Presentation
p. VII-XL
Texte intégral
I. Introduction : Le nouveau voyage (1786-1813)
A. Les problèmes posés par le manuscrit
Histoire du manuscrit
1C’est à Madame Madeleine Ly-Tio-Fane que nous devons la découverte du manuscrit du Nouveau Voyage aux Indes Orientales fait par ordre du gouvernement français, commencé en 1786 et terminé en 1813 de Pierre Sonnerat. Pendant des années, notre infatigable chercheuse a collationné les renseignements divers qui concernaient ce récit, en particulier les correspondances que l’auteur avait entretenues avec le monde savant de l’époque ; en 1976, elle publia un premier texte de synthèse sur sa vie1, avant de recevoir l’assurance de la part d'un descendant de Sonnerat, M. Jean Bijasson, que le savant naturaliste avait bien laissé « un carton renfermant différents manuscrits et notes scientifiques contenant différents travaux d’histoire naturelle des pays parcourus par le défunt », carton qui devait être remis à un oncle de la fille et seule héritière du savant voyageur qui résidait alors à Bangalore en Inde vers 1816. Enfin, le miracle se produisit en juin 1978, à la bibliothèque Mitchell de Sydney en Australie lorsque Madame Suzanne Mouzot qui dirigeait les services de la bibliothèque annonça à la biographe du grand homme qu’elle avait dans ses collections un manuscrit de Sonnerat : c’était en effet le manuscrit que l’auteur avait décrit dans une lettre de 1813.
2La State Library of New South Wales fit généreusement don du microfilm de ce manuscrit à Madame Ly-tio-Fane qui rédigea une note enthousiaste sur cette découverte, intitulée Le dernier manuscrit de Pierre Sonnerat : Le Nouveau Voyage aux Indes orientales (1786-1813) contenant l’histoire philosophique, politique et économique des Indes, avec des détails sur l’histoire naturelle de ces pays (State Library of New South Wales, Mitchell Library, Sydney, Texte ML A 157-159 et Album d’histoire naturelle, Dessins. ML* D 83, Association historique internationale de l’Océan Indien, « Les relations historiques et culturelles entre la France et l’Inde XVIIe - XXe siècles ». Actes de la Conférence internationale France-Inde, 21-28 juillet 1986, pp. 67-79).
3Il a donc fallu près de deux siècles pour que ce récit soit enfin mis à la disposition du public savant. Il restait à mettre un terme aux péripéties de ce document en envisageant sa publication.
Saisie du texte
4La présente édition a été préparée à partir du microfilm communiqué par la bibliothèque de Sydney. La saisie du texte a été laborieuse car le tirage du microfilm est défectueux par endroits. De plus, beaucoup de pages, en particulier celles qui sont de la main de Sonnerat sont difficiles à lire, ses annotations mises dans la marge sont pratiquement indéchiffrables. La lecture de beaucoup de mots n’est pas évidente : la plupart des termes scientifiques et beaucoup de termes vernaculaires doivent être « devinés » et ne peuvent être orthographiés correctement que si on les a au préalable identifiés, ce qui signifie que l’analyse critique a commencé avec la saisie.
Contenu
5Le manuscrit compte 1082 feuillets.
6Le tome I (458 p.)2 comprend dix chapitres décrivant les grandes zones côtières de l'Inde : d'une part, le littoral oriental, de la côte du Coromandel au Bengale en passant par les Sarkars du Nord, de l’autre, le littoral occidental jusqu'au Gujarat, ou côte de Malabar, plus l’île de Ceylan.
7Le tome II, qui contient 9 chapitres (411 p.)3, fournit des renseignements généraux sur le pays : les populations, les provinces, les forces militaires, les lois, le commerce, la chronologie des souverains, et le tome III, qui contient 26 chapitres beaucoup plus courts (188 p.)4 conte l'histoire des guerres des Européens en Inde.
8Ces trois tomes, à l’origine, étaient illustrés de 95 planches : cartes, plans de villes ou forteresses, relevés de monuments, dessins au trait de paysages, de fêtes et cérémonies, d’outils : certaines pièces étaient des tableaux de genre montrant différentes catégories sociales dans leur environnement, d’autres, plus techniques, représentaient des machines. Ces planches n’ont pas été retrouvées et c’est une perte irréparable. Reste un petit album contenant 29 dessins à l’aquarelle de plantes et une trentaine de croquis d’histoire naturelle.
Texte choisi
9Dans ce Nouveau Voyage aux Indes orientales. Sonnerat rassemble les connaissances des Européens sur l'Inde de son temps ; il se propose d'offrir au public les renseignements qu’il a glanés pendant 35 ans de voyage et de recherches, et en particulier de faire connaître le résultat de ses expériences personnelles en Inde et les études qu’il y a menées pendant son séjour forcé de 20 années. Et il est vrai que si le manuscrit avait été publié au début du XIXe siècle comme le souhaitait l’auteur, l’ouvrage aurait certainement été considéré en France comme une somme exceptionnelle, une excellente encyclopédie ou un manuel pratique des études indiennes.
10Malheureusement, aujourd’hui, une grande partie de l’information tirée des documents de l’époque est dépassée et caduque. Le texte des tomes II et III est fondé essentiellement sur les lectures des ouvrages relatifs à l’Inde faites par l'auteur, pendant sa longue captivité. Nous n’avons pas jugé utile de rechercher systématiquement les emprunts qu'il a effectués pour rédiger ces deux tomes, mais, avec un peu de patience, nous aurions pu retrouver sûrement les morceaux traduits des auteurs anglais, car il ne se fait aucun scrupule de reproduire les écrits de ses contemporains. À plusieurs endroits en effet nous avons relevé des passages copiés de documents de l'époque. Par exemple, le chapitre sur les peuples de l'Inde est presque entièrement tiré du journal de voyage de Modave dont un exemplaire avait été envoyé au gouverneur Bellecombe ; la longue description des soubas de l’Indoustan n’est qu’une mise à jour du célèbre Ain-i-Akbari ; les autres chapitres, y compris l’histoire de la rivalité franco-anglaise dans l’Inde, sont des adaptations d’études déjà publiées.
11Tous ces éléments représentent, il faut le reconnaître, une compilation sérieuse des connaissances de l’époque, mais c’est une information de seconde main que nous ne croyons pas devoir publier aujourd’hui, d'autant plus que les sujets abordés dans ces deux tomes ne présentent plus le même intérêt parce qu’ils sont connus dans le détail, ayant fait, depuis le début du XIXe siècle, l'objet de publications multiples en anglais et en français.
12En revanche, dans le tome I, l’auteur livre les observations directes qu’il a pu faire lors de ses longues années passées dans le sud de l’Inde, en particulier à Yanaon et dans les Sarkars du Nord et à l’occasion des voyages qu’il a effectués sur la côte occidentale et à Ceylan. Son récit vaut la peine d’être analysé avec soin et mérite une étude critique. Nous y ajouterons deux chapitres du tome II consacrés aux religions et mœurs des Indiens, ainsi qu’aux sciences, arts et métiers et, pour terminer, nous considérerons la précieuse description des « objets nouveaux relatifs à l’histoire naturelle ».
Travail critique
13Les feuillets du manuscrit sont indiqués dans le texte entre barres obliques. Les notes mises par l’auteur en bas de page ou dans la marge ont été réintroduites dans le texte dans un corps plus petit, mais leur position d’origine est mentionnée au début de chaque passage. Les identifications des toponymes sont inscrites dans le texte entre crochets. Nous n’avons pas jugé utile de gonfler les notes critiques de détails superflus. La plupart des personnes mentionnées par l’auteur sont des figures connues dont on trouve la biographie et la liste des œuvres dans les dictionnaires et encyclopédies ; elles font l’objet d’une note simplifiée. Quant aux termes vernaculaires, ils sont translittérés suivant les règles en vigueur avec l’indication de la langue (sanscrit, tamoul, hindustani, etc.) dans l’index. Pour faciliter la lecture du texte nous avons inséré, en caractères gras, des intertitres aux différents paragraphes du texte.
