créé celui à la tête d’éléphant à trompe ; il a fait exterminer par lui le démon-éléphant »362. V. M. Subramanya Aiyar, dans le Digital Tēvāram, suppose que ce passage renvoie au mythe du combat entre le démon-éléphant, Kayācuraṉ, et le dieu à tête d’éléphant, Vināyakaṉ, qui sera repris longuement dans le Kantapurāṇam363. Ce dernier n’a donc que très peu de place dans le Tēvāram, contrairement à l’éléphant de la forêt, terrassé par Śiva, qui apparaît comme une figure récurrente. Cette tendance s’inverse cependant dans les textes narratifs sanskrits vers lesquels je vais me tourner maintenant.
14Les versions diffèrent d’un Purāṇa à l’autre. Dans le KP I.32.15–25, un daitya, désirant tuer des brahmanes en train d’adorer le liṅga, prend la forme d’un éléphant. Mais Śiva jaillit de l’objet de culte et transperce le démon de son trident. Il revêt ensuite la dépouille de l’animal et est appelé Kṛttivāseśvara, « le Seigneur vêtu d’une peau d’éléphant ». Le ŚP (Rudrasaṃhitā, Yuddhakhaṇḍa, V.57) propose une version différente. Gajāsura, roi des Dānava et fils de Mahiṣa, est devenu invincible à la suite d’une pénitence. Il conquiert alors l’univers et persécute les mondes. À la demande des dieux, Śiva embroche le démon sur son trident et le soulève au-dessus de sa tête comme il le ferait d’une ombrelle. Le vaincu se met alors à chanter les louanges du dieu, qui, séduit, lui propose de choisir une faveur. Gajāsura demande à Śiva de porter sa propre peau, sanctifiée par le trident, et de prendre le nom de Kṛttivāsas. Dans le Varāhapurāṇa (VhP) 27.1–45, le mythe du meurtre du démon-éléphant s’insère dans l’épisode de l’affrontement entre Śiva et Andhaka. Andhaka et son armée se rendent au mont Kailāsa, dans le but de tuer Śiva et Pārvatī. Le démon Nala (ou Nīla) prend la forme d’un éléphant et attaque le dieu. Vīrabhadra, chef des armées, se transforme alors en lion, tue l’éléphant dont il arrache la peau et la présente à Śiva qui s’en revêt. Ainsi couvert, paré de serpents, le trident à la main, Śiva se rue sur Andhaka qu’il perce de son arme. Mais, de la blessure jaillissent des gouttes de sang qui donnent naissance à autant de démons identiques. Les huit mères, issues des dieux, interviennent alors pour boire le sang d’Andhaka dont la puissance diminue. Cette version, qui combine le mythe du démon-éléphant et celui d’Andhaka, sera le modèle de beaucoup de représentations en Inde centrale et septentrionale. Seule l’image de Śiva vainqueur grâce à son trident est commune aux trois versions, qui ne se superposent que très peu.
15D’un éléphant en rut parcourant la forêt, que Śiva tue de ses propres mains et qu’il écorche de son ongle, on passe à de terribles combats entre un démon-éléphant et un être divin. Ce qui semblait n’être qu’un symbole de puissance et marque d’un aspect terrible de la divinité s’insère alors dans une trame narrative dans laquelle l’animal de la forêt devient le terrible démon à combattre.
Deux traditions distinctes
16Dans les images pallava de Gajasaṃhāramūrti, la déesse est toujours représentée aux côtés du dieu, excepté sur la façade nord du sanctuaire de Mahendravarman III au Kailāsanātha (fig. 116). Effrayée, elle semble prendre la fuite, marchant à l’opposé de la scène qui se déroule devant ses yeux, une main parfois levée comme pour se protéger (fig. 117–119). Cet élément permet de rapprocher ces reliefs de la tradition d’abord apparue dans les œuvres de Kālidāsa, où Śiva danse, portant la peau de l’éléphant, sous « l’œil troublé par l’effroi » de la déesse, puis dans les hymnes du Tēvāram qui introduisent cette dernière comme un personnage indispensable, la présentant tour à tour comme la cause de l’acte de son époux et comme spectatrice. Les textes puraniques qui mettent en scène un démon-éléphant ne mentionnent pas la déesse.
