Préface
p. 15-16
Texte intégral
1Bien qu’un temple en Inde soit avant tout un lieu de culte, on constate souvent qu’il est en outre un espace de vie. Les porches d’entrée abritent les dévots venus déjeuner, les pèlerins épuisés qui s’allongent et s’endorment ou les écoliers qui se recueillent pour étudier. Tantôt calme, tantôt bruyante, la résidence du dieu n’est jamais vide. Ce n’est cependant pas toujours le cas des temples classés monuments historiques et placés sous la garde de l’Archaeological Survey of India, qui deviennent généralement un lieu fréquenté par les touristes profitant simplement de leur visite pour adresser une petite prière à la divinité.
2Il me semble pourtant que le temple du Kailāsanātha à Kāñcipuram, considéré comme monument historique, échappe à ce modèle. Pris entre le mur d’enceinte et le sanctuaire de taille imposante, le visiteur de ce célèbre édifice assiste à de nombreuses petites scènes quotidiennes. Le prêtre paraît tolérer le gardien appointé par l’Archaeological Survey of India, le mendiant quémande quelques piécettes pour avoir dormi à côté de vos sandales, les dévots viennent adorer le liṅga, les écoliers chevauchent les taureaux de pierre et escaladent les niches à la récréation, mais encore les touristes, les curieux et les voisins peuplent la cour tour à tour.
3On remarque bien vite, dès que l’on engage la conversation avec l’un d’eux, que les images qui ornent les façades de ce temple restent incomprises de la majorité des personnes qui y pénètrent. La Dakṣiṇāmūrti, la Liṅgodbhavamūrti ou la descente du Gange, dont la célébrité est arrivée jusqu’à nous, seront reconnues immédiatement. Mais plus de la moitié des représentations, dont la délicatesse est saisissante, reste une énigme pour le visiteur, même s’il est familier par ailleurs des mythes śivaïtes qui ont baigné son enfance. La majorité des reliefs mythologiques de cet édifice qui reflète la tradition à l’aube du VIIIe siècle est devenue inintelligible au commun des dévots, bien que la même divinité soit aujourd’hui, treize siècles plus tard, adorée selon des rituels quotidiens probablement semblables. Dès lors, traditions ancestrales et traditions contemporaines se côtoient sans se comprendre.
4Mais pourquoi donc ces reliefs sont-ils aujourd’hui si difficiles à appréhender, même pour une personne versée dans l’iconographie religieuse ? Bien que l’on ne puisse répondre de manière approfondie à une telle interrogation qu’en se basant sur les conclusions d’une étude complète, je peux néanmoins amorcer ici une réflexion sur ce point. L’iconographie pallava śivaïte n’a pas son pareil. Axée essentiellement sur la représentation narrative, de nombreux mythes sont mis en scène pour la première fois. Mais les illustrations à forte tendance mythologique qui perdurent à l’époque cōḻa sont le plus souvent reléguées dans des panneaux minuscules presqu’ignorés, disposés sur la base de l’édifice. Le dévot devient alors familier des images divines dans les niches des façades qui présentent souvent la divinité dans son essence, telle que Brahmā, Viṣṇu ou Ardhanārīśvara par exemple, rompant ainsi avec la tradition créée par les Pallava. Même les représentations narratives que l’iconographie cōḻa reprendra à ses prédécesseurs, comme le Śiva Bhikṣāṭana ou le Śiva Tripurāntaka, sont peu à peu dépouillées de leur aspect mythologique pour présenter une figure emblématique plus que narrative. Pour aborder ces représentations pallava, il faut alors se plonger dans le contexte littéraire, religieux et politique de l’époque. C’est pourquoi une grande partie de ce travail est consacrée à l’analyse des sources primaires antérieures et contemporaines du VIIIe siècle. Sans elles, on se retrouve comme le spectateur actuel, dubitatif devant des images certes très belles, mais dont le sens nous échappe.
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012