III. La faiblesse de la diversification économique
p. 281-303
Texte intégral
1Les deux systèmes ruraux se caractérisent pareillement par une diversification économique sur place extrêmement limitée. Encore faudrait-il préciser de quelle diversification il s'agit. On peut en effet pour chaque système en distinguer trois types :
- diversification par rapport aux cultures dominantes : pour le système rural "sec", développement des cocoteraies dans des terres réservées jusque là à l'éleusine ; à Mottahalli, percée il y a 50 ans de la canne à sucre dans une agriculture alors pluviale, puis nouvelle diversification à l'heure actuelle avec le développement de cultures maraîchères ou de mûrier au milieu du duo canne-paddy.
- diversification par rapport à l'agriculture proprement dite : sans rompre véritablement avec le secteur primaire, les paysans développent on l’a vu un élevage qui n'est plus consacré seulement à la culture de leurs champs (zébus) mais qui a pour vocation essentielle la production de lait (bufflesses et vaches de croisement).
- enfin, seule véritable diversification au sens strict : le développement d'activités n'appartenant plus au secteur primaire, c'est-à-dire des industries et des services.
2On ne reviendra pas ici sur la question du bétail, sur les liens complexes qu'il entretient avec l'agriculture proprement dite et sur ce qui l'en sépare. Ni sur les cultures maraîchères de plein champ qui, bien que ne dépassant pas 2 % de la surface cultivée dans chacun des villages, semblent promises à l'extension pour peu que les constructions de puits se multiplient. On préfèrera s'attarder sur des activités proprement non agricoles.
A. LA DIVERSIFICATION NON AGRICOLE
3Celle-ci peine à prendre son essor. Certes, les moulins à jagre du système rural irrigué en sont un exemple réussi, mais, représentant seulement le premier stade de transformation de la canne à sucre, propriété d'agriculteurs et fonctionnant avec de la main-d’œuvre agricole, ils ne se situent qu'à la charnière du secteur primaire et du secteur secondaire. La forte rentabilité de l'agriculture dans le système rural irrigué explique en partie la faiblesse de la diversification, dans la mesure où même un sans-terre a souvent autant intérêt à demeurer simple salarié agricole qu'à tenter d'ouvrir aventureusement une boutique ou un artisanat quelconque... quand bien même il aurait disponible par chance le capital nécessaire.
4On comprend qu’il n'existe à Mottahalli de boutiques ou d’ateliers privés, outre les artisanats traditionnels des castes spécialisées, que 4 tailleurs, une rizerie, 2 petits centres de décortiquage et de meunerie (qui tous deux appartiennent au propriétaire de la rizerie), un loueur de bicyclettes, 2 vendeurs d'alcool, et 16 épiceries et cafés (les deux types de commerce étant souvent regroupés). Ce dernier chiffre est certes important pour une population de 2100 hts, mais nombre de ces épiceries ne font en réalité que du micro-détail, avec certains jours un stock réduit à rien. Il faut dire que la proximité du bourg de Kottatti (5000 hts à 3 km), sans parler de la ville de Mandya, ne peut qu’exercer une forte concurrence.
5Quant aux deux villages sans irrigation de Mayagonahalli et Naragalu, plus isolés, l'ensemble de leurs activités est réuni à la Porte de Mayagonahalli : on y trouve, outre les activités traditionnelles des castes de service, 2 tailleurs, un petit marchand de volailles, un centre de décortiquage, 2 vendeurs d’alcool, et 6 cafés et épiceries (fig. 16).
6Il n’est pas indifférent de remarquer que les deux tailleurs y sont l'un de caste Kuruba, l'autre Achari. A Mottahalli, un des tailleurs est Musulman, un autre Aradhya, les deux derniers Lingayat. La présence de cette haute caste que sont les Lingayat confirme que l'exercice de cette activité n'entraîne pas de perte de statut (M.N. Srinivas, 1976, p. 237) : il est donc remarquable que la caste dominante des Vokkaliga ne soit ici nullement représentée, preuve que certaines activités diversificatrices semblent attirer avant tout les castes minoritaires. Mais d’autres activités ne semblent pas rebuter les Vokkaliga, tels les cafés, ou les activités liées à l'agriculture comme la meunerie.
7Il est donc erroné de dire que les Vokkaliga refusent toute diversification en raison de leur caste, qui pourtant fait d'eux des agriculteurs avant tout1. La diversification ne leur est pas interdite, elle est seulement canalisée. Ils se contentent de « sélectionner » les activités, refusant d'être tailleur, refusant de vendre du toddy, cet alcool traditionnel qui leur est une boisson théoriquement interdite et réservée aux Harijan, mais détenant dans nos trois villages les boutiques d'arrack (autre alcool, d'apparition plus récente, qui leur est autorisé).
8Quant aux autres castes, là encore un strict déterminisme fondé sur la religion, ou du moins sur les activités traditionnellement réservées à chaque communauté, ne permet pas toujours de donner une explication entièrement satisfaisante. Bien des castes dites « non agricoles » cultivent quelque lopin de terre, et si les deux familles musulmanes de Mottahalli ne sont pas agricultrices, on peut trouver des Musulmans cultivant la terre dans les villages voisins.
9Le déterminisme de caste montre d'autres limites : si des Musulmans ou des Achari se lancent dans des activités non agricoles, c'est autant parce que ces castes n'ont pas eu à l'origine accès à la terre que parce qu'il y a dans leur tradition socio-culturelle, dans leurs « mentalités », quelque chose qui les détournerait de l’agriculture. En effet, en général émigrées récentes au village, ces castes n'ont pu pour la plupart obtenir de terres lors de leur installation.
10Cependant, il existe incontestablement quelque attirance de la part de certaines castes pour les activités commerciales, alors que, se trouvant sans terre, ces villageois pourraient très bien dans le système rural irrigué vivre comme simples journaliers agricoles2. Le plus bel exemple en est cette famille islamique de 6 personnes, immigrée dans le lotissement de la Pauvreté à Mottahalli : elle ne possède ni terre, ni bétail terre, et arrivé vers 1970 au village, est contremaître dans un moulin à jagre pendant 4 ou 5 mois (il gagne alors 20 Rs/jour environ) et le reste du temps fait des petits travaux de mécanique. Seul de la famille à avoir suivi l'école jusqu'au S.S.L.C. (brevet), le fils aîné, après avoir été conducteur d'autorickshaw à Mysore, puis ouvrier dans une fabrique de métiers à tisser à Bangalore, a en 1989 finalement ouvert à Mottahalli un atelier de réparation et de location de bicyclettes grâce au programme TRYSEM (p. 72) : son chiffre d'affaires quotidien varie entre moins de 10 Rs et plus de 50 Rs. Le second fils, lui, est apprenti tailleur chez un Lingayat du village pour un salaire de 10 Rs tous les trois jours. Le troisième, qui n'a que 11 ans, est employé dans un garage de Mandya où il est nourri et logé et où il gagne une roupie par jour ; quand à la fille âgée de 14 ans, elle tient une minuscule épicerie sur le seuil de sa maison et s'engage saisonnièrement pour la coupe de la canne à sucre - la mère, elle, n'accomplit que les travaux domestiques, signe d'une très relative aisance.
