Chapitre I. Le Śiva au banian
p. 79-113
Texte intégral
1Śiva enseignant assis sous un arbre banian et entouré de sages se présente comme l’une des formes incontournables du dieu dans les sanctuaires de l’Inde méridionale. Cette image apparaît probablement pour la première fois dans l’iconographie pallava et ce n’est que quatre ou cinq siècles plus tard qu’on la trouve décrite et fixée dans les Āgama sous le nom de Dakṣiṇāmūrti : la « forme du/au Sud ». Śiva assis sous l’arbre banian est une figure qui ne semble évoluer que très peu dès lors qu’elle est créée. Malgré l’apparente simplicité et homogénéité de cette représentation, sa conception semble résulter de plusieurs mouvements complexes et parfois difficiles à démêler. Je vais tenter ici de définir le contexte de l’apparition de cette image et de retracer, dans la mesure du possible, les diverses influences qui ont contribué à son élaboration.
2Śiva enseignant se retrouve dans la niche centrale des façades sud de tous les temples pallava construits. Le dieu est assis sur un banc, la jambe gauche repliée et posée sur la jambe droite dont le pied est au sol. Le bas de son corps est présenté de profil tandis que son buste nous fait face. Un lien de yoga entoure la jambe pliée et la taille, marquant l’aspect ascétique de cette figure. Un vêtement, dont les pans retombent sur le sol, est noué autour des hanches (fig. 22). Seule la représentation du Mukteśvara (fig. 23) adopte une posture quelque peu différente : entièrement de face, le dieu replie sa jambe gauche verticalement, le pied posé directement sur le siège174. La chevelure de Śiva, symbolisant l’aspect sauvage et ascétique de la divinité, est déliée et retombe en larges masses sur ses épaules tandis qu’un petit chignon pointu occupe le sommet de son crâne. Cet aspect est accentué par l’entourage du dieu placé sous un arbre parfois peuplé d’oiseaux (perroquets et hiboux bien visibles au Kailāsanātha, fig. 26), des gazelles à ses pieds, des lions assis de chaque côté, des lotus, un serpent qui s’approche de l’une de ses mains, éléments révélateurs d’un environnement forestier (fig. 27–30). Des couples célestes, kiṃnara le plus souvent à sa droite et personnages grassouillets à sa gauche, sont disposés de chaque côté de la tête de Śiva. Dans la majorité des reliefs, quatre disciples à l’aspect ascétique sont assis à ses pieds pour recevoir son enseignement. Groupés par deux, celui du premier plan semble recevoir directement le savoir du guru puis le transmet au personnage du second plan qui doit être son propre disciple (fig. 31–32). Le dieu est paré de bijoux simples : rangées de bracelets, colliers, grosses boucles d’oreilles rondes, cordon sacré. Śiva enseignant est une forme que l’on peut qualifier de bénéfique en général175 malgré les crocs qu’il arbore au Kailasanātha. Mais il semble que ce soit l’une des particularités des images de ce monument qui reste inexpliquée, car toutes les figures du sanctuaire principal de ce temple — et peut-être aussi du mur d’enceinte — sont représentées avec des crocs, qu’elles soient bénéfiques ou terribles.
3Enfin, le Śiva assis sous le banian est invariablement pourvu de quatre bras. Sa main gauche supérieure enserre le manche de la torche176 tandis que la main supérieure droite revient vers l’épaule, tenant parfois un rosaire. L’une des mains inférieures fait un geste dans lequel le pouce, l’index et le majeur sont repliés tandis que l’annulaire et l’auriculaire sont tendus. Cette mudrā n’est pas répertoriée dans les ouvrages qui traitent d’iconographie, mais je propose de la considérer comme un geste de la connaissance177. La représentation du Mukteśvara (fig. 23) est, à cet endroit encore, différente des autres : il est difficile de déterminer si la main esquisse la même geste de la connaissance ou bien si tous les doigts sont repliés. En outre, la main gauche inférieure tient le livre, qui n’apparaît jamais dans les représentations de la première moitié du VIIIe siècle.
Le dieu au banian : une origine tamoule ?
La littérature du caṅkam
4C’est dans la littérature tamoule des premiers siècles de notre ère, et non dans la littérature sanskrite qui semble l’ignorer, que la figure d’un dieu terrible indéfini qui habite un arbre banian se dessine.
5« The dreadful god in the Māram tree of the village common torments the faithless ones, they say »178.
6Dans les textes postérieurs au Kuṟuntokai cette association entre dieu et arbre continue d’être présente. La divinité est alors souvent désignée par « ālamar celvaṉ » ou une formule qui s’en rapproche. āl renvoie à l’arbre banian, amar est le verbe « résider, demeurer, être assis », et celvaṉ signifie littéralement « le Fortuné », mais évoque souvent le dieu lui-même. Le verbe amar ne marque pas la situation de ce dieu par rapport à l’arbre banian. Il peut être dessus, dessous, dedans. La formule pourrait donc signifier « le dieu dans l’arbre banian », « le dieu sur l’arbre banian », « le dieu sous l’arbre banian » ou encore « le dieu assis sous l’arbre banian ». Ne pouvant trancher, je retiendrai simplement l’idée d’un dieu associé à l’arbre banian. Car, s’il est clair qu’à une époque tardive cette formule désigne le dieu assis sous un arbre, il est impossible de l’affirmer dans un contexte plus ancien, antérieur à l’élaboration de cette figure aujourd’hui familière.
7Le dieu associé à l’arbre banian (ālamar katavuḷ) dans le Puṟanāṉūṟu n’est pas défini, pouvant renvoyer à n’importe quelle divinité : « Je vois l’illustre personne, éclatante, [portant] la lance et tes richesses comme le seigneur associé à l’arbre banian »179. Ce n’est cependant plus le cas dans les textes postérieurs. La formule « ālamar celvaṉ » renvoie, en effet, au père de Murukaṉ dans le Cilappatikāram : « Le fils du dieu associé au banian est venu avec des joyaux éclatants, sur (un animal) aux ailes bleues »180, dans le Maṇimēkalai : « Voyez les préparatifs de la fête du fils de celui qui est associé à un arbre banian »181, dans le Kalittokai : « Regardant rapidement et considérant [cela] comme le début de la fête du fils, abondamment orné, de celui qui est associé à l’arbre banian, d’une renommée croissante parmi celles aux yeux qui se meuvent au travers des fenêtres, comme les chauve-souris dans une rangée de lotus bleus échevelés par le vent qui se lève »182 et dans le Tirumurukāṟṟupaṭai : « Ô fils du dieu associé au banian, garçon de la fille de la montagne aux hautes chaînes, Ô mort de tes adversaires ! »183.
8Ces allusions à un dieu associé à l’arbre banian restent donc ponctuelles et peu développées dans la littérature du caṅkam et les épopées tamoules. Si dans les strates les plus anciennes de ce corpus l’association d’une divinité terrible non définie et de l’arbre banian était née, il semble qu’elle évolue au cours des siècles. D’une divinité locale et populaire terrible logée dans l’arbre banian telle qu’elle apparaît dans le Kuṟuntokai, on glisse peu à peu vers un dieu mieux défini, jamais nommé cependant mais désigné comme père de Murukaṉ, que l’on peut, en fin de compte, identifier comme Śiva lui-même. Nous allons voir que cette tension entre une divinité locale attachée à l’arbre banian et l’identification de cette divinité comme Śiva ne se résout pas entièrement dans le Tēvāram, bien que cette forme soit parfaitement établie dans ces hymnes.
Le Tēvāram
9Les hymnes du Tēvāram louent Śiva dont l’un des aspects consiste à s’asseoir à l’ombre d’un arbre banian en compagnie de ses disciples afin de leur enseigner les textes sacrés. Or, une tension entre un dieu « importé » dans le Sud mais reconnu à cette époque, Śiva, et des divinités locales attachées à un lieu sans être véritablement définies, semble être à l’œuvre dans ces hymnes184. Śiva y est rarement nommé, se définissant toujours selon le lieu auquel il appartient, comme s’il venait se calquer sur des divinités locales, s’incarner en elles, résolvant ainsi un conflit entre une religion brahmanique et une religion locale185. S’appuyant sur cette idée, on pourrait ainsi envisager que la divinité terrible de village associée à l’arbre banian dans la littérature du caṅkam se modifie sous l’impulsion de différents facteurs, que je décrirai plus loin, pour donner lieu à un Śiva au banian, figure de l’enseignant, localisé en pays tamoul.
10C’est dans les hymnes du Tēvāram que le dieu — Śiva le non-nommé — apparaît clairement pour la première fois enseignant à des sages sous l’arbre banian. Ses nombreuses descriptions se rapprochent de manière parfois frappante des images qui apparaissent sur les façades des temples structuraux pallava. Assis à l’ombre d’un arbre banian (āl, vaṭam, kallāl, vaṭaviṭavi), le dieu expose les Veda ou les textes sacrés en général186. Il est souvent dit que Śiva dispense son enseignement aux « Quatre » (nālvar)187. Ils peuvent être groupés par deux : « [À] Miḻalai, les perroquets parlent du sens des Veda, dans le bosquet empli de miel, après avoir entendu le son des récitations des Veda pratiquées pendant de nombreux jours par les sages à la renommée bien établie — [à Miḻalai se trouve] le temple où celui qui livre le chemin empli de lumière a pris position, se tenant sous un arbre banian aux racines aériennes, à la gloire ascendante, ici, prenant pitié des deux et deux, se tenant debout, exposant les quatre Veda de manière appropriée »188. Bien que dans ce poème le dieu se tienne debout alors qu’il est généralement assis dans les reliefs (quelques représentations sur lesquelles je reviendrai le montrent cependant en marche, infra p. 107–113), les images pallava sont ici en accord sur la présence des disciples, assis deux par deux. Seul le bas-relief de la façade sud de l’Iṟavāttāṉeśvara en place trois de chaque côté de Śiva (fig. 33).
11D’autres correspondances sont à remarquer, comme les perroquets de 1–132–1 cité ci-dessus, que l’on retrouve perchés dans l’arbre du relief du sanctuaire du Kailāsanātha (fig. 26 [p. 81]). Les gazelles, les lions, les serpents et les êtres célestes qui accompagnent le dieu dans toutes les représentations pallava entourent aussi la figure divine dans plusieurs hymnes : « [A Pūvaṇam], en ce jour, les chemins devenant des mots sans être prononcés apparaissent encore et encore aux « Quatre » [connaisseurs] des beaux textes secrets qui apparaissent, assemblés, à l’ombre d’un arbre kallāl ; [A Pūvaṇam] apparaissent encore et encore le serpent qui se love et la jeune gazelle »189 ; « Il prononce le dharma à l’ombre d’un beau banian, pendant que les beaux kiṃnara aux oreilles percées, le tigre, le serpent qui mord, le lion difficile à attraper et les grands ascètes sans défauts assemblés, l’écoutent ; ayant entendu moi aussi la joie obtenue par ceux qui ont accompli des fautes190 j’atteins ta paire de pieds — il est celui de la Tiruniṉṟiyūr du Sud, répandant dans le monde la renommée accomplie des brahmanes »191. Beaucoup des éléments qui composent les reliefs étudiés se retrouvent dans ces hymnes, mais il est impossible de déterminer lesquels ont la primauté car, si l’on peut dater les temples pallava, la datation du Tēvāram reste incertaine. On pourrait encore postuler que représentations et hymnes ont puisé tous deux à une tradition commune, qui se concrétise parallèlement dans la pierre et dans les mots.
Fig. 33 : Le dieu au banian, façade sud du sanctuaire, Iṟavāttāṉeśvara, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2005).
Fig. 34 : Le dieu au banian, façade sud du templion G, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
12Le dieu enseigne les textes secrets et les moyens d’atteindre la libération aux sages qui peuvent avoir l’esprit troublé192, puis une fois l’esprit clarifié, ayant atteint la conscience (2–30–1), ils auront ensuite comme devoir de transférer ce savoir jusqu’à nous. Dans les représentations du temple du Kailāsanātha (fig. 31–32, 34–35) et de l’Iṟavāttāṉeśvara (fig. 33), les sages du premier plan ont la bouche ouverte, comme s’ils enseignaient à leurs propres disciples après avoir reçu l’enseignement de Śiva en personne : la transmission du savoir est mise en scène. Dans le temple de l’Airāvateśvara, Śiva s’incarne en professeur pour livrer la connaissance au monde des hommes, représenté par deux dévots agenouillés les mains jointes sur la poitrine, mais également au monde des dieux, symbolisé par Brahmā et Viṣṇu, debout en prière de chaque côté (fig. 36). Alors que généralement l’accent est mis sur la transmission de la connaissance, ici, la représentation insiste sur l’adoration de cette incarnation de Śiva dans la personne du guru.
