Introduction
Les logiques paysannes sont-elles logiques ?
p. 9-51
Texte intégral
1En 1982, le petit village de Sarwal, dans l'Etat du Bihar (Inde du nord) fut doté d'une pompe solaire destinée à fournir de l'irrigation pour une culture de saison sèche (D. Blamont, 1989). L'énergie nécessaire à l'exhaure était fournie par 2016 cellules photovoltaïques (soit 1400 W), ce qui permettait d'irriguer théoriquement plus de 5 ha1.
2Véritable révolution que celle proposée par la pompe : dans un village soumis aux aléas de la mousson, dont le type d'agriculture ne permettait qu'une seule récolte par an (avant tout du riz inondé), on allait pouvoir se mettre à cultiver blé ou légumes sur des terres qui jusque là étaient laissées en jachère. Formidable atout pour une population en proie à une terrible crise socio-économique, crise qui avait pour origine tout autant une forte croissance démographique dans un finage aux ressources trop limitées que l'appartenance à la tribu des Munda : une ethnie qui comme tous les autres aborigènes de l'Inde se trouve aujourd'hui dans un sous-développement plus accentué que les populations hindoues environnantes. L'impact social de la pompe solaire devait être renforcé par le mode de répartition de l'eau : en effet, les propriétaires des terres irriguables acceptèrent de prêter gratuitement pendant la saison sèche leurs parcelles, avec pour bénéfices le droit d'utiliser la pompe pendant la culture de mousson kharif, et la perspective de meilleurs rendements alors, puisque leur terre aurait bénéficié d'engrais en saison sèche. L'ensemble des terres irriguées par la pompe solaire serait divisé en lots distribués à tous les volontaires, y compris de simples microfundiaires.
3L'équipe du programme ASVIN ne s'attendait pas à un succès rapide : il s'agit en effet d'un programme de recherche sur le développement, tourné vers l'étude des conditions d'acceptation de la technologie solaire dans des villages reculés, et des conséquences de cette introduction sur les systèmes techniques et sociaux : le succès n'est donc qu'un objectif à très long terme, et ASVIN a avant tout pour but l'analyse des difficultés rencontrées. Or, malgré deux années précédant l'installation de la pompe utilisées pour discuter avec les paysans, pour les motiver aussi bien que pour demeurer à l'écoute de leurs souhaits, l'enthousiasme du village fut assez décevant. En 1982-83, seul 1,1 ha fut cultivé en blé et légumes par 10 volontaires (plus de 70 maisonnées vivent à Sarwal). L'année suivante, 1,23 ha fut irrigué, en blé uniquement, par 17 cultivateurs. En 1984-85, on atteignit 1,3 ha en légumes (25 personnes) et 0,61 ha emblavés (13 personnes, parfois les mêmes). Telle était la situation à la fin des années 1980. Alors que la décennie 1990, comme on le verra plus loin, s'annonce plus prometteuse, on était alors loin d'atteindre les objectifs espérés au début du programme, en ce qui concernait non seulement la superficie irriguée, mais aussi l'impact social. C'est ainsi que toutes les parcelles irriguées par la pompe sont aujourd'hui cultivées en saison sèche par leur propriétaire même, ce qui n’était pas le cas les premières années.
4On offrit l'eau aux Munda, on leur offrit la terre. Et pourtant la pompe solaire garde un potentiel largement inexploité. Pourquoi donc de telles réticences ? Pourquoi ce qui pouvait sembler une attitude « logique » - se précipiter sur cette possibilité d'avoir une deuxième culture et demander un lot à cultiver - s'est-il peu avéré ? De nombreux facteurs explicatifs furent analysés par l'équipe du programme ASVIN :
La première raison était sans doute paradoxalement le fait que tout était offert aux Munda : eau, énergie, terre. Jusqu'aux tuyaux qui furent largement subventionnés. Or offrir, c'est démotiver, c'est tuer les initiatives. Et des parties de panneaux solaires furent détruites sans doute par pur vandalisme.
Ces panneaux furent détruits en raison également des clivages sociaux au sein même de la prétendue « communauté » Munda. Le clan des « nobles » Munda, principal propriétaire foncier et tenant du pouvoir traditionnel, vit d'un mauvais œil l'introduction de cette innovation qui risquait de bouleverser la structure villageoise jusqu’ici déséquilibrée à leur profit. Du même coup, les petits paysans n'osèrent pas poser leur candidature pour cultiver en saison sèche, de peur de représailles. La terre irriguée n'était que prêtée, sans accord écrit, et tant du côté du propriétaire que du côté du cultivateur, cette situation ne rassurait personne.
D'autres raisons ont été également avancées : l'eau avait parfois manqué dans le puits, ce qui donnait des rendements médiocres et donc peu mouvants. Surtout, on avait l'habitude de laisser en vaine pâture le bétail errer sur les jachères pendant la saison sèche. Or on continua cette « tradition »2 alors que la pompe fonctionnait, ce qui permit à quelques zébus de brouter maints radis et tomates.
5Facteurs agronomiques, mais aussi facteurs sociaux : c'est donc, on le voit, la globalité de la réalité rurale qui est appréhendée par ASVIN pour expliquer les difficultés rencontrées. Et pourtant, il est permis de rester quelque peu insatisfait par l'invocation de ces raisons. Ce bétail qui erre en toute liberté sur le finage, n'aurait-il pas été possible de le garder loin des cultures irriguées en clôturant les champs ? Non, répondra-t-on, car les paysans cultivent en saison sèche des lots qui ne leur appartiennent pas, qu'ils ne sont pas sûrs de se voir attribuer de nouveau l’année suivante (même si c'est le cas effectivement) : aussi ne peuvent-ils pas semer de haies vives. Mais des branchages suffisamment serrés pour repousser les bovins ? Ou bien une surveillance effective du bétail, aisée puisque les surfaces irriguées sont très limitées et regroupées au sud-ouest du finage ? Si cela n'a pas été fait, peut-on rétorquer à nouveau, c'est parce que le danger vient autant des animaux des villages voisins que de ceux de Sarwal ; et que de tels investissements n'étaient pas rentables pour le paysan en raison des rendements des cultures irriguées trop faibles. Soit, mais n'était-ce pas déjà un gros investissement, en travail, en temps et même parfois en argent que de labourer, d'ensemencer, de fumer la parcelle ? Pourquoi donc ensuite prendre le risque de tout perdre si une vache errante vient brouter les jeunes pousses ? En outre, si le bétail était gardé, alors les rendements augmenteraient, et la surveillance des animaux deviendrait du même coup rentable. Il semble donc que les paysans aient dans ce cas pensé à trop brève échéance, et qu'ils aient craint d'investir leur travail dans le long terme alors que cela ne leur était pourtant pas si difficile (durant la saison sèche, la population demeure parfois oisive).
6On pourrait continuer longtemps ainsi. Il me semble que l'on peut toujours objecter un argument aux raisons qui sont fondées sur l'hypothèse de la stricte rationalité économique des paysans et qui tentent de justifier leur comportement. Faut-il pour autant mettre en accusation le « conservatisme » de toute société paysanne, et de celles du Tiers-Monde en particulier ? Si l'on ne va pas jusqu'à parler d'« inertie » ou de paresse, on risquerait du moins de souligner leur incapacité à prévoir leur intérêt économique sur le long terme. C'est bien la question de la rationalité paysanne qui est alors posée. Le paysan de Sarwal a-t-il agi « logiquement » en laissant le bétail brouter sa récolte ?
7Il existe trois réponses possibles, dont l'enjeu est de taille. Si le paysan agit irrationnellement, fermé à toute innovation, prisonnier d'un système social étroit, alors les projets de développement iront tous à l'échec ou ne connaîtront tout au plus qu'un demi-succès : incapables d'être estimées et anticipées, les logiques paysannes condamneront longtemps encore le Tiers-monde au sous-développement. Si au contraire on estime que le paysan a agi le plus rationnellement du monde, en bon « maximisateur de profit » comparable à n'importe quel industriel occidental, alors il suffit de concevoir le projet de façon à ce que tous les obstacles techniques, agronomiques et sociaux soient abolis ; de façon à ce qu'à Sarwal, l'eau soit en quantité suffisante dans le puits de la pompe solaire, que le bétail soit gardé, que les « nobles » Munda aient suffisamment d'incitations pour prêter leurs terres en saison sèche aux plus nécessiteux.
8Mais si tout cela ne suffisait pas ? Si, alors même que tous les obstacles se trouvaient aplanis, le paysan ne réagissait pas comme prévu ? Il se pourrait en effet que sans être paresseux ni englué dans les « traditions », le paysan ne se comporte pas non plus comme soucieux d'une rentabilité maximale, au sens économique du terme. Peut-être - et c'est là une des bases sur lesquelles se fonde le programme ASVIN - pourrait-on définir d'autres objectifs qu'une stricte maximisation économique, que le profit, ou même que la rentabilité de son temps de travail : des objectifs auxquels se conformeraient des stratégies que les paysans appliqueraient cependant tout à fait rationnellement. Le travail des développeurs n'en serait certes pas facilité : car l'objectif premier d'un projet de développement, c'est bien souvent un meilleur niveau de vie pour la population ciblée, une amélioration qui passe presque toujours par un progrès dans le champ économique. Il faudrait donc, tout en gardant l'objectif de l'amélioration du niveau de vie, concevoir le projet de manière à le rendre acceptable même par des paysans dont le but premier n'est pas la maximisation économique.
9Cette question de la rationalité paysanne fut d'abord posée par l'administrateur colonial tentant d'introduire de nouvelles cultures de rente. Il y eut d'abord le regard étonné, voire méprisant, porté sur l'Autre aux comportements si absurdes de nègre. Il y eut ensuite l'approche plus quantitative, se voulant plus objective, de l'économiste qui étudie l'agriculture indienne pour en scruter performances et défauts, pour mettre en équations les stratégies paysannes et leur proposer des solutions nouvelles. Ainsi des Farm Management Studies, par ailleurs fort intéressantes, réalisées en Inde (par des Indiens) à partir des années 1950, en fonction desquelles on n'hésitait pas à affirmer que dans telles et telles conditions, le paysan X devait cultiver 7,15 acres de choux et 0,44 acres en piments pour maximiser son revenu3. Le premier regard est désapprobateur, parfois moralisateur, face au paysan qui dépense tout en fêtes ou en dot pour sa fille au lieu d'investir dans son exploitation agricole. Le second regard est plus optimiste mais tout aussi ethnocentrique, persuadé que le paysan n'attend que les conseils d'agronomes et de nouvelles techniques pour produire plus et mieux. Et ce n'est que plus tard que naîtra une troisième forme de regard, moins assuré, ayant perdu ses certitudes : celui de certains développeurs, institutionnels ou appartenant à des ONG, dont les questions à propos de la société paysanne se trouvent souvent renvoyées et réfléchies en direction de leur propre culture.
A. PAYSAN ET HINDOU, UN DOUBLE PECHE
1. Le rustre
10Au monde paysan, quel qu'en soit le continent, correspondent des connotations qui lui sont propres, telles que la paresse, le fatalisme (fig. 1), le conservatisme, les dépenses somptuaires en mariages et fêtes, ou au contraire (ou tout à la fois) la plus méchante avarice. Le rural est étymologiquement le rustre, le rustique, par opposition au citadin qui est la civilisation et l'« urbanité » - « cité » et « civilisation« ont même racine aussi bien en latin qu'en tamoul ou kannada4. Mal dégrossi, le paysan ne sait que rarement lire ou écrire, mais surtout il ne sait pas penser. Une telle vision des choses a pu donner dans le passé quelques points de vue pittoresques, comme celui du très britannique F.L. Brayne, un membre de l'Indian Civil Service qui publia en 1929 Socrates in an Indian Village, livre dans lequel il tente sous l'apparence de Socrate de développer la paysannerie du Panjab à l'aide de la maïeutique5. L'apprentissage du raisonnement poussera les villageois à s'apercevoir de l'absurdité de leurs comportements, et à confesser à la fin des dialogues que « la paresse est un mal fort difficile à surmonter » (p. 74). Ce sont leur inertie et leur fatalisme, leur excessif respect du malik ki marzi, de la volonté du Tout-Puissant, qui empêche tout développement.