14Ce qui concerne l'histoire naturelle a été systématiquement vérifié par Madeleine Ly-Tio-Fane. Pour le reste (saisie du texte, notes critiques sur la civilisation indienne, identification des termes vernaculaires, préparation des index, cartes), l’essentiel du travail a été réalisé par nous-même dans nos deux centres de recherche de Pondichéry (Ecole française d’Extrême-Orient et Institut français de Pondichéry) où l’on dispose des cartes à grande échelle du département de géomatique, des ouvrages de nos deux bibliothèques, en particulier des collections historiques et anthropologiques, des Gazetteers et des encyclopédies de toutes sortes, des glossaires et des dictionnaires de langues.
B. Apport du Nouveau Voyage aux Indes Orientales
15Le Voyage aux Indes Orientales et à la Chine, publié en 1782, fut considéré en son temps comme l’un des ouvrages les mieux documentés et les plus richement illustrés sur la civilisation indienne. Vulgarisateur de talent, Sonnerat en effet y présentait, dans une série de chapitres bien étoffés, les aspects variés de la société indienne, faisant des analyses du système des castes, des mœurs et coutumes, des rites, pratiques, observances, des fêtes, croyances, spéculations, des textes sacrés, des langues, des sciences et arts et métiers, sans oublier sa contribution à l’histoire naturelle ; le tout orné de 80 planches magnifiques. Les imperfections et insuffisances de son enquête, réalisée durant son court séjour en Inde, ont été mises en évidence dès la parution de l’ouvrage par plusieurs de ses contemporains ; mais cela n’a pas empêché le livre d’avoir un succès populaire considérable puisqu’il fut rapidement épuisé et traduit en plusieurs langues européennes ; ses planches en particulier sont encore abondamment reproduites aujourd’hui5.
16Le texte que nous publions, résultat d’observations directes et d’études faites, comme nous l’avons dit, durant de nombreuses années en Inde, est conçu comme une sorte de manuel de géographie, c’est-à-dire une description systématique et scientifique de l’état des régions côtières de l’Inde, faisant le point des connaissances contemporaines. C’est une sorte de précurseur des Gazetteers de l’administration britannique.
17Eveilleur d’idées, Sonnerat, outre sa contribution à l’histoire naturelle, ouvre les voies à la géographie physique (morphologie, climatologie, étude des sols, hydrographie) et à la géographie humaine en montrant les rapports de l’homme indien avec les conditions du milieu dans lesquelles il se trouve et en étudiant les ressources agricoles, industrielles et commerciales des régions qu’il habite et du parti qu’il en a tiré, ainsi que son organisation sociale et politique.
A. Géographie physique
18Partout où il passe, Sonnerat s’intéresse aux formes du sol, au modelé du relief et aux causes qui contribuent à le modifier. Il considère la nature des roches, se fait envoyer des « échantillons » de diverses régions de l’Inde [25] ; à Senji, il note que les granits « sont composés de deux substances : un quartz noir et un schorl de la même couleur » [41] ; à Tiruvakkarai, il s’interroge sur l’origine des bois pétrifiés, cherche l’explication de ces formes par la structure et l’agent d’érosion : « une action lente des eaux et continuée [sic] des siècles » qui les a sculptés [49-54], Dans les plaines côtières du Nord de l’Inde où les cours d’eau apportent d’énormes masses d’alluvions, il fait des sondages dans les dépôts fluviatiles et au Bengale en particulier il relève « dix, onze et douze couches de terres diverses » [7], Enfin, à Mamallapuram, considérant le Shore Temple au bord de la Baie du Bengale, où « les eaux de la mer se sont élevées [...] 5 à 36 pieds depuis l’époque de sa construction », il se pose la question de savoir si, sur les deux côtes de la péninsule, c’est réellement le rivage qui s’est élevé ou si c’est le niveau moyen des mers qui est monté [156-157], autrement dit, il aborde le problème des mouvements généraux d’émersion et de submersion pour essayer de distinguer différentes époques géologiques.
19Sensible au climat, il note les résultats de l’action et de la réaction réciproques de la température, des vents et des pluies sur la côte de Coromandel [166-171] et au Bengale [278-279], Il note les observations sur les températures faites à Madras et à Pondichéry [169], sur la durée de la saison des pluies [171], sur le régime des vents, sur les brises de terre insupportables pendant la saison chaude et les vents de mousson qui rythment la navigation : évoquant le terrible cyclone de 1811, il signale que, en conséquence, durant l’hivernage, sur la côte orientale, d’octobre à décembre, les assurances maritimes ne fonctionnaient pas [167-168].
20Quant aux sols, il fait sur eux des expériences « avec les acides à l’aide du borax ». Du delta de la Kaveri aux Ghats, il distingue d’abord un sol sablonneux rempli de concrétions calcaires, puis une zone d’alluvions fertiles, enfin des sols résultant de la décomposition du granit [34-35], Entre Machilippattanam et Vishakkapattanam, il note qu’au bord de la mer les terres « contiennent un sel marin qui nuit beaucoup à la végétation » mais qu’à l’intérieur du pays elles sont fertiles [90] et, dans les environs de Pondichéry, il observe avec soin les bancs de « pierres coquillères » [67-69].
21Il n’oublie pas l’hydrographie fluviale, le régime des cours d’eau et ses variations. Rassemblant les données connues à l’époque sur les grands fleuves de la plaine gangétique, il essaie de déterminer leur cours [309-317], leur régime, en particulier les hautes eaux, « la vraie inondation qui provient des pluies », il mentionne aussi la macrée, ce courant de marée très violent qui, à la pleine lune et à la nouvelle lune, parcourt l’estuaire de l’Hugli au Bengale [324-325]. Dans le sud, il insiste sur la violence des débordements de la Krishna entraînant souvent à leur perte « des aidées entières » [79-80].
B. Géographie humaine
Etablissements humains
22Une bonne partie de son récit est consacré aux agglomérations rurales et urbaines qui sont présentées successivement en suivant les côtes du sud au nord. Les notices qui les concernent sont variées et n’ont pas toutes la même consistance. Certaines sont élémentaires, sommaires, d’autres plus riches ; leur intérêt dépend de la nature des observations. Beaucoup sont de brefs exposés qui relèvent des détails connus par d'autres récits et se retrouvent dans les District Gazetteers de la période britannique. Celles qui retiennent le plus fortement l’attention sont celles qui décrivent des lieux que l’auteur a bien connus.
23De la côte de Malabar ou occidentale il donne une courte description de sa partie sud jusqu’à Goa [359-399], des Etats de cette zone, du Travancore conquis par les Anglais en 1809, des royaumes de Kochchi et de Cartenate. Il donne cependant des détails sur le port de Cochin [Kochchi], la présence de chrétiens schismatiques, de juifs, d’Arabes et insiste sur les privilèges dont jouissaient les Hollandais [383-385], ainsi que sur Mahé et le commerce du poivre qui s’y pratiquait [388-389]. En revanche, il s’étend longuement sur son voyage dans les Ghats à partir de Mahé et principalement sur les objets d’histoire naturelle qu'il y a observés. De la partie nord de la côte de Goa à Surat, il ne donne pratiquement d’informations détaillées que sur l’architecture rupestre des environs de Bombay [400-419].