13Bien que la correspondance entre image et texte soit, dans le cas du dieu au banian et du Tēvāram, assez précise, sa position au sud n’est évoquée qu’une fois à ma connaissance : « Ô celui qui a trois yeux ! celui qui est Premier ! celui qui a engendré lui-même Murukaṉ ! celui qui est au sud (takkaṇā) ! celui qui est le dharma ! celui qui est l’ultime réalité ! celui qui s’est tenu droit comme une flamme qui ne tremble pas, quand les deux t’ont adoré avec les mains et les épaules jointes, disant
Fig. 35 : Disciples aux pieds du dieu au banian, façade sud du templion G, Kailasanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2007).
Fig. 36 : Viṣṇu et dévot à la gauche du dieu au banian, Airāvateśvara, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2005).
14« Ô grand frère » ! »193. Mais takkaṇā ne réfère pas forcément à celui qui enseigne sous l’arbre banian. Il pourrait tout simplement s’agir d’un Śiva du Sud. Ainsi, seule la question de la direction est mise de côté dans les hymnes alors que les reliefs sont invariablement tournés vers le sud, et ce dès leur apparition, laissant dès lors supposer que c’est un trait particulier de l’image physique.
15Le nombre important d’occurrences de cette forme dans le Tēvāram et leur apparition, parallèlement, sur les façades des temples pallava est un reflet de l’émergence de cette conception du Śiva enseignant en pays tamoul. Si une divinité et l’arbre banian sont associés depuis déjà longtemps dans la tradition tamoule, Śiva devient ici non seulement celui qui prend place sous cet arbre, mais également celui qui enseigne le savoir sacré, le chemin du dharma, aux dieux comme aux « êtres éminents », qui le transmettront ensuite eux-mêmes aux êtres humains. Il devient ainsi le garant de la transmission du savoir sacré.
Les textes sanskrits
16Le Śiva enseignant sous l’arbre banian est un concept qui semble étranger à la littérature sanskrite194. Si le Kumārasambhava de Kālidāsa n’évoque pas de figure enseignante sous un arbre, il décrit en revanche Śiva en méditation pendant que Kāma guette le moment propice pour décocher sa flèche :
17« Celui dont le corps allait être détruit vit le Dieu aux trois yeux, toute passion domptée, assis au pied d’un déodar, sur un sol recouvert d’une peau de tigre. Il avait l’attitude des ascètes en méditation, la partie supérieure du corps droite, large, les deux épaules basses ; posées au milieu des genoux, les deux mains étendues, montraient les paumes et semblaient un lotus épanoui. Un serpent dressait la masse des cheveux tressés, la double rangée des grains d’un rosaire s’attachait aux oreilles ; son vêtement était une peau d’antilope noire, retenue par des liens, qui empruntait une couleur de saphire à l’éclat du cou. Il ne fronçait plus les sourcils, les cils ne palpitaient plus : ses yeux, le feu intense des pupilles quelque peu atténué, abaissaient leur regard sur le nez. »195.
18Les Purāṇa sanskrits reprennent le même schéma que celui du texte de Kālidāsa196. Le Śiva en méditation de ces textes partage certaines caractéristiques avec les reliefs pallava : il est assis sous un arbre, en posture de yoga. Cependant, dans nos représentations, Śiva n’est pas absorbé dans sa méditation mais enseigne. Cette constatation permet de supposer alors une origine méridionale de ce dieu enseignant sous le banian — dont les images prolifèrent dans la littérature tamoule — qui vient occuper les façades des temples dès la fin du VII e siècle.
19Dans les traités sanskrits les plus anciens du Śaivasiddhānta, le terme dakṣiṇamūrti apparaît : Svāyambhuvasūtrasaṅgraha (ch. 16, v. 16 et ch. 12, v. 11), Sarvajñānottara (ch. 10, v. 11), Niśvāsamukha (qui paraphrase le Pāśupatasūtra, ch. 4), Kiraṇāgama (ch. 14, v. 2)197 et Mṛgendrāgama (Kp. 7.61–62 et Kp. 8.200). Cependant, dans ces ouvrages, la forme de Dakṣiṇāmūrti n’est pas décrite. Ce terme n’apparaît pas en faisant référence à la forme iconographique de Śiva que nous connaissons, mais probablement dans le même sens que lorsqu’il apparaît dans le Pāśupatasūtra, afin de marquer une situation : « à la droite de » ou « au sud de », comme le démontre H. Bakker (2001 et 2004).
20À partir du XIe siècle environ, les Āgama décrivent fréquemment la forme du Śiva enseignant assis sous un arbre et la nomment Dakṣiṇāmūrti198. On remarque parfois la ressemblance entre ces descriptions et celles qu’offrent les textes mythologiques et littéraires sanskrits cités ci-dessus de Śiva en méditation avant qu’il ne brûle Kāma199. Il semble donc que le mythe du dieu destructeur de Kāma se soit associé peu à peu au Śiva enseignant sous l’arbre banian en Inde méridionale. Le Kantapurāṇam tamoul, au XIIe siècle, est un exemple significatif de ce phénomène. Les quatre sages — Caṉakaṉ, Caṉantaṉaṉ, Caṉātaṉaṉ et Caṉaṟkumāraṉ — se rendent auprès de Śiva afin de parfaire leur connaissance spirituelle. Le dieu commence par l’exposition des Veda et des Āgama, puis, pour la dernière partie de son enseignement qui ne peut être transmise que par le silence, entre en méditation. Profitant de ce répit, le démon Cūraṉ se met à tourmenter les mondes. Les dieux envoient alors Kāma afin de troubler l’ascèse de Śiva pour qu’il s’unisse à Pārvatī et offre une descendance capable d’anéantir le démon. Mais, interrompu, Śiva brûle Kāma et replonge immédiatement dans sa méditation. Seules les louanges des dieux en détresse vont pouvoir l’en tirer200. Le personnage de Śiva enseignant et son acte d’enseignement lui-même, sont ici entièrement intégrés à la légende de Kāma : ils en sont devenus une part essentielle. Cette relation, qui n’est jamais suggérée dans les représentations pallava ni, parallèlement, dans les textes plus ou moins contemporains de cette image, est donc intégrée au concept du Dakṣiṇāmūrti cōḻa tardif201.
Les ancêtres du Śiva Dakṣiṇāmūrti
21Bien que les premières formes du Śiva enseignant sous l’arbre banian apparaissent sur les façades des temples pallava, deux reliefs gupta méritent cependant d’être discutés. Le premier est une terre cuite en partie détruite identifiée par V. S. Agrawala (1948 : 167–170, fig. 3) et J. C. Harle (1974 : 56, plate 140) comme une forme de Dakṣiṇāmūrti. Elle provient d’un temple de Śiva dans la ville d’Ahichchatrā (district de Bareilly, Uttar Pradesh) et se trouve aujourd’hui au Musée National de Delhi. Datée des Ve–VIe siècles, elle a été retrouvée parmi tout un groupe de représentations śivaïtes narratives supposées, assez rares encore à cette époque. Le personnage central, assis, replie la jambe gauche sur son siège, tandis que la droite est cassée. Sa main droite inférieure manque et V. S. Agrawala identifie un rosaire dans la main droite supérieure, identification cependant discutable à cause du mauvais état du panneau. Sa main gauche inférieure est posée sur sa hanche, et la gauche supérieure tient, à même la paume, une plante dans un pot. Cette divinité est parée d’un épais cordon sacré et de vêtements noués autour des hanches. Sa chevelure est attachée sur le dessus de la tête en un large nœud. Au niveau de son coude gauche, une femme de petite taille, dont on ne perçoit que le buste, joint les mains au niveau de la poitrine. Elle est lourdement ornée de bracelets, vêtements et boucles d’oreille. Au-dessus d’elle, un personnage à deux bras et aux longs cheveux bouclés penche sa tête vers le dieu et sourit. Il porte de larges boucles d’oreille, des colliers, un cordon sacré et des bracelets.
Fig. 37 : La destruction de Kāma, pilier dans le maṇḍapa du temple d’Airāvateśvara, Darasuram (cliché V. Gillet, 2008).
22Si J. C. Harle ne justifie pas l’identification de cette forme — il précise seulement que la représentation d’une plante dans un pot est une chose rare — V. S. Agrawala (1948 : 169– 170), en revanche, argumente son interprétation. Le rosaire et le vase, la coiffe et l’attitude de repos de la divinité le conduisent à associer cette forme avec celle de Dakṣiṇāmūrti. Se référant au Kumārasambhava, il identifie le personnage féminin comme Pārvatī202 qui attend près de Śiva alors qu’il est en méditation. L’auteur ajoute que Śiva en tant que Kāmāntaka se présente sous sa forme de Dakṣiṇāmūrti, aspect de la connaissance et du pouvoir yogique. Or, comme je l’ai signalé plus haut (supra p. 93–94), cette association entre le dieu au banian, figure enseignante tournée vers le sud, et Kāmāntaka est postérieure aux représentations pallava. Elle n’existe donc probablement pas encore à l’époque gupta, ce que vient confirmer cette terre cuite qui ne semble pas mettre en scène la transmission d’un savoir. Le rosaire, si rosaire il y a, n’est pas un attribut suffisant pour qualifier ce dieu de divinité enseignante. Il n’y a pas de disciples, mais une femme. L’arbre n’apparaît pas. Il faut donc rejeter l’hypothèse d’une forme de Dakṣiṇāmūrti, puisque les caractéristiques principales qui la constituent sont absentes. En revanche, je ne réfuterais pas entièrement la suggestion de V. S. Agrawala, car ses arguments peuvent bien conduire, à mon sens, à l’identification de cette représentation comme le mythe de la mise à mort de Kāma. En effet, la présence d’un dieu assis, en compagnie de deux personnages, l’un féminin et l’autre masculin, qui peuvent être envisagés respectivement comme Pārvatī et Kāma, pourraient bien y faire référence.
23La deuxième représentation qui va retenir mon attention apparaît en contexte viṣṇuïte, sur la façade est du temple gupta de Deogarh, daté environ du VI e siècle203. Le dieu principal, coiffé d’un jaṭā-makuṭa, est assis à gauche du panneau, la jambe droite repliée à plat sur son siège et la gauche posée au sol. La main droite naturelle fait le geste de la connaissance au niveau de la poitrine et la gauche est posée sur la cuisse, tenant une gourde. Dans ses mains supérieures, on distingue, à droite, un rosaire au niveau de l’épaule et à gauche, un objet long que je ne peux identifier. Un long vêtement est noué autour de sa taille. Les lobes de ses oreilles sont très étirés et des serpents semblent orner ses épaules. À la gauche du dieu, un personnage semblable, mais à deux bras seulement et de taille légèrement inférieure, adopte la même posture. Sa main droite, entourée d’un rosaire, fait le geste de la connaissance ; la gauche est posée sur la cuisse, l’index et le majeur tendus vers le bas, en un geste semblable à celui que fait le Buddha lorsqu’il touche la terre. Ces deux personnages, assis sous un arbre, sont entourés d’êtres célestes volants, accompagnés de trois gazelles et d’un lion. Une figure féminine vole au-dessus d’eux et de chaque côté un sage de petite taille à la coiffe tressée se tient debout, un rosaire ou une gourde à la main. Brahmā, à deux bras, assis en tailleur sur un lotus, surplombe la scène.
24Ce panneau est si proche des représentations de Dakṣiṇāmūrti qu’il a été identifié comme tel par T. A. G. Rao204. Ce n’est que plus tard qu’il a été interprété comme Nara et Nārāyaṇa, la double incarnation de Viṣṇu en sages, par B. Ch. Shastri205. Cette identification est maintenue par J. G. Williams (1983 : 134, plate 216) qui la rapproche d’un autre panneau plus petit de la même époque représentant le même thème.
