Le contexte religieux
p. 65-76
Texte intégral
Le bouddhisme
1La question de l’arrivée du bouddhisme au Tamil Nad126 et de son développement dans cette région est encore débattue aujourd’hui127. Selon l’hypothèse la plus répandue, cette religion aurait pénétré le sud-est de l’Inde sous le règne de l’empereur Aśoka, converti au bouddhisme, au cours du IIIe siècle avant J.-C.128. Deux édits d’Aśoka mentionnent les Cōḻa et les Pāṇḍya dans le sud de l’Inde129 et, comme en écho, deux poèmes tamouls des premiers siècles de notre ère évoquent la traversée des montagnes par les Maurya130. Cependant, la littérature du caṅkam datée des premiers siècles de notre ère n’évoque pas le bouddhisme et aucune preuve tangible du développement de cette religion avant le IV e siècle après J.-C. au Tamil Nad ne peut être apportée131.
2Si l’on ne peut évaluer l’ancrage du bouddhisme dans le territoire tamoul au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne, on sait, en revanche, qu’il a connu un fort développement dans le sud de l’Andhra Pradesh. Les sites d’Amarāvatī et de Nāgārjunakoṇḍā, entre autres, en témoignent. Les Pallava ayant débuté leur règne au IIIe siècle après J.-C. dans le sud de l’Andhra Pradesh et leur art s’étant inspiré en partie des monuments bouddhiques ou brahmaniques132 de cette région, on est en mesure de se demander si cette religion n’aurait pas véritablement commencé à s’installer au Tamil Nad grâce à l’influence du bouddhisme d’Āndhradeśa133. C’est du IVe siècle au plus tôt que sont datés les premiers vestiges bouddhiques du pays tamoul134.
3Le nom de deux souverains pallava fait de toute évidence référence à ce courant religieux (Buddhyaṅkura et Buddhavarman ; supra p. 26). Mais le nom d’un roi ne reflète pas sa foi et, aucun document épigraphique émis au cours de leur règne ne nous étant parvenu, il est difficile d’avoir une idée précise sur la nature de leur dévotion. Des moines bouddhistes célèbres commencent à séjourner au Tamil Nad dès les Ve–VIe siècles135. Si le premier pèlerin chinois, Fa-hsien, s’est rendu à Ceylan au Ve siècle sans passer par le Tamil Nad, le deuxième, Hiuen Tsang, a parcouru cette région au cours de la première moitié du VIIe siècle. Le témoignage qu’il laisse rend compte d’un bouddhisme fort, au moins à Kāñcipuram136. Cette région renfermait vraisemblablement un nombre considérable de monuments bouddhiques aujourd’hui disparus. Quelques sculptures sont peut-être des traces de cette grandeur passée137.
4Au-delà de l’archéologie, la littérature témoigne de l’installation de cette religion en pays tamoul. Un ouvrage en langue tamoule, le Maṇimēkalai, narre les aventures de Maṇimēkalai, fille de la courtisane Matevī, maîtresse de Kovalaṉ, le héros du Cilappatikāram. Abandonnant la vie de courtisane, la jeune fille s’engage dans la voie du renoncement bouddhique. Ce texte daterait environ du VIe siècle138. Dans une étude fort intéressante de cette épopée, A. E. Monius (2001 : 77–86) remarque que le bouddhisme, en utilisant la langue tamoule, s’ancre ainsi dans le local, adaptant des concepts venant du nord de l’Inde. C’est un phénomène semblable qui animera le mouvement de bhakti śivaïte tamoule et atteindra l’iconographie religieuse elle-même (infra p. 71–73).
5Entre la fin du VIe et le premier quart du VIIe siècle, le Mattavilāsaprahasana, farce sanskrite attribuée au roi pallava Mahendravarman I, tourne en ridicule les moines bouddhistes, taxés de voleurs et d’hypocrites. Un passage évoque des palais pourvus de couches confortables, une abondance de nourriture et d’alcool139. Serait-ce le reflet d’une certaine réalité ou bien s’agirait-il seulement d’un procédé mis en place par l’auteur, fervent śivaïte, qui cherche à discréditer les religions adverses comme le feront les poètes de la bhakti ?
6La présence du bouddhisme en pays tamoul semble se prolonger pendant plusieurs siècles. La lutte acharnée des poètes du Tēvāram, essentiellement Appar et Campantar, contre les bouddhistes, en témoigne : ils consacrent une strophe de chacune de leurs décades à critiquer les adeptes de cette secte, tant du point de vue du comportement que de l’hygiène ou de leur langue. Auraient-ils mis tant d’ardeur à combattre une religion mourante ? Probablement pas. Il est donc tout à fait envisageable qu’entre les VIIe et Xe siècles140, le bouddhisme ait été suffisamment puissant pour être craint de ses adversaires. Un ouvrage bouddhique en tamoul, le Vīracōḻiyam, est composé au Xe siècle, montrant que le bouddhisme est toujours en vigueur en pays tamoul141.
7Quand donc et comment cette religion a fini par s’exiler et disparaître presque entièrement du pays tamoul ? Il est impossible de définir précisément ce fait et l’on ne peut qu’envisager plusieurs facteurs qui, combinés au fil des siècles, ont contribué peu à peu à son extinction.
8Le déclin du bouddhisme dans cette région semble avoir commencé vers le Xe siècle, même si l’on trouve des témoignages de sa présence jusqu’au XIVe142. Comme le souligne V. Rao (1979 : 262– 265), ce mouvement semble s’être fragmenté en de nombreuses branches, entraînant peut-être une désunion au sein de la communauté. Les doctrines se rigidifient, les monastères s’enrichissent, et on peut alors imaginer que cette religion perd ainsi une partie de l’attrait qu’elle exerçait à ses débuts dans le pays tamoul. La religion jaïne semble en outre attirer beaucoup d’adeptes faisant peut-être de l’ombre au bouddhisme143. Par ailleurs, le développement du mouvement de bhakti dans cette région a peut-être aussi contribué à ce déclin. Ce mouvement fait appel aux mêmes éléments qui avaient permis au bouddhisme de rassembler les foules : une littérature en langue vernaculaire, un contact avec le divin abordable pour tous quelle que soit la caste, une proximité manifeste avec le divin qui prend forme humaine et se rapproche du dévot.