11A considérer cette palette d'activités qui n'ont que peu à voir avec l'agriculture, on peut se demander jusqu'à quel point le terme de « diversification» est ici adéquat : à l'échelle du système rural, il signifie certes le lancement d'activités non agricoles. Mais au niveau de l'exploitation familiale, « diversifier » pour Abdul Salam et les castes traditionnellement non agricoles signifierait plutôt se lancer dans l'agriculture...
12Abdul Salam s'est trouvé soudain hériter en 1986 de 50 ares irrigués dans le village de sa belle-mère, morte sans fils. Un parent cultive pour eux en métayage, mais il serait sans doute possible à Abdul, s'il le voulait absolument, de s'installer là-bas comme cultivateur. Certes, des histoires de famille semblent l'en dissuader. Certes, la superficie est bien maigre. Mais sans doute un Vokkaliga sans terre prendrait-il, lui, la décision de quitter Mottahalli. Les explications liées à la caste fonctionnent donc parfaitement pour éclairer certains faits. Ainsi encore, ce n'est pas un hasard si des six maisonnées Lingayat de Mottahalli, à une exception près toutes sans terres, quatre tiennent un café. Cette caste, strictement végétarienne et qui n'accepte de la nourriture d'aucune autre, forme en quelque sorte au Karnataka « les Brahmanes des villages » : c'est-à-dire que son statut supérieur lui permet de servir des plats (végétariens) à toutes les autres castes, qui sont ainsi assurées de consommer de la nourriture rituellement pure. D’où la prédilection des Lingayat pour les activités de restauration, d'autant plus que leur statut supérieur leur interdirait de déchoir en acceptant de travailler comme journalier agricole.
13Toutes ces activités, à quelques exceptions près, ne sont que des activités de service, etnon de transformation. Pas plus les Vokkaliga que les Lingayat ou les Kuruba n'installent de petites unités industrielles (sinon les rizeries et les moulins à jagre, très « para-agricoles ») : aucune activité de production, alors que les petites'industries sont d'un certain côté si encouragées par l'Etat indien (H. Guétat-Bernard, 1992). Cela est surtout frappant dans le cas du système rural de Mayagonahalli et Naragalu, car ici la faiblesse de la diversification ne peut être expliquée par la forte rentabilité de l'agriculture comme dans le système irrigué, même si l'on prend en compte les succès de la cocoteraie. Certes, l’émigration, ici si importante, pourrait être considérée comme une forme de diversification délocalisée ; mais elle ne représente pas une tentative pour générer des capitaux réinvestissables dans la région d'origine : une fois rentrés, s'ils ont réussi à amasser quelques économies, les migrants se font construire une belle maison colorée, avec leur nom en lettres bleues sur toute la longueur d'un mur, achètent éventuellement un petit lopin de terre, et s'en tiennent là généralement. Leurs finances ne leur permettraient d'ailleurs pas d’aller au-delà, mais très rarement ils auront l'intention de dépenser leurs économies dans des investissements plus productifs et diversifiés. Un petit café près d'un arrêt d'autocar, une épicerie : certains tentent cependant l'aventure. Mais jamais d'artisanat ou de petite industrie : les capitaux manquent, certes ; les produits agricoles à valoriser aussi, de même que les matières premières nécessaires à d'éventuelles industries ; mais c'est surtout l'environnement régional qui pèche par son peu de dynamisme. On l'a dit, Nagamangala est trop une simple bourgade pour pouvoir insuffler une diversification dans son arrière-pays, ne serait-ce que sous la forme d'une industrie à domicile telle que celle des agarbathi (bâtonnets d'encens) autour de Mysore. Et la grande industrie des métropoles vient stériliser nombre de tentatives locales, après avoir éteint le tissage traditionnel et touché sans doute mortellement les artisanats du système jajmani villageois.
14Les programmes de développement rural de l'Etat ne semblent pas plus avoir de succès pour favoriser une diversification économique. L’IRDP par exemple (p. 72), dont les villages bénéficient par rotation, prévoit certes, à côté des prêts concernant l'agriculture, d'autres emprunts pour du tissage, ou de la poterie, ou l'ouverture de petits commerces... Mais les chiffres concernant nos trois villages sont les suivants :
15On observe pour nos deux systèmes ruraux ce qui se passe également à l'échelle du Karnataka et de l'Inde entière : l'IRDP est avant tout utilisé par les bénéficiaires pour commencer ou développer un élevage laitier, et à un degré moindre disposer d'un attelage et d'une charrette (à pneus). L'impact sur la diversification non agricole apparaît donc très réduit, d'autant plus qu'aucun système de stage n'est prévu (V.M. Rao et S. Erappa, 1987). Cela est particulièrement net à Mayagonahalli et Naragalu, où tous les prêts concernent le secteur primaire. Cela l'est un peu moins dans le village irrigué, où la dernière année apparaît pleine de promesses concernant une éventuelle diversification, mais où le diagnostic doit être nuancé puisque, comme ailleurs au Karnataka, les prêts concernant les "industries de village” (village industries) vont avant tout aux castes dont c'est l'activité traditionnelle. Ainsi, le bénéficiaire de l'emprunt pour l'achat de matériel de menuiserie est un Achari, alors que la menuiserie est justement la spécialité de sa caste. La diversification apparaît donc à nouveau comme canalisée par les logiques de caste.
16Cependant, l'IRDP ne concerne que les familles les plus pauvres, celles gagnant moins de 3600 Rs par an. Or, dira-t-on, tout le monde n'est pas pauvre au village. Que font donc de leur argent la quinzaine de maisonnées dans chaque village du système rural pluvial, la trentaine dans le système irrigué, qui bénéficient d’une certaine aisance due à leur importante propriété foncière ? Les possibilités d'investissement non industriel ne manquent pas : il y a tout d'abord les placements bancaires, certes relativement mis à mal par l’inflation. Mais au village même, il y a aussi les prêts usuraires, les avances aux travailleurs, les dépenses somptuaires et les mariages à financer plusieurs années à l'avance - notamment les dots des filles qui sont ainsi qu'on le verra en proportion de la fortune du père. Sivararne Gowda, l'homme aux 16 ha de darkhast de Mayagonahalli, a beaucoup dépensé dans l'organisation de la coopérative laitière qu'il a fondée. Gangappa, sans doute l'homme le plus riche de ce village, s'est acheté un tracteur, et son fils, qui vient de créer une high-school, y a travaillé bénévolement pendant plusieurs mois, et a même donné de sa poche 150 000 Rs, en attendant que l'Etat subventionne la nouvelle école. Autant d'argent qui n'a pu aller à la création de petites industries rurales.