17Il est fréquent, dans les reliefs qui nous occupent, de voir les mains de Śiva dépourvues d’armes, tenant simplement la dépouille de l’animal au-dessus de sa tête et sa défense dans l’une de ses mains (fig. 120–121). L’absence d’arme rappelle le Śiva des hymnes du Tēvāram dans lesquels le dieu vainc son adversaire à mains nues. En revanche, aucun texte, à ma connaissance, n’évoque le dieu une défense à la main, hormis les Āgama qui le décrivent ainsi, mais sans pour autant expliquer la présence de cet objet364. Or, il est permis de penser que la partie iconographique de ces traités a été élaborée sur la base de représentations déjà existantes (supra p. 74). Ne pourrait-on alors supposer que la présence de cette défense de l’éléphant vaincu dans la main du dieu est une innovation picturale, symbole de sa victoire, puisque les textes narratifs ou dévotionnels n’en font pas état et que les Āgama la mentionnent sans la justifier ?
18La plupart des représentations pallava de Gajasaṃhāramūrti semblent donc mettre en scène une forme de Śiva qui se rapproche de celles décrites dans les œuvres de Kālidāsa, dans les poèmes de Kāraikkālammaiyār et dans les hymnes du Tēvāram, textes qui ne font pas référence à un démon-éléphant. Ainsi ces reliefs véhiculeraient l’image d’un dieu à l’aspect « sauvage », dont sa coiffe témoigne, qui ne sauve pas le monde de la menace de démons mais qui anéantit un animal terrible rencontré au cours de ses errances. Cette idée est renforcée par les trois panneaux juxtaposés à l’arrière du temple d’Iṟavāttāṉeśvara (supra p. 142 et fig. 74) et probablement aussi à l’arrière de l’Amareśvara, qui illustrent trois moments de la vie du Śiva errant : le mendiant erre dans la forêt ou dans les villages et récolte des aumônes, se met à danser et tue l’éléphant en rut venu de la forêt ou échappé du temple.
19La maîtrise et la mise à mort de l’éléphant apparaissent comme un acte de bravoure, symbole de puissance et illustration de l’aspect terrible d’une divinité. Se vêtir de sa dépouille est également un geste hautement héroïque : la tradition insiste sur le fait que le sang de l’éléphant ronge la chair et que sa peau étouffe celui qui la porte.
20Deux représentations au Kailāsanātha, l’une sur la façade nord du sanctuaire, au-dessus de Gaṅgādharamūrti (fig. 122), et l’autre sur le mur d’enceinte sud, face au nord également (fig. 123), placent un trident dans les mains de la divinité. Elles diffèrent ainsi des autres reliefs pallava de cette figure dans lesquels Śiva ne porte pas d’arme. Ne pourrions-nous pas dès lors envisager, au sein même de l’iconographie pallava, deux formes de Śiva tuant l’éléphant ? Le dieu qui affronte à mains nues l’animal en rut de la forêt serait l’image la plus répandue, tandis qu’un Śiva vainqueur d’un démon se déssinerait parallèlement au Kailāsanātha. Le trident dans les mains évoque, en effet, le combat du dieu conte un démon-éléphant que les textes narratifs sanskrits content.
21Toutes les représentations de Gajasaṃhāramūrti sont des formes dansantes. Leur posture est proche de celle que l’on nomme « posture de l’archer », symbole de puissance guerrière, dans laquelle le dieu tend une jambe tandis que l’autre est fléchie, le pied posé le plus souvent sur la tête de l’éléphant. Seules les images de la deuxième moitié du VIIIe siècle présentent un Śiva dansant les deux jambes fléchies, les pieds au sol (fig. 124–125). La danse sur le corps de l’ennemi vaincu est une caractéristique que l’on retrouve dans d’autres reliefs, comme ceux de Kālārimūrti, apparaissant donc ici comme danse de victoire.