Le jaïnisme
9Contrairement au bouddhisme dont il n’existe aucune trace en pays tamoul avant le IVe siècle après J.-C., le jaïnisme a probablement pénétré le Tamil Nad très tôt144. Les premiers témoignages épigraphiques datent du IIe siècle avant J.-C. : il s’agit d’inscriptions en brāhmī tamoule puis en vaṭṭeḻuttu retrouvées dans des cavernes, qu’accompagnent parfois des bancs ou des lits taillés dans la roche145. Il est surprenant de constater que, jusqu’au VIe siècle après J.-C., parmi les cent-dix inscriptions en brāhmī tamoule et en vaṭṭeḻuttu répertoriées, une seule est d’obédience brahmanique. Quatre-vingt-seize sont jaïnes tandis que les treize restantes sont séculaires146. Le jaïnisme semble donc bien développé dans cette région entre le II e siècle avant J.-C. et le VIe siècle de notre ère147.
10La présence de cette religion apparaît comme continue tout au long des siècles, malgré une certaine diminution du nombre de ses inscriptions pariétales148. Cependant, si les épigraphes jaïnes sont plus rares au cours des IVe–VIIIe siècles, cette communauté reste active, comme le prouvent, entre autre, l’élaboration du Lokavibhāga au Ve siècle (supra p. 28), l’inscription de Paḷḷaṅkōyil (IP no 17), datée de la deuxième moitié du VIe siècle, qui enregistre une donation à l’ascète jaïn Vajranandin pour le culte du seigneur Jina, les tablettes gaṅga d’Hosakōṭe qui mentionnent la construction d’un temple jaïn par l’épouse du roi pallava Siṃhavarman, mère de Siṃhaviṣṇu (MAR 1938, p. 80–90), le témoignage de Hiuen Tsang dans la première moitié du VIIe siècle (voir note 136). Il semble donc que si les Pallava ont adhéré le plus souvent eux-mêmes à la religion brahmanique, ils auraient parallèlement patronné le jaïnisme149.
11Une légende, rapportée dans le Periyapurāṇam (chapitre 26, traduction T. N. Ramachandra, vol. I, 269– 291), stipule que le saint Appar, fervent jaïn qui embrasse ensuite la foi śivaïte, aurait converti à son tour le roi pallava Mahendravarman I. De même pour le roi pāṇḍya Neṭumāṟaṉ, converti par Campantar150. Les poètes du Tēvāram attaquent avec virulence les jaïns, en même temps que les bouddhistes, montrant ainsi, au-delà de l’aspect légendaire, que cette religion était suffisamment puissante pour soulever un tel acharnement à la critique151.
12Le jaïnisme semble connaître une forte recrudescence au cours des VIIIe–Xe siècles. Comme le remarque I. Mahadevan (2003 : 137–139), les sites des grottes jaïnes anciennes sont réoccupés et de nouvelles inscriptions en vaṭṭeḻuttu apparaissent, signifiant un renouvellement dans la foi et dans la force du mouvement. Beaucoup de ces sites se situent en pays pāṇḍya, laissant alors supposer que les souverains de cette dynastie étaient favorables à cette religion152. Les Pallava également continuent à l’être, comme le prouvent plusieurs de leurs inscriptions, aux VIIIe et IXe siècles, qui évoquent des dons aux édifices religieux (IP no 74 et no 88), une rénovation d’un sanctuaire jaïn (IP no 198) ou l’élaboration d’une image (IP no 85). La dynastie des Cōḻa aussi se pose comme patronne de nombreux centres et monastères jaïns153. Le XIIe siècle voit l’élaboration de l’un des grands classiques de la littérature tamoule, le Cīvakacintāmaṇi, épopée de cour jaïne. À cette époque, si le nombre de témoignages épigraphiques et archéologiques jaïns diminue, ceux-ci ne disparaissent cependant pas154. Le jaïnisme, contrairement au bouddhisme, restera ancré sur le territoire indien, et ses adeptes sont encore actifs aujourd’hui.
Le mouvement de bhakti et l’image divine
13La bhakti pourrait se définir, de manière simplifiée, comme une dévotion particulière et personnelle à un dieu choisi. Il s’agit d’établir entre le dévot (bhakta) et le dieu une relation intime, basée sur l’amour et l’abandon de soi. Les prémices du mouvement de bhakti se trouvent dans la Bhagavadgītā. Arjuna, le bhakta, devient dévot de Kṛṣṇa, incarnation de Viṣṇu. Le principe de bhakti implique celui d’incarnation de la divinité : le dévot s’adresse alors au dieu personnellement, qui se présente devant lui sous une forme aisément concevable et visible. Comme le souligne M. Biardeau (1994 : 7), l’avatāra est alors conçu comme dieu de la bhakti par excellence qui « descend », auquel les dieux s’adressent pour demander secours sur le mode d’un bhakta prenant refuge en son dieu.
14Si cette « révolution » a eu un impact considérable sur l’ensemble de l’hindouïsme, le viṣṇuïsme, dans un premier temps, semble refléter les effets de la bhakti avec le plus de force155 : Viṣṇu, sous ses formes d’avatāra, s’incarne sous différents aspects et, se mettant à agir, permet ainsi la représentation narrative. Au sein de l’hindouisme, les premières représentations narratives sont donc viṣṇuïtes. Celles-ci seront largement développées dès le début du Ve siècle, mettant en scène aussi bien des avatāra que des passages du Rāmāyaṇa. Le śivaïsme, quant à lui, reste quelque peu réticent à la représentation narrative jusqu’au VIIe siècle, comme en témoigne le nombre relativement modeste des figures agissantes du dieu précédant l’avènement de l’iconographie pallava des temples construits156.
