II. Mottahalli et le barrage du KRS
Le système rural irrigué
p. 79-109
Texte intégral
A. UNE REVOLUTION VERTE AVANT LA REVOLUTION VERTE
1. L'arrivée de l'irrigation
1L'irrigation par canal n'était pas inconnue dans le sud du Karnataka avant le XXe siècle. C'est ainsi que le fleuve Kaveri avait permis de creuser à la fin du XVIIe siècle le canal de Chikkadevararaja Sagar (CDS), et sous Tipu Sultan celui de Ramaswamy, en élevant des anicuts, petites digues qu'on construisait aussi en saison sèche dans le cours même de la rivière afin d'en élever le niveau de l'eau. Mais en 1948, aux temps où M.N. Srinivas étudia son célèbre village de Rampura, baigné par la Kaveri, ces deux canaux n'étaient ouverts que du 10 juin au 10 janvier, et souffraient d'une alimentation en eau parfois très déficiente (M.N. Srinivas, 1976).
2Au total, en 1922-23, dans le district de Mysore (qui incluait alors celui de Mandya), seulement 7 % de la surface cultivée étaient irrigués par des canaux branchés sur la Kaveri, et 3 % par des tanks (étangs d'irrigation traditionnels). Construits dès l'époque des Ganga à l'initiative de princes, de gros propriétaires, de prêtres ou de conseils de village, encouragés par l'Etat qui pouvait offrir des terres exemptes d'impôt aux bâtisseurs, les tanks ne représentaient cependant que de maigres palliatifs à une mousson déficiente (Singaravelou, 1986 ; F. Durand-Dastès, 1966) ; dépendants eux-mêmes des pluies locales, ils ne faisaient que retarder l'échéance. Aujourd'hui, ces tanks existent toujours ; établis en chapelets le long des vallées, afin que ceux en aval puissent récupérer l'eau issue des tanks en amont, réparés et aménagés au cours des siècles, ces étangs sont entretenus pour les plus gros par le département des Travaux Publics (PWD), pour les autres par les villageois eux-mêmes. Souvent la digue qui ferme le vallon a été maçonnée ou empierrée. Mais l'utilisation des tanks se limite toujours à une échelle spatiale restreinte, celle du village, guère plus. Cette utilisation est limitée dans le temps aussi : il est bien rare que demeure suffisamment d'eau dans le tank pendant la saison sèche pour permettre une seconde culture karu.
3Dans un tiers du district de Mandya, un grand barrage sur la Kaveri rend secondaire la présence des tanks. Au début du XXe siècle, le maharaja de Mysore, Krishnaraja, avait pour diwan (premier ministre) M. Vishveshvarayya, un chaud partisan du développement économique par l'intermédiaire de l'industrialisation lourde - qui influencera beaucoup Nehru. Fort de sa devise « S'industrialiser ou mourir », il envisageait de développer sidérurgie, chemin de fer et machines-outils. Mais pour doter Mysore d'une infrastructure industrielle, il fallait de l’énergie. Aussi fut-il décidé de construire sur la Kaveri ce qui serait pour l'époque un des plus grands barrages du monde, ouvrage qui, produisant de l'hydro-électricité, pourrait en outre irriguer une partie du sud du Karnataka. C'est en 1914 que fut commencé le KRS. Sa construction dura jusqu'en 1932, déplaça 15 000 personnes, exigea le percement d'un tunnel de près de 3 km pour faire passer le canal d'irrigation principal. Le barrage est long de 2621 m, haut de 40 m, d'une capacité de 1,2 milliards de m3 et alimente aujourd'hui, après prolongement des canaux, un total de 72 160 ha (D. Soulancé, 1991).
4Cette réussite indéniable, pour laquelle les touristes indiens font des centaines de kilomètres afin de la voir illuminée dans un style disney-landesque, avait pour premier objectif l’énergie à vocation industrielle. Ce n'est que presque incidemment qu'elle se trouva jouer un rôle pour l’agriculture. Autre conséquence de la construction du KRS, appelée à faire couler beaucoup d'encre (voire même du sang en décembre 1991) : la dispute pour les eaux de la Kaveri entre l'Etat de Mysore et la Province de Madras, poursuivie aujourd'hui entre leurs héritiers, le Karnataka et le Tamil Nadu. Que le Karnataka prélève trop d'eau de la Kaveri (ou de ses affluents en cours d'équipement comme l'Hemavati), et c'est en aval tout le delta tamoul, un des « greniers à riz » de l'Inde du sud, qui se trouvera touché (J. Racine, 1985). Or le Karnataka n'a pas encore complètement utilisé tout son potentiel d'irrigation. Et les 59 % de sa population active qui vivent de l'agriculture font pression sur le gouvernement pour qu'il ne cède pas au Tamil Nadu, ni aux jugements régulièrement prononcés dont le dernier en date, en juillet 1991, veut limiter l'irrigation dans le bassin amont de la Kaveri et oblige à libérer de l'eau au profit du Tamil Nadu : de quoi risquer, si cela était appliqué, d'amoindrir les rendements agricoles dans le bassin de Mandya, et d'empêcher l'extension des surfaces irriguées du Karnataka (actuellement un quart de la surface cultivée de l'Etat - et 37 % de celle du district de Mandya).
Source d'irrigation (1986-87)(en % des terres irriguées) | canal | puits | tanks |
District de Mandya | 81,7 % | 8,1 % | 8,5 % |
Karnataka | 44 % | 24,7 % | 14,2 % |
5Le district de Mandya est particulièrement favorisé par rapport au Karnataka en ce qui concerne l'irrigation par canal. A l'intérieur du district, le taluk de Mandya se taille la part du lion, avec 27 % des terres irriguées par canal (nale) dans le district, mais est bien moins loti en tanks (kere) (ceci expliquant peut-être cela), alors que la situation du taluk de Nagamangala, au nord du district, est exactement l'inverse :
6Sont claires dès à présent les énormes différences qui opposeront nos deux systèmes ruraux sélectionnés dans ces deux taluks, d'autant plus que Mottahalli, le village irrigué, est situé dans la zone la mieux alimentée en eau par le KRS (fig. 6).
7Le périmètre irrigué par ce barrage est en effet loin d'être uniforme. Du KRS partent deux canaux, le canal Devaraj Urs, le moins important, et le canal Vishveshvarayya, plus au nord. Ce dernier se sépare lui-même en deux branches, celles de Maddur et celles de la Kaveri (fig.8). C'est la branche Kaveri, longue de 40 km, qui est la mieux alimentée : elle irrigue 10 353 ha (Government of Karnataka, 1988). C'est elle qui alimente le village de Mottahalli.
8Or elle ne concernait que 5 897 ha en 1967. La croissance de la « superficie dominée » (Command Area) du KRS n'est pas sans avoir posé de nouveaux problèmes, car l'alimentation en eau n’a pas crû en proportion. En outre, dès l’origine, à la fin des années 1930, existait déjà un rationnement : même si la mousson en amont, sur les Ghâts, est satisfaisante, le réservoir du KRS ne peut obtenir un niveau d’eau suffisant pour alimenter en permanence et à volonté toute la superficie dominée. Même les bonnes années, il faut donc rationner l’eau, et établir un roulement à tous les niveaux : la branche Kaveri est pleine en permanence de juin à décembre environ, mais ensuite, pendant la saison sèche, on la ferme pendant de courtes périodes. Davantage en aval, et c'est ce qui intéresse plus directement les agriculteurs, les canaux secondaires obéissent à un rationnement encore plus strict. Ainsi des canaux no 11 et 12 qui, partant de la branche Kaveri, alimentent le village de Mottahalli, et sont le plus souvent ouverts et fermés par périodes de 5 jours. Mais il faut en outre distinguer la situation des parcelles situées au départ du canal de celles plus en aval, et surtout des tail-ends, des terres en queue de réseau, qui passent après toutes les autres si un minimum d'organisation n'est pas assuré.