11Pour caricaturale qu’elle soit, l'impression donnée par Brayne correspond assurément au vieux fond commun à bien des sociétés rurales qui a été relevé sur tous les continents : la légendaire « prudence paysanne ». Celle de l'agriculteur panjabi ressemble fort à ce que l'on peut retrouver cinquante ans plus tard dans le pays de Caux du curé Alexandre (1988), où conservatisme viscéral, méfiance envers le « horsain » (l'étranger) et crainte du risque aboutissent au fameux « Fô c'qui fô. A toujou été comm'cha ! » (p. 20). Dans un métier dont les techniques n'ont que peu changé pendant plusieurs siècles, maintenir les traditions est un devoir, et parfois une matière de survie puisque des innovations inconnues représentent un risque que des exploitations déjà à la limite de la viabilité ne sauraient prendre.
12Pour changer ces mentalités trop figées, il faut donc que les pressions soient énormes, que se produise, bien plus qu’une révolution simplement agricole, une véritable « révolution agraire ». C’est la raison pour laquelle tant de programmes de développement échouent, explique cette lettre de lecteur aux accents maoïstes publiée par le quotidien du Karnataka Deccan Herald6 : « Le problème majeur est que nous n'avons pas suffisamment compris l'"homme" rural et son milieu socioéconomique et culturel (...). La société rurale est encore liée aux traditions, tourmentée par les castes, très tournée vers la religion, et porte un lourd fardeau de tabous et de rituels. Il est nécessaire de délivrer cette société des charges qui l'étouffent. A moins qu’une attitude scientifique ne soit inculquée aux communautés rurales, tous les plans de développement seront inutiles (...). Ce qu’il faut, c'est une révolution culturelle. Aussi est-il nécessaire que les organisations volontaires prennent en charge cette tâche révolutionnaire. »
13Engluée dans les traditions, la société paysanne ne peut évoluer, quand bien même certains individus le souhaiteraient. En effet, selon G.M. Foster (1965), les campagnes du Tiers-Monde produisent et possèdent trop peu pour que l'enrichissement des uns ne correspondent pas à l'appauvrissement des autres. C'est le modèle, justement contesté pour son schématisme, du « bien limité ». « Les paysans voient leurs univers social, économique et naturel - tout leur environnement - comme l'endroit où toutes les choses désirées dans la vie, telles que la terre, la richesse, la santé, l'amitié et l'amour, la virilité et l'honneur, le respect et le statut, le pouvoir et l'influence, la sécurité et la sûreté, existent en quantité finie et sont toujours en disponibilité limitée (...). Le paysan n'a aucun moyen directement à sa disposition pour augmenter les quantités disponibles ». La communauté paysanne est donc un système fermé sur lui-même, ce qui ne peut qu'engendrer le plus profond conservatisme de la part d'individus fatalistes, tristes et frustrés. La seule initiative qu'ils puissent prendre sans risque pour la communauté est d'acheter un billet de loterie... Comme si, même avant l'essor des communications et la pénétration des marchés dans les campagnes, les villages avaient jamais vécus entièrement repliés sur eux-mêmes, sans aucune possibilité de diversification ni surtout d'intensification !
14Les sociétés paysannes du Tiers Monde sont des « systèmes en équilibre quasi-stable », ajoute H. Leibenstein (1957) : si une entrée dans le système peut le faire avancer un temps, celui-ci revient vite à la stabilité passée, en raison de contreforces. Les paysans sont en effet trop pauvres pour ne pas avoir « tendance à manger [live off] leur capital, surtout si ce capital est immédiatement convertible en revenu, et à ne pas compenser complètement la perte du capital réalisé » (p. 50). C’est ainsi qu'ils ne se soucient pas du maintien de la fertilité de leur sol : « les besoins du présent ne peuvent être sacrifiés à la qualité du futur » (p. 51). Aussi, puisqu'on dispose d'une main-d’œuvre abondante dans ces pays surpeuplés, les paysans préfèrent-ils cultiver intensivement en travail, et épuiser la terre, qu'utiliser le peu de leur capital à acheter des engrais.
15Terminons par une dernière vision allant dans le même sens, celle de E.M. Rogers7 qui définit la « sous-culture paysanne » en dix points, parmi lesquels « une méfiance réciproque dans les relations interpersonnelles », un « manque d'esprit d'initiative », le « fatalisme », le « familisme » (sic), et « un manque de plaisir différé », à savoir qu'« ils préfèrent les dépenses plutôt que les économies d'argent, une initiation sexuelle précoce plutôt que la virginité jusqu'au mariage » (p. 121). Ce fantasme de citadin occidental a été publié dans un ouvrage (à cette exception près) remarquable. C'est dire que la frontière entre ce genre de caricature et des définitions plus scientifiques des sociétés paysannes est parfois vite franchie. Il est vrai qu’il s'agissait ici d'agriculture « de subsistance », et que l'on verra plus loin que la plupart des agricultures indiennes ne correspondent plus à cette terminologie.
16Mais ce n'est pas parce que l'on constate que durant la saison sèche nombre d'agriculteurs indiens sont à peu près oisifs, passant leur temps à des visites, à des mariages ou à des pèlerinages (ce qui du coup leur prend énormément de temps !), qu'il faut en déduire qu'ils sont « paresseux » : durant la pleine saison agricole au contraire, leur activité est de toutes les minutes, quelles que soient la chaleur ou les pluies. Il reste qu’on peut à bon droit souligner par exemple que les valeurs des Munda, ceux-là même qui habitent le village « solaire » de Sarwal, incluent loisirs et joie de vivre, sans pour autant tomber dans les excès de Foster ou de Rogers. C'est ainsi que A. van Exem (1973) montre que dans cette société Munda la maximisation du profit est loin de représenter la raison d'être de l'exploitation agricole. La tribu garde le souvenir d'un passé où ni la terre ni la forêt ne manquaient, où ne se faisait pas sentir la pression démographique. Toute accumulation était inutile, mieux valait chasser et festoyer, « danser pour les jeunes et boire pour les vieux » (p. 5). Or, depuis, forêt et terres vierges se sont amenuisées, les étrangers hindous ont accaparé le sol, la croissance de la population s'est accentuée. La situation a changé du tout au tout. Et cependant demeurent des survivances de ce passé dans les attitudes socioéconomiques des aborigènes.
17Tout d'abord une forte propension à la consommation. Ensuite, une mauvaise utilisation du capital. Quand on est un Munda et qu’on a du capital ou des surplus de grain disponibles, il faut accepter de le prêter à la moindre demande d'un voisin ou ami : telle est la coutume. Il n'est donc pas intéressant d'accumuler du capital ou de produire plus ; toute initiative est découragée. Celui qui s'enrichit deviendra victime de l'hisinga (jalousie) des autres tribaux, car il sera considéré comme ayant dérogé à l'idéal de pauvreté égalitaire qui prévaut chez les Munda, et menacé la cohésion de la communauté. Aussi ne souhaite-t-on pas lutter contre la pauvreté, car cela risquerait de provoquer l’hisinga des voisins tout autant que celle des esprits malins (un Munda enrichi peut être frappé par le mauvais œil). Belle illustration de la fable Le savetier et le financier : « on soumet la gestion de sa propriété à des pressions sociales », on néglige la maximisation du profit pour les loisirs, les liens sociaux, et le respect des valeurs égalitaristes - pourtant souvent bien dévoyées aujourd'hui.
18Voilà un premier type d'explication (sans doute contestable) que l’on peut faire intervenir pour comprendre les problèmes de la pompe solaire. Et il est vrai que les Munda convertis au christianisme (ils sont nombreux dans certains villages voisins, mais ne représentent qu'une famille à Sarwal) n’ont pas en moyenne les mêmes comportements socioéconomiques que les aborigènes restés fidèles à leur animisme traditionnel. Les chrétiens travaillent plus, mais boivent, chantent et dansent moins. Ils observent une morale enseignée dans les écoles missionnaires qui interdit le péché pour consacrer le labeur. Leur productivité s'en ressent - leur joie de vivre aussi.
19Alors, faut-il être weberien ? Disons seulement qu'une partie des logiques paysannes a été modifiée par l’enseignement d'une certaine austérité productiviste, couplé à un fort taux de scolarisation chez les Munda chrétiens (en raison de la pression de l'Eglise et de l'existence d’un grand nombre d'écoles missionnaires rurales). Il reste que l’importance de la religion dans l'explication des comportements ne doit pas être surestimée.
2. L'hindou
20Le paysan indien est-il hindou ? Les statistiques nous indiquent certes le contraire, avec 18 % de la population indienne qui est musulmane, chrétienne, animiste, jai'n... Mais cette population appartient de fait à la civilisation hindoue. C'est ainsi que les musulmans « convertis », les Ajlaf, portent les noms de leurs professions héréditaires tout comme les castes hindoues, et que les vidangeurs, bouchers ou barbiers musulmans ont un statut à peine plus enviable que leurs « collègues » hindous (V. Graff, 1984).
21Rappelons en effet que dans l'hindouisme, du moins tel qu'il ressort des grands textes védiques et brahmaniques, la société est divisée en quatre grands ordres appelés en sanscrit varna (« couleur »). Au sommet de la hiérarchie, les Brahmanes, varna des prêtres. Un peu plus bas, les Kshatryia, varna des guerriers et des rois. Puis les Vaishya, agriculteurs et marchands, qui terminent la trilogie indo-européenne chère à G. Dumézil. Mais en-deçà de ce groupe des « deux fois nés » (l'initiation à laquelle ils ont droit est une seconde naissance) se situe un quatrième ordre intégré postérieurement, celui des Shudra, sans doute originellement des non-aryens qui par la suite sont devenus des sortes d'ilotes, subordonnés des autres varna, voués aux travaux serviles et à l'agriculture8. En bas de l’échelle sociale, ils n'en forment cependant pas le dernier échelon, puisqu'encore inférieurs à leur statut se trouvent les aborigènes tribaux (Adivasi) et les Intouchables. Ces derniers, bien qu’appelés depuis le Mahatma Gandhi des Harijan (« enfants de Vishnu »), n'en restent pas moins aujourd’hui encore des paria9, alors même que la Constitution de l'Inde a « aboli » l'Intouchabilité.
22La structure est encore compliquée par la subdivision plus ou moins nette des varna en castes, les jati, hiérarchisées entre elles en un complexe système social (L. Dumont, 1966). Celles-ci sont des groupes sociaux endogames, caractérisés le plus souvent par un métier traditionnel héréditaire. « La caste n'est que la ghilde pétrifiée », écrivait - non sans exagération - Célestin Bouglé (1908). L'appartenance de chaque caste à une varna varie selon les régions et les époques, certaines castes faisant tout leur possible pour n'être plus considérées comme des Shudra mais comme des Vaishya, certains sous-groupes refusant d'entretenir des relations matrimoniales avec d'autres sous-groupes qui pourtant affirment être de la même caste, etc. Cela rend très aléatoire toute classification, et le chiffre récemment proposé par la Commision Mandai de 3700 castes, sous-castes et communautés en Inde pourrait aussi bien être majoré que minoré.