25Les gazelles, le lion, l’arbre sous lequel est assis le dieu, les êtres célestes, les sages qui participent à la scène, sont ici organisés autour de la figure divine enseignante, rapprochant cette représentation du sermon du Buddha ou du Śiva enseignant. À cette époque, les reliefs de Śiva enseignant assis sous l’arbre ne sont pas encore apparus — ou tout au moins nous n’en avons aucune trace — alors que les reliefs bouddhiques existent. Ce panneau viṣṇuïte emprunte donc les éléments qui le composent au bouddhisme, de la même manière que le feront les śivaïtes deux siècles plus tard (infra p. 103– 104). Si le Śiva enseignant assis sous le banian apparaît seulement à partir des temples pallava construits, cette représentation viṣṇuïte montre alors que les Pallava n’ont pas véritablement créé de nouveau concept : la reprise des éléments de l’iconographie bouddhique du premier sermon avait déjà été accomplie par les viṣṇuïtes. Viṣṇu, ou plutôt l’une de ses incarnations, devient celui qui détient et dispense le savoir, dans les mêmes conditions que le Buddha. Le viṣṇuïsme semble donc s’être trouvé à un moment donné dans la même nécessité d’emprunter au bouddhisme ses éléments fondamentaux. Peut-être a-t-il également donné le ton aux représentations śivaïtes qui deviendront incontournables dans les temples méridionaux.
26Cette forme ne semble pas avoir été retenue par l’iconographie viṣṇuïte : cette représentation ne réapparaîtra pas. Il faudra attendre l’avènement des temples construits pallava à la fin du VIIe siècle pour trouver une image à la composition semblable, dont la diffusion à l’extérieur du territoire tamoul restera cependant très restreinte. Les temples cāḷukya de l’Est reprendront cette figure206, mais les régions du nord et de l’ouest ne l’adoptent pratiquement pas. Si S. B. Singh (1976) identifie deux sculptures d’Uttar Pradesh, provenant du temple et du musée de Jageshwar, comme des représentations de Dakṣiṇāmūrti, il base cette interprétation sur des éléments peu révélateurs à mon sens, à savoir le geste de la connaissance et la présence du rosaire. L’auteur souligne que c’est le seul lien que l’on peut établir avec Dakṣiṇāmūrti. Dans la première représentation, le dieu est entouré de ses fils, de la déesse et du taureau. Il n’est pas assis sous un arbre. Dans la deuxième, le dieu se tient debout, un trident à la main207. Ces deux figures ne présentent pas les caractéristiques du Śiva enseignant des façades sud décrites plus haut, et elles ne me paraissent donc pas pouvoir être identifiées ainsi. En revanche, une image de Dakṣiṇāmūrti se trouve bien dans le temple de Bhīmeśvara à Mukhaliṅgam, en Andhra Pradesh. T. E. Donaldson (2007 : vol. I, 102 ; vol. II, 123, fig. 2) la date du XIe siècle208. Le dieu, une torche dans la main supérieure gauche et un rosaire dans la main droite, est assis sous un arbre. Trois petits personnages se tiennent au sol. Il s’agit peut-être des sages recevant l’enseignement de la divinité. Une figure féminine est identifiée par l’auteur comme Pārvatī : pourvue de deux bras, elle est assise et présente un aspect ascétique.
27En pays tamoul, l’image du dieu assis sous le banian deviendra extrêmement populaire : elle occupera, comme chez les Pallava, toutes les façades sud des temples209.
Dakṣiṇāmūrti et Lakulīśa
28Si les temples cāḷukya de l’Est reprennent aux Pallava la figure du Śiva enseignant, en revanche, les Cāḷukya de l’Ouest ne le représentent pas. Ils ont adopté une forme dont le concept est très proche, Lakulīśa, que l’on ne rencontre pas en pays tamoul210. Cette séparation entre deux formes de la connaissance semble quasiment imperméable malgré les échanges culturels et iconographiques entre les deux dynasties. L’étude de Lakulīśa n’entre pas dans le cadre de cette analyse, mais il me paraît cependant utile d’en dire quelques mots afin de comprendre l’équivalence qui s’établit entre ces deux formes. Lakulīśa est considéré comme un personnage historique ayant organisé et systématisé le mouvement Pāśupata. Il est décrit dans certains textes puraniques comme la vingt-huitième incarnation de Śiva lui-même211. Il a quatre disciples immédiats : Kauśika, Mitra, Gārgya et Kauruṣya. À l’instar du Śiva au banian (infra p. 103– 104), beaucoup de reliefs de Lakulīśa se composeront sur le modèle des représentations bouddhiques212.
29Si les images de Lakulīśa et celles de Dakṣiṇāmūrti présentent donc des caractéristiques communes et incarnent le même idéal (ascétisme, enseignement, figure du guru, transmission du savoir, emprunt au bouddhisme), on remarque cependant que, de manière assez surprenante, elles sont cantonnées chacune à une région. Se présentant comme deux entités équivalentes, ces deux formes se partagent le territoire indien : Lakulīśa incarne la figure de l’enseignant au nord et à l’ouest, tandis que Dakṣiṇāmūrti reste localisé dans le Tamil Nad213. Cette remarque tend à confirmer l’hypothèse d’un Śiva au banian d’origine tamoule qui restera sur son propre territoire, pendant que le même concept est véhiculé dans les autres régions par une figure née dans le nord de la péninsule.
La figure du guru et l’initiation : Pāśupata et Śaivasiddhānta
30Les représentations du Śiva enseignant pallava et celles de Lakulīśa participent donc de la même idée. Si Lakulīśa fut considéré comme un personnage historique, incarnation de Śiva, le dieu au banian pallava peut également être envisagé comme l’incarnation de la divinité elle-même sous la forme du guru. Le Maître, entouré de ses disciples, dispense son enseignement. Deux mouvements religieux, les Pāśupata et le Śaivasiddhānta, envisagent comme fondamentale cette incarnation de Śiva en enseignant.
31Si l’apparition et l’influence du mouvement pāśupata dans le sud de l’Inde sont encore mal définies, la pièce de Mahendravarman, le Mattavilāsaprahasana, prouve que Pāśupata et Kāpālika étaient connus dès le VIe siècle (supra p. 31– 32 et 76). Or, c’est à partir du mouvement pāśupata que Śiva est associé à la figure du Maître. Alors que l’ācārya représentait Agni dans le rituel upanayana védique, chez les Pāśupata, le guru est clairement identifié à Śiva214. Or, la présence de la torche dans la main gauche supérieure du Śiva des reliefs pallava rappelle celle qui apparaît dans la main gauche du Maître pāśupata, enduit de cendre provenant du champ crématoire215.
32Mais l’impact du Śaivasiddhānta paraît, à mon sens, avoir été plus important sur le processus de création des représentations pallava du dieu enseignant. C’est en effet au Kailāsanātha de Kāñcipuram, temple dans lequel apparaît l’une des premières formes du Śiva au banian, que l’on trouve employé pour la première fois le terme de śaivasiddhānta (supra p. 75). Pour détruire les impuretés qui nous attachent, l’initiation, menée par le guru, est nécessaire à celui qui s’engage sur le chemin du Śaivasiddhānta. Or, c’est justement la figure du guru qu’incarne Śiva sur la façade sud. La torche dans sa main pourrait alors faire référence à l’instrument du rituel d’initiation (ulmuka, brins d’herbe darbha enflammés ou torche faite de darbha) qu’évoquent les textes.
33Le Mṛgendrāgama, dans la partie concernant la consécration du disciple, décrit ce rituel : « Ensuite le deśika offre une oblation plénière, après que l’autre ait fait lui-même un homa. Il lui touche alors le bout des doigts avec l’extrémité d’un brandon, en disant la [suite des mantra] dont le premier est ŚIVA — ceci, de façon à activer les Mantra comme on aiguiserait un couteau, en vue du tranchage des liens et autres actes semblables »216.
34Dans la partie concernant la consécration de l’ācārya, la Somaśambhupaddhati nous dit :
35« Prière à Śiva : […]
3621 – « Ô Śiva ! Prenant la forme de mon guru, Tu m’as enjoint de consacrer [un disciple]. Voici celui, maître en Ecritures, que je viens de consacrer ! » Brûlure des doigts du nouvel ācārya :
3722 – Pour nourrir le cercle des mantra, [le guru] doit offrir à chacun cinq oblations dans le Feu, puis donner l’oblation plénière. Il fait ensuite asseoir le disciple à sa droite.
3823 – Avec un brin de darbha enflammé, et tout en récitant les aṅgamantra, il marque, pour les rendre incandescents, les doigts de la main droite du disciple, l’un après l’autre, à partir du pouce »217.
39Sur les façades des temples pallava, l’incarnation de Śiva en guru serait alors, selon moi, à mettre en relation avec l’initiation siddhantique du disciple par le Maître à l’aide d’une torche. Initiant d’abord le roi, comme peut le laisser supposer l’inscription du Kailāsanātha (supra p. 75), il initie de fait tout dévot contemplant ce relief.
40Que le temple ouvre à l’est ou à l’ouest, le Śiva enseignant est toujours orienté vers le sud. La direction seule détermine donc la place du guru. Dans les temples ouverts à l’est, l’initiation métaphorique du dévot à travers la contemplation de la figure du Śiva guru a lieu au début de la circumambulation, le préparant ainsi à entrer en contact avec la divinité. Initié, les doigts brûlés capables de couper les liens, le dévot pourra s’immerger dans le dieu. Cependant, lorsque le temple ouvre à l’ouest, comme c’est le cas pour la moitié des monuments pallava, le guru se retrouve presqu’en fin de parcours. L’initiation, dans ce cas, pourrait alors clore l’expérience divine purificatrice avant que le sujet ne rejoigne le monde des humains.
Le dieu au banian et le bouddhisme
41La religion bouddhique apparaît comme puissante et bien établie au cours des VIIe – VIIIe siècles au Tamil Nad (supra p. 65– 68). Il semble que le śivaïsme s’y soit opposé notamment en reprenant certains de ses éléments fondamentaux. Au niveau de l’iconographie, cette tendance est très claire dès lors que l’on considère la figure du Śiva enseignant218. En effet, dès le début de l’ère gupta, des représentations mettent en scène deux épisodes clé de la mythologie bouddhique, l’illumination du Buddha et la délivrance de son premier sermon. Le premier type de relief montre la divinité assise sous un arbre, touchant la terre de l’une de ses mains ou faisant le geste d’absence de crainte219. Parfois, Māra et ses filles l’entourent afin de troubler sa méditation. Le second type de relief illustre le Buddha assis, une main souvent en abhaya, entouré de gazelles symbolisant le lieu (le parc des gazelles à Sārnāth), de cinq disciples (représentés souvent au nombre de cinq, mais parfois de deux, quatre ou six), de deux lions et d’êtres célestes. La Roue de la Loi, dont l’aspect est identique à celui du disque, est représentée de profil sous le siège : son mouvement symbolise la mise en route du Dharma qu’est le discours du Buddha.
42Des similitudes frappantes apparaissent entre ces images et celles du Śiva assis à l’ombre d’un arbre banian des façades pallava. L’arbre, les gazelles, les sages qui reçoivent l’enseignement, les lions, les êtres célestes entourant la personne divine, sont des éléments qui, appartenant à l’iconographie bouddhique, ont été repris et intégrés à la figure śivaïte du guru. En outre, les images du Śiva au banian, ne se contentant pas de réorganiser ces éléments à l’intérieur d’un modèle que les Pallava auraient entièrement inventé, vont jusqu’à imiter la composition de ces représentations bouddhiques. On remarque d’autant plus l’absence de la Roue de la Loi sous le Śiva enseignant pallava, élément fondamental du sermon bouddhique qui se situe toujours au centre sous le siège de la divinité. Cependant, le relief qui répond toujours au dieu au banian sur la façade nord des monuments pallava est Jalandharasaṃhāramūrti. Or, Śiva est ici représenté de manière assez inattendue, assis, en position de yoga (fig. 134 [p. 212]). Sous le dieu, le disque est représenté de profil, planté dans l’épaule du démon Jalandhara. Considérant l’ensemble des représentations pallava comme un système cohérent dans lequel les panneaux se répondent et agissent les uns sur les autres, je propose de voir dans la présence de ce disque un renvoi à la Roue bouddhique placée sous le siège du Buddha220. En outre, comme la Roue de la Loi, le disque créé par Śiva se met à tourner : il détruit ainsi le démon menaçant le maintien de l’Univers et cette arme sera remise ensuite au dieu Viṣṇu qui interviendra sous forme d’avatāra pour protéger les mondes.
Dakṣiṇāmūrti et le Sud
43La question de l’orientation des reliefs du Śiva enseignant est un point qui a intrigué un certain nombre de chercheurs. En effet, le Sud étant considéré comme néfaste, on s’attend à y trouver une forme terrible, liée à la mort. Il est curieux, au premier abord, de constater qu’une figure aussi bénéfique que celle du Śiva enseignant regarde toujours dans cette direction.