17Et il y a avant tout le réinvestissement dans l'agriculture. Dans le village irrigué, Dodda Sanne Gowda vit avec les ménages de ses deux frères dans une famille indivise (joint family) de 14 personnes. Il est professeur de collège, gagne 3000 Rs par mois, et possède 6 ha irrigués. Soit d'énormes revenus annuels. Mais il n'a pas la tête à réinvestir cet argent dans la fondation d'une petite industrie : "Je n'aurais pas le temps de superviser tout cela ; j'ai un frère analphabète, et l'autre (bachelier) ne pense qu'agriculture". Investir en ville ? Mais comment alors faire tourner l'exploitation ? Il a aussi renoncé au projet de cinéma qu'il avait pour Mottahalli, et qui aurait selon lui coûté 1,5 million de roupies, de la licence à obtenir jusqu'à l'achat de 400 chaises. Pour l'heure, ses revenus ont trois utilisations : avant tout, investir dans la terre. En 1970, la famille ne possédait que 1,6 ha ! Or de tels choix sont très coûteux (d'autant plus, selon Dodda Sanne, que les villageois jaloux de lui ne lui font aucun cadeau) : les derniers 28 ares irrigués qu'il a achetés ne lui ont pas coûté moins de 75 000 Rs. Et outre un moulin à jagre (100 000 Rs) et un motoculteur (42 000 Rs), un tracteur d'une valeur de 185 000 Rs a complété en 1990 l’équipement agricole de l'exploitation.
18En second lieu, viennent des dépenses non productives touchant l'habitation. C'est en 1974 que fut terminée la grande maison familiale de style traditionnel. Et dès 1990, on achevait la construction d'une seconde habitation, moderne celle-là, disposant d'un étage et ayant coûté plus de 300 000 Rs : une somme d'autant plus énorme que la maison demeure pour l'instant complètement vide. Ce n'est que lorsque les trois frères diviseront la joint family, sans doute dans quelques années, que Dodda Sanne Gowda y emménagera. D'ici là, elle ne sert qu'à témoigner aux yeux des passants de la réussite économique de son propriétaire.
19Le troisième poste consiste dans une épargne qui est mise de côté pour assurer les mariages des enfants (trois des enfants sont des filles auxquelles il faudra payer une dot) ainsi que leur éducation. Certains des garçons dépasseront le niveau du baccalauréat (P.U.C.) et il faudra bien financer leurs études. Dodda Sanne compte même bien que sa fille obtiendra un diplôme de M.B.B.S. (médecin peu qualifié).
20Enfin, il faut compter les avances sur salaires (25 000 Rs) ainsi que les prêts qu'il a accordés - mais Dodda Sanne reste silencieux sur ce dernier sujet. Au total, il est peu probable qu'il investisse jamais dans une activité diversificatrice. En cela il est bien représentatif d’une région qui se trouve, pourrait-on dire, dans un "entre-deux" : tout se passe comme si l'irrigation apportait des revenus suffisamment conséquents pour ne pas obliger à une diversification... mais non suffisants pour dégager des bénéfices tels qu'on soit amené à placer cet argent pour générer des activités industrielles. Les gros propriétaires achètent des terres, construisent des moulins à jagre, investissent dans une rizerie, sans cependant quitter le domaine de l'agriculture ou au mieux de l'agroalimentaire. Paysans ils sont, paysans ils restent.
21Mais cette faiblesse de la diversification est-elle finalement si remarquable ? La région est sans doute moins une exception que représentative de la situation indienne, où plus de 86 % des ruraux sont des agriculteurs. K. Bharadwaj (1985) a montré combien un système social, différencié en classes liées entre elles par des rapports d'exploitation, peut freiner la diversification économique et le développement d'un capitalisme « moderne » dans les campagnes : c'est ainsi que lorsque le marché du crédit fonctionne trop au détriment des microfundiaires débiteurs, ceux-ci n'ont plus les moyens de s'endetter encore davantage pour des dépenses d'investissement ; tandis que les créanciers, souvent de grands propriétaires, trouvent l'usure - ou l'asservissement des emprunteurs - trop rentable pour employer leurs capitaux à une activité plus productive et diversificatrice. Des structures agraires trop inégalitaires défavorisent à coup sûr le développement économique.
22Ceci suscite une question : tous ces efforts de l'administration pour diversifier l'économie rurale ne se heurtent-ils pas simplement à un problème de rentabilité ? Une des raisons à la faiblesse de la diversification n'est-elle pas qu'elle rapporte peu par rapport aux risques encourus ? Je pense autant ici aux industries rurales de type moderne3 qu'aux activités plus banales, de type tailleur ou cafetier, qui sont communes aux campagnes indiennes.
23Or, en ce qui concerne les cafés, ils sont assurément rentables. Les plus achalandés de la Porte de Mayagonahalli approchent les 200 Rs de chiffre d'affaires quotidien en moyenne dans l'année, avec plus de 30 % de bénéfice : ils vendent thé (0,40 Re le verre en 1990), café (0,50 Rs), idli (semoule de riz à la vapeur), dose (galette), riz épicé (uppitu) pour le petit déjeuner, et riz aux légumes (uta) vers 13 h. Le chiffre d'affaires varie du simple au triple, selon que les villageois sont occupés aux champs ou que c’est la morte-saison agricole. De même, à Mottahalli, les cafés du lotissement de la Pauvreté voient leurs ventes quadrupler en saison du jagre, quand affluent tous les saisonniers travaillant dans les moulins.
24Au total, deux personnes occupées à plein temps, souvent aidées occasionnellement par un autre membre de la maisonnée qui ira chercher de l’eau ou surveillera le lait sur le feu, peuvent gagner en moyenne 60 Rs par jour, soit 30 Rs par personne. Ce qui est "beaucoup", même si la journée de travail dure 13 heures. Cela explique d'ailleurs la floraison des cafés dans les villages de la région - sauf zone extrêmement reculée et défavorisée, où les clients potentiels sont trop pauvres. Il reste que leur multiplication ne peut pas se faire à l'infini, et que déjà le lotissement de la Pauvreté comme la Porte de Mayagonahalli ont atteint un seuil de saturation.
25La situation des tailleurs est différente. Leur chiffre d'affaires est en effet très limité, ce qui réduit d'autant leurs bénéfices (Hasard ? Les Vokkaliga sont cafetiers, non tailleurs). Cela en raison d'un double handicap : d'une part, ils sont souvent relativement peu qualifiés, c'est-àdire que des tâches difficiles, comme la confection d'un pantalon, leur est le plus souvent impossible : sauf pour acheter une chemise, ou un corsage à mettre sous le sari, les villageois doivent s'adresser aux tailleurs de la ville. D'autre part, un second handicap tient justement dans la proximité de la concurrence urbaine, avec ses boutiques aux stocks plus importants, ses magasins de prêt-à-porter, ses vitrines de verre où s'exposent des saris à 500 Rs que l'on achètera pour les mariages. Existe-t-il dans le sud du Karnataka un village distant de plus de trois-quarts d’heure d'autocar de la ville voisine ?
26Autre inconvénient dont se plaignent tous les artisans et commerçants : le crédit. Dans un monde où tous se connaissent, où les relations commerciales doivent souvent céder la place à des relations de parentèle ou de voisinage, où l'anonymat impartial des transactions économiques est ignoré, les clients ne peuvent se voir refuser un crédit. Toute épicerie qui a le courage de peindre sur son auvent « Sala vishvasada kattari. » (« Le crédit représente les ciseaux de l'amitié ») risque rapidement de perdre sa clientèle, ne serait-ce que parce qu'effectivement ses clients sont souvent désargentés. Mais combien de boutiques ont dû fermer, en raison de créances non recouvrées ? En cela, le faible pouvoir d'achat des campagnes est un frein important à la diversification.