9Or une telle discipline n’est pas aisée à faire respecter. On estime que les agriculteurs de Mandya utilisent 1,75 fois la quantité d'eau autorisée (B.S. Bhooshan, 1984). Pendant la saison sèche, de nuit, des paysans n'hésitent pas à ouvrir les vannes pour alimenter leurs champs. Il faut que les services d'irrigation instaurent des patrouilles, mais « les ryots [paysans] sont si intelligents qu’une fois la patrouille partie, ils détournent l'eau des canaux » (Government of Karnataka, 1988). La police doit donc parfois intervenir, et rarement pacifiquement.
2. La prédominance de la canne à sucre : une adoption culturale encadrée
10Le gouvernement du maharaja avait choisi : Mandya serait le district de la canne à sucre, tout comme Chitradurga serait le district du coton, et Chikkamagalur celui du café. Aussi s'ouvrit en 1934 à Mandya la Mysore Sugar Factory, à capitaux publics pour 60 %, qui devait raffiner la canne produite localement avec une capacité initiale de 400 t de canne par jour. T.S. Epstein (1962) a conté combien il fut difficile de convaincre les paysans de cultiver de la canne à sucre. Incitations par un crédit facile délivré par la raffinerie, vulgarisation agricole, cultures de démonstration faites sur l'importante plantation que possédait à l'époque la raffinerie près de Mottahalli, il fallut tout mettre en œuvre... Non pas que la canne à sucre ait été totalement nouvelle pour les paysans : des variétés locales traditionnelles, cultivées avec le secours de puits ou de tanks, étaient broyées artisanalement pour donner un sucre brut de mauvaise qualité. Mais les étendues restaient très limitées, et surtout les itinéraires techniques des nouvelles variétés que la raffinerie de Mandya tentait d'implanter exigeaient beaucoup plus de temps, d'engrais et de capitaux que la rustique canne pattapatti.
11D'autre part, il s’agissait là de consacrer désormais l'essentiel des bonnes terres à une culture purement commerciale. Rien de comparable avec les quelques cultures marchandes qui existaient auparavant, très secondaires (oléagineux), ni avec les ventes de céréales résultant des surplus de gros propriétaires ou des besoins d'argent de petits paysans : dans ce cas il s'agissait de « vivrier marchand », de stocks qu'en cas de besoin on pouvait toujours consommer. Tandis qu'il est bien difficile de se nourrir de canne à sucre... Le changement des systèmes de culture passait donc par une acceptation d'un certain risque de la part des agriculteurs, donc par une transformation des stratégies, voire même des logiques paysannes.
12Enfin, les paysans manquaient de familiarité avec les systèmes de culture irrigués. Limitées aux alentours des tanks et des puits, les surfaces irriguées étaient en effet minimes avant 1940, et souffraient d'une alimentation en eau souvent déficiente. La culture dominante, qui représentait la base des rotations, procurait - et procure toujours - l’essentiel de la nourriture des populations, c'était l'éleusine (Eleusine coracana), appelée en kannada comme en hindi ragi (en anglais finger-millet en raison de sa forme digitée), et qu'on retrouvera comme telle dans le système rural pluvial.
13Culture symbole du plateau de Mysore (alors que le reste du Deccan semi-aride est plutôt dominé par le sorgho), l'éleusine voisinait parfois avec du paddy1 pluvial (Oryza sativa, kannada batta). Sur les plus hautes terres on pouvait semer en outre des oléagineux comme le ricin (Ricinus communis, kann, haralu, angl.castor) ou l'uchellu (Guizolia abyssynica, angl. niger), des légumineuses comme le pois d'Angole (Cajanus indicus, kann, togari, angl. red gram), le dolique (Dolichos lab lab, kann, avare), l'alasande (Vigna catiang, angl. cow-pea), le grain de cheval ou dolique biflore (Dolichos biflorus, kann, huruli, angl. horsegram), mais aussi du sorgho (Sorghum vulgare, kann jola, hindi jowar) ou d’autres millets rustiques.
14Toutes ces plantes n'ont subsisté aujourd'hui que sur les terres de plateau trop en altitude pour pouvoir être atteintes par les canaux d'irrigation. Dans les villages bien irrigués comme Mottahalli, leur rôle n'est plus de toute façon qu'anecdotique, à vocation presque uniquement vivrière. Certes, des cultures sèches à semences améliorées comme l'arachide sont apparues. Mais la double culture sorgho puis grain de cheval s’est raréfiée, et des plantes comme le dolique ne sont plus cultivées, de même que l'éleusine, qui a quasiment disparu des plateaux non irrigués. Ce millet ne subsiste pratiquement plus que sous forme de variété améliorée (Indaf 5 en général) dans les rotations irriguées de fond de vallée, ce qui permet d'atteindre des rendements de 35 q/ha. Comme le marché national de l'éleusine est extrêmement réduit, et qu'elle n’est presque jamais en vente dans les boutiques du Public Distribution System, les paysans veulent en cultiver suffisamment pour assurer leur autosuffisance et se rendre indépendant du marché. En outre, sa courte période de maturation (110 jours) et sa faible exigence en eau sont fort utiles pour terminer les rotations en saison sèche, lesquelles incluent en outre du paddy (lui aussi culture vivrière essentiellement, tout comme l'éleusine irriguée), et surtout de la canne à sucre, culture commerciale par excellence.
15Le profil cultural type de la région de Mottahalli est donc le suivant :
16Sur la rive sud du canal, non irriguée, ainsi que sur les trop hautes terres des villages reliés au canal, sont semées les cultures pluviales qui témoignent des systèmes de cultures préexistants à la mise en irrigation (fig.9). Elles passent toujours après les systèmes de culture irrigués, tant pour l'investissement en temps ou en engrais que pour les rendements, très faibles (8 q/ha en moyenne).
17Dans les fonds de vallée règne la trilogie canne/paddy/éleusine : assez souvent (bien qu'il n'existe pas de véritable « rotation-type »), le paysan commence par deux ou parfois trois cultures de canne consécutives, dont seule la première est plantée : les deux suivantes sont des repousses (ratoon), dont les rendements sont moindres parce que les cultivateurs se refusent à y appliquer suffisamment d'engrais, mais qui sont rentables car elles permettent d’économiser de la main-d’œuvre. La canne est ensuite généralement suivie par une culture de riz, puis par de l'éleusine en saison sèche. Parfois même, si la parcelle est exceptionnellement bien irriguée, on peut faire deux récoltes de paddy consécutives dans l'année. Tandis qu'en situation intermédiaire sur les versants mal irrigués, la faible disponibilité en eau rend difficile la culture de canne à sucre et limite la production à une récolte de paddy, ou parfois à de l'éleusine irriguée, à moins que des puits (dont le forage n’est autorisé qu’à plus de 150 m du canal) ne puissent apporter un surcroît d'irrigation. Mais toujours la priorité dans les rotations sera donnée à la canne.
