Chapitre I. De l’Inde
p. 13-18
Texte intégral
1Commençons par fixer nos idées sur la vaste étendue de ce pays.
Limites du sous-continent
2L’Inde proprement dite ne doit s’entendre que par cette grande terre qui prend depuis l’Indus, les montagnes de Cachemire et du Tibet et vient se terminer en pointe au Cap Commorin ; il a /22/ pour bornes à l’est : la mer et les montagnes qui séparent le Bengale du pays d’Assam, on les nomme Coumahon [Kumaon], elles s’étendent jusqu’au grand Tibet qu’elles séparent du Cachemire par l’ouest, la mer et une chaîne de montagnes qui va depuis Mekram [Makran], frontière ouest du Tatta, jusqu’au Kandahar ; on lui donne le nom d’Indoukan [Hindu Kush], montagne d’Ind, les Anciens la nommoient Paropanius [Paropamisus]. Au nord, une partie du Kandahar et d’Indoukan et par le grand et le petit Tibet, au sud, seulement la mer et l’Isle de Ceylan.
3Il y a du nord au sud mesuré depuis les montagnes du Coumahon jusqu’au Cap Commorin neuf cens quatre vingt douze cosses indoustanies qu’on nomme impériales (a).
[note (a) : La cosse impériale est de deux milles ; la cosse commune n’a pas une étendue fixe, elle varie selon les différens pays ; il y a des endroits où elle n’est que d’une demi-lieue.]
4De l’est à l’ouest mesuré depuis Tanabandavel [ ?] dans le souba de Bengale près de Chatigan [Chittagong] jusqu’à Laribander [Lahauribandar| dans le souba de Tatta, neuf cens quatre vingt quatorze cosses.
5/23/ L’Inde est aussi connue sous le nom d’Indoustan (a) et d’Empire mogol.
[note (a) : On comprend généralement sous le nom d’Indoustan1 l’Empire des Indes depuis Cachemire jusqu’au Cap Commorin, mais, quand on parle en particulier de l’Indoustan, on ne comprend que le pays depuis Dowlatabad [Daulatabad] jusqu’au delà de Delhy ; on en sépare aussi le Bengale qui n’entre point dans cette dénomination ; l’autre partie, depuis Dowlatabad jusqu’au Cap Commorin, est désigné sous le nom de Dekan2 qui signifie le Sud.]
6Il est partagé par deux grandes chaînes de montagnes, qui d’abord, n'en forment qu’une au Cap Commorin, elle ne se divise en deux branches que dans la province d’Indigul [Dindigul ?], l’une, qui est la plus haute et qu’on nomme simplement les Gattes3 (b),
[note (b) : Ce mot signifie dans ce sens purement montagne, mais on nomme aussi dans l’Inde gats, les quais d’une ville ou d’une aidée sur le bord d’une rivière, et même tous les lieux où la commodité des bateaux, de gués et l’abord des rivages facilitent la traversée des rivières ; on donne ce même nom aux ouvertures qui laissent un passage libre dans les montagnes ; c’est ce qu’on appelle cols dans les Alpes ; dans ces deux dernières significations, il est alors au masculin.]
7s’étend en suivant la direction de la côte de Malabar jusque dans le Multan, où prenant là une direction nord, se joint aux montagnes de la grande Bucharie [Bukharie].
8La seconde chaîne, bien moins élevée, courant droit au nord, traverse le Baramal [Baramahal], sert de barrières au Maÿssour et au Carnate, traverse le pays d’Aydérabad [Haidarabad] et /24/ le Bengale pour se joindre aux montagnes de Mohurbunge [Mayurbhanj], de Maldnapour [Malkapur], de Pachette [Panchet] et se termine aux hautes montagnes de Rangur [Ramgarh].
9Quelques montagnes de second ordre semblent s’être détachées de cette grande chaîne, telles que celles de Gingy [Senji], qui forment des chaînons interrompus jusqu’à Rajimendry [Rajamahendravaram], traversent le Katek [Katak ou Cuttack] et une partie du Bérar [Barar] et s’étendent jusque dans le Bengale. On commence à découvrir ces montagnes à main gauche, lorsqu’on remonte le Gange à quatre ou cinq lieues de Moxudabad ; elles viennent finir en pointe à Monguir [Monghyr] ; quoiqu’elles ne soient pas fort élevées, elles sont d’un accès très difficile, aussi le Bengale est-il bien fermé par cette chaîne de montagnes.