27Un dernier facteur limitant peut être trouvé dans l'attachement des paysans à assurer le maximum des travaux sur l'exploitation agricole avec de la main-d’œuvre familiale, laquelle ne leur coûte rien en numéraire (en apparence du moins), travaille mieux que des salariés, et augmente le degré de sécurité du fonctionnement de l'exploitation. Mais ce sont autant de membres de la maisonnée qui ne chercheront pas d'activité non agricole.
28Finalement, cette faiblesse de la diversification dans nos deux systèmes ruraux du Karnataka, aussi bien dans l'irrigué que dans le pluvial, ne frapperait pas tant si elle ne venait à l'encontre des remarques de T.S. Epstein (1962, 1973), auteur d'une remarquable étude comparée de deux villages, l'un irrigué qu'elle appelle du pseudonyme de Wangala, tout proche de Mottahalli, et l'autre sans irrigation, Dalena, à quelques kilomètres à l'ouest de Mandya. Elle a constaté que Wangala n'a guère connu de diversification en raison même de la présence d'irrigation qui, loin de bouleverser les structures sociales et de diversifier l'économie, avait eu au contraire une influence éminemment conservatrice sur l’ensemble du milieu rural. Au contraire, Dalena, hors d'atteinte du canal Vishveshvarayya, dut s'ouvrir sur son environnement extérieur pour survivre : son tissu économique, jusque là largement agricole, inclut dès lors des artisanats et de multiples petites industries ; de nombreux travailleurs pendulaires partirent tous les jours à Mandya ; les structures sociales se transformèrent elles aussi, avec le déclin des pouvoirs traditionnels du chef héréditaire et des castes supérieures, et la décrépitude accélérée du système jajmani. Pour Epstein, la leçon était claire : l'irrigation agissait comme un facteur de conservation sociale et économique ; son absence était facteur de diversification économique et de changement social.
29Or dans « notre » système rural pluvial, si les structures sociales ont évolué de manière importante depuis l'Indépendance, les changements en ce sens ne paraissent pas avoir été plus sensibles que dans le système rural irrigué. Surtout, malgré le caractère pluvial de l'agriculture, la diversification économique se fait toujours attendre. Les conclusions d'Epstein ne peuvent être excessivement généralisées : l'absence d'irrigation ne pousse pas toujours à la diversification, notamment parce que l'environnement économique est un facteur prépondérant en la matière. En particulier, il apparaît que la situation de Dalena, village situé à quelques kilomètres d'une ville qui dépasse les 120 000 hts, juste sur la route Mysore-Bangalore (State Highway 17) qui représente un des axes les plus importants du sud du Karnataka, a énormément favorisé la floraison de petites industries rurales. Il est probable que même si l'irrigation avait atteint ce village, la diversification aurait été loin d'être négligeable. Dalena est peut-être un village « sec », mais c'est avant tout un village « périurbain »4. Or l'influence de la ville semble être un facteur déterminant pour la diversification : la dense industrialisation rurale de la proche région de Coimbatore, au Tamil Nadu, s'explique sans doute moins par la baisse de rentabilité d'une agriculture irriguée par puits ou l'esprit d'entreprise de certaines castes, que par la proximité d'une dynamique agglomération dépassant le million d'habitants (P. Schar, 1992). Rien de comparable avec le système rural de Mayagonahalli et Naragalu, à 11 km de la petite ville de Nagamangala, elle-même à 16 km de la nationale Bangalore-Hassan (National Highway 48), à cette hauteur axe moins dynamique que le SH 17 : ces villages sont sans doute en cela plus représentatifs de la situation générale en zone non irriguée que celui d'Epstein. Les pendulaires, nombreux à Dalena, n'existent pas ici : les migrants partent pour des années. Culturellement, les villages appartiennent bien au sud du Karnataka ; mais économiquement, ils sont déjà les avant-postes du sous-développement du nord de l'Etat.
30L'absence de diversification sur place n'est pas synonyme d’immobilisme : pour émigrer, il faut de l'audace, savoir prendre des risques - tout comme il le fallut pour accepter la canne à sucre à Mottahalli. Notons cependant que l'émigration à partir de ce système rural pluvial n'entraîne guère de changements socio-économiques sur place, ce qui peut être rapproché de la thèse d'Epstein. Puisque nos villages secs ne sont pas plus diversifiés que le village irrigué, et que la société n'y a guère évolué plus rapidement, l’émigration doit être envisagée comme un facteur de conservation économique et sociale, jouant exactement le rôle de l'irrigation à Mottahalli et Wangala. Développée surtout à partir de 1940, exactement contemporaine par conséquent de la mise en service de la branche Kaveri du canal Vishveshvarayya, l'émigration représente le pendant de l'irrigation à Mottahalli : une solution plus ou moins adéquate à l'accroissement démographique sur des finages villageois limités, qui permet de conserver une certaine tradition sociale et le maintien de l'agriculture comme fondement de l'activité économique des campagnes.
31Pour combien de temps ? Irrigation et émigration pourront-elles longtemps assurer un niveau de vie suffisant à l'ensemble de la population, alors que déjà certaines inégalités sociales sont évidentes ? Assurément la diversification pourrait prendre un relais dans la croissance économique villageoise, et peut-être risque-t-elle d'ailleurs de se développer dans les prochaines années. Il est un fait que l'essentiel des commerces dans les trois villages est de création récente : 27 % de ceux-ci ont été créés après 1989 ! (H. Guétat-Bernard, 1992). La spectaculaire croissance de la Porte de Mayagonahalli (fig. 16) témoigne du même phénomène. Les statistiques de l'IRDP données plus haut montrent également pour ces dernières années une diversification croissante des emprunts à Mottahalli. Et dans ce même village, on parlait début 1991 d'un Vokkaliga qui voulait installer une fabrique de grilles métalliques : Mottahalli, à 9 km seulement de Mandya, entrerait-il progressivement dans l'aire périurbaine ? Assurément il existe des seuils spatiaux et économiques qui une fois franchis peuvent permettre le début d'une diversification.
B. L’EDUCATION : UN ESPOIR NON SANS LIMITES
32Elle représente un autre facteur favorable à la diversification économique. Certes, il n’est pas nécessaire d'être bachelier pour ouvrir une petite entreprise, et le capital éducatif n'est pas capable à lui seul de remplacer le capital financier. Pourtant, l'éducation ne peut que représenter un atout. D'ailleurs, un programme de développement gouvernemental comme le TRYSEM, à but ouvertement diversificateur, exige des intéressés un niveau scolaire minimal (brevet) pour pouvoir prétendre aux stages de formation qu'il propose.