44Selon T. A. G. Rao (1914, réimpression 1968 : vol. II, part I, 273), un texte dont il ne fournit ni le nom ni la référence donne l’étymologie du nom de Dakṣiṇāmūrti : Śiva était assis face au sud lorsqu’il a enseigné aux sages et depuis, tous les temples, viṣṇuïtes ou śivaïtes, possèdent une forme de Dakṣiṇāmūrti sur leur façade sud. Comme le signale H. Bakker (2004 : 129), il s’agit probablement d’une convention iconographique que suit T. A. G. Rao. Celle-ci se base sur les représentations déjà en place et ne nous aide donc pas à comprendre pourquoi cette forme bénéfique du Śiva enseignant, assis sous un arbre, fait face au sud, orient néfaste et inquiétant. B. Long (1972 : 69), que cite H. Bakker (2004 : 129), avait proposé l’hypothèse intéressante de Dakṣiṇāmūrti face au sud afin de pacifier cette direction.
45H. Bakker (2001 et 2004), de son côté, démontre de manière convaincante que les premières apparitions du terme dakṣiṇāmūrti dans les textes sanskrits ne renvoient pas à la forme qui enseigne et ne peuvent être interprétées non plus comme « la forme qui est tournée vers le Sud » ou « la forme qui est au Sud ». Elles feraient référence à la localisation du disciple par rapport à son Maître : « à la droite de » ou « au sud de ». Après une analyse textuelle approfondie, l’auteur aborde les images de l’enseignant placées sur les façades sud des temples. Selon lui, dans le passage d’un concept cultuel à une représentation iconographique, le sens originel de Śiva comme source du savoir à été maintenu, tandis que son « côté droit » a été réinterprété comme sa « face sud », d’où la représentation du Śiva enseignant sur les façades sud des temples. Il pose enfin la question de savoir quand et où ce concept cultuel est devenu un concept iconographique. Il propose deux phases : 1° — une représentation anthropomorphique de Śiva, qui, à travers ses attributs, ses gestes et les disciples qui l’écoutent, est considéré comme l’Enseignant suprême et fait face à l’est et 2° — une représentation anthropomorphique de Śiva, avec deux ou quatre bras, avec ou sans les attributs de 1°, mais dont la caractéristique principale est de faire face au sud, sans montrer son aspect terrible. Les deux images se seraient alors associées entraînant une certaine incongruité. Mais cette incongruité s’est peu à peu résolue quand la forme de Dakṣiṇāmūrti a pris son autonomie, parallèlement à celle de Bhairava (il semble nommer Bhairava toute forme terrible de Śiva). L’auteur ajoute qu’étant donné que l’image de culte dans le sanctuaire fait face à l’est, la forme qui est au sud, donc le Śiva enseignant, peut être envisagée comme la « visualisation » originelle du côté droit. Il situe la fin du processus de transformation du culte à l’iconographie au Xe siècle en Inde méridionale, avec les représentations cōḻa.
46Si l’analyse proposée par H. Bakker se présente comme un cheminement intéressant, beaucoup d’éléments me paraissent cependant inadaptés à l’apparition de cette forme. Tout d’abord, il n’évoque que des textes venant de la tradition du nord, ne prenant pas en compte le fait remarquable que Dakṣiṇāmūrti ne se rencontre quasiment jamais en dehors du territoire tamoul (supra p. 99–100). Or, l’analyse du contexte tamoul a bien montré que cette forme pourrait s’être formée en partie sur la base d’un concept et d’une tradition locale (supra p. 84–91). Ensuite, l’idée de cette représentation du Śiva enseignant tourné vers le sud comme conséquence d’une mauvaise interprétation des termes liée à la fusion de deux phases dont l’existence de l’une comme de l’autre est douteuse, repose sur une accumulation d’hypothèses qui ne peuvent être vérifiées, détachées de la réalité physique des images qui existent pourtant dès la fin du VIIe siècle au Tamil Nad. La théorie ainsi élaborée forme alors un édifice fragile, peu convainquant à mes yeux. Notons de plus qu’en contexte pallava, il faut éliminer l’argument de H. Bakker comme quoi la représentation au sud peut faire référence à la visualisation de « à la droite de » par rapport à la forme cultuelle à l’intérieur du sanctuaire. En effet, la moitié des temples pallava, dans lesquels apparaissent les premières images de ce Śiva enseignant, s’ouvrent vers l’ouest. Dans ce cas, la figure de Dakṣiṇāmūrti se trouve donc à la gauche du liṅga. À mon sens, l’orientation de ce relief vers le sud est le résultat de plusieurs facteurs que je vais exposer maintenant.
47Le Sud envisagé comme direction néfaste est un concept pan-indien. En Inde septentrionale, le Sud géographique représentait un terrain inconnu et inquiétant. Dans le Puṟanāṉūṟu, c’est la région des âmes des ancêtres221. Yama, dieu de la mort, est appelé Teṉṉavaṉ, « celui du Sud »222. En revanche, avec le mouvement de bhakti śivaïte tamoule, il semble qu’une nouvelle connotation soit attibuée à cette direction, qui devient le pays de Śiva, sa demeure. Le dieu s’incarne en une forme supposée être tamoule223. Ainsi, le problème que soulevait la présence du Śiva enseignant face à cet orient s’évanouit : envisagée sous cet angle, la forme bénéfique de l’Enseignant n’est plus en contradiction avec son orientation vers le sud.
48On pourrait opposer à ceci l’argument que la dynastie des Pallava n’est pas d’origine tamoule (supra p. 23), qu’elle importe probablement dans cette région la culture brahmanique, l’usage du sanskrit, et que sa première iconographie, sur le site ancien de Mahābalipuram notamment, semble influencée par celle des Gupta. Or, dès la fin du VIIe siècle, les images divines qui apparaissent sur les façades des temples construits intègrent parfois des éléments d’origine tamoule (infra p. 313–314) et mettent en scène des mythes entièrement locaux (infra p. 300–305), résultat d’une fusion entre ces deux « cultures » qui s’est opérée après quatre siècles d’installation dans cette région. À mon sens, la forme du Śiva enseignant faisant face au sud a été créée dans un contexte qui considère déjà ce dieu comme habitant de l’Inde méridionale.
49L’influence du bouddhisme peut aussi avoir joué un rôle dans l’attribution de cette direction pour la forme enseignante. Quatre grands miracles sont accomplis par le Buddha : le premier, sa propre Naissance, est suivi de l’Éveil pendant lequel il fait face à l’est, puis du Sermon et enfin de sa Mort, tourné vers l’ouest. C. Bautze-Picron remarque que si les textes ne mentionnent pas la direction de chaque miracle, l’observation de la répartition de ces quatre moments dans l’espace conduit aux conclusions suivantes : la Naissance est figurée au nord, l’Éveil à l’est, le Sermon au sud et la Mort à l’ouest224. Elle suggère que le choix de la direction du sud pour l’enseignement n’a peut-être pas été le résultat d’un choix délibéré car, selon elle, cette scène devrait occuper le centre. Mais puisqu’il qu’il faut répartir spatialement les quatre moments de la vie du Buddha autour d’un axe central, et la Naissance, l’Eveil et la Mort ayant une position déjà attribuée, il ne reste plus que le sud vers lequel sera orientée la représentation du Sermon, celle-ci ne pouvant être maintenue au centre. Ailleurs, mais sans citer de source, A. K. Coomarasmy (1979 : 55) stipule que le Buddha « est » au nord et fait face au sud. Si le Buddha est ainsi placé sur les monuments ou est considéré, même par défaut, tourné vers le sud lorsqu’il prononce son sermon, ne pourrait-on pas émettre l’hypothèse que, reprenant presque point par point l’iconographie bouddhique, les représentations du Śiva enseignant ont été orientées dans cette direction en partie sous l’influence de ces images et de leur situation ?
Des formes apparentées
50Au-delà des formes du Śiva enseignant assis sous l’arbre banian, d’autres reliefs ont été identifiés comme des Dakṣiṇāmūrti. Le premier, dont on ne voit aujourd’hui que la moitié, se situe sur la façade sud du templion C au Kailāsanātha (fig. 38). Il s’agit d’une représentation unique dans le corpus pallava. Le dieu, en posture de yoga, replie ses deux jambes entourées d’un yogapaṭṭa. Sa coiffe est identique à celle du dieu au banian. Il possède deux bras seulement, la main droite en abhaya, et ce fait est surprenant si l’on considère le Brahmā en salutation à sa droite, pourvu de quatre bras. Le bas du panneau est trop abîmé pour que l’on puisse distinguer ce qui se tient sous le siège. F. L’Hernault identifie cette image comme Dakṣiṇāmūrti en posture de yoga225. La coiffe et l’attitude de cette divinité nous permettent en effet de considérer cette forme comme ascétique. Cependant, rien dans le relief ne laisse percevoir que la figure divine enseigne, comme dans le cas des représentations pallava de Śiva assis sous le banian, où la transmission de la connaissance est mise en scène. J’interprèterais donc plutôt cette forme comme un Śiva ascète, pratiquant le yoga.
51Deux représentations identiques au Temple du Rivage (fig. 39) ont été identifiées comme Dakṣiṇāmūrti par F. L’Hernault226. Le dieu est assis sur un trône aux pieds sculptés, un coussin derrière le dos, un autre sous le pied gauche qui pend. Sa jambe droite est repliée, à plat sur le siège. Ses deux mains supérieures tiennent le rosaire et la gourde tandis que la main droite inférieure est en abhaya et la main gauche, paume vers le ciel, repose dans son giron. La tête coiffée d’une haute tiare et entourée d’une auréole, ce dieu qui devrait être Śiva est orné de colliers, de boucles d’oreille pendantes, de bracelets aux bras et aux poignets, d’un double cordon sacré, de vêtements qui entourent ses hanches et dont les pans retombent jusqu’au sol. Deux guirlandes sont suspendues de chaque côté de la divinité. Ces deux représentations sont très proches de la figure de Śiva lorsqu’il est intégré au Somāskanda : le dieu a ici un aspect plus royal qu’ascétique, malgré les attributs de ses mains supérieures. En effet, ces objets se retrouvent dans les mains de Brahmā, lié au sacrifice védique, mais aussi dans celles de Subrahmaṇya, ils de Śiva, dieu jeune et conquérant (F. L’Hernault [1978 : 102–111]). Il semble donc que l’on se trouve face à une forme à caractère royal qu’on ne peut identifier comme Dakṣiṇāmūrti, dont l’aspect sauvage et l’enseignement sont deux caractéristiques majeures.
Fig. 38 : Śiva pratiquant le yoga, façade sud du templion C, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 39 : Śiva assis, musée de Mahābalipuram (cliché G. Ravindran, EFEO, 2009).
52Les trois reliefs que je vais maintenant prendre en compte sont des formes ascétiques dans lesquelles la divinité se tient debout. Le premier, au troisième étage du Dharmarāja ratha, dans la niche centrale de la façade sud, est envisagé comme la première représentation de Dakṣiṇāmūrti par K. R. Srinivasan (fig. 40–41)227. Le dieu, debout, fléchit sa jambe droite comme s’il marchait. L’une de ses quatre mains est en abhaya et les trois autres font un geste dans lequel les doigts sont repliés, l’index et le pouce se touchant228. Le geste de la main droite supérieure est celui que les ouvrages iconographiques appellent cinmudrā ou vyākhyānamudrā, lié à la connaissance. Les cheveux de Śiva sont déliés, retombant en deux larges masses sur les épaules. Le dieu est orné d’un collier, d’un large cordon sacré, de bracelets, et est habillé d’un vêtement sommaire attaché autour des hanches. Les éléments qui poussent K. R. Srinivasan à identifier ce relief comme une Dakṣiṇāmūrti sont sa situation sur la façade sud, son aspect ascétique et le geste de la connaissance. Sans pouvoir, à mon sens, le qualifier de Dakṣiṇāmūrti, appellation que je choisis de considérer comme correspondant uniquement à la forme fixée du dieu enseignant assis sous un arbre entouré de sages, ne pourrait-on pas envisager, à la suite de K. R. Srinivasan, cette forme comme incarnant un Śiva ascète, errant et enseignant, parallèle à celle d’un Śiva, ascète également, mais cette fois-ci assis sous le banian pour dispenser son savoir ?
Fig. 40 : Figure ascétique de Śiva marchant, façade sud, troisième étage du Dharmarāja ratha, Mahābalipuram (cliché G. Ravindran, EFEO, 2009).
