5. Fluidité et changement dans le Malnad
p. 143-213
Texte intégral
1Pour quelles raisons la population des Ghâts occidentaux émigre-t-elle, ou au contraire s’enracine-t-elle à sa terre ? C’est ce que nous avons essayé de comprendre en situant cette question dans l’ensemble des changements que connaissent les Ghâts qui constituent, au sein du Sud Karnataka, un système rural bien individualisé. Le terrain choisi pour cette étude est le taluk de Sakleshpur dans le district d’Hassan1. Les cultures de plantation, qui dominent aujourd’hui son économie, s’y développèrent au début du siècle, et depuis lors ce taluk a accueilli des migrants, permanents et saisonniers, venant entre autres des régions environnantes sèches et économiquement à la traîne. Mais ce flux migratoire a depuis radicalement changé de volume, de structure et de provenance en raison de transformations ayant affecté ce taluk, ainsi que les régions environnantes. Au sein du système des Ghâts, nous avons mené nos enquêtes de terrain dans quatre milieux représentatifs de cette région très complexe. Pour tenir compte en outre des transformations des environs, nous avons aussi étudié brièvement deux villages relevant de systèmes ruraux bordant celui des Ghâts, l’un en terre sèche dans le Maidan, et l’autre au Dakshina Kannada, près du piémont ouvert sur le littoral (carte 1).
Le taluk de Sakleshpur Vue d’ensemble
2Le taluk de Sakleshpur, qui fait partie des Ghâts occidentaux, est une subdivision administrative du district d’Hassan. Son relief accidenté est parcouru d’innombrables vallées et de collines aux sommets arrondis. La structure rocheuse consiste surtout en gneiss pré-cambrien (Bourgeon 1989), l’altitude moyenne variant de 600 à 1500 m.
3L’Hemavathi, un affluent de la Kaveri, coule au pied du versant oriental des Ghâts et traverse le taluk. Les pluies sont abondantes, de 1200 à 7 500 mm en moyenne annuelle, les précipitations les moins fortes étant circonscrites à l’extrême est du taluk, et les plus considérables à sa partie ouest. Près de 80 % du total pluviométrique annuel tombe de juin à septembre, pendant les quatre mois de la mousson du sud-ouest. Le taluk est subdivisé en cinq circonscriptions fiscales appelées hobli, et comprenant chacune environ 55 à 60 villages2.
4Cette région était autrefois couverte d’une forêt dense habitée par des populations tribales qui pratiquaient l’agriculture sur brûlis. Du 1er siècle avant J.C. au viiie siècle après J.G, des agriculteurs jains et hindous s’installèrent dans les Ghâts. Plus tard, la région située au nord de Manjarabad, alors connue comme province de Balam, aurait été le berceau de la dynastie Hoysala qui vint au pouvoir au début du xie siècle, et régna jusqu’au xive siècle3. Puis cette région tomba sous le contrôle direct ou indirect de l’empire de Vijayanagar, dont les souverains encouragèrent les ressortissants de toutes castes à s’y installer en leur concédant des terres gratuitement, ou contre un faible loyer. Les plus riches de ces immigrants furent nommés patel et reçurent de grandes terres en tenure inam (Gazetteer of India 1971 : 81) tandis que la province était laissée aux mains de chefs locaux, les palegars. Leur capitale fut Igoor jusqu’au xixe siècle4, et ils y maintinrent leur pouvoir, même lorsque la province fut quelque temps soumise à l’autorité des rajas de Mysore, avant de passer en 1831 sous administration britannique. (Imperial Gazetteer... 1908 : 211.)
Utilisation du sol et cultures principales
5En raison de la prédominance des zones montagneuses et forestières, la proportion de terres cultivables est relativement faible : 45 % de la surface totale du taluk, alors qu’elle est en moyenne de 60 % pour le district, dont toute la partie orientale, l’est de l’Hemavathi, s’étend sur les terres relativement plates du Maidan. La forêt couvre 20 % de la surface du taluk, ce qui est élevé. Elle est surtout présente dans les zones montagneuses de l’ouest, bien que depuis 1983 le Département des forêts s’efforce aussi d’accroître la surface boisée à l’est en y appliquant un programme d’afforestation.
6Les cultures occupent 70 % des terres cultivables. Les principales sont le riz, le café et la cardamome ; mais on trouve aussi des cultures secondaires de moindre étendue, dont le gingembre, le poivre, la moutarde, les oranges, les bananes, les piments, l’éleusine, la noix de coco et des légumes. Le riz occupe à lui seul 98 % de la surface totale des cultures vivrières, tandis que le café et la cardamome représentent respectivement 73 % et 25 % de la surface totale des cultures commerciales. Le riz est cultivé dans les fonds des vallées, les cultures de plantation sur les sommets et les versants des collines.
7L’actuel système agraire procède des tâtonnements séculaires de la paysannerie locale. Tandis que les populations tribales pratiquèrent longtemps la culture sur brûlis, les premiers immigrés paysans convertirent les fonds des vallées en rizières bien avant l’expansion hoysala. (Fujiwara 1984 : 38 ; Mysore State Gazetteer 1971.) Ainsi le riz fut-il la seule culture importante jusqu’au milieu du xixe siècle, ici comme au Coorg, où M.N. Srinivas a lui aussi relevé que le riz y était la culture dominante depuis plus d’une centaine d’années (Srinivas 1952). A Sakleshpur, en plus du riz, on cultivait aussi l’éleusine sur de petites surfaces, une fois tous les deux ou trois ans, ou à de plus longs intervalles. (Imperial Gazetteer... 1908 : 216.)
8Sans pouvoir dater avec précision l’introduction des cultures de plantation dans le taluk, nous pouvons cependant supposer qu’elle eut lieu en même temps que dans les régions voisines. On pense que le café fut introduit pour la première fois d’Arabie en Inde vers 1600 par un pèlerin musulman nommé Baba Budan. Il apporta quelques semences de La Mecque et fit pousser des plants dans son hermitage des collines du district de Chikmagalur, que l’on a appelées en souvenir de lui Baba Budan Giri. Buchanan pour sa part mentionne la culture du café au Malabar, région qu’il visita au sud du Coorg en 1801. (Buchanan 1807.) Mais il s’agissait toujours de petites surfaces mises en café, et ce n’est que dans les années 1820 qu’on se mit à le cultiver à échelle commerciale en Inde du Sud, lorsque Jolly, de la Compagnie Parry’s, créa les premières plantations près de Shimoga en 1823-25. En 1856, il n’y avait que sept planteurs britanniques dans le Mysore. Mais la culture se répandit plus rapidement dans le Coorg ou l’on comptait 200 planteurs britanniques en 1859 (Coffee Board 1985). La culture du café démarra dans le taluk de Sakleshpur dès 1843, lorsque Frederic Green installa la première caféière au village d’Igoor. Pendant la seconde moitié du xixe siècle, le café se propagea dans le taluk par l’investissement de capitaux européens. A l’origine, seuls les Britanniques s’étaient intéressés à l’établissement de caféières dans la zone de Sakleshpur, mais peu à peu des Indiens qui disposaient du capital requis se mirent aussi à investir dans le café, particulièrement au début du xxe siècle. Lorsque les Britanniques quittèrent l’Inde, la plupart des grands domaines caféiers de Sakleshpur furent achetés par de riches Indiens extérieurs au taluk5.
9Les opinions divergent quant au commencement de la culture de la cardamome. Il semble qu’elle fut introduite au Coorg et dans d’autres parties des Ghâts occidentaux il y a longtemps. Buchanan mentionne qu’on apporta en 1799 de la cardamome du Coorg pour la vendre, et il ajoute : « J’ai quelque raison de penser qu’une bien plus grande quantité vient par les territoires du raja de Mysore, bien que je n’aie reçu aucun rapport sur la quantité dont il s’agit » (Buchanan 1807 : 538). Les territoires du raja de Mysore dont parle Buchanan comprennent très probablement le taluk de Sakleshpur. Mais d’après l'Imperial Gazetteer, la cardamome n’y poussait qu’à l’état sauvage, dans les ravins densément boisés, jusqu’à ce qu’on en commençât la culture systématique à la fin du xixe siècle (Imperial Gazetteer... 1908 :216), et d’après notre enquête de terrain, celle-ci ne prit de l’importance qu’au début de ce siècle. Les Britanniques ne s’intéressèrent guère à la cardamome, bien que certains d’entre eux aient établi quelques plantations, comme celle de Bajumane6. La cardamome fut surtout cultivée par des agriculteurs locaux ne disposant pas du capital initial plus important que requiert la culture du café, qui de plus nécessitait une licence que les petits cultivateurs ne pouvaient facilement obtenir sous le régime colonial. Ils durent donc se contenter de la cardamome, dont la surface cultivée doubla presque en trente ans dans le district d’Hassan7 : 4605 hectares en 1938-39, 6053 en 1950-51, 8062 en 1961-62 et 8560 en 1969-70). On peut parler d’un « boom de la cardamome » à Sakleshpur de 1930 au début des années 1960 : bien qu’elle se concentre surtout dans sa partie occidentale, elle est alors cultivée dans tout le taluk. A l’inverse, son déclin commença après 1970, comme nous le verrons.
10Pendant ces quinze ou vingt dernières années, la distribution spatiale des cultures a énormément changé dans la région étudiée, sauf en ce qui concerne le riz, qui n’est toujours cultivé que dans le fond des vallées. Aujourd’hui le riz, qui compte pour 28 % de la surface cultivée totale, vient après le café (48 %), et avant la cardamome (18 %). Les principales transformations qui ont affecté la distribution des cultures peuvent être résumées de la façon suivante. Autrefois grande culture commerciale, la cardamome a ces dernières années perdu rapidement de son importance, particulièrement dans la partie centrale du taluk, en raison des fluctuations de la pluviométrie8 et d’une peste virale appellée katte, qui a fait tomber les rendements de 16 kg/ha en 1960 à 4 kg à peine aujourd’hui. (Balasubramanyan 1970.) Commencée pendant les années 1960, la récession de la cardamome atteignit son étiage de la fin des années 1970 au début des années 1980. Les bois de chauffe et de construction étant partout très demandés, presque 90 % des arbres qui ombrageaient les plants de cardamome ont été abattus ces vingt dernières années, pour le plus grand profit de leurs propriétaires et des bûcherons saisonniers venus du Dakshina Kannada et du Kérala. Une fois le bois vendu, les plants de cardamome ne pouvant se dispenser d’un fort ombrage, on les remplace par des caféiers moins exigeants sur ce point. Dans certains endroits, principalement dans la partie sud-ouest du taluk où le café et d’autres cultures ne sont pas rentables, on a dû attendre de 10 à 15 ans que les jeunes arbres grandissent suffisamment pour pouvoir planter de la cardamome sous leur ombre, bien que cette culture soit de moindre rentabilité.
11La culture du café tend à devenir populaire et s’étend désormais sur presque tout le taluk, comme on peut le constater au nord et au centre de celui-ci. Le café remplace la cardamome partout où elle a été enlevée. Par ailleurs, le gouvernement a pour sa part encouragé sa culture. Avant 1975, seuls les gros planteurs possédant plus de 10 hectares (25 acres) pouvaient obtenir des prêts bancaires pour la culture du café. Mais quand les prix du café furent en hausse sur le marché international, vers 1975-77, le gouvernement central commença à favoriser la diffusion du café en fournissant aux petits agriculteurs, entre autres mesures, des prêts subventionnés et une assistance technique. La surface plantée en café s’accrût rapidement, par la reconversion des anciennes plantations de cardamome, mais aussi parce qu’on se mit à planter du café dans les pâturages. La surface en café est actuellement de 18 000 hectares.
12Autre évolution remarquable : l’introduction de la culture commerciale des piments. Les petits et moyens paysans en particulier, éprouvés par le déclin de la cardamome, et pour qui les revenus des nouvelles plantations de café restent trop maigres, se sont souvent trouvés devant de sérieuses difficultés qu’ils durent surmonter comme ils purent. Ils résolurent finalement leurs problèmes en introduisant la culture des piments. Après la moisson du riz, la rizière est plantée en piments pendant l’été. Bien que cette culture exige des soins constants et qu’il faille y investir beaucoup de travail, elle reste rentable et peut, jusqu’à un certain point, compenser les pertes encourues avec la cardamome. Les piments sont cultivés à l’échelle commerciale, spécialement dans la traditionnelle ceinture de la cardamome, où il n’est pas rare de voir en été des centaines de camions transporter des piments verts aux shandi (marchés hebdomadaires) voisins. En fait, dans quelques localités, des shandi sont spécialement organisés pour le commerce des piments, que l’on expédie aussi loin que Bangalore, Mysore, et le district de Bellary entre autres.
La population et sa distribution spatiale
13Le relief et l’accès à la terre cultivable déterminent pour l’essentiel la distribution des hommes dans le taluk. On y trouve des fermes et des petits hameaux dispersés, contrairement à l’habitat groupé du Maidan. Cet habitat dispersé domine dans l’ouest du taluk, dont les quelques villages s’étalent sur de grands espaces, selon les contraintes qu’impose le relief, tandis que dans sa partie orientale, les villages sont plus nombreux, plus rapprochés les uns des autres, et de morphologie plus compacte. Les petits villages de moins de 500 habitants représentent 65 % des 224 villages du taluk, qui ne compte que six villages de plus de deux mille habitants, et un seul centre urbain, Sakleshpur, 18 555 habitants en 1991.
14Le taluk compte 124 369 habitants en 1991. Avec 120h/km2 sa densité de population est relativement faible, comparée aux densités moyennes de 230 pour le district, et de 234 pour l’ensemble du Karnataka. Elle est toutefois très remarquable pour un milieu montagnard. Densités inégalement réparties, du reste, comme l’illustre la figure 2 : les villages de densité supérieure à 100 sont concentrés dans la partie est du taluk (127 villages, dont 81 avec une densité supérieure à 150), tandis qu’à l’ouest 43 villages dessinent une ceinture de basses densités, inférieures à 50h/km29.
Tableau 1. Variation décennale de la population en pourcentage de 1901 à 1991
Périodes | Inde | Karnataka | Hassan | Sakleshpur |
1901-11 | 5,75 | 3,60 | 1,61 | - 14,50 |
1911-21 | - 0,31 | - 1,09 | 0,63 | 1,96 |
1921-31 | 11 | 9,38 | 2,61 | 0,42 |
1931-41 | 14,22 | 11,09 | 5,16 | - 1,21 |
1941-51 | 13,31 | 19,36 | 13,93 | 22,01 |
1951-61 | 21,51 | 21,57 | 25,27 | 45,18 |
1961-71 | 24,80 | 24,22 | 23,05 | 17,61 |
1971-81 | 24,66 | 26,43 | 22,64 | 24,05 |
1981-91 | 23,50 | 20,69 | 15,43 | 9,66 |
15La croissance de la population dans le taluk a été négligeable ou négative entre 1901 et 1941 (tableau 1), ce qui est conforme aux évolutions observées au Karnataka comme pour l’Inde entière, la faible croissance démographique en Inde avant l’indépendance étant généralement attribuée à de forts taux de mortalité. Dans le taluk, la croissance faible ou négative du début de ce siècle pourrait être due aux sévères effets de la malaria dans les Ghâts, et d’une façon plus générale, au manque de services sanitaires. (Mahadev et al 1984 : 243 ; Pouchepadass 1990 :2.) Qui plus est, les plantations de café, d’autant plus vulnérables qu’elles étaient encore récentes, furent souvent attaquées par diverses maladies. Les emplois qu’elles procuraient, saisonniers pour la plupart, devinrent incertains, et les recensements successifs négligèrent de compter nombre de ceux qui en bénéficiaient.
16Néanmoins, la croissance devint fortement positive dans le taluk après 1941 et atteignit son maximum dans la décennie 1951-61 (fig. 3). Inférieur à la moyenne du district dans les années 1961-71, et supérieur à lui entre 1961 et 1981, le taux de croissance moyen annuel de la population du taluk entre 1961 et 1981 était de 2,29 %, ce qui n’est probablement pas très éloigné du taux de croissance naturel. La figure 4 illustre la distribution des taux de croissance par village pour la période 1961-81, dans la région étudiée et ses environs.
17Le passage de la stagnation démographique qui prévalut jusqu’en 1941 à la croissance subséquente, continue bien qu’irrégulière, peut être attribué à plusieurs facteurs. D’une part, les mesures prises par le gouvernement pour faciliter les prestations de services sanitaires et les grandes campagnes qu’il a menées pour juguler la malaria ont dans une large mesure provoqué le déclin du taux de mortalité. D’autre part, les plantations ayant atteint leur phase de maturité, elles purent offrir nombre d’emplois permanents, ce qui encouragea l’immigration dans la région. Le ralentissement de la croissance démographique dans les années 1980, plus prononcé à Sakleshpur, où elle atteint 9,9 % entre 1981 et 1991, que dans l’ensemble du district d’Hassan (15,4 %), suggère qu’un changement profond, qu’il faut expliquer, s’est récemment produit. L’hypothèse d’un fort courant d’émigration devra être prise en considération. Mais nous verrons dans nos études de cas que, si on a pu enregistrer un déclin de la démographie de Yathahalla, un village en bordure de forêt, la population reste au contraire stable dans d’autres villages, comme Bommanakere, Voddarahalli et Haragarahalli.
18Une deuxième hypothèse suggère que Sakleshpur ne fait que refléter à sa façon une tendance régionale observée dans cette partie de l’État. Les premiers résultats du recensement de 1991 font apparaître, particulièrement dans le sud de l’Inde, des zones où le taux de croissance démographique décennal est bien plus bas que la moyenne nationale. Tous les districts du Sud Karnataka situés le long des Ghâts ont des taux de croissance décennaux inférieurs à 15 % (le taux du district d’Hassan, 15,4 %, est légèrement au-dessus de ce seuil parce qu’il s’étend en grande partie dans le Maidan), et le taux du Coorg, district montagneux par excellence, n’est pas supérieur à 5 %. Dans des contextes assez différents, et à une autre échelle, les États du Kérala et du Tamilnad ont un taux de croissance proche de 14 % entre 1981 et 1991. Autrement dit, il semble qu’un nouveau comportement démographique – un ralentissement général de la croissance – apparaisse dans notre zone d’étude, ainsi que dans la partie la plus méridionale de l’Inde. Mais cette tendance ne suffit pas à elle seule à expliquer les très bas taux du taluk de Sakleshpur et du district de Coorg, où il convient de tenir compte aussi des effets des mouvements migratoires.
19Si l’on peut admettre qu’une diminution du taux de croissance démographique soit dans une certaine mesure une évolution positive, force est de reconnaître dans la hausse du taux d’alphabétisation un paramètre indubitable du développement. Il est remarquable de constater à cet égard que ce taux d’alphabétisation est bien supérieur dans le taluk de Sakleshpur, en 1981 comme en 1971, aux taux moyens de l’État et du district.