15La bhakti śivaïte qui se développe en Inde méridionale dès le VIe siècle loue les différentes incarnations de Śiva qui devient dieu agissant : le Śiva mendiant, le Śiva dansant, le Śiva vainqueur de démons, etc157. Cette visualisation nécessaire du dieu qui prend corps devant le dévot duquel il se rapproche donne probablement une nouvelle impulsion à l’iconographie śivaïte. Śiva devient à son tour le dieu suprême qui peut alors « descendre » et être représenté agissant. Dès la fin du VIIe siècle dans les sanctuaires pallava, l’objet de culte lui-même devient forme incarnée, différenciée du liṅga : la Somāskandamūrti offre au dévot une forme figurée sur laquelle il doit méditer158. Il est possible d’envisager alors que le développement de la bhakti śivaïte en pays tamoul, mettant en avant le principe d’incarnation de Śiva, est l’un des facteurs qui permet à l’iconographie śivaïte d’évoluer dans la même direction que l’avait fait, plusieurs siècles auparavant, l’iconographie viṣṇuïte.
16Cette dévotion, abandonnant le sanskrit, s’exprime dans une langue locale, accessible à tous. La bhakti qui se développe au sud-est de la péninsule indienne s’exprime donc en tamoul. Tenant lieu en quelque sorte de transition entre la littérature du caṅkam et la littérature de bhakti, le Paripāṭal et le Tirumurukāṟṟupaṭai sont dédiés essentiellement à Viṣṇu et Murukaṉ159. Considérée comme la première des nāyaṉmār (saints śivaïtes), Kāraikkālammaiyār chante les louanges de Śiva probablement au cours de la seconde moitié du VIe siècle160. Ensuite, dans un ordre chronologique, viennent les trois saints du Tēvāram, Appar, Campantar et Cuntarar, dont les dates, toujours très discutées, s’échelonnent peut-être entre les VII e et Xe siècles161. La bhakti śivaïte continue de s’exprimer dans les autres Tirumuṟai (livres qui en constituent le canon) dont les auteurs principaux sont Māṇikkavācakar, Tirumūlar, Nampi Āṇṭār Nampi et Cēkkiḻār.
17Le choix de la langue vernaculaire marque un tournant fondamental. L’auteur, qui parle à la première personne, semble transmettre son expérience personnelle. En utilisant le tamoul, sa langue maternelle, pour chanter et prier son dieu, le poète en transforme la valeur. Alors que le sanskrit était considéré comme langue sacrée, c’est au tour du tamoul d’endosser ce caractère et il devient donc digne d’être offert au dieu, qui se délecte en écoutant les prières162. Ainsi, à travers la langue utilisée, un rapprochement s’opère entre le dévot et son dieu. Le premier peut louer son dieu dans sa langue maternelle, sa langue quotidienne, qu’il possède et qui le possède. Les poètes vont même plus loin. Dans la bhakti tamoule, comme le décrit K. Pechilis Prentiss (1999 : 50– 56), ces images de Śiva acteur inspirées de la tradition puranique sanskrite, insistant sur le côté transcendant du dieu, sur sa beauté et ses actions d’ordre cosmique, sont replacées par les poètes dans un contexte tamoul, supposant que le dieu est tamoul. Le procédé le plus souvent utilisé est la localisation de la vision du dieu sur la terre tamoule : il n’est que très rarement nommé Śiva mais est défini par « celui qui réside à… », « celui de… », « le dieu de… ». Le dieu appartient donc au lieu dans lequel il apparaît, il est ce lieu lui-même et cela entraîne une combinaison subtile entre un local et un transcendantal. Un transcendantal qui se résout dans le local. Ce phénomène d’incarnation de Śiva ancrée dans un contexte local et la tension qui en résulte seront parfois reflétés dans l’iconographie de cette époque.
Le Śaivasiddhānta
18L’histoire du Śaivasiddhānta, dont la doctrine est exposée principalement dans les Āgama ou Tantra, est très difficile à retracer163. C’est probablement à partir du VIe siècle que les premiers ouvrages de ce courant ont été élaborés164, se consacrant principalement aux rites d’initiation du dévot et à la conception philosophique de Śiva et du monde. Puis, au cours des siècles, la doctrine évolue et les traités qui la façonnent diversifient les sujets abordés : on y trouve alors une théologie plus cohérente, de longs chapitres dédiés au culte des divinités, à l’installation des images dans les temples, à la confection de ces images et au déroulement des fêtes.
19H. Brunner (1998 : IV-V) conclut son édition de la Somaśambhupaddhati sur l’affirmation qu’il n’est pas encore question, dans les textes du Śaivasiddhānta au XIe siècle, de culte public, mais de culte privé seulement. Une telle remarque165 justifie le fait que les quelques textes anciens qui consacrent des passages à l’iconographie ne reflètent pas ce que l’on rencontre dans les temples qui leur sont contemporains, les images décrites relevant de la sphère du culte privé. Ce ne serait qu’à partir des XIe–XIIe siècles que la séparation entre les deux cultes s’établit, les descriptions des images dans les traités du Śaivasiddhānta s’appuyant alors sur les temples environnants, c’est-à-dire les monuments cōḻa, instruments du culte public. Ainsi s’explique le fait que les chapitres iconographiques des Āgama reflètent un état de la représentation de toute évidence postérieur à l’époque pallava166. À la suite de ces constatations, je n’utiliserai donc que rarement les textes agamiques dans l’étude proposée ici.
20Jusqu’au XIIe siècle, ce mouvement est répandu dans toute l’Inde167. Puis pour une raison inexpliquée, il se recentre uniquement au Tamil Nad. Des ouvrages siddhāntika seront dès lors écrits en tamoul alors qu’ils n’étaient composés qu’en sanskrit jusque là.