53Le relief suivant, sur le mur nord du sanctuaire principal du Kailāsanātha, présente des caractéristiques semblables (fig. 42) : le dieu, debout, la jambe droite fléchie, marche. Sa lourde chevelure tombe sur ses épaules. Il est vêtu d’un seul morceau d’étoffe, noué à la taille, et porte un cordon, en diagonale sur les hanches, qui pourrait être un yogapaṭṭa. Il est paré de bracelets, d’un cordon sacré, peut-être de longues boucles d’oreille, à moins que ses lobes ne soient étirés, et un serpent est suspendu à côté de sa cuisse gauche. Sa main droite inférieure est en abhaya tandis que la gauche fait un geste que j’ai défini comme étant celui de la connaissance dans l’iconographie pallava du VIIIe siècle (supra p. 81). Ses deux mains supérieures tiennent le rosaire et la gourde, attributs dont les formes liées à l’ascétisme et/ou à la connaissance sont pourvues. Coiffés d’un kirīṭa-makuṭa, ornés de colliers, cordon sacré, bracelets, et vêtus d’un long vêtement descendant jusqu’aux chevilles, deux dévots debout, les mains jointes sur la poitrine, encadrent la représentation (fig. 43). Une gourde, attribut de l’ascète, est suspendue à côté de leur tête. Au-dessus de chacun d’eux est représenté un lion mythique, dressé sur ses pattes arrière, crachant du feu ou des guirlandes. Sous la niche de la divinité, un lion est assis, se tenant sur ses pattes avant, de face. Ce relief n’a, à ma connaissance, pas été identifié comme une figure de Śiva ascétique enseignant229. Avec la forme de Śiva assis sous l’arbre banian, elle partage pourtant la coiffe, le rosaire, le lien yogique et le geste de la connaissance. Il est alors possible d’envisager, comme dans le cas du Dharmarāja ratha, une forme du dieu enseignant debout, marchant, récitant les textes sacrés, répandant la connaissance à travers le monde, parallèle au Śiva assis sous l’arbre banian, la seule retenue par la postérité.
Fig. 41 : Figure ascétique de Śiva marchant et disciple ( ?), façade sud, troisième étage du Dharmarāja ratha, Mahā balipuram (cliché G. Ravindran, EFEO, 2009).
54Ce relief, sur la façade nord et orienté vers l’ouest, se situe entre la Tripurantakamūrti et la Jalandharasaṃhāramūrti. Le dieu ascète représenté ici, contrairement au Śiva sous le banian qui évolue dans un monde forestier et sauvage, est entouré d’êtres dont la tenue suggère des personnages plus royaux que renonçants, malgré la gourde suspendue à leur côté. De même, les animaux qui crachent des guirlandes évoquent un environnement mythique comparés aux lions très réalistes de la façade sud. Il semble donc que l’on se trouve face à un dieu ascète errant, répandant la parole sacrée dans un contexte divin et royal et non plus forestier230.
Fig. 42 : Figure ascétique marchant, façade nord du sanctuaire, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
55Deux hypothèses se présentent alors. Soit cette forme est liée au mythe de la destruction des trois villes, à sa gauche, dans lequel il répand la parole jaïne (ou bouddhiste) trompeuse sous la forme d’un arhat (infra p. 228), soit elle représente la figure ascétique du dieu avant qu’il ne s’assoie pour écraser le démon Jalandhara, à sa droite231. J’opterai pour la deuxième proposition bien que l’espace dans lequel se situe ce marcheur appartienne plutôt à la représentation de Tripurāntakamūrti, vers laquelle il se tourne. En effet, le sens de la pradakṣiṇā comme sens de la narration est préservé si l’on considère un dieu ascète marchant avant de s’asseoir pour vaincre le démon. En outre, on remarque que les lions mythiques qui se trouvent aux côtés de ce Śiva debout encadrent également la figure de Jalandharasaṃ haramūrti (fig. 134 [212]). Ensuite, le lien qui unit le dieu assis sous le banian et Jalandha rasaṃ hāramūrti (supra p. 104 et infra p. 218) est l’argument le plus convainquant à mes yeux. On pourrait envisager la forme ascétique du dieu marcheur qui évolue en contexte divin comme une continuité du dieu au banian : le dieu de la forêt assis parmi les hommes se lève et marche, recueillant des aumônes (le Śiva mendiant), puis, continuant son chemin, diffuse la parole sacrée jusque dans le monde des dieux. En posture de yoga, ayant placé le cordon (qu’il portait aux hanches lorsqu’il marchait) autour des jambes, il devient le vainqueur du démon qui fait trembler l’Univers.
56Enfin, un dernier relief que l’on peut rapprocher des deux précédents se situe dans une niche de la façade nord du Mātaṅgeśvara (fig. 44)232. Les mains supérieures du dieu qui marche tiennent peut-être le rosaire et la gourde tandis que sa main inférieure gauche est posée sur la hanche. La main inférieure droite est abîmée. Deux dévots, figurés de profil et tournés vers la divinité, coiffés d’un jaṭā-makuṭa ou d’un turban et portant une leur, encadrent la représentation. On remarque que cette image se trouve à la droite de Jalandharasaṃhāramūrti, qui occupe la niche centrale de la façade nord. Ne pourrait-on pas voir la trace d’une relation établie au cours de la première moitié du VIIIe siècle, au Kailāsanātha, entre un Śiva assis sous le banian, un Śiva ascète en marche et enseignant et un vainqueur du démon Jalandhara233 ?
Fig. 43 : Figure ascétique marchant encadrée de dévots, façade nord du sanctuaire, Kailāsanātha, Kāñcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 44 : Figure ascétique marchant, façade nord du sanctuaire, Mātaṅgeśvara, Kañcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Fig. 45 : Figure ascétique marchant, façade nord du templion H, Kailāsanātha, Kañcipuram (cliché V. Gillet, 2008).
Notes de bas de page
174 Cette posture se rapproche de celle qu’adopte la Dakṣiṇāmūrti du temple du Vīraṭṭāṉeśvara à Tiruttaṇi, datant du IXe siècle (J. Dumarçay et F. L’Hernault [1975 : 110– 111, ph. 54]) et de deux pièces isolées, l’une entreposée au musée de Mahābalipuram mais de provenance inconnue (fig. 24) et l’autre au musée de Madras provenant de Kāvērippākkam (taluk d’Arakkōṇam, district de Vēlūr) (T. A. G. Rao [1914, réimpression 1968 : vol. II, part I, 282– 283, plate LXXIV, fig. 2]). Ce relief ressemble également à celui qui orne la façade sud du temple au pied de la colline à Tirukkaḻukkuṉṟam (district de Kāñcipuram) (fig. 25).
175 Cette forme est bénéfique dans le sens où elle incarne le guru et le principe de transmission de la connaissance. Cependant, son aspect sauvage reste inquiétant : le Śiva assis sous le banian est un dieu qui évolue dans l’espace non dompté de la forêt. C’est probablement cet aspect que rappelle le petit crâne porté sur la coiffe dans les représentations du premier art cōḻa. Voir Ch. Schmid (2007 : 96).
176 Le seul relief dans lequel on distingue clairement la torche se trouve sur le sanctuaire principal du Kailāsanātha (fig. 26). Si l’objet que Śiva tient de sa main supérieure gauche dans les autres reliefs est souvent érodé, sa forme générale rappelle cependant fortement celle de la torche. Contra F. L’Hernault (1978 : 69, note 41 et 107) qui identifie cet attribut comme une fleur dans toutes les représentations pallava.
177 Cette mudrā n’est adoptée que par les figures pallava. De par son association avec les représentations liées à la connaissance ou à la révélation (Śiva au banian, Liṅgodbhavamūrti), je propose donc de la considérer comme symbolisant la connaissance. Elle est peut-être à rapprocher de la vyākhyānamudrā, de la jñānamudrā ou de la cinmudrā. Voir T. A. G. Rao (1914, réimpression 1968 : vol. I, part I, pl. V) et J. N. Banerjea (1956, réimpression 1974 : pl. III). De manière surprenante, c’est le geste que fait Śiva Gaṅgādharamūrti dans la représentation de la stèle de Kuṉṉattūr (voir E. Francis, V. Gillet, Ch. Schmid [2008 : 432]).
178 maṉṟa marāatta pēe mutir kaṭavuḷ
koṭiyōr teṟūum eṉpa yāvatum
Kuṟuntokai 87 ab, traduction E. Wilden.
L’arbre banian n’est pas nommé ici, mais dans le contexte du Kuṟuntokai, l’arbre du village est généralement un arbre banian. Je remercie la traductrice de m’avoir signalé ce passage.
179 ālamar katavuḷ aṉṉa niṉ celvam
vēlkeḻu kurucil kaṇṭēṉ […]
Puṟanāṉūṟu 198.9–10.
180 nīla paṟavaimēl nēriḻai taṉṉōṭum
ālamar celvaṉ putalvaṉ varum […]
Cilappatikāram 24.2–3.
Un autre passage de l’épopée fournit de nombreux détails. C’est ici le brahmane Parāśara, fils de Vārttikaṉ, qui, encore enfant, enseigne les Veda tourné vers le sud et assis sous l’arbre banian :
cīr taku ciṟappiṉ vārttikkaṉ putalvaṉ
ālamar celvaṉ peyarkoṇṭu vaḷarntōṉ
pāl nāṟu cem vāy paṭiyōr muṉṉar
taḷar nā āyiṉum maṟai viḷi vaḻāatu
uḷa mali uvakaiyōṭu oppa ōta
takkiṇaṉ taṉṉai mikkōṉ viyantu
mutta pūṇūl attaku puṉai kalam
kaṭakam tōṭṭoṭu kaiyuṟa īttu
Cilappatikāram 23.90–95.
« Le fils du célèbre Vārttikaṉ a grandi en prenant le nom de “celui qui est associé à l’arbre banian”. Devant ceux qui sentaient le lait et avaient des bouches rouges et qui n’avaient pas appris, pendant qu’il récitait [les Veda] convenablement, son esprit se remplissait de joie, sans dévier le discours des textes secrets. Le Grand [Vārttikaṉ] a prié “celui qui est au sud” lui-même, et lui a donné un cordon sacré fait de perles, de brillants joyaux, des bracelets et des boucles d’oreille. »
Le texte du Cilappatikāram contient différents niveaux de rédaction, qui s’échelonnent peut-être entre les IVe et VIIIe siècles. Les détails fournis par ce passage — direction, enseignement, arbre banian — se rapprochent considérablement de la forme du Śiva enseignant sur les façades des temples. J’envisage donc ces lignes comme s’appuyant sur des reliefs déjà existants d’un dieu enseignant sous un arbre banian et orienté vers le sud.
181 ālamar celvaṉ makaṉ viḻā kālkōḷ
kāṇmiṉō […]
Maṇimēkalai 3.144– 145. Il s’agit, dans ce passage, de la fête de Murukaṉ.
182 nīla nirai pōtu uṟu kāṟku ulaivaṉa pōl
cālakattu olkiya kaṇṇar uyar cīrtti
ālamar celvaṉ aṇicāl makaṉ viḻā
kāl kōḷ eṉṟu ūkki katumeṉa nōkki
Kalittokai 83.12–15.
Un autre passage du Kalittokai évoque encore ālamar celvaṉ :
pālōṭu alarnta mulai maṟaṉtu muṟṟattu
kālval tēr kaiyiṉ iyyakki naṭai payiṟṟā
ālamar celvaṉ aṇicāl peru viṟal
pōla varum eṉ uyir
Kalittokai 81.7–10.
« [Perumaṉ, mon fils] toi qui es ma vie, semblable à la grande et belle victoire du dieu associé à l’arbre banian, tu marches, tirant le char aux roues puissantes à travers la cour, oubliant [mon] sein gonflé de lait. »
ālamar celvaṉ aṇicāl peruviṟal peut se lire de trois manières différentes : littéralement peruviṟal a le sens de grande victoire, mais on le trouve également lexicalisé comme nom de Murukaṉ. On pourrait ainsi lire le passage comme suit : « comme le beau Peruviṟal [Murukaṉ] aux nombreux ornements [fils de] celui qui est sous l’arbre banian » ou « comme le beau Peruviṟal aux nombreux ornements, [semblable] à celui qui est sous l’arbre banian ».
Un peu plus loin, un arbre et une divinité à son pied sont évoqués, mais sans que la formule utilisée par ailleurs soit employée :
kāṉal aṇinta uyar maṇal ekkarmēl
cīr miku ciṟappiṉōṉ maramutal kai cērtta
nīr mali karakam pōl paḻan tūṅku muṭa tāḻai
pū malarnta avai pōla puḷ alkun tuṟaiva kēḷ
Kalittokai 133.2– 5.