23Une identification entre Indiens et hindous, qui ferait bondir aussi bien les membres des religions minoritaires que les activistes hindous du BJP tonnant contre la trop faible « indianisation » des musulmans du subcontinent, est cependant fréquemment osée, ce qui permet de faire plus aisément le procès de l'hindouisme : si l'agriculture indienne reste en partie sous-développée, c'est parce que les paysans sont hindous. Cette religion est décrite le plus souvent empreinte de fatalisme, de contemplation mystique, la non-violence (supposée être un des caractères de l'Inde !) étant assimilée à de la non-action. Dès lors peut s’expliquer le conservatisme paysan, et son excessive inertie. V.S. Naipaul (1977), que ses origines indiennes ne rendent pas tendre avec le pays de ses ancêtres, souligne ainsi la paralysie qui frappe parfois les Indiens, et qu'il voit personnalisée dans Srinivas, un personnage du romancier R.K. Narayan : « Le quiétisme de Srinivas - composé de karma, de non-violence, et d'une vision de l'histoire comme fable religieuse étendue - est en fait une forme de narcissisme [self-cherishing] au milieu d'une détresse générale. Il est parasitique. Il dépend de l’activité continuelle des autres, des trains qui marchent, des presses qui impriment, des roupies qui arrivent de quelque part. Il a besoin du monde, mais il abandonne à d'autres l'organisation du monde. Il est une réponse religieuse à une défaite mondaine » (p. 25).
24Quant à l'Etat du Karnataka, où la présente recherche a été entreprise, Naipaul le voit doté d’« une paysannerie qui ne peut comprendre l'idée de changement : tels les occupants des ruines bordant le toujours vivant temple de Vijayanagar [capitale jusqu'au XVIe siècle du grand empire du sud de l'Inde], qui glissent à travers les façades de pierre ruinées en d'incessantes allées et venues, comme des insectes aux couleurs vives, poussant des cris stridents, d'une activité sans importance par cet après-midi de pluie » (p. 17). En définitive selon Naipaul, pour un hindou, pour un Indien, le monde extérieur n'importe que s’il influe sur le moi. On vit replié sur soi-même, et cette absence d'intérêt pour appréhender, conceptualiser et tenter d'expliquer le monde rend difficile l'analyse et la logique, va même jusqu'à gêner la production d'idées.
25C'est à se demander comment a pu être construite la ville de Vijayanagar, ses temples, ses palais, ses richesses, qui éblouirent tant les voyageurs occidentaux du XVIe siècle ! La perspective de Naipaul ignore l'histoire, tout en y faisant souvent référence, et se limite à quelques fugitives visions d'un présent trop partiel. Pour lui, l'individu n'a pas de véritable personnalité, prisonnier d'un déterminisme social et religieux qui le dépasse et l'enserre. C'est au peuple indien (certains jadis auraient dit à la race) qu’est dévolu le caractère.
26Loin de nous cependant l'intention de nier l'importance sur l'individu de son environnement socio-religieux. Ainsi, même si elle prête à des dérives dangereuses, on ne peut que trouver intéressante, sinon indiscutable, la théorie de E.H. Hagen10. « Puisque la créativité est grandement influencée par l'environnement familial (...) et puisque l'environnement familial, les méthodes d'éducation, et plus tard l'environnement de l'enfant peuvent tous varier selon les sociétés et d'une époque à l'autre, il s'ensuit que l'incidence d'une créativité quelque peu supérieure à la moyenne peut être plus importante chez un peuple que chez un autre (...). La Révolution Industrielle toucha en premier l'Angleterre et le Pays de Galles, non pas simplement parce que les circonstances en Grande Bretagne étaient différentes de celles sur le continent, mais parce que le peuple britannique était au-dedans (inwardly) différent des peuples du continent » (p. 36-37).
27Or, si l'on admet la possibilité de déterminer ainsi les qualités et la créativité propre à chaque peuple, à une époque donnée au moins, on peut en Inde aller plus loin, puisque la population est divisée en castes, chacune d'elles ayant place dans l'ordre du monde (le dharma hindou), chacune ayant ses rites, ses croyances, un statut, une activité en propre. On peut ainsi tenter de définir les qualités de chaque caste, et ceux qui allèrent le plus loin sur ce terrain sont sans doute les colonisateurs britanniques qui tentèrent d'établir une liste des aptitudes de chaque segment de la population. Ils appelaient character les attitudes particulières à une caste ou à une tribu (K. Nair, 1979, p. 80) : ainsi, au Panjab, la caste des Jat a une fort bonne réputation d'agriculteurs, tandis que celle des Rajput dans ce domaine est exécrable11. Dans une telle logique, un paysan de caste traditionnellement artisane aura toutes les chances d'être piètre agriculteur. Les Indiens, « parqués dans leurs castes »12, sont incapables de montrer quelque chose qui ressemble à l'individualisme occidental. De fait, on aura plus loin l'occasion de voir qu'au Karnataka, les Vokkaliga, agriculteurs « de caste », sont plus attachés à la terre que les autres... mais que les autres castes peuvent se révéler aussi bons agriculteurs que les Vokkaliga, pourvu qu'ils travaillent la terre depuis quelques générations déjà.
28On est loin en tout cas de l’outrance des idées de Naipaul, qui font écho à la fameuse « pensée pré-logique » attribuée par Lévy-Bruhl aux aborigènes d'Amérique du Sud ou d'Océanie. Outre que l'Inde, même rurale, ne pouvait décidément pas même au début du siècle être qualifiée de « société primitive », en raison de l'existence historique d'Etats forts et puissants encadrant la paysannerie, on a aujourd'hui fait justice de cette théorie - Lévy-Bruhl lui-même ayant sur le tard remarqué que l'homme occidental avait une part de « pensée mystique ». Comme le remarque C. Lévi-Strauss (1962), la « pensée sauvage » « procède par les voies de l'entendement, non de l'affectivité ; à l'aide de distinctions et d'oppositions, non par confusion et participation (...). La pensée dite primitive [est] une pensée quantifiée » (p. 355).
29Aussi ne sont-ce plus tant les facultés de la pensée sauvage qui depuis sont mises en cause, que les modes de pensée. Non pas tant l'éventuelle puérilité du raisonnement, que la manière de voir le monde. L'Indien n'a pas le même rapport au réel que l'homme occidental, précise Louis Dumont (1975). L'appréhension « objective » ne se fait que dans le tissu des rapports humains, par l'intermédiaire de l'Autre : d'abord en raison de la structure par castes, qui divise mais aussi unit, au sein de systèmes villageois jajmani où sont associés castes de services et castes d'agriculteurs ; ensuite par le rôle de l'Etat, ou de son intermédiaire le fermier général, ou du grand propriétaire féodal jagirdar - ou aujourd'hui de l’administration du fisc et du développement, si présente dans toutes les campagnes indiennes.
30L'individu n'a donc guère de prise sur l’histoire, prisonnier qu'il est de la collectivité. Et celle-ci du même coup, en déduira-t-on, n'est guère encline à l'évolution, puisqu'elle est composée d'individus peu autonomes. (Combien une statue du XIIIe siècle de Shiva Nataraja dansant peut ressembler à une statue du même dieu du XIXe !) Ainsi. L. Dumont n'est pas loin de donner un argument à la distinction proposée par Lévi-Strauss (qui s'en détournera quelque peu par la suite) entre les « sociétés chaudes » et les « sociétés froides » : ces dernières sont comme des machines qui utiliseraient l'énergie fournie au départ et, sans frottement, sans entropie, fonctionneraient indéfiniment. Elles « cherchent, grâce aux institutions qu'elles se donnent, à annuler de façon quasi-automatique l'effet que les facteurs historiques pouvaient avoir sur leur équilibre et leur continuité » (1962, p. 30913.)
31Une partie du problème réside peut-être dans le choix de ces verbes qui traduisent une certaine volonté dynamique : « se donnent », « cherchent ». Les sociétés froides selon Lévi-Strauss limitent volontairement leur évolution. Il s'agit de conservatisme. Or il ne semble pas nécessaire de supposer que ces blocages soient volontaires : il peut s'agir seulement de conservation, d'une stabilité inhérente au système social, passive, et qu'il n'est pas possible, le voudrait-on, de détruire. C'est l'hypothèse de Guy Bois14 pour expliquer les si faibles possibilités d'évolution de la polyculture traditionnelle du Clunysois médiéval. Apparaît bien là le rôle des structures et réseaux auquel faisait allusion L. Dumont. Dans une société mâconnaise où sont imbriqués élevage et cultures, exploitation familiale et solidarité communautaire, autosubsistance et cultures marchandes, « le système est tel que l'on ne peut modifier un élément sans menacer le tout » (p. 36). D'où un blocage général, suffisamment lâche cependant pour permettre des phases de croissance et de récession qui toutes ramènent finalement au niveau technique originel (E. Le Roy-Ladurie, 1966).
32Alors, consciemment ou inconsciemment, les mentalités tendent à effacer tout changement potentiel : la légitimité réside dans le legs des ancêtres et de la tradition, non dans le progrès. Et l'on retrouve le « A toujou été comm'cha » des paysans cauchois. La boucle est bouclée, et le paysan indien, parce qu'il est paysan et parce qu'il est indien, a deux raisons de préférer la « tradition » à la rationalité micro-économique.
B. LE PAYSAN MAXIMISATEUR
33C'est après la seconde guerre mondiale, dans un contexte international de décolonisation, que se fit jour un courant de pensée opposé aux idées exposées plus haut, et qui tendait à assigner au paysan du Tiers-Monde des vertus de rationalité, des capacités à « maximiser » le profit, de la même manière qu'elles sont généralement attribuées à un homme d'affaires. Tout en admettant que les raisonnements du paysan sont moins explicites et conscients que ceux d'un industriel du Connecticut, on se mit à affirmer que leurs évaluations des coûts et des bénéfices, l'esprit de prévision à court et à long terme aussi bien que les logiques de profit étaient tout à fait identiques.
34C’est sans doute le prix Nobel T.W. Schultz (1964) qui a le mieux et le premier soutenu que les agriculteurs du Tiers-Monde utilisaient efficacement les facteurs de production à leur disposition. S'ils sont pauvres malgré tout, affirme-t-il, c'est seulement que ces facteurs sont inadéquats, que leur manquent non seulement des techniques performantes mais aussi et surtout l'éducation et la qualification. Compte tenu de ces facteurs structurels limitants, ce que Schultz appelle l'« agriculture traditionnelle » est un « équilibre économique » que les caractères culturels sont insuffisants à définir, et que les facteurs économiques suffisent à expliquer : c'est ainsi par exemple que les dépenses somptuaires, mariages et autres, dont on accuse le paysan, s'expliquent aisément par le revenu fort peu élevé qu'il tirerait d'un investissement productif de son épargne.
35Au total, l'agriculture traditionnelle du Tiers-Monde est un véritable « capitalisme du penny » - Schultz reprend le titre d'une étude de Sol Tax sur le Guatemala15. Les paysans répondent comme tout bon entrepreneur aux possibilités nouvelles de profit ; leur problème est que les facteurs de production traditionnels sont de « coûteuses sources de croissance économique », et que l'investissement a donc un faible taux de revenu. Sinon, le choix des systèmes de culture et l'adoption de techniques nouvelles sont déterminés avant tout par la rentabilité, et il n’est « pas nécessaire de faire appel à des différences de personnalité, d'éducation, ni d'environnement social » (p. 164).
36Encore faut-il préciser, admet Schultz, ce que signifie la « rentabilité » pour le paysan traditionnel. Le terme n'a jamais un sens absolu, et doit toujours être considéré relativement à une communauté donnée, ce qui du même coup explique les choix différents des agriculteurs selon les pays. Ainsi du mais hybride, qui apporte 15 % de rendement en plus par rapport aux variétés traditionnelles. Mais 15 %, remarque Schultz, cela représente aux Etats-Unis 9 boisseaux de plus par acre, alors que cela n'en fait que 3 dans le Tiers-Monde étant donné des rendements de départ beaucoup plus faibles. Or, puisqu'il faut, si l'on choisit la variété hybride, acheter des semences coûteuses, c'est l'augmentation des rendements en valeur absolue et non en valeur relative, en kilos de grains et non en pourcentage, qui importe pour le paysan. Et voilà pourquoi l'agriculteur du Tiers-Monde sera si réticent à adopter cet hybride. Ce qui apparaît comme du conservatisme n'est en fait qu'un souci de rentabilité bien compris.