18L'Inde est le premier producteur au monde de sucre, tout comme de canne à sucre, et c'est sans doute d'Inde qu'est originaire cette plante (Saccharum officinarum, kann, kabbu), dont le nom sanscrit, sharkara, a donné notre « sucre » (sakkere en kannada)2. On en a mention en Inde dès 800 av. J.C. L'Asie perdit de sa prédominance après que Christophe Colomb introduisit la canne à sucre à Hispaniola en 1494, mais après 1800, au moment des révoltes à Haïti et St Domingue, l’Inde devint premier exportateur mondial, jusqu'à ce que l'essor de la betterave à sucre tempérée ne lui porte un coup sérieux. Aujourd'hui, les rendements en Inde (60,7 t/ha en 1988-89) sont seulement légèrement supérieurs à la moyenne mondiale, mais le pays doit certaines années importer du sucre pour compenser une production nationale trop faible pour la consommation de 900 millions d'habitants. Le Karnataka est le 4ème Etat sucrier de l'Inde, tant pour la superficie en canne que pour la production de sucre ou le rendement (78 tonnes de canne par hectare et 28 t de sucre/ha en 1978-84, soit 3 fois moins que l'Etat du Maharashtra, bon premier) (H. de Haan, 1988).
19En 1987-88, le district de Mandya avait 14 % de la superficie en canne du Karnataka (alors qu'il ne représente que 3 % de la surface de l'Etat). Et 41 % de la superficie en canne de ce district se trouve dans le taluk de Mandya, autour de Mottahalli. C'est dire l'importance sucrière de la région. Grâce à la généralisation de l'irrigation, et par la suite à l’adoption de la canne par la plupart des paysans disposant de parcelles en eau, les surfaces en canne ont augmenté de 229 % dans le district entre 1955 et 1984 ! Mettons en parallèle d'autres chiffres : c'est le district de Mandya qui a les meilleurs rendements de l'Etat, avec 109 t/ha, presque le double du rendement moyen en Inde. A Mottahalli, on atteint en moyenne les 125 t/ha en culture de première année. Et l’on aura un bilan de l'action des pouvoirs publics depuis 1939 dans la région.
20Le voyageur qui va de Bangalore à Mysore en janvier-mars est d'ailleurs frappé, après des kilomètres d'étendues jaunes et desséchées, par le vert sombre de la canne et celui plus acide du paddy qui soudain, une fois franchi le canal, viennent frapper le regard. De juillet à octobre, l'air est empli de l'odeur du sucre brut que l'on est en train de fabriquer artisanalement. En arrivant à Mandya, les cheminées de la raffinerie distillerie percent l’horizon. On entre dans le pays du sucre.
21Il ne paraît pas exagéré de parler à ce sujet de « révolution verte » avant la lettre. Rappelons que la Révolution Verte en Inde, qui ne se développa réellement qu'après la terrible alerte alimentaire de 1965-66, était une stratégie productiviste visant à donner au pays l'autosuffisance alimentaire. Un pari qui pouvait sembler fou à l'époque, alors que l'Inde dépendait des aides internationales. Avec d'importants investissements du gouvernement qui voyait les dangers d'une planification trop tournée jusque là vers le secteur industriel, ainsi qu'avec l'aide américaine (Fondation Ford notamment), furent sélectionnés quelques districts, déjà gros producteurs, dans le cadre de l'Intensive Agricultural District Programme (IADP) lancé en 1960. On tenta d'y développer - avec succès du point de vue des rendements - une agriculture productiviste fondée sur l'utilisation de semences améliorées (High Yielding Varieties, HYV), d'engrais chimiques et d'irrigation.
22Or il est intéressant de noter que ce triptyque était déjà largement connu du district de Mandya. Celui-ci disposait en effet déjà d'irrigation en 1940, du moins dans les zones alimentées par le canal Vishveshvarayya. Certes, les engrais chimiques n'ont été réellement adoptés par tous les paysans qu'à la fin des années 1960, mais beaucoup en utilisaient dès 1950, y compris sur les cultures pluviales comme l'éleusine.
23Quant aux semences améliorées, elles s'étaient imposées aussitôt, du moins pour la canne à sucre (pour le paddy, elles n'ont aujourd'hui toujours pas complètement chassé les variétés locales, lesquelles demeurent les plus courantes au moins pendant les cultures de saison sèche et atteignent des rendements de 62 q/ha en moyenne, contre 75 pour les HYV). De loin la plus cultivée de ces variétés améliorées, la canne CO 419 à la tige rougeâtre, riche en sucre avec un optimum à 13 mois, fut conçue à Coimbatore en 1933 dans une station de recherche qui a produit des variétés utilisées aujourd'hui aussi bien au Mexique qu'au Kénya (F. Fauconnier, D. Bassereau, 1970).
24On comprend que le district de Mandya ait été sélectionné par l'IADP en 1962 pour former l'un des bastions de la Révolution Verte. Celle-ci n'a eu qu'à prolonger les acquis obtenus 20 ans auparavant. La révolution vert sombre de la canne était déjà faite. Ou du moins la conversion au moins partielle des mentalités à l’agriculture purement commerciale se trouvait déjà réalisée : une tâche qui était en soi autrement plus difficile que d'augmenter par exemple la production de blé des agriculteurs du Panjab ou d'Haryana, ce qui fut fait à la même époque. Car dans ce dernier cas, il ne s'agissait finalement que d'augmenter les surplus d'une agriculture dont les espèces cultivées ne changeaient pratiquement pas. On voulait seulement un changement quantitatif, et non qualitatif. Il n'était question que de secteur vivrier marchand, et non de secteur purement commercial.
25Pour les autres cultures irriguées, et notamment le paddy (A. Angladette, 1966), l'évolution lors de la période 1940-1960 avait été moins brutale. Aujourd'hui certes, dans une Inde second producteur mondial de paddy, au sein de l'Etat du Karnataka dont les rendements (1,9 t de riz par hectare en moyenne en 1981-86) sont supérieurs à ceux de l'Inde (1,4 t), le district de Mandya fait fort bonne figure : les rendements sont de 3,1 t/ha, sans doute parce que le paddy est à 82 % une variété à haut rendement. Avantage assurément dû à l'irrigation par canal... En fait, le rendement moyen de riz hainu de mousson est le plus élevé de tout le Karnataka3. C'est bien cette fois un résultat de la Révolution Verte, et non d'une période antérieure.
26Car ce que les pouvoirs publics avaient en tête en 1939 était une quasi-monoculture de la canne, et non un développement conjoint de la riziculture qui n’aurait pu qu'entraîner une néfaste compétition pour l'eau. Aussi n'est-il pas étonnant, vu le peu d'encouragements officiels au départ, que les variétés améliorées de paddy (IR 20, Jaya...) aussi bien que d'éleusine n’aient été pleinement adoptées qu'après 1970.