22En dernier lieu, je vais tenter de retracer l’apparition des représentations de cette forme afin de dégager la spécificité des images pallava. Un relief gupta identifié comme une Bhikṣāṭanamūrti, sur un linteau du temple de Devarānī à Tālā, dans le Dakṣiṇa Kosala (région actuelle de Chhattisgarh), représente selon moi le mythe de Śiva vainqueur de l’éléphant (supra p. 123–124). Le corps de l’animal disposé en arc de cercle autour de la divinité évoque la dépouille de l’animal écorché, que Śiva tiendra par la suite au-dessus de sa tête. Si mon identification est correcte, il s’agirait ici de la première représentation de cette forme, dans laquelle la peau de l’animal semble marquer l’aspect terrible et sanglant de la divinité plus qu’elle ne réfère à la narration d’un mythe à proprement parler.
23C’est encore la même idée qui semble se dessiner dans une représentation du temple de la même région, populairement nommé « Deur Mandir », à Malhār365. Bien que l’image soit abîmée, on reconnaît Śiva possédant probablement quatre bras, dépourvu d’armes, tenant au-dessus de lui la peau de l’éléphant. La posture de ses jambes est semblable à celle des premiers reliefs pallava de ce mythe et la déesse est introduite dans la scène. Elle est cependant assise et ne paraît pas le moins du monde effrayée par le spectacle auquel elle assiste. Cette image est disposée au sein d’une série qui occupe le jambage gauche de la porte d’entrée, à l’opposé de celle qui narre le mythe de la forêt de pin (supra p. 124–125). Au-dessus d’elle se trouve une image abîmée dans laquelle on distingue néanmoins un couple assis, probablement Śiva et Pārvatī. Au-dessous d’elle, Śiva danse les deux pieds au sol, accompagné de ses musiciens et peut-être de la déesse assise à ses pieds, resserrant ainsi le lien qui unit le meurtre de l’éléphant et la danse. Dans les deux représentations inférieures, Śiva et Pārvatī se marient puis se réjouissent assis sur le sommet de la montagne.
24Deux images, l’une à Elephanta et l’autre à Ellorā dans la grotte de Dumar Lena366, précèdent encore les représentations pallava. Śiva tue le démon Andhaka, recueillant son sang dans un bol, alors qu’il élève en même temps la peau de l’éléphant au-dessus de sa tête. Ces reliefs mettent donc en scène la version exposée dans le VhP 27.1–45, dans laquelle les mythes de Śiva tuant le démon Andhaka et de la mise à mort du démon-éléphant sont liés. Beaucoup de représentations postérieures dans le Deccan, en Orissa et en Inde septentrionale367 se constitueront sur un mode similaire.
25La représentation de Śiva vainqueur de l’éléphant comme mythe à part entière réapparaît donc chez les Pallava368. Deux types d’images semblent alors se dessiner : une divinité de la forêt qui tue à mains nues un éléphant quelconque ou échappé du temple, figure majoritaire, et une divinité victorieuse d’un démon, un trident à la main. La déesse, effrayée, est présente dans les deux cas, bien que les textes ne lui attribuent pas de rôle dans le deuxième. Or, les représentations postérieures de cet épisode, dès le début de l’époque cōḻa, voient peu à peu sa disparition, suggérant peut-être que la Gajasaṃhāramūrti, de la figure « sauvage » qu’elle incarnait chez les Pallava, devient peu à peu symbole de victoire sur un démon qui menace l’équilibre du monde, s’inspirant des Purāṇa dans lesquels la déesse s’est également effacée.
Kālārimūrti
26Rêve caressé par l’humanité, la victoire sur la mort elle-même compte parmi les exploits de Śiva. Les représentations pallava de ce mythe, qui occupent les façades nord des sanctuaires, mettent en scène le dieu dansant, victorieux, piétinant le dieu de la mort. Pourvu de quatre, six ou huit bras, Śiva lève l’une de ses jambes dont le pied s’apprête à retomber sur le corps du vaincu déjà à terre. Le trident est son attribut principal, souvent accompagné du lacet (fig. 126), parfois de la hache (fig. 127), ou remplacé par celle-ci (fig. 128–129). L’une de ses mains fait, dans certaines images, le geste de l’étonnement ou de l’accomplissement d’un acte merveilleux (vismaya), soulignant l’aspect miraculeux de son exploit (fig. 130–131). L’aspect terrible est pris en charge par l’index que le dieu pointe de temps en temps, mais surtout par le visage aux yeux globuleux et aux crocs de Śiva lui-même, qui semble se calquer sur celui de Kāla (fig. 126).