Structure des montagnes
10Ces montagnes, comme on le voit, ont une direction nord et sud ; en général les grandes chaînes de montagnes de l’Inde, telles que celles de Mugg [Arakan] qui séparent l’Inde du Royaume du Pegû et d’Ava, celles du Kandahar et du Mekram, celles de Caboul, de Cachemire et du Tibet, ont toutes une pareille direction nord et sud, et toutes se joignent à celles de la Tartarie qui sont sans contredit les plus hautes, les plus profondes de l’ancien continent et qui /25/ soutiennent toutes celles de la partie orientale du globe, qui n’en sont pour ainsi dire que des rameaux, comme les Cordillères soutiennent toutes celles du nouveau continent.
11Toutes ces montagnes sont composées de matières vitreuses de première formation, elles sont toutes de granits qui ne diffèrent que par leur composition, leur texture et leur dureté ; les marbres dont il y a une grande quantité de carrières dans le nord d’Aurengabad [Aurangabad], et dans les hauts de l’Indoustan, les pierres calcaires, les schistes et les stéatites ne forment point des montagnes, ces pierres se trouvent toujours dans les plaines ou adossées aux flancs des montagnes de granit.
12Les hautes montagnes dans le nord du Bengale sont aussi de granit de première formation, comme je m’en suis assuré par les divers échantillons qu’on m’a envoyés de différentes parties et ils ne diffèrent de même que par leur composition ; on m’a aussi envoyé des montagnes de Rajemal des morceaux de pierres ollaires verdâtres qui sont en carrières considérables aux pieds des montagnes de granit ; les habitans les exploitent pour en faire des vases et des casseroles qui vont au feu et il les portent à Moxudabad et à Calcutta pour les vendre, le peuple de ces villes en fait une grande /26/ consommation, étant d’un meilleur usage que la poterie.
Métaux Fer, cuivre
13Le fer est extrêmement répandu dans toute l’Inde, comme on le verra dans le détail des productions de chaque Souba, mais il y a peu d’endroits où on l’exploite.
14/27/ Le cuivre aussi n’y est pas rare, mais ils ne savent pas l’extraire. J’ai souvent trouvé des quartz imprégnés de verd de montagne qui ne devoient leurs belles couleurs vertes qu’au cuivre. Les essais que les chimistes anglais ont fait sur de pareils quartz trouvés dans le Mayssour ont donné trente trois livres de cuivre sur cent livres de cette pierre ; les eaux de quelques sources qui sortent des Gattes sont chargées d’une grande quantité de parties vitrioliques, ce qui annonce bien certainement du cuivre dans le sein des montagnes d’où elles sortent. Ce sont les vapeurs vitrioliques qui s’exhalent de plusieurs montagnes, et particulièrement de celles de Gingy, qui donnent aux personnes qui y font quelque séjour ces fièvres lentes dont on meurt après quelques mois.
Or
15On ne connoit dans l’Inde qu’une seule /28/ mine d’or, qui est dans les montagnes de Coumahon dépendantes du Souba de Delhy, qu’on n’exploite pas, mais il doit en exister beaucoup d’autres qui ne sont pas connues. Les sables de quelques rivières du Carnate, des Cercars4 du nord et du sud et du pays de Lahor contiennent des paillettes d’or ; le Godavry [Godavari] en donne plus que les autres rivières et le collecteur de cette partie retire un léger revenu de la ferme du lavage des sables de ce fleuve. Je joins ici en note un extrait de gazettes de Madras qui prouve que les montagnes de l’intérieur de l’Inde renferment des mines d’or (a).