27C’est ce même désir d'économiser l'eau qui a fait instaurer des tours d'irrigation associés à une réglementation théoriquement très stricte concernant les cultures autorisées. En début de chaque saison, le Superintending Engineer chargé du canal Vishveshvarayya publie une note que l'administration fiscale locale, en la personne du « comptable de village » (Village Accountant), est chargée de faire respecter. Les décisions varient selon les années, c'est-à-dire selon le niveau d'eau disponible dans le KRS, mais en règle générale, en saison sèche, souvent à partir du 31 décembre, aucune culture n'est autorisée à bénéficier d'irrigation du canal à l’exception de la canne à sucre déjà plantée. En pratique, cela veut dire que seules sont autorisées les cultures pouvant se contenter d'un sol humidifié par la récolte irriguée précédente, ou d'une très maigre irrigation lors des bonnes années : millets, légumineuses, oléagineux « secs ». Sauf très bonnes pluies, en aucun cas n'est concevable une deuxième culture de paddy qui suivrait celle de mousson, à moins que le contrevenant ne paie une amende de 1000 Rs/acre.
28Promenons-nous maintenant en février dans le taluk irrigué de Mandya. Les deux-tiers environ de la surface cultivée sont occupés par de la canne à sucre, tout à fait légalement. Le reste a une couleur vert tendre qui ne trompe pas : du paddy fraîchement repiqué, au nez et à la barbe de l'administration. Quand on interroge un Village Accountant, il répond d'un soupir quelque peu forcé : « Si j'impose une amende, personne ne voudra forcer le fautif à la payer ». La vérité est qu'en raison de la pression des agriculteurs et de la puissance de leur syndicat Rajya Ryota Sangha, l'administration ferme les yeux4.
29Même faiblesse des pouvoirs publics en ce qui concerne la redevance pour l'irrigation : en 1989, on avait décidé d'augmenter le prix de l'eau payable à l'Etat par l'agriculteur. Mais devant la levée de boucliers qui suivit, on revint bien vite aux anciens tarifs, pourtant largement sous-évalués : 150 Rs par acre de canne, 35 Rs pour le paddy, 40 Rs pour les cocoteraies, 20 Rs pour l'éleusine et les cultures « semi-sèches ».
30On notera par ailleurs un paradoxe : le prix de l'eau pour deux cultures successives de paddy, une année où elles seraient autorisées, s'élève à un montant inférieur à celui pour une culture de canne à sucre (de 12 mois également, ou à peine davantage). Or la canne à sucre utilise bien moins d'eau qu'une rizière ! La taxe est donc loin de décourager la riziculture et les dépenses en eau. Une telle contradiction traduit le dilemme de l'administration : d'un côté, économiser l'eau ; de l'autre, encourager les cultures vivrières, développer la production de paddy et permettre le bon fonctionnement du PDS et du système de rationnement national. Le choix en faveur du second membre de l'alternative reflète une certaine victoire de la Food Corporation of India, dont dépend le PDS, sur l'administration du Département de l'Irrigation, qui souhaiterait mieux rationner l'eau. Et tant pis si de son côté, plus en aval, l'Etat voisin du Tamil Nadu proteste que le Karnataka ne lui laisse que la portion congrue des eaux de la Kaveri.
3. La canne à sucre, une culture industrielle
31La plantation de la canne à sucre, par enfouissement à l'horizontale de boutures, a lieu essentiellement en juin-juillet (75 % des cas) et en août-septembre (25 %) ; mais en cas de retard, il arrive qu'elle soit décalée jusqu’en novembre. (Il existe aussi quelques cas de plantation en janvier). Après une première irrigation a lieu un labour5 d’enfouissage servant à façonner les billons. C'est le début d'une année de travaux intensifs, en main-d’œuvre comme en engrais.
32Les choix des dates de plantation sont de toute façon limités pour le paysan, car il lui faut penser à la vente de cette culture commerciale. Or la canne à sucre ne peut être vendue à la raffinerie de Mandya que lorsque celle-ci fonctionne, c'est-à-dire de juillet à décembre, parfois jusqu'à février - et l'usine elle-même fixe des dates de plantations encore plus restrictives aux paysans sous contrat.
33Cette usine a connu heurs et malheurs. En raison de l'extension continue de la surface en canne à sucre, elle passa d'une capacité initiale de 400 t/jour à 2000 t, puis 5000 t. C'était l'époque où deux autres sucreries s'ouvrirent dans les environs. Tout changea à la fin des années 1960, quand la raffinerie se trouva aux prises avec une concurrence qu'elle avait trop longtemps sous-estimée : celle de petits moulins artisanaux villageois (angl. crusher, kann, alemane) qui fabriquent non pas du sucre raffiné, mais ce qu'en français pondichérien on nomme du « jagre » (angl. jaggery, kann, bela, hindi gur), sucre brut et brun non raffiné qui correspond au rapadou antillais. En Inde, 45 % de la canne à sucre passe par cette filière pour devenir jagre. Si l'on y ajoute la filière intermédiaire, tant par la taille des unités que par le degré de raffinage du sucre, du khandsari (où la mélasse est séparée du sucre), on comprendra que la raffinerie puisse souffrir de la concurrence (H. Guétat-Bernard, 1992). Il existe actuellement 3 khandsari dans le taluk de Mandya, et surtout plus de 2500 moulins à jagre dans le district, alors qu'il n'y en avait que 730 en 1965.
34Ces moulins sont de grands édifices rectangulaires formés de trois murs de briques recouverts d'un toit de tuiles percé de cheminées, le quatrième côté restant ouvert pour faciliter l’évacuation de la fumée et l'engrangement des charrettes de canne. Encadré souvent de deux petites pièces où l'on stocke le jagre et où dorment les ouvriers saisonniers, l'espace principal contient la meule électrique, qui broie les tiges de canne vidées des charrettes, et quatre grands foyers circulaires où sont posées de grandes bassines métalliques de 2 m de diamètre. C'est là que le jus de canne issu de la meule sera déversé, d'abord dans les deux bassines posées sur les foyers les plus violents, ensuite sur les foyers plus doux, alimentés par de la bagasse : l'ébullition doit durer 3 heures6. Pendant l’ébullition, on verse calcium, soude et autres produits chimiques, afin de clarifier le jus. On enlève aussi l'écume en surface. Le résultat final, un épais sirop jaunâtre appelé « massecuite » contenant seulement 10 à 12 % d'eau, est ensuite refroidi dans un seau dont il gardera la forme, une fois démoulé. C'est le jagre, qui contient donc encore la mélasse, et possède entre 65 et 85 % de saccharose (les raffineries industrielles produisent du sucre à 99,5 % de saccharose). Une tonne de canne produit en moyenne presque un quintal de jagre.
35Ces moulins sont une vieille tradition. Avant l'irrigation déjà, la canne pattapatti était broyée saisonnièrement : à Mottahalli, 3 ou 4 meules fonctionnaient ainsi pendant moins d’un mois, tout à fait selon la technique décrite dès 1772 par l'abbé de Raynal : « Pour extraire le suc des cannes coupées, ce qui doit se faire dans vingt-quatre heures, sans quoi il s'aigrirait, on les met entre deux cylindres de fer ou de cuivre [de bois à Mandya], posés perpendiculairement sur une table immobile. Le mouvement de ces cylindres est déterminé par une roue horizontale que des boeufs... font tourner. » (XI, 30).