Tableau 2. Taux d’alphabétisation (en pourcentages)
1971 | 1981 | |
Karnataka | 32 | 38 |
District d’Hassan | 31 | 37 |
Taluk de Sakleshpur | 34 | 43 |
20Le progrès significatif accompli à cet égard pendant les années 1971-81 résulte clairement de la diffusion de l’enseignement pendant cette période, où le nombre des écoles primaires est passé de 90 à 139, tandis qu’une trentaine de centres d’éducation pour adultes étaient établis dans les différentes parties du taluk. Cette diffusion s’est poursuivie pendant les années 1980, et le taux d’alphabétisation du taluk de Sakleshpur est resté en 1991 supérieur à celui du district.
21Du point de vue de la répartition des sexes dans le taluk de Sakleshpur, les hommes ont été constamment en surproportion jusqu’en 1971 du fait, peut-être, des migrants du Dakshina Kannada et du Kérala venus travailler dans les caféières. La baisse subséquente du taux de masculinité traduisit l’amenuisement de ce courant migratoire, et en 1981 le sex-ratio du taluk de Sakleshpur (962 femmes pour 1000 hommes) devenait le même ou presque que celui de tout l’État (963).
22D’après le recensement de 1981, 47 % de la main-d’œuvre dans le taluk de Sakleshpur dépendait de l’agriculture, contre une moyenne de 73 % pour le district. Mais cette faible proportion est trompeuse, car elle résulte d’un changement de la définition des catégories professionnelles : en 1981, pour la première fois, les travailleurs des plantations étaient exclus du secteur agricole. En fait, en 1971 le taluk comptait 79 % d’ouvriers agricoles, soit le plus haut pourcentage parmi les divers taluks du district d’Hassan. Cet écart des données statistiques entre 1971 et 1981 indique donc en fait qu’une part considérable de la main-d’œuvre est employée dans les petites plantations et les grands domaines.
Les migrations vers le taluk de Sakleshpur
23L’histoire des migrations internes à la région de Sakleshpur est ancienne, et remonte au premier siècle avant Ι-C., comme nous l’avons mentionné. Après l’expansion hoysala, une nouvelle vague de migrants arriva du Maidan au xvie siècle. Avec l’essor des caféières pendant les premières décennies de ce siècle, un nouveau flux se mit en place, qui détermine encore aujourd’hui la structure de l’emploi et les modes de mobilité. L’économie de plantation a probablement été mise en place avec une main-d’œuvre saisonnière. Folke remarque en 1966, en se référant au Coorg, que le statut d’ouvrier temporaire de ces migrants se prolongea jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. (Folke 1966 : 198-239.) A cette époque, les ouvriers ne restaient que quelques mois sur les domaines avant de retourner dans leur village. Nous pouvons supposer sans trop de risque qu’un tel système a dû aussi prévaloir dans le district de Sakleshpur, et serait l’une des causes principales de cette modeste croissance de la population que l’on observe dans le taluk jusqu’à 1941.
24Mais cela changea lorsqu’après 1941 la culture de la cardamome prit son plein essor, et que les caféières furent réorganisées sur la base d’une main-d’œuvre permanente et résidente. (ibid. : 221.) De plus, l’application du Plantation Labour Act de 1951 contribua beaucoup à améliorer le sort des ouvriers, et l’on sait qu’au moment de l’indépendance, les planteurs britanniques commencèrent à vendre leurs domaines à des repreneurs indiens. Tous ces facteurs suscitèrent une immigration permanente tout en accroissant aussi l’immigration saisonnière. D’où la brusque accélération de la croissance démographique dans le taluk entre 1941-61 (fig. 3).
25Les migrants qui vinrent avant les années 1960, les premiers migrants dirons-nous, peuvent être classés en plusieurs groupes selon le type d’activité qu’ils exerçaient. Le groupe des planteurs indiens, moteur pionnier de la croissance, arriva vers les années 1940 lorsque les Britanniques se mirent à quitter le pays. Venus principalement du Dakshina Kannada et du Kérala, ils acquirent des domaines, ou de vastes étendues de terre qu’ils convertirent en domaines caféiers.
26Les marchands de cardamome, des musulmans venus eux aussi du Dakshina Kannada et du Kérala, constituèrent un autre groupe de migrants innovateurs et entreprenants. Plusieurs d’entre eux travaillèrent d’abord comme ouvriers, puis commencèrent à servir d’intermédiaires dans le commerce de la cardamome. Satisfaits de la productivité de la cardamome, élevée à cette époque, les habitants du cru, illettrés et ignorants, essentiellement préoccupés par l’agriculture, s’en remettaient à des spécialistes pour écouler leur production, ce qui encouragea les immigrants musulmans, qui allaient de village en village, à entrer dans ce commerce. Ces marchands musulmans jouirent bientôt d’un quasi-monopole sur le négoce de la cardamome, au point qu’ils commencèrent à prêter de l’argent aux agriculteurs pendant la saison agricole, les obligeant ensuite, pour s’acquitter de leur dette, à leur vendre leur production à des prix relativement bas. Ces marchands venaient en septembre et repartaient en janvier. Quelques-uns s’installèrent en permanence dans la région, à Kurubathur par exemple, et s’adonnèrent éventuellement à d’autres activités comme le petit commerce, l’hôtellerie, la poissonnerie, la confection, etc.
27Provenant du Dakshina Kannada, du Kérala, du Tamilnad et de certaines régions sèches du Karnataka, les ouvriers des petites plantations, saisonniers ou non, travaillaient surtout pour leur subsistance. Ceux du Dakshina Kannada et du Kérala étaient employés dans les plantations de café et de cardamome pendant une période de l’année relativement plus longue que les autres ouvriers. Certains d’entre eux finissaient ainsi par être embauchés à titre permanent dans quelque domaine. D’autres, surtout dans les plantations de cardamome, habitaient les longs bâtiments construits par les propriétaires : on les appelait line alu10. Les migrants des régions sèches voisines, qui étaient employés comme saisonniers sur les domaines, venaient au moment de la cueillette du café et retournaient ensuite chez eux. Par contre, les ouvriers du Tamilnad étaient le plus souvent employés comme permanents sur les domaines.
28Les malafoutiers billavas du Dakshina Kannada accouraient en nombre pour saigner les palmiers appellés localement bagane, qu’on trouve dans les plantations de café et de cardamome. Ils se répandirent dans toute la région pour en exploiter les ressources, et travaillaient parfois aussi comme ouvriers sur les plantations. Des charpentiers vinrent aussi du Dakshina Kannada. La plupart s’installèrent à demeure dans le taluk de Sakleshpur.
29Les travailleurs des rizières vinrent du taluk d’Arkalgud qui, à l’époque, était complètement dépourvu d’irrigation. Ils arrivaient pour la moisson, et parfois pour le repiquage. Leur principal souci était de ramener chez eux autant de riz que possible pour la consommation familiale.
30Les Voddas du Maidan formaient une autre catégorie de migrants. Tailleurs de pierre par tradition, ils venaient eux aussi pour la saison d’octobre à avril, afin de creuser des étangs d’irrigation ou de construire des ouvrages de terre.
31La direction, l’importance et la composition du flux d’immigration dans le taluk ont beaucoup changé pendant ces quinze dernières années, pour plusieurs raisons : transformation de la structure des économies locales des régions d’émigration, modification de l’orientation de la politique gouvernementale de développement à l’égard du travail dans les plantations et, bien entendu, changements dans les zones de plantations elles-mêmes.
32Le courant migratoire provenant du Dakshina Kannada et du Kérala s’amenuise peu à peu aujourd’hui, et les quelques migrants qui viennent encore sont employés pour des travaux spécialisés bien payés, et non plus comme saisonniers ou comme permanents dans les domaines11. Les saisonniers des régions sèches continuent à l’inverse de venir, parfois en plus grand nombre qu’avant. Aujourd’hui, les immigrants dans le taluk de Sakleshpur peuvent être classés selon leur activité, qui est bien entendu en rapport avec le calendrier des travaux agricoles (fig. 5).
33Les ouvriers des domaines constituent le gros des migrants. Ils proviennent des districts d’Hassan, de Chikmagalur, Shimoga, Dharwar, Bellary et de Chitradurga. Ce sont surtout de petits et très petits cultivateurs qui, confrontés dans leur village à la morte-saison agricole, viennent de novembre à février ou mars pour cueillir le café dans les domaines où ils sont habituellement logés. Ils viennent en équipes, dont les chefs respectifs, appellés maistri, agissent comme intermédiaires entre eux et les planteurs. Le maistri est responsable de la bonne exécution du travail de l’équipe qu’il surveille, et reçoit, en plus de sa rétribution propre, une commission se montant à 10 % du total des salaires de son équipe. Il arrive parfois que quelques ouvriers restent presque une année lorsqu’il ne pleut pas chez eux pendant ce temps.
34Les Voddas constituent toujours une autre catégorie de migrants, qui travaille souvent, désormais, à la construction des étangs (tanks). L’intérêt pour les tanks est un phénomène récent lié à la diffusion de l’irrigation par aspersion. Un tank est indispensable à cet effet, non seulement pour le café et la cardamome, mais aussi pour les cultures d’été comme les piments et les légumes, introduites depuis peu.
35Quelques agriculteurs se sont donc assuré leur propre réserve d’eau en construisant des tanks dans leurs champs, ce que le gouvernement encourage en concédant des prêts au titre du nouveau plan appelé Krushi honda12. Ces Voddas viennent en nombre croissant, des taluks de Belur, Hassan et d’Alur du district d’Hassan, et du district de Chitradurga, d’octobre à mai. Ils ont un leader qui fait la tournée des villages à la recherche de tâches qui leur rapportent 30 à 40 Rs par jour et par personne sur une base contractuelle13.
36D’autres migrants viennent principalement du taluk d’Arkalgud pour moissonner le riz en novembre et décembre. Mais leur nombre décroît depuis que plusieurs villages d’Arkalgud bénéficient de l’extension des périmètres irrigués par l’Hemavathi. Ils viennent en groupes de 15 à 20 personnes et travaillent de 30 à 40 jours. Ils sont nourris et logés, et chacun est généralement en mesure de ramener chez lui environ quatre quintaux de riz.
37Les vanniers forment une catégorie de migrants saisonniers qui n’ont commencé à venir que depuis six ou sept ans, parce que le bambou qu’ils utilisent comme matière première n’est plus disponible dans le Maidan. Ils exercent traditionnellement leur art dans leurs villages des terres sèches, mais viennent maintenant confectionner des paniers dans le taluk de Sakleshpur d’octobre à avril ou mai. Ces paniers sont parfois vendus sur les marchés locaux, mais ils sont aussi souvent expédiés à Hassan pour y être écoulés en gros.
38Quelques personnes du district de Chikmagalur ont aussi commencé à venir récemment pour chercher du travail au contrat : souvent élagage des arbres d’ombre et taille des caféiers dans les domaines. La plupart sont des Tamouls qui se sont installés dans la région de Chikmagalur il y a longtemps. Ils ont eux aussi un maistri qui fait la tournée des domaines pour chercher du travail. Ces migrants arrivent sur les domaines vers la dernière semaine de janvier, lorsque la cueillette du café est presque terminée.
39Les marchands de cardamome sont parmi les tout premiers migrants du Dakshina Kannada et du Kérala. Ils ont depuis très longtemps l’habitude de venir visiter la région de septembre à janvier, mais aujourd’hui leur nombre se réduit fortement du fait du déclin de la cardamome. Voici une trentaine d’années, chacun d’eux pouvait acheter quelque 5000 kg de cardamome pendant une seule saison, quantité qui est tombée à 500 kg à peine actuellement.
40Une catégorie de travailleurs qui n’a commencé à venir que récemment du Dakshina Kannada et du Kérala est celle des bûcherons, requis pour abattre les arbres des plantations de cardamome, et parfois de café. Comme la tâche est bien payée, ces travailleurs n’ont pas manqué de saisir rapidement cette occasion. Eux aussi sont des saisonniers qui retournent à leur village lorsque le bûcheronnage s’arrête pendant la saison des pluies. Ils travaillent en équipes de 15 à 20 hommes. On compte des centaines d’équipes dans tout le taluk, surtout dans la ceinture de la cardamome. Les bûcherons concluent des contrats d’abattage pour des plantations entières avec des marchands de bois de charpente dont la plupart viennent eux aussi du Dakshina Kannada. Chaque équipe a un chef qui est en contact avec les marchands, qui fournissent le travail après avoir négocié pour leur propre compte l’achat des arbres des plantations. Les équipes se déplacent au fil des coupes, près desquelles elles construisent un abri temporaire pour s’y loger.
41Au total, la région étudiée reçoit surtout des migrants saisonniers, dont la plupart travaillent sur les plantations. Le flot puissant des immigrants permanents observé dans les années 1950 s’est manifestement tari, et les permanents ne viennent aujourd’hui qu’en nombre limité, à Haragarahalli ou à Kurubathur, et dans un contexte spécifique. Presque aucun individu ne vient maintenant établir une activité indépendante, que ce soit dans l’agriculture ou dans un autre domaine.
42En revanche, l’émigration à la recherche d’un emploi en zone urbaine s’est considérablement accrue pendant les années 1980. De plus, la population des travailleurs permanents attachés aux plantations diminue au profit de contractuels plus mobiles. Tous ces facteurs ont certainement contribué à ralentir la croissance de la population du taluk dans les années 1980.
43Bien qu’elles ne soient pas négligeables, les mesures prises par le gouvernement pour décourager l’émigration en offrant des avantages aux villageois n’ont pas empêché que l’on choisisse plus qu’avant de partir. Comme partout ailleurs en Inde, différents programmes de développement ont été introduits par le gouvernement, comme le Programme de développement rural intégré (irdp), le Programme spécial pour la productivité de l’élevage (slpp), le Programme national d’emploi rural (nrep), le Programme pour la formation de la jeunesse rurale à l’emploi indépendant (trysem), etc., qui tous s’efforcent de réduire la pauvreté et visent à générer des emplois locaux en fournissant des capitaux pour initier et entretenir le processus de développement. On a de plus mis en œuvre des programmes supplémentaires spécialement conçus pour la région des Ghâts, comme le Western Ghats Development Programme ou les plans de développement forestier, tandis que le Coffee Board et le Cardamom Board, organismes gouvernementaux relayés par différentes banques, fournissaient des crédits aux planteurs. On ne dispose pas de données globales concernant, au niveau du taluk, les bénéficiaires des prêts de ces institutions, mais il est possible d’évaluer les progrès accomplis dans le cadre de l’irdp et du trysem.
44Si l’impact du trysem est minime (134 hommes ont été formés à la fabrication de sacs ou de toiles) l’irdp a été mis en œuvre d’une façon plus systématique et cohérente : en 1988-89, on avait accordé 2975 prêts pour l’achat de bufflesses, 1400 pour des bœufs, 350 pour des chars à bœufs, 440 pour des moutons ou des chèvres, et 503 pour démarrer de petits commerces, à quoi il faut ajouter les 3457 familles du taluk qui ont bénéficié du programme de logement populaire, dit Janata.
45Les bénéficiaires de tous ces programmes sont des ouvriers agricoles, de petits ou très petits paysans, et des artisans ruraux. D’autres programmes ont pu aider encore beaucoup de pauvres gens : suppression du travail asservi, pensions aux vieillards, aux veuves et aux personnes handicapées, allocation de cartes de rationnement14, prêts en faveur de travailleurs indépendants, distribution de terres à ceux qui en sont dépourvus, etc. En général, les infrastructures visant au développement ont été elles-mêmes renforcées : treize banques rurales et douze dispensaires ruraux (qui s’ajoutent à plusieurs médecins privés) sont maintenant établis dans les différentes parties du taluk.
46Tous ces programmes de développement et de lutte contre la pauvreté ont contribué dans une certaine mesure à modifier la structure de l’économie locale, et ont pu même encourager une partie de la population à rester au village : à lui seul le programme de logement du Janata a ainsi touché plus d’un huitième des familles recensées en 1981.
47Dire que les programmes gouvernementaux ont été efficaces jusqu’à un certain point ne signifie pourtant pas que l’objectif ultime du Programme de développement rural intégré ait été vraiment atteint. On l’a déjà noté, le ralentissement de la croissance démographique après 1981 semble indiquer une tendance accrue à l’émigration, ce dont témoigne la population de la petite ville de Sakleshpur (18 555 habitants en 1991) qui a connu un essor considérable de 54 % de 1981 à 1991. Cette croissance, il est vrai, a probablement été influencée également par de plus larges mouvements, car Sakleshpur est sise en un important point de traversée des Ghâts, sur la route nationale qui relie Bangalore à Mangalore.
48Les études de cas villageois présentées ci-dessous s’efforcent pour leur part d’évaluer, dans les contextes socio-économiques rencontrés, la façon dont les multiples évolutions, choix et modes de comportements observés sur le terrain, interviennent pour structurer les mouvements de population. Nous interpréterons dans une plus large perspective les images contrastées qui s’en dégagent en fin de chapitre.
49Après avoir envisagé d’un point de vue global les changements dont le taluk de Sakleshpur est le théâtre, attachons-nous maintenant à comprendre, à échelle locale, les processus des changements ruraux et leurs conséquences sur les mouvements de la population ou sur son enracinement. Le taluk étant hétérogène à maints égards (systèmes agricoles, types de plantations), nous avons sélectionné six villages représentant quatre types distincts. On a retenu également dix domaines, dont neuf en café, et le dernier, le seul du taluk, en thé, pour constituer un échantillon suffisamment représentatif15. De brèves enquêtes ont aussi été menées dans deux villages en dehors des Ghâts, que leurs habitants quittent, ou quittaient, pour aller dans les montagnes.
Typologie des systèmes et sous-systèmes | Cas étudiés |
Système des Ghâts occidentaux | |
1. Sous-système dominé par des petits paysans-planteurs (café et cardamome avec culture de riz) | Bommanakere, Voddarahalli et Haragarahalli |
2. Un petit centre de services | Kurubathur |
3. Sous-système dominé par la cardamome et le riz à la lizière de la réserve forestière | Yathahalla |
4. Sous-système des grands domaines | Agalatti et divers domaines |
Systèmes environnants | Perabe et Guttinakere |
50La figure 6 illustre le rythme de croissance démographique observé depuis 1951 dans les villages de notre échantillon situés dans le taluk de Sakleshpur.
Bommanakere, Voddarahalli et Haragarahalli (bhv) : petits planteurs de café et de cardamome, et riziculture
51Situés dans la partie centrale du taluk, Bommanakere, Voddarahalli et Haragarahalli (BHV ci-après) sont trois villages contigus, reliés par des routes non goudronnées, et relevant administrativement du mandai panchayat de Kurubathur.