24Des agglomérations de la côte de Coromandel contrôlées par les Européens, entre Nagappattinam et Madras [93-165], il offre aussi de brèves descriptions ; notons au passage la mention du tombeau supposé d’Alexandre près de Madurai [117-118]. L’essentiel de ses observations porte sur le site archéologique de Mamalapuram dont nous parlerons infra et à la métropole anglaise du Sud. Les amoureux du vieux Madras apprécieront son évocation du Grand Mont (St Thomas Mount), du fort Saint George, de la ville noire, de ses environs, du Panthéon, du Cénotaphe de Cornwallis, de la société anglaise et de leurs « grands dîners assommants pour des étrangers » où « les femmes n'en font point l’ornement comme chez les Français » [162a-162n].
25Le lecteur enrichira sûrement ses connaissances sur les Sarkars du Nord (Machilipattanam, Elur, Mustaphanagar, Rajamahendravaram, Ralinga, Srikakulam et Ganjam) en lisant le chapitre qui leur est consacré [199-229] et qui apporte des renseignements intéressants sur cette partie de la côte négligée par les voyageurs. Pour chacun, il relève le site, les productions, les dépendances, enfin les revenus considérables que les Anglais y percevaient.
26Sa description des établissements du Bengale se limite à la zone qui borde l’Hugli, de son embouchure aux environs de Chandernagor [229-349] généralement décrite par les voyageurs qui ont pénétré au Bengale à partir de la mer. On retiendra cependant sa description des Sunderbans et de l’île de Sagar où se pratiquaient des cérémonies inhumaines [231-234] et surtout le long passage qui évoque Calcutta, la métropole coloniale, résidence du gouverneur général et siège du Conseil Suprême, le fort William, la ville aux rues irrégulières bordées de très belles maisons et de boutiques bien fournies, ses églises, son hôpital, sa prison, son théâtre, sa célèbre académie ou « Société des recherches asiatiques » fondée par William Jones [241-271]. Et on notera sa remarque sur le destin de la cité : « Calcutta deviendra le centre du commerce de l’univers et étonnera un jour par sa splendeur, ses richesses, sa grandeur et la puissance que cette ville étendra dans tout l’Indoustan ».
27L’exposé sur Ceylan nous vaut des notices détaillées sur les grands centres, Colombo, Galle, Jaffna, Mannar et des remarques sur les avantages du port de Trincomali et de sa forteresse [420-458].
28Du point de vue des phénomènes sociaux, il reprend des thèmes déjà traités dans son précédent ouvrage sur l’Inde. Sur la religion et les fêtes du Bengale [150-156] il apporte peu de données nouvelles. On peut même douter de la profondeur de ses connaissances sur les cérémonies hindoues quand on constate qu’il classe Pongal, la grande solennité tamoule, dans la catégorie de « quelques fêtes particulières des Bengalis ». S’il avait su le tamoul, comme il le dit, il aurait dû se rendre compte que les noms des différentes cérémonies qu’il relève ne sont pas du bengali ! Dans son récit de voyage, cependant, il nous fait part d’observations directes très vivantes faites dans la région de Mahé, sur la vie des pénitents et de leurs austérités insensées [376a-380].
29De même, sur les sciences, arts et métiers des Indiens [II, 95-125], il n’innove guère en déplorant l’absence de progrès en peinture, sculpture et architecture et soulignant l’habileté des artisans. Une observation précieuse cependant tirée d’une dissertation d’un brahmane lettré sur les bayadères ou danseuses, sur les différentes classes auxquelles elles appartiennent, leur formation, la façon dont se déroulent leurs récitals et la manière dont elles sont rétribuées [II, 115-119],
Ressources agricoles, industrielles et commerciales
30De la côte de Coromandel et du Bengale il présente les ressources agricoles, industrielles et commerciales [171-198 & 281-309]. Cultures vivrières : il considère le riz et les saisons où il est récolté [186-189 & 283-285], la manière de le transporter sur les rivières du nord-est « en mettant plusieurs bateaux à côté les uns des autres qu’on assujettit avec des bambous et on élève sur cette espèce de radeau des meules de neslis de 25 à 30 pieds de hauteur » [284] ; il mentionne la canne à sucre, le bétel et la façon dont il est préparé [193-197] ainsi que d’autres céréales, dont le blé au Bengale [285-286].
31Cultures commerciales : il insiste sur l’indigo dont la manufacture dans le sud de la péninsule et au Bengale a pris une grande importance avec les Européens qui en fabriquent aussi eux-mêmes et qui est devenu un grand objet de commerce [189-193 & 289-291] ; il relève les diverses espèces de coton [193 & 287-288] ; les vers à soie [293-294], le tabac, le jute, enfin, l’opium dont la vente était réservée à la compagnie anglaise [286-289].
32En ce qui concerne la commercialisation des productions, on notera l’existence, dans les villages bengalis, de fabriques appelées aurang où les marchandises étaient manufacturées et où les acheteurs devaient venir négocier leurs transactions par l’intermédiaire de courtiers [305] ; et, dans le delta de la Godavari, bien placé pour le commerce des toiles, où les tisserands étaient groupées dans un ensemble d’habitations connues sous le nom de nattes (nattamu), la présence d’agents appelés copdars (kopudarudu) qui avançaient l’argent aux fabricants et récupéraient les marchandises pour les remettre aux acheteurs [218-220].
Catastrophes naturelles : une calamité pour les populations
33Les passages les plus percutants de son récit sont peut-être les descriptions des catastrophes naturelles dont il fut le témoin bouleversé et impuissant. D’abord, le terrible cyclone du 20 mai 1787, une sorte de tsunami qui dévasta tout le delta de la Godavari : « les élémens parurent déchaînés, il sembloit qu’un bouleversement de la nature alloit engloutir la terre [...] la mer sortit de ses bornes, se développant de loin et s’avançant comme des montagnes animées et mouvantes qui s’élevoient au-dessus des eaux. Ces vagues impétueuses [...] se répandirent dans tout le pais comme un torrent mugissant, déracinant les arbres, entraînant les parties du sol et dévastant tout dans leur passage [...] plus de cinquante mille âmes perdirent la vie » 185-88].
34Puis, quelques années plus tard, la famine de 1791-1792 qui fit des ravages horribles de la côte de l’Orissa jusqu’au cap Comorin et fit périr un million d'indiens [81-84] sans que la compagnie anglaise pût intervenir efficacement : « ils venoient se rendre esclaves et vendoient leurs enfants pour une poignée de riz [...] Je frissonne en pensant à l’affreuse misère qui ravagea pendant quelques années tout le nord ; je fis enterrer dans l’année 1792 trois mille corps, tous gens chassés des aidées voisines par des rajas impitoyables et qui venoient mourir dans les rues d’Yanaon ».
Techniques
35Parmi les observations de la vie quotidienne les plus remarquables on notera la description détaillée de certaines techniques alors en usage et caractéristiques du pays. On retiendra la manière de fendre le granit, en faisant sur une même ligne de petits trous au ciseau qu’on remplissait de poudre et en saupoudrant la surface d’une traînée de poudre à laquelle on mettait le feu, ce qui faisait éclater le granit suivant l’épaisseur voulue [66], une amélioration sur le procédé traditionnel qui consistait à insérer dans les cavités des cubes de bois qui, mouillés, provoquaient la cassure en se dilatant ; on se souviendra de la façon d’élever lors de la construction des temples, « les masses énormes de pierre » sur les piliers de granit en les tirant avec l’aide d’éléphants sur un plan incliné de terre jusqu’à la hauteur voulue [126-127] ; on notera l’expédient envisagé pour construire une digue sur la Godavari à partir d’un banc de sable en coulant « douze donis (grands bateaux pontés du pays), remplis de pierre dans l’endroit pour former une digue qui aurait fait prendre au courant une direction opposée » [213-214] ; et aussi les procédés utilisés pour réparer les navires sans se servir de treuils ou cabestans dans les curieux bassins de radoub creusés le long de la Godavari [215-216] ; enfin, on appréciera la manière de résoudre les problèmes de navigation à l’embouchure de l'Hugli en entretenant un service de pilotes et en plaçant des bouées pour guider les navires [230-231].