21C’est à Kāñcipuram, dans l’inscription de fondation du temple du Kailāsanātha du souverain pallava Narasiṃhavarman II Rājasiṃha (fin du VIIe–premier quart du VIIIe), qu’apparaît pour la première fois le terme śaivasiddhānta. C’est en outre l’un des premiers témoignages épigraphiques de la présence de ce mouvement en Inde du sud et de l’initiation d’un adepte royal : « Celui dont la puissance (/la lance) réduisit en poussière les multitudes ennemies, dont on célébra le profond sens politique, et qui, sur le chemin tracé par le Śaivasiddhānta, détruisit toutes les impuretés — l’illustre Atyantakāma, le souverain des Pallava »168. Cette simple mention épigraphique dans l’un des monuments les plus novateurs et grandiloquents de la dynastie des Pallava montre que ce mouvement religieux n’était déjà plus marginal en ce début de VIIIe siècle au Tamil Nad, puisque l’un de ses adeptes est le souverain lui-même. On ne peut cependant tirer aucune conclusion sur l’état de ce courant à cette époque sur la base de cette évocation laconique.
Les Pāśupata et les Kāpālika169
22Voici encore deux sectes dont l’impact est difficile à estimer dans le sud-est de la péninsule indienne à l’époque pallava. Le Pāśupatasūtra (daté du début de l’ère chrétienne), le Gaṇakārikā (postérieur au premier) et leurs commentaires, sont les textes fondateurs de la doctrine pāśupata qui a pour but la fin de la souffrance (duḥkhānta) à laquelle le dévot ne peut accéder que par la grâce de Śiva lui-même. L’aspirant pāśupata, brahmane célibataire de bonne réputation, doit passer par cinq phases afin d’atteindre le but suprême. Dans la première phase, le dévot se retire dans le temple. Il y vit nu ou très peu vêtu, porte les marques de sa secte, s’enduit tous les jours de cendre et se couche dans cette même cendre, purificatrice. Il rend quotidiennement hommage à Rudra en chantant, riant, dansant, imitant le mugissement d’un taureau, priant. Il atteint ainsi la pureté de l’esprit. L’aspirant acquiert alors des pouvoirs surnaturels. Dans la deuxième phase, le dévot doit quitter le temple pour se plonger dans le monde, ayant caché ses marques, son savoir, ses vœux religieux. Il erre devant le public en ronflant, tremblant, boitant, exhibant sa lubricité, agissant mal, prononçant des mots privés de sens, apparaissant comme fou. Il engendre ainsi dégoût et mépris. Provoquer de fausses accusations est envisagé comme un acte purificateur pour l’aspirant. Il s’agit cependant d’une faute grave pour ceux qui les prononcent : ces derniers perdent leurs mérites qui sont alors transmis à l’aspirant. Mais ce transfert de mérites ne peut fonctionner que s’il s’agit vraiment d’une fausse accusation que le dévot provoque en jouant au fou. Dans la troisième phase, l’aspirant doit se retirer du monde pour vivre dans une maison vide ou une grotte, récoltant des aumônes, récitant des hymnes divers, en contemplation devant le dieu qui réside dans son cœur. Au cours de la quatrième phase, il doit vivre dans les champs de crémation, acquérant sa nourriture par chance, et s’absorbant finalement en dieu. La dernière et cinquième phase voit la fin de la souffrance par la grâce de dieu.
23Le mouvement pāśupata est né dans l’Inde septentrionale au début de l’ère chrétienne. On ne sait comment il est arrivé dans le sud, mais le Mattavilāsaprahasana de Mahendravarman I, daté du premier quart du VIIe siècle, témoigne de sa présence en cette région. La pièce met en effet en scène un Pāśupata, ainsi qu’un Kāpālika qui, comme le moine bouddhiste, est tourné en dérision : ils se battent autour d’un bol à aumône fait d’un crâne, empli de viande ou d’alcool. Le Śiva du Tēvāram, parfois qualifié de Fou, est aussi appelé Pāśupata170.
24Aucun traité rédigé par les Kāpālika de l’Ātimarga ne nous est parvenu. Parmi les sources publiées, ce sont essentiellement la littérature et l’épigraphie qui nous renseignent sur cette secte. Les récits du pèlerin chinois Hiuen Tsang (VIIe siècle), le Mattavilāsaprahasana, les ouvrages de Baṇa (Harṣacarita et Kādambarī, également du VIIe siècle), témoignent de la présence de cette secte dans l’Inde méridionale dès cette époque171. D. N. Lorenzen (1972 : 53) suppose que ce mouvement a vu le jour dans le sud de l’Inde et qu’il ne se répand dans le nord que par la suite.
25Les Kāpālika pratiquent la mendicité dans un crâne. Cette observance, appelée mahāvrata172, est liée à l’expiation du meurtre virtuel d’un brahmane, sur le modèle de Śiva errant à la suite de la décapitation de Brahmā173.
Notes de bas de page
126 Dans ce chapitre, il ne s’agit pas de décrire et d’analyser les doctrines des mouvements exposés, mais seulement, en retraçant brièvement leur histoire en pays tamoul, de définir l’impact que chacun a pu avoir sur la scène religieuse du VIIIe siècle, lorsque l’iconographie narrative śivaïte pallava se crée.
127 Voir R. Dikshitar dans R. Nagaswamy (éd.) (1997 : 51–59) ; C. Minakshi (1979) ; V. Rao (1979) ; S. Hikosaka (1989) ; K. Sivaramalingam (1997 : introduction) ; P. Schalk (1997 et 1998) ; P. Schalk (éd.) (2002) ; V. G. Saroja (1998). Je remercie E. Francis de m’avoir communiqué l’article de P. Schalk (1998) et l’ouvrage (2002) du même auteur.