33Selon le recensement de 1981, le pourcentage de population sachant lire et écrire à Mayagonahalli et Naragalu était respectivement de 55 % et 51 % pour les hommes, et 9 et 18 % pour les femmes. Dans le village irrigué de Mottahalli, seulement 31 % des hommes n'étaient pas analphabètes, et 15 % des femmes. Les chiffres sont inférieurs à ceux concernant le Karnataka tout entier5, mais sont représentatifs des moyennes régionales, puisque la partie rurale du taluk de Mandya est un peu moins alphabétisée (37 % des hommes et 17 % des femmes) que celle du taluk de Nagamangala (41 % des hommes mais seulement 15 % des femmes). Il faudra revenir sur ces chiffres, et notamment expliquer pourquoi les villages du système rural pluvial sont plus alphabétisés que ceux du système irrigué ; mais notons dès à présent l'assez grande uniformité du taux d’alphabétisation féminine, toujours très médiocre. Remarquons aussi que ce chiffre témoigne en fait d'une situation datant en grande partie d'il y a plus de 20 ans, alors que les tranches d'âge actuellement adultes étaient susceptibles d'être scolarisées. Cela signifie que le pourcentage actuel de jeunes villageois alphabétisés est bien supérieur à ces chiffres, puisque l'évolution est toujours allée dans un sens favorable depuis que les recensements enregistrent cette donnée. Selon le Census de 1911 en effet, dans le village - qui n'était pas encore irrigué alors - de « Muttinahalli » (sic), on ne comptait que cinq personnes (des hommes) sachant lire et écrire ; à Mayagonahalli, six, et à Naragalu, dix... Les progrès en ce domaine ont donc été constants, même si l'on est encore loin des résultats de l'Etat voisin du Kerala, où en 1990 un district a été déclaré (officiellement...) alphabétisé à 100 %.
34En outre, la pyramide des diplômes se rétrécit rapidement : je n'ai trouvé que 5 % de la population de Mottahalli ayant obtenu le brevet (S.S.L.C.) ou ayant échoué à cet examen à la fin de l'année de préparation ; le chiffre tombait à 0,8 % pour les titulaires d'un diplôme équivalent à nos DEUG ou DUT (ce qui n'est certes pas négligeable, dans un village). Dans les villages non irrigués de Mayagonahalli et Naragalu, le premier étant davantage alphabétisé, le chiffre des S.S.L.C. était respectivement de 11 % et 6 %, tandis que pour le DEUG on atteignait 2 % et... 0 % (sans compter les émigrés)6.
35Pourtant, l'infrastructure en matière d’équipement scolaire se renforce : à Mottahalli, on trouve une école maternelle, une école primaire, et une middle school du 5e au 7e « standard ». Ensuite, il faut aller à Kottatti, à 3 km, pour la high school qui prépare au S.S.L.C. (10e standard) ; et à Mandya pour les deux ans de junior college avant le P.U.C. (baccalauréat). Tout cela peut se faire aisément par autocar, sans que l'élève ait à loger ailleurs que chez ses parents. Mais au-delà, il faut aller à Mysore, à près de 50 km, pour la graduation (DEUG) - sauf pour l'enseignement technique, possible à Mandya - puis l'université : la navette quotidienne devient alors quasiment impossible.
36Mayagonahalli et Naragalu ont quant à eux chacun leur école maternelle (anganavadi) et leur école primaire. Une middle school, et depuis 1984 une high school privée (avec 126 élèves provenant des villages environnants), ont été construites près de la Porte de Mayagonahalli. Nagamangala propose des junior colleges, mais ensuite c'est encore Mysore qui doit accueillir les étudiants.
37Les écoles villageoises affichent un nombre assez important d'inscrits : plus de 63 % des enfants entre 5 et 16 ans sont scolarisés à Mayagonahalli et Naragalu, et presque 67 % à Mottahalli7. (Rappelons quand même que depuis 1961 l'école est théoriquement obligatoire jusqu'à 14 ans). Mais le problème est triple : d'une part les effectifs diminuent au fur et à mesure de la scolarité ; d'autre part les inscrits ne sont pas tous présents régulièrement à la classe, à cause d'un taux d'absentéisme avoisinant un tiers en moyenne, mais parfois supérieur en période de gros travaux agricoles ou de fêtes.
38Enfin, la qualité de l'enseignement est souvent sujette à caution :
- en raison de l'équipement d'abord : l'école de Mottahalli a 7 niveaux, mais seulement 5 salles de classes et 4 professeurs8. Partout on manque de bancs, de tables ; et bien des cartes murales ont été dessinées au feutre par l'enseignant.
- en raison du niveau de certains professeurs. Alors que quelques-uns ont été recrutés au mérite (mais le directeur de la middle school de Mottahalli n'est titulaire que du brevet), d'autres ont dû utiliser des moyens différents pour être engagés - ce qui ne veut pas dire forcément qu'ils soient mauvais. Cela est particulièrement courant dans le secteur privé, surtout pour des écoles qui ont besoin de fonds venant de se créer. Ainsi, le directeur-fondateur de la nouvelle high school de Mayagonahalli, titulaire d'une maîtrise en sciences politiques9, a recruté ses trois professeurs en leur demandant à chacun 20 000 Rs de « donation ». (Une somme qui d'ailleurs se révélera pour eux un investissement rentable si l'école devient publique : en tant que fonctionnaires, ils gagneront alors en effet un salaire mensuel de 2000 Rs).
- Plus généralement, l'enseignement donné en Inde est encore souvent la transmission autoritaire d'un savoir par un professeur guru à un élève dont l'intelligence n'a pour principal outil que la mémorisation par cœur. Une éducation forgeant l’unité nationale plus que la démocratie : laïque, gratuite et obligatoire, l'école indienne continue les méthodes du temps de Jules Ferry. Tous les matins, les enfants de l'école primaire se mettent « en colonne couvrez » pour chanter « Paix pour le monde ! » et « Longue vie à Bharat [l'Inde] ! » Cette militarisation de l'idéal pacifique et « séculariste » trouve son apogée tous les 26 janviers dans la célébration du Republic Day, anniversaire de la Constitution indienne. Ce jour-là, les enfants des middle et high schools de Mayagonahalli, qui ont revêtu leur plus bel uniforme, se mettent en colonnes et partent au pas cadencé (« Rightu, leftu ! ») présenter au village les images de Gandhi et d'Ambedkar, rédacteur de la Constitution10. De retour à l'école, au pied du drapeau national encore enroulé autour d'un mât orné de feuilles de bananier, on casse des noix de coco et l'on brûle de l'encens (tout à fait comme dans un temple hindou) devant une carte de l'Inde dessinée sur le sol avec des fleurs. Puis Sivarame Gowda, vice-président de la high school, a l'honneur, après plusieurs garde-à-vous et saluts militaires, de tirer sur la corde qui libère le drapeau tricolore, des fleurs tombant de ses plis. Les discours des notables et des professeurs vont pouvoir commencer, moraux, patriotiques, sécularistes et innombrables, entrecoupés par des chants d'élèves qui proclament « Hindous et Musulmans, Gita11 et Coran, ils sont tous égaux » en ces temps de troubles au Cachemire et à Ayodhya... Des enfants en haillons passant sur le chemin sont invités à assister aux chants : prosélytisme du nationalisme et de la tolérance.