36Cette technique, qui n'extrayait que 60 % du jus de canne, subsiste encore aujourd'hui dans les zones mal irriguées du Karnataka. Mais dans le district de Mandya, elle a disparu en raison de l'électrification des villages. Etant donnée l'extension des surfaces en canne à sucre, il devenait rentable de broyer celle-ci avec un moteur électrique, et de construire un bâtiment en dur pour abriter l'installation. Les paysans les plus audacieux - et non les moins pauvres - tentèrent l'expérience (T.S. Epstein, 1962). A Mottahalli, le premier moulin électrique fut bâti vers 1962 par l’actuel représentant élu du village au mandal panchayat. En 1989, il en existait 26 dans ce même village...
37Voilà qui représente un réel suréquipement villageois. Les 26 moulins de Mottahalli ont besoin au minimum de 208 ha pour tourner à plein. Or la canne n'occupe en moyenne au village que 92,5 ha ! Ce qui implique pour le propriétaire d'un moulin, soit de fermer dès septembre, soit d'acheter de la canne à l'extérieur du village (parfois jusqu'à plus de 10 km), soit de donner à louer son moulin à quelque villageois entreprenant et spéculateur qui veuille tenter de profiter des cours parfois avantageux du jagre.
38Quand la raffinerie ouvrit ses portes, en 1934, la filière artisanale du jagre sembla condamnée. « Il est clair que le sucre va chasser le jagre du marché », écrivait T.S. Epstein (1962). Les prix offerts aux vendeurs de canne étaient si intéressants que les contrats imposés alors par l'usine à ses clients en début de campagne limitaient pour chaque exploitation la surface en canne susceptible d'être vendue à la raffinerie. L'offre était supérieure à la demande. Les temps ont bien changé depuis, en raison de trois facteurs :
en premier lieu la consommation de jagre n'a pas baissé, contrairement aux prévisions, grâce à la constance des goûts de la population rurale, qui a coutume lors des fêtes de préparer des friandises et galettes à base de jagre, et qui utilise aussi celui-ci comme offrandes lors des puja (cérémonies religieuses). Certes, on préfère mettre du sucre dans son café et dans son thé, mais comme le sucre est beaucoup plus cher que le jagre, les ruraux les plus défavorisés utilisent ce dernier. Le jagre est le sucre du pauvre : cela explique paradoxalement que les cours se maintiennent à un niveau élevé, rendant rentable la transformation de la canne dans les moulins.
autre facteur, la filière du jagre a pu se moderniser pour produire moins cher. En 1956 en effet, il n'y avait pas d'électricité dans le village étudié par T.S. Epstein. Cinq ans plus tard, les moulins à moteurs électriques fleurissaient, et se mettaient à concurrencer victorieusement la raffinerie.
d'autant plus qu'un troisième facteur purement conjoncturel intervenait : la prohibition de l'alcool en 1963 au Karnataka, qui multiplia par deux les cours du jagre car celui-ci est facile à distiller clandestinement. Les producteurs de canne vendirent tous leur récolte aux moulins, dont le nombre se multiplia. La raffinerie dut même fermer quelque temps. A son second séjour, T.S. Epstein (1973) pouvait constater que la situation s'était inversée, même si la fin de la prohibition en 1969 avait rétabli un certain équilibre.
39On en est là aujourd'hui. La raffinerie se plaint du trop grand nombre de moulins à jagre, et les moulins se plaignent de la puissance de la raffinerie. Celle-ci a encore connu de graves problèmes financiers au milieu des années 1980, et doit pour s'approvisionner acheter de la canne à sucre dans les taluks voisins de Pandavapura et de Srirangapatna (cf. fig.8). Tout cela pour ne produire que 58 000 t de sucre pour 566 000 t de canne broyée en 1988-89 (une année pas si mauvaise), ce qui est bien en-deça des capacités de l'usine.
40La présence de l'Etat joue un rôle globalement défavorable. De fait, New Delhi fixe chaque année un prix minimum d’achat de canne (statutory minimum price), et l'industrie sucrière paie en réalité encore davantage que ce prix pour concurrencer les moulins. Cela est une lourde contrainte pour la sucrerie : quand la récolte de canne est mauvaise, les cours du sucre et du jagre flambent ; les prix offerts par l'usine aux producteurs sont alors inférieurs à ceux offerts par les propriétaires de moulins à jagre et de khandsari. Au contraire, quand la récolte est bonne, les cours chutent, et alors que les moulins ferment, la raffinerie a obligation de transformer la canne, à perte. Dans les deux cas, elle est perdante (H. de Haan, 1988).
41De plus, la raffinerie doit vendre 45 % de son sucre (et c'était davantage avant 1988) à un prix fixé par le gouvernement central, quels que soient ses coûts de production : cela permet ensuite à l'Etat de vendre ce sucre à bas prix dans les boutiques de rationnement du PDS. L’Etat ne peut donc acheter trop cher le sucre de la raffinerie. D’autre part, il soutient pour des raisons politiques l'existence des moulins. Certes, ceux-ci du strict point de vue économique sont pour l'Etat une gêne : ils « gaspillent » la canne en n'en extrayant que 70 % de la saccharose, alors que l'Inde doit certaines années importer coûteusement du sucre de l'étranger. Mais ces moulins ont pour eux d'être de gros employeurs : si chacun d'eux emploie 7 personnes pendant 4 ou 5 mois, cela fait plus de 2 millions de jours de travail créés dans le district ! La raffinerie, elle, emploie 1770 personnes, dont des saisonniers...
42Aussi ferme-t-on les yeux sur les licences que tout propriétaire de moulin doit acheter, des licences qui n'autorisent le travail que 3 mois. Comme la coupe de la canne se fait de juillet à novembre, certains moulins fonctionnent plus de 5 mois : mais très rarement des sanctions sont prises à l'encontre des contrevenants, même s'il arrive que des moulins soient saisis s'il est prouvé qu'ils ont broyé de la canne qui avait été réservée à la raffinerie par contrat préalable au début de la campagne.
43C'est également pour favoriser les propriétaires de moulins, et indirectement leurs clients producteurs de canne, que l’Etat a rendu obligatoire à compter du 15 août 1989 le « marché réglementé » (Regulated Market) de Mandya, le plus grand de l'Inde pour la vente du jagre. Auparavant, à partir de la fin juin, et ce pendant toute la saison du jagre, défilaient dans les villages sucriers, à toute heure du jour et de la nuit, des théories de « Premier » et d'« Ambassador », voitures indiennes qui n'ont pas peur des routes non goudronnées ni des ornières. En débarquaient des courtiers qui négociaient avec le propriétaire du moulin un prix d'achat de son jagre. Parfois (moins souvent qu'on l'a dit) celui-ci était floué, soit qu'il ait mésestimé la valeur de sa production, soit plutôt qu'il ait été contraint de vendre à bas prix à un courtier pour rembourser une avance qu'il avait prise en cours de campagne auprès de celui-ci.
44C'est pour en finir avec cette situation et apporter un peu plus de transparence aux transactions que le marché réglementé fut créé. Le marché de Mandya, immense ensemble de hangars et d'entrepôts, bordés de maisonnettes où siègent 90 courtiers licenciés, doit désormais abriter tous les achats de jagre aux moulins. C’est au producteur de transporter, par camion loué, ses blocs de jagre. Mais le marché pour lui est gratuit : c'est à l’acheteur de payer une taxe de 1 % du prix d'achat au marché réglementé, et 2 % au courtier qui s'occupe du pesage, du stockage et sert d'intermédiaire. Les transactions se font sous forme d'enchères contrôlées par des fonctionnaires, mais tous les acheteurs sont privés (puisque l’Etat ne distribue pas de jagre par le circuit de rationnement du PDS, seulement du sucre : situation lourde de conséquences pour les cours du jagre, fragilisés par l'absence d'un véritable soutien de l’Etat). En fait, avec l'instauration du marché réglementé obligatoire peu d'éléments ont changé pour le paysan : il traite avec les courtiers à Mandya au lieu de le faire devant son moulin, et si certains abus sont désormais moins à craindre, rien n'empêche dans les faits les courtiers de s'attacher tout comme auparavant les producteurs par des avances offertes au cours de la campagne.