52Le relief consiste en étendues ondulées, de 940 à 960 m d’altitude, et les précipitations moyennes sont élevées, environ 2500 mm par an.
53Ces villages comptaient en tout, en 1990, 910 personnes réparties en 177 foyers16, soit une densité de 106 h/km2 environ. Bien que cette population ait augmenté en nombre absolu, son taux de croissance a décliné depuis 1961, après avoir fortement crû entre 1951 et 196117.
54Comme le montre le tableau 4, les données du recensement de 1991 diffèrent régulièrement de celles que nous avons obtenues par comptage sur place en 1990. Bien qu’il puisse s’agir d’erreurs, il convient de souligner que l’unique famille musulmane établie à BVH est partie à la fin de 1990, après que des maisons et des boutiques de leurs coreligionnaires de Kurubathur eurent été attaquées, à l’époque des heurts opposant Hindous et Musulmans qui se produisirent en plusieurs endroits de l’Inde à propos de l’affaire d’Ayodhya18.
55Trois castes sont importantes par leur nombre à BVH : les Lingayats, avec 95 familles, suivis loin derrière par les Harijans avec 54 familles, et les Gangamathas avec 10 familles19 (les Gangamathas étaient des pêcheurs de statut moyennement bas, qui se sont convertis à l’agriculture). Les maisons des villageois sont en petits hameaux éparpillés sur un grand espace en raison même de la dispersion des terres qu’on considère comme cultivables dans le Malnad20.
La structure économique et sa récente évolution
L’agriculture, domaine des Lingayats
56Les Lingayats, en tant que caste localement majoritaire en nombre, mais aussi dominante socialement et économiquement, ont la maîtrise complète de l’économie villageoise, fondée sur l’agriculture21. Sur les 95 familles de Lingayats, 92 sont des familles d’agriculteurs, et possèdent près de 90 % des terres cultivables22. Bien que la moyenne des surfaces possédées soit de 9,5 acres, 54 des 99 familles d’agriculteurs possèdent moins de cinq acres, tandis que 34 familles disposent de plus de 10 acres chacune. Il y a aussi un domaine caféier à Haragarahalli, d’environ 80 acres, qui fut développé après 1985 et qui appartient à un homme d’affaires de Madras. Sur une surface totale de 861 hectares, 491 hectares, soit 57 %, sont cultivés en riz, café et cardamome dans les proportions respectives de 24 %, 44 % et 28 %. Dans chacun des villages, particulièrement Haragarahalli, les petits planteurs sont majoritaires, mais le riz est aussi toujours cultivé.
57L’observation de ces villages confirme ce qui a été dit de façon plus générale : le système de production agricole a été bouleversé, le café s’est substitué à la cardamome. La surface en riz, seule culture vivrière importante, est plus ou moins restée la même, mais les rendements sont passés de 6 à 10 quintaux par acre (15 à 25 q/ha) depuis 1970, en raison de l’usage accru d’engrais industriels et de semences à haut rendement. Presque toutes les familles d’agriculteurs possèdent des rizières, quoique de façon très inégale : de 0,5 à 15 acres par famille.
58Parmi les cultures commerciales, le café occupe la place d’honneur depuis que la cardamome a perdu son importance initiale et que l’on replante les plantations de cardamome en café (75 % de la surface plantée aujourd’hui en café était en cardamome, et les 25 % restants étaient des terres sèches pour pâturage, ou en friche). Le café fut introduit ici pour la première fois comme culture commerciale vers 1960. Sur les 33 familles d’agriculteurs interrogées, 28 possédaient des plantations de café, dont la superficie moyenne était de 4 acres par famille. Sur ces 28 familles, 19 ne se mirent au café qu’après 1970. L’augmentation de la surface plantée en café est aussi due aux encouragements du gouvernement : 21 sur 28 des planteurs de café ont bénéficié de prêts accordés soit par des banques commerciales, soit par le Coffee Board lorsqu’ils ont commencé leur propre plantation. Mais la culture du café n’est pas très rentable ici : le rendement moyen par acre est de 470 kg de cerises noires, ce qui rapporte environ 3100 Rs, brut par an au prix courant23, et dans plusieurs cas les plants de café sont encore jeunes. D’autre part, et de façon sans doute plus décisive, les agriculteurs n’ont d’autre choix que de planter du café, une fois abandonnée la cardamome et coupé son couvert arboré.
59Malgré sa popularité déclinante, la cardamome n’a pas encore complètement disparu du paysage et demeure la deuxième des cultures commerciales : sur notre échantillon de 33 familles d’agriculteurs, 30 possèdent encore des plantations de cardamome. Leur taille moyenne est de deux acres, et le rendement moyen est de 17 kg l’acre. Au prix courant24, et malgré ces bas rendements, le revenu par acre est semblable, ou même supérieur à celui du café. Les prix de la cardamome fluctuent cependant beaucoup, non seulement d’une année à l’autre, mais aussi d’un mois à l’autre pendant certaines saisons : c’est une raison supplémentaire qui pousse les agriculteurs à se convertir au café, dont les prix sont beaucoup plus stables.
60Les piments viennent au troisième rang des cultures commerciales. On a commencé à les cultiver commercialement dans ces villages il y a six ou sept ans. Le piment s’est avéré la plus rentable des cultures, puisqu’on en tire un revenu de 9000 Rs par acre en trois à quatre mois. Parmi les 33 familles d’agriculteurs de l’échantillon, 24 cultivent des piments sur de petites surfaces (0,43 acre en moyenne par famille). Cette modestie des terres dévolues au piment s’explique par les impératifs de sa culture : il lui faut une main-d’œuvre abondante, beaucoup d’engrais, une attention constante, et un apport régulier d’eau qu’il est difficile d’obtenir en été. Ce sont surtout les petits et moyens agriculteurs qui cultivent les piments avec l’aide de leur famille.
61En dépit de son orientation commerciale, l’agriculture de ces villages est peu mécanisée. Il n’y a qu’un tracteur, acheté en 1990. Les charrues à soc métallique et les pulvérisateurs sont en usage depuis le début des années 1970, et quelques familles se sont récemment mises à l’irrigation par motopompe et par aspersion.
Les Harijans sans terre : du travail asservi au travail journalier ou sous contrat
62Le second groupe par son importance numérique dans ces villages est celui des Harijans, de la caste Holeyaru, dont la plupart travaillent comme ouvriers agricoles. En fait, les Harijans étaient des travailleurs asservis avant même l’introduction des cultures de plantation25. Ils commencèrent par travailler dans les rizières, puis plus tard dans les plantations de café et de cardamome. Le système appellé maduve alu (travailleur marié) a été largement pratiqué dans ces villages pendant très longtemps, et se rencontre encore dans certaines des familles possédant de la terre. Proche du travail asservi, ce système consiste à avancer de l’argent aux Harijans pour leur mariage, le couple nouvellement marié devant ensuite travailler dans la maison de son créancier contre des salaires plus bas que la moyenne, et dont est déduit chaque semaine l’équivalent d’une à deux journées pour rembourser l’emprunt. Tant que sa dette courait, le travailleur ne pouvait louer ses services à d’autres sans la permission de son maître. Il y a peu de familles de Harijans dans ces villages qui n’aient envoyé un jour ou l’autre au moins l’un des leurs comme « travailleur marié », et dans quelques familles cet assujettissement a été transmis de génération en génération sans pouvoir se libérer de la dette parce que les travailleurs empruntent de nouveau, le plus souvent à l’occasion de manifestations sociales comme les fêtes, les funérailles, etc. Dans l’ensemble, ce système du « travailleur marié », qui est devenu illégal après l’abolition du travail asservi par une ordonnance de 1976, est sur le point de disparaître aujourd’hui.
63Présentement, la plupart des Harijans travaillent comme ouvriers agricoles journaliers. Les différents programmes de développement du gouvernement ont aidé ces travailleurs à échapper aux griffes des propriétaires dans une large mesure, et certains villageois harijans ont même reçu des prêts au titre du Plan de réhabilitation des travailleurs asservis (Bonded Labour Rehabilitation Scheme) lancé en 1976 par le gouvernement. Plusieurs familles ont pu bénéficier du programme de logement lanata, de l’électrification gratuite de leur logement, de pensions de vieillesse, et de pensions de veuvage pour les femmes. Toutes les familles de travailleurs ont reçu des cartes de rationnement. Grâce à elles et à d’autres allocations, les familles harijans ne sont plus complètement dépendantes des propriétaires et peuvent jouir de quelques commodités bien à elles. Mais il en va tout autrement en ce qui concerne l’efficacité du programme IRDP lancé en 1978-79. Parmi les 19 familles de Harijans que nous avons interrogées, huit en ont, en théorie, « bénéficié ». On leur concéda bien des prêts pour acheter des bœufs ou des buffles, mais elles ne disposaient pas de pâturage, et comme plusieurs d’entre elles n’avaient pas non plus d’abri qui puisse servir d’étable, elles durent donc mettre leurs bêtes dans l’étable du propriétaire qui les emploie26. Pis, pour des préjugés d’ordre social, les autres castes n’achetèrent pas le lait provenant des Harijans, lait qui ne put non plus être ramassé, car le gouvernement n’avait pas installé de laiterie. Les Harijans en concluent qu’il ne leur vaut rien de se mettre à l’élevage, et préféreraient continuer à exercer leur activité habituelle d’ouvrier agricole. Leur bétail est mort ou a été vendu.
64Line alu désigne un autre genre d’ouvriers, ceux qui travaillaient dans les plantations de cardamome jusque dans les années 1970, et qui venaient principalement du Dakshina Kannada. Mais ici comme partout ailleurs dans le taluk, ils ont presque disparu aujourd’hui : d’une part, ils peuvent maintenant trouver d’autres emplois au Dakshina Kannada ou au Kérala, et d’autre part, suite à l’échec de la cardamome, les propriétaires ne peuvent plus se permettre d’employer ce type de main-d’œuvre. Sur les 33 familles d’agriculteurs de notre échantillon, 15 qui employaient des line alu dans les années 1970 s’en dispensent aujourd’hui.
65Ceci ne signifie absolument pas que la demande de main-d’œuvre ait diminué. Bien au contraire, elle s’est récemment renforcée en raison de l’extension des cultures qui en requièrent beaucoup, comme le café et les piments, sur les terres des paysans propriétaires, ou du fait du développement des grands domaines. En conséquence les salaires ont augmenté, particulièrement sur les plantations où ils atteignent 17 Rs par jour, ce qui dépasse aujourd’hui de beaucoup les 8 à 15 Rs qu’offrent les propriétaires du village que les ouvriers commencent à quitter. D’autres raisons peuvent aussi expliquer les difficultés qu’éprouvent aujourd’hui les agriculteurs pour trouver de la main-d’œuvre. Parfois les ouvriers acceptent des tâches mieux payées, comme le bûcheronnage, la construction des routes ou le reboisement. Les enfants des ouvriers agricoles ont par ailleurs commencé à aller école. La pratique d’autres activités indépendantes, comme la vannerie, a augmenté, de même que le nombre d’ouvriers qui préfèrent des tâches rémunérées sur une base contractuelle plutôt que de se louer à la journée. Les avantages que le gouvernement procure aux pauvres sont suffisamment grands pour les dissuader, dans certains cas pour le moins, de rechercher des tâches mal payées.
66Presque tous les ouvriers reconnaissent que les opportunités d’emploi dans le secteur agricole ou sur les plantations sont aujourd’hui beaucoup plus grandes qu’il y a une quinzaine d’années : dans toutes les familles ouvrières, au moins deux personnes sont employées, et la plupart pendant 200 à 250 jours par an.
Autres activités : secondaires mais en essor
67Il n’y a que trois familles qui exercent exclusivement des activités non agricoles, dont deux, celle d’un charpentier et celle d’un forgeron, sont établies depuis longtemps, la troisième étant ce qu’on appelle en Inde un « hôtel » et qui n’est qu’un petit restaurant bon marché, qu’on a ouvert il y a quelque huit ans27.
68Sept autres personnes de ces villages exercent subsidiairement à l’agriculture des activités qui sont apparues pendant ces dix dernières années : l’une a ouvert une petite meunerie, une autre une petite échoppe, une troisième un commerce d’articles de dinanderie, trois autres vendent des produits locaux courants (bois de chauffe, riz et cardamome), et la dernière pratique l’astrologie.
69Sur les 19 familles interrogées, 13 pratiquent la vannerie. Celle-ci est donc une autre activité importante, essentiellement masculine, que seuls les Harijans exercent en complément de leur travail d’ouvrier agricole pour la majorité d’entre eux, et à plein temps pour quelques-uns seulement. La vannerie n’a rien de nouveau, mais un nombre croissant de familles s’y sont mises récemment, et plusieurs de ceux qui se sont libérés de leur asservissement ont saisi cette opportunité d’améliorer leur sort. Le bambou qui sert de matière première est disponible dans la forêt, à une dizaine de kilomètres de là. Les produits sont vendus sur le marché hebdomadaire de Kurubathur, le vendredi. En moyenne, un vannier peut gagner 500 Rs par mois, et quelques familles ont même pu emprunter aux banques pour financer cette activité. Activité aujourd’hui menacée, du reste, car les bambous se font rares, et les administrateurs des forêts n’autorisent plus les vanniers à les y couper sans licence, tandis que grandissent les industries, papetières et autres, qui en consomment d’énormes quantités. En fait, les concessions de bambou accordées aux seules papeteries, 309000 t, dépassent de loin la production de l’État (86200t). (Nadkarni et al. 1989 : 77-80.) Il est clair qu’ici le secteur informel souffre d’autant plus que l’industrie établie se porte mieux.
Les immigrants : venus principalement du taluk
70Bien que l’économie de nos villages ne paraisse pas très dynamique, des migrants s’y sont installés depuis une cinquantaine d’années. Sur les 177 familles présentes aujourd’hui, 42 proviennent de l’extérieur, et surtout d’autres villages du taluk (fig. 7).
71La plupart de ces migrants sont arrivés avant 1960 pour trouver de la terre ou pour s’engager comme ouvriers agricoles. Très peu sont venus entre 1960 et 1980, car à cette époque la terre n’était plus à la portée des petits et moyens agriculteurs, le temps de l’agriculture « pionnière » étant désormais bien terminé. Aujourd’hui, il n’y a plus que quelques investisseurs pour acheter de la terre dans cette région, des friches pour y planter du café par exemple, comme ce fut le cas à Haragarahalli. Les caractéristiques de l’immigration ont nettement changé pendant la dernière décennie, comme le montre la figure 8-A.
72Après 1980, nombre de personnes sont venues de lieux très éloignés pour occuper les emplois non agricoles offerts sur le domaine d’Haragarahalli, où l’on avait besoin d’employés, de comptables et de contremaîtres. Plus personne ne vient maintenant dans aucun de ces villages pour s’établir agriculteur.
73Nous avons interrogé 14 de ces familles immigrées, dont neuf venues du taluk, et cinq d’ailleurs. Toutes sauf deux vivent de l’agriculture, les hommes étant agriculteurs ou ouvriers agricoles28. Ces immigrants sont arrivés directement de leurs villages d’origine durant ces cinquante dernières années. La plupart de ces migrants (sauf deux) pensent que leur condition s’est améliorée ici. Bien que presque aucun d’eux ne possède de terre dans son village d’origine, ils continuent d’y retourner de temps en temps.
Lémigration’ : un phénomène récent
74Jusqu’aux années 1980, peu de villageois émigraient. Les agriculteurs se satisfaisaient des revenus de la cardamome et se préoccupaient peu du monde extérieur, tandis que les ouvriers agricoles, pris dans des rapports de servitude, ne pensaient jamais à partir.
75Mais aujourd’hui 33 émigrants de bvh vivent hors de leur village, avec auprès d’eux 19 dépendants. Ce processus d’émigration commença modestement au début des années 1970 et culmina entre 1986 et 1990 (fig. 8-B). La plupart des émigrants sont des hommes célibataires. Tous savent lire, et presque la moitié d’entre eux (leurs dépendants non compris) ont passé l’équivalent du puc29. Ces migrants proviennent de 25 familles, dont 23 sont Lingayats, une Gangamatha et une autre Harijan : claire est la corrélation entre la caste, le patrimoine foncier, le niveau d’éducation et la mobilité.
76Sur ces 33 émigrés issus de 25 familles, 12 sont partis pour étudier. Parmi les 21 restants, on trouve des employés, des comptables, des tailleurs, des vendeurs, de petits entrepreneurs de travaux publics, de modestes «hommes d’affaires ». La plupart sont maintenant hors du taluk (fig. 9).
77Nous avons interrogé six familles parmi les 25 comptant des émigrants. Sur les 10 personnes qui ont quitté ces six foyers, trois sont étudiants et les sept autres, qui relèvent de différentes classes sociales, travaillent comme employés de bureau, ou à un niveau de qualification inférieur. Aucun de ces employés n’a perdu le contact avec sa famille. Tous les émigrés retournent fréquemment visiter leur village et plusieurs apportent une aide financière à leurs parents, qui à leur tour les aident, en leur donnant du riz par exemple.
78D’après ceux des chefs de famille qui résident encore au village, aucun de ces employés n’envisage d’y revenir pour s’y réinstaller, du moins pour l’instant : partis à la recherche d’un emploi de col blanc, ils sont satisfaits de celui qu’ils se sont assuré, et qui correspond à leurs attentes et à leur niveau d’éducation.
79Les informations recueillies à propos des émigrants potentiels sont purement hypothétiques, et les opinions avancées par les personnes interrogées n’expriment qu’un désir qui peut ne pas se réaliser. Néanmoins, elles éclairent les stratégies sous-jacentes aux logiques de l’enracinement30. Parmi les 60 foyers interrogés et relevant de différents groupes sociaux, 56 chefs de famille veulent rester dans leur village, et quatre seulement envisagent de partir s’installer en milieu urbain31. Mais les personnes interrogées ont une stratégie différente pour leurs enfants : 40 foyers souhaitent que leurs enfants (et plus spécialement certains de leurs fils) quittent le village pour s’assurer un quelconque emploi non agricole : l’on a exprimé ce souhait dans tous les types de foyers, des familles d’agriculteurs à celles de coolies. Dans douze familles on ne désire pas qu’un enfant, ou que des enfants s’en aillent, soit parce qu’un fils unique doit rester au village avec ses parents ou, dans quelques cas, parce que les parents pensent que leurs enfants n’ont ni l’éducation nécessaire ni les ressources pour trouver un travail ailleurs (ce deuxième argument a souvent été soulevé dans des familles de Harijans). Les autres foyers n’envisagent pas de faire partir leurs enfants, soit parce que ceux-ci sont encore trop jeunes pour qu’on ait pu élaborer une stratégie les concernant, soit parce que, n’ayant que des filles, les parents pensent que la question ne se pose pas.