27C’est sous la dynastie des Pallava que la représentation de ce mythe semble apparaître pour la première fois. Précédant son installation sur les façades des temples construits, une Kālārimūrti occupe l’une des niches de la façade nord du Dharmarāja ratha369. La composition de ce relief est semblable à celle qui se retrouvera dans les monuments pallava du VIIIe siècle. Le crâne bien visible accroché à la coiffe du dieu marque ici son aspect terrible.
Une lisibilité non immédiate
28La légende de Śiva comme destructeur du dieu de la mort apparaît dans le Skandapurāṇa (SP 166.34 ff. et SKP I.1.32), le KP II.35.11 ff, le LP I.30 et le Viṣṇudharmottarapurāṇa (VdP) 1.236370. Alors que Kāla/Yama approche Śveta, figure brahmane ou royale selon les textes, celui-ci accomplit une ascèse ou adresse une fervente prière à Śiva. Le dieu intervient alors et anéantit Kāla, soit avec le feu issu de son œil (SKP ; VdP), soit par sa simple présence qui terrifie (LP), soit en l’écrasant (SP), soit encore d’un coup de pied (KP). Il semblerait que la version du mythe qui met en scène le dévot Mārkaṇḍeya, bien connue du pays tamoul, soit absente des Purāṇa sanskrits.
29La littérature dévotionnelle tamoule à partir des hymnes du Tēvāram ne cesse d’évoquer la légende de Śiva protégeant un jeune brahmane de l’attaque de Kāla. Śiva, nommé parfois Kālaṉ371, est le dieu de la mort pour le dieu de la mort lui-même (kālakālar dans 5–38–3 c, 7–53–2 b). Le texte précise souvent qu’il frappe Kāla de son pied afin de sauver le jeune brahmane engagé dans l’adoration du dieu : « [Ceci est] le lieu de celui au cou bleu qui, pour tuer, a donné un coup de pied à l’unique Kāla, empli de volonté, venu pour voler la vie du jeune bachelier engagé dans l’adoration [du dieu avec] des fleurs fraîches épanouies »372. La plupart du temps, ce jeune dévot est désigné comme : antaṇaṉ, « le gracieux, brahmane, sage » (6–83–9 c), maṟaiyōṉ, littéralement « celui qui a les textes secrets », qui désigne Brahmā, mais également un brahmane (7–28–3 b), māṇi, « étudiant, bachelier » (7–69–9 a). S’il est nommé Mārkaṇḍeya (Mārkaṇṭeya) à deux reprises seulement dans le corpus du Tēvāram373, en revanche il n’est jamais désigné sous le nom de Śveta, qui semble appartenir à la tradition sanskrite. De même, s’éloignant encore de cette dernière, la version tamoule stipule souvent que le dévot est un jeune homme, alors que dans les Purāṇa sanskrits, Śveta est présenté comme roi ou sage, impliquant qu’il s’agit déjà d’un homme et non plus d’un garçon.
30En dehors du pays tamoul, les premières représentations de ce mythe sont sculptées à Ellorā, dans le temple excavé no 15 (environ 725 ap. J.-C.), et au Kailāsanātha (deuxième moitié du VIIIe siècle). Le mode de composition des Kālārimūrti des pays cāḷukya et rāṣṭrakūṭa est radicalement différent de celui des reliefs pallava. Dans les premiers, Śiva sort du liṅga, un trident à la main qu’il plante dans la poitrine de Kāla, en accompagnant ce geste d’un coup de pied. L’une de ses jambes reste plantée dans le liṅga. Le dieu de la mort, debout ou à demi agenouillé, tient encore le lien enroulé autour du cou du dévot de Śiva. Cette composition, à caractère profondément narratif, met en scène le déroulement même du mythe auquel le spectateur a un accès immédiat.
31Ce n’est pas le cas des reliefs pallava qui les précèdent. Les représentations de ce mythe n’offrent pas la même lisibilité de la trame narrative. Śiva danse sur le corps d’un personnage dont l’aspect évoque celui d’un démon (fig. 132). Rien ne permet de déterminer s’il s’agit d’une simple forme dansante, de Kālārimūrti ou d’un autre mythe de Śiva terrassant un être maléfique. Cette ambiguïté engendre des premières interprétations erronées : A. Rea (1909 : 32) suggère un Śiva dansant sur le démon de la maladie, Vyādhi. De fait, seul un élément du relief de Kālārimūrti au temple d’Iṟavāttāṉeśvara (fig. 133) nous permet de rapprocher avec certitude cette forme dansante de cette légende : le petit personnage adorant le liṅga dans le coin supérieur gauche renvoie au dévot sauvé des griffes de Kāla.