37Assurément, bien des études ont confirmé les théories schultziennes. G.R. Saini (1979) a même tenté de montrer pour le Panjab et l'Uttar Pradesh que la maximisation du profit net était l'objectif des paysans : trop souvent selon lui a été exprimée l'idée que dans une économie agricole avec des excédents importants de main-d’œuvre, l'utilisation du travail familial va parfois au-delà du point où s'égalent production marginale et montant des salaires sur le marché du travail, que donc l'exploitation en arrive à dégager un profit négatif si l'on estime la valeur du travail effectué par des membres de la maisonnée aux cours des salaires en vigueur dans la région. Or, affirme Saini, cela est faux, au moins dans l'Inde du nord-ouest où se déroula sa recherche : la productivité marginale du travail y est au moins égale aux salaires, ce qui veut dire que le paysan ne s'attache pas qu'au produit brut, mais qu'il calcule ses coûts de production aux taux du marché.
38Il semble difficile cependant de suivre Saini jusque là, même pour des régions comme l’Haryana qui jouissent de l’économie agricole la plus « moderne » de toute l'Inde. La présente recherche apportera de nombreux exemples venant contredire et Schultz, et Saini. D'autre part, dans d'autres études, et notamment celles concernant les exploitations que les économistes indiens qualifient de « marginales » (c'est-à-dire des minifundia), le calcul du bénéfice net au terme d'un bilan financier révèle souvent des « profits négatifs ». La théorie de Saini est-elle donc infirmée ? Pas nécessairement, rétorquent A. Saith et A. Tankha (1972) : c'est simplement que le mode de calcul est tout à fait erroné. Non, le profit n'est pas négatif. Oui, les paysans maximisent leurs bénéfices nets. Mais cela n'est pas visible pour deux raisons : d'abord, on oublie d'estimer certains sous-produits, pourtant essentiels pour l’exploitant. C'est ainsi qu'en évaluant l'élevage, il convient de ne pas oublier la valeur du petit-lait, et de la bouse. Ensuite, on a tort d'estimer tous les intrants au cours du marché, et notamment - ainsi que faisait Saini - d'estimer le coût de la main-d’œuvre familiale au prix des salaires des journaliers en vigueur dans la région. Car les exploitations sont insérées dans une économie rurale où le marché du travail connaît de nombreuses et extrêmes rigidités, sans la fluidité nécessaire à l'utilisation d'un calcul micro-économique classique. En particulier, les coûts d'opportunité16 relatifs à la main-d’œuvre familiale sont souvent proches de zéro, étant donné les difficultés que rencontrerait celle-ci si elle recherchait ailleurs du travail.
39Saith et Tankha viennent donc contredire Saini sur la méthode de calcul, mais le rejoignent sur la conclusion : le paysan maximise son profit. Et quand bien même il ne le ferait pas, cela signifierait-il qu'il agît irrationnellement ? Remarque essentielle : même si l'objectif du paysan n'est pas le profit net, la gestion de l'exploitation peut être tout à fait rationnelle, compte tenu de l'objectif. Ainsi, le paysan « marginal » n'a sans doute pas d'autre choix possible que de cultiver intensivement tout le peu de terre qu'il possède, même si le bénéfice net qu’il en dégage finalement se révèle négatif. La maximisation de la production brute, pour lui, cela veut dire se nourrir.
C. LE MAXIMISATEUR IMPARFAIT
1. Diversité des objectifs
40Il semble donc temps d'attribuer aux paysans du Tiers-Monde, et de l'Inde en particulier, des logiques différentes de celles d'une entreprise industrielle ou commerciale « moderne » qui sont de dégager un maximum de bénéfice net. Des attitudes, des stratégies très différentes peuvent être toutes rationnelles alors même qu’elles obéissent à des logiques très diverses. Ainsi, M. Dufumier (1985) distingue pour les exploitations agricoles du Tiers-Monde quatre objectifs possibles :
l'autosuffisance : elle concerne le plus souvent des agriculteurs microfundiaires, dans des régions montagneuses ou du moins enclavées, où les rares échanges se font trop au détriment des paysans. Recyclage des résidus de culture et omniprésence des cultures associées témoignent du désir de « maximiser la fourniture de calories et de protéines alimentaires par unité de surface » (p. 34).
la marge brute à l'hectare : si au contraire une culture commerciale est possible et rentable, les microfundiaires tentent de « maximiser les revenus monétaires à l'état de surface », quitte à utiliser au maximum la main-d’œuvre familiale ou même des intrants industriels.
la rémunération du travail familial : dans les régions où les pressions sur la terre sont assez limitées en raison de faibles densités de population (cas de l'Afrique occidentale), l’objectif ne sera pas de hauts rendements par hectare mais d'avoir la meilleure production possible par heure de travail investie. Le plus souvent, cela se traduit par des défrichements visant à une occupation maximale de l'espace et par une agriculture extensive (cf. par exemple J. Champaud, 1970).
enfin, le taux de profit, seul objectif véritablement « schultzien ». Il s'agit alors de rentabiliser au mieux son capital. C'est sans doute le cas de la plupart des agriculteurs occidentaux, mais une agriculture intensive utilisant mécanisation et engrais chimiques est loin d'y correspondre nécessairement - la conjoncture actuelle oblige maint agriculteur français à ne plus rechercher le taux de profit mais seulement la marge brute à l'hectare. Et à l'inverse, les grands propriétaires absentéistes d'Amérique du Sud, qui trouvent plus rentable d'investir en milieu urbain que sur leur latifundium, maximisent ainsi leur taux de profit tout en obtenant de très faibles rendements de production par hectare.
41On voit là que ce dernier objectif n'en est qu'un parmi d’autres, et nous verrons que les paysans peuvent en suivre d'autres encore. Désormais, les exploitants apparaissent comme pouvant avoir des objectifs fort divers, parce qu'ils sont soumis à des contraintes variables. Mais n'est-ce pas aussi en raison d'un libre choix qu'ils ont pu effectuer ?
2. Le problème des coûts d'opportunité
42On l'a déjà évoqué : savoir si le paysan évalue au prix du marché du travail le coût de la main-d’œuvre familiale divise les chercheurs : question d’importance, puisque d’aucuns, ayant trouvé que certaines activités agricoles engendrent des profits négatifs, en déduisent que le paysan n’est pas intéressé par le bénéfice, et même parfois qu'il se comporte irrationnellement. Or la question peut être élargie à tous les intrants fournis par l'exploitation elle-même (fumure animale, force de travail, semences...). Le paysan estime-t-il tout cela pour négligeable, du moment qu'il n'a pas pour les utiliser à débourser du numéraire ? Pour A. Tchayanov (1925), la réponse était claire : supposons des exploitations pratiquant exclusivement des cultures vivrières et recherchant l'autosuffisance - ce qui représente les axiomes présupposés de sa théorie (et qui évidemment ne correspond pas à la réalité indienne). Alors Tchayanov prouve que le paysan n'estime pas la valeur comptable de la main-d’œuvre familiale, et qu'il ne l'évalue que par le degré de peine et de fatigue qui y est attaché. Le paysan n'estime que les frais de renouvellement du capital fixe et du capital circulant (rachat de bétail et de semences, réparation d’outils...) : sinon, c'est le produit brut, et non le profit net, qui est son objectif. Pour satisfaire les besoins familiaux, on travaillera donc sur l'exploitation sans souci de rentabilité économique (ce qui explique que des exploitations qui sont économiquement non viables puissent subsister), avec pour seule limite le caractère pénible de la tâche. D'où le concept central chez Tchayanov d'« équilibre travail - consommateur ».
43On voit la difficulté : pour les microfundiaires souffrant de disette à chaque soudure, la mesure de la pénibilité d'un même travail risque de ne pas être la même que pour les gros exploitants. En situation de mal- ou de sous-nutrition, les « marginaux » n'auront pas le choix, et investiront leur travail au-delà de la limite d'équilibre définie par Tchayanov. Car sinon, ainsi que le remarquent A. Saith et A. Tankha (1972), ce serait faire le choix de « crever de faim en se reposant plutôt que de travailler pour vivre » (p. 359).
44On reste en tous les cas dans le cadre du second objectif défini par M. Dufumier : maximiser la marge brute à l'hectare. T.S. Epstein (1962) a retrouvé le même objectif dans une région qui nous intéressera, tout près de Mandya au Karnataka : là, dans le village de Dalena, les paysans possèdent de nombreuses terres irriguées dans des finages des environs. Or, le paddy y est la culture majeure tandis que la canne à sucre est très secondaire (alors qu'elle représente le fondement de l'agriculture régionale). Plus étonnant, d'après les calculs d'Epstein, le revenu net apporté par la canne est plus de quatre fois supérieur à celui du paddy. Il serait donc a priori plus rentable pour le paysan de cultiver de la canne à sucre, même si une culture de paddy dure moins de 6 mois tandis que la canne exige un an avant de parvenir à maturation. Mais une des raisons de la préférence accordée au paddy est que celui-ci demande moins de dépenses en numéraire que la canne. Devant la difficulté de réunir les nécessaires fonds de roulement, le paysan s'en tient à la riziculture, et tant pis si le chercheur, lui, constate que si l’on évalue aux cours du marché le travail, les engrais et le fourrage fournis par l'exploitation, les riziculteurs connaissent un déficit net de quelques roupies par an, alors que les producteurs de canne obtiennent selon le même calcul un profit de plus de 300 Rs. Pour le paysan, en conclut Epstein, « le profit n'est pas un concept important » (p. 222). L'essentiel pour lui, c'est la différence entre revenu brut total et intrants en numéraire (cash inputs). Le rendement par hectare passe avant la productivité du travail17. (Nous verrons que les logiques paysannes dans la région ont changé depuis 1955, année du premier séjour de T.S. Epstein au Karnataka).
45Reste, si l’on admet cette théorie, comme par exemple P.F. Barlett (1980), à l'expliquer. Le principal facteur d'explication résiderait sans doute dans le faible coût d'opportunité des intrants. Dans une économie rurale où règne le sous-emploi, explique-t-on, la main-d’œuvre familiale trouverait très difficilement à s'engager si elle voulait travailler ailleurs que sur l'exploitation. Mais une telle explication n'est-elle pas fondé sur un cliché, le sous-emploi rural (J. Connell, M. Lipton, 1977) ? Car au moment des labours, des moissons, au temps où il faut accomplir les façons culturales sur une courte durée, quand la terre est encore imprégnée des premières pluies, ou quand le grain est arrivé à maturité, l'emploi ne manque pas au village ; un déficit de main-d’œuvre risque même de se faire sentir : le coût d'opportunité du travail familial est donc alors sensiblement égal au niveau des salaires des ouvriers agricoles. Et il en est de même pour les autres intrants : qui pourrait affirmer que n'a aucune valeur le fumier issu de son étable qu'épand l’agriculteur sur ses champs, et qu'il ne pourrait être vendu, ou du moins troqué ? Là aussi, le coût d'opportunité est loin d'être négligeable, contrairement à ce qu’affirmaient Saith et Tankha. A moins de considérer les paysans comme insouciants et négligents, on ne voit pas pourquoi ils n'accorderaient pas une certaine valeur - et même une valeur certaine - à tous ces facteurs de production, quand bien même ils sont produits sur l'exploitation. On le montrera, les paysans du Karnataka n'évaluent certes pas aux prix du marché les intrants produits sur leur exploitation et la main-d’œuvre familiale... mais ils ne leur accordent pas non plus une valeur nulle.