128 À Ceylan, le bouddhisme se serait développé à la suite de la visite du missionnaire Mahendra, fils d’Aśoka, envoyé par le souverain lui-même, qui convertit les foules (Mahāvaṃśa, chapitres XII à XV, p. 46–75). Bien que la chronique singhalaise choisisse de faire prendre la route des airs aux missionnaires, ajoutant ainsi une touche de merveilleux, les historiens acceptent souvent l’idée que le bouddhisme s’est installé au Tamil Nad après le passage de Mahendra et de ses compagnons alors qu’ils se rendaient à Ceylan. Parmi les ouvrages cités dans la note précédente, seuls ceux de P. Schalk (1997 et 1998) remettent véritablement en cause cette idée de l’installation du bouddhisme en pays tamoul à la suite d’incursions d’Aśoka.
129 L’édit II évoque l’approvisionnement du territoire d’Aśoka en médicaments tandis que l’édit XIII mentionne la conquête du Dharma par le souverain. Pānḍya et Cōḻa apparaissent dans les deux textes, montrant que le roi Maurya avait pénétré dans ces deux régions (de la Kāvēri à Madurai ou encore plus au sud). Voir A. Sen (1956 : 66–67 et 98–105). Par ailleurs, dans une analyse de ce treizième édit, Prof. R. Dikshitar suppose qu’Aśoka est ici adepte de la foi brahmanique plutôt que bouddhique (« The Thirteenth Rock Edict of Aśoka », dans R. Nagaswamy [éd.] [1997 : 60–68]).
130 Puṟanāṉūṟu 175 et Akanāṉūṟu 251.
131 Voir P. Schalk (1997 et 1998).
132 Voir M. Hirsh (1986).
133 Voir P. Schalk (1998).
134 K. Sivaramalingam (1997 : 95) date certains restes archéologiques du district de Tanjavur du IIIe siècle avant J.-C. Or, dans la liste des vestiges qu’il présente, l’élément le plus ancien qu’il mentionne est l’empreinte des pieds du Buddha qu’il situe aux IIe–IIIe siècles après J.-C. et pour laquelle il remarque une similitude avec les pièces d’Amarāvatī (p. 102). P. Schalk (1998), soulignant les mêmes ressemblances, les assigne cependant au IVe siècle. Les inscriptions anciennes qui font clairement référence à des pratiques bouddhiques sont inexistantes. S. Hikosaka (1989 : 10–12) donne le texte de trois inscriptions (Ariṭṭāpaṭṭi et Koṅkarpuḷiyaṅkuḷam dans le district de Madurai ; Marukāltalai dans le district de Tirunelveli) dans lesquelles il distingue un lien avec le bouddhisme contra I. Mahadevan (2003 : 126–127) qui réfute toute association avec cette religion dans les inscriptions anciennes.
135 Voir K. Sivaramalingam (1997 : 64–66) ; S. Hikosaka (1989 : 21–26).
136 S. Beal (1969 : vol II, 227 –234) ; T. Watters (1961 : vol. II, 224–232). Le pèlerin chinois décrit la ville de Kāñcipuram dans laquelle il y aurait 100 monastères bouddhiques pour 80 temples Deva dont la majorité appartient aux Digambara. En revanche, dans le pays cōḻa et Malakuṭa, les monastères bouddhiques sont en ruine alors que Deva et Digambara prospèrent. Si le témoignage de Hiuen Tsang se nourrit d’éléments légendaires tels qu’un monument haut d’une trentaine de mètres construit par Aśoka à Kāñcipuram dans lequel le Buddha lui-même aurait remporté la victoire sur un Tīrthika, on peut en revanche envisager sérieusement ses écrits lorsqu’il témoigne de la présence du bouddhisme dans la ville de Kāñcipuram et de sa cohabitation avec les religions jaïne et hindoue.
137 Voir K. Sivaramalingam (1997) qui offre un inventaire des pièces bouddhiques disséminées dans le pays tamoul. Peut-être appartenant à la période pallava, on trouve quelques vestiges à Kāvirippūmpaṭṭiṉam (P. Schalk [1998]), Kāñcipuram (temple d’Ekāmbaranātha [K. Sivaramalingam [1997 : 70] et temple de Kāmākṣīyammaṉ [T. A. G Rao [1915]), Konērikkuppam (K. Sivaramalingam [1997 : 73]), Mahābalipuram (K. Sivaramalingam [1997 : 77]). La majeure partie des statues bouddhiques répertoriées datent de l’âge cōḻa et au-delà.
138 Voir A. E. Monius (2001 : 14).
139 M. Lockwood et A. V. Bhat (1994 : 6).
140 Les dates du Tēvāram sont très controversées (voir infra note 161). Cuntarar, considéré comme postérieur aux deux premiers, ne prête que peu d’attention aux bouddhistes et jaïns. Peut-être leur pouvoir avait déjà commencé à décliner, entre les IXe et Xe siècles, correspondant grossièrement à la période à laquelle le poète aurait vécu.
141 Voir A. E. Monius (2001 : chapitres 4 et 5).
142 Voir K. Sivaramalingam (1997) et V. Rao (1979 : 267–275).
143 Voir le témoignage du pèlerin chinois Hiuen Tsang, supra note 136 et V. Rao (1979 : 264–266).
144 Pour les ouvrages concernant le jaïnisme au Tamil Nad, d’un point de vue historique ou archéologique, voir M. S. R. Ayyar et B. S. Rao (1922) ; P. B. Desai (1957) ; A. K. Chatterjee (1978) ; R. Champakalakshmi (1978) ; A. Ekambaranatha (1996 et 2001) ; P. M. Joseph (1997) ; I. Mahadevan (2003).
