VIII. La ville blanche en 1777
p. 105-119
Texte intégral
1Le 9 janvier 1777, Law fut remplacé par le dynamique Bellecombe qui, pour régler définitivement les problèmes de propriété foncière posés constamment par les habitants, donna l’ordre de faire un papier terrier et d’organiser le premier recensement général des propriétés de la ville211. C’était, pour l’époque, une initiative hardie et novatrice, puisque, même en France, il fallut attendre la Révolution pour qu’un cadastre fût mis en train.
2L’établissement de ce document prit plus de temps que prévu. On ne put pas aller au-delà de la ville blanche et, même pour cette partie de la ville, l’enquête n’était pas terminée lorsque la guerre éclata avec les Anglais le 8 août 1778 ; ce papier terrier est cependant d’un intérêt considérable pour l’histoire du développement urbain de Pondichéry. Nous le complèterons par divers documents administratifs.
Rues
3On distinguait alors dans cette partie de la ville trois quartiers : le quartier Saint-Laurent au sud, le quartier Saint-Louis au nord et, entre les deux, à l’emplacement de l’ancien fort, le quartier du Gouvernement.
4L’analyse du tracé des rues, montre qu’il était alors peu différent de celui d’aujourd’hui. Cependant quelques modifications ont eu lieu à l’ouest. Dans le quartier sud, la rue de Provence (Baslieu Street), orientée nord-sud, était plus longue qu’aujourd’hui, puisqu’elle bordait l’hôtel de la Monnaie à l’ouest ; la rue Dauphine (Caserne Street), ainsi que la rue suivante (aujourd’hui Mahé de la Bourdonnais Street), de direction est-ouest, aboutissaient au canal, délimitant trois blocs qui n’en forment qu’un actuellement. Dans le quartier du Gouvernement, la rue Saint-Martin, d’orientation nord-sud, qui se prolongeait jusqu’à l’espace libre laissé par la destruction du fort, était, depuis 1775, bouchée à son extrémité sud par une parcelle qui avait été concédée à un particulier. Il en est de même aujourd’hui.
5Quant à la zone médiane marécageuse, il est manifeste qu’elle était en voie d’asssainissement : le canal était entièrement bâti le long du quartier Saint-Laurent ; il était en voie de construction jusqu’aux bâtiments du Gouvernement et, au nord, on en avait défini le tracé, mais les travaux restaient à faire.
6On le traversait, sur la rue de Villenour, par le pont de la Monnaie. Le plan de 1785 (CAOM, 34 A 587) indique un autre pont au débouché de la rue Royale.
Habitations
7Le papier terrier fournit des renseignements précis sur l’étendue des possessions immobilières Les parcelles y sont classées sommairement en quatre catégories : « terrain », « terrain avec maison », « terrain (ou maison) en ruine », « terrain en paillotte ». L’assemblage des plans divers relevés par les arpenteurs nous permet ainsi de reconstituer le plan parcellaire général de la ville blanche ; il nous renseigne sur l’étendue, la nature des possessions immobilières, et aussi sur leur état, seize ans après la destruction de la ville.
8On constate que, dans le quartier Saint-Laurent, plus de la moitié des habitations étaient alors relevées.
9Sur les terrains du quartier du Gouvernement les bâtiments mentionnés (Gouvernement, casernes, magasins) étaient construits ou en voie de construction. Et les quelques particuliers résidant dans cette zone avaient aussi rebâti leurs maisons.
10Pour le quartier Saint-Louis, hélas, nous ne savons rien sur la nature de la moitié des terrains, mais il est probable que la plupart des petites parcelles situées au nord-ouest étaient des terrains « en paillotte ».
11Ce document ne mentionne pas, dans les plans des terrains, l’emplacement des habitations et il n’en donne pas non plus la description, ce qui ne permet pas de définir l’architecture des maisons françaises. Heureusement, des documents de cette époque conservés aux Archives nationales de Paris nous permettent de nous faire une idée de ce que représentaient les demeures des familles riches de Pondichéry.