39Après tout, une forme d’école semblable est bien parvenue à consolider la jeune et fragile IIIe République française. Et le fait que Gandhi soit presque divinisé (vénéré tout comme on vénérait Hoche et Joseph Bara), que l'image de la déesse hindoue de la Connaissance Sarasvati soit présente au mur de l'école, ne paraît pas contradictoire aux yeux des « sécularistes » les plus fervents avec la laïcité, ferment de l'unification nationale. Mais quand bien même le fait d'apprendre par cœur des résumés de cours serait une forme de pédagogie efficace, on ne peut que constater un décalage entre les exigences officielles des programmes et le niveau réel des élèves. Tel étudiant de P.U.C. travaille consciencieusement chez lui un texte de Mark Twain, souligne les « mots nouveaux » de la leçon comme le lui a dit le professeur, mais est presque incapable de répondre à mon « Good night ».
40D’autre part, il semble que la férule du maître prépare excessivement l'élève au respect de la hiérarchie sociale indienne. Un bon instituteur doit frapper souvent (« Ce sont des fils de paysans », m'explique-t-on), et un bon élève doit accepter les coups. Plus généralement, la pédagogie ignore tout dialogue, et l'enfant demeure excessivement passif. L'éducation est apprentissage de l'obéissance, et cela ne peut qu'avoir des conséquences sur le comportement des élèves devenus adultes. Si l'initiative ne leur est pas apprise à l'école, si elle est même souvent punie, l’esprit d'entreprise au village peut-il prospérer ? Pourra-t-on facilement faire le choix difficile de la diversification économique, quand tous les voisins restent cultivateurs et que c'est être « anormal » que de quitter l'agriculture ? Pour notre problématique, qui cherche à évaluer le poids de la contrainte et de la liberté de choix dans les décisions paysannes, cet aspect ne peut qu'être décisif. Quand un Agricultural Assistant viendra conseiller une nouvelle variété de sorgho aux villageois, ceux-ci diront « Oui swamy » à tous ses conseils, sans oser discuter ni émettre des objections (auxquelles le vulgarisateur agricole aurait d'ailleurs peut-être très bien pu répondre, et qui finalement les auraient réellement convaincus). Tandis que cette acceptation des conseils, demeurée superficielle, par l'ancien élève devenu agriculteur, n'empêchera pas le paysan d'oublier dans un coin les nouvelles semences qu'il n'avait en fait jamais eu l'intention d'utiliser.
41On l'a vu, tous les enfants ne fréquentent pas l'école. L’éducation agit en fait comme un facteur aggravant les inégalités sociales, puisqu'elle concerne moins les groupes sociaux les plus défavorisés - et cela dès les premières années d'école. Ainsi, à Mottahalli, seulement 25 % des enfants de sans-terres de 5 à 16 ans sont scolarisés, contre 70 % pour ceux des propriétaires de moins de 4 ha, et 87 % pour ceux des paysans possédant encore davantage. Les enfants des plus pauvres doivent rapporter un revenu, et on ne peut se permettre de les mettre à l'école.
42En revanche, on ne retrouve pas de telles inégalités si l'on prend la répartition par caste, étant donné que celles-ci sont assez hétérogènes socialement. Un élément vient de toute façon troubler un hypothétique déterminisme de caste. Il s'agit du système d'aides publiques accordées aux Harijan : l'école est certes gratuite pour toutes les castes dans les premiers niveaux (alors que les high schools, publiques ou privées, exigent un droit de 46 Rs par an - les castes les plus basses disposant cependant de manuels gratuits). Et si la bourse annuelle de 75 Rs dévolue à l'entrée d'un Harijan en middle school ne peut guère représenter un puissant incitatif à la scolarisation, les allocations augmentent ensuite avec le niveau des classes, pouvant atteindre 5 000 Rs à l'entrée en université, avec en plus des places réservées dans les foyers d'étudiants. Mieux : les notes minimales nécessaires à l'obtention de certains diplômes sont inférieures pour les SC/ST. Cela est un des facteurs expliquant l'importance des Harijan dans la distribution des diplômes du village, du moins à Mottahalli.
43En retour, beaucoup de Harijan aspirent à quitter l'atmosphère du village. L'école apparaît donc comme puissamment attractive, parce que le discours y est égalitaire (même si les petits Harijan jouent le plus souvent entre eux), et surtout parce qu'elle permet ensuite d'obtenir des emplois dans l’anonymat relatif de la ville, et des places dans le secteur public où il existe pour les SC/ST des reservations de postes.
44De plus, les Harijan possèdent peu de terres. A l'inverse, au moins dans le système rural irrigué, les Vokkaliga, en majorité propriétaires, ont parfois assez de terres pour qu'après le partage successoral leurs héritiers mâles puissent encore en vivre. Ils sont donc en ce cas peu motivés pour la scolarisation de leurs fils, étant donné que ceux-ci pourront tous demeurer au village. Cependant, tous les villageois quelle que soit leur caste reconnaissaient devant moi l'utilité de l'éducation (mais peut-être était-ce pour ne pas me contrarier). Tous, même à Mottahalli, sont conscients qu'elle représente le meilleur antidote au mal qui frappe les exploitations : l'amenuisement au fil des générations des superficies. Mais tous n'envoient pas leurs enfants à l'école... Car plusieurs stratégies familiales sont mises en œuvre. Elles ne suivent pas véritablement de règles communes, sinon qu’en général (il y a de nombreuses exceptions) l'aîné des enfants reste analphabète : il est trop utile pour décharger les parents, principalement pour les travaux des champs si c'est un garçon, et pour la garde des bébés nés après elle si c'est une fille. A 12 ans, un garçon peut déjà s'essayer à la charrue ; à 4 ans, une fillette porte sa petite sœur sur la hanche. L'enfant coûte moins qu'il ne rapporte. Ce n’est que depuis une dizaine d'années que certaines familles aisées envoient même leur aîné à l'école12.
45De toute façon, l'éducation d'un enfant coûte cher : moins par le coût de la scolarité que par le coût d’opportunité de cette main-d’œuvre potentielle qu'on perd en l'envoyant à l'école. Et il en va de même lorsqu'il s'agit de filles : la fille aînée de ce Vokkaliga de Naragalu était en middle school quand sa grand-mère tomba malade et que sa mère accoucha d'un autre enfant. On avait besoin d'une femme à la maison ; elle quitta l'école.
46Il est sûr que les filles ont un taux de scolarisation inférieur à celui des garçons. Nées de paysans, elles sont destinées pour la plupart à devenir femmes de paysans : leurs tâches seront avant tout ménagères, ainsi que les travaux des champs. A quoi servirait alors l'éducation ? Qu'elles aillent à l'école jusqu'à savoir lire et écrire, tant mieux si on en a les moyens. Pouvoir lire une lettre de son fils émigré à Bangalore, savoir faire les comptes de l'épicerie ouverte par son mari ne sont pas des choses inutiles. Mais au delà, estiment certains, cela représente du temps perdu. Pourtant, de plus en plus l'éducation de la fille apparaît comme avantageuse : non seulement pour sa place dans la vie en société, mais aussi parce que cela permet au père de n'accorder qu'une faible dot lors de son mariage, en raison de la « valeur » de sa fille.