80Par ailleurs, un assez grand nombre de personnes interrogées ont exprimé leur intention de garder au moins un de leurs fils au village. Comme Landy dans le Maidan, nous relevons donc également au Malnad une stratégie délibérée consistant à envoyer quelques-uns des enfants à l’école tout en formant les autres à l’agriculture.
81En conclusion, on peut souligner que la plupart des agriculteurs Lingayats de bvh n’ont pas éprouvé de grande difficulté à gagner passablement bien leur vie jusqu’aux années 1980. Ils n’ont, en conséquence, probablement pas ressenti la nécessité de chercher des emplois non agricoles et urbains. Les Harijans pour leur part, en raison de leur pauvreté, sont demeurés travailleurs asservis pendant plusieurs générations et n’ont donc pas eu beaucoup de rapport avec le monde extérieur à leur village. La plupart des agriculteurs et des ouvriers agricoles n’ont donc pas acquis le niveau d’éducation suffisant pour pouvoir émigrer, même s’ils le souhaitent aujourd’hui. Il leur a fallu accepter leur présent mode de vie villageois, non sans en souffrir dans certains cas. Mais les récents changements affectant les structures socio-économiques ont porté à conséquence : pendant la dernière décennie, des villageois sont partis chercher des emplois urbains pour améliorer leurs conditions d’existence. De façon intéressante, cette nouvelle stratégie est clairement élaborée dans le contexte familial : les hommes jeunes s’en vont tout en conservant leur ancrage au village où vivent toujours de proches parents.
Kurubathur : un village-marché, petit centre de services
82Notre deuxième étude de cas porte sur Kurubathur32, une localité très modeste, mais jouant un rôle capital pour plusieurs villages des environs, dont bvh. Relié par une route carrossable à Sakleshpur distante de 18 km, Kurubathur, qui assume des fonctions centrales dans divers domaines, est aussi le siège du mandai panchayat qui porte son nom33.
83D’après notre enquête de terrain menée en 1990, le village compte 470 habitants répartis en 83 familles, soit une densité de population de 214 h/km2. Le taux de croissance démographique de Kurubathur déclina après 1961, comme celui de bvh, puis remonta un peu entre 1981 et 1990. Ceci est dû d’une part aux mutations de fonctionnaires, et d’autre part, à l’arrivée de quelques familles venues des villages voisins s’installer à Kurubathur pour profiter de son rayonnement. Mais d’après le recensement mené en 1991, la population apparaît remarquablement plus petite, 433 habitants. Le taux de croissance décennal se réduirait alors à 4 %, et s’alignerait ainsi avec ceux des années 1960 et 1970.
84Plus encore qu’à bvh où ne vivait qu’une seule famille musulmane, l’attaque contre les biens des musulmans lancée à Kurubathur le 1er novembre 1990 a contribué à cette baisse brutale de la population entre 1990 et 1991. Ainsi, une famille musulmane décida de vendre sa maison et de partir, tandis que six ou sept autres, sans vendre leurs biens pour autant, choisirent de quitter le village au moins temporairement. Toutes ces familles n’ont pas été recensées en 1991. Bien que d’importance marginale ici, ce genre de migrations dues aux tensions intercommunautaires doit être pris en compte : dans certains États indiens particulièrement agités, comme le Punjab et l’Assam, les dissensions communautaires ont provoqué des mouvements de population significatifs.
Fonctions de chef-lieu et activités non agricoles
85Comme le montre le tableau 6, la distribution des castes et les catégories professionnelles sont ici plus diversifiées que dans un village banal : quinze castes sont présentes à Kurubathur, et environ 60 % de la population exerce des activités non agricoles.
86Kurubathur, qui a été le siège du panchayat de village depuis 1980, a attiré plusieurs activités de service, d’autant qu’en 1987, il fut sélectionné pour abriter le siège du mandai panchayat. Aujourd’hui, on trouve dans le village un dispensaire, un hôpital vétérinaire, une banque, un bureau de poste, un téléphone public, une société coopérative, deux petites cliniques privées (sept lits) et des services scolaires allant du jardin d’enfants à l’école secondaire, outre le marché hebdomadaire du vendredi. Traversé quotidiennement par 46 autobus, le village est aussi un important nœud de communication avec plusieurs villages des alentours et avec de lointaines agglomérations comme Bangalore, Mysore, Shimoga, Mercara, auxquelles il est relié par route. Ces services ont créé des opportunités d’emploi, et aujourd’hui 15 fonctionnaires, dont 13 extérieurs au village, résident à Kurubathur avec leur famille34.
87En 1990, 51 familles du village dépendaient d’activités autres que l’agriculture ou la fonction publique (voir tableau 6). La plupart de ces familles sont musulmanes et, comme nous l’avons vu, quelques-unes sont parties depuis, mais peuvent très bien décider de revenir. Malgré la fluidité de leur situation, nous pouvons considérer les résultats de l’enquête menée avant leur départ comme reflétant les principales tendances structurelles observées dans le village. Nous avons donc écrit ce qui suit au présent, bien que les données fournies ci-dessous puissent parfois décrire une situation qui n’est plus.
88Hormis les familles musulmanes, nous avons trouvé parmi les travailleurs non agricoles des barbiers, des menuisiers, des orfèvres, des forgerons poursuivant la profession traditionnelle de leur caste respective. En plus de ces 51 familles résidant dans le village, six autres activités commerciales situées à Kurubathur, telles que des échoppes et des « hôtels », sont exercées par des villageois des environs, dont l’un est de Bommanakere, comme nous l’avons mentionné ci-dessus. La clientèle de toutes ces activités artisanales ou marchandes vient de 10 km à la ronde environ. Dix-neuf des 21 familles exerçant une activité non agricole en dépendent complètement, les deux autres tirant leurs revenus principaux de l’agriculture. Presque toutes travaillent en famille, à l’exception des tailleurs et des barbiers qui emploient un ou deux garçons à la journée. Mais plusieurs de ces familles exercent plus d’une activité, comme par exemple la confection et le commerce, le commerce et la meunerie, la pelleterie et d’autres affaires encore. De telles combinaisons de deux ou trois activités procurent des revenus qu’on considère élevés : « plus de 1000 Rs par mois », répond-on sans donner de détails.
89Toutes ces petites entreprises, sauf trois, ont été fondées après 1970, et plusieurs ne sont pas encore définitivement établies35 : nombre de familles se sont lancées successivement dans différentes activités, mais sans jamais se tourner vers l’agriculture. La plupart de ces commerçants, boutiquiers et artisans pensent que leur affaire sera demain comme aujourd’hui, et n’envisagent donc pas de diversifier leurs activités dans le village, ni d’aller s’installer en ville ou ailleurs. Mais deux tailleurs souhaitent s’établir à Sakleshpur et à Kodlipet (une petite ville du Coorg) pour développer leur affaire.
L’agriculture : le privilège de quelques possédants
90A Kurubathur, l’agriculture est dominée par une poignée de gens : 17 familles seulement la pratiquent, dont cinq monopolisent presque 75 % des terres agricoles36. Ce phénomène de concentration des terres entre les mains de quelques familles riches est récent. En 1961, la proportion de familles sans terre n’était que de 22 %, tandis qu’en 1990, elle s’élevait à 70 %. De plus, le pourcentage d’agriculteurs possédant moins de cinq acres de terre est tombé de 39 % en 1961 à 14 % en 1990 (tableau 7). Plusieurs familles de propriétaires musulmans ont quitté le village il y a longtemps, tandis que d’autres se sont tournés vers des activités non agricoles, et aujourd’hui une seule famille musulmane possède de la terre. Parmi les familles hindoues, les petits paysans ont largement perdu leur terre, tandis que les gros propriétaires fonciers agrandissaient leurs propriétés déjà considérables. La réforme agraire, ne portant pas sur les plantations, n’a guère fait obstacle ici à la concentration des terres. Elle a en vérité, comme I. Maida l’a souligné, largement favorisé les grands planteurs. (Maida 1984 : 46.)
91Le finage de Kurubathur s’étend sur 220 hectares dont 80 sont cultivés. Le riz occupe 46 % des terres sous culture contre 41 % pour le café et 10 % pour la cardamome. La surface en riz, seule culture vivrière, n’a pratiquement pas changé depuis 1961 (tableau 8). Mais le rendement par acre est passé d’environ 8 à 11 quintaux depuis les années 1970. Les neuf familles interrogées ont toutes des rizières, mais d’importance très variable : de 0,5 à 15 acres selon les familles.
92Le café est la culture commerciale la plus importante du village. Sa culture s’est grandement répandue après 1961, tandis qu’une stratification économique se développait : des plantations familiales ne s’étendent que sur quelques acres, d’autres en couvrent une quarantaine. Dans nombre de cas, les prêts du gouvernement ont incité à investir dans le café. Dans l’ensemble, la diffusion de cette culture résulte visiblement du déclin de la cardamome (tableau 8). Pourtant les petites plantations de cardamome, d’une acre environ, existent encore. Leur rendement est très bas : 3 kg par acre en 1988-89. Parmi les autres cultures de moindre importance, on trouve les piments, le poivre, le gingembre et le cocotier, que peu de familles cultivent sur de très petits lopins. L’agriculture n’est pas ici plus mécanisée que dans les autres villages observés. Charrues et engrais industriels sont en usage depuis 1975 ; deux familles ont des motopompes, et deux autres des pulvérisateurs.
Les coolies : diverses castes, diverses activités
93A Kurubathur, on compte 17 familles de coolies. La plupart des coolies sont des Harijans, mais tous les Harijans ne sont pas ouvriers agricoles. Le système des line alu a désormais complètement disparu à Kurubathur. La demande de main-d’œuvre a beaucoup augmenté, et plusieurs propriétaires commencent à dépendre de travailleurs venant des villages des environs. Certains propriétaires font aussi venir des zones sèches du Maidan des ouvriers saisonniers pour travailler leurs rizières.
94Les coolies du village s’engagent sur les plantations ou sur des terres irriguées, et parfois travaillent pour des artisans ou des commerçants, pour le meunier, ou sur les chantiers de construction de maisons. Quelques-uns vendent du poisson, des légumes et divers objets de peu de valeur sur le marché hebdomadaire. Dans l’ensemble, les travailleurs du village sont impliqués dans des activités multiples, comme la diversité de l’économie locale y prédispose. Les salaires journaliers varient de 10 à 20 Rs, selon la nature du travail. Tous les travailleurs affirment qu’ils peuvent trouver à s’employer 250 jours par an.
Une immigration importante
95Le village a reçu des immigrants, provenant du taluk ou d’ailleurs, depuis les premières décennies de ce siècle. Plusieurs de ces migrants venaient et continuent de venir pour une saison, mais le flux de ceux qui se sont installés à demeure est de loin le plus significatif, puisqu’il constitue le gros de la population villageoise. Sur les 83 familles recencées en 1990, 70 y sont arrivées au fil de ces 80 dernières années environ. Treize familles sont celles des fonctionnaires qui ont été mutés. Sur les 57 restants, 39 proviennent d’en dehors du taluk (fig. 10), la plupart du Dakshina Kannada et du Kérala.
96Le flux migratoire aboutissant à Kurubathur commença dans les années 1910, avec l’introduction des plantations de cardamome qui attirèrent des travailleurs de la côte occidentale très peuplée. La plupart des familles de l’ouest sont musulmanes, et arrivèrent ici voici 40 ou 50 ans. Après quelques années, une poignée d’entre elles achetèrent de la terre qu’elles revendirent plus tard, lorsqu’elles se tournèrent vers des activités non agricoles. D’autres, après avoir travaillé comme ouvriers agricoles, se tournèrent progressivement vers des activités indépendantes, comme le petit commerce, la restauration, etc. Quant aux migrants permanents – la plupart des musulmans du Maidan (provenant des taluks de Kollegal, Alur, Hassan et Arsikere) aussi bien que du Tamilnad –, ils s’engagèrent dans des activités non agricoles. Avant 1941, la proportion des immigrants à Kurubathur provenant des villages du taluk de Sakleshpur était très faible. Le mouvement d’immigration – quoiqu’irrégulier – prit ensuite de l’ampleur, particulièrement pendant les années 1980, lorsque la plupart des fonctionnaires firent leur entrée (fig. 11). Aujourd’hui les familles immigrées sont impliquées dans toutes les activités, y compris l’agriculture.
97Nous avons interrogé 26 familles d’immigrants installées à demeure, venues de différentes régions à différents moments, et qui exercent différents types d’activités37. Sur ces 26, vingt vinrent directement à Kurubathur de leur village d’origine, les six autres ayant procédé par étapes avant de s’y implanter. Les premiers migrants musulmans du Dakshina Kannada et du Kérala se fixèrent dans ce village à cause de son rayonnement et furent plus tard rejoints par des amis et des parents, cas classique de migration associative, comme Raju en a trouvé dans le district de Bellary. (Raju 1989 : 124.) Plusieurs des immigrants venus des villages des environs y vinrent aussi à cause de la centralité de Kurubathur. Quelques-uns de ces migrants possèdent encore de la terre dans leur village, et font la navette pour cultiver leurs champs.
98Sur les 26 familles interrogées, seize pensent qu’elles s’en sortent mieux ici que dans leur précédent lieu de résidence, mais trois pensent le contraire38 : un orfèvre, récemment venu de Kasaragod (Kérala), et deux commerçants du Dakshina Kannada arrivés depuis longtemps. De ces trois insatisfaits, deux envisagent leur retour au pays. Dix-neuf des 26 familles interrogées sont restées en relation avec leur village d’origine et s’y rendent de temps en temps. Parmi elles, six familles seulement y possèdent encore des biens, les autres ayant vendu les leurs, ou n’en ayant jamais eu. En sus de l’immigration permanente, des mouvements saisonniers amènent ouvriers et commerçants à Kurubathur : des ouvriers agricoles des régions sèches du taluk d’Arkalgud (district d’Hassan) viennent travailler dans les rizières pendant la moisson, alors que les vanniers du taluk d’Hassan restent de novembre à mai. Quelques marchands de cardamome du Dakshina Kannada et du Kérala restent aussi au village pendant la récolte de cardamome.
L’émigration : une pratique des hautes castes
99Kurubathur a aussi connu une faible émigration. Même avant que n’éclatent les violences de 1990, plusieurs familles musulmanes étaient déjà retournées au Dakshina Kannada. Par ailleurs, le gouvernement transfère ses fonctionnaires de temps en temps. Si nous n’avons pu recueillir des informations exhaustives concernant le nombre exact des familles qui ont quitté le village et l’année des départs, nous avons en revanche collecté des données sur les villageois qui ont vécu ailleurs. Sur 26 personnes émigrées (auxquelles s’ajoutent six dépendants) appartenant à 17 familles, la majorité, 18, sont de jeunes célibataires qui sont partis ces dix dernières années pour faire leurs études, suivre une formation, ou pour travailler (fig. 12). Environ un tiers de ces émigrants ont complété leurs études secondaires : à Kurubathur comme ailleurs, la possibilité d’émigrer est d’autant plus grande que le niveau de scolarisation est élevé. A l’exception d’une seule personne d’une famille de coolies, toutes les familles d’émigrés possédent de la terre ou exercent une activité indépendante. Ici aussi, aucun Harijan ou membre des autres basses castes n’est parti. Cette absence de mobilité parmi les basses castes peut être rapportée à leur manque d’éducation, comme l’ont observé Oberai et Singh au Pendjab. (Oberai et Singh 1983 : 61.)
100Aujourd’hui, la plupart des émigrés de Kurubathur vivent dans le taluk de Sakleshpur, sauf deux d’entre eux. Nous avons retenu pour enquête huit des 17 familles d’émigrés. Quinze personnes au sein de ces huit familles ont quitté Kurubathur : cinq poursuivent des études au-delà du 10e standard, et les autres sont employés dans différentes villes, ou y exercent des activités indépendantes. Tous ces migrants sont restés en relation avec leur famille au village et continuent de leur rendre visite. Six de ces huit familles reçoivent régulièrement de l’argent des émigrants, les plus pauvres d’entre elles étant particulièrement dépendantes de ces envois. Les migrants qui ne pourraient s’assurer un emploi permanent ont bien l’intention de revenir après leurs études, ou après la fin de leur période de formation ou de leur contrat, ce qui n’empêche pas certains d’entre eux d’être à l’affût d’un travail sûr à l’extérieur, ou de chercher à renouveler leur contrat, comme c’est le cas de deux musulmans qui sont partis pour les pays du Golfe Persique.
101En matière d’émigration potentielle, six chefs de famille, sur les 33 de notre échantillon, ont exprimé leur désir d’aller exercer leur activité en ville. Tous les six sont présentement impliqués dans des activités non agricoles (cinq sont commerçants et un artisan), et tous, soulignons-le, sont des immigrants. Les chefs des autres familles n’avaient pas l’intention de partir, mais encore une fois, leur point de vue change lorsqu’on pose la question du départ de leurs enfants. Sur les 33 chefs de famille, 21 souhaitent qu’au moins un membre de leur famille quitte le village, et 12 d’entre eux (presque tous commerçants ou artisans) aimeraient voir tous leurs enfants s’installer en ville. Les autres ne désirent pas que leurs enfants partent, ou trouvent qu’il est encore trop tôt pour y penser, les enfants étant trop jeunes. En revanche, logique d’enracinement, neuf des 33 familles désirent qu’au moins un de leurs fils (voire tous) reste au village. Ce groupe se compose de deux Harijans, de deux propriétaires fonciers, et de cinq autres personnes ayant diverses occupations. Les trois autres familles de l’échantillon, n’ont pas d’opinion tranchée sur ce point : elles n’ont pas l’intention d’obliger leurs fils à rester au village, et préfèrent pour leur part laisser leurs enfants en décider eux-mêmes.
102En résumé, quelques propriétaires aisés, qui bien entendu apprécient leur statut au village, expriment leur ferme intention d’y rester. La plupart des musulmans, au moins avant l’attaque de novembre 1990, semblaient satisfaits de leur travail, car le village est un petit centre où ceux qui exercent des activités non agricoles, tailleurs, barbiers, menuisiers, etc., peuvent faire de bonnes affaires. Ces deux catégories ont pu procurer suffisamment d’emplois pour les travailleurs du village. L’interdépendance nouée entre tous ces gens a été, entre autres, un facteur renforçant la stabilité de la plupart des villageois.