Architecture des maisons françaises
12Ils concernent deux propriétés : la première, celle du sieur Marihaure, au no 34 de la rue des Capucins (aujourd’hui no 15, Romain Rolland Street), louée par le Gouvernement pour servir de palais de Justice, faisait l’objet d’une correspondance avec le Ministère en vue d’un achat éventuel ; la seconde, située au no 4 de Compagnie Street, à l’angle formé avec la rue du Petit Pont, avait été acquise par le Roi de la succession du sieur Rivaly212.
13De la propriété de Marihaure, située presqu’en face de l’hôtel Lagrénée, nous possédons le plan et l’élévation, ainsi qu’une estimation, oeuvre de Cordé, architecte du Roi213.
14Sur le plan [fig. 34], levé lorsque l’édifice était le lieu où siégeaient cours et tribunaux, les différentes pièces sont désignées en fonction de leur nouvelle utilisation (chambre du conseil, greffe, bibliothèque, cachot, etc), mais il est aisé de deviner leur fonction quand elles étaient occupées par la famille Marihaure.
15La façade, sur la rue des Capucins, était munie au centre d’un portail à deux piliers qui débouchait sur un jardin flanqué de bâtiments symétriquement placés. Un large perron conduisait à la varande ou véranda, avec ses deux petites pièces sur les côtés. Au centre du bâtiment, était le salon, garni, de part et d’autre, de deux autres pièces plus grandes. Derrière, était une autre varande donnant sur un escalier extérieur. La cour arrière comprenait les bâtiments des communs (cuisine, basse cour, remise, bain, latrines). La véranda sur la façade principale de la maison s’ouvrait par trois arcades séparées par des colonnes. Cette demeure existe encore, mais on y a ajouté un étage et un porche.
16De la maison Rivaly214 achetée par le Roi pour en faire la maison du Contrôle, nous avons aussi un plan et une élévation, accompagnés d’un devis des réparations à faire215. L’édifice [fig. 35] donnait directement sur la rue du Petit Pont par l’intermédiaire d’un perron. Cette entrée menait au vestibule ou véranda, puis à la salle à manger ou salon, flanqués, de chaque côté, de deux pièces ; enfin, à l’arrière, autour d’une cour demi-circulaire se trouvaient les services (cuisine, puits, magasins, remise, godon). La façade était, dans sa partie centrale, percée de trois arcatures (pour la porte et deux fenêtres) et, de part et d’autre, de 3 fenêtres à arc segmentaire216. Cette maison existait encore il y a une vingtaines d’années. Elle a été démolie pour construire le Secretariat
17Nous avons là deux exemples d’édifices qui reflètent les traditions françaises d’une société aisée, en particulier les façades avec leur portail monumental, qui rappellent les petits hôtels particuliers français des XVIIe et XVIIIe siècles, avec une différence cependant : la cour, réservée aux communs, était située à l’arrière de la maison. Ces bâtiments portent aussi la marque de pratiques et d’habitudes locales. Pour s’adapter aux conditions climatiques du pays, les maisons sont organisées autour d’un vaste salon flanqué de pièces latérales symétriques, à haut plafond, avec deux vérandas, une en façade, l’autre à l’arrière, l’ensemble étant abondamment muni d’ouvertures. Quant aux terrasses elles étaient construites selon des procédés indiens connus sous le nom d’argamasse qui assuraient une très bonne étanchéité.
18Les personnages qui, par leur titres ou leurs richesses, avaient une place prééminente dans la société, habitaient des maisons bien aménagées comme ces dernières. Il en reste une : l’hôtel Lagrenée de Mézières, au no 10 de la rue des Capucins (no 30, Romain Rolland Street)217.
19L’hôtel est bien conservé, sauf la cour arrière dont les bâtiments ont été modifiés. On y accède par un vaste portail, entre deux piliers à chapiteaux. La maison dessine un rectangle intégrant la véranda arrière ; la véranda de façade à cinq baies, est en avant-corps, soutenue par des colonnes, et ses murs portent un fin décor floral en mortier de chaux et quatre bas-reliefs représentant les arts, entrelacés dans des guirlandes de fleurs.