145 Voir I. Mahadevan (2003 : 126–139). L’auteur suppose que l’écriture brāhmī tamoule est dérivée de la brāhmī des Maurya utilisée au IIIe siècle avant J.-C. La légende, que M. S. R. Ayyar et B. S. Rao (1922 : 18–21) rapportent, stipule qu’un jaïn, Bhadrabahu, résidant dans le Maghada sous la dynastie des Maurya, a pénétré en Inde méridionale et y a converti une partie du peuple au jaïnisme. Ayant discerné l’influence du kannada ancien dans les épigraphes du Tamil Nad, I. Mahadevan propose l’idée que le jaïnisme est arrivé en pays tamoul en passant par le Karnataka. C’est également l’opinion de A. Ekambaranatha (1996 : 43–44). A. K. Chatterjee (1978 : 119) pense plutôt que le jaïnisme est entré en Inde méridionale en passant par le Bengale et l’Orissa.
Pour une description des cavernes jaïnes réparties sur le territoire tamoul (mais dont la concentration est particulièrement forte dans le district de Madurai), voir A. Ekambaranatha (1996 : 1–19). Pour une carte détaillée et une liste des sites et de leurs inscriptions, voir I. Mahadevan (2003 : 34–42).
146 I. Mahadevan (2003 : 128).
147 Les ascétiques (paṭivat taṉṟōr) mentionnés dans l’Akanāṉūṟu 123.2 sont considérés comme des jaïns par la tradition.
148 Le nombre de cavernes naturelles transformées en abri par les jaïns décroît dès les premiers siècles de notre ère. I. Mahadevan (2003 : 136) souligne que les IVe–VIe siècles connaissent un nouveau type de monument : des rochers dont le sommet est inscrit, commémorant la mort d’un ascète. On peut également supposer que les jaïns ont commencé à construire des monuments en matériaux périssables. En effet, l’inscription de Pūlāṅkuricci (taluk de Tiruppattūr, district de Civakaṅkai) que Y. Subbarayalu (1991 et 2001) date des alentours de 500 de notre ère, évoque trois sanctuaires, dont l’un serait peut-être jaïn (l. 5 tāpatappaḷḷiyuḷ [vā] citevāṉāru kōṭṭam). Ainsi la diminution du nombre de leurs inscriptions pourrait ne pas être due à une récession de ce mouvement mais à une transformation de leurs habitudes : au lieu d’inscrire leurs épigraphes sur les parois des cavernes où elles sont protégées, les jaïns les ont probablement gravées sur leurs monuments, aujourd’hui disparus.
Un autre argument que I. Mahadevan (2003 : 136) avance est l’occupation du Tamil Nad par les Kaḷabhra entre les IVe–VIe siècles. Selon lui, cette dynastie est d’obédience jaïne, mais l’instabilité politique de la région ne leur permet pas de développer leur communauté religieuse. Sur les Kaḷabhra et le jaïnisme voir aussi : M. S. R. Ayyar et B. S. Rao (1922 : 53–56). K. A. Nilakanta Sastri (1963 : 35–36) leur attribue la religion bouddhique. Citant l’inscription de Pūlāṅkuricci, I. Mahadevan (2003 : 136) conclut que les Kaḷabhra protégeaient autant les lieux de culte jaïns qu’hindous. Il faut noter cependant que les rois cités dans cette épigraphe, Centaṉ Kūṟṟaṉ et Centaṉ, ne sont mentionnés dans aucune généalogie, et que le terme Kaḷabhra n’apparaît pas. Y. Subbarayalu (2001) identifie ces souverains comme appartenant à cette dynastie en avançant l’argument que la paléographie permet de situer cette inscription au Ve siècle et qu’à cette époque, on suppose que cette partie du territoire était occupée par les Kaḷabhra. Or, ce fait même est très hypothétique et les preuves inexistantes. Considérant la diminution du nombre d’inscriptions, R. Champakalashmi (1978 : 70), pour sa part, envisage une récession dans la puissance du mouvement jaïn entre les IVe et VIIIe siècles.
149 Sur les Pallava et le jaïnisme, voir A. K. Chatterjee (1978 : 131–133) jusqu’au VIIe siècle et A. K. Chatterjee (1978 : 210–214) du VIIe au IXe siècle. Il accepte l’identification de Parameśvara dans l’inscription telugu de Nalajanampadu avec Parameśvaravarman I (fin du VIIe siècle) proposée par A. Master (EI XXVII, no 38, 203–206) et le considère donc comme un jaïn. Voir supra note 56.
150 Chapitre 33 : traduction T. N. Ramachandra, vol. II, 125–158. La conversion du roi pāṇḍya se termine par un empalement des jaïns. Voir également I. V. Peterson (1998 : 181–182) qui évoque cet aspect de Campantar.
151 Voir aussi I. V. Peterson (1998). L’auteur (p. 168–169) précise que dans ces hymnes, bien qu’ils soient souvent cités côte-à-côte, bouddhistes et jaïns sont bien différenciés. C’est contre ces derniers cependant que la critique semble la plus vive, chez Appar (ancien jaïn) comme chez Campantar. Les āḻvār (saints viṣṇuïtes) tels que Tirumaḻicai, Tirumaṅkai, Toṇṭaraṭippoṭi, s’attaquent également au jaïnisme.
152 Ils semblent, de fait, avoir été favorables à cette religion dès le IIe siècle avant J.-C. Voir deux inscriptions à Māṅkuḷam (taluk de Madurai nord, district de Madurai), qui évoquent le souverain pāṇḍya Neṭiñcaḻiyaṉ (Neṭuñceḷiyaṉ), dans I. Mahadevan (2003 : no 1 et 2, 314–317).