32Ces images mettent un trident dans les mains de Śiva, bien que celui-ci ne l’utilise pas lorsqu’il piétine sa victime. Or, les textes cités ne mentionnent ni cette arme ni la danse sur le corps du vaincu. Le KP d’un côté et la tradition tamoule de l’autre insistent sur le coup de pied meurtrier, que les images cāḷukya et rāṣṭrakūṭa mettent en scène si clairement, s’inspirant peut-être du texte sanskrit. On peut alors en conclure que les images pallava ne semblent reposer sur aucune version textuelle précise, renvoyant à la légende du dévot sauvé, qu’il s’agisse du Śveta de la tradition sanskrite ou du Mārkaṇḍeya de la littérature tamoule, sans pour autant illustrer le déroulement du mythe. Ainsi apparaissent deux modes de représentation bien distincts : l’un inauguré par les Pallava, Śiva dansant sur sa victime, que suivra l’iconographie postérieure dans la même région374, et l’autre adopté par les Cāḷukya et les Rāṣṭrakūṭa, dans lequel le dieu est représenté jaillissant du liṅga. C’est le symbole de la victoire que les premiers ont choisi de privilégier, au détriment du développement de la trame narrative, faisant de cette image, comme nous allons maintenant le voir, un emblème de la royauté.
Un symbole de royauté
33Un premier niveau de lecture de ce mythe est tout d’abord l’expression de la supériorité de Śiva : il est le dieu de la mort pour le dieu de la mort lui-même, comme le répètent souvent les Purāṇa et le Tēvāram. Vaincre la mort — et d’un coup de pied ! — place Śiva au-dessus de tous et de tout, justifiant sa qualité de dieu suprême.
34Si ce mythe met l’accent sur la notion de dévotion profonde envers Śiva, les images pallava ne choisissent cependant pas d’illustrer cet aspect375. Malgré l’apparition du dévot en prière devant le liṅga à l’Iṟavāttāṉeśvara, rappelant l’acte de dévotion à l’origine de l’exploit divin, les reliefs placent la figure de Śiva au centre, occupant quasiment tout l’espace, et dansant sur le corps de son ennemi au sol. Le choix d’une forme dansante pour une représentation de Kālārimūrti apparaît ici comme révélateur : si la danse peut renvoyer au mendiant, errant, vivant dans les champs de crémation, elle est par ailleurs emblème de puissance et de triomphe (supra p. 164–169), mettant en valeur l’aspect victorieux de cette forme de Śiva. En outre, l’idée de conquête du dieu de la mort est reprise par le roi, qui assume, à l’instar de Śiva, le nom de Kālakāla376, devenant à son tour le dieu de la mort lui-même. Image de la puissance du dieu et de la conquête de ses ennemis les plus terribles, cette représentation devient également image de la puissance du roi qui s’assimile au dieu. Ces reliefs prennent donc naturellement leur place au nord, direction réservée aux thèmes guerriers, victorieux et royaux.
Notes de bas de page
344 Je remercie B. Dagens de m’avoir fait part de cette remarque.
345 paścād uccair bhujataruvanaṃ maṇḍalenābhilīnaḥ sāṃdhyaṃ tejaḥ pratinavajapāpuṣparaktam dadhānaḥ | nṛttārambhe hara paśupater ārdranāgājinecchāṃ śāntodvegastimitanayanaṃ dṛṣṭabhaktis bhavānyā | |
Meghadūta 36, traduction Assier de Pompignan, p. 14.
346 tvam eva tāvat paricintaya svayaṃ kadācid ete yadi yogam arhataḥ | vadhūdukūlaṃ kalahaṃsalakṣaṇaṃ gajājinaṃ śoṇitabinduvarṣi ca | |
Kumārasambhava V.67, traduction B. Tubini, p. 114.