20Dans la rue du Petit Bazar Saint-Laurent, de part et d’autre de l’intersection avec la rue des Capucins, le papier terrier signale quatre longues rangées de boutiques, faites de cellules profondes en brique. Celles qui se trouvaient du côté sud, avant leur démolition récente (et regrettable), étaient munies, sur la rue, d’un passage à arcades. Celles qui bordaient l’hôtel Lagrenée sont encore incluses dans l’une des dépendances de cette demeure (elles sont signalées par “stalles du bazar” dans le plan moderne.
Bâtiments publics
21L’ensemble des organes directeurs de l’implantation européenne, tous situés au sud et au centre de la ville, ont été décrits (supra) et illustrés à l’aide des plans dessinés au moment de leur restauration, sauf quelques constructions nouvelles : dans le quartier central, autour de la place d’Armes bordée d’arbres (aménagée à l’emplacement de la vieille citadelle détruite), étaient la plupart des bâtiments de l’administration : le Gouvernement au nord ; les casernes nouvelles, la prison Royale, les forges du Roi, du côté du canal ; deux autres casernes, la porte Marine et les écuries, sur le bord de mer. Dans le quartier Saint-Laurent, en dehors de la place des Capucins, plantée elle aussi d’arbres, et l’hôtel de la Monnaie, s’élevaient l’hôtel de la Marine et le magasin de la Marine. Dans le quartier Saint-Louis, il n’y avait pas d’édifices publics sauf le temple de Pouléar (Piḷḷaiyār) dans la rue de Berry (Manakkula Vinayanakar koil Street).
Répartition de la population [fig. 36]
22La population était répartie en fonction des communautés et des classes sociales. Le recensement, en effet, indique, en dehors des Français, les communautés auxquelles appartenaient les propriétaires : Topas (écrit aussi Taupas) ou gens à chapeaux, indigènes ou gens issus de métissage d’Européens et de femmes du pays, soumis aux lois françaises, et Malabars ou Tamouls, relevant du code hindou. Pour ces derniers, la plupart du temps n’est mentionné que leur nom, mais cela est suffisant pour les reconnaître. Ajoutons qu’on relève 1 foyer musulman et 4 familles arméniennes.
23Pour les Français la manière dont les habitants sont désignés dans l’enquête est significative. Le titre Monsieur n’est donné qu’aux gens de très haute condition apparentés aux dirigeants du comptoir. De même, le titre de Madame n’est donné qu’une seule fois à une personne mariée d’un haut rang, l’épouse de l’ancien gouverneur.
24Pour le reste de la population française, les noms propres de personnes sont précédés de deux qualifications qui correspondent à deux niveaux sociaux différents ; d’une part, le sieur, de l’autre, la ou le nommé. La première, dérivée du latin seniorem, accusatif de senior, comparatif de senex, vieux, était donnée aux hommes d’une catégorie un peu supérieure à la seconde, réservée aux gens d’une condition plus commune. Il semble que, pour les veuves, nombreuses dans le territoire, on ait fait la même distinction entre dame veuve et veuve tout court. (Notons que, pour les Topas et les Hindous, les enquêteurs n’ont pas utilisé d’autre désignation que la ou le nommé, mais, pour les foyers arméniens, les 2 femmes qui ont été recensées sont appelées dames veuves, ce qui prouve que cette communauté jouissait d’une certaine considération).
25Nous avons donc cartographié les communautés et les catégories sociales de la ville en fonction des critères adoptés par les enquêteurs.
26Nous commençons par le quartier sud.
27Dans la première catégorie des Français, nous trouvons les gens de substance, le « gratin » de la colonie : Boyelleau, ancien conseiller au Conseil supérieur ; Lagrenée de Mézières, commandant en second à Pondichéry sous Law ; d’Auteuil, lieutenant-colonel au service de la Compagnie ; Abeille, conseiller au Conseil supérieur ; de Bury, personnalité locale ; enfin, Law de Lauriston, l’ancien gouverneur (fameux aujourd’hui par le récit de ses aventures dans la plaine du Gange en compagnie de l’empereur moghol Shah Alam) et son épouse Jeanne Carvailho.