« Sur la haute dune de sable qui orne le rivage, où les oiseaux résident, comme les fleurs épanouies de l’arbre tāḻai sur lequel les fruits pendent comme les gourdes emplies d’eau assemblées par la main, au pied de l’arbre, par celui qui est excellent, écoute Ô homme du rivage ».
Feu T. V. Gopal Iyer voit dans ce passage l’évocation du Śiva enseignant. Il semble que ce soit la tradition d’envisager ainsi ce passage car une note de V. Murukan, dans son édition et traduction du Kalittokai (p. 589, note 1), donne la même interprétation. Or, il semble que le contexte soit ici légèrement différent : l’arbre n’est plus un banian mais un arbre taḻai et « l’excellent » peut renvoyer à un ascète. Il est possible ici que la tradition postérieure force le sens de ce texte ancien. Je remercie chaleureusement feu T. V. Gopal Iyer de m’avoir signalé ces passages, et E. Wilden et T. Lehman de les avoir longuement travaillés avec moi.
183 vāl keḻu kaṭavuḷ putalva māl varai
malai makaḷ makaṉē māṟṟōr kūṟṟē
Tirumurukāṟṟuppaṭai 256–257, traduction J. Filliozat.
Cependant, si le v du début de la ligne 256 n’était pas dû au sandhi, la traduction serait : « Ô fils du dieu resplendissant et pur, enfant de la fille de la montagne au haut sommet, tu es Yama pour tes ennemis. » Mais l’association du dieu et de l’arbre banian étant déjà établie à cette époque, je préfère me ranger à l’interprétation proposée par J. Filliozat. Ce texte appartiendrait, comme le Paripāṭal, à la dernière strate de la littérature du caṅkam, et est généralement daté des VIe – VIIe siècles.
184 Voir K. Pechilis Prentiss (1999) qui analyse de manière approfondie cette question.
185 Voir K. Pechilis Prentiss (1999 : 50– 51). Śiva s’incarne de différentes manières, toutes supposant qu’il est tamoul. Si les poètes de la bhakti utilisent des images puraniques qui mettent l’accent sur les pouvoirs cosmiques du dieu, ces images sont replacées au Tamil Nad selon différentes techniques, notamment celle de localiser la vision de la divinité dans cette région, dans un village ou dans un temple particulier.
186 Les termes suivants sont employés : aṟam (1–41–7 b) : « le devoir religieux ou moral, la vertu, etc. », mais aussi les quatre aṟam (aṟam nāṉku 1–68–6 c) faisant référence aux Veda ; neṟi (1 – 128 – ligne 8) : « chemin, route, religion, précepte, règle, principe » ; maṟai : « le fait de cacher, secret, les Veda en tant que secret, les Upaniṣad, les Āgama, les mantra ». Ces derniers peuvent être au nombre de quatre (nālmaṟai), désignant alors les Veda. Mais lorsque seul maṟai ou arumaṟai (le rare secret) apparaît, il peut s’agir de tous les textes. Le simple chiffre, quatre ou six (āṟum nāṉkum, 2–6–3 d), renvoie aux quatre Veda et aux six Aṅgam. Enfin, nous trouvons le terme de vētam lui-même (āl ataṉ kīḻ iruntu nālvarkku/aṟam poruḷ vīṭu iṉpam āṟu aṅkam vētam/terittāṉai […] 6–66–2 cd : « Celui qui a expliqué [examiné] les Veda, les six aṅgam, kāma, la libération, artha, dharma aux « Quatre », se tenant sous un arbre banian »), simplement dérivé du sanskrit. La tradition brahmanique véhiculée par l’enseignement de Śiva apparaît comme parfaitement intégrée ici.
187 māliṉukku aṉṟu cakkaram īntu, malaravaṟku oru mukam oḻittu,
āliṉkīḻ aṟam ōr nālvarukku aruḷi, aṉal atu āṭum em aṭikaḷ (1–41–7 ab)
« Ayant offert, ce jour, le disque à Māl, ayant coupé une tête de celui qui se tient sur le lotus, ayant accordé aux « Quatre » le chemin de la vertu, sous un arbre banian, notre dieu danse dans le feu. »
188 ēr icaiyum vaṭa āliṉkīḻ iruntu, aṅku īr-iruvarkku iraṅki niṉṟu,
nēriya nālmaṟai poruḷai uraittu, oḷi cēr neṟi aḷittōṉ niṉṟa kōyil–
pār icaiyum paṇṭitarkaḷ pal nāḷum payiṉṟu ōtum ōcai kēṭṭu,
vēri mali poḻil, kiḷḷai vētaṅkaḷ poruḷ collum miḻalai āmē (1–132–1).
Un autre passage dit ceci :
aṇi peṟu vaṭamaram niḻaliṉil, amarvoṭum aṭi iṇai iruvarkaḷ
paṇitara, aṟa neṟi maṟaiyoṭum aruḷiya paraṉ uṟaivu iṭam– […] (1–20–5 ab).
« [Tirumiḻalai est] le lieu de résidence du dieu qui a accordé sa grâce [en récitant] les textes secrets qui sont le chemin de la vertu pendant que la paire des Deux font obéissance aux pieds du dieu en cette demeure (autre lecture : pendant que les Deux font obéissance à la paire de pieds du dieu), à l’ombre d’un magnifique arbre banian. »
189 kallāliṉ nīḻalil kalantu tōṉṟum kaviṉ maṟaiyōr nālvarkkum neṟikaḷ aṉṟu
col āka colliyavā tōṉṟum tōṉṟum ; cūḻ aravum, māṉmaṟiyum, tōṉṟum tōṉṟum (6–18–3 ab).
190 Dans le Digital Tēvāram, V. M. Subramanya Aiyar a retenu le mot vētam à la place de ētam (faute) : « les sages qui ont [écrit] les Veda ». Contra feu T. V. Gopal Iyer qui choisit le mot ētam, signifiant, selon lui, que les sages ont commis des fautes pouvant être rachetées par l’apprentissage des Veda, mais également que même ceux qui ont commis des fautes ont accès aux Veda. Il rejette l’idée que ces sages ont écrit les Veda (communication personnelle, 2005).
191 kātu pottar aik kiṉṉarar, uḻuvai kaṭikkum paṉṉakam, piṭippa(a)rum cīyam,
kōtu il mā tavarkuḻu uṭaṉ, kēṭpa kōla āl niḻalkīḻ aṟam pakara ;
ētam ceytavar eytiya iṉpam yāṉum kēṭṭu, niṉ iṇai aṭi aṭaintēṉ —
nīti vētiyar niṟai pukaḻ ulakil nilavu teṉ tiruniṉṟiyūrāṉē ! (7–65–6).
192 1–53–6, 1–101–4, 6–14–4.
193 mukkaṇā, pōṟṟi ! mutalvā, pōṟṟi ! muruka vēḷ taṉṉai payantāy, pōṟṟi !
takkaṇā, pōṟṟi ! tarumā, pōṟṟi ! tattuvaṉē, pōṟṟi ! eṉ tātāy, pōṟṟi !
tokku « aṇā » eṉṟu iruvar tōḷ kaikūppa, tuḷaṅkātu eri cuṭar āy niṉṟāy, pōṟṟi ! (6–5–10 abc).
194 Je prends en compte ici l’association entre divinité enseignante et arbre banian. En effet, nous verrons plus loin que la tradition sanskrite associe Śiva et le guru de bonne heure. Néanmoins, un article de A. J. Gail (2008), récemment porté à ma connaissance par P. Bisschop, mentionne un passage du Bhāgavatapurāṇa 4.6.32–38 qui décrit le Śiva enseignant assis sous un arbre banian. L’apparition de cette image dans ce texte n’est pas surprenante si l’on considère qu’il prend naissance en pays tamoul, s’inspirant des représentations déjà installées sur les monuments. Nous verrons que ce n’est pas la seule occurrence d’un rapprochement entre ce texte et les représentations sud-indiennes (infra p. 269).
195 sa devadārudrumavedikāyām śārdūlacarmavyavadhānavatyām |
āsīnam āsannaśarīrapātas triyambakaṃ saṃyaminaṃ dadarśa | |
paryaṅkabandhasthirapūrvakāyam ṛjvāyataṃ sannamitobhayāṃsam |
uttānapāṇidvayasanniveśāt praphullarājīvam ivāṅkamadhye | |
bhujaṅgamonaddhajaṭākalāpaṃ karṇāvasaktadviguṇākṣasūtram |
kaṇṭhaprabhāsaṅgaviśeṣanīlāṃ kṛṣṇatvacaṃ granthimatīṃ dadhānam | |
kiṃcit prakāśastimitogratārair bhrūvikriyāyāṃ virataprasaṅgaiḥ |
netrair avispanditapakṣmamālair lakṣyīkṛtaghrāṇam adhomayūkhaiḥ | |
Kumārasambhava III. 44– 47, traduction B. Tubini qui précise de l’« attitude des ascètes » (paryaṅka) signifie que « les jambes sont repliées, les fesses prennent soutien sur l’un des pieds, l’autre se pose sur la jambe opposée, près de l’aine ».
196 Matsyapurāṇa (MP) 154.229– 236 ; Skandapurāṇa (SKP), Maheśvarakhaṇḍa, section I : Kedārakhaṇḍa, 21.180 ; 22.1– 5, 32– 33 et 35– 36. Deux Skandapurāṇa doivent être distingués ici : on trouve, d’une part, une version publiée au Népal en 1988 (SP), et d’autre part une version établie à partir de divers khaṇḍa dispersés et supposés appartenir à un Skandapurāṇa, publiée à Bombay en 1910 (SKP). C’est à partir des manuscrits du SP qu’une équipe, dirigée par H. Bakker, travaille actuellement pour établir une édition critique de ce texte.
N. R. Bhatt (2000 : 185) donne également le Śivapurāṇa (ŚP) comme texte dans lequel Śiva apparaît plongé dans sa méditation, assis sous un arbre. Cependant, je n’ai pu trouver cette référence, les éditions disponibles n’étant pas basées sur le même manuscrit que celui utilisé par l’auteur.
197 Je remercie D. Goodall pour ces références qu’il a tirées de sa propre base de données. Voir également le volume III (à paraître) du dictionnaire tantrique Tāntrikābhidhānakośa (Académie Autrichienne des Sciences, Vienne).
198 Le découpage de cette forme en quatre catégories (Vyākhyāna, consacrée à la connaissance des textes, Jñāna, consacrée à la connaissance, la forme dédiée au Yoga puis la forme dédiée à la musique) n’est pas effectif dans les reliefs pallava. De plus, les descriptions, si elles évoquent un dieu enseignant sous un arbre, le placent sur une montagne, le pied sur apasmāra, tenant des attributs tels que serpent, lotus, feu, rosaire ou faisant le geste varada. Ce sont des caractéristiques iconographiques que l’on rencontre essentiellement dans les Dakṣiṇāmūrti de l’époque cōḻa.
199 Le Rauravāgama en est un bon exemple :
[…] tryakṣaṃ caturbhujaṃ śāntam ārjavamārdavānvitam | |
anyonyāṅghritalau dvau ca sphikpiṇḍādhaḥ prakalpayet |
hṛdaye jñānamudrā tu hy abhyantaramukhaṃ karam | |
varadaṃ vāmahastaṃ tu kaṭisūtropari nyaset |
dakṣiṇe parahaste’kṣamālādhṛg vāmasūcikā | |
nāsāgraṃ tu samīkṣyākṣi svalpāsitaprakāśakam |
apare pārśvayoś caiva jaṭādhārāḥ pralambayet | |
ṛṣayaḥ pārśvayoś caiva nītyā tṛptiṃ prakalpitāḥ |
bāhoś caiva jaṭābhāre vyālā yānasaman vitāḥ | |
mṛgapakṣyādayaś caiva yogābhyāsaṃ pracāritāḥ |
dakṣiṇāmūrtir ākhyātā yogamūrtis tathaiva hi | |
Kp. 35.287b-292.
« Il a trois yeux et quatre bras, il est apaisé ; (son corps) est droit et il est avenant. Il faut le figurer avec les plantes des deux pieds se joignant sous les fesses. De la main (antérieure droite) tournée vers lui, il fait sur sa poitrine le geste de la connaissance ; son autre main antérieure fait le geste du don et il faut la placer au-dessus de la ligne des hanches. Son autre main droite tient un rosaire cependant que la gauche fait le geste de l’aiguille. Son regard est fixé sur la pointe de son nez et une faible partie du blanc (de ses yeux) est visible. Ses mèches de cheveux pendent derrière et sur les côtés. À ses côtés, les Sages manifestent la satisfaction que donne son enseignement. Sur ses bras, sur ses cheveux, il y a des serpents en mouvement. (Autour) bêtes sauvages, oiseaux et autres sont engagés dans la pratique du Yoga. », traduction B. Dagens et M. L. Barazer-Billoret (2000 : vol. I, 213–214).