3. Limiter les risques
46Si la théorie de Schultz sur la maximisation du profit par le paysan est loin d'être toujours vérifiée, une des principales raisons à cela est sans doute la crainte des risques, crainte que Schultz a évoquée mais sans doute sous-estimée (S. Popkin. 1988) : risques climatiques dominants dans une Inde soumise aux aléas de la mousson (F. Durand-Dastès, 1982a), chute des cours, accident au sein de l'exploitation... Le paysan n'a pas la capacité suffisante pour risquer une mauvaise récolte, même s'il existe des chances pour que celle-ci soit très bonne. Son objectif, c'est avant tout l'assurance d'une récolte moyenne. Deux résultats moyens le satisferont, tandis qu'une récolte excellente suivie d'une récolte catastrophique pourront ruiner son exploitation. Il s'agit donc avant tout d'assurer le long terme et la conservation des moyens de production, ce qui explique aussi que le paysan ne réagisse dans ses rotations à une hausse des cours qu'avec un certain retard, retard correspondant à l'attente d'une confirmation de cette hausse pour l'année suivante (G.H. Mulla, 1968, et D. Blamont, 1982).
47Ce qui fait que si l'on inclut le facteur risque dans une analyse de coûts et bénéfices (J.L. Dillon, J.R. Anderson, 1971), le paysan cette fois semble réussir à maximiser ce que l'on devrait appeler « utilité », ou mieux encore « satisfaction » (S. Ortiz, 1973), c'est-à-dire le moyen d'assurer la survie de son exploitation et de sa famille à long terme. Certains esprits chagrins pourront regretter que le paysan voie parfois des risques là où il n'en existe point, ce qui le conduit à une trop grande prudence. Mais, pourrait-on répliquer, il s'agit sans doute de perceptions du risque différentes : d'un côté perception du paysan mal informé, et de l'autre perception du développeur qui, lui, a pleine confiance dans la variété de semence améliorée qu'il tente de faire adopter à l'agriculteur. L'un sait - ou croit savoir -, l'autre est dans l'ignorance.
48C'est là tout ce qui distingue le « risque » de l'« incertitude »18. Le risque est un élément que connaît le paysan, qu'il a l'habitude de faire entrer en ligne de compte dans ses choix. L'incertitude est toute autre, car elle correspond à la peur de l'inconnu. Les accidents climatiques présentent des risques, dont le paysan connaît parfaitement les probabilités, tandis qu’une variété nouvelle à haut rendement engendre l'incertitude, sans qu'aucune probabilité puisse être définie par l’expérience. Le risque peut avoir des effets positifs car il peut inciter à adopter une technologie nouvelle afin de le limiter, voire de le supprimer totalement ; l'incertitude, quant à elle, contribue plutôt à empêcher l'adoption de nouveautés, et serait au contraire un facteur de conservatisme. L'introduction de nouvelles technologies agricoles ou l'utilisation croissante des intrants, si elles augmentent les profits nets, accroissent également bien souvent la variation de ces profits et génèrent encore davantage d'incertitude (M.G.G. Schluter, 1974).
49Il reste que même en tenant compte de la crainte du risque, et des diverses manières d'estimer le coût des facteurs de production, il n'est pas toujours possible d’expliquer les choix paysans. C'est sans doute que l'exploitation ne flotte pas dans l'abstraction d'un environnement purement économique.
D. LE CHOIX ET LES CONTRAINTES, NATURELLES ET SOCIALES
1. La mort du déterminisme ?
50Il ne semble pas utile de débattre à nouveau de la vieille question du déterminisme géographique, pour savoir si les sociétés paysannes sont esclaves de leur milieu naturel, qui imprimerait sa marque et ses contraintes sur l'ensemble du système social. Des travaux comme ceux de P. Gourou ont largement montré que l'homme avait prise sur les données naturelles, même si celles-ci l'influencent dans ses choix de mise en valeur. Certes, la société ne peut pas tout faire sur un milieu donné ; mais il existe un grand nombre de choix possibles pour un même milieu, et c'est parmi toutes ces alternatives que la société choisira « librement » pourrait-on dire, c'est-à-dire sans contrainte directe exercée par la nature. Mieux : la véritable contrainte n'est pas celle du milieu naturel, mais plutôt celle de l'efficacité des techniques de production dont dispose la société19. En ce sens on pourrait même parler de « déterminisme de civilisation ».
51Mais admettre ce déterminisme de civilisation ne fait que repousser à une autre échelle la question de la liberté individuelle du paysan. Celui-ci dispose certes d'un éventail souvent large de choix possibles pour la mise en valeur d'un même milieu, mais cet éventail est défini par la société dans laquelle il vit. Libéré d'une certaine façon des contraintes naturelles, le paysan ne se retrouve-t-il pas prisonnier des structures sociales ?
2. Paysan ou agriculteur ?
52Il n'est pas indifférent que dans les quelques pages qui précèdent, on ait employé le plus souvent le mot « paysan » de préférence à « agriculteur ». Le second substantif désigne un métier. On est agriculteur, comme on peut être courtier d'assurances ou plombier. Au contraire, « paysan » désigne l'appartenance à une société rurale où ont pu se maintenir certaines traditions, techniques, croyances et rapports sociaux - l'agriculture est une culture. C'est ainsi que la majeure partie des agriculteurs français contemporains ne sont plus des paysans, puisqu'ils ont adopté les valeurs urbaines modernes et vivent aujourd'hui presque comme des citadins. La terre n'est plus un mode de vie, mais un simple métier. Au contraire, la plupart des agriculteurs indiens sont restés paysans, et l'on aura l'occasion plus bas de montrer que leurs mentalités, leurs systèmes de valeurs, aussi bien que leur habillement ou leurs goûts alimentaires demeurent encore largement différents de ceux des citadins.
53Le choix des deux termes n'est donc pas indifférent. Parler toujours et seulement d'« agriculteurs », c'est présupposer que les paysans indiens ont les mêmes types de raisonnements que les Indiens urbains, ou que les agriculteurs européens. Evoquer les « paysans » au contraire, c'est mettre l'accent sur le poids des relations sociales affectant leurs comportements, envisager l'individu au sein d'un système de valeurs socio-économiques et religieuses qui peut influencer ses choix.
54Ici, un paysan sera simplement quelqu'un qui vit de l'agriculture dans une société où l'agriculture fonde la plupart des valeurs. En ce sens, la société rurale contemporaine de l'Inde peut encore être définie comme une « société paysanne »20. Et l’on peut même inclure parmi les « paysans » des non-agriculteurs, du moment qu'ils partagent les mêmes valeurs que les cultivateurs. C'est ainsi que R. Firth (1964) parle de « pêcheurs paysans », et qu'il nous arrivera d'évoquer forgerons, blanchisseurs ou commerçants villageois dans un ouvrage consacré aux logiques « paysannes ».
55La tentation est grande alors, quand on aborde l'Inde, d'insister sur la soumission de l'individu face à une société qui est non seulement paysanne mais hindoue. On peut le faire comme Michaux, en poète sensible à l'étymologie qui promène son regard incompréhensif sur l'Asie : « L’Hindou est religieux, il se sent relié à tout »21. On peut le faire aussi en sanscritiste, comme M. Biardeau (1981) : alors l'homme hindou - du moins celui des hautes castes - apparaît comme simple maillon d'une immense chaîne qui relie morts et vivants, dieux et mortels, comme chargé de dettes envers les dieux, les ancêtres aussi bien que les rishis. Pour elle, dire que le jeune homme une fois initié « est devenu un être social est trop faible - ou trop fort - si l'on entend par là l'entrée à titre de membre dans un groupe social donné : subrepticement, nous y verrions la reconnaissance de son existence - enfin ! - comme individu à l'intérieur de son groupe » (p. 42) et nous oublierions tous les devoirs qui lui incombent et qui le lient22.
56Certes, l'intérêt individuel est reconnu dans les textes brahmaniques : c'est l'artha, la recherche du profit, l'intérêt matériel, qui représente l'un des quatre buts de l'homme, placé sur le même rang que le kama, la recherche du plaisir, et presque au même niveau que le dharma, le devoir de maintenir l'ordre du monde. Mais n'arrive-t-il pas justement que l'artha soit freiné par le dharma ? En tous cas, même les paysans les plus analphabètes connaissent cette notion de dharma qui, comme l'a montré A.R. Beals (1974) pour trois villages du Karnataka, peut intervenir au moment de prises de décisions. C'est ainsi que le paysan auquel un fonctionnaire du ministère de l'Agriculture prétend suggérer une nouvelle technique agricole, ou l'essai d'une variété à haut rendement, peut fort bien se sentir insulté par ces conseils : quoi ! on pense qu'il ne sait pas en quoi consiste son dharma, ce qu'est ce métier que ses pères lui ont enseigné ? Du coup, une culture complètement nouvelle telle que certains légumes stimulera souvent bien plus la curiosité et l'ouverture d'esprit du paysan que de simples perfectionnements portés à des cultures traditionnelles.
57Un point de vue de géographe, d'ethnologue ou d'économiste montrera également que certaines cultures vivrières pratiquées à grand peine peuvent n'être que des survivances destinées à conserver le souvenir des ancêtres qui les pratiquaient, mais aussi plus prosaïquement que les liens avec les vivants sont souvent d'une extrême importance : ainsi, le choix d’une culture commerciale dépend des cours, mais aussi de ce que décident les voisins ; car être le seul à cultiver et à vendre une espèce végétale dans un village poserait trop de problèmes, aussi bien pour la culture même (problème des prédateurs à écarter) que pour la commercialisation. Le choix individuel d'une culture peut donc dépendre du contexte socio-économique, tout comme d'ailleurs l'utilisation de la main-d’œuvre sur l'exploitation : R.J. Lahiri (1979) a ainsi montré pour le Tripura du nord-est de l'Inde que l'utilisation de la main-d’œuvre familiale ne peut pas être optimisée selon les règles de la rentabilité micro-économique. Car le travail des membres de la maisonnée correspond à un coût fixe qui ne peut être réduit (d'où une productivité marginale du travail qui tend vers zéro), « puisque la participation de la main-d’œuvre familiale sur l’exploitation est partiellement déterminée sociologiquement » (p. 51) : tous les membres de la maisonnée doivent travailler sur l'exploitation pour marquer leurs droits sur la terre, leurs droits à en consommer le produit, et pour ne pas créer de jalousies ni d'inégalités à l'intérieur du cercle familial.
58Cela dit, pour cette dernière remarque comme sur le reste, on peut douter que le cas de l'Inde soit si spécifique. N'est-ce pas dans la plupart des sociétés « traditionnelles » du Tiers-Monde que l'idée de liberté individuelle et la notion de personne posent problème ? Problème social plus que religieux, en fait : le responsable de semblables comportements serait sans doute moins l'hindouisme que la société hindoue/indienne. La religion détermine moins la société qu'elle n'est déterminée par elle, pourrait-on alors affirmer. Il n'y a qu'à voir combien l'hindouisme a pu évoluer au cours des siècles, pour comprendre que l'hindouisme d'aujourd'hui n'est que ce que les hindous ont voulu qu'il soit.
59Autant de remarques qui laisseraient à penser que le paysan doit jouer avec de nombreuses contraintes socio-culturelles lorsqu'il prend ses décisions d'ordre économique. La sphère de l'économie se trouverait donc comme encerclée dans la sphère socio-culturelle, et déterminée en partie par elle. C'est K. Polanyi (1975) qui s’éleva le plus fortement contre l'ethnocentrisme consistant à décrire les sociétés paysannes avec des schémas issus de l'analyse économique classique, valables uniquement selon lui pour l'économie de marché. Pour Polanyi, l'économie est « encastrée » (embedded) dans la société traditionnelle ; la religion aussi bien que le système de parenté interfèrent largement dans les échanges et la production. En fait, c'est seulement dans l'économie capitaliste, où, selon un processus que L. Dumont23 a décrit, l'économique s'est progressivement dégagé du reste de la société, que celui-ci domine celle-là. Dans le Tiers-Monde comme dans les « anciens empires », c'est au contraire la société qui domine l'économique. Dans la querelle qui oppose « formalistes » comme R. Firth ou Schultz, pour qui le concept d'économie peut être appliqué tel quel à toutes les sociétés, aux « substantivistes » pour qui l'économie, simple moyen de pourvoir aux besoins matériels des hommes, est structurée par des institutions sociales qui la dépassent, Polanyi se range du côté des seconds (P.F. Barlett, 1980 ; G. Dalton, 1961).