[note (a) : Mine d’or dans l’Inde. Le sable des rivières Poniar [Ponnaiyar], Palléar [Palar] & Godavry a de tous tems été célèbre par la quantité d’or que l’on trouvoit et souvent, après de fortes inondations, on a trouvé des grains d’or dans les épis de riz plantés sur le bord de ces rivières ; sur les représentations qui furent faites à ce sujet au gouvernement de Madras, on a envoyé le Capitaine J. Warren à Oscotta [Hoskotte] dans le Maïssour pour visiter ce district, le résultat est qu’il a découvert une trace d’à peu près quarante cinq milles le long des montagnes de Yerra Batterine Couda [ ?] qui abondoit en or. (Madras Courier, 16 septembre 1807). Le Capitaine J. Warren, dans le mémoire qu'il a fait imprimer au sujet de cette mine, dans l’Annual Register, dit que l’or de ces mines se trouve en plus grande abondance dans une terre rouge & dans une espèce de quartz de couleur rougeâtre, que cent vingt livres de cette terre rouge ou de ce quartz donnent quelques grains d’or. Il ajoute que Typou Sultan [Tipu Sultan] avoit voulu faire exploiter ces mines, et avoit envoyé un brame à Marcoupam [ ?] pour les examiner et faire des essais, mais qu’après un travail de plusieurs semaines, ne voyant aucun profit à le continuer, le produit payant à peine les dépenses, ce prince abandonna cette entreprise comme onéreuse.]
Argent
16Je n’ai jamais vu /29/ des échantillons de mine d’argent ; cependant il y en a une bien connue à Tchaura [ ?] dans le Guzurate [Gujarat] et une dans la montagne Requévaron [ ?] près de Gerbord [ ?], ville du Souba de Kaboul, mais on n’exploite ni l’une ni l’autre. Le Père Dubois, missionnaire dans le Mayssour m’a assuré qu’il y en avoit une dans la montagne de Velley Melley (Montagne d’argent), située dans le village d’Allyapai [ ?], à vingt-deux milles nord ouest de Seringapatnam. Tipou sultan avoit voulu la faire exploiter de même que celle d’or dont nous venons de parler, mais après avoir fait tirer pour cinquante mille roupies d’argent, il l’abandonna, les frais d’exploitation surpassant la valeur de l’argent qu’il en retiroit.
17On trouve aussi dans les sables du Soatladje [Satlaj], du Rauvi [Ravi] et du Chinaud [Chenab] qui arrosent le pays de Lahor, des paillettes d’argent mélées à celles d’or ; ces sables d’or et d’argent ne peuvent provenir que de quelques mines intérieures et cachées, ils en sont détachés par des agens extérieurs et entraînés au loin par le mouvement des eaux ; il est heureux, sans doute, pour ces peuples que ces mines ne soient pas visibles ; ces richesses que recèle la terre ne leur auraient donné que des maux. Les vrais trésors, ils les retirent de même de la terre qui, en la cultivant, leur donne dans beaucoup d’endrois trois récoltes par an ; l’Espagne ne serait pas à moitié inculte et épuisée d’hommes, si elle avoit employé aux travaux de l’agriculture ses peuples, au lieu de les envoyer exploiter ses mines d’or et d’argent dans le nouveau monde et de les y enterrer.
Mercure
18Je n’ai jamais entendu dire qu’il y avoit dans l’Inde des mines de plomb et d’étain, ni de demi-métaux, mais un pandaron5 m’assura que vers les Gattes marattes, il y a, dans des /30/ pierres noires qui se divisent en feuillets, du mercure coulant ; c’est sans doute dans du schiste noir que se trouve ce mercure. Il me donna deux boules de la grosseur d’une balle de pistolet sous forme solide qu’il me dit être de ce mercure qu’il avait rendu solide par un secret qu'il avoit et qu’il ne voulut jamais me communiquer malgré les offres que je lui fis. Je regarde en effet ces boules comme précieuses dans cet état, si elles sont vraiment de mercure comme elles le paroissent. Nos chimistes et surtout nos alchimistes ont fait d’immenses et de vains travaux pour atteindre ce but ; on est bien parvenu à lui donner une demi solidité en le jetant dans l’huile bouillante ou dans le zinc en fusion, mais on sait qu’il ne prend de la solidité qu’à un très grand froid de soixante quinze degrés - division du thermomètre de M. de Réaumur6. Quelques Indiens qui ont des teintures de chimie, rendent bien le mercure solide en le triturant dans un mortier avec les feuilles de cariapoulé7 (Bergera koenigii L) mais il ne conserve cette solidité que quelques heures ; cette difficulté de fixer le mercure a fait dire à M. de Buffon8 que l’homme /31/ ne pouvait transmuer les substances, ni d’un liquide de nature à faire un solide par l’art, qu’il n’appartient qu’à la nature de changer les essences et de convertir les éléments et encore qu’il faut qu’elle soit aidée de l’éternité du tems qui, réunie à ses hautes puissances, amène toutes les combinaisons possibles et toutes les formes dont la matière peut devenir susceptible ; si ce savant avoit vu les boules de mercure que je possède, il aurait sans doute pensé différemment ; je crois que l’homme pourrait former tous les métaux, tous les sels, s’il connaissoit les terres qui en forment la base et les acides avec lesquels elles sont combinées. Ce même pandaron me donna un morceau de mine d’antimoine de l’espèce striée qu’il croyoit être de la mine d’étain vierge qu’il avait ramassé aux pieds des montagnes près d’Aurengabad. C’est le seul morceau de demi-métal que j’aie vu dans l’Inde.