28Dans la seconde, qui comprenait 92 foyers, vivant sur des parcelles d’une bonne étendue, sont mentionnés des hommes divers qui jouaient un rôle important, ainsi que des veuves dont les maris avaient eux aussi occupé des fonctions non négligeables, des militaires de haut grade, 1 lieutenant, 9 capitaines de l’armée de terre (grenadiers, artillerie, etc), 4 capitaines de vaisseau, 1 lieutenant-colonel, 5 conseillers du gouvernement, 1 grand voyer, 1 architecte (et pas des moindres puisqu’il s’agit de Cordé chargé de mesurer les parcelles de ce papier terrier), un attaché au génie, 4 chirurgiens, 2 écrivains, 1 notaire, 1 arpenteur, 1 horloger, 1 maître-boulanger, 1 maître-tonnelier, 1 ancien garde-magasin et 4 marchands.
29Dans la troisième, où l’on comptait 45 familles seulement, dont la plupart étaient installées sur des parcelles plus petites, la profession des propriétaires n’est pas mentionnée ; nous relevons cependant 1 boulanger, 1 sergent invalide et 1 adjudant canonier.
30Nous ne trouvons pas le même échantillon de gens dans les deux autres quartiers au nord : il n’y a aucun monsieur, et, parmi les 61 sieurs et dames veuves, sont mentionnés 2 officiers dont l’un était capitaine de grenadiers, 1 chirurgien, 1 ancien greffier, 1 pilote du Gange, 1 horloger, 1 garde-magasin et 3 négociants. En revanche, dans la catégorie des gens ordinaires, qui comprenait 98 foyers, l’éventail des petits métiers est un peu plus large : 1 joaillier, 2 traiteurs, 2 sergents, 1 garde du gouverneur, 1 cuisinier, 1 ancien cocher, 1 perruquier, 1 menuisier et 1 pouliyeur (fabricant ou marchand de poulies).
31Autre constatation importante sur la population européenne : à cause de la forte mortalité des hommes due à la guerre ou à la rigueur des conditions de vie, il y avait un grand nombre de veuves et si, dans les quartiers du nord, elles ne formaient qu’un cinquième environ des propriétaires européens, dans le quartier Saint-Laurent, elles en représentaient presque le tiers. Et, parmi elles, des noms prestigieux, la veuve du chevalier Law Jacques (le frère de Jean, l’ancien gouverneur), qui capitula à Tiruchchirappalli en 1752 ; la veuve de Paradis, blessé à mort lors du siège de Pondichéry en 1747 ; la veuve de Moracin, commandant à Machilipatnam en 1752 et auteur d’un célèbre mémoire sur ce territoire, ; enfin la veuve de Modave (son mari venait de mourir, le 22 décembre 1777, en revenant d’un long voyage dans l’Hindustan).
32Sur les Topas et les Arméniens ne nous est fourni aucun renseignement. Notons cependant que, sur 21 familles de Topas, 14 vivaient dans le quartier sud, où habitaient aussi les 4 familles d’Arméniens et l’unique foyer musulman.
33En revanche, la population hindoue de la ville blanche vivait presqu’exclusivement au nord. Là, habitaient, sur de petites parcelles allongées, 113 familles tamoules, principalement le long du « canal projeté ». Dans le quartier sud, on ne comptait que 7 propriétaires de boutiques hindous dans la rue du Petit Bazar Saint-Laurent (on sait cependant que, dans ce secteur, 9 parcelles possédées par des Français en 1777 avaient été vendues à une date antérieure par des Tamouls et que le vaste domaine des Capucins avait appartenu à des Malabars jusqu’en 1702).
34Sur cette communauté, nous savons fort peu de choses, parce que la plupart des notices sont blanches ; sont mentionnés seulement quelques artisans : 1 charpentier, 1 tailleur de pierre, 2 forgerons, 1 barbier, 1 blanchisseur, 1 peon et 1 porteur.