60Mais le problème n'est-il pas mal posé ? Faut-il vraiment opposer l'économique et le reste, et affirmer que l'un détermine l'autre - ou l'inverse ? Il nous semble difficile d'affirmer que la religion n'est qu'une production de la société, une « superstructure » idéologique, simple écume qui ne ferait que témoigner partiellement de ce qui se tient en profondeur. D'un autre côté, il est sûr que la religion n'est pas ce bloc, cette solide assise, cette « infrastructure » sur laquelle se bâtirait toute une société, fût-elle hindoue. M. Godelier (1984) a sans doute apporté la juste réponse : il ne sert à rien d'opposer, comme dans la querelle entre marxistes et idéalistes, infra- et super-structures, économie et idéologie, économie et religion. Une « superstructure » comme la religion (ou comme les rapports de parenté chez les aborigènes australiens, ou les rapports politiques dans l'Athènes du Ve siècle) peut très bien dominer une société et ses relations économiques, être donc une « infrastructure », pour peu qu'elle fonctionne en même temps comme rapports de production, que par elle fonctionne l'économie. La religion peut gouverner la vie sociale si elle est plus que la religion, si elle gouverne les rapports économiques. C'est que tout rapport social inclut de l'« idéel », des représentations : « le poids des idées ne leur vient pas seulement de ce quelles sont, mais de ce qu'elles font » (p. 192). C'est ainsi que l'artha est un devoir d'essence religieuse, mais qu'il se réalise dans les sphères économique et politique. De même, le système des castes est un système religieux, mais aussi, nous le verrons, un système économique ; et c'est ce qui explique sa prégnance dans la société indienne.
61Il semble bien alors que l'analyse économique traditionnelle soit adaptée à l'évaluation quantifiée des performances de production, de commercialisation ou de consommation, mais qu’elle ne puisse jouer le rôle que d'un simple outil expliquant les moyens, les stratégies, et non les finalités, les logiques. Comme le souligne G. Dalton (1971), on peut, on doit se servir de la science économique classique, mais il faut ensuite la dépasser, et ne pas avoir peur de ne pas employer la terminologie économique : parler par exemple de la « maximisation » du prestige, c'est « se couvrir d'une feuille de vigne pour cacher sa nudité en matière théorique » (p. 359). Que l'environnement social influe sur la sphère économique n'est d'ailleurs pas seulement vérifié dans les sociétés primitives. « Un Américain est né dans une culture où l'on parle anglais. En aucune manière il ne "choisit" de parler anglais, car aucune véritable alternative ne lui est offerte. De même, l’habitant des îles Trobriand est né dans une culture où l'on cultive l'igname. Il ne "choisit" pas de cultiver de l'igname plutôt que des broccolis » (p. 78).
62Cela dit, est-il justifié de comparer le paysan indien avec l’indigène trobriandais, plutôt qu'avec l'agriculteur breton24 ? On peut répondre par l'affirmative si l'on revient à la distinction entre « paysan » et « agriculteur ». Mais cela devient beaucoup plus discutable si l'on se réfère aux niveaux respectifs de développement des économies. L'agriculture indienne se révèle alors pour le moins différente de l'agriculture trobriandaise, où les échanges et la monétarisation sont extrêmement limités.
63Aussi importe-t-il de distinguer avec G. Dalton trois types d'économies dans le monde : le premier est celui des « économies paysannes », qui, comme par exemple en Inde rurale, sont caractérisées par le rôle important du numéraire, avec une économie largement ouverte sur l'extérieur, émettrice et réceptrice de flux en relation avec le milieu urbain ou l'Etat central. Elles représentent un état intermédiaire, pourrait-on dire, entre deux autres types d'économies : les « économies modernes », qui prédominent dans les pays développés et disposent d'une technologie plus complexe ainsi que d'une moindre insécurité matérielle ; et les « économies primitives », caractérisées par l'absence presque totale d'échanges monétarisés, et qui sont de plus en plus rares avec la disparition des sociétés traditionnelles, souvent de structure tribale, auxquelles elles correspondaient. Certes, certaines régions de l'Inde, particulièrement enclavées, ont encore une économie « primitive » (zones tribales, notamment dans le Nord-Est) ; d'autres au contraire, à l'agriculture très productive et à vocation purement commerciale, sont caractérisées par une économie « moderne » (Panjab, Haryana...). Mais l'agriculture indienne dans son ensemble correspond davantage à ce qu'est une économie « paysanne », avec cette ambivalence qui fait toute la difficulté de son étude : une large ouverture sur l'extérieur, mais une part encore importante laissée à l'agriculture vivrière dite « de subsistance » ; une monétarisation importante et l'omniprésence de l'Etat, combinées avec des mentalités qui parfois craignent de prendre des risques et accordent une grande importance aux obligations sociales.
64Mais dans une telle société, l'individu a-t-il encore sa place ? Si l'on pousse la théorie de Polanyi jusqu'à l'extrême, on arrive aux modèles dits « hyperfonctionnalistes » où le sujet ne dispose plus d'aucune marge de liberté. Ce que l'on « veut » faire ne serait en réalité que ce que la société attend que l'on fasse : nous tiendrions un simple « rôle » social, nous ne serions que des acteurs.
65Heureusement pour le travail de terrain de l’anthropologue ou du géographe, tout n'est pas qu'affaire de valeurs et de structures sociales, ni de « modèles d’interaction ». Dans une société indienne contemporaine qui demeure encore caractérisée par la hiérarchie du système des castes, appréhender l'individu doit assurément se pratiquer au sein de tels systèmes. Mais ne tombons pas dans le « sociologisme » excessif de certains structuralistes qui, voulant s'opposer aux théories phénoménologistes ou behaviouristes qui toutes faisaient porter l'accent sur l’Individu, effacèrent le sujet, lui réfutèrent toute autonomie face à l'omniprésence et l'omnipotence de la structure. Certes, les structuralistes - et avant eux les pionniers comme Durkheim, en insistant sur les causes sociales du comportement individuel - ont l'immense mérite de mettre en lumière la globalité de toute société, ce que les Anglo-Saxons nomment holism, et qui détermine au moins pour une large part les décisions individuelles.
66Mais il conviendra de demeurer prudent. J. Van Velsen25 par exemple, remarque que dans l’optique structuraliste chaque individu a un statut clairement défini au sein d'une structure, par exemple celle du système de parenté. Or cela est une vision des choses trop abstraite et schématique, puisque un père peut être tout à la fois également un fils, un chef ou un esclave, un voisin. Autant de structures imbriquées les unes dans les autres (la parenté, les rapports politiques, les relations de proximité), qui font que l'individu, lorsqu'il se trouve confronté à une situation particulière, doit, pour décider du comportement à suivre, « manipuler les normes » et transcrire dans la pratique des règles de conduite qui ne sont sinon que des principes abstraits.
67Il faudrait d'autre part, et cela même si l'on suppose que les individus disposent de très peu de liberté au sein des déterminants objectifs, savoir quelles sont les structures dominantes au sein de la société envisagée. La querelle au sujet de l’Inde est devenue classique : quelle est la principale structure explicative des rapports sociaux, la caste ou la classe26 ? Schématiquement, on peut définir deux points de vue : des anthropologues comme L. Dumont ou M.N. Srinivas insistent sur la hiérarchie des castes, mais aussi sur leur complémentarité qui permet à la société villageoise de fonctionner. A ceux-ci s'opposent des sociologues et ethnologues marxiens ou marxistes comme A. Béteille (1969, 1974), J. Mencher (1978) ou C. Meillassoux (1977) qui, parfois de manière provocante (« Y a-t-il des castes en Inde ? » s'interroge Meillassoux), voient dans la structure de classes le fondement d'une hiérarchie sociale beaucoup moins harmonieuse et beaucoup plus conflictuelle. Meillassoux va jusqu'à affirmer que la division en castes tient à l'origine de la réalité littéraire, forgée par les textes védiques mais aussi par les rapports des ethnographes et administrateurs coloniaux - une division qui aurait été pourtant acceptée et intégrée comme telle par les populations concernées, un peu comme ce qui se passa en Afrique selon J.L. Amselle (1990) où le découpage en ethnies n’aurait été qu'une création ethnographique reprise ensuite à leur compte par les sociétés d'Afrique noire.
68Il semble qu'il faille tenir compte des deux conceptions. Il serait stupide de considérer la société hindoue sans évoquer la structure des castes, mais il importe également d'aborder les rapports de production sous l'angle de la classe sociale. Chaque individu appartient à une caste qui jouit d'un certain statut, mais aussi à une classe qui dispose d'un certain pouvoir socio-économique. Banalité, mais banalité qu'il convient cependant de garder à l'esprit d'autant plus qu'il est loin d'y avoir toujours équivalence entre caste et classe27.
69Cela dit, nous butons toujours sur la même difficulté : quel est le pouvoir de décision d'un individu, au sein d'une structure de castes comme d'une structure de classes ? Il se trouve assurément loin d'être nul. Quelle que soit la rigidité du système l'environnant, l'individu garde sa personnalité et une certaine autonomie. « Après tout, déclarer que le paysan qui repousse une innovation avantageuse pour lui, ou que la famille qui refuse de pousser un enfant vers des diplômes élevés sont victimes des mécanismes qu'ils ont intériorisés par l'effet de leur environnement social, n'est qu'une manière polie de traiter ces acteurs sociaux d'imbéciles » (R. Boudon, 1979, p. 13). L'individu peut certes n'être qu’acteur au sein de « systèmes fonctionnels » (comme lors de l'exercice de son métier par exemple, où il joue un « rôle » social), mais il se comporte néanmoins comme agent pour ce qui est de ses comportements au sein d'autres sytèmes d'interaction moins déterminés (comme lorsqu'il va faire ses courses au marché).
70Il semble en fait que l'individu se comporte un peu avec la société ou la structure sociale qui l'entoure comme l'employé décrit par M. Crozier, vis-à-vis de l'« organisation » bureaucratique dans laquelle il travaille. Le parallèle qu’on pourrait faire entre l'individu employé d'une administration et l’individu maille du tissu social peut être stimulant. En effet, pour M. Crozier et E. Friedberg (1977), l'individu développe au sein de l'organisation où il travaille une stratégie qui tient compte des règles de fonctionnement de l'organisation (lisons quant à nous : des règles de fonctionnement de la société, de la caste, ou du village), mais qui vise à renforcer ses avantages personnels, à augmenter son pouvoir et à améliorer son poste au sein de l'organisation (lisons : à produire de quoi assurer sa subsistance, ou à renforcer sa position financière et sociale). Dans l'organisation bureaucratique (tout comme dans la société), on ne doit pas croire que les acteurs prennent toujours nécessairement des décisions rationnelles, car il faut « repenser la situation concrète telle qu'elle est perçue et connue par l'acteur, redéfinir les options telles qu'il les appréhende, pour comprendre ses options qui ne visent pas une rationalité absolue, mais l'amélioration de sa satisfaction » (P. Ansart, 1990, p. 70). Voilà qui rappelle tout à fait nos remarques sur le danger de l'incertitude pour le paysan, incertitude qui peut expliquer sa prudence excessive aux yeux du développeur, lequel quant à lui dispose d'une vue plus large et moins subjective des différentes alternatives possibles.