200 R. Dessigane et P. Z. Pattabiramin (1967 : 6–9).
201 Dans le domaine des images concrètes, je renvoie à des reliefs qui intègrent la figure du Śiva sous l’arbre banian à la mise en scène de la destruction de Kāma, sur les faces d’un pilier du maṇḍapa du temple d’Airāvateśvara à Darasuram (fig. 37).
Les chercheurs qui s’interrogent sur la forme de Dakṣiṇāmūrti l’associent souvent au mythe de la mise à mort de Kāma. É. Parlier-Renault (2006 : 180– 187), tout spécialement, établit le programme iconographique du Kailāsanātha de Kāñcipuram sur cette base. Pour une réfutation de la présence de ce mythe dans l’iconographie pallava, voir V. Gillet dans E. Francis, V. Gillet et Ch. Schmid (à paraître).
202 T. E. Donaldson (2007 : vol. II, 26, fig. C-37) l’identifie comme Gaṅgā et intitule cette image « Gaṅgā paying homage to Dakṣiṇāmūrti ». Cette identification ne me paraît pas convaincante dans la mesure où cette figure féminine se tient au côté de Śiva sans que rien ne laisse deviner sa nature fluviale ni supposer sa « descente ».
203 J. G. Williams (1983 : 130– 136 et fig. 206).
204 T. A. G. Rao (1914, réimpression 1968 : vol. II, part I, 278– 281, plate LXXI).
205 B. Ch. Shastri (1934). Il reprend cette identification à la suite de Y. R. Gupte et D. R. Sahni, s’appuyant sur le Viṣṇudharmottarapurāṇa (cité en Appendice par T. A. G. Rao) qui décrit la double incarnation de Viṣṇu, l’une à deux bras et l’autre à quatre, séparées par un arbre. Il évoque également le Mahābhārata XII. 344.44 qui mentionne cette double incarnation du dieu.
206 Les deux temples dans lesquels apparaît le Śiva enseignant, le Viśva Brahma d’Ālampur et le Rāmaliṅgeśvara de Satyavolu, ont été datés par O. Divakaran (1971 : 73) entre 681 et 695. Mais, quelques années plus tard, B. Rajendra Prasad (1983) reprend la datation de ces temples et les assigne au premier quart du VIIIe siècle. Il consacre par ailleurs un article (1976) à ces deux formes de Dakṣiṇāmūrti, remarquant leur influence pallava, ce qui me paraît incontestable.
207 S. B. Singh (1976). Il ne donne pas les photos des reliefs, ce qui rend difficile l’appréciation de son identification.
208 L’auteur propose également d’autres figures dont l’identification me semble beaucoup moins convaincante : l’une dans le temple de Mallikeśvara, à Paikapāḍa en Orissa (2007 : vol. I, 101 ; vol. II, 122, fig. 1) dans laquelle on ne voit ni arbre ni torche tandis que le dieu est assis en tailleur sur un lotus, l’autre venant de Bagli, dans le Karnataka (2007 : vol. I, 101 ; vol. II, 1, fig. C-1) qui ne partage que le rosaire avec le dieu au banian.
209 Voir A. Lippe (1975 : 170– 171). La forme de Dakṣiṇāmūrti, bien qu’elle évolue assez peu à la suite des Pallava, subit tout de même quelques changements. Sur certains temples « early cōḻa » (Śrīnivāsanallūr, Kirāmam (Gramam), Puḷḷamaṅkai), le dieu porte au centre de sa coiffe un crâne, qui n’apparaissait pas chez les Pallava. Voir D. Barret (1974 : plate 15, 21 b, 94) et Ch. Schmid (2007 : 96). Le petit personnage écrasé par le pied de Śiva fait également son apparition. On peut rapprocher ici ce personnage de celui qui apparaît sous les pieds du Śiva dansant : absent dans les représentations dansantes pallava, il devient incontournable à l’époque cōḻa, de la même manière qu’il le devient sous les pieds du Śiva enseignant. En ce qui concerne les attributs et les mudrā, le geste caractéristique des formes pallava — le pouce, l’index et le majeur sont repliés tandis que l’annulaire et l’auriculaire sont étendus — disparaît. Il est remplacé par le geste de la connaissance répertorié dans les traités iconographiques, l’index et le pouce joints (cinmudrā, vhākhyānamudrā), ou par la main ouverte posée sur la cuisse, paume vers le haut. Cette main peut également renfermer un livre, comme les Āgama le recommandent. Nous trouvons aussi beaucoup de Dakṣiṇāmūrti dont la main est en abhaya, geste absent des représentations enseignantes pallava. En revanche, les mains arrière tiennent toujours le rosaire et, généralement, le feu. Vers la fin de l’époque cōḻa, Dakṣiṇāmūrti peut se trouver dépourvu de sa coiffe ascétique, la tête couverte d’une haute coiffe ornée. Les éléments qui accompagnaient cette figure pallava tendent également à disparaître : sages, gazelles ou arbre ne sont plus systématiquement représentés. Le simple siège est remplacé par une montagne, en accord avec les descriptions de certains Āgama. Le Śiva enseignant n’est plus une simple divinité de la forêt, mais devient celui qui est en ascèse dans son ermitage sur le sommet verdoyant de la montagne.
210 Un relief à l’extérieur de la grotte pāṇḍya d’Ariṭṭāpaṭṭi (taluk de Mēlūr, district de Madurai) a été identifié comme Lakulīśa par A. Lippe (1975 : 172, fig. 17) et K. V. Soundara Rajan (1998 : 53) qui y ajoute le relief de la grotte de Tēvarmalai (taluk et district de Putukkōṭṭai). Il semble que ce relief ait été identifié ainsi d’après la massue, attribut de Lakulīśa, que porte le personnage assis. Cependant, E. Edholm (1998), sans trancher véritablement, discute cette identification : il pourrait s’agir également d’un Caṇḍeśa. Cette dernière hypothèse fut pour la première fois proposée par Narayanaswamy (cité par E. Edholm, p. 52) et sera reprise par D. Goodall (2005 : 58 et fig. 32 et 2009 : 405). Bien qu’il soit difficile de proposer une identification vraiment convaincante, la deuxième interprétation me paraît cependant la plus vraisemblable, surtout si l’on considère l’emplacement de cette figure, à l’entrée de la grotte, couplée avec Gaṇeśa. Il est en effet courant de trouver ces deux représentations flanquant l’entrée des temples. Voir E. Edholm (1998 : 52–53) et D. Goodall (2005 : 56 et 2009 : 404–409). En outre, il existe d’autres Caṇḍeśa porteurs de massue, comme dans les temples de Cīyamaṅkalam et d’Uṟaiyūr. Voir D. Goodall (2005 : fig 31 et 34 et 2009 : fig. 4–7).
211 Voir P. Bisschop (2006 : 37–50). D. R. Bhandarkar (EI XXI [1931–1932], no 1, p. 1–9), qui édite la célèbre inscription gupta de Candragupta II retrouvée sur un pilier à Mathurā, identifie le petit personnage bedonnant debout tenant une massue au bas de l’épigraphe comme Lakulīśa. Il établit son hypothèse sur la base de la mention d’un personnage cité dans l’inscription, Kuśika, duquel descend une lignée de maîtres, et qui est identifié par l’auteur comme l’un des disciples de Lakulīśa. L’inscription étant datée de 381 après J.-C., D. R. Bhandarkar situe ainsi l’incarnation de Śiva comme ayant vécu au cours du premier quart du IIe siècle après J.-C., en comptant arbitrairement une durée de vie de 25 ans pour chaque disciple qui se succède. Cette hypothèse a été adoptée par la plupart des chercheurs. Cependant, P. Bisschop (2006 : 46– 47) exprime ses doutes : ni le terme pāśupata ni le nom de Lakulīśa n’apparaissent et le concept de ce dernier comme incarnation de Śiva n’existait probablement pas à cette époque. Plus de soixante-dix ans après D. R. Bhandarkar, la lecture de cette inscription de Mathurā et l’identification du petit personnage sont revues par D. Acharya (2005) : il s’agirait selon lui de Caṇḍeśa et non de Lakulīśa.
212 Voir les reliefs d’Arthuna au Rajasthan (M. C. Choubey [1997 : pl. 15]), sur la Rampol Gate de Chittorgarh (M. C. Choubey [1997 : pl. 16]), de la grotte 29 à Ellorā (M. C. Choubey [1997 : pl. 23]), de Bijwad au Madhya Pradesh (M. C. Choubey [1997 : pl. 25]), d’Hinglajgarh et Bhanpura au Madhya Pradesh (M. C. Choubey [1997 : pl. 32 – 34]). Pour une étude de Lakulīśa en général, voir U. P. Shah (1984), M. C. Choubey (1997) et E. Edholm (1998 : 48– 51). Sur l’importance de ce saint en Orissa, voir D. Mitra (1984). L’auteur (1984 : 109) publie une photographie d’un relief du temple Śiśireśvara à Bhubaneśvar dans lequel Lakulīśa tient un objet dans la main gauche supérieure qu’il identifie à une fleur. Je pense plutôt qu’il s’agit d’une torche, à l’instar du Śiva au banian, montrant ainsi l’influence de l’un sur l’autre.
213 E. Edholm (1998 : 55) remarque brièvement aussi cette équivalence entre ces deux formes enseignantes et le fait qu’elles appartiennent à des aires géographiques différentes. Voir également T. E. Donaldson (2007 : vol. I, 101) et A. J. Gail (2008 : 457). Les temples d’Ālampur et des environs, érigés par les Cāḷukya, sont les seules exceptions à ma connaissance. Des reliefs de Dakṣiṇāmūrti et de Lakulīśa sont représentés sur les façades des temples. Cependant, dans les monuments où apparaît la figure du dieu assis sous le banian, au Viśva Brahma et dans le temple de Satyavolu, Lakulīśa est absent. À l’inverse, lorsque Lakulīśa est représenté (Saṅgameśvara à Kūḍaveli), Dakṣiṇāmūrti ne l’est pas. Il semble donc que, malgré la proximité géographique de ces édifices soumis à l’influence pallava aussi bien qu’à celle des Cāḷukya de l’Ouest, les deux formes ne se mélangent toujours pas, la figure du guru étant incarnée soit par Śiva en personne soit par Lakulīśa, les deux ne pouvant figurer sur un même temple.
214 La forme de Dakṣiṇāmūrti n’est pas évoquée dans le Pāśupatasūtra, mais nous trouvons les termes « mahādevasya dakṣiṇayām mūrtau » dans le commentaire de Kauṇḍiya des vers 1.1, qui semble faire référence à une situation : « à la droite de Mahādeva ». Voir H. Bakker (2001 et 2004).
215 Je remercie Peter Bisschop de cette remarque. Il me signale un passage du Skandapurāṇa (SP) dans lequel, à sa connaissance, se trouve la seule occurrence de Lakulīśa une torche à la main. Śiva crée les quatre disciples de ses quatre bouches et les envoie sur la terre. Śiva s’incarne en un corps blanc et se rend dans la maison du brahmane Somaśarman à qui il enseigne le yoga. Il rassemble alors les quatre disciples et, une torche à la main, entreprend de diffuser sa doctrine. Le passage qui nous intéresse plus particulièrement est le suivant :
anugṛhya tadā vyāsa sakulaṃ dvijasattamam |
jagāmojjayanīṃ devaḥ śmaśānaṃ ca viveśa ha | | 126
sa tatra bhasmanātmānam avaguṇṭhya vṛṣadhvajaḥ | ulmukaṃ vāmahastena gṛhītvā samupāviśat | | 127
tatra prathamam ādāya śiṣyaṃ kauśikam īśvaraḥ |
jambūmārge dvitīyaṃ ca mathurāyāṃ tato’param | | 128
kanyakubje tataś cānyam anugṛhya jagatpatiḥ |
svasiddhāntaṃ dadau yogam uvācedaṃ ca lāguḍiḥ | | 129
Voir P. Bisschop (2006 : 104 ; 211–212).