153 La liste des inscriptions est longue. Je renvoie donc ici à A. K. Chatterjee (1978 : 214–217), R. Chamapakalakshmi (1978), A. Ekambaranatha (1996 : 25–30 et 68–75), L. Orr (1998) et R. H. Davis (1998 : 217). Voir également I. V. Peterson (1998 : 179) qui rapporte que le Periyapurāṇam aurait été composé sur le modèle du Mahāpurāṇa, hagiographie de soixante-trois jaïns vénérés, ouvrage du IXe siècle. Que le jaïnisme soit perçu comme une menace ou non par le mouvement śivaïte tamoul, l’auteur en conclut que, jusqu’au XIVe siècle au moins où vivait Umāpati, le premier exerçait une influence sur le second.
154 Voir A. Ekambaranatha (1996 : 21–37).
155 Voir M. Biardeau (1994).
156 Alors que les représentations narratives viṣṇuïtes commencent à apparaître au début de l’ère chrétienne avec la représentation de Varāha à Mathurā (R. Sikri [2002 : pl. III]) pour devenir courantes sous la dynastie gupta, parmi les représentations śivaïtes figurées peu sont narratives. Je mentionnerai la majorité d’entre elles au cours de cette étude (voir p. 123–125 pour le Śiva mendiant, p. 198–199 pour la Gajasaṃhāramūrti, p. 254–256 pour la Gaṅgādharamūrti et p. 299–300 pour le combat de Śiva contre Arjuna et la remise de l’arme pāśupata). La représentation de Rāvaṇa secouant le mont Kailāsa compte parmi les premières images mythologiques śivaïtes (voir V. Gillet [2007 b : 31]). J. C. Harle (1974 : pl. 134) interprète un relief en terre cuite d’Ahichchatrā comme le sacrifice de Dakṣa bien que rien, à mon sens, ne permette d’affirmer une telle identification. Il en est de même pour un groupe de bas-reliefs qui ornent un linteau du temple de Nagarī (J. G. Williams [1982 : pl. 217]) que H. Bakker (2004 : 131–133) identifie comme le sacrifice de Dakṣa suivi de l’enseignement du Pāśupata Yoga. Pour un panorama général, mais incomplet, des représentations śivaïtes narratives, voir N. P. Joshi (1984) et D. M. Srinivasan (1984). Cette dernière (1984 : 38–39) remarque l’absence dans le śivaïsme de représentations mythologiques à époque ancienne, soulignant la préférence de ce courant pour les formes aniconiques (liṅga). Cependant l’auteur, comparant l’iconographie brahmanique à l’iconographie bouddhique, ajoute que le viṣṇuïsme ne représente que peu, lui aussi, de scènes mythologiques. S’il est vrai que le narratif dans le corpus des images bouddhiques se développe bien plus tôt que dans celui des images brahmaniques (dans les premiers temps, Buddha n’est cependant pas représenté sous figure humaine, mais comme un symbole intégré à la narration), il faut cependant remarquer qu’au cœur de l’hindouisme, le viṣṇuïsme intègre beaucoup plus rapidement les représentations narratives, probablement sous l’impulsion de la bhakti. Il faut citer ici encore Ph. Granoff (2005 et 2006) qui démontre de manière convaincante la réticence de Śiva à agir lui-même dans les textes anciens ainsi que son hésitation à apparaître sous forme humaine ou animale. Elle met cette constatation en parallèle avec la rareté des représentations mythologiques mettant en scène ce dieu, jusqu’à la période gupta où ce type d’image, bien que relativement peu courant encore, commence à apparaître.
157 Sur les ouvrages concernant la bhakti śivaïte tamoule, voir essentiellement M. A. Dorai Rangaswamy (1958, réimpression 1990) ; K. Nilakanta Sastri (1963 : 35–48) ; I. V. Peterson (1989) ; K. P. Prentiss (1999).
158 La Somāskandamūrti est une figure à double sens : représentation de la famille divine, elle est également métaphore de la famille royale. Je ne traiterai pas ici ses implications politiques malgré leur importance considérable, ce type de représentations non narratives dépassant le cadre de cette étude. Pour une analyse détaillée de cette image et de sa portée symbolique, voir essentiellement M. Lockwood (1974 : 42–61) et (2001 : 53–65, reprise de l’article de 1974) ; E. Francis, thèse à paraître. La présence de la Somāskandamūrti et l’absence de liṅga original ont soulevé la question de savoir si le culte du liṅga était effectif dans les temples pallava. Pour un résumé de la discussion et les différentes hypothèses proposées, voir F. L’Hernault (1978 : 52–63).
159 K. Zvelebil (1974 : 47–50) situe ces deux ouvrages entre le milieu du IIIe siècle et le VIe siècle. F. Gros (1968), quant à lui, préfère le VIIe siècle pour le Paripāṭal. Si K. Zvelebil veut dater le Tirumurukāṟṟupaṭai de 250 après J.-C. sur la base de son auteur Nakkīrar qui aurait vécu à cette période, J. Filliozat (1973 : xxxviii), dans son introduction à cet ouvrage, préfère le considérer comme appartenant à la même période que le Paripāṭal et supposer que Nakkīrar n’est pas le poète d’époque ancienne.
160 Sur la datation de cet ouvrage qui repose essentiellement sur des données d’ordre légendaire, voir Karavelane (1956, réédition 1981 : 17–19), F. Gros (1981 : 97–102), K. Zvelebil (1974 : 91 et 97). Parallèlement apparaissent les premiers textes de bhakti viṣṇuïte dont les auteurs sont les āḻvār (saints viṣṇuïtes) : Poykai, Pūtattu, Pēy et Tirumaḻicai, peut-être contemporains de Kāraikkālammaiyār. Les āḻvār renommés qui leur succèderont sont Nammāḻvār, Tirumaṅkai, Periyāḻvār, Āṇṭāḷ, Kulacēkaraṉ, Tiruppāṇ, Toṇṭaraṭippoṭi, Madhurakavi. Ils auraient vécu entre les VIIe et IXe siècles. Leurs écrits sont regroupés dans le Nalayirativiyappirapantam. En ce qui concerne leur datation, leur localisation et l’analyse de leurs écrits, voir F. Hardy (1983, réimpression 2001 : 241–480).