Embryon d’archéologie orientale
36On retiendra sa contribution au développement de l’archéologie orientale. Sonnerat, en effet, est conscient du fait que les monuments n’ont pas été étudiés d’une manière profitable, qu’ils ont fait l’objet de descriptions incomplètes et souvent inexactes et que les recueils de gravures les représentant ont souvent sacrifié au pittoresque.
37Il relève les identifications des sites mentionnés dans les textes classiques grecs et latins : Nigama (Nikama) de Ptolémée, avec Nagapattinam [111], la côte des Calingae (Ralinga) de Pline l’Ancien, avec la côte de l’Orissa [199], Cocala (Kokala) de Ptolémée), avec Chicacole [199], Limyrie (Lymirike) de Ptolémée, avec la côte de Malabar [380], Comarie (Komari) de Ptolémée, avec le cap Comorin [380], Taprobane des Anciens et Lanka des livres sacrés indous, avec Ceylan [450]. Les premières découvertes de monnaies romaines allaient fournir des jalons pour assurer la première histoire authentique du passé indien antérieur à la conquête musulmane.
38Il évoque la ville enfouie de Virampattinam, des « pans de murs énormes, très épais et dont les briques sont plus longues, plus larges et plus épaisses du double de celles qu’on fabrique aujourd’hui », « quantité de figures en cuivre représentant leurs dieux et différentes monnaies qu’on ne reconnaît point » [53], annonçant la découverte d’une ancienne cité sur les berges de la rivière (Arikamedu) datant des débuts de l’ère chrétienne par G. Jouveau-Dubreuil et L. Faucheux, un peu avant la seconde guerre mondiale.
39Il nous fait part de la découverte de monnaies romaines en 1805 dans la région de Coimbatore et aussi signale que « quantité de monnaies diverses en or » étaient trouvées aux environs de Pondichéry [381], amorçant ainsi les études sur les rapports entre l’Inde et le monde méditerranéen à la période romaine.
40De même, dans les environs de Pondichéry, il note l’existence de sites funéraires anciens, « des morceaux de gargoulette » et « quantité de lampes brisées » ainsi que des jarres « qui avoient anciennement servi de sépulture » [75-76], vestiges qui furent l’objet d’une monographie publiée par J. M. Casal et son épouse en 1956 seulement
41Si les descriptions d’Elephanta, de Kanheri et d’Ellora sont assez sommaires, en revanche sa description de Mamallapuram (les cinq monolithes ou rathas, les grottes, le village) [57-62] est détaillée. Sonnerat pense que les constructions et excavations des sites de la côte occidentale dataient de 7900 ans et celles de Mamallapuram d'au moins 2800 ans !
42En même temps, il colporte des légendes bien ancrées dans l’esprit des gens, même aujourd’hui : celles des villes englouties de Kaveripattinam et de Mamallapuram. Au large de la première ville « les vaisseaux qui sont forcés de jeter l’ancre dans cet endroit mouillent sur des tours de pagodes, sur des pyramides, les plongeurs qui y descendent n’y voient que des ruines » [111]. Au sujet de la seconde, les brahmanes « m’ont assuré qu’ils tenoient de leurs pères qu’on voyoit encore de leur tems, dans la barre, le haut de plusieurs tours qui dépendoient de cette pagode [...] ils disent encore qu’il y avoit aussi une grande ville qui est aujourd'hui entièrement ensevelie dans les eaux de la mer » [155].
43Déjà en 1800, le colonel Colin Mackenzie avait fait effectuer des sondages le long de la côte de Mamallapuram et ne trouva nulle trace de constructions6 ; de même à Kaverippattinam, le service archéologique de la marine indienne de Goa a fait récemment plusieurs explorations scientifiques qui n’ont donné aucun résultat. Pourtant il y a encore des pêcheurs pour prétendre que certains jours de beau temps, les monuments sont visibles des bateaux !
Organisation politique
44En ce qui concerne l’échiquier politique de l’Inde après le désastreux traité de Paris de 1763, Sonnerat déplore la faiblesse et l’état lamentable des minuscules possessions françaises et est impressionné par la puissance britannique.
45Il ne ménage pas les autorités françaises dans ses jugements : « Dupleix serait sans doute parvenu par son génie à fonder pour sa nation cette domination que les Anglais toujours habiles à profiter des fautes des Français ont fondée depuis » [98] ; il déplore l’insuffisance des territoires possédés par la France, condamne l’absence de vision du général Conway et l’ordre absurde du ministre la Marine d’évacuer Pondichéry « comme place militaire », nous enlevant ainsi la dernière chance de chasser les Anglais du sud de la péninsule [131-139], enfin il flétrit l’inconscience du gouverneur Souillac qui, en signant l’humiliante convention de 1786 sur le sel et l’opium, mettait « le commerce des Français sous la dépendance de celui des Anglais » [335-338].
46Il dénonce l’impérialisme des Anglais et leur mainmise progressive sur l’ensemble du sous-continent [94-104], se laisse aller à des remarques qui leur sont violemment hostiles : « Malheureuse Inde, tu nageras donc dans le sang tant que les cruels Européens désireront tes productions. Tu as vu les Clive, les Hasting, les Mornington venir de six mille lieues au nom de quelques marchands te souiller de meurtres pour te ravir tes richesses et la liberté » [95], Pourtant il estime que leur puissance est fragile : « Comment se fait-il qu’une poignée d’Européens donne la loi à l’Inde entière, en tienne tous les princes dans le silence et la soumission et fasse trembler ceux qui ne sont pas encore sous le joug » [103]. Impression renforcée par l’observation des carences de leur administration [162k-162o], des abus de leurs employés, de l’arbitraire de la justice dont il fut lui-même victime [255-263], de la mauvaise utilisation de leurs énormes revenus [329-349], de leur incurie devant les catastrophes naturelles et leur incapacité à soulager la misère du peuple [82].
Contribution à l’histoire naturelle
47Aux notations de géographie physique et humaine Sonnerat a ajouté ses observations sur les règnes animal et végétal, à l’intérieur des chapitres consacrés aux établissements humains et plus particulièrement dans le livre consacré aux objets nouveaux relatifs à l’histoire naturelle.
48Son ambition était de collecter tout ce qu’il trouvait digne d’intérêt, sur les quadrupèdes, les oiseaux, les reptiles, les poissons et les plantes ; son intimité avec la nature tropicale lui permit de faire des observations scrupuleuses, presque toujours avec le souci d’être utile. La plus grande partie des plantes qu’il a étudiées sont employées dans l’industrie ou dans la pharmacopée indigène et ses analyses d’ichtyologie comprennent des poissons comestibles.
49Madeleine Ly-Tio-Fane7 a montré le rôle capital qu’il a joué dans ce domaine à une époque où l’on cartographiait l’histoire naturelle du monde, insistant sur la profondeur de ses observations et ses talents de dessinateur. Elle précise cependant que Sonnerat travaillait sur des sources anciennes du XVIIe et de la première moitié du XVIIIe siècle. « En Inde à partir de 1786 il n’avait pas toutes les références et il n’a pas été au fait des avancées en chimie et physique des chercheurs anglais Priestley et Cavendish, et de Lavoisier ; ainsi s’accroche-t-il à son phlogistique. Il cite de mémoire des souvenirs classiques les mêlant pêle-mêle sans ordre chronologique ».