47C'est pourquoi l'on rencontre de plus en plus de familles dont tous les enfants, filles et garçons, sont scolarisés. Cela représente un gros sacrifice : ce Vokkaliga de Naragalu, qui n'est allé que 2 ans à l'école, y a mis ses quatre enfants, fils et filles : en cela il représente un cas encore assez exceptionnel au village. C'est qu'il en a tout juste les moyens, avec 2,4 ha non irrigués qui lui permettent de ne pas travailler comme journalier mais ne l'empêchent pas d'acheter en plus 3 q d'éleusine et 1 q de riz chaque année pour la consommation de sa famille. Sans l'aide de ses enfants, il manque de main-d’œuvre : il doit donc engager des salariés pour l'aider à labourer ses champs, et ne peut élever que son attelage de bœufs : point de bufflesse, ni de vache, de chèvre, ou de mouton. Il faut dire que le fils aîné lui coûte cher : après avoir obtenu son brevet, celui-ci prépare un diplôme de travaux publics (civil engineering) dans un institut privé de Nagamangala. Le père doit payer 1 750 Rs de droits annuels, mais a dû verser en outre 6 000 Rs de « donation » à l'établissement. Et de se lamenter sur l'échec de son fils au concours d'entrée à l'équivalent public de cet institut, car là-bas un certificat de revenu l'aurait exempté de la plupart des charges...
48Il est probable que de ses trois fils, l’un au moins abandonnera l'école, après le brevet au plus tard. Car il faudra bien quelqu'un pour reprendre l’exploitation. Si l'on tient à limiter les partages successoraux par la scolarisation des fils et leur entrée dans le monde professionnel non agricole, on n'en est pas en effet à souhaiter que la terre quitte la famille faute de fils prétendant à la reprise de l'exploitation. Aussi peut-il s’ensuivre des conflits à l'intérieur même de la maisonnée : ce Vokkaliga de Mottahalli, sachant tout juste lire et écrire, doit engager un jeune domestique Harijan à demeure pour l'aider à cultiver 1,2 ha irrigué et 0,8 ha sec. En effet, ses deux filles sont à l'école, et son fils unique prépare le baccalauréat à Mandya : celui-ci voudrait tenter ensuite le Bachelor of Arts, mais son père s'y oppose ; c'est que la scolarisation de son fils lui coûte 6 Rs et trois repas par jour donnés au valet de ferme, et qu'il sent venir l'âge où lui-même ne pourra plus labourer.
49Or des études après le P.U.C. incitent rarement à rester au village. L'espoir de tous : devenir fonctionnaire, et jouir alors tout à la fois d'un bon salaire, de la sécurité de l'emploi, de sécurité sociale et d’une retraite. Ce rêve est particulièrement accessible aux Harijan, grâce aux quotas d'emplois qui leur sont réservés. Pour les autres, il leur faut en général se résigner au secteur privé. Mais les emplois sont rares de toute façon, et le chômage frappe durement les diplômés en Inde. Si la famille dispose de ressources financières, on peut au moins temporairement investir dans l'achat d'une licence d'entrepreneur de travaux publics, ou servir de courtier pour une rizerie. Dans tous les cas, rarement est engendrée une diversification économique sur place.
50Et le plus souvent, même au chômage, les mains de ce diplômé sont perdues pour l'agriculture. Du moins en zone irriguée : à Mottahalli, bien des jeunes gens frais émoulus de quelque college de Mandya restent au village en attente d'un emploi. En janvier, alors que toute la population est occupée aux champs, ils sont les seuls visibles dans les rues désertes, sirotant un thé, discutant du dernier film de Ragavindra Raj Kumar ou de politique. Leur père possède 3 ou 4 ha irrigués et peut les entretenir le temps qu'ils trouvent un emploi. « De toutes façons, dit un paysan, si mon fils travaille 2 heures aux champs, il faut ensuite payer 25 Rs pour un docteur ».
51Point de tels « fils à papa » dans le système rural pluvial. Là, presque aucune famille n'a les moyens d'entretenir de tels oisifs, fût-ce à titre temporaire. Les diplômés sont de toute façon plus rares. Surtout, les stratégies villageoises ne sont pas les mêmes. A Mottahalli, on accepte rarement les emplois plus loin que Bangalore, à moins qu'ils ne soient extrêmement qualifiés. A Mayagonahalli et Naragalu, même ceux qui n'ont pas le brevet sont prêts à partir : c'est qu’il existe depuis le début des années 1940 une tradition d'émigration lointaine qui a ouvert des circuits vers Bangalore, Bhadravati, Ooty ou même Bombay.
52C'est cette émigration qui explique sans doute que le système rural pluvial soit davantage alphabétisé que le système irrigué (au moins en ce qui concerne la population adulte). D'un côté en effet, l'irrigation, en permettant à la plupart de la population, propriétaires comme journaliers, de vivre de l'agriculture, n'est pas un facteur qui encourage à la scolarisation - et en cela on rejoint tout à fait la thèse de T.S. Epstein. Et de l'autre, l'émigration rend nécessaire l'alphabétisation dans le système pluvial : il convient en effet d'au moins savoir lire et écrire pour pouvoir faire l'addition dans un restaurant de Bangalore ou être engagé pour certaines tâches dans l'aciérie de Bhadravati. Surtout, la scolarisation, même courte, même chargée des défauts de l'école indienne relevés plus hauts, délie l'esprit, ouvre à l'extérieur, et permet une adaptation plus facile dans un monde urbain qui apparaît d'autant plus « étranger » qu'on y parle tamoul, marathi ou hindi. De fait, on constate une différence de 27 % entre le taux d’analphabétisme de la population masculine émigrée à Mayagonahalli et Naragalu et celui des hommes restés au village. L'émigration incite à la scolarisation (sans doute autant que l'inverse) : les pères envoient leurs fils à l'école au cas où ceux-ci devraient émigrer plus tard, ayant eux-mêmes trop souffert de ne pas avoir eu suffisamment d'éducation, ne serait-ce que 2 ou 3 « standards », pour avoir pu partir. Une preuve a contrario en est que les femmes, qui n'émigrent jamais, sinon parfois pour retrouver leur mari qui s'est assuré une situation solide, savent aussi peu lire et écrire à Mottahalli qu'à Mayagonahalli et Naragalu, aussi peu dans la partie rurale du taluk de Mandya que dans celle de Nagamangala.