Volcans
19Dans aucun endroit de l’Inde que j’ai parcouru, je n’ai trouvé aucun indice qu’il y ait eu anciennement des volcans. Il y en a /32/ bien un près de Chatigan (a).
[note (a) : ce volcan est à Sitacoun [Sitakund] à quatre lieues de Chatigan en remontant du coté de Tipérah [Tippera] ; il y a une chauderie9 dans le bas de la montagne pour les voyageurs ; au tiers de la montagne, à côté une fontaine où sort une eau très claire et très bonne à boire, on voit quatre ouvertures de la grandeur d’un pied, d’où il sort continuellement des jets de flammes ; un peu plus haut, on trouve de même quatre autres ouvertures plus grandes, et enfin au sommet est le cratère, on en voit sortir les flammes par flocons de la grosseur du corps dans trois endroits différens ; sur cette même montagne, il y a une chapelle de faquir et un étang. C’est sans doute ce volcan dont le feu · s’étend au loin sous terre qui cause les tremblements de terre fréquens qu’on ressent à Chatigan.]
20Mais là, nous commençons à quitter les limites de l’Inde qui sont extrêmement boisées, et dans les diverses révolutions que la terre a essuyées, des forêts immenses et quantité d’animaux ont dû être ensevelis sous la terre et ont servi à nourrir et à entretenir des feux souterrains produits par des dissolutions de fer et des pyrites dont tout ce pays contient abondamment ; il y a bien aussi près de Patna un étang d’eau minérale chaude, mais il y a apparence que le feu qui chauffe ces eaux est dans l’intérieur de la terre, puisqu’on ne connaît aucun volcan dans cette partie de l’Inde ; les cavalaires (b), [note (b) : les cavalaires sont ceux qui pansent et ont soin des chevaux] à la côte de Coromandel, se servent /33/ pour polir la corne des pieds des chevaux d’une pierre blanchâtre qu’on appelle improprement pierre ponce et que tout le monde croit être une véritable pierre ponce ; mais c’est simplement une pierre calcaire dont le grain est grossier et peu lié, imitant à la vue plutôt un grès qu’une pierre ponce. Ces pierres se trouvent aux pieds de quelques montagnes basses du Tanjaour et du Maduré [Madurai], On en trouve aussi à Trichenapaly [Tiruchchirappalli] et dans presque toute la partie du Sud de l’Inde.
Notes de bas de page
1 Hindustān (pers.), pays des Hindous.
2 Dakkin, Dakkān, forme prakrite du sanskrit Dakṣiṇa, sud.
3 Ghāṭ (hind).
4 Sarkār (hind), les provinces situées au nord de la côte du Coromandel, entre la Krishna et Ganjam.
5 Paṇṭāram (tam.), religieux shivaïte.
6 René-Antoine Réaumur, physicien et naturaliste (1683-1757).
7 Kaṟivēppilai (tam.), plante dont les feuilles entrent dans les ragoûts.
8 Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788), naturaliste, intendant du Jardin du Roi, futur Museum d’histoire naturelle. L'Histoire naturelle (36 vol.) fut publiée de 1749 à 1759.
9 Chauderie, corr. de cāvaṭi (tam.), bâtiment public de charité et d’asile destiné aux voyageurs.
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012