50On trouvera, à leur place, dans le texte, les descriptions des animaux et plantes accompagnées des identifications préparées par une série de spécialistes que nous remercions chaleureusement.
Conclusion
51De Sonnerat on ne nous donne habituellement que le portrait du savant. Dans ce Nouveau voyage, nous découvrons, derrière le scrupuleux naturaliste, le philosophe éclairé, l’honnête homme de la seconde moitié du XVIIIe siècle, plein d’humanité, sensible à la nature, défenseur d’une société harmonieuse où tout tendrait au bonheur humain.
52Il lutte pour abattre les préjugés et faire triompher la raison et la vertu. « Suprême auteur de la nature, hâte ce tems heureux de lumière et de paix où nous verrons une sainte union réunir tous les hommes, où nous les verrons éclairés et vertueux ! Depuis assez longtems la superstition, des préjugés insensés les ont fait errer » [16]. Il s’attaque à l’intolérance avec indignation, flétrit l’inquisition et l’esclavage au nom du droit naturel et de la dignité humaine : « c’est ainsi que les prêtres ministres d’un dieu de paix et de charité se jouoient de la religion en immolant des victimes et joignoient à ces cruautés réfléchies des cérémonies religieuses » [358] ; « ce trafic honteux qui ravissoit la liberté à des milliers de naturels se faisoit dans toutes les colonies françaises au-delà du Cap de Bonne-Espérance » [81].
53Guidé par les principes de raison, tolérance, humanité, il exprime en même temps toute la sensibilité passionnée des écrivains de la seconde moitié du XVIIIe siècle.
54Il est touché par la grandeur et le mystère de la nature : « Oh nature prévoyante ! L’instinct que tu as donné aux animaux, n’est-il pas préférable à la raison que tu as donnée à l’homme [...] la raison le plus souvent rend l’homme malheureux » [235], Il estime que le bonheur consiste à vivre suivant la nature et la vertu. Evoquant un berger bengali, il note : « heureux enfant de l’honnête simplicité, il jouit de la paix de l’âme et du contentement de l’esprit » [236] ; au sommet des Ghats occidentaux, il exprime son ravissement devant la vue grandiose qui s’étend des montagnes à la mer. « Quel spectacle [...] nous voyions l’éclair parcourir en zig-zag de feu le nuage jusqu’à ce que la foudre eût trouvé une issue pour se précipiter sur la terre » [365].
55Tempérament ardent et impétueux, il s’exalte sur l’infinité de l’espace : « Nature puissante, mon âme étonnée cherche en vain à te deviner, mon esprit se brise contre cet écueil, mon âme sensible s’étonne à chaque pas » (19-20], Enfin, rappelant le destin d’Emilie Bourgoyne qui vint finir ses jours dans un village perdu de la côte du Bengale, il se laisse aller à une émotion puissante et traduit le sentiment de notre misère et de notre immortalité : « Beautés qui naîtrez dans les siècles éloignées, quand vous serez, je ne serai plus, mon corps en poussière dispersé dans les élémens aura sans doute formé d’autres êtres ou végétera dans d'autres corps » [239].
56Tout bien considéré, dans ce nouveau et dernier voyage, Sonnerat se montre un homme de cœur dont les élans spontanés sont toujours orientés vers les actes utiles à l’humanité.
II. Esquisse biographique : PIERRE SONNERAT (1748-1814)
Les liens familiaux
57Pierre, fils du négociant lyonnais Claude Sonnerat et de Benoîte Poivre, descendante d’une famille de marchands passementiers, est né à Lyon le 18 août 1748 et baptisé le même jour en l'Eglise de Saint Nizier8. Il eut pour parrain Pierre Poivre, cousin germain de sa mère, subrécargue des vaisseaux de la Compagnie des Indes. Ce dernier, alors âgé de 29 ans9, était à la veille de partir pour des voyages aventureux dans les mers d’Indonésie jusqu’alors peu connues des Européens, à la recherche de semences et de plantu les du véritable giroflier et muscadier, épices rares que l’on désirait naturaliser dans la colonie française de l’Ile-de-France et briser ainsi le monopole que détenait la Compagnie hollandaise des Indes (V.O.C.), monopole qu’elle défendait férocement. Ainsi dès les premiers jours, l’attirance des contrées lointaines se faisait sentir dans l’entourage de l’enfant.
58Revenu en France en 1757 après un voyage inoubliable, chargé de connaissances géographiques, Poivre allait s’installer non loin de Lyon dans son domaine de la Fréta et attendre l'heure de son appel aux affaires politiques et administratives tout en partageant ses connaissances avec l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de la Ville de Lyon au sein de laquelle il avait été reçu comme membre le 1er mai 1759.
59Dès son entrée en fonction comme Intendant aux Mascareignes, l’autorité royale ayant repris l’administration des Iles de la Compagnie des Indes en faillite. Poivre fit venir son filleul en 1768 pour le former à l’administration coloniale. « Commis aux écritures » et secrétaire particulier de son parrain, Sonnerat trouva auprès de Poivre et de sa jeune épouse, Françoise, née Robin, la quiétude familiale, une relation heureuse qui transparaît dans la dédicace à Madame Poivre de son premier ouvrage Le Voyage à la Nouvelle Guinée (1776).
L’apprentissage aux sciences naturelles
60Sa formation aux sciences naturelles se fit dans l’entourage de Philibert Commerson (1727-1773), naturaliste de l’expédition de Bougainville autour du monde, que Poivre avait retenu à l’Ile-de-France pour faire l’histoire naturelle de la région, avec le secrète intention que l’autorité d’un pareil naturaliste apporterait un caractère authentique à l’identification des plantes à épiceries fines qu’il souhaitait introduire dans l’île.
61Pour mettre en ordre son énorme collection, Commerson eut recours à Paul Philippe Sanguin de Jossigny (1750-), officier au service de la Colonie, aidé de Sonnerat, dont le talent de fin dessinateur fut mis à contribution, en particulier pour la représentation des oiseaux. Ensemble ils se mirent à la préparation des planches coloriées qui serviraient à une éventuelle publication.
62Ces débuts dans l’observation et l’étude de la nature furent confortés par les conseils du vétérinaire Marie François Eloy de Beauvais (1743-1815), compagnon de Commerson dans ses excursions, qui un peu plus tard aida Sonnerat à la collecte et au choix de plantes de l’Ile-de-France pour la composition d’un herbier10. Cette préparation initiale était essentielle pour la prochaine étape de sa carrière, sa participation à la deuxième expédition envoyée aux Moluques par l’intendant pour obtenir une nouvelle cargaison de plants et de semences d’épiceries fines.
Rencontre avec Joseph Banks au Cap de Bonne Espérance (15 mai-15 avril 1771)
63En préparation de ce voyage, il fut envoyé en sa qualité d’Ecrivain de Vaisseau au Cap de Bonne Espérance faire les provisions pour ses navires. Alors qu’il y était (mars-avril 1771), l'Endeavour du Capitaine Cook, qui venait d’achever pour la Royal Society sa mission d’observation du Transit de Vénus à Tahiti en juin 1769 et compléter son tour du monde, était en escale. Cook avait été accompagné du jeune et richissime Joseph Banks (1743-1820), et de l’élève favori de Linné, Daniel Solander (1733-1782), et ils avaient eu une expérience inoubliable dans leur excursion à Botany Bay sur la côte orientale de l’Australie en avril 1770. Les jeunes gens eurent l’occasion de se rencontrer, et Banks lui prêta des livres et lui offrit des peaux d’oiseaux dont le « Kookaburra » (Dacelo gigas11).