45Au total cependant, la culture de la canne à sucre se caractérise par sa rentabilité. Si le coût de production est lourd (27 000 Rs/ha en cas de production de jagre), le revenu brut est particulièrement élevé7. En 1988, avec un quintal de jagre vendu en moyenne 450 Rs, un hectare de canne pouvait procurer un revenu brut de 56 000 Rs, soit donc un bénéfice net supérieur à 28 000 Rs. Un montant légèrement supérieur à ce que pourraient rapporter deux récoltes consécutives de paddy pendant la même période de 12 mois (plus de 23 000 Rs). Le problème est que comme toute agriculture commerciale, la canne a des revenus très instables. Que le quintal tombe à 300 Rs, comme il le fait souvent à partir de septembre quand arrive sur le marché indien le jagre plus tardif du Maharashtra et de l'Inde du nord, et les bénéfices s’écroulent. Il aurait alors été plus rentable de vendre sa canne à la raffinerie (330 Rs la tonne de canne en 1989).
46Dépendance envers la ville, que cela soit par l'intermédiaire de la raffinerie ou du marché réglementé ; dépendance envers des décisions politico-économiques prises à Bangalore et même à New Delhi : le type d'agriculture engendré par la construction du barrage de Krishnarajasagar a largement ouvert sur l'extérieur un système rural où la part de l'autosuffisance était jusque là importante.
B. FONCTIONNEMENT DU SYSTEME RURAL IRRIGUE
1. La présence de la ville
47Importance de l’encadrement administratif de l'agriculture, tant pour le crédit que pour l'irrigation ; importance du débouché urbain pour la canne à sucre, que cela soit par le circuit de la raffinerie ou par celui du marché réglementé : le rôle de la ville de Mandya est déjà visible, rôle d'organisation de l'espace rural environnant, rôle de distribution d'intrants et de collecte de la production agricole, lieu d'activité aussi pour des villageois souvent prêts à aller en ville demander un emprunt à la banque PCARD, faire des emplettes, ou aller au cinéma...
48Ce rôle, s'il ne doit pas être exagéré, est également notable en ce qu'il explique la croissance exceptionnelle de Mandya à une certaine époque. Quand F. Buchanan (1807) passe au début du XIXe siècle à Mandya, il peut écrire que « Mundium est un pauvre village, fortifié par un mur de terre qui a été reconstruit depuis la restauration du Raja » [après la mort de Tipu Sultan] (I, p. 57). Et Hunter (1886), dans l'Imperial Gazetteer of India, parle encore de « village » à son propos, chef-lieu d’un taluk où « sont élevés extensivement des moutons et manufacturées de belles couvertures ». La courbe ci-dessous (fig. 10) montre que la croissance de Mandya a ensuite été fort rapide, faisant passer la ville de 4496 hts en 1901 à 120 000 hts en 1991, et apparaît d'autant plus comme telle qu'est ici adjointe la courbe de croissance de Nagamangala, la ville principale du système rural non irrigué que l'on abordera par la suite : au début du siècle, les deux villes étaient de taille semblable, alors qu'en 1991 Nagamangala est dix fois plus petite que Mandya !
49On ne sera pas étonné de constater que le « décollage » de Mandya se produit lors de la décennie 1931-41, quand se généralise l'irrigation et que l'implantation de la raffinerie sucrière est décidée, grâce à la situation de la ville sur la voie ferrée et le State Highway Mysore-Bangalore8. Le développement de la canne à sucre ne fait qu'accélérer la croissance urbaine, qui atteignit même + 116,3 % en 1961-71, et permit l'accession récente de la ville au statut administratif de city (ville de plus de 100 000 hts, par opposition aux simples towns). La fonction urbaine de Mandya ne saurait être toutefois exagérée. La ville apparaît d'ailleurs davantage comme une grosse bourgade que comme le chef-lieu d'un des districts les plus irrigués de l'Inde. Les maisons sont peu élevées ; aucun signe extérieur de richesse tel que des magasins de luxe, même si la pauvreté n'est pas particulièrement plus visible qu'ailleurs - Mandya avait cependant en 1981 19,5 % de sa population vivant officiellement dans des bidonvilles (slums). Chef-lieu de taluk et surtout de district, sa fonction administrative importante ne coïncide pas avec une puissance économique et industrielle proportionnelle. Mandya a grandi par le sucre, mais ce sont justement là ses limites. Elle n'a pas pu s'équiper d'une panoplie industrielle diversificatrice. Mandya est demeurée la ville du sucre, « Sugar Town », ‘comme s'en enorgueillit d'ailleurs une banderole déployée à l'entrée de la ville. Coincée entre une métropole (Bangalore à 100 km) et une capitale régionale (Mysore à 37 km), Mandya souffre d'une situation qui lui a pourtant apporté en 1934 l'ouverture de la sucrerie. De plus, les revenus ruraux tirés de la canne à sucre d'un hinterland pourtant prospère ont peine à être réinvestis dans des activités non-agricoles, tant Mandya, comme la plupart des villes indiennes de sa taille, souffre de la concurrence des produits manufacturés dans des métropoles qui peuvent être Bombay aussi bien que Bangalore. Les campagnes utilisent de plus en plus de biens de consommation fabriqués en ville, mais Mandya n'en profite pas. « Les produits modernes sont arrivés ; mais non l'industrie moderne » (B.S. Booshan, 1984, p. 215). En conséquence, Mandya n'est qu'une « ville régionale » (Booshan) : elle n'exerce une polarisation sur la région environnante que pour certaines activités (commerce de gros, administration) ; mais pour les autres secteurs, elle ne parvient pas à commander l'ensemble de son district, et fait en ce domaine à peine mieux que les « villes locales », comme Nagamangala simples chefs-lieux de taluk.
50L'hinterland sous sa domination directe, dont le diamètre n'est guère supérieur à une quinzaine de kilomètres, se trouve cependant fort bien irrigué par des flux en direction ou en provenance de la ville. Notre village de Mottahalli en fait partie, et se trouve doté de liaisons particulièrement faciles avec Mandya grâce à 31 liaisons par autocars privés ou publics chaque jour et dans chaque sens. Du coup, les chefs de famille de ce village vont en moyenne presque deux fois par semaine à Mandya, avant tout pour faire des courses alimentaires.
51A l'exception de cet hinterland immédiat, la faible polarisation exercée par Mandya et son rôle limité de relais industriel et commercial sont des facteurs tendant à inhiber la diversification des campagnes environnantes. De fait, les industries rurales se sont peu développées autour de Mandya, et-nous verrons que les environs de Mottahalli sont un bon exemple d'espace voué presque entièrement à l'agriculture.