103Cette stabilité témoigne-t-elle de la bonne santé sociale et économique du village ? De façon curieuse, Kurubathur présente des aspects contradictoires. Bien que le village ait largement grandi par l’immigration, sa population a à peine augmenté après 1961, passant de 387 à 433 habitants, soit moins de 50 personnes en 30 ans. Cette stabilité démographique traduit-elle une stagnation économique ? La réponse ne peut certainement pas pencher vers l’affirmative, car ce petit village, malgré sa faible population, est plus que jamais un pôle – au niveau limité qui est le sien – avec sa banque, son école secondaire, ses fonctionnaires, ses commerçants, ses médecins... Ce contraste entre cette centralité en expansion, et le manque de dynamisme démographique ne fait sens que si nous considérons Kurubathur comme un lieu de transit pour une part de la population qui, nous l’avons souligné, est employée principalement dans le secteur non agricole. De ce point de vue, le village illustre le dynamisme limité du système rural local qui, tout en pouvant soutenir un développement certes lent mais continu, reste incapable de susciter de multiples foyers de croissance semi-urbaine.
Yathahalla : un village de la ceinture de la cardamome à l’orée de forêt
104Plusieurs des villages situés sur les marges orientales du taluk de Sakleshpur reçoivent des précipitations élevées. Leur finage est très largement recouvert de forêts et peu densément peuplé. Notre troisième village-témoin, Yathahalla, est un bon exemple de ce sous-système.
105Situé à 900 m d’altitude et à 5 km de toute route carrossable, Yathahalla est un petit village retiré, en bordure de la forêt qui s’étend le long de la partie orientale des Ghâts, à proximité du Dakshina Kannada (et non pas dans la forêt, ainsi que les cartes topographiques du Survey of India ou les données officielles du recensement de 1981 pourraient nous le faire croire). Bien qu’en cette vaste zone classée « réserve forestière » subsiste encore l’une des forêts denses humides les mieux conservées de l’Inde du Sud, les sections de forêt gouvernementale sises dans le finage de Yathahalla ont depuis longtemps été dégradées au point d’être méconnaissables. A Yathahalla, ce sont des pâturages, et non pas la forêt, qui occupent presque tous les espaces non cultivés.
106Dans cette partie du taluk, la cardamome est toujours la culture dominante, avec plus de 50 %, et parfois même plus de 80 % de la surface cultivée. Ceci contraste vivement avec ce que l’on observe non seulement dans la partie orientale du taluk, mais aussi dans le nord, où les villageois proches des grands domaines caféiers ont pris le risque de passer de la cardamome au café en profitant de prêts gouvernementaux. Au sud-ouest du taluk au contraire, les villages proches de Yathahalla, qui sont plus isolés que ceux du nord, en sont restés aux cultures commerciales traditionnelles (fig. 1).
107Les soixante familles qui constituent la population de Yathahalla (290 personnes en 1990, ou 301 en 1991 selon nos deux sources), sont groupées en cinq hameaux, eux-mêmes dispersés sur un finage relativement étendu (en règle générale, les vastes finages de la ceinture occidentale ont une densité de population bien plus faible que ceux proches de Sakleshpur, et Yathahalla, avec 22 h/km2, n’est pas une exception)39. Cette dispersion spatiale entretient un sentiment d’isolement social, car chacun de ces hameaux se pense comme une entité distincte et n’éprouve pas d’attachement, ou ne s’intéresse pas, au village pris comme un tout. En fait le regroupement de ces hameaux en un seul village n’a d’autre utilité qu’administrative.
108Comme à Kurubathur, la croissance de la population tend a faiblir à Yathahalla après 1961 (fig. 6), tendance qui conduit même à un déclin démographique entre 1981-91. Ce déclin résulte principalement de l’éclatement de quelques familles jusque-là indivises, dont les segments se sont installés dans les villages proches avec leur part de la propriété ancestrale. Dans ce contexte, l’amenuisement de la population ne doit pas être confondu avec un mouvement d’exode rural : quelques familles, cinq ou six nous dit-on, ont quitté pour de bon Yathahalla pendant ces dernières décennies.
L’agriculture : presque la seule activité
109Yathahalla n’est habité que par des Vokkaliga, qui vivent tous de l’agriculture. Le finage de Yatahalla, étendu sur 1316 hectares, ne compte que 16 % de terres cultivées. Sur les 527 acres cultivées, le riz en occupe 131,1a cardamome 381 et d’autres cultures 15. La cardamome continue donc d’être la culture dominante, avec 72 % de la surface cultivée totale.
110L’agriculture est la principale ressource du village. Sur les 60 chefs de famille, 57 sont exclusivement ou principalement agriculteurs. Les trois autres sont ouvriers agricoles et cultivent aussi quelques lopins en tenure. Les terres ont en moyenne une superficie de 6,28 acres par famille, mais 32 en ont moins. Toutes les familles d’agriculteurs ont des plantations de cardamome, dont les superficies vont de 1 à 20 acres, la taille moyenne étant de six acres, et le rendement moyen n’atteignant que 7kg/acre en 1988-89. Le riz est la principale culture vivrière, et presque toutes les familles en cultivent (1,95 acre en moyenne par famille), avec un rendement moyen très bas d’environ 7 quintaux l’acre : l’utilisation d’engrais ne permet pas de pallier les limites qu’imposent les très fortes précipitations, d’environ 7 500 mm/an.
111Plusieurs familles du village obtiennent une deuxième récolte de riz pendant l’été, de mars à mai, sur une part de leur rizière lorsque il y a assez d’eau pendant cette saison chaude (plus de 60 % des pluies annuelles tombent en juillet et août).
112Le village offre l’exemple typique d’une région qui a connu à son plus fort le « boom de la cardamome ». Il y a 80 ou 100 ans, un Britannique développa une grande plantation de cardamome dans le village voisin de Bajumane. Les villageois des environs, y compris ceux de Yathahalla, y allaient travailler comme ouvriers agricoles. Peu à peu, la culture de la cardamome se répandit dans tous les village proches40. Des bois privés, non utilisés jusqu’alors, furent convertis en petites plantations. Les rendements culminèrent bientôt, puis la récession suivit, comme ailleurs dans le taluk. Le faible rendement de la cardamome, et le prix d’achat élevé du bois de charpente poussèrent les planteurs à vendre leur bois. Cette vente sans retenue de bois de charpente a entraîné une réduction considérable de la surface du village plantée en cardamome pendant ces derniers 15-20 ans, bien que Yathahalla soit toujours classé dans les documents cadastraux et dans les rôles d’impôts comme « plantation de cardamome ». Il n’y a actuellement pas une famille du village qui n’ait vendu son bois, en partie ou complètement. Ce n’est pourtant pas la fin de la cardamome, car les villageois la cultivent maintenant à proximité, sur des terres gouvernementales appelées paisari, où l’on ne peut abattre les arbres. Le gouvernement tolère cet empiètement, mais n’accorde de prêts que pour la cardamome cultivée sur des terres privées.
113Comme dans d’autres villages du taluk, on a introduit la culture des piments. Sur les 24 familles de notre échantillon, 19 en ont cultivé en 1988-1989, mais sur de très petites surfaces (quelque six acres au total), et avec un rendement moyen de 2 775kg par acre, ce qui est d’un bon rapport.
114Les autres activités des villageois sont d’importance subsidiaire. Aucune famille ne dépend exclusivement d’une activité non agricole. Quatorze familles acceptent des travaux de coolie pour suppléer à l’agriculture.
115Le village comprenant surtout des agriculteurs petits et moyens, six familles seulement sur les soixante ont régulièrement, et quelques autres occasionnellement, besoin de main-d’œuvre. Mais la plupart des familles s’en sortent en se prêtant mutuellement assistance. Outre quelques très petits agriculteurs – ceux définis en Inde comme « marginaux » – qui s’accrochent à leurs terres minuscules (et parfois non rentables), plusieurs familles sans terre en ont loué un peu, afin de ne pas dépendre du seul travail d’ouvrier agricole.
116La demande de main-d’œuvre dans le village s’est complètement transformée au cours des vingt dernières années. Avant 1970, on demandait de la main-d’œuvre dans les plantations de cardamome, et ce sont des migrants du Dakshina Kannada qui venaient travailler comme line alu. Cinq des 24 familles interrogées employaient ce type de main-d’œuvre. Mais les planteurs de cardamome n’en ont plus besoin, et le travail offert au village aujourd’hui est à peine suffisant pour les ouvriers agricoles locaux. Parmi notre échantillon six familles comptent des ouvriers agricoles employés de 60 à 200 jours dans l’année, en particulier en juin-juillet, et novembre-décembre, lors du repiquage et de la moisson du riz, pour un salaire journalier moyen de 10 à 15 Rs. Ces ouvriers agricoles n’ont pas trop de difficulté pour trouver du travail puisque le nombre de travailleurs dans le village est restreint, et qu’il n’en vient plus de l’extérieur.
117Le nombre de personnes impliquées dans des activitées non agricoles est insignifiant. En 1989 l’une d’elles ouvrit une échoppe, et une autre une meunerie. Une troisième se rend quotidiennement à l’école secondaire où elle est employée, hors du village. Toutes ces personnes pratiquent aussi l’agriculture. Plusieurs familles tirent des revenus mineurs de la noix saponifère sikakai (Capindus emarginatus). Ceux qui n’on pas de sikakai dans leur plantation de cardamome en font parfois la cueillette dans la forêt, où des villageois vont également chasser et ramasser du miel.
L’immigration au passé
118Contrairement aux autres villages de notre échantillon, l’immigration à Yathahalla a toujours été faible, et elle a cessé aujourd’hui. On compte sept familles d’immigrés au village (fig. 13-A), dont deux qui, venues des villages voisins, avaient déjà leurs terres à Yathahalla. Les cinq autres sont venues avant 1970 des taluks voisins de Puttur et de Sulya au Dakshina Kannada. Comme tous les autres villageois, ils sont de caste Vokkaliga. La plupart vinrent comme ouvriers agricoles, bien que certains possédaient un bout de terre chez eux. Aujourd’hui ils sont tenanciers ou empiètent sur les terres du gouvernement, et cultivent de la cardamome et du riz. Tous ces migrants pensent que leur situation s’est améliorée à Yathahalla, et n’ont pas l’intention de rentrer au Dakshina Kannada.
Une importante émigration focalisée sur l’éducation
119Si l’on excepte les déplacements vers des villages voisins motivés par des stratégies familiales et foncières, Yathahalla connaît depuis plusieurs années une mobilité significative liée au souci de la scolarité. Comme le village ne dispose que d’une école primaire, et que les villages voisins n’offrent aucun équipement en matière d’éducation, ceux qui veulent poursuivre leur scolarité au-delà du 4e standard doivent nécessairement aller ailleurs : sur 44 migrants revenus au village, 41 n’étaient partis que pour leur éducation, 39 d’entre eux n’allant pas au-delà du 10e standard au mieux.
120A Yathahalla comme ailleurs, le statut de la caste est nettement, et positivement, corrélé à l’importance accordée à l’éducation.
121Cette tendance à l’émigration prend de l’ampleur décennie après décennie (fig. 13-B), et aujourd’hui une proportion relativement élevée de la population de Yathahalla n’y réside pas : 50 personnes (flanquées de 11 dépendants) appartenant à 27 familles. Sur ces 50 personnes, 32 vont à l’école. Les autres sont chauffeurs, tailleurs, ou travaillent dans des commerces ou des usines41. Ceux qui ont poursuivi leur éducation au-delà du 10e standard sont des instituteurs ou des employés de bureau.
122La majorité de ces émigrés, 32, réside hors du taluk : la plupart ont un emploi, bien que des écoliers les aient accompagnés. A l’inverse, presque tous ceux qui ont émigré dans le taluk sont des écoliers ou des collégiens (fig. 14).
123L’enquête menée parmi treize de ces 27 familles comptant des migrants, laisse penser que les membres des classes moyennes possédant de la terre ont plus tendance à migrer que d’autres, conformément aux théories qui nient que ce soit surtout les plus pauvres qui émigrent des régions rurales. Dans le contexte de Yathahalla, il semble que cette émigration limitée à un ou deux membres par famille soit motivée par la baisse des revenus de la moyenne paysannerie : affectées par l’incertitude des revenus qu’elles tirent de la cardamome, ces familles sont plus que d’autres dans une position qui leur permet d’utiliser l’éducation plus ou moins poussée qu’ont reçue leurs fils, et s’arrangent pour les envoyer à l’école, même au loin, pourvu qu’un parent soit là pour s’occuper d’eux. Si cette stratégie réussit tout à fait, elle peut entraîner une émigration définitive : parmi les migrants établis hors du taluk, trois employés ou instituteurs, qui jouissent de la sécurité de leur emploi, n’ont pas l’intention de revenir à Yathahalla, même pas pour leur retraite. Les autres sont naturellement beaucoup plus incertains quant au futur.
124Aucun des chefs des 24 familles que nous avons interrogés n’envisage de s’établir en ville, ni même de quitter Yathahalla. Mais ici aussi une bonne proportion d’entre eux, 18 sur 24, souhaiterait qu’au moins un de leurs fils s’installe hors du village avec un emploi non agricole. Les six autres n’ont qu’un fils, ou pensent que leurs enfants n’ont pas acquis l’éducation nécessaire pour s’en aller. Quinze familles interrogées désirent ainsi qu’au moins un de leurs fils demeure au village, les neuf autres n’envisageant pas qu’un de leurs enfants y reste. Ces points de vue ne sont pas clairement corrélés au statut économique des familles : des gens de toutes catégories se sont conformés aux logiques habituellement relevées en matière d’émigration ou de maintien au village.
Le cas des grands domaines
125Notre quatrième étude concerne quelques grands domaines caféiers, et un village voisin de l’un d’entre eux. Depuis leur création ces domaines ont provoqué l’essentiel des mouvements migratoires vers le taluk. C’est toujours le cas aujourd’hui, bien que les mouvements les plus notables soient désormais saisonniers. Les grands domaines possédés par de riches planteurs, et très souvent par des sociétés, ont inévitablement un effet profond sur la structure économique des villages voisins. En tant qu’entités économiques dotées d’un pouvoir distinct qui n’émane pas des sociétés villageoises locales, ces domaines demandent à être étudiés pour eux-mêmes. On y ajoutera l’exemple d’un des villages établis à proximité de ces grandes plantations et soumis à leur influence : Agalatti.
Les grands domaines
126Nous avons sélectionné dix domaines représentatifs de la diversité relevée en matière de sites d’implantation (fig. 1), d’étendue des plantations et de leur ancienneté. Parmi eux neuf sont plantés en café, et un, le seul du taluk, en thé42. Presque tous ces domaines ont été établis par des Britanniques avant 1950, mais la plupart des propriétaires actuels sont originaires du Dakshina Kannada et du Tamilnad43. Sept de ces dix domaines comptent moins de 500 acres, trois dépassent 1000 acres44.
127La main-d’œuvre des domaines est habituellement classée en trois catégories : permanente, occasionnelle et saisonnière. Les travailleurs permanents et saisonniers viennent surtout de l’extérieur, tandis que les autres sont des villageois des environs immédiats.
Les « permanents » des caféières : une population mobile
128La main-d’œuvre permanente est celle qui habituellement réside dans les habitations ouvrières construites par les planteurs, et qui est engagée dans toutes sortes de travaux sur le domaine pendant toute l’année. Les neuf caféières de notre enquête emploient au total quelque 215 ouvriers permanents en 1989-90 (en fait, sur sept domaines seulement, car les deux autres sont dans les premières phases de leur développement et n’ont aucun permanent à proprement parler). Tous ces ouvriers viennent d’en dehors des Ghâts, beaucoup du Dakshina Kannada et du Kérala, quelques-uns du Tamilnad (fig. 15).
129Ces immigrants, ou leurs parents, sont arrivés dans la région il y a longtemps (parfois deux ou trois générations) pour travailler sur les divers domaines. Dans la plupart des cas, les ouvriers du Dakshina Kannada sont allés de domaine en domaine (voir fig. 16) après le délai stipulé par la législation sociale (Plantation Labour Act) pour pouvoir bénéficier des avantages légaux, en particulier fonds de retraite, prime, etc.45. Tout ouvrier qui a travaillé de facon permanente pour une période d’au moins cinq ans sur une plantation peut demander son fonds. Mais s’il l’obtient et reste sur le même domaine, il est alors considéré comme un journalier occasionnel, ne jouissant plus des droit attachés au statut de permanent. La plupart des « permanents » décident de bénéficier de leur fonds après cinq années, et préfèrent alors quitter le domaine pour aller travailler comme « permanent » sur une autre plantation.
130Ce processus, qui résulte d’un besoin de liquidités, explique pourquoi ces travailleurs « permanents » peuvent, paradoxalement mais à juste titre, être appelés une population mobile.
131En revanche, les ouvriers permanents qui sont venus pendant les deux dernières décennies d’autres parties du Karnataka, y compris du district d’Hassan, sont relativement moins mobiles. Plusieurs d’entre eux, qu’ils soient du Dakshina Kannada ou d’ailleurs, restent en contact avec leur village d’origine et continuent de s’y rendre occasionnellement.
132Le nombre des ouvriers permanents décroît constamment d’année en année sur presque tous les domaines, pour deux raisons principales. D’une part, certains de ces travailleurs ont pu disposer d’un petit terrain à bâtir, voire d’une maison Janata, et ont tiré bénéfice de programmes de développement tels que l’IRDP. En conséquence, ils ont quitté leur logement sur le domaine pour emménager dans leur maison. Quelques ouvriers sont retournés dans leur village. Et comme il ne vient plus guère personne du Dakshina Kannada ni du Kérala pour travailler dans les caféières des Ghâts, nombre de tâches régulières (élagage des plants, contrôle de l’ombre, etc.) sont maintenant confiées, sur une base contractuelle, aux villageois locaux, ou à des migrants de courte durée provenant des régions environnantes, comme le district de Chikmagalur.
Les travailleurs saisonniers : souvent issus des régions sèches
133Les travailleurs saisonniers viennent habituellement pendant la cueillette du café, lorsque le besoin de main-d’œuvre croît brusquement. Ce flux migratoire saisonnier est principalement issu des régions sèches et économiquement à la traîne, selon un modèle que l’on trouve dans tout le pays (voir par ex. Patel 1989 : 143-151). Dans le cas présent, comme nous l’avons dit, sept domaines dépendent de travailleurs saisonniers, au nombre de 492 en 1989-9046, et qui viennent tous des régions sèches (fig. 15 et tableau 11). Les deux autres domaines – Kumbrahalli et Igoor – recrutent dans les villages avoisinants lors de la cueillette.
134Le contignent de taluk d’Arsikere est très important, car la tribu des Lamanis y est bien représentée. Les Lamanis sont venus sur les domaines pendant des générations, alors que les autres migrants n’ont commencé à venir que récemment. Sur les 34 travailleurs que nous avons interrogés, 21 sont des Lamanis. L’échantillon comporte aussi un large éventail de castes, dont six Lingayats, un Vokkaliga, deux Kurabas, un Tavalara, deux Harijans, et un musulman.