Le Voyage à la Nouvelle Guinée (juin 1771-juin 1772)
64Ce voyage qui devait l’amener jusqu’aux confins de la Nouvelle Guinée débuta le 29 juin 1771. Sonnerat voyageait sur la flûte l'Isle de France, commandée par le Chevalier de Coëtivi, conserve de la Corvette le Nécessaire, commandée par M. Cordé. Mathieu Provost, Commissaire de la Marine, dirigeait les opérations. La flûte voguant par l’ouest de l’Océan Indien jusqu’au voisinage des Seychelles fit la découverte d’une île (Coëtivy) et donna à Sonnerat l’occasion de se remémorer des impressions du fabuleux « Coco de Mer » (qu’il avait déjà étudié dans les collections de Commerson) de l’Isle Praslin où l’on n’y aborda point.
65On alla relâcher aux Philippines de septembre 1771 à février 1772. Durant cette longue escale, Sonnerat eut tout le loisir de faire des excursions dans les îles de Luzon, de Panay, et de résider dans l’établissement espagnol d’Antigue. Il put y faire une collection d’oiseaux pour sa future publication, ce qui en constitue le principal intérêt, et observer les mœurs des populations primitives.
66Par l'Ile de Mindanao et un bref passage à l’Ile d’Yolo dont le souverain, un modèle de sagesse, était une ancienne connaissance de Poivre, l’on se rendit à l’Isle de Gebe où les français obtinrent des indigènes, en échange de fusils et de pièces de toile bleue, une ample cargaison de plants d’épicerie de différentes espèces.
67Sonnerat a ce commentaire : « On voit, d’après la description que je viens de donner des différentes espèces d’épiceries » [la vraie muscade, Myristica fragans Houtt., et la fausse ; le giroflier aromatique, Syzygium aromaticum (L.) Merrill & L. M. Perry et le faux giroflier] « que nous procurèrent les habitants de Poulo que c’est inutilement que les Hollandais ont des Forts et des garnisons si considérables à Banda et à Amboine ; que ces deux isles ne sont pas les seuls lieux où croissent les productions précieuses qu’ils pensent y posséder, à l'exclusion des autres nations : mais qu’on les trouve dans beaucoup d’autres endroits »12.
68Les planches de ces plantes tant recherchées présentèrent au grand public ce que la société savante connaissait déjà grâce aux efforts du botaniste hollandais Johannes Burman (1706-1779) qui, de 1741 à 1750, édita en 12 volumes l'Herbarium amboinense, magistral ouvrage du botaniste allemand Georg Eberhard Rumpf (1628-1702), employé à l'Ile d’Amboine par la Compagnie hollandaise des Indes (V.O.C.) à partir de 1653.
69Pour une seconde fois, Commerson eut à procéder à l'identification des plantes, le 8 juin 1772. L’Académie des Sciences fut requise d’en donner son verdict par un examen des spécimens que Poivre avait envoyés, ce qui fut fait le 17 février 1773 par Michel Adanson et Bernard de Jussieu. Ils conclurent que la branche et les fruits du giroflier ainsi que les muscades étaient bien de l’espèce employée dans le commerce, et que la culture de ces deux épices avait été établie par Poivre dans les deux principales îles Mascareignes et dans celles des Seychelles13.
70Le triomphe de Poivre était assuré et il s’apprêtait à retourner en France pour vivre à la Fréta, avec le sentiment que son filleul était bien positionné sur la voie d’une carrière.
71Sur la route du retour en France, Sonnerat eut de nouveau l’occasion d’explorer les environs du Cap de Bonne Espérance, et notamment la Montagne de la Table, en compagnie d’un autre élève de Linné, Carolus Petrus Thunberg (1743-1828) qui se rendait au Japon, et qui devait plus tard prendre la succession de Linné comme Professeur de botanique à l’Université d’Upsala.
Son introduction dans les milieux scientifiques (1773-1774)
72Dès son arrivée en France, Sonnerat s’empressa de déposer ses collections au Cabinet d’histoire naturelle du Roi, ce qui lui attira l’attention de Buffon dont L’Histoire naturelle des Oiseaux était en voie de publication (1770-1783), et la protection du Comte d’Angiviller, puissant personnage, Directeur et Ordonnateur général des Bâtiments du Roi, Jardins, Arts, Académies et Manufactures royales. Ce dernier pour l’encourager à continuer ses collections outre-mer lui permit de prendre le titre de « Correspondant du Cabinet du Roi. »
73La présentation de son mémoire sur le « Grand Palmier de l’Isle Praslin, ce fameux palmier appelé Coco des Maldives » à l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de sa cité natale, Lyon, lui valut son élection comme membre associé. Sonnerat visait plus haut, et le 13 décembre 1773 Bernard de Jussieu et Michel Adanson présentèrent le même mémoire à une session de l’Académie Royale des Sciences de Paris. Ces deux savants déclarèrent que « les fleurs que présentait ce spécimen unique leur permettaient de reconnoître cet arbre jusqu’alors inconnu pour une espèce de lontar ou latanier. » Le 19 janvier 1774 Sonnerat était élu Correspondant de Michel Adanson (1727-180614), un grand honneur car ce botaniste avait acquis la notoriété par son exploration du Sénégal de 1749 à 1754, et généralement acclamé pour sa publication du premier volume de l’Histoire Naturelle du Sénégal (1756).
74Par la suite, le Ministère de la Marine avait requis sa collaboration technique dans ses projets de développement de colonisation. Dès 1763 il proposait l’exploration systématique au moyen des voyages organisés pour la collecte de plantes utiles afin de les acclimater dans les colonies françaises15. En présentant son jeune correspondant qui avait participé à la collecte des plantes à épiceries qui allait marquer le succès le plus retentissant du projet d’acclimatation, Adanson ne manqua pas de signaler son talent pour le dessin, la peinture et miniature.
75Il indiquait aussi les régions à explorer, l'Afrique au Sud du Sahara, un projet de voyage à l’Ile-de-France pour atteindre Madagascar, l’Inde, et en proposant de « diriger son travail suivant le plan que je lui ai communiqué et dans lequel je me ferai un devoir de l’aider », il allait ajouter plus tard les espèces dont il désirait des collections (spécimens accompagnés de fleurs ou de fruits et de dessins s’il y avait des possibilités de détérioration) : i) plantes médicinales ; ii) plantes vivrières ; iii) plantes à vocation industrielle pour teinture, toileries ou batik, le tout accompagné de leurs noms vernaculaires comme il est prononcé dans le pays d’origine16, conseil suivi méthodiquement par Sonnerat dans son dernier ouvrage. Il recommandait aussi une collection lithologique.
Sa nomination comme Sous-Commissaire de la Marine (juillet 1774)
76L’administration royale ne disposant d’aucun fonds spécifique pour financer les dépenses de ses naturalistes-voyageurs, il fallait trouver au jeune aspirant une situation stable, ce qui fut fait grâce à l’amitié de Turgot pour Poivre. Sonnerat fut nommé Sous-Commissaire de la Marine en juillet 177417 alors que Turgot occupait brièvement le poste de Secrétaire d’Etat à la Marine. Sonnerat devait servir à l’Ile-de-France, mais grâce à la haute protection dont il jouissait, en particulier celle du Comte d’Angiviller qui fit pression pour qu’un congé lui soit accordé, il put s’embarquer sur Le Sévère à la fin d’août 1775, à destination des Indes pour passer ensuite à la Chine et en Cochinchine, terrains d’observation de prédilection de son parrain.