« Alors, ayant montré sa compassion envers le meilleur des deux fois nés avec sa famille, Ô Vyāsa, il alla à Ujjayanī, et le dieu entra dans le champ de crémation. Ayant couvert son corps de cendre, celui à la bannière de taureau, saisissant une torche de sa main gauche, commença. Là, le Seigneur pris comme premier disciple Kauśika, le deuxième à Jambumārga, un autre à Mathurā et encore un autre à Kanyakubhja, en montrant sa grâce. Lāgudi donna sa propre doctrine et enseigna ce yoga. »
P. Bisschop (2006 : 211) remarque qu’il s’agit peut-être, pour la présence de la torche, de la même fonction que dans le rituel du Śaivasiddhānta (infra p. 101– 102), étant donné que les disciples sont, à partir de ce moment, initiés à la doctrine du Maître.
Cette torche est également évoquée dans les mains du Pāśupata, même s’il n’est pas précisé qu’il s’agit du Maître :
bhasmapāṇḍuradigdhāṅgo nagno vikṛtalakṣaṇaḥ |
ulmukavyagrahastaś ca raktapiṅgalalocanaḥ | |
kvacic ca hasate raudram kvacid gāyati vismitaḥ |
kvacin nṛtyati śṛṅgārī kvacid rauti muhur muhuḥ | |
Kūrmapurāṇa (KP) II. 37.100– 101.
« Il avait les membres couverts de cendre blanche, il était nu, portant des marques extraordinaires, la main occupée par une torche, les yeux jaunes et rouges. Parfois il riait terriblement, parfois il chantait perplexe, parfois il dansait amoureux, parfois il criait encore et encore. » Dans le Liṅgapurāṇa (LP) I. 21.60 b, nous lisons : śmaśānaratinityāya namo’stūlmukadhāriṇe : « Hommage à celui qui est perpétuellement engagé dans le plaisir du champ crématoire ; à celui qui porte la torche. ». Ici, cette évocation prend place dans une longue série d’éloges, et si le port de la torche suit la mention du champ de crémation, le texte lui-même ne relie pas explicitement cette forme de Śiva à un mouvement religieux.
216 tataḥ pūrṇāhutiṃ dadyāt kṛtahomasya deśikaḥ |
śivādibhiḥ karasyāgram ulmukāgreṇa saṃspṛśet | |
khaḍgavan mantrasaṃdīptyai pāśacchedādihetutaḥ |
Mṛgendrāgama, Kr. 8.213– 214a, texte cité par H. Brunner-Lachaux (1977 : 493), dans le volume 3 de la Somaśambhupaddhati, et traduction H. Brunner-Lachaux (1985 : 324–325) dans sa traduction du Mṛgendrāgama.
L’auteur (1977 : 493) cite également l’Uttarakāmikāgama, dans lequel le maître utilise une torche faite d’herbe darbha (darbholmukena). Elle ajoute un passage du Svacchanda 4. 478b-479a et son commentaire qui traite du même rituel. De fait, dans sa note 55, elle signale que ce rituel est décrit dans tous les manuels.
217 śivaprativijñāpanaprakāraḥ
abhiṣekārtham ādiṣṭas tvayāhaṃ gurumūrtinā |
saṃhitāpāragaḥ so’yam abhiṣikto mayā śiva | | 21
aṅgulilāñchanavidhiḥ
tṛptaye mantracakrasya pañca pañcāhutīr yajet |
dadyāt pūrṇāṃ tataḥ śiṣyaṃ sthāpayen nijadakṣiṇe | | 22
śiṣyadakṣiṇapāṇisthā aṅguṣṭhādyaṅgulīḥ kramāt |
lāñchayed ūṣaratvāya dagdhadarbhāṅgaśambaraiḥ | | 23
Somaśambhupaddhati, traduction H. Brunner-Lachaux (1977 : 492– 495). Ce texte date du XIe siècle. Cependant, comme le signale l’auteur (p. 1), il se base sur des Āgama plus anciens.
218 F. L’Hernault (1978 : 69, note 41) remarque brièvement le rapprochement entre représentations bouddhiques et Dakṣiṇāmūrti. A. J. Gail (2008), dans un article que P. Bisschop vient de porter à ma connaissance et qui va tout à fait dans le sens de mon propos, établit de manière brève mais efficace le lien qui unit les images du Buddha atteignant l’illumination, du Buddha délivrant son premier sermon et de Śiva Dakṣiṇāmūrti. L’auteur (2008 : 458) souligne également que l’emprunt au bouddhisme par le śivaïsme se fait probablement dans un esprit de compétition.
Nous savons que de nombreux monuments bouddhiques et jaïns occupaient la région de Kāñcipuram d’après le témoignage du pèlerin chinois Hiuen Tsang (supra p. 66). Or, la plupart de ces monuments ont aujourd’hui disparu, ne nous permettant pas de connaître leur iconographie dans cette région et à cette époque. De ce fait, il est impossible de déterminer, dans le cas de cette forme enseignante de Śiva, si les images pallava se rapprochent d’un type de représentations bouddhiques qui serait apparu sur le territoire tamoul. Cependant, considérant le thème du Sermon mis en scène à travers toute l’Inde, on peut considérer ici un emprunt à une iconographie bouddhique en général, à un concept pan-indien du sermon du Buddha plus qu’à une image ou un style particuliers.
219 Usha Rani Tiwari (1998 : 128).
220 Il ne s’agit ici que d’un rapprochement élaboré sur la base d’une ressemblance visuelle, car comme me l’a fait justement remarquer B. Dagens, le disque, arme qui se retrouvera dans les mains de Viṣṇu, est différencié de la Roue de la Loi, malgré le terme sanskrit commun (cakra) qui les désigne.
221 Puṟanaṉūṟu 9.3 : teṉ pula vāḻnarkku arum kaṭaṉ iṟukkum, « [ils] rendent les difficiles hommages aux habitants du pays du sud. ». Feu T. V. Gopal Iyer ainsi que G. L. Hart et H. Heifetz (2002 : 9) voient dans ces « habitants du sud » les morts auxquels les hommages doivent être rendus.
222 Pattuppāṭṭu, Maturaik kāñci, l. 40. C’est également le nom donné aux Pāṇḍya, marquant peut-être cette fois-ci leur origine sud-indienne.
223 Voir K. Prenchilis Prentiss (1999) et supra p. 73.
224 Je remercie Claudine Bautze-Picron de m’avoir communiqué ces informations concernant les directions dans le bouddhisme. Cette conclusion est le résultat d’une observation des monuments de Pagan (Birmanie) et de certains stūpa votifs d’Inde orientale. Si ces monuments sont éloignés de la région qui nous occupe, cette remarque me semble néanmoins à prendre en compte dans le sens où elle reflète des conceptions inhérentes au bouddhisme en général.
225 F. L’Hernault (1978 : 108 et plan du Kailāsanātha). L’auteur tente de définir l’appellation de Dakṣiṇāmūrti et en conclut qu’il s’agit de la « figure de la façade sud ». Ainsi cette forme est à rapprocher des Dakṣiṇāmūrti puisqu’elle se trouve elle-même au sud, bien qu’elle partage aussi la posture de celui que l’auteur appelle Śiva Yogin de la face nord, que j’identifie comme Jalandharasaṃhāramūrti.
226 F. L’Hernault (1975 : 100–101) considère cette représentation comme Dakṣiṇāmūrti en raison des attributs de la connaissance dont il est pourvu, tout en précisant que cette forme ne devait pas être encore fixée à cette époque.
L’un des reliefs se trouve sur une stèle abîmée, encore actuellement dans l’enceinte du temple. L’autre, sculpté sur l’une des faces d’un cube bien conservé, est entreposé aujourd’hui dans le musée de l’Archaeological Survey of India de Mahābalipuram. Sur les trois autres faces, on trouve une Ardhanārīśvaramūrti et deux images que F. L’Hernault identifie comme Tripurāntakamūrti et Paśupatāstradānamūrti.
227 K. R. Srinivasan (1975 : 36, pl. XXXVIII b). Je rappelle ici que les ratha de Mahābalipuram ont probablement été taillés sous le règne des rois Narasiṃhavarman I Māmalla et de son fils, Parameśvaravarman I, au cour du VIIe siècle. Leur excavation précèderait donc les temples construits. L’iconographie du Dharmarāja ratha est très particulière et novatrice. Elle annonce l’iconographie des temples construits en représentant, de manière simplifiée, les mythes qui couvriront les façades des monuments dès le règne de Narasiṃhavarman II Rājasiṃha.
228 K. R. Srinivasan (1975 : 36) décrit trois mudrā différentes : cinmudrā pour la main supérieure droite, kapitta hasta mudrā pour la main supérieure gauche et kaṭaka ou muṣṭi pour la main inférieure gauche. Cependant, en dehors de l’orientation de la main, ces trois gestes sont très proches : le pouce et l’index se joignent.
229 F. L’Hernault (1978 : plan du Kailāsanātha) pense qu’il s’agit d’un Bhairava, forme terrible liée au péché de brahmanicide. Si la coiffe de cette divinité est celle des formes terribles de Śiva, elle est cependant celle des figures ascétiques également, et le dieu, portant les attributs de l’ascète, fait ici le geste de la connaissance et celui d’absence de crainte. É. Parlier-Renault (2006 : 158– 159), pour sa part, remarque des ressemblances avec Bhikṣāṭanamūrti ou Gajāntaka, mais aussi avec Śiva Jalandharasaṃhāramūrti, notamment à cause de la gourde qu’il tient. Elle évoque l’idée qu’il s’apparente peut-être à ce dernier, mais n’explore pas cette relation. En outre, elle garde pour ce Śiva marcheur l’appellation de Bhairava, suivie d’un point d’interrogation.
230 Ceci correspond bien à la thématique des façades des temples pallava que je développerai plus loin.
231 La première hypothèse irait dans le sens de G. Verardi (2003 : 16–18) qui considère le mythe de Tripurāntaka, entre autres, comme un reflet du conflit entre bouddhistes et hindous à l’œuvre dans la réalité historique. Cette figure pourrait également être considérée comme indépendante. Cependant, la place qu’elle occupe, entre deux niches centrales, me conduit à supposer que sa présence ici est à interpréter en rapport avec l’une des deux images principales qui l’encadrent. Le même phénomène a lieu sur la façade ouest, lorsqu’Ardhanārīśvaramūrti, un instrument de musique dans les mains, est assise à la gauche du Śiva dansant à la jambe levée. En effet, cette image, souvent indépendante, est, dans ce cas semble-t-il, liée à la danse du dieu grâce à la vīṇā (infra p. 166).
232 É. Parlier-Renault (2006 : 237), bien qu’elle garde le titre de Bhairava pour cette forme à la suite de F. L’Hernault (1978 : 109, note 13), reconnaît l’absence d’aspect terrifiant et préfère, en fin de compte, la désigner comme Śiva ascète.
233 Dakṣiṇāmūrti n’apparaît pas dans ce temple car la façade sud n’a pas été sculptée. Comme dans tous les monuments, elle devait sans aucun doute prendre sa place dans la niche centrale. Il faut ajouter ici deux représentations au Kailāsanātha dans lesquelles un personnage debout, portant le même type de coiffe, marche. Dans la première, niche n o 52 (fig. 63 [p. 133]), Śiva à huit bras, tenant toutes sortes d’armes, marche sur un objet arrondi. Il précède la représentation du Śiva mendiant et il me semble donc qu’il soit plutôt à rapprocher de cette figure. Je reviendrai plus loin sur cette image (infra p. 132– 133). Un dieu marcheur occupe également la façade nord du templion H (fig. 45). Il est pourvu de deux bras et se tient sur le même objet arrondi que dans le relief précédent. Deux dévots sont agenouillés à ses pieds. Il a été identifié comme Bhairava par F. L’Hernault (1978 : 109– 110, note 13). Cette identification ne me satisfait cependant pas dans le sens où ce personnage ne porte aucun attribut et ne possède qu’une seule paire de bras. R. Nagaswamy (1969 : 8) semble suggérer qu’il s’agit d’un gardien des champs. Or le « gardien des champs » (kṣetrapāla) décrit dans les Āgama est perçu comme une forme terrible de Śiva, assimilée à Bhairava, ce qui ne serait guère approprié pour notre image. Voir Rauravāgama, Kp. 51.8– 12, traduction B. Dagens et M. L. Barazer-Billoret (2000 : 344– 345). Cependant, ces vers le situent dans le secteur nord-est du temple de Śiva, ce qui est le cas pour le relief qui nous occupe. Il se pourrait donc que cette représentation mette en scène une figure gardienne, précédant sa fixation sous une forme terrible dans les Āgama.
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012