347 babhūva bhasmaiva sitāṅgarāgaḥ kapālam evāmalaśekharaśrīḥ |
upāntabhāgeṣu ca rocanāṅko gajājinasyaiva dukūlabhāvaḥ | |
Kumārasambhava VII.32, traduction B. Tubini, p. 146.
348 matiyiṉ veṇ tōṭu cūṭum ceṉṉi
nutal kiḻittu viḻitta imaiyā nāṭṭattu
pavaḷa vāycci tavaḷa vāḷ nakaicci
nañcu uṇṭu kaṟutta kaṇṭi vem ciṉattu
aravu nāṇ pūṭṭi neṭu malai vaḷai tōḷ
tuḷaiya eyiṟṟu uraka kaccu uṭai mulaicci
vaḷaiyuṭai kaiyiṟ cūlam ēnti
kariyiṉ urivai pōrttu aṇaṅkiya
ariyiṉ urivai mēkalai āṭṭi
Cilappatikāram 12.54–62.
349 āṉai tōl pōrttu puliyiṉ uri uṭuttu
kāṉattu erumai karum talai mēl niṉṟāyāl
vāṉōr vaṇaṅka maṟai mēl maṟai āki
ñāṉa koḻuntāy naṭukkiṉṟi ēya niṉṟāy
Cilappatikāram 12, strophe 7.
350 kālī tadā kālaniśāprakāśaṃ śūlaṃ kapālabharaṇā kareṇa |
prakaṃpayaṃtī ca tadā sureṃdrān mahāsurāsṛṅmadhupānamattā | |
mattebhagāmī madalolanetrā mattaiḥ piśācaiś ca gaṇaiś ca mattaiḥ |
mattebhacarmāṃbaraveṣṭitāṃgī yayau purastāc ca gaṇeśvarasya | |
LP I.72.66–67. Cette description prend place après la construction du char de Tripurāntaka : les dieux se rassemblent pour partir au combat.
351 mēlāya mēkaṅkaḷ kuṭiyōr poṉ vilaṅkal
pōlām oḷi puṭaittāl ovvātē — mālāya
kai mā mata kaḷiṟṟu kār urivai pōrtta pōtu
ammāṉ tiru mēṉi aṉṟu
« Le Poème de l’Admirable », strophe 60, traduction de Karavelane (1982 : 36).
Voir aussi « Le Poème de l’Admirable », strophe 7 et « Le Double Collier de Gemmes », strophe 16.
352 kai āṭiya kēṭu il kari uri mūṭiya oruvaṉ (1–15–1 b)
« L’Unique s’est couvert de la peau d’un éléphant jamais destitué qui fait danser sa trompe. »
353 […] kari kīṟiya kaiyāṉ (1–31–5 b)
« Celui aux mains qui déchirent l’éléphant » ;
matta mata kariyai malaiyāṉ makaḷ añca aṉṟu kaiyāl
metta uritta eṅkaḷ vimalaṉ virumpum iṭam (1–106–2 ab)
« [Ceci est] le lieu que notre Immaculé désire, [lui] qui a vaillament dépouillé avec ses mains un fort éléphant furieux pour effrayer la fille de la montagne. »
354 […] ukir taṉṉāl
poru vem kaḷiṟu piḷiṟa urittu […] (1–74–2 bc)
« Avec son ongle, il a dépouillé l’éléphant cruel et batailleur pendant qu’il rugit. »
355 […] vilaṅkal mali kāṉil
kāyum aṭu tiṇ kariyiṉ īr urivai pōrttavaṉ ; […] (3–81–5 ab)
« Celui qui s’est couvert de la peau humide d’un éléphant furieux, meurtrier et puissant, [vivant] dans la forêt emplie de collines. »
356 valli nuṇ iṭaiyāḷ umai avaḷ taṉṉai maṟuku iṭa varu mata kaḷiṟṟiṉai mayaṅka
ollaiyil piṭittu aṅku urittu avaḷ veruval keṭuttavar ; […] (1–75–7 ab)
« Il saisit promptement, afin de le dérouter, l’éléphant en rut venu pour troubler Umā à la taille fine comme une plante grimpante ; il le dépouilla ici, [et] apaisa la frayeur [de son épouse] ».