Voyage du Sévère (août 1775 au début de 1777)
77Le Sévère prit « la petite route » reconnue en 1769 dans l’Océan Indien central par le navigateur Jacques Raymond Grenier (1726-1803). Jean-Baptiste d’Après de Mannevillette (1707-1780), Garde du Dépôt de cartes et journaux au port de Lorient, en a donné quelques indications dans ses Instructions sur la Navigation des Indes Orientales. « En partant de l’Ile-de-France, on passera à l’ouest des bancs de Nazareth, si on fait valoir la route le nord sans prendre de l’est, jusque par 10° 30 de latitude, où l’on aura connaissance des Iles Galega [Agalega, 10°24’S, 56°37’E]. De la vue des Iles Galega ou de leur hauteur, on pourra faire valoir la route le nord quart nord-est, jusque par 5° de latitude... Lorsqu’on aura atteint les 5° de latitude, on prendra son cours au nord-est vers la ligne équinoxiale, et ensuite aux rumbs de vent qui conviendront à la destination18 ». Parti de l'Ile de France le 30 mai 1769 sur l'Heure du Berger, Grenier était arrivé à Pondichéry le 6 août, et était de retour à l'Ile de France le 6 octobre. Le Mémoire de la Campagne de Découvertes publié en 1771, la Carte du Système des courants des Mers de l’Inde publiée en 1776, permirent à des marins expérimentés, tel le Bailli de Suffren (1726-1788)19, de faire de brillantes campagnes durant la Guerre de l’Indépendance américaine.
78Tel ne fut pas le cas pour Le Sévère parti trop tard dans la saison. Pendant cinq mois l’infortuné navire louvoya pour atteindre les côtes indiennes après avoir fait escale à Ceylan pour renouveler les vivres. Officiers et équipage surmenés furent la proie des maladies et durent être remplacés sur la côte de Malabar par des lascars, marins indigènes qui n’avaient ni l’énergie ni l’expertise des marins européens.
79Arrivé à Pondichéry, Sonnerat faillit ne pas poursuivre son voyage ayant été nommé dans cette ville. Mais la compréhension de l’Intendant de Courcy lui permit de continuer le voyage jusqu’en Chine où par deux fois Le Sévère risqua de s’enliser dans la rivière de Canton. Les Chinois soupçonneux ne lui accordèrent point la liberté de faire des excursions ou de composer des collections20.
80Il ne fut pas le seul naturaliste de renom à subir de pareilles vexations. William Kerr (....-1814) envoyé par Banks à Canton en 1803 pour réunir des collections pour le Jardin royal de Kew, ne put parcourir les environs sans être inquiété et dut être rappelé. Il devait par la suite être nommé en 1810 surintendant du nouveau jardin botanique à King’s House, Colombo.
Pondichéry – Ile-de-France – Paris (1777-1781)
81De dépit, Sonnerat abandonna l’idée d’aller en Cochinchine ravagée par la guerre et il revint à Pondichéry où il allait bientôt avoir à faire face aux exigences d’un siège lorsque les Anglais investirent la ville en juillet 1778. Durant l’héroïque défense dirigée par de Bellecombe, Sonnerat se conduisit de façon exemplaire, ayant le contrôle de l’hôpital, des vivres et du port. Il fut heureux de travailler avec un Intendant sympathique, Marie-Etienne Claude Chevreau de Montléhu (c. 1730-1785) et bénéficia de l’amitié d’un ancien conseiller au Conseil Supérieur de Pondichéry en 1770, Pierre Paul Martin, qui l’aida à réunir une documentation sur la religion des Indiens.
82Revenu à l’Ile-de-France, il alla faire un séjour à Madagascar (septembre 1779) où il fut accablé par la malaria suivie d’une dysenterie, et il ne survécut que grâce aux soins du Major Consultant de l’armée française aux Indes, M. Le Meur, un ami du vétérinaire Beauvais.
83Il n’est pas étonnant que les écrits de cette période portent l’empreinte de toutes ces contrariétés. Ses observations sur l’Inde et la Chine envoyées de Canton, le 29 décembre 1776, furent lues à l’Académie par Andanson les 19 et 22 novembre 1777, mais ne furent point jugées dignes d’être publiées. Ses observations sur la Chine exhalent une rancœur théâtrale « un peuple faible par sa lâcheté et par son ignorance crasse... » Le rejet de l’Académie est indicatif des faiblesses de son prochain et ambitieux ouvrage.
84De cette époque il faut noter un nouveau développement dans les recherches de Sonnerat : un intérêt pour les reptiles et les poissons. Dès 1774 à l’Ile-de-France, il avait étudié les poissons vénéneux. Pendant ce nouveau séjour dans l’île, il composera une « histoire de poissons »... qui préfigure l'Article important qu’il donnera dans le Livre III du Nouveau Voyage aux Indes Orientales, intitulé « Objets nouveaux relatifs à l’histoire naturelle. » « Le système nouveau sur lequel j’ai établi mes classes et mes divisions (sur les parties de la génération, les ouïes et la position des nageoires), demande encore beaucoup de travail, je ne pourrai m’en occuper qu’après avoir terminé mon ouvrage sur les peuples de l’Asie »21.
85De même pour les reptiles dont il continuera les collections durant son dernier séjour en Inde. Malgré les difficultés de communication avec l’Europe, il tentait d’envoyer au Comte de Lacepède (1756-1825) « une vingtaine de couleuvres conservées dans les flacons avec de l’esprit de vin dont plusieurs ne sont pas connues... »22.
Promu Commissaire des Colonies en 1781, Sonnerat épouse Marguerite Ménissier
86Rentré en France en avril 1781, Sonnerat fit les démarches pour obtenir sa promotion et s’occupa de terminer son manuscrit.
87Il avait retrouvé à Paris son ami, François Jean Ménissier « marchand d’étoffes de soye, rue St. André des Arts vis-à-vis celle de l’Eperon ». Il épousait le 13 juin 1781 sa sœur cadette, Marguerite Anne, née le 4 janvier 1757, fille de Louis Ménissier, marchand mercier et d’Anne Florentine Beyney Dumas. Un fils, Claude Jean devait naître le 27 mars 1782 et eut pour parrain Claude Sonnerat et pour marraine Jeanne Chappuis, veuve de Beyney Dumas, ancien contrôleur du marc d’or23.
Le Voyage aux Indes Orientales et à la Chine, 1782
88Le 23 janvier 1782, l’ouvrage était présenté à l’Académie royale des Sciences par Joseph-Jérôme Lefrançois de Lalande (1732-1807) astronome, et Auguste-Denis Fougeroux de Bondaroy (1732-1789) botaniste et géologue. D’après le rapport qui lui fut présenté, l’Académie jugea l’ouvrage digne de son approbation et d’être confirmé sous son privilège. Le certificat fut signé par le Secrétaire perpétuel, le Marquis de Condorcet, le 5 février 1782. Pour obtenir ce résultat, Sonnerat avait bénéficié de la protection du Comte d’Angiviller, qui veilla à ce que la publication ait des souscripteurs éminents, dont le Roi, et que les frais d’impression soient couverts. La dédicace au Comte est ainsi libellée : « Votre amour pour les Arts et les Sciences me déciderait à vous en faire hommage, si la reconnoissance ne m’en imposoit le devoir. » Dès le 3 janvier 1783, il était en mesure d’en distribuer le prospectus.