161 Ayant analysé les différentes propositions pour la datation de ces hymnes, F. Gros, dans son introduction au Tēvāram en 1984, p. vi-xiv, en conclut qu’Appar et Campantar ne devraient pas être postérieurs au milieu du VIIIe siècle et accepte la probabilité du IXe siècle pour Cuntarar. La première mention de ce texte et de son utilisation dans les temples apparaît au IXe siècle seulement (IP no 132 : inscription à Tiruvallam de Nandivarman III qui évoque le chant des tiruppatiyam, renvoyant probablement aux hymnes du Tēvāram). Pour une discussion bien élaborée concernant les premiers témoignages épigraphiques dans lesquels le Tēvāram est mentionné, la formation de ce texte et l’analyse de la littérature secondaire à ce sujet, voir U. Veluppillai, thèse de doctorat.
162 K. Pechilis Prentiss (1999 : 26–27 et 44–45).
163 Je renvoie ici principalement à H. R. Davis (1991) et à l’introduction du Parākhyatantra de D. Goodall (2004) qui propose un état général de la littérature secondaire sur le Saivasiddhānta et tente de définir, non sans difficulté, les contours historiques de ce mouvement. Voir également les préfaces aux éditions des Āgama publiés à l’Institut Français de Pondichéry, plus particulièrement celle du Rauravāgama de Jean Filliozat (1961).
164 A. Sanderson, cité dans D. Goodall (2004 : XLVI), date leur apparition du VIIe siècle. De fait, une vue plus récente tendrait à les considérer comme antérieurs. A. Sanderson, cité dans D. Goodall et alii (2008 : 311), situe Sadyojyotiḥ, l’un des premiers théologiens connus du Śaivasiddhānta, entre la fin du VIIe siècle et le premier quart du VIIIe. Cet auteur aurait commenté partiellement le Svāyambhuvasūtrasaṅgraha et le Rauravasūtrasaṅgraha. Mais, selon D. Goodall et alii (2008 : 315), deux ouvrages leur seraient encore antérieurs, la Nisvasatattvasaṃhitā, l’un des premiers textes du Śaivasiddhānta ayant survécu (D. Goodall et H. Isaacson [2007] situent la partie la plus ancienne de ce texte entre 450 et 550 après J.-C.), et le Kālottara. D. Goodall (1998 : XXXVI-XLVII et 2009 : 410–411, note 148) reconnaît ainsi un groupe de textes anciens, auxquels il assigne la date limite du Xe siècle (Niśvāsatattvasaṃhitā, Kālottara, Svayambhuvasūtrasaṅgraha, Rauravasūtrasaṅgraha, Mayasaṅgraha, Mohacūḍottara, Pārameśvara [Pauṣkara], Mataṅgapārameśvarāgama, Kiraṇāgama, Mṛgendratantra, Parākhyatantra). Je remercie chaleureusement ici D. Goodall pour ses explications et ses nombreuses suggestions concernant le Śaivasiddhānta.
165 Voir aussi H. Brunner (1990) et J. Takashima (2005 : 136).
166 Même le texte initial du Rauravāgama, que B. Dagens et M. L. Barazer-Billoret (2000 : XLVI-LI) assignent pourtant au VIIe siècle (contra D. Goodall [2004 : XLIV-XLVI] qui, réfutant cette datation, ne le considère pas antérieur au XIIe siècle), offre dans l’ensemble des descriptions d’images aux caractéristiques cōḻa et non pallava. Mais les traducteurs reconnaissent que cet ouvrage a été remanié sans cesse jusqu’au XIXe siècle. Ainsi, on peut penser qu’au moins le chapitre consacré aux représentations est postérieur au XIe siècle.
167 L’origine géographique de ce mouvement est impossible à localiser. Voir Davis (1991 : 12–19) et D. Goodall (2004 : XIX-XX, note 17). Ce dernier offre un panorama général des inscriptions faisant référence au Śaivasiddhānta, du VIIe au Xe siècle, couvrant le territoire indien.
168 śakti(ḥ)-kṣuṇṇāri-var(g)go vidita-bahu-nayaś śaiva-siddhānta-mār(g)ge
śrīmān atyantakāma[ḥ] kṣata-sakala-malo dhūr(d)dharaḥ pallavānām || 5 cd.
Traduction S. Brocquet (1997 : 553).
D. Goodall (2004 : XIX) accepte l’idée siddhantique de l’expression d’une impureté qui attache les âmes à une existence dans ce monde qui ne peut être détruite que par l’initiation. Cependant, il ajoute que la présence du terme śaivasiddhāntamārge invite le lecteur à reconsidérer le sens des deux premiers composés. Il lit śakti(ḥ)-kṣuṇṇāri-var(g)go ainsi : « the group of whose [internal] enemies [i.e. either those of the senses or those of the passions] was suppressed by [a descent of divine] power [in initiation]” et pense que vidita-bahu-nayaś peut être interprété comme le roi atteignant le savoir de la vraie doctrine du Śaivasiddhānta.
169 Pour une étude de ces mouvements, voir D. N. Lorenzen (1972), M. Hara (2002), A. Sanderson (2006) et P. C. Bisschop (2006 : 38–50).
170 J. Törzsök (2004 : voir plus particulièrement p. 13–18).
171 Voir D. N. Lorenzen (1972 : 13–71).
172 Sur le mahāvrata, voir D. N. Lorenzen (1972 : 73–82), U. Veluppillai (2003 : note 28) et A. Sanderson (2006 : 178–184). Ce dernier, dans son long article, associe les Kālamukha avec les Lākula, qu’il définit comme une catégorie « extraordinaire » de Pāśupata ayant adopté le mahāvrata, mendiant donc dans un crâne.
173 Sur la description du culte et de la doctrine Kāpālika, voir D. N. Lorenzen (1972 : 73–95).
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012