35Les enquêteurs ne s’intéressaient pas au système des castes. Pourtant, une fois, ils ont mentionné, au no 8, retour de la rue d’Amat, une « nommée Chalabaty (Calapati), pariate », et ont relevé, au no 14 de la rue du Dragon, un « nommé Arlandin (Aruḷānantaṉ), fils de Manuel Paria » Au no 18 de la rue d’Amat, ils ont aussi précisé qu’une « nommée Périchelle » (Perucāḷi) était de la « caste Bagda » (bagata, bhagada (tel.), pêcheurs d’eau douce télougous). Et puis, ils ont signalé, dans le quartier sud où vivait la majorité des blancs, au no 32 de la rue des Capucins, qu’une parcelle de terrain avait été vendue par une nommée Mariaman (Māriyammaṉ), femme de François Xavier : exemple de mariage mixte qui devait être exceptionnel.
36Nous constatons enfin que, sur les 227 noms tamouls mentionnés, 55 sont des Ceṭṭi ou Ceṭṭiyār, caste de marchands qui représentait ainsi à peu près le quart de la population hindoue.
37Parmi les hommes qui habitaient ce secteur de la ville, certains étaient des personnages de poids dont on souligne le rôle dans les documents administratifs. Candapamodely ou Candapa Modeliar (Kantappa Mutaliyār), ancien courtier de la Compagnie, et Chavry Mouttou Modeliar (Cavarimuttu Mutaliyār) dīvāṉ, avaient obtenu la ferme du tabac et du bétel en 1773 ; quant à Naynatte ou Nainaté Modeliar (Nayiṉātte Mutaliyār), il devait être très lié aux responsables français pour qu’en 1785, il reçût l’ordre du commandant des établissements français de prendre possession des districts de Villenour et Bahour au nom du Roi et d’y arborer le pavillon français218. Le plus célèbre de tous, Rangappa Tirouvengadam (Raṅkappa Tiruvēṅ-kaṭam)219 qui succéda à Ananda Ranga Pillai en 1776, comme « chef des Malabars », devait se distinguer dans le siège héroique de 1778 où il contribua à la défense de la place en l’approvisionnant et en entretenant à ses frais une compagnie de cipayes220.
38Le papier terrier est donc un document de premier ordre sur cette communauté. Il met en évidence un phénomène remarquable et nouveau : la place importante que les Tamouls occupaient dans la ville blanche en 1777. Il ne faut pas oublier, en effet, que, jusqu’au siège de 1761, la Compagnie ne souhaitait pas la présence des Hindous dans les quartiers européens. Nous avons dit que le Conseil supérieur le rappelait en 1758 (supra), Ananda Ranga Pillai l’avait noté expressément en 1754221. Autre constatation étonnante, comme nous l’avons signalé plus haut : le mariage d’un français à une femme hindoue (Māriyammaṉ) - et de basse caste de surcroît -, alors que les autorités françaises proscrivaient même les unions avec les portugaises222 !
39Le lecteur curieux qui voudrait savoir où habitaient les gens mentionnés dans ce papier terrier pourra consulter les différentes notices de l’enquête donnant des détails sur chaque propriété223.
40Nous avons donc là un véritable inventaire de tous les éléments essentiels de la vie urbaine, ce qui nous permet de constater que, avec l’aménagement du grand espace bordé d’arbres s’étendant devant le palais du Gouvernement (à l’emplacement du fort Louis), et avec la canalisation progressive des cloaques” ou dépressions remplies d’eau, à l’ouest, la ville blanche avait acquis, en 1777, sa physionomie presque définitive. Restaient les fortifications.
Insuffisances du système défensif
41Cette restauration était cependant menacée car, du point de vue défensif, on n’avait pas pu réaliser les ouvrages projetés. En 1776, rien n’était encore terminé. Law, déplorant les retards et insuffisances des travaux, se plaignait de ce que les édifices prévus n’eussent pas été terminés : le magasin à poudre était encore en construction, la plupart des bastions et courtines n’avaient leur revêtement qu’à la hauteur de 6 ou 7 pieds, d’autres n’en avaient pas, le fossé était inachevé aux deux extrémités de la ville et aucun ouvrage n’avait été fait en dehors.