71Tout se passe donc comme si, au sein de la « société » - au sens économique d'« entreprise » aussi bien que de milieu social - l'individu disposait d'une certaine marge de manœuvre à l'intérieur de grandes règles qu’il ne peut transgresser sous peine de licenciement (selon Crozier) ou d’exclusion sociale ou de mort (selon l’ethnologue). Dans tout « acteur », il y a un « agent » qui sommeille... et qui s'éveille souvent. Du coup, on pourrait - non sans audace - rapprocher les stratégies de l'acteur dans l'organisation selon Crozier, de cette autonomie (très relative) qu'accorde au sujet P. Bourdieu (1980) avec son concept d'« habitus », défini comme l'ensemble des dispositions inculquées par l'environnement social et intériorisées par l'individu qui les mettra ensuite en pratique subjectivement. « Intériorisation de l'extériorité » (p. 92), l’habitus met l'individu en « liberté conditionnée » : ainsi peuvent être dépassées les vieilles oppositions entre déterminisme et liberté, entre conscience et inconscient, entre individu et société.
72Mon souhait : envisager pour une région de l'Inde rurale les comportements individuels en fonction des déterminants sociaux (religion, caste, rapports de production, structures de parenté...), mais aussi de l'instinct de survie et de la volonté de puissance. Voir comment le sujet se meut au sein des structures objectives, comment il instille un peu d'humanité, de faiblesse et de passion, de folie même parfois, dans un environnement qui ne parvient jamais à le déterminer totalement. Dans trois villages du Karnataka, peuplés de plus de 3000 habitants, j'ai tenté de comprendre pourquoi il y avait plus de 3000 comportements, plus de 3000 stratégies qui toutes jouent avec les structures et les règles en place pour les subvertir, les respecter, les contrer, les dominer, ou s'y casser les reins. Aussi ai-je souvent privilégié le qualitatif, parfois par manque de données précises sur certains sujets, mais aussi parce que, à la charnière entre l'objectif des déterminations et le subjectif des passions, il existe des faits, des comportements qui ne se mesurent pas.
E. METHODOLOGIE
« Une ville, une campagne, de loin c'est une ville et une campagne, mais à mesure qu'on s'approche, ce sont des maisons, des arbres, des tuiles, des feuilles, des herbes, des fourmis, des jambes de fourmis, à l'infini. Tout cela s'enveloppe sous le nom de campagne ».
Pascal, Pensées (Lafuma, 65).
73La présente recherche a été effectuée avec l'aide financière et dans le cadre du programme Dynamique des systèmes ruraux : les enjeux de la diversification. Une approche des Tiers-Mondes du Centre de Géographie Tropicale (CEGET) du CNRS, à Talence. Par l'accent mis notamment sur la dialectique diversification/homogénéisation, ce programme dirigé par J. Racine visait à étudier l'évolution de ce qu'on se propose d'appeler des systèmes ruraux. Un système rural est, à une échelle inférieure ou égale à celle de la région, « un espace relativement homogène (sans être toujours uniforme) que définissent l'identité d'un milieu, d'un paysage, la formation sociale qui le peuple, les structures qui l'organisent, les pouvoirs qui s'y exercent, les facteurs d'évolution qui gouvernent sa dynamique (...). Un système rural correspond à l'ensemble des structures et des relations qui organiquement et fonctionnellement donnent à un espace rural son identité » (CEGET, 1988. p. 6).
74Le système rural se rapproche donc de ce que les agronomes appellent un « système agraire » (P.J. Roca, 1987), mais ce dernier terme a par son intitulé l'inconvénient de laisser théoriquement de côté tout ce qui ne concerne ni l'agriculture ni les structures agraires : or dans un espace rural, il existe des influences urbaines, des flux témoignant de relations avec l'Etat ; il existe aussi des industries, un réseau de transport, des structures commerciales...
75La recherche portant sur la dynamique des systèmes ruraux se fit en Inde pour le CEGET dans le cadre d’un programme dirigé par J. Racine, intitulé Migrer ou pas ? Changement rural, logiques de mobilité et logiques d'enracinement en Inde du sud, en collaboration avec l'Institut Français de Pondichéry, l'Université de Mysore (Karnataka) et le Madras Institute of Development Studies (Tamil Nadu).
76L'idée d'un tel programme est venue d'un paradoxe : les « monstres urbains » de l'Inde, tels que Bombay ou Calcutta, sont d'une taille qui ne saurait cependant faire oublier l'importance de la population rurale en Inde. Pourquoi, et comment, près des trois-quarts des Indiens (74 % en 1991) demeurent-ils des ruraux ? Le pourcentage est bien supérieur à la moyenne des pays du Tiers-Monde, et l'on imagine les conséquences économiques, sociales aussi bien que politiques si l'exode rural venait à s'intensifier. Cela dit, l'enracinement rural actuel n'est nullement synonyme d'immobilité : il peut exister des migrations temporaires, tout autant que des migrations de la campagne vers la campagne28. Abordant les logiques paysannes en matière de migration et d'enracinement, la présente recherche a eu ensuite pour objectif d'élargir l'étude à tous les autres domaines dans lesquels les villageois doivent faire des choix à partir de contraintes physiques, climatiques, économiques ou sociales.
77Le terrain retenu par le programme Migrer ou pas ?, le sud de l'Etat du Karnataka, correspondait à un transect est-ouest, traversant le plateau du Deccan et la chaîne des Ghâts occidentaux jusqu'à l'océan Indien, et incluait quatre systèmes ruraux :
un système irrigué par le barrage de Krishnaraja Sagar (appelé par les Indiens eux-mêmes KRS), autour de la ville de Mandya, à 100 km au sud-ouest de Bangalore ;
un système non irrigué (pluvial), à quelques dizaines de kilomètres du précédent, près de la petite ville de Nagamangala (district de Mandya) ;
un système montagnard, domaine de l'agriculture vivrière mais aussi de plantations de café (district de Hassan) ;
et un système côtier complexe, prolongement septentrional des structures du Kerala, dans le district de Dakshin Kannad.
78C'est seulement des deux premiers systèmes ruraux qu'il sera question ici. Une étude au niveau régional se révélant impossible, étant donné le sujet choisi qui supposait un séjour villageois assez prolongé, on sélectionna dans chacun des deux systèmes ruraux un village représentatif. Il s'agit pour le système irrigué du village de Mottahalli (environ 2100 hts en 1990), à 9 km de Mandya29. Pour le système pluvial, on dut sélectionner deux villages, étant donné la petite taille moyenne de ceux-ci dans la région : Mayagonahalli (570 hts) et Naragalu (550 hts30.)
79Le géographe aime jouer aux poupées russes, et cette thèse suivra un plan correspondant à l'emboîtement des différentes échelles. C. Raynaut (1989) a bien montré pour le Sahel combien l'appréhension à différentes échelles d'un même phénomène pouvait révéler la prépondérance de facteurs différents pour chaque niveau. A l'échelle mondiale, la crise sahélo-soudanaise pourra être expliquée par le fonctionnement du système capitaliste et l'inégalité entre centre et périphérie. A l'échelle des pays en question, ce seront davantage les grandes contraintes climatiques zonales ainsi que le cours de l'histoire récente qu'il faudra faire intervenir. Puis, toujours en allongeant la focale, on parviendra à l'échelle régionale puis locale, où les facteurs concernant l'ethnie, les logiques et les techniques de production se révèlent cette fois prépondérants.
80De même en Inde, il est aisé de distinguer plusieurs niveaux d'approche d'une même réalité, qui tous correspondent à des logiques variant selon l’échelle. Les échelles à envisager sont différentes de l'Afrique : au niveau supérieur le rôle de l'Etat est davantage affirmé, et à un niveau subalterne la hiérarchie des castes introduit une échelle supplémentaire - manquent cependant le clan et le « quartier ». C'est ainsi que l'on devra envisager 10 logiques différentes, à 10 échelles différentes qui s'emboîtent et où jouent des rétroactions :
le niveau international, où l'Inde est abordée dans son environnement mondial ;. le niveau national, avec le rôle de l'Etat fédéral siégeant à New Delhi ;
le niveau de l’Etat membre de l'Union Indienne, ici celui du Karnataka, et de sa capitale Bangalore ;
le niveau régional, qui concerne soit le maillage administratif officiel divisant l'Etat en district et taluks, soit notre concept de système rural ;
le niveau du village, si important dans une zone d'habitat groupé et ancien comme le Deccan du sud.
81On passe ensuite à des divisions moins géographiques et plus sociologiques :
l'échelle de la classe sociale, importante puisqu'il ne semble pas que gros propriétaires et microfundiaires puissent toujours avoir les mêmes logiques ;
le niveau de la caste ensuite, essentiel dans une région très majoritairement hindoue où la caste (jati) est un élément de stratification sociale, qui détermine parfois jusqu'à certaines logiques individuelles ;
le niveau de la lignée (subdivision de la caste), beaucoup plus accessoire ;
le niveau de la maisonnée, au sein duquel est prise la majeure partie des décisions concernant la marche générale de l'exploitation.
enfin, le niveau individuel, parfois lieu de conflit avec le précédent, d'autant plus important à aborder que les facteurs expliquant les choix individuels ne transparaissent pas nécessairement à des échelles supérieures (G.H. Mulla, 1968).
82Distinguer toutes ces échelles n'est pas qu'un jeu passablement formaliste. Cela peut permettre de démasquer certains discours et de mettre en lumière des réalités qui sinon demeureraient occultées. L'exemple le plus célèbre en est sans doute la constatation, au niveau national, que l'Inde est devenue largement autosuffisante en céréales, et qu'elle parvient même aujourd'hui à exporter du blé. Faut-il pour autant se réjouir ? Une descente à l'échelle des Etats peut tempérer l'optimisme généré par l'étude à l'échelle nationale : on s'aperçoit en effet que les exportations sont fondées sur la production de deux ou trois Etats gros producteurs, notamment le Panjab et l'Haryana, tandis que la grosse majorité des autres, et notamment les Etats rizicoles, ont une tendance au déficit alimentaire (D. Kermel-Torrès, 1987). Au niveau des régions, on constate même qu'un Etat comme l'Uttar Pradesh, gros producteur de blé, a une partie orientale rizicole particulièrement misérable. Descendons encore, et l'on découvrira alors des disettes au niveau de certains villages. Et au sein même des villages, certaines familles souffriront de sous-nutrition ou de mal-nutrition plus que d'autres. Il n’est pas jusqu'à l’intérieur de la cellule familiale où l'on ne puisse découvrir des inégalités, avec parfois femmes et enfants moins bien nourris que les hommes.
83D'autres exemples de la pertinence d'études à toutes ces échelles, de la nécessité d’« anatomiser » (Pascal) notre campagne, apparaîtront plus bas. Ces différents niveaux d'analyse seront regroupés dans trois grandes parties. Dans la première, outre une évocation rapide des échelles internationale et nationale, je brosserai un tableau de l’Etat du Karnataka et du district de Mandya. Dans ce district, l'un des plus petits de l’Etat, se trouvent deux « systèmes ruraux » (dont les limites débordent certes les frontières administratives du district) définis par l'histoire agraire récente. Le premier système rural est un système irrigué, né de la logique étatique qui désirait mettre en valeur à partir du début du XXe siècle le potentiel en hydro-électricité et en irrigation que recélait le fleuve Kaveri. Le second, que j'appelle le système pluvial, est défini par le maintien des cultures vivrières sèches, en voie de transformation cependant grâce à des logiques de diversification des cultures et d'émigration.
84Dans la seconde partie nous descendrons au niveau du village et du groupe de villages, aborderons les rapports entre ces deux échelles, et définirons le mode de fonctionnement de tels systèmes, perpétuellement en quête d'un inaccessible équilibre dynamique.
85Enfin, en élargissant encore l'échelle en un ultime « coup de zoom », nous envisagerons les « logiques paysannes » proprement dites, avec les niveaux des exploitations et des individus eux-mêmes. Une typologie, esquissée à partir de quelques « vies », tentera de présenter dans leur diversité les différentes finalités, logiques, et stratégies que peuvent suivre les paysans.