135La pauvreté est le principal moteur de ces déplacements : presque tous ces migrants sont, dans leur village, de petits paysans ou des agriculteurs marginaux. Quelques-uns sont coolies à plein temps, ou engagés dans des activités non agricoles, les blanchisseurs par exemple47. Les travaux agricoles dans ces villages du Maidan touchent à leur fin vers novembre, et la morte-saison qui suit coïncide avec celle où le travail est maximal dans les plantations. Ces travailleurs saisonniers laissent habituellement leurs enfants dépendants chez eux, mais parfois tous les membres de la famille, enfants compris, viennent sur le domaine : les enfants aident à récolter, ajoutant ainsi aux revenus de la famille, car pendant la cueillette les salaires sont fonction des quantités récoltées.
136Presque tous ces ouvriers obtiennent leur travail par l’intermédiaire d’un maistri normalement issu de la même région qu’eux. Ces maistris restent en correspondance avec les planteurs, ou parfois viennent même dans les Ghâts les rencontrer afin de savoir le nombre d’ouvriers dont les domaines auront besoin pour la prochaine cueillette. Ils collectent en même temps les avances à remettre aux ouvriers avant leur départ pour les Ghâts. Habituellement, les maistris fournissent des ouvriers à un domaine plusieurs années de suite.
137Comme les permanents, les travailleurs saisonniers habitent les logements ouvriers sur le domaine. Ces logements sont mis à leur disposition gratuitement, ainsi que du bois de chauffe pour leur cuisine. La cueillette du café n’étant pas rémunérée sur une base contractuelle, les gains d’une famille de saisonniers dépendent du nombre de ses travailleurs48, de la durée de leur séjour, et de la rémunération accordée au poids cueilli. Les salaires étaient en moyenne d’environ 17 Rs par jour en 1990, soit le double de ce qu’un ouvrier agricole touche près d’Arkalgud. Habituellement, 40 à 60 % des gains sont dépensés sur place, le reste pouvant constituer des économies.
138Bien que leur vie soit dure au village, les saisonniers du Maidan n’envisagent pas de s’installer à demeure dans les Ghâts. Les petits et les très petits propriétaires tendent bien sûr à s’accrocher à leurs champs, les paysans sans terre étant aussi très attachés à leurs racines.
139La migration saisonnière n’est le plus souvent qu’un moyen de compléter un faible revenu, et permet ainsi de rester au village, plutôt qu’elle ne constitue un pas vers un départ définitif. Certes, quelques personnes du district de Dharwad se disent prêtes à venir s’installer dans les Ghâts, mais le projet qu’elles forment ne relève pas d’une migration définitive : elles envisagent plutôt de rester dans la montagne quelques années, une dizaine peut-être, afin de se constituer des économies substantielles. Quelles que soient les difficultés de leur vie au village, les migrants sont assez attachés à leur milieu pour ne pas être tentés par une migration définitive : la migration, saisonnière ou de quelques années, n’est donc qu’une stratégie provisoire.
140Le mode de migration est différent par bien des aspects à Kadumane, l’unique plantation de thé de cette région, qui est la propriété d’une société sise à Madras. Le domaine, très vaste, couvre 5000 acres, mais n’est pas encore planté en totalité. Il procure du travail à 700 personnes venues il y a longtemps. Les familles de ces ouvriers permanents peuvent également fournir quelque 400 travailleurs occasionnels. Près de 80 % de ces travailleurs sont originaires du Tamilnad, les autres venant du Kérala et du Karnataka. Les Tamouls viennent surtout des districts du Nord Arcot et Sud Arcot. Beaucoup de Kannadigas viennent du taluk de Nagamangala, dans le district de Mandya. L’homogénéité des provenances signale clairement l’importance de réseaux spécifiques de migration, dont les logiques d’organisation sont fondées sur des rapports personnels, et non sur de simples paramètres de proximité. Les migrants saisonniers ne viennent pas à Kudamane, car le thé fait l’objet de traitements qui mobilisent la main-d’œuvre tout au long de l’année. Qui plus est, et à la différence de la cueillette du café, une formation préalable est ici nécessaire.
141Ces dix dernières années, le domaine de Kadamane a perdu nombre d’ouvriers tamouls souhaitant rentrer chez eux. L’arrivée des nouveaux venus n’a pu équilibrer ces départs, et la plantation fait face aujourd’hui à une pénurie aiguë de main-d’œuvre.
Agalatti : un village entouré de grands domaines
142Agalatti, à 14 km de Sakleshpur, sur la route de Mudigere, compte 567 habitants répartis en 118 familles en 199149. A une altitude de 900 m, le village reçoit une moyenne de 2 200 mm de pluie par an. On y trouve un grand domaine caféier qui déborde le finage villageois50. Agalatti est étroitement entouré par quelques autres grandes plantations qui, à l’instar de celle qui porte son nom, ont été établies vers le début de ce siècle.
143La croissance de la population a été modérée pendant les années 1960 et 1970, alors que les années 1980 – comme les années 1950 – offrent l’image d’une stagnation démographique, qui résulte peut-être de l’amenuisement du nombre des travailleurs permanents dans les caféières locales (lorsqu’on les interroge, les villageois ne mentionnent aucun départ significatif du village lui-même). La population d’Agalatti, en comptant le domaine mais pas la nouvelle colonie Janata à la périphérie du village (voir note 49), comprend trois castes numériquement importantes : les Lingayats, les Harijans et les Vokkaligas, répartis respectivement en 36, 27 et 11 familles, tandis que les 28 autres familles restantes relèvent de 13 autres castes, tribus et communautés51
Le travail de coolie : l’activité dominante
144Bien que l’économie d’Agalatti soit relativement diversifiée, le travail de coolie y est le plus courant. Sur l’ensemble des 102 familles, 59 en vivent exclusivement, et sept partiellement. Parmi ces familles ouvrières, 19 habitent le domaine et les autres le village proprement dit. Ceux qui habitent le domaine n’ont pas d’attache locale : ni terre, ni maison. Ils ne sont que des ouvriers de plantation, venus de différentes régions, et mobiles pour la plupart, comme nous l’avons déjà souligné. Certains d’entre eux retournent même dans leur village définitivement.
145Le monde du travail de ce village est caractérisé par une proportion relativement élevée de coolies non Harijans, aucun ouvrier des plantations n’étant Harijan52. De plus, les hauts salaires payés sur le domaine et la demande régulière de main-d’œuvre attirent beaucoup de petits et très petits paysans qui sont disposés à y travailler comme ouvriers occasionnels. Quelques familles possédant des rizières et de petites caféières envoient même certains des leurs y travailler. En fait, étant donné le très bas rendement moyen du café dans le village, le revenu annuel d’une famille dont deux membres travaillent quelques jours par semaine sur un domaine est supérieur à celui d’une famille possédant une caféière de cinq ou six acres.
146A la demande de main-d’œuvre des grands domaines, s’ajoute celle de plusieurs paysans du village qui ont besoin d’ouvriers, non seulement pour leur petite plantation, mais aussi pour leurs rizières. La pratique du « travailleur marié », autrefois prévalente au village, a maintenant complètement disparu. Pourtant, plusieurs ouvriers – et surtout des Harijans – prennent encore des avances des propriétaires du village et travaillent régulièrement pour eux pour des salaires inférieurs à la moyenne, à l’instar de ce que nous avons vu à Bommanakere, par exemple. Dans l’ensemble, les ouvriers de ce village travaillent entre 200 et 250 jours par an.
147Comme dans d’autres villages, certaines familles d’Agalatti ont bénéficié des différents programmes de développement, comme les maisons Janata, les cartes de rationnement, les prêts de l’irdp, etc. Plus remarquables ici sont les distributions de terre faites par le gouvernement à plusieurs familles de Harijans du village, qui ont reçu chacune de 2,5 à 3 acres de pâture. Mais jusqu’à présent, aucun des bénéficaires n’en a fait usage, ni n’envisage d’en user prochainement, car ces terres étant sèches, dépourvues d’arbres et de tout système d’irrigation, ils ne peuvent y cultiver ni le riz ni le café, et la plantation requiert un capital initial qui reste hors de leur portée. Comme c’est trop souvent le cas, les Harijans récipiendaires de terre n’ont pas pu en jouir, et continuent de travailler comme ouvriers agricoles.
L’agriculture : l’activité presque exclusive des Lingayats
148Comme à bvh, l’agriculture à Agalatti est principalement concentrée dans les mains d’une caste, les Lingayats. Sur les 33 familles qui vivent uniquement ou partiellement de l’agriculture, 29 sont des Lingayats, trois des Vokkaligas et une Brahmane53, la surface moyenne de la terre cultivée par famille étant de 8,42 acres. Pour une superficie totale de 487 hectares, le finage d’Agalatti compte près de 63 % de terres cultivées, soit 306 hectares54. Le café, le riz, la cardamome et les autres cultures occupent respectivement 57, 29, 4 et 10 % de ces 306 hectares. Le café est donc dominant, et ne se limite pas à la seule grande plantation. Dans notre échantillon de 13 familles d’agriculteurs du village, 11 ont de petites caféières dont la surface moyenne est de 5,3 acres. Le rendement moyen de 153 kg de cerises par acre est faible, parce que ces plantations sont encore jeunes, certes, mais aussi parce que les petits agriculteurs les gèrent mal, incapables qu’ils sont d’assumer les coûts d’entretien élevés que requiert un haut rendement. Comme l’a observé G. Bhaskaran, « tandis que le café donne du riche planteur une image d’opulence, la vie de ses petits homologues est presque pathétique ». (Bhaskaran 27.1.1991.) A Agalatti comme dans d’autres villages, la culture du café ne s’est popularisée que récemment parmi les agriculteurs, bien que le grand domaine y ait été établi de longue date : sur les onze familles de paysans-planteurs que comporte notre échantillon, deux seulement commencèrent le café avant 1960. Sept de ces onze familles ont sollicité un prêt du gouvernement pour planter du café, ou pour agrandir leur plantation : les encouragements du gouvernement à la diffusion du café ont atteint leur objectif.
149Les autres cultures du village sont le riz, la cardamome, la banane, les piments, etc. Ici comme ailleurs, le riz est la principale culture vivrière. Parmi les 13 familles d’agriculteurs de notre enquête, 12 possèdent des rizières, d’environ 4 acres en moyenne, et dont le rendement de 12 quintaux par acre est légèrement plus élevé que dans les autres villages de notre enquête. Les autres cultures, y compris la cardamome, sont ici d’importance négligeable.
Autres activités
150Onze familles d’Agalatti exercent partiellement ou exclusivement des activités non agricoles, et parmi ces sept dernières, deux ont pour chef un restaurateur, et une chacune un forgeron, un tailleur, un blanchisseur, un menuisier, un malafoutier. Quelques membres de ces familles travaillent aussi comme coolies. Trois familles tiennent de petites échoppes en complément de l’agriculture. Une personne d’une autre famille travaille comme postier et comptable à temps partiel sur plusieurs plantations, en sus de l’agriculture. Sur les neuf familles interrogées parmi ces onze, trois avaient bien établi ces activités avant 1970, et six après 1980. Avant cette date, elles s’occupaient d’agriculture, ou travaillaient comme ouvriers agricoles. La diversification croissante des activités après 1980 atteste ainsi l’efficacité des mesures gouvernementales en faveur des emplois non agricoles, la plupart de ceux qui s’y sont engagés ayant reçu un prêt pour ce faire.
Immigration
151Le processus d’immigration vers Agalatti commença aux alentours de 1920. Les premiers immigrants étaient principalement des agriculteurs provenant du taluk (fig. 17-A), et ce n’est que vers 1940 qu’arrivèrent les migrants de l’extérieur, dont l’actuel propriétaire de la plantation d’Agalatti, venu du Dakshina Kannada vers 1945. Comme les planteurs britanniques avant lui, il eut recours, dit-on, à une main-d’œuvre saisonnière dans les années 1950, avant d’employer des permanents dans les années 196055.
152On compte actuellement au village 57 familles arrivées au fil des 60 dernières années. Trente-sept résidaient auparavant dans le taluk. Mais parmi ces 37, dix n’en sont réellement pas originaires : elles s’établirent à Agalatti après être restées quelque temps dans d’autres villages de ce taluk, mais viennent d’ailleurs. La plupart de ces « migrants en chaîne » sont ouvriers sur les plantations. Au rang des familles arrivées directement à Agalatti de l’extérieur du taluk, certaines travaillent sur le domaine, et les autres exercent des activités non agricoles (charpentier, forgeron, malafoutier, restaurateur, tailleur). Les migrants originaires du taluk de Sakleshpur, eux, travaillent surtout dans l’agriculture, et exercent aussi des activités subsidiaires (petite boutique, « hôtel », facteur, coolie). Il y a donc une claire démarcation entre ceux venus de loin, qui sont professionnellement et géographiquement plus mobiles, et ceux issus des environs qui s’accrochent surtout à l’agriculture. On a dit plus haut quelle était la nature des migrations permanentes et saisonnières orientées vers les grands domaines caféiers du taluk, et de ce point de vue celui d’Agalatti se conforme à la norme. Dans le village lui-même (domaine caféier exclu), nous avons interrogé un échantillon de 17 familles immigrées, dont onze proviennent du taluk de Sakleshpur, et les autres de celui de Belur, des districts de Chikmagalur ou du Dakshina Kannada et du Kérala. Quatorze de ces migrants estiment que leur situation s’est améliorée, les trois autres (deux cultivateurs et un ouvrier agricole) pensant que leur condition n’a pas varié. Presque tous ces immigrants (13 sur 17) sont restés régulièrement en contact avec leur lieu d’origine, bien que trois seulement y possèdent encore de la terre.
153Il est clair que le lien unissant les migrants à leur village ancestral n’est pas le simple corrélat d’un statut foncier ou de l’ampleur et de l’ancienneté de leur migration : un petit nombre de familles, dont l’arrivée en provenance de villages proches est relativement récente, ont gardé très peu de contacts avec leur point de départ, tandis que d’autres, venus de régions lointaines depuis longtemps, sont restés fidèles à leur racines.
Émigration
154Le tableau 12 le suggère : avec un taux de croissance nul de 1951 à 1961, Agalatti a vraisemblablement connu une émigration dans les années 1950, bien que les vieux villageois soient incapables de nous le confirmer. Le taux de croissance démographique modéré des années 1960 (13 %), quoique positif, est probablement lui aussi en-dessous du taux de croissance naturel. A voir le taux de croissance très faible pour 1981-91 (+1,4 %), peut-on penser qu’Agalatti ait renoué dans les années 1980 avec une apparente tradition d’émigration ? Nos données se limitent aux familles d’émigrés encore fixées dans le village, mais elles indiquent un flux croissant d’émigration après 1981 (fig. 18-B), bien que concernant peu de gens. Actuellement, 17 personnes appartenant à neuf familles, avec six dépendants auprès d’elles56, ne résident pas à Agalatti, 14 de ces 17 émigrés étant établis hors du taluk (fig. 19). Comme d’habitude, la plupart sont célibataires. Sept sont partis pour poursuivre leurs études. Les autres, sauf un qui préféra l’agriculture, se sont assuré des emplois urbains.
155Parmi les neuf familles dont sont issus les émigrants, sept sont essentiellement des agriculteurs de haute caste, dont la plupart possèdent plus de terre que la moyenne villageoise. Un seul est Harijan et un autre Gangamatha. De nouveau, la corrélation entre la caste, le niveau d’éducation et l’émigration est évidente. De même, les souhaits formulés quant à l’avenir correspondent à ceux observés ailleurs. Seuls deux des chefs des 24 familles interrogées sur ce point souhaiteraient s’installer en ville, tandis que seize désirent qu’au moins un de leurs fils y aille plus tard, dans la mesure où, bien entendu, un autre reste au village.
156Dans l’ensemble, Agalatti montre clairement comment la présence d’un grand domaine caféier attire saisonnièrement des gens de l’extérieur, sans toutefois conduire à une croissance démographique locale. Le domaine, au mieux, stabilise la population villageoise qui y trouve une source supplémentaire de revenu. Et ceci semble conforme à la « vocation » de pareilles plantations, dont les propriétaires, extérieurs au milieu montagnard, opèrent en fonction d’un marché national fortement contrôlé. Pour eux, l’impact qu’ont les domaines sur les localités où ils sont établis est d’importance secondaire, car leur capital, leur marché, leur perspective relèvent bien plus du monde extérieur que des petits villages des Ghâts entourant leurs caféières.
D’où proviennent les immigrants ? Deux villages-témoins
157Nous allons maintenant brièvement évoquer deux systèmes ruraux adjacents aux Ghâts, pour y évaluer l’impact des dynamiques qui les transforment sur les modes de migration vers les plantations. Nous avons sélectionné dans ce but un village situé dans le piémont occidental des Ghâts, au Dakshina Kannada, et un autre village à l’est des Ghâts, dans une zone sèche du district d’Hassan.
Perabe : un village proche du piémont occidental des Ghâts
158Perabe, dans le taluk de Puttur du district du Dakshina Kannada, s’étend sur 1200 hectares et compte une population d’environ 2500 personnes : cette densité de population élevée, caractéristique du Dakshina Kannada, contraste fortement avec celle observée dans les Ghâts. Perabe est un gros village multi-castes, où Gowdas, Bunts et Musulmans représentent 75 % de la population totale57. Les précipitations moyennes sont de 4000 mm, et les affleurements latéritiques nombreux. Ces ondulations et l’emprise de la forêt laissent peu d’espace pour l’agriculture, qui couvre a peine 26 % de la surface totale.
159Jusqu’aux années 1970, l’économie du village était centrée sur un système agricole archaïque et peu productif. La terre cultivable était surtout possédée par des propriétaires absentéistes Bunts, Brahmanes ou jains, et cultivée par des tenanciers qui dans de nombreux cas ne disposaient même pas d’une maison en propre. Les tenanciers étaient donc complètement à la merci de ces propriétaires fonciers, et ne se sentaient pas très attachés à leur lieu de résidence. Ils ne montraient pas non plus beaucoup d’initiative dans leurs pratiques agricoles, puisqu’ils ne pouvaient qu’adhérer au modèle imposé par leur propriétaire, modèle le plus souvent centré sur le riz. D’autres, qui ne vivaient qu’en se louant comme coolies, ne pouvaient trouver un travail garantissant leurs moyens d’existence, si limités fussent-ils. En conséquence, un puissant flux migratoire se dessina en direction des Ghâts58, plusieurs intermédiaires faisant facilement de l’argent en fournissant de la main-d’œuvre aux plantations. Ce processus était localement connu comme gattake jana kattodu : « ramasser des gens pour les Ghâts ».