357 Il est très difficile de différencier ici les deux derniers cas de figure. En effet le tamoul emploie l’infinitif pour marquer aussi bien le but que la simultanéité de deux actions. Il est donc possible que Śiva dépouille l’éléphant afin d’effrayer Umā ou qu’il accomplisse cet exploit pendant qu’Umā est effrayée par ce spectacle.
[…] naṭuṅkum malaiyāṉ makaḷ
añca vēḻam uritta perumāṉ amarum iṭam […] (2–117–4 ab)
Ce passage peut se lire : « [Ceci est] le lieu où réside notre Seigneur qui a dépouillé l’éléphant pour que la fille de la montagne tremblante soit effrayée » ou « [Ceci est] le lieu où réside notre Seigneur qui a dépouillé l’éléphant pendant que la fille de la montagne tremblante est effrayée ».
Nous trouvons cependant certains passages dans lesquels il semble clair qu’Umā est effrayée par ce spectacle sanglant. Par exemple :
mattakaḷiṟṟu uri pōrkka kaṇṭu mātu umai pētu uṟalum,
cittam teḷiya niṉṟu āṭi […] (3–100–3 ab)
« Le voyant se couvrit de la peau de l’éléphant en rut, la jeune femme Umā fut troublée. Il dansa pour éclaircir son esprit. », traduction U. Veluppillai, mémoire de DEA.
358 […] arivai añca
veṉ paṉai taṭa kai vēḷvi kaḷiṟṟiṉai uritta eṅkaḷ
aṉpaṉai […] (4–74–2 bcd).
359 taṅkiya mā tavattiṉ taḻal vēḷviyiṉ niṉṟu eḻunta
ciṅkamum nīḷ puliyum ceḻu māl kariyōṭu alaṟa
poṅkiya pōr purintu piḷantu īruri pōrttatu eṉṉai ? (7–99–6 abc)
Traduction D. D. Shulman (1990 : 619).
360 kampa mā kari uritta kāpāli […] (2–40–1 c)
« Le kāpāli a dépouillé le grand éléphant du poteau. »
Pour ce vers, V. M. Subramanya Aiyar (Digital Tēvāram) traduit « un éléphant attaché à un poteau » et ajoute qu’il s’agit de l’éléphant sorti du feu sacrificiel allumé par les sages de la forêt. Cependant, rien ici ne nous permet de rattacher cet éléphant du poteau (ou attaché à un poteau) avec le feu sacrificiel des sages. Pour d’autres occurrences de l’éléphant au poteau voir 6–79–6 d, 7–55–10 a.
361 […] veyya maḻu vīci vēḻam uri pōrttu
ē ivar āṭum āṟum ivaḷ kāṇum āṟum ! […] (4–8–3 cd)
« Il danse, se couvrant de la peau de l’éléphant, agitant un tison brûlant, et elle le regarde. »
ēṉa veṇ maruppōṭu eṉpu pūṇṭu eḻil
āṉai īr uri pōrttu aṉal āṭilum (5–97–9 ab)
« Il danse même dans le feu, s’étant couvert de la peau humide du bel éléphant, portant des os et la blanche défense du sanglier. »
362 kai vēḻam mukattavaṉai paṭaittār pōlum ; kaya curaṉai avaṉāl koḷvittār pōlum ; (6–53–4 a).
363 R. Dessigane et P. Z. Pattabiramin (1967 : Livre VI, chapitre 14, 201–205).
364 Voir, par exemple, Kāraṇāgama II.77.2–13 ; Śilparatna et Aṃśumadbhedāgama, cités dans T. A. G. Rao (1914, réimpression 1968 : vol. II, part II, 76–78).
365 Je remercie N. Bosma, qui devrait prochainement publier ses photographies, de m’avoir communiqué les images de ce relief.
366 Voir T. E. Donaldson (2007 : fig. 214 et C-72).
367 Voir C. Sivaramamurti (1950 : 59–60, plates XXIV C et XXIV D) et T. E. Donaldson (2007 : C-67, C-73 et fig. 215).
368 Comme le souligne C. Sivaramamurti (1950 : 59), cette tradition continue d’affleurer, en dehors du Tamil Nad, dans certains reliefs cāḷukya et dans les représentations d’Haḷebīḍu et de Belūr.