42A l’intérieur de la place, tous les projets étaient bloqués faute de crédits, sauf la construction d’un corps de casernes destiné à loger 400 hommes envoyés en renfort, très critiquée par l’intendant du Roi, Courcy, qui trouvait son entretien onéreux à cause de sa mauvaise maçonnerie. Bref, on avait opté pour une politique de bouts de chandelles qui s’avéra à la longue plus coûteuse qu’un bon investissement224.
43De plus, la situation s’était aggravée par suite des difficultés causées par la supression, en septembre 1769, du privilège de la Compagnie des Indes, suivie d’une liquidation financière ; en conséquence aussi du remaniement des services, en 1773, qui, en créant un poste d’intendant, limitait les pouvoirs du gouverneur ; enfin, à cause de la rivalité entre les quelques corps de troupe stationnés à Pondichéry, ce qui rendait l’administration du territoire fort difficile. « Sans argent, sans soldats, sans fortifications », le gouvernement était paralysé.
44A l’insécurité, à la menace de guerre imminente, s’ajoutaient le malaise économique dû au blocus anglais, la misère de beaucoup d’artisans qui allèrent chercher fortune ailleurs. On s’explique ainsi la diminution considérable de la population indienne qui passa de 56 000 en 1770 à 27 273 en 1777, selon Bourcet, à 26 386, selon Law. La population européenne, en revanche, était restée stable : 1 132 personnes et 803 Topas225.
Notes de bas de page
211 Voir J. Deloche, Le papier terrier de la ville blanche de Pondichéry.
212 Ces documents photocopiés par M. Lobligeois ont été utilisés par F. L’Hernault, in op. cit., p. 183-185, fig. 21-28.
213 Lettre de Bellecombe du 9 octobre 1777, contenant le devis estimatif de la maison, plan et élévation par Cordé (AN, Col. C2 230, 133-139) ; voir F. L’Hernault, op. cit., p. 183-184, fig. 21-22.
214 Rivaly l’avait acquise à la fin de 1770. Dans une pétition adressée au Conseil supérieur le 10 novembre 1770, il demandait l’autorisation d’acheter à un Malabar un terrain dans le quartier nord de la ville et bordant, à l’ouest, la rue du Bazar Saint-Louis (ou rue du Petit Pont), au sud, la rue allant à la courtine Saint-Louis et, au nord, à la maison de Renaud Perruquier (E. Gaudart, Catalogue des manuscrits, t. I, no 142), ce qui correspond bien à la parcelle no 4 de la rue de la Compagnie du papier terrier.
215 Devis et estimation des réparations à faire à la maison du Contrôle acquise par le Roy du sieur Rivaly, élévation, plan, par Cordé, 10 janvier 1778 (AN, Col. C2 230, 140-143) ; voir F. L’Hernault, op. cit., p. 184-185, fig. 23-28.
216 Dix ans plus tard, le rempart ayant été démoli, on ajouta un jardin et un passage menant à la maison, comme le montrent un plan et une élévation de 1788, reproduits par F. L’Hernault, in op. cit., p. 184-185, fig. 23-26.
217 P. Bourdat, op. cit., p. 106-112.
218 E. Gaudart, Catalogue des manuscrits, t. I, no 165, 817, 906.
219 E. Gaudart, op. cit., no 154.
220 P. Bourdat, op. cit., p. 70-71, 219.
221 A la date du 23 novembre 1754 (Ananda Ranga Pillai, op. cit., vol. IX, p. 99-100).
222 « Vous ne permettrez à aucuns employés de se marier qu’à des filles de Français » (A. Martineau A., Correspondance du Conseil supérieur de Pondichéry avec le Conseil de Chandernagor, p. 107).
223 Voir J. Deloche, Le papier terrier de la ville blanche, p. 73-141.
224 Voir R. Fuchs, Les Français en Inde du traité de Paris à la guerre d’indépendance, p. 8-11.
225 J. Deloche, Le papier terrier, p. 17.
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