160La réforme agraire appliquée au Karnataka après 1974 changea complètement la structure socio-économique de Perabe59. Les tenanciers devinrent propriétaires de la terre et commencèrent à améliorer leurs pratiques, ce qui amena une transformation du système de production agricole. On commença à remplacer le riz par des cultures commerciales telles que cocotiers et aréquiers, qui aujourd’hui couvrent presque 50 % de la surface cultivée. L’anacardier, bien adapté aux surfaces latéritiques sèches, en couvre 22 %, le riz étant tombé à 26 %. Les agriculteurs cultivent aussi divers légumes sur de grandes surfaces pendant l’été. Ainsi, la réforme agraire transforma l’agriculture de subsistance en agriculture commerciale, ce qui créa beaucoup d’emplois. Les tenanciers qui partaient pour la saison dans les caféières des Ghâts sont maintenant en position d’employeurs, au village, pendant l’été. La réforme agraire a donc dans une large mesure atténué le processus de migration vers les Ghâts.
161D’autres facteurs y ont aussi contribué de façon significative. Ainsi le roulage à domicile des beedis, pour le compte de grandes sociétés de Mangalore est, depuis ces vingt dernières années, l’une des principales activités féminines du Dakshina Kannada, et l’un des modes de diffusion de la circulation monétaire parmi les villageois, en particulier les petits et très petits agriculteurs, et les sans-terre (Nakayama 1984 :251-265). Parmi 45 familles de toutes catégories interrogées à Perabe, 24 familles fabriquent des beedis : travail subsidiaire, certes, mais 19 familles y gagnaient plus de 30 % de leur revenu annuel brut.
162Comme partout au Karnataka, les programmes de développement rural du gouvernement contribuent à fixer la population. Sur nos 45 familles, 31 ont reçu des prêts du gouvernement pour l’achat de pompes ou d’autres équipements agricoles, pour construire leur maison, ou pour ouvrir un petit commerce.
163Les changements structurels considérables ayant transformé l’économie villageoise pendant ces vingt dernières années ont de façon bien compréhensible mis un point d’arrêt aux migrations saisonnières des coolies du Dakshina Kannada vers les Ghâts, car non seulement la demande de main-d’œuvre s’est localement accrue mais aussi les salaires : en forte hausse (20-25 Rs par jour), ils sont désormais très supérieurs à ceux offerts sur les plantations. Le flux migratoire n’est pas totalement tari, mais il est aujourd’hui beaucoup plus spécialisé : ainsi les bûcherons vont-ils dans les Ghâts pour couper les arbres des plantations de cardamome, travail pour lequel ils sont très bien payés ; et l’on trouve des cols blancs venus du Dakshina Kannada partout au Karnataka et même au-delà. En d’autres termes, les changements structuraux dus à la réforme agraire, mieux appliquée au Dakshina Kannada que partout ailleurs, ont grandement transformé les flux migratoires traditionnellement orientés dans une large mesure vers les Ghâts. Cette évolution a ouvert la voie à de nouveaux mouvements saisonniers vers les plantations, en provenance cette fois des zones sèches du Maidan.
Guttinakere : un village du système rural sec du Maidan
164Guttinakere, dans le taluk d’Arsikere, se trouve dans la ceinture d’agriculture sèche du district d’Hassan. On estime à 790 habitants la population du village en 199060. Environ 94 % de la main-d’œuvre vit de l’agriculture, qui ne donne qu’une pauvre récolte : nous sommes ici dans une partie de l’Inde rurale qui a constamment été affectée par le cercle vicieux de la pauvreté, de la malnutrition et d’une main-d’œuvre de médiocre santé.
165Guttinakere est largement dominé par les Kurubas, une caste de bergers, dont la plupart des membres sont aujourd’hui agriculteurs ou coolies61. Le finage villageois couvre 3,43 km2, dont presque 89 % sont cultivés. L’éleusine et les cocotiers, avec 32 et 19 % respectivement de la surface totale cultivée, arrivent devant le jowar, le tournesol, le ricin, le coton et les haricots. Le système de production agricole est pratiquement resté inchangé pendant longtemps, malgré un accroissement marginal des plantations de cocotiers. L’agriculture, base de l’économie villageoise, dépend presque entièrement de précipitations faibles et irrégulières (moyenne annuelle d’environ 700 mm).
166Cette agriculture sèche, pratiquée par des agriculteurs petits ou «marginaux», a une très faible capacité d’absorption de main-d’œuvre. Les gros agriculteurs, très peu nombreux, n’ont besoin de main-d’œuvre qu’au moment de transplanter l’éleusine (on la transplante même en agriculture sèche) et lors des moissons. Les agriculteurs moyens ont rarement besoin de main-d’œuvre. Les plus petits, qui sont la majorité, travaillent pour leur compte et aussi pour autrui, afin de pouvoir compléter leurs revenus agricoles insuffisants. Les sans-terre n’ont d’autre option que de se louer comme ouvriers agricoles, quand ils le peuvent, car cette agriculture n’est pas en mesure de les employer tous. Les salaires journaliers au village sont terriblement bas : 7 à 8 Rs.
167Dans ces circonstances, presque tous les petits paysans et ouvriers agricoles sont contraints de partir pendant la morte-saison, et vont principalement travailler sur les plantations de café des Ghâts. C’était la tribu des Lamanis qui, voici une quinzaine d’années, quittait le Maidan pour les Ghâts, car le travail sur les domaines était considéré comme de bas statut. Mais la croissance démographique (Guttinakere n’avait que 558 habitants en 1971) accrût la pression sur la terre et sur le marché de l’emploi villageois. Pareille évolution eut raison des scrupules et répugnances traditionnels, et peu à peu des non-Lambanis commencèrent à aller sur les plantations.
168Comme les planteurs pâtissaient de la raréfaction des migrants issus du Dakshina Kannada, ce nouveau flux prit de l’importance. Aujourd’hui, le travail saisonnier sur les domaines caféiers des Ghâts est une source de revenu considérable pour Guttinakere. Sur les 26 familles retenues par notre enquête dans ce village, 18 ont envoyé 42 des leurs aux caféières en 1989-90 (20 hommes et 22 femmes), et aujourd’hui treize de ces familles tirent plus de 50 % de leurs revenus annuels bruts de cette migration saisonnière.
169A l’évidence, au sein du Sud Karnataka, les inégalités régionales demeurent un des grands facteurs de mobilité entre les Ghâts, où l’on demande de la main-d’œuvre, et les régions environnantes.
Migrer ou pas : les logiques à l’œuvre dans les Ghâts
Les logiques de mobilité
170Nous venons d’examiner les changements intervenus dans la structure économique de la région de Sakleshpur, au niveau du taluk comme à celui des divers villages représentatifs, ainsi que les modifications qui ont affecté les mouvements migratoires. Quand au début de ce siècle la traditionnelle économie de subsistance laissa place à une économie largement dominée par les plantations, le taluk attira une main-d’œuvre extérieure pour répondre à la demande qui s’y développa. Après le départ des planteurs britanniques, cette demande de main-d’œuvre devint plus forte que jamais, et dans les années 1950 le taluk connut son plus haut taux décennal de croissance démographique, 45 % (un taux significativement plus élevé pour l’ensemble du taluk que pour la petite ville de Sakleshpur). Mais les caféières requièrent aujourd’hui davantage de migrants saisonniers que d’ouvriers permanents : nous avons dit plus haut quelles logiques sous-tendent les différents types de mobilité saisonnière, et pourquoi le flux de main-d’œuvre en provenance du Dakshina Kannada s’est réduit. Son remplacement rapide par des coolies du Maidan ne peut être compris sans prendre en considération la dégradation de la situation dans la région de départ, ni l’importance des réseaux qu’elle suscita, qu’utilisent aussi les ouvriers permanents des plantations. La situation d’ensemble est donc complexe, et marquée par une grande fluidité des courants migratoires vers les domaines caféiers par exemple ou, dans un autre ordre de faits, par la souplesse des migrants musulmans qui ont changé à la fois de résidence et de profession.
171Pendant la dernière décennie, de nouvelles logiques se sont fait jour chez les familles d’agriculteurs, qui semblent désormais suivre une double stratégie bien connue dans le Maidan : la famille comme telle s’accroche à ses racines et demeure au village, tandis qu’un ou deux de ses membres masculins émigrent en ville. Mais ces migrants sont habituellement plus aisés que ceux des villages du taluk de Nagamangala observés par F. Landy, car ils partent soit pour leur éducation, soit pour occuper des emplois de col blanc ou de col bleu, ce qui les place un ou deux degrés au-dessus des « nettoyeurs » de restaurant qui quittent Naragalu.
172Cette émigration encore modeste représente-t-elle une tendance vraiment nouvelle ? Les informations collectées dans quelques-uns des villages où nous avons enquêté, particulièrement à Kurubathur et à Yathahalla, aussi différents que ceux-ci puissent être, marquent une tendance à la stagnation démographique qui est probablement due à l’émigration. Car les taux de mortalité, qui étaient très hauts pendant les premières décennies de ce siècle, ont considérablement baissé après l’indépendance. Malheureusement, la mémoire collective de ces villages ne donne aucun indice qui confirmerait ce processus, ou ne désire pas en donner. Au niveau du taluk l’évolution de l’ensemble de la population rurale est quelque peu différente. Son taux de croissance avoisine 15 % pendant les années 1960, alors que Kurubathur et Yathahalla croissent alors de 3 et 3,1 % respectivement. De tels écarts entre les données villageoises et la moyenne du taluk témoignent des différences à percevoir entre chaque sous-système propre au monde montagnard, voire entre chaque localité. Un examen systématique des croissances décennales depuis les années 1940 dans les villages de notre échantillon attire l’attention sur un autre fait : dans la plupart des cas, les taux de croissance sont extrêmement inégaux d’une décennie à l’autre. Avec un taux de croissance de 40 % dans les années 1950, Kurubathur semblait affirmer sa vocation à la centralité. Cette vocation fut confirmée plus tard, mais la démographie ne suivit pas : pendant trois décennies successives le taux de croissance de Kurubathur stagna au-dessous de 5 %. A Yathahalla, de 64 % qu’il était dans les années 1950, ce taux tomba à 31 %, puis à 12 % avant que la population ne commence à diminuer dans les années 1980. Et Agalatti, au beau milieu des caféières, traversa deux décennies de croissance modérée (de 13 à 19 % dans les années 1960 et 1970) entre deux autres décennies de pure stagnation.
173Ceci laisse penser que pendant les décennies qui ont suivi l’indépendance, les Ghâts ont connu, après un demi-siècle de stagnation, un certain degré de croissance démographique inégalement répartie, les tendances variant grandement dans l’espace comme dans le temps : témoignage supplémentaire de l’importance des formes de mobilité. Dans de telles régions, la mobilité n’est ni clairement orientée, ni facile à définir. En un sens, cette sorte d’instabilité locale dans une tendance générale positive pourrait renvoyer à une mentalité pionnière, avec une importante réserve cependant, car nombre d’arrivants semblent finalement avoir déserté les Ghâts.
174Quoi qu’il en soit, cette tendance positive est indéniable : pendant ces quarante dernières années, la population du taluk de Sakleshpur est passée de 53 000 à 124 000 habitants, et il s’agit bien aussi d’une croissance rurale : la population rurale a, en chiffres nets, plus que doublé en quarante ans. En pourcentage, elle n’a que fort peu baissé, puisqu’elle compte encore 85 % du total de la population du taluk en 1991 (tableau 13).
175Pour la première fois pourtant, la proportion de ruraux a décrû de près de quatre points pendant les années 1980. Après trois décennies de croissance notable, le taux de croissance décennal de la population rurale du taluk tombe ainsi sous 5 %. Autre fait notable : sur les quelque 10341 personnes qui s’ajoutèrent à la population totale du district, 3811 étaient des ruraux, et 6530 des citadins, ou de nouveaux urbanisés. Une nouvelle tendance semble ainsi avoir émergé au cours des dernières années.
176Cette tendance, comme nous l’avons vu, est pour l’instant principalement limitée à une strate particulière de la société villageoise et, dans celle-ci, à quelques individus et non pas à des familles entières. Autrement dit, l’enracinement de la population est toujours largement prédominant, ou l’était encore récemment. Plusieurs paramètres peuvent nous expliquer pourquoi.
Les logiques de l’enracinement
Facteurs environnementaux de l’enracinement : la spécifité des Ghâts
177Le magnifique environnement naturel de collines boisées ondoyantes, creusées par de sinueuses vallées marécageuses, une végétation persistante et des pluies abondantes, donnent son cachet la vie des habitants des Ghâts. Cet environnement, qui rendit possible les cultures de plantation, est habituellement considéré comme un signe de richesse. Qui plus est, le riz, principale culture vivrière de la région, n’a jamais failli faute de pluie. Cet environnement n’a jamais forcé les habitants à quitter leurs collines pour trouver leur nourriture, et ceux qui sont établis pour de bon dans les Ghâts sont très fiers de leur région. En fait, ils affichent même quelque commisération pour ceux qui viennent du Maidan pour y trouver du travail. Deux commentaires de vieilles gens en portent témoignage. Lorsqu’un instituteur du district de Dharwad fut nommé à Bommanakere, un paysan demanda : « Que peuvent-ils bien faire chez eux avec 10 ou 15 pouces de pluie ? Ils viennent tous ici ! » De même, lorsqu’un instituteur originaire d’une zone sèche du district d’Hassan fut nommé à Haragarahalli, un homme âgé commenta : « Ces garçons apprennent là-bas leur alphabet, mais ils viennent chez nous gagner leur vie ! » Cette attitude des plus âgés les a en fait empêchés de prêter attention à l’éducation de leurs enfants, au-delà de l’école primaire ou du premier cycle. C’est pourquoi aujourd’hui 90 % des fonctionnaires qui travaillent dans le taluk, même au niveau du village, proviennent de régions extérieures. Les écoles secondaires étaient rares dans le taluk avant 1960. Aujourd’hui encore, le peuplement dispersé et le relief montagneux de la région rendent difficile la fréquentation des écoles, quand bien même leur nombre a augmenté depuis les années 1970. Tout cela a assurément découragé l’intérêt pour une scolarité plus poussée, qui est aujourd’hui nécessaire à ceux qui veulent partir définitivement. En d’autres mots, ce facteur négatif, en terme d’équipements sociaux, a eu un effet très positif sur l’enracinement de la population rurale.
Les facteurs économiques qui sous-tendent l’enracinement : la terre, le coût de la vie, l’emploi
178Plus que l’éducation, c’est leur terre que les villageois valorisent, et qu’ils veulent posséder et agrandir. Les villageois identifient leur terre à la Terre Mère, qui est tout dans leur vie. C’est grâce à elle qu’ils gagnent leur subsistance, et leur attachement à la terre est d’autant plus fort qu’en bien des cas ils la tiennent de leurs ancêtres. Il n’y a que leurs parents qu’ils aiment plus que cette terre dont ils ne peuvent se séparer. Titulaire d’une licence, un propriétaire de Kurubathur remarqua à ce propos : « Je ne vendrai pas ma terre jusqu’à mon dernier souffle, même si mes enfants sont éduqués et vont s’installer au loin. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent après ma mort. » Les villageois ont des rapports émotionnels à la terre, qu’ils perçoivent comme une source de vie constamment renouvelée, pas seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour les générations à venir. Et ils pensent non sans raison que si leurs enfants ne réussissaient pas à obtenir un emploi à l’extérieur, la terre familiale serait leur dernier recours. Ces considérations font que certains ne veulent pas se séparer de leur part de propriété familiale au village, même lorsqu’ils se sont établis en ville, et l’on voit à l’inverse des employés urbains investir leurs économies en achetant de la terre dans leur village. Étendre ses propriétés est particulièrement aisé dans les Ghâts, puisque la réforme agraire ne couvre pas les plantations.
179Sur un autre plan, la plupart des personnes interrogées ont exprimé l’opinion que la vie est bien meilleure dans les villages, à la fois en terme de qualité et de coût de la vie. Quelques marchands et artisans de Kurubathur s’y sont même installés parce que leurs ressources ne leur permettaient pas de vivre en ville. Quelques-uns au moins des migrants qui n’ont pas de liens affectifs avec le village, aimeraient exercer leurs activités en ville, mais ne peuvent se le permettre. Bien qu’ils connaissent les avantages de la vie urbaine, ils apprécient aussi ce que le village peut offrir gratuitement, mais qu’il leur faudrait payer en ville, comme le bois de chauffage par exemple.
180La demande de main-d’œuvre agricole dans la région contribue aussi à maintenir la population dans les villages. Certains pensent même qu’un emploi urbain dans le secteur informel est, en termes de statut social, moins honorable qu’un travail de coolie au village. Un très petit agriculteur très pauvre d’Agalatti fut choqué lorsqu’on lui suggéra que son fils pourrait toujours faire la plonge ou le nettoyage dans quelque « hôtel » en ville, au cas où il n’aurait pas l’éducation requise pour travailler dans le secteur formel. Il répliqua : « Mon fils n’est pas encore victime d’un tel destin. Il vaut mieux travailler ici dans les caféières que d’aller en ville pour un tel travail. »
Les raisons socio-culturelles de l’enracinement
181Les liens du sang et le fort attachement au lieu de naissance, plus que toute autre chose, amènent les villageois à y maintenir leurs racines. Cet attachement au lieu de naissance fait que les gens s’identifient à leur hameau, plutôt qu’au village. Les dénominations des personnes contiennent d’ailleurs les initiales de leur hameau, par exemple : M, pour le hameau de Mavinoor au lieu d’Y, pour le village principal, Yathahalla, ou D, pour Deenahalli au lieu de H pour Haragarahalli62. Parfois, cette identification devient source de discorde entre différents hameaux du même village, comme Kurubathur et Sukravarasanthe. Kurubathur, par exemple, est officiellement le nom du village, mais l’endroit est connu en pratique comme Sukravarasanthe dans les environs, ce qui fait enrager autant les « vrais » villageois de Kurubathur que certaines personnes de Sukravarasanthe, qui s’opposent avec véhémence à cette confusion. Les premiers, il y a quelques années, ayant constaté que des services publics, la poste, la banque, etc., portaient le nom de Sukravarasanthe sur leur enseigne, se sentirent obligés de dresser un panneau au nom de Kurubathur sur la route principale, et ils obtinrent même, non sans difficulté, un arrêt d’autobus distinct, bien que celui de Sukravarasanthe, le principal, fût à peine à 250 m. Actuellement, les deux hameaux sont presque coalescents, mais les villageois de l’un comme ceux de l’autre ont toujours leurs propres frontières mentales et sociales, marques d’un sentiment identitaire très fort, si futile soit-il.