52Le fonctionnement du système rural est explicité sur la figure 11. On y relève l'importance du rôle de l’Etat, en tant qu'initiateur aussi bien que régulateur de la culture sucrière. La prédominance de l'agriculture dans le système, jusque dans l'économie urbaine, est également visible. Un bel exemple de fonctionnement systémique est celui donné par cette impulsion gouvernementale qui produisit le réservoir du KRS : son résultat, l'irrigation, modifia le milieu naturel et permit la transformation des systèmes de culture, ce qui du même coup développa l'industrie de transformation de la canne à sucre en milieu urbain, et celle des moulins à jagre en milieu rural. L'irrigation renforça aussi le pouvoir administratif de Mandya en dotant la ville d'un district taillé à sa mesure, ce qui ne put que profiter aux marchés locaux, et en particulier à celui de la canne à sucre, dont le développement s'accentua alors. Mais l'extension de cette culture sucrière est si rapide qu'en retour, c'est l’irrigation qui se trouve remise en cause, puisqu'elle a peine à assurer tous les besoins en eau des agriculteurs. Protestation de ceux-ci, syndicalisation : et voilà l'Etat, auteur de l'impulsion originelle, qui est touché par rétroaction.
53Le système est loin d'être fermé sur lui-même. Le rôle des marchés, ouverts sur l'extérieur pour les sorties du système (le jagre de Mandya est vendu dans toute l'Inde) et les entrées (ne seraient-ce que tous les biens de consommation courante dont fort peu sont manufacturés localement), ainsi que la forte présence de l'Etat, suffisent à indiquer le caractère ouvert du système. Ceci n'est guère original dans une Inde où désormais bien peu de régions demeurent enclavées. Ce qui l'est plus, c'est l'importance des flux de population qui pénètrent le système.
54Retournons en effet à la courbe de croissance de la ville de Mandya, si pentue (fig.10). Pour l'expliquer, le solde naturel se révèle insuffisant, puisqu’il dépasse tout juste pour cette même période les 2 % annuels : il faut donc attribuer cette croissance de Mandya à une très forte immigration. La création du district en 1939, les emplois liés à la transformation de la canne à sucre et à sa commercialisation, ainsi que d'autres activités induites, ont attiré un fort courant migratoire dont les origines dépassent même les limites du Karnataka.
55A-t-on assisté au schéma devenu classique (sans doute à tort) d'une ville attirant toute une partie de la population issue de son hinterland, dépeuplant les campagnes dans le cadre d'un « exode rural » ? Point du tout. On sait d'ailleurs combien la proportion de ruraux demeure forte en Inde (74 % en 1991), bien qu'en déclin permanent (J. Racine, 1988). En 1971-81 par exemple, la croissance des zones rurales du taluk de Mandya (y compris des zones non irriguées, donc défavorisées) s'éleva à 2,1 % par an, soit autant que le taux de croissance pendant la même période de toute l'Inde, urbaine comme rurale (2,2 %) ! S'il est évident que certains ruraux issus des environs sont venus s'installer à Mandya, il n'en reste pas moins qu'il faut chercher ailleurs l'origine de l'essentiel des immigrés.
56Or, plus de la moitié (57 %) des hommes nés hors du district de Mandya sont venus s'installer dans les parties rurales du district (Government of India, 1987). Encore plus frappant : seuls 73 % de ces immigrés installés à la campagne étaient d’origine rurale ! Pour les zones irriguées du district, le solde migratoire est nettement positif. La canne à sucre en est responsable.
2. L'immigration, saisonnière ou définitive9
57C'est bien en effet à la récolte puis à la transformation de la canne à sucre en jagre qu'est dû le pic des besoins en main-d’œuvre visible sur le calendrier agricole (fig. 25). La mise en irrigation de la région avait déjà en soi accentué la demande de main-d’œuvre : à Mottahalli, un hectare irrigué demande 5 fois plus de travail qu'un hectare non irrigué. Mais les spécificités de la canne accentuent le phénomène : si l'on inclut les travaux de la transformation de la canne en jagre, l'hectare irrigué emploie 6 fois plus que le non irrigué. La canne représente 56 % des jours de travail strictement agricole disponibles au village de Mottahalli, et même 67 % si l'on inclut l’emploi dans les moulins à jagre. Etant donné le caractère très saisonnier de ces travaux, il est impossible de les étaler dans le temps, et la main-d’œuvre locale se trouve donc dans l'impossibilité de satisfaire à la demande. Ceci explique en partie qu'une proportion très faible de la population locale travaille dans ces moulins, d'autant plus que les kuli (ouvriers agricoles) natifs du village préfèrent en général travailler aux opérations de la riziculture ou à la coupe de la canne : d'une part parce que ces travaux sont un peu mieux rétribués, d'autre part parce qu'ils n'ont souvent pas le choix, étant donné qu'eux-mêmes ont le plus souvent pris une avance sur salaire auprès de quelque gros propriétaire pour travailler en priorité sur ses terres dès qu’il en éprouvera le souhait. En outre, le travail en moulin est particulièrement pénible : chaleur des foyers, longueur de la journée de travail (on commence souvent avant l'aube, on termine souvent à la nuit, pour profiter des moments épargnés par les coupures d'électricité, plaie de tous les artisanats et industries de l'Inde). Tout cela pour un salaire, versé à toute l'équipe d'un moulin, de 19 Rs par quintal de jagre produit (plus rarement 20 ou 21 Rs), ce qui fait, si l'on a rempli des seaux pour 5 q de jagre, un salaire quotidien de 95 Rs. Pour une équipe de 6 ouvriers, on arrive donc à une paie de 16 Rs par « jour » (dépassant parfois les 24 heures !) : parfois plus, parfois moins en cas de coupure d'électricité ou de pluie qui trempe la bagasse servant de combustible. Au total, cela suffit à attirer une main-d’œuvre d'origine largement immigrée, venue pour une saison, de la fin de juin au mois d'octobre, voire novembre ou décembre. On vit dans le moulin, c'est-à-dire dans un abri largement ouvert à tous les vents ; c’est là que l'on dort, c'est là que l'on mange, en équipe (les salaires n'incluent aucune nourriture), parfois même en famille puisque femmes et enfants sont éventuellement engagés au moulin.
58Ce sont là des migrations de misère, comme en témoigne la localisation des provenances de ces saisonniers : à l'exception de quelques villages, voisins de Mandya mais peu irrigués, il s'agit toujours de zones sèches, non irriguées, distantes de plus de 60 ou 80 km, comme les taluks de Chamrajnagar et de Gundlupet dans le district de Mysore, mais aussi jusqu'au Tamil Nadu. Là-bas, ce n'est pourtant pas la morte-saison agricole à cette époque de l'année : il existe alors du travail dans les villages d'origine. Mais les cultures y sont si pauvres, composées d'éleusine, de grain de cheval ou de sorgho, que les membres de la famille restés sur place pourront s'en occuper seuls ; ou bien on utilisera l'assistance des amis ou voisins, quitte à quelque peu bâcler les façons culturales : de toute façon, le revenu tiré de ces cultures vivrières est bien faible comparé à celui des moulins, dont pourtant les gains rapportés au village en fin de saison ont peine à dépasser les 200 ou 300 Rs par mois de travail en raison de la faiblesse des salaires, de l'achat des vivres, mais aussi d'une parfois impressionnante consommation d'alcool. Là-bas, la seule activité un tant soit peu lucrative est la culture non irriguée du mûrier, combinée à l'élevage du ver à soie ; mais si l'on a vraiment besoin de l'émigré pour la sériciculture au village natal, celui-ci pourra se faire remplacer quelques jours au moulin pour retourner chez lui (grâce à un système de rotation des membres de l'équipe, le travail de celle-ci est assez souple).