53Mais là encore, une telle scolarisation, qui ne fait qu'encourager l'exode rural, n'engendre guère de diversification localement, sinon quelques commerces. Elle ne représente qu'un potentiel diversificateur dont on ne sait s'il pourrait fonctionner dans un avenir proche. Elle a cependant un effet positif immédiat, outre de soulager la pression démographique : celui de procurer aux paysans une qualification qui leur permette d'améliorer leur agriculture. En ayant discuté avec des cultivateurs analphabètes et avec d'autres qui ne l'étaient pas, j'ai pu constater combien le contact était plus facile avec ceux qui avaient passé ne serait-ce que 4 ou 5 ans à l'école. Avec les autres, tout « dialogue » (dans la limite permise par le truchement de l'interprète) était souvent impossible, tant leur étaient difficiles la compréhension de questions que je considérais comme simples, ainsi surtout qu’un effort de conceptualisation même très limitée dans leurs réponses. Or l'agriculture indienne est une agriculture de contacts, ouverte en amont et en aval en raison de l'importance croissante des circuits économiques privés, mais aussi en raison de la place des structures publiques, que ce soit pour l'approvisionnement en semences, engrais ou crédit, ou pour la commercialisation des produits. Le paysan se frotte toujours davantage à des fonctionnaires plus ou moins attentifs à ses demandes, à des marchands plus ou moins honnêtes. L'accès aux pouvoirs administratifs et politiques locaux est de plus en plus nécessaire pour le développement d'une exploitation. Certes, les intermédiaires sont bien là, à attendre à l'ombre d'un banian dans la cour du taluk office, pour servir d'écrivain public ou d'introducteur auprès de quelque officiel. Mais ils ne peuvent apprendre au paysan à délier sa langue, à défendre son point de vue et ses droits. Et il est sûr que l'éducation ne peut qu’améliorer l'esprit d'entreprise, la rationalisation et l'amélioration de certaines pratiques agricoles. Ce qu'on a pu écrire au sujet du fonctionnement de la pensée et des capacités d'abstraction et de raisonnement dans les sociétés disposant de l'écriture, comparées avec celles qui en sont dépourvues13, pourrait sans doute être appliqué - non sans quelque audace - aux exploitations agricoles dirigées par des paysans sachant lire et écrire, en comparaison avec celles dirigées par des analphabètes.
54Au total, diverses stratégies sont développées par les paysans pour l'éducation de leurs enfants, en fonction de leurs besoins en main-d’œuvre, de leurs possibilités financières, de la taille de leur exploitation, de leur propre niveau d'éducation, des perspectives en matière d'émigration et d'emploi non agricole... Mais bien des exploitations, à caractéristiques égales (caste, terre, main-d'oeuvre...) ne suivent pas les mêmes stratégies. Tel agriculteur qui a de grandes ambitions pour ses fils les maintiendra tous à l’école ; tel autre, qui ne croit qu'en l'agriculture, les en ôtera rapidement. Il me semble - c'est du moins l'hypothèse que l'on va tenter de prouver à présent - qu'il n’est jamais possible d'expliquer complètement par des facteurs objectifs les décisions prises au niveau de l'exploitation ou de l'individu. D'où vient le mépris de ce paysan pour ces gens qui passent leur temps dans leurs livres au lieu de « vraiment travailler » de leurs mains ? Pourquoi cet autre au contraire a-t-il la lucidité de prévoir que d'ici deux générations, son patrimoine aujourd'hui pourtant important sera divisé en de minuscules exploitations non viables, et qu'il faut donc miser sur toutes les possibilités de diversification accessibles ? Brandir un strict déterminisme socioéconomique se révèle insuffisant pour prévoir ou expliquer tous les comportements paysans - ou, disons-le, humains. Les logiques individuelles comme celles au niveau de l'exploitation nécessitent une approche plus humble et nuancée.
Notes de bas de page
1 J. Manor (1979) précise qu'un journal du Karnataka alla même en 1961 jusqu'à démontrer que Khrouchtchev et Kennedy étaient des Vokkaliga, puisque descendants d'agriculteurs ! L'équation « Vokkaliga = agriculteur » peut être exploitée électoralement par certains hommes politiques, tel l'ancien ministre (Vokkaliga) H.D. Deve Gowda qui affirmait qu'un gouvernement anti-Vokkaliga était par définition un gouvernement ennemi de tous les agriculteurs (Deccan Herald, 18 mai 1989).
2 T.S. Epstein (1962) raconte que dans le village de Wangala, voisin de Mottahalli, une rue abritait dans les années 1940 quinze familles musulmanes. En 1955, il n'en restait plus une ! Toutes étaient parties profiter de la croissance urbaine de Mandya et y ouvrir des commerces.
3 Evoquons simplement le seul problème de l'énergie. Toute activité nécessitant de l'électricité devra compter au village avec les coupures de courant quotidiennes, parfois régulières (toutes les fins d'après-midi jusque vers 20 h), parfois complètement inattendues. Cela explique que les moulins à jagre de Mottahalli doivent fonctionner souvent en pleine nuit pour rattraper l'oisiveté forcée de la journée. Tout ceci sans parler des chutes de tension, qui obligent à un type de matériel particulièrement robuste, voire à un onduleur.
4 Encore le degré de « sécheresse » demeure-t-il très relatif, car Dalena se trouve à quelques kilomètres seulement de la zone alimentée par l'eau du barrage du KRS, et nombre de ses habitants possèdent donc des terres irriguées dans les villages voisins.
5 La moyenne de l’Etat en 1981 est de 49 % pour les hommes et de 28 % pour les femmes. Il est vrai qu'elle concerne ici la population aussi bien urbaine que rurale.
6 Si l'on compte 8 abonnements à un journal quotidien (en kannada) à Mottahalli, il y en a seulement 2 dans tous les 5 villages autour de Mayagonahalli et Naragalu.
7 Ce qui veut dire que la scolarisation des jeunes du village irrigué est maintenant au moins égale à celle des villages « secs » - alors que le taux d'analphabétisme de l'ensemble de la population demeure encore supérieur. Preuve des gros progrès de la scolarisation dans un passé récent ; et peut-être signe avant-coureur d'une diversification à venir.
8 Le jour de ma visite, l'instituteur en charge des 80 élèves des 3e et 4e « standards » était absent.
9 Pour cette matière la plupart des cours universitaires sont en anglais. Une langue que ne parle pourtant pas cet homme, ce qui laisse également un doute sur la qualité de certains diplômes donnés par l'université.
10 B.R. Ambedkar (1891-1956) étant d'origine Harijan, lui rendre hommage c'est aussi une manière pour l'Etat de travailler à l'égalité des droits entre les Intouchables et les autres castes. Le fait qu'il se soit converti au bouddhisme à la fin de sa vie pour appeler les Harijan à sortir de l'hindouisme n'est d'ailleurs pas occulté, et sur son portrait qui orne la plupart des écoles indiennes est visible un petit Bouddha à l'arrière-plan.
11 La Bhagavad Gita, poème sanscrit inséré tardivement dans le Mahabharata, est considérée comme un livre saint faisant partie de la Révélation (shruti).
12 Autre inconvénient de la scolarisation : alors que les grandes vacances en France avaient lieu à l'époque des moissons et des vendanges, celles-ci ont lieu au Karnataka en avril-mai, période où la main-d’œuvre enfantine est peu utilisée car les travaux agricoles sont consacrés essentiellement aux labours. Tandis que c'est au moment où les enfants pourraient aider aux sarclages et désherbages qu'il leur faut reprendre le chemin de l'école. Avancer ou retarder la date de ces vacances serait donc souhaitable car le coût d'opportunité de la scolarisation gênerait moins les parents... mais il faudrait alors assister aux cours sous les plus fortes chaleurs de l'année.
13 Cf. J. Goody, La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Minuit. 1979, 275 p.
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