182L’environnement social peut puissamment contribuer à lier les gens à leur village et dans certains cas, peut même contrarier la décision de migrer. Un propriétaire de Voddarahalli s’est ainsi efforcé de partir pour la ville pendant ces deux dernières années. Son patrimoine s’élevait à environ 600 000 ou 700 000 Rs, et ses dettes à 100 000 Rs, une somme dont il trouvait difficile de s’acquitter avec les seuls profits qu’il tirait de l’agriculture. Encore jeune, 35 ans, et sans frère, il décida de vendre sa propriété, de rembourser sa dette, et de partir pour la ville avec le reste de son argent. Mais pendant deux ans les villageois tinrent une série de réunions, et firent pression sur lui pour qu’il ne vende pas ses terres à un étranger au village. Comme personne du village ne pouvait les acheter, cette situation délicate le plongea dans un grave dilemme. Il ne savait plus que faire, partir ou rester. Pareillement, les liens du sang et la forte cohésion sociale confortent l’enracinement villageois. Un village reculé, comme Yathahalla, bien que la vie y soit dure, a socialement beaucoup à offrir qui puisse retenir ses habitants. Ils vont en groupe chasser ou ramasser du miel dans la forêt, et s’entraident à tirer le jus de palme dans les plantations de cardamome. Ces activités et ces plaisirs leur font oublier le monde entier, pour ne rien dire de la ville. La vie au village repose principalement sur le principe de réciprocité : on s’entraide dans la vie quotidienne, on échange du travail, des outils, et l’on partage les soucis comme les joies. Les fêtes, les mariages, les événements familiaux, entre autres occasions, rassemblent les villageois. Ces rapports sociaux et affectifs sont toujours appréciés et entretiennent continûment le besoin psychologique de l’autre. Tous ou presque pensent qu’ils vivent en sécurité dans leur village ancestral. Un Harijan sans terre pensait à cet égard non seulement à la vie mais aussi à la mort « Pourquoi irais-je en ville ? Qui s’occupera de mon corps s’il m’arrive quelque chose là-bas ? » On a vécu au village depuis des générations, on se connaît bien tous, et c’est dans cet environnement que la plupart veulent rester jusqu’à leur dernier souffle.
183Sur le point de disparaître aujourd’hui, le vieux lien noué entre propriétaires terriens et ouvriers agricoles était un autre facteur de stabilité. Le clientélisme rapprochait les deux groupes. Les dépendants travaillaient vraiment toute leur vie pour leur maître. Celui-ci en retour avançait de l’argent, pas seulement pour la vie quotidienne, mais aussi en certaines occasions spéciales, comme les grandes cérémonies familiales, les maladies graves, etc. Ces avances s’accumulaient et augmentaient la dette du débiteur, au point qu’il lui devenait de plus en plus difficile de quitter le village. Le système du « travailleur marié » en était une illustration vivante jusque dans les années 1980. Dans une société où les institutions comme le mariage entraînaient des dépenses qui dépassaient leurs moyens, ces travailleurs n’avaient d’autre ressource que de s’incliner devant leur maître.
184Si l’institution du travail asservi n’est plus qu’une relique, son influence sur l’enracinement des dépendants dépasse de loin le rapport de sujétion établi entre deux hommes inégaux : psychologiquement, socialement et économiquement, ceux qui sont officiellement libres aujourd’hui ne peuvent pas facilement surmonter les handicaps d’une dépendance immémoriale, et c’est encore le village ancestral qui borne l’horizon de leur avenir.
185La politique de développement du gouvernement a eu dans ce contexte une influence contrastée. La multiplication des écoles peut encourager à terme l’émigration, mais un tel processus ne touchera pas les jeunes de nombre de familles pauvres. D’autre part, dans les Ghâts comme ailleurs, les programmes de développement rural du gouvernement de l’État, comme ceux du gouvernement central, jouent un rôle notable de rétention de la population rurale. Peu de familles n’ont pas bénéficié des mesures gouvernementales. Les agriculteurs ont reçu différents prêts de la Banque de développement foncier, du Coffee Board ou de son pendant, le Comité de la cardamome. Presque tous les petits marchands et les ouvriers agricoles ont été couverts d’une façon ou d’une autre par le Programme de développement rural intégré. De plus, des avantages permanents comme de la terre ou des terrains à bâtir pour les Harijans, des maisons Janata, ont été donnés par le gouvernement. Les plus pauvres sont réellement heureux de posséder enfin quelque chose en propre, même lorsqu’ils n’en tirent guère profit : quelle que soit la qualité de la terre donnée aux Harijans d’Agalatti, sa valeur monétaire n’est certainement pas négligeable et sa valeur psychologique est encore plus grande pour ceux qui n’avaient rien auparavant.
186La région étudiée, pour conclure, a connu une fluidité démographique marquée par des variations notables du rythme de la croissance de la population. Cette évolution complexe fait qu’il est difficile de prévoir avec quelque certitude ce que réserve l’avenir. Mais nous pouvons faire l’hypothèse qu’une future immigration permanente dans les Ghâts est peu probable : le développement des grands domaines caféiers y a presque atteint un seuil de saturation, et les nouvelles structures de l’emploi y privilégient le travail saisonnier. Par ailleurs, les départs pour la ville d’un ou de deux membres d’une même famille, en particulier chez les agriculteurs aisés, prennent de l’ampleur. Il faudra attendre quelques années pour savoir si ces facteurs provoqueront une stagnation persistante de la démographie rurale, ou s’ils n’auront été qu’une étape, qu’une phase caractéristique des années 1980.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 Les Ghâts occidentaux sont ausssi appellés « Malnad » au Karnataka (en kannada, male signifie montagne, et nadu province). Ils comprennent une partie des districts de Shimoga, Chikmagalur, Dakshina Kannada, Uttara Kannada et Hassan, ainsi que tout le Coorg. Bien que la dénomination officielle du taluk de Sakleshpur soit en fait « taluk de Manjarabad », du nom d’un fort hoysala situé à cinq km au sud-ouest de la ville de Sakleshpur, nous avons employé la dénomination retenue par l’usage courant.
2 Les chefs-lieux de ces hobli sont Hanbal, Hethur, Yeslur, Belgod et Sakleshpur.
3 Balam était un autre nom de Manjarabad. Les fameux temples d’Halebid et de Belur, à quelque 60 km de Sakleshpur, ont été bâtis pendant le règne des Hoysalas, dans ce qui est aujourd’hui le district d’Hassan.
4 Un village à 25 km au sud-ouest de la ville de Sakleshpur.
5 On emploie parfois dans ce texte le mot « plantation » dans son sens générique. Le plus souvent toutefois on l’utilise pour définir les quelques acres plantées en café ou en cardamome par des agriculteurs. Par opposition « domaines », traduction de l’anglais « estates » utilisé dans les Ghâts, désignent de grandes plantations (ici le plus souvent entre 100 et 1000 acres – soit de 40 à 400 hectares) possédées par de grands planteurs ou par des sociétés.
6 Ce domaine s’étend dans la partie occidentale du taluk de Sakleshpur, près de Yathahalla, Tun des villages étudiés dans le cadre de notre enquête.
7 Voir Hassan District Gazetteer of India, 1971. Bien que les données renvoient à l’ensemble du district d’Hassan, on peut les considérer comme valant pour le taluk de Sakleshpur qui est le seul de ce district où les conditions soient favorables à la culture de la cardamome.
8 Nous n’avons pas de données pluviométriques quotidiennes qui prouvent ces irrégularités, mais les personnes interrogées s’accordent bien à dire que les cycles pluviaux ont fluctué ces dernières années.
9 Pour une explication détaillée de cette variation spatiale de la densité, voir P.D. Mahadev et al : « Spatial and temporal patterns of population in Manjarabad taluk », in K. Fujiwara 1984 : 243.
10 Line alu désigne un travailleur, alu, logeant dans des bâtiments bas linéaires, line, cloisonnés en logements, ayant chacun une porte indépendante, construits par les propriétaires à peu de frais.
11 Les raisons de ce ralentissement des migrations de main-d’œuvre sont discutées en détail dans les paragraphes qui concluent ce chapitre.
12 Krushi signifie agriculture, et honda un étang, un réservoir, un « tank » : au Malnad, un « tank » est un étang creusé par des individus pour irriguer leurs champs, beaucoup plus modeste que celui du Maidan, ouvrage villageois retenu par un endiguement de pierre et de terre.
13 C’est la tâche, l’œuvre ou l’ouvrage lui-même, et non pas le temps de travail nécessaire à sa réalisation, qui fait l’objet du paiement d’une somme définie contractuellement entre une équipe d’ouvriers et le commanditaire. Après achèvement de la tâche, cet argent est réparti entre les ouvriers de l’équipe.
14 Ces cartes, dites green cards, sont données par le gouvernement aux familles pauvres pour permettre d’acheter une quantité fixe des produits de consommation courante à des prix subventionnés dans des points de vente contrôlés appelés fair price shops.
15 L’enquête de terrain a été menée entre 1989 et 1990 aux niveaux des villages, des familles et des domaines et plantations. Les données d’ensemble sur les villages proviennent des différentes administrations locales et des District Census Handbooks. Pour les familles, les informations ont été obtenues en deux temps : tout d’abord ont été collectées chez toutes les familles du village des données d’ordre général : nombre de personnes, âge et sexe, alphabétisation, propriété foncière et modes de migration ; puis 35 à 40 % de ces familles ont été sélectionnées pour une étude approfondie de façon à constituer un échantillon suffisamment représentatif des activités exercées, des terres possédées, et de l’appartenance de caste. Dans les plantations, les données recueillies portent, hormis les caractères d’ordre général, sur le nombre et l’origine des ouvriers saisonniers et permanents. De plus, une plantation a été sélectionnée pour une étude intensive visant à évaluer l’impact des plantations sur l’économie locale du village voisin.
16 Cette population se répartit ainsi selon notre dénombrement de 1990 : Bommanakere 365, Voddarahalli 144 et Haragarahalli 431. D’après le recensement de 1991, Bommanakere avait 369 habitants, Voddarahalli 101 et Haragarahalli 414.
17 D’après notre enquête de terrain, il n’y a aucun cas d’émigration massive dans ces villages avant 1961. Il est donc difficile d’interpréter la tendance à la baisse de la croissance.
18 D’après la mythologie hindoue, le héros du Ramayana (l’une des deux grandes épopées des Hindous), Sri Rama – une incarnation de Vishnou et l’image du Prince idéal – est né à Ayodhya, une localité dans l’actuel État de l’Uttar Pradesh. Il semble qu’un temple dédié à Sri Rama y fut démoli sous le régime des Musulmans au XVIe siècle, et qu’une mosquée fut construite sur son emplacement. La volonté de la droite dure hindouiste de reconstruire un temple à l’emplacement de la mosquée a été cause de manifestations répétées, qui prirent une allure très violente en octobre-novembre 1990. La destruction de la mosquée par une foule encadrée par les organisations fondamentalistes hindoues, en décembre 1992, a remis le feu aux poudres. (J.-L. R.)
19 Les autres familles se répartissent entre les castes et communautés suivantes : Vokkaliga : 2 familles ;Achari : 1 ; Nayar : 1 ; Kumbar : 1 ; Dhobi : 3 ; Marvadi : 1.Tamouls : 2 ; Chrétiens : 5 ; Musulman : 1.
20 Chacun de ces hameaux a son nom, par exemple Iyalli, Deenhalli, etc.
21 Nous entendons ici par « agriculteurs » non seulement des cultivateurs de riz, mais ceux qui cultivent cardamome et café, sur des terres trop peu étendues pour être considérées comme un domaine.
22 Les autres familles de propriétaires fonciers comprennent six familles de Gangamathas et une famille chrétienne. Mais ce sont de petits propriétaires.
23 Soit 6500 Rs la tonne de cerises. Il s’agit du premier prix payé aux cultivateurs ; par la suite ils peuvent toucher une prime dont le montant n’est pas fixe, deux ou trois fois en quelques années
24 En octobre et novembre 1990, 300 Rs/kg.
25 M.N. Srinivas a noté, au milieu de ce siècle, la prévalence des rapports de serviture dans la riziculture au Coorg. (Srinivas 1952 : 20.)
26 Dans cette région, le bétail est habituellement abrité à l’écart de l’habitation, tandis que dans le Maidan une partie de la maison est destinée à cet usage. Dans les Ghâts, la construction d’abris séparés requiert beaucoup plus d’argent et de travail, car on ne peut se satisfaire d’une simple construction de branchages et de chaume en raison du climat pluvieux.
27 Le charpentier et le restaurateur sont à Vaddarahalli, le forgeron à Haragarahalli. L’échoppe de dinanderie est à Kurubathur, mais le propriétaire est de Bommanakere.
28 Les deux exceptions travaillent à Voddarahalli pour le charpentier et pour le propriétaire de l’« hôtel ». Elles sont du Dakshina Kannada.
29 Seize ont été scolarisés jusqu’au Pre-University Certificate et au-delà, 12 entre le 8e et le 10e standard, et 5 n’ont pas dépassé le 7e standard, qui correspond en principe à notre cinquième, le premier standard marquant l’entrée à l’école primaire.
30 Ceci s’applique aussi aux villages étudiés plus bas.
31 Ces quatre familles sont toutes propriétaires.
32 Ce village s’appelle aussi Sukravarasanthe, car le marché hebdomadaire s’y tient le vendredi. En kannada, vendredi se dit sukravara, et santhe vaut pour shandi, c’est-à-dire le marché.
33 Dans le cadre des nouveaux découpages administratifs mis en place par le gouvernement du Karnataka en 1987, c’est le mandai panchayat, et non plus le panchayat de village qui est l’unité territoriale de plus bas niveau. Le mandai panchayat de Kurubathur comprend 17 villages, qui totalisaient 6879 habitants en 1981.
34 Quelques fonctionnaires résident dans la ville de Sakleshpur et viennent travailler à Kurubathur tous les jours.
35 Ces petites entreprises existaient déjà auparavant, mais elles étaient possédées par d’autres familles.
36 Sur 17 familles, 12 vivent exclusivement de l’agriculture, et cinq partiellement.
37 Nous avons exclu les 13 familles des fonctionnaires qui y ont été mutées.
38 Quatre autres pensent que leur installation à Kurubathur n’a pas changé leur situation. Dans les trois familles restantes, on n’a pas pu répondre valablement parce qu’on est arrivé trop jeune pour pouvoir se souvenir des conditions d’existence au village ancestral.
39 Ces hameaux sont Mavinoor, Kurkamane, Konthanamane et Yathahalla. Mavinoor est le plus important avec 34 familles.
40 Ces observations s’appuient sur les conversations de l’auteur avec les habitants les plus âgés de Yathahalla.
41 Sur ces 18 personnes qui ont migré en quête de travail, deux sont parties entre 1971 et 1975, deux entre 1976 et 1980, huit entre 1981 et 1985 et sept entre 1986 et 1990. Onze sont allés à l’école jusqu’au 8-10e standard, six au-dessus du 10e et une n’a pas dépassé le 7e standard.
42 Il n’y a plus aujourd’hui de grands domaines plantés en cardamome dans le taluk.
43 Sur ces dix domaines, deux ont été fondés entre 1840 et 1865, trois entre 1870 et 1900, deux (dont celui planté en thé) entre 1900 et 1950, un entre 1960 et 1985, et deux après 1985. Dans l’ensemble, sept ont été fondés par des Britanniques, et trois après l’indépendance par des Indiens.
44 Trois domaines ont une superficie supérieure à 1000 acres, un compte entre 500 et 1000 acres, 5 entre 100 et 500 acres, et un moins de 100 acres.
45 Pour le détail de ces avantages, voir The Plantation Labour Act 1951 (Act no 69 of 1951), avec les amendements à jour, The Law Book Company, Allahabad, 1988.
46 Ces données fluctuent pendant toute la saison.
47 Activités exercées par les migrants saisonniers dans leur village : agriculteurs 10, agriculteurs et coolies 14, coolies 8, travailleurs non agricoles 2.
48 Sur les 34 familles de notre échantillon, 7 ont envoyé chacune une personne, 15 deux personnes (le plus souvent mari et femme), 7 trois personnes, 6 quatre ou cinq personnes.
49 D’après notre enquête de terrain de janvier 1990, le village comptait 473 habitants répartis dans 102 familles. La différence entre ces chiffres et ceux du recensement serait due à une nouvelle colonie de maisons Janata construite dans le voisinage, en bordure du finage d’un village contigu à Agalatti. Le recensement de 1991 rattache ces nouvelles maisons à Agalatti.
50 Le domaine a une superficie d’environ 350 acres et ne s’étend qu’en partie dans le finage d’Agallati, mais il est en pratique dénommé « le domaine d’Agalatti ».
51 Les familles sont réparties ainsi : 3 Brahmanes, 1 Shetty, 2 Nayaks, 1 Edava, 1 Asakaru, 4 Gangamathas, 6 Poojaris, 2 Viswakarmas, 3 Edigas, 1 « Backward Tribe », 1 « Scheduled Tribe », 1 Musulmane, 2 Chrétiennes.
52 Sur les 59 familles dépendant exclusivement du travail agricole (caféière incluse), 25 sont Harijans, 6 Lingayats, 8 Vokkaligas, 4 Gangamathas, 6 Poojaris, 2 Nayaks, 1 Viswakarma, 2 Edigas, 1 « Backward Tribe », 1 « Scheduled Tribe », 2 Chrétiennes et 1 Musulmane. Parmi les sept familles qui travaillent à temps partiel comme coolies, six sont Lingayats et une Harijan.
53 Ces données ne prennent pas en compte les deux familles Brahmanes (des frères) qui possèdent le domaine caféier d’Agalatti.
54 Ces chiffres comprennent la portion de terre cultivée sur le domaine d’Agalatti qui appartient au finage fiscal d’Agalatti.
55 Il semble que la demande de main-d’œuvre permanente augmenta tardivement sur le domaine d’Agalatti, car la stagnation démographique des années 1950 de ce village est contraire à la tendance observée au niveau du taluk (+ 45 %).
56 Ces données concernent les émigrants du village, domaine caféier exclu.
57 Les autres castes sont principalement : Brahmanes, Poojaris, Dhobis, Barbiers, Acharis, Harijans, etc.
58 Pour une vivante description de la vie socio-économique des migrants démunis sur les domaines caféiers pendant les premières décennies de ce siècle, voir Choma’s Drum, traduction anglaise du roman kannada Chomana dudi de K.S. Karnath.
59 Sur les 22 familles agriculteurs de notre enquête à Perabe, 17 ont bénéficié des réformes foncières. Pour une étude détaillée de l’impact de la réforme foncière sur un village du Dakshina Kannada, voir I. Maidan : « Karnataka Land Reform Act and its Impact on the Socio-Economic Condition of Naravi », in : K Fujiwara 1984 : 251-265.
60 D’après un instituteur qui avait dressé une liste des familles cette année-là.
61 Sur les 143 familles du village, 129 sont Kurubas, 5 Vaishavas, 5 Acharis, 1 Barbier, 1 Ediga et 2 Harijans.
62 Dans le sud du Karnataka, l’usage courant est de faire précéder son nom des initiales de ceux de son village et de son père.
Auteur
Géographe, chargé d’enseignement à l’université de Mysore
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