59Ce phénomène a son pendant dans un autre type de migration, celui des migrations permanentes. Grâce à l'irrigation, un journalier sans aucune terre peut gagner 2500 Rs annuelles avec plus de 150 jours de travail par an, soit davantage que le revenu qu'on peut tirer d'un hectare de terre sèche dans un terroir non irrigué. Cela explique l'importance du courant migratoire vers le système rural irrigué depuis les années 1960, quand l'augmentation des surfaces en canne à sucre et l'électrification des moulins ont augmenté les besoins de main-d’œuvre10.
60Les migrants permanents, issus des mêmes zones que les saisonniers, ne viennent pas s'installer sans garanties. Ils connaissent parfois le village d'accueil, s'ils sont déjà venus comme saisonniers dans le passé. En tous les cas, ils ont sur place une connaissance, ami, parent déjà émigré, belle-famille native du village irrigué, qui peut les aider en cas de coup dur, et qui les a assurés d'un engagement auprès de quelque propriétaire et d'un logement, au moins temporaire, dans quelque hutte, sous quelque véranda d'un paysan.
61Immigrés saisonniers ou définitifs prennent tous une avance sur salaires auprès de quelque gros propriétaire : le clientélisme règne. Quand l’immigré prend une avance (500 Rs) d'un Vokkaliga local, il s'engage à travailler pour lui en priorité. Pour le propriétaire, c'est l'assurance d'une main-d’œuvre disponible même en période de pointe, et d'un contrôle des salaires qui n'augmenteront pas en dépit d'une demande de main-d’œuvre importante à cette époque. Pour l'immigré, c'est une protection contre le chômage, contre les maladies et la faim (un « patron » se doit d'aider ses « clients » en cas de problèmes), c'est l'utilisation possible d'un pouvoir à échelle locale qui pourra lui servir, notamment grâce à l'entregent éventuel de son patron auprès de l'administration.
62Celle-ci en effet joue un grand rôle dans la vie de ces immigrés, essentiellement en raison de l’attribution à certains (avec les ressorts éventuels de la corruption) de lopins de terre donnés à bâtir. Cette frange de la population, ayant quitté son village natal, se trouve en effet sans terre : sans terre à cultiver, mais aussi sans terre où construire sa maison. C'est pourquoi, durant les années 1970, le gouvernement a multiplié dans les villages irrigués ces lotissements nommés parfois éloquemment Garibi Colony11 («lotissement de la pauvreté »), qui réunissent sur des terres sèches réquisitionnées par l'administration les immigrés, à qui l'on a offert un lopin ainsi que des matériaux à prix réduits. A la périphérie de tous les villages du système rural irrigué l'on retrouve ces quartiers au tracé géométrique, aux maisons petites, recouvertes parfois d'un simple toit de chaumes de paddy ou de palmes de cocotier. L'attribution de telles maisonnettes est sans conteste un incitatif à émigrer définitivement presque aussi puissant que l'attrait de travail disponible au village irrigué. Nul doute qu'a contrario, la saturation de ces lotissements n’explique aujourd'hui le très fort déclin de l'immigration définitive, presque au même titre que la saturation du marché de la main-d’œuvre induite par la quasi-stagnation des surfaces en canne à sucre et du nombre des moulins.
63Il reste qu'aujourd’hui, un tiers des maisonnées de Mottahalli a pour origine une telle migration. Le mode de production irrigué de la région de Mandya fonctionne grâce aux apports de main-d'œuvre tirés de zones plus pauvres dépourvues d'irrigation, et permet l'utilisation d'une force de travail docile ainsi que la compression des salaires : ainsi les propriétaires de moulins à jagre peuvent-ils résister à la concurrence de la raffinerie de Mandya.
64Il y a donc utilisation des zones sèches par la zone irriguée, exploitation même, puisque les revenus salariés tirés des moulins ne permettent que la survie sans réel développement. Cela dit, il y a de gros contrastes géographiques au sein même de ces régions non irriguées, car certaines zones sèches, pourtant dans le même district que le système rural irrigué, dédaignent complètement la zone sucrière de Mandya et préfèrent suivre d'autres stratégies, tant pour la simple survie que pour le « développement ». Dans ces régions en effet, ce qui concerne le développement est plutôt d'origine endogène, grâce à l’introduction de nouvelles cultures et activités locales. Ne servent qu’à la survie les revenus d'origine exogène, par l'apport d'une émigration qui n'est cette fois pas tournée vers la campagne irriguée, mais vers les villes.
Notes de bas de page
1 Riz non encore décortiqué.
2 La mythologie indienne raconte que c'est le rishi (sage) Vishvamitra qui aurait inventé la canne pour rendre encore plus douce et sucrée la vie dans le Paradis qu'il avait créé (Krishne Gowda, à 1984)
3 Il représente cependant seulement la moitié du rendement moyen japonais ou coréen...
4 On retrouve d'ailleurs de semblables problèmes dans l'autre grand périmètre irrigué du sud du Karnataka, celui de la Tungabhadra, où du paddy est cultivé illégalement, ce qui entraîne, outre un manque d'eau, une alcanisation des sols allant parfois jusqu'à la stérilisation.
5 J'utilise le terme « labour » dans un sens très large, alors même que l'utilisation d'un araire au Karnataka ne fait que gratter le sol sans le retourner, sans donc le « labourer » comme le fait une charrue.
6 A raison de moins de 30 t de bagasse produites pour 100 t de canne, on a assez de combustible pour la fabrication du jagre.
7 Toutes les estimations ont été faites en évaluant le coût de la main-d’œuvre familiale au taux de salaire en vigueur, mais en laissant de côté les coûts d'amortissement du matériel possédé, de même que les dépenses en alimentation des bêtes et de la main-d’œuvre familiale.
8 La culture de la canne à sucre a ceci de particulier qu'elle génère toujours une industrialisation périurbaine voire rurale, puisque les zones de production doivent se trouver à proximité d'une raffinerie pour que la teneur en sucre n'ait pas le temps de baisser durant un trop long voyage entre le champ et l'usine (D. Blamont, 1979). Pas de canne sans raffinerie à proximité.
9 Ce chapitre est repris et développé in F. Landy (à paraître).
10 La mise en irrigation d'une partie du district de Raichur, plus au nord, par les eaux de la Tungabhadra, a également généré une immigration, mais d'un tout autre ordre. Là-bas, les paysans locaux, pour l'essentiel aborigènes, ne savaient pas pratiquer la riziculture irriguée, et vendirent leurs terres à des hindous venus d'Andhra Pradesh qui, ironie du sort, les employèrent souvent comme simples journaliers sur leurs terres ancestrales (P D. Mahadev, in J. Racine éd., 1989, pp. 63-68). Une telle prolétarisation des autochtones ne s'est pas produite à Mandya, car bien que l’essentiel de l'agriculture ait été de nature pluviale avant la construction du KRS, il existait une riziculture irriguée par tank ou par des canaux partant de la Kaveri.
11 A cette époque, un mot d'ordre électoral d'Indira Gandhi était en hindi : « Caribi hatao », « Chassons la pauvreté ».
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