369 K. R. Srinivasan (1975 : 28, pl. XV a).
370 Quelques Purāṇa mentionnent Śiva comme destructeur du dieu de la mort, à travers des noms qui lui sont attribués : par exemple, Kāladahana (KP I.30.51), Antakaghātin (MP 133.23), Antakāntakṛt (Brahmāpurāṇa [BP] III.35.11). Au cours d’un éloge de Brahmā à Śiva, on lit : « Hommage à celui qui cause la mort de Kāla, qui est le Temps, qui porte des serpents noirs, Hommage au Seigneur suprême et omniprésent » (kālāṃtakāya kālāya kālabhogidharāya ca | namas te parameśāya sarvatra vyāpine namaḥ | | ŚP, Rudrasaṃhitā, V.13.26). Ces occurrences sont données dans N. R. Bhatt (2000 : 172). Pour les références aux textes qui mettent en scène cette légende, dans laquelle Śveta est le dévot, voir P. Bisschop (2006 : 279).
371 […] paṇṭu vem kūṟṟū utaittu aṭiyavarkku aruḷum
kālaṉ ām […] (1–76–3 ab)
« Celui qui est le dieu de la mort, jadis, ayant donné un coup de pied au cruel dieu de la mort, accorde la grâce à ses dévots. »
372 manta malar koṇṭu vaḻipāṭu ceyum māṇi uyir vavva maṉamāy
vanta oru kālaṉ uyir māḷa utai ceyta maṇikaṇṭaṉ iṭam (3–77–6 ab).
373 4–31–9 ; 4–65–1. Alors que cette légende impliquant le jeune Mārkaṇḍeya (Mārkaṇṭeya) ne trouvait pas sa place dans les Purāṇa sanskrits, elle est longuement détaillée dans le Kantapurāṇam. Le sage Mṛkaṇḍu (Mṛkaṇṭu), à la suite d’une ascèse, obtient un fils par la grâce de Śiva. Il préfère un seul enfant remarquablement intelligent dont la durée de vie est limitée à seize ans à une multitude de fils dépourvus de qualités. L’enfant grandit, dévoué à Śiva. À l’approche de ses seize ans, son destin lui est révélé et le jeune homme décide de se consacrer entièrement à l’adoration de son dieu. Alors qu’il est absorbé dans une profonde prière, le dieu de la mort s’approche. Mais Mārkaṇḍeya s’accroche au liṅga qu’il adore. Furieux qu’un de ses dévots soit ainsi maltraité en pleine dévotion, Śiva sort du liṅga et tue Kāla, d’un coup de pied dans la poitrine. Le dieu suprême accorde une vie prolongée à Mārkaṇḍeya. R. Dessigane et P. Z. Pattabiramin (1967), Livre II, « Les Acurar », chapitre 6, strophes 1 à 168.
374 Les reliefs cōḻa reprennent ce mode de représentation mis en place par leurs prédécesseurs. Des petits bas-reliefs disposés de chaque côté de la niche évoquent parfois le contexte : au Bṛhadīśvara de Tanjavur, à la gauche de Śiva dansant sur Kāla, le dieu de la mort se précipite vers le dévot, accroché au liṅga, représenté de l’autre côté (F. L’Hernault [2002 : plate 2]). Le même type d’image se retrouve dans le temple de Nāgeśvara à Pratakota (district de Kurnool, Andhra Pradesh), où Śiva danse au centre, un trident dans les mains. À sa droite, le dévot s’accroche au liṅga et, non loin de lui, un personnage debout en āñjali pourrait être envisagé comme une double représentation de celui-ci, libéré. À la gauche de Śiva, deux démons brandissent des armes, incarnant peut-être les envoyés de Kāla s’approchant. Voir B. Dagens (1984 : 236, ph. 61). Ce temple daterait des IXe–Xe siècles. Je remercie l’auteur de m’avoir signalé cette représentation.
375 Cette idée sera prise en charge par d’autres représentations telles que Rāvaṇa dévot de Śiva, Viṣṇu offrant son œil ou Caṇḍeśa coupant la jambe de son père.
376 Voir inscriptions de Narasiṃhavarman II Rājasiṃha au temple du Kailāsanātha sur l’un des templions extérieurs (IP no 58), au Temple du Rivage (IP no 60) et à Cāḷuvaṅkkuppam (IP no 64).
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012