86Ces logiques paysannes ne pouvaient être étudiées qu'au cours d'un séjour prolongé en milieu villageois. Aussi, en plus d'un total de 4 mois passés à l'Institut Français de Pondichéry à des travaux bibliographiques et à des discussions avec les chercheurs sur place, un peu plus de 11 mois au total furent consacrés à mes deux séjours villageois, d'abord à Mottahalli puis à la « Porte » de Mayagonahalli. Là, avec l'aide de mon interprète et assistant G.D. Ganesha qui parlait kannada et anglais, j'ai effectué une enquête à l’aide d'un premier questionnaire sur un échantillon représentatif de 50 % des maisonnées, puis d'un second questionnaire portant sur 10 % de celles-ci.
87Mais je ne me tins jamais à des questions fermées, préférant à la sécheresse des formulaires une conversation plus informelle. Je crois d'ailleurs que ce type d'information qualitative n'est pas plus chargé d'erreur que les chiffres bruts qu'on peut par ailleurs récolter. Les statistiques de l'administration sont souvent fort approximatives (même si elles sont données à la décimale près), ce qui n'est pas surprenant vu la précision des détails qu'elles ont l'ambition de donner, la mauvaise formation de certains enquêteurs, et les enjeux fiscaux, bancaires ou politiques de nombreux chiffres. Quant aux statistiques que j'ai recueillies directement auprès des paysans, je ne me fais guère d'illusions à leur sujet : quand un jeune chercheur français et citadin interroge en anglais par le truchement d'un interprète (citadin lui aussi) un paysan indien analphabète ne comprenant que le kannada rural, la communication n'est pas toujours aisée : il est arrivé que la même personne interrogée deux fois à quelques jours d'intervalle sur un sujet aussi simple que le nombre de ses enfants donne deux informations différentes. Non qu'il ait voulu me mentir (ce qui arriva aussi...) ; mais un fils aîné qui vit à Bangalore, la fillette qu'il a adoptée, ou un enfant mort depuis peu sont venus troubler les comptes de la famille. Ou bien on m'a pris pour ce que je ne suis pas : un Indien du nord (pâle) venu faire un recensement au village en vue de distribuer plus ou moins gratuitement des moyens de production au nom de l'administration du développement. Quand après deux mois passés dans un village un paysan vous interpelle d'un ton impatient : « Alors, quand est-ce que vous me la donnerez, la bufflesse ? », il ne faut pas s'attendre à ce que les misérables ne se fassent pas plus misérables, les riches moins riches, et que des relations fondées sur un malentendu (qu'est-ce que la recherche universitaire pour un villageois ?) n'engendrent pas mensonges et méfiance.
88Même si c'est la gentillesse, l'hospitalité et l'humour qui ont largement prévalu dans l'attitude des villageois à mon égard, le bonheur de vivre au milieu de mes sujets d'étude fut pour moi quelque peu terni par une double amertume : d'abord parce qu’il s'agissait justement de sujets d’étude, avec tout ce que cela nécessitait d'indiscrétion dans mes questions et d'amitié intéressée en quête perpétuelle d'informations. Ensuite, je m'aperçus que la recherche sous forme d'« observation participante » telle que je la pratiquai était soumise à la fameuse loi physique que l’on nomme le principe d'incertitude d'Heisenberg. Posant apparemment une borne à la connaissance humaine, la physique quantique a en effet prouvé qu'on ne peut jamais connaître précisément et à la fois la vitesse et la position d’une particule ; plus on cherche à définir avec précision sa vitesse, moins l'on dispose d'une valeur précise concernant sa position, et vice versa. La cause en est que l’observateur, ou du moins les photons qui servent à éclairer la particule sous observation, dérangent la particule, et cela de manière imprévisible. La recherche en milieu villageois fait de même. Même en tentant de se faire le plus invisible possible, le géographe est un intrus qui trouble le microcosme villageois, et sa seule présence suffit à mettre certains paramètres hors de portée de sa connaissance.
89Cela d'autant plus si le géographe est un mâle : à sa vue les femmes qu'il désirerait interroger fuient, ou se dérobent, un bout de sari entre les dents, ou bien « ne savent pas ». Timidité et pudeur, bonne éducation, ont fait que les femmes du village (soit la moitié de la population étudiée) n'apparaissent que fort peu dans ce volume. La raison en est aussi que n'ayant souvent quasiment pas de responsabilités et de pouvoir de décision dans le domaine de l'agriculture, ni même dans l'élevage laitier ou le commerce, les femmes se révèlent de médiocres informatrices concernant les logiques paysannes en matière d'économie, ce qui était somme toute mon centre d'intérêt.
90Ces quelques restrictions faites, qui appellent à la modestie concernant la scientificité de semblables recherches et de la mienne en particulier, il reste que les erreurs qui se sont nécessairement glissées dans ces pages ne devraient pas remettre en cause les conclusions que je tire. Tant il est vrai que celles-ci ne prétendent pas être fondées sur des biographies, des morceaux de vie, mais sur des paradigmes, des types humains.
Notes de bas de page
1 Cette pompe, offerte par le Comité Français Contre la Faim, fut installée avec la collaboration de l'AFME par le programme ASVIN du CNRS (STS-PIRSEM), dirigé par P. Amado. L'expérience fut gérée sur le terrain par le Xavier Institute of Social Service, et l’est désormais par la Society for Rural Industrialisation, Ranchi (Bihar).
2 Ce terme ne doit pas être pris dans un sens fort : comme cette recherche le montrera, bien des « traditions » agricoles ne sont vieilles que de quelques dizaines d’années...
3 Government of India, Studies in the Economics of Form Management : Bangalore district (Mysore) 1960-61. New Delhi. 1972, 254 p.
4 Langues des Etats indiens du Tamil Nadu et du Karnataka.
5 Citons le dialogue de la page 3 : « Socrate : Est-ce que vos femmes et vos filles font des galettes de bouse de vache ? Un Villageois : C'est que ces galettes de bouse nous sont nécessaires pour chauffer le lait et allumer le hookah... [Glossaire : « Hookah : La pipe à eau : un grand gaspilleur de temps »]. S. : Ce n'était pas ma question (...). V. (hésitant) : Oui. monsieur. Elles en font. 5. : En quoi alors êtes-vous supérieurs aux insectes bousiers ? V. : Il semble que nous ne le soyons pas. Monsieur. S. : Alors, si vous voulez être classés dans les êtres humains, en plus de nettoyer votre village et vos enfants, vous devez cesser de faire des galettes de bouse (...). V. : Oui. Monsieur. Nous confessons que votre raisonnement est juste. »
6 Deccan Herald, 1.8.1989.
7 « Motivations, Values and Attitude of Subsistente Farmers : Toward a Subculture of Peasantry », in C.R. Wharton éd., 1970, pp. 111-135.
8 « Ils ne sont pas Brahmanes, et ne font pas de libations ; dépourvus de sagesse, prononçant des paroles engendrant le péché, devenus laboureurs, ils pratiquent l'agriculture. » (Rig Veda, X, 6.3.9).
9 Caste Intouchable du Tamil Nadu.
10 « British Personality and the Industrial Revolution : the Historical Evidence », in T. Burns et S.B. Saul éd.. 1967. pp. 35-66.
11 En 1908, le Punjab Alienation of Land Act tenta de prohiber toute vente de terre à des castes traditionnellement non agricoles, car l'on craignait pour l’évolution de la production régionale en céréales.
12 C. Bougie. 1908, p. 231.
13 Lévi-Strauss rapproche celle théorie de celle de Marx, qui opposait aux « sociétés historiques » le « mode de production asiatique », où les sociétés, régies par les liens de consanguinité et non des rapports productifs, sont caractérisées par l'immobilisme.
14 « Population, ressources et progrès technique dans un village du Mâçonnais (X-XVIIIe siècle) », in P. Gourou et G. Etienne (1985), pp. 25-41.
15 S.Tax. Penny Capitalism, Chicago, University of Chicago Press. 1963.
16 Valeur qu'aurait rapportée un autre choix que celui effectué.
17 On sait combien cet objectif est beaucoup plus présent dans les agricultures largement intensives de l'Asie fortement peuplée que dans l'Afrique noire à agriculture comparativement plus extensive (cf. par exemple P. Pélissier, « Le paysan et le technicien : quelques aspects d'un difficile face-à-face », in ORSTOM, 1979, pp. 1-8).
18 F. Candan. « Risk and Uncertainty in Agricultural Decision Making », in P.F. Barlett. (1980), pp. 161-176.
19 « Un groupe humain, devant un nouveau cadre physique, lui applique les techniques de sa civilisation. Il continue de faire ce qu'il sait faire. Il ne choisit pas consciemment parmi les "possibilités" naturelles. Le "possibilisme" n'a pas plus de consistance que le déterminisme physique ». P. Gourou. Recueil d'articles, Bruxelles, Société Belge de Géographie. 1970. 450 p., p. 80 (cité par J. Racine, 1984).
20 Cf. R. Firth. « Social Structure and Peasant Economy », in C.R. Wharton (éd.), 1970, pp. 23-37, ainsi que J.P. Mendier (éd.), 1983. T. Shanin (1971. p. 14.) définit la société paysanne d'une manière qui s'en rapproche. Dans le même volume. D. Thorner. (« Peasant Economy as a Calegory in Economie History », pp. 202-218), choisit une définition de l'« économie » (en fait de la société) paysanne particulièrement restrictive mais qui s'applique sans doute encore à l'Inde (l'article fut publié une première fois dès 1962).
21 H. Michaux. Un barbare en Asie, Paris, Gallimard. 236 p.. p. 25.
22 Le psychanaliste S. Kakar (1985) a tenté de montrer que l'individu hindou jouit de peu d'autonomie en raison même de sa religion. Mais sa théorie semble quelque peu outrée (cf. M. Stern, 1985).
23 L. Dumont. Homo aequalis, Genèse et épanouissement de l'idéologie économique. Paris, Gallimard, 1977, 274 p.
24 Il faudrait d'abord discuter de l'usage du singulier, qui est une commodité lorsqu'on parle d'une situation qui est sans conteste plurielle, pour les agriculteurs tant bretons qu'indiens.
25 J. Van Velsen, « The Extended-Case Method and Situational Analysis », pp. 129-149, in A.L. Epstein éd., 1967.
26 Cette dispute n'est pas sans rappeler celle qui opposa l'école historique des Annales aux antimarxistes comme Roland Mousnier au sujet de la société française d'Ancien Régime : cette société était-elle une société de classes ou une société d'ordres, hiérarchisée selon la fortune ou selon "l'estime sociale collective" ?
27 J'entends ici le concept de « classe » dans un sens large, en admettant qu'il puisse y avoir « classe » sans « conscience de classe ». On verra que rares sont dans nos villages du Karnataka les couches sociales ayant une telle conscience de classe. Société de castes, assurément : société de classes, dans une certaine mesure seulement - ce qui n'était sans doute pas le cas dans les terrains d'étude de Mencher et de Béteille, notamment dans le delta de la Kaveri où les polarisations sociales sont plus nettes.
28 La problématique et les résultats du programme seront publiés dans J. Racine éd. (à paraître).
29 Ce village est à seulement 3 km de celui si brillamment étudié par T.S. Epstein (1962. 1973), qu'elle appela Wangala. Ses deux livres ont représenté une référence de premier ordre pour cet ouvrage, étant donné qu'Epstein compare elle aussi l'évolution d'un village disposant d'irrigation avec celle d'un village non irrigué. Toutefois, ses perspectives étaient différentes des miennes, et l'on verra que certaines de ses conclusions n'ont pas été confirmées par ma recherche. Déclarons aussi noue dette à l'un des plus grands sociologues indiens. M.N.Srinivas, qui en 1948 étudia un village à quelques dizaines de kilomètres de Mottahalli.
30 Etant donné la présence de cartes, il ne servait à rien d’attribuer des pseudonymes aux villages puisqu'ils sont faciles h localiser et à identifier. Aussi les noms cités sont-ils leurs noms véritables. En revanche, j'ai utilisé des pseudonymes pour les villageois interrogés.
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