89L’ouvrage ne fut pas accueilli avec les éloges qu’espérait l’auteur. Il était conscient lui-même de ses faiblesses. La partie géographique est composée d’ébauches de la Côte de Coromandel, de Malabar et de Surate. Il n’a pas été au Bengale, et la description du Gange n’est qu’un récit mythologique. L’Ile de Ceylan n’est favorisée que d’une simple mention. Il présente fièrement ce qu’il rapporte sur les royaumes du Pégû et d’Ava (Delta de l’Irawadi) ; « ce pays étant très peu connu », et sur le littoral oriental et méridional de Madagascar ; mais il avoue que les choses qu'il a à dire sur les autres contrées visitées au cours de ses deux grands voyages « sont peu considérables ».
90La partie sociologique s’étend sur la description des castes, coutumes, sciences, arts et métiers et surtout de la religion et leur mythologie.
91Le mérite de l’ouvrage revient donc à l’imagerie, produit d’une curiosité acérée et d’un crayon habile. Animaux, plantes rares, rites religieux, scènes de genre (exécutées dans le style du XVIIIe siècle français alors que Sonnerat manifeste une étonnante insensibilité pour l’esthétique orientale)24 constituent un portefeuille remarquable.
92De Madagascar il a été le premier à donner le dessin du lémur « Aye-aye » (Daubentonia madagascariensis), et de « l’Indri » (Indris indris Gmelin) espèce de la famille des Indrisidés, dont il donna aussi les descriptions. De l'Ile de France, il joignit le dessin et la description du « Pigeon hollandais » (Alectroenas nitidissima)25, qu’il avait probablement étudié dans la collection de Commerson, oiseau disparu en 1826.
93Enfin dans la section des plantes, la description et le dessin de la plante si répandue de la côte de Malabar, le Cardamome (Amomum cardamomum de Linné, 1753 ; Amomum repens Sonnerat, 1782). Pour la première fois il se réfère à l'autorité de l'Hortus Malabaricius26, œuvre magistrale organisée par le Commandant de Malabar, Hendrik Adriaan Van Rheede tot Drakenstein (1636-1691) pour réunir une somme de connaissances sur les propriétés médicinales des plantes du sous-continent indien. Van Rheede sut allier l’expertise de savants médecins indigènes à la méthode scientifique occidentale. Publié en 12 volumes à Amsterdam de 1678 à 1693, l’Hortus Malabaricus est resté l’ouvrage indispensable de référence pour l’étude botanique de la région.
94L'Hortus fut une source d’inspiration pour Michel Andanson lors de la préparation de son ouvrage Familles des Plantes, 1763, et l’on peut déceler cette influence dans les conseils qu’il prodigua à son jeune correspondant. Le successeur d’Andanson à l’Académie, Antoine-Laurent de Jussieu (1748-1836), né à Lyon la même année que Sonnerat, et son fidèle correspondant, désira lui aussi avoir des spécimens de plantes de l’Hortus27 pour compléter le supplément sur les espèces qu’il voulait joindre au Genera Plantarum publié en 1789.
95Les critiques acerbes et souvent malveillantes que suscita l’ouvrage ne firent que confirmer son intime conviction qu’il fallait retourner aux Indes pour approfondir ce qu’il avait déjà ébauché.
Préparation du nouveau voyage aux Indes Orientales
96Dès lors il dirige ses efforts vers la consolidation de ses appuis dans l’Inde. N’ayant pas encore connu le Bengale, il désire être nommé à Chandernagor, proposant entre autres projets des « recherches et des essais sur le salpêtre, production qui commence à manquer en France... » Le soutien de d’Angiviller pour appuyer cette requête est recherché le 21 avril 1784. Du Bengale il pourrait préparer une exploration au Tibet : « pendant six mois de l'année, nous n’avons point de vaisseaux et il me serait facile pendant ce temps de continuer mes travaux en histoire naturelle et de remonter jusqu’aux montagnes du Thibet, païs qu'on ne connoit absolument point »28.
97Il reprend alors contact avec Joseph Banks, correspondant de Lalande depuis 1772 et influent président de la Royal Society de Londres depuis 1778. C’est par l’intermédiaire de Charles Blagden, (1748-1820), médecin, et un fréquent visiteur à Paris, que s’échangea la correspondance. « Fellow » de la Royal Society. Blagden joua un rôle important dans le maintien des relations scientifiques entre la France et l’Angleterre à une époque souvent déchirée par les guerres. Dans sa lettre du 12 avril 1783, Sonnerat explique qu’ayant l’intention de repartir pour l’Inde et de visiter le Tibet et la Tartarie, il souhaiterait devenir membre de la Société Royale. Blagden en visite à Paris au mois de juin lui apporta une réponse de Banks. Invité à dîner par Sonnerat, il lui expliqua la nécessité de limiter le nombre des membres étrangers de la Société. Dans sa réponse du 23 juillet, Sonnerat renouvela sa demande : « M. Blagden m'a donné espérance que je pourrais être de la Société non pas comme associé étranger puisqu’il n’y a point de vacances, mais comme membre domestique » et adressa à la Société par les soins de Blagden copie de ses deux Voyages... Banks lui répondit alors que les règlements ne permettaient pas son élection à la Société. « Je suis fâché que les règlements de la Société royale s’opposent à m’y recevoir comme associé, mais la Société royale, ainsi que vous, Monsieur, pouvez me dédommager en me donnant à mon départ quelques lettres pour les gouverneurs des places où je serai dans le cas de séjourner, en conséquence je prendrai la liberté de vous écrire dans le temps pour vous en prier de nouveau »29.
Le retour aux Indes Orientales
i) Pondichéry 1786-1789
98Sa commission le désignait pour le département de l’Ile-de-France. Mais telle est sa détermination qu’il n’hésite pas, bien que chargé de femme et d'enfant, de demander à passer en Inde où il n’a pas d’affectation, donc en demi-solde. Mais il pouvait toujours compter sur la haute protection du Comte d’Angiviller qui s’évertua à alerter les autorités. L’administrateur général à Pondichéry, M. de Moracin fut prévenu et à son arrivée dans cette ville en juillet 1786, Sonnerat eut la responsabilité de l’inspection des magasins, et bientôt suite à la réduction du personnel par mesure d’économie, il se trouva « chargé de tous les détails, à la tête des hôpitaux, des magasins, des troupes et des classes »30.
99Une petite fille, Adélaïde, était née au couple Sonnerat en 1787. Dans une lettre du 22 juin 1788 à un M. Dantic à Paris, Sonnerat écrivait : « Made. Sonnerat a eu depuis qu’elle est ici une petite fille qu’elle nourrit, elle a neuf mois à présent et commence à devenir intéressante »31.
100Toutes ces responsabilités ne laissaient pas beaucoup de temps au Commissaire pour l’histoire naturelle. Néanmoins, il eut l’occasion de faire deux visites à Ceylan (1788, et 1789) durant lesquelles il réunit la documentation pour une description précoce de l'Ile32.
101Il avait utilisé comme source le Thesaurus Zeylanicus (1737) de Johannes Burman, ouvrage que l’on retrouva parmi ses papiers après son décès.
102Au mois d’avril 1789, les ordres de regroupement du personnel à l’Ile de France furent envoyés au nouveau gouverneur des établissements français aux Indes, Thomas de Conway (1735-1810). Sonnerat demanda alors à Jussieu d’obtenir du Ministre de la Marine, le Comte de la Luzerne, la permission de rester en Inde, et présenta à Conway le 15 septembre 1789 une requête pour être nommé « agent à Yanaon avec le traitement accordé par la Cour »33.
ii) Yanaon, 1790-1793
103Yanaon, petit établissement à la côte d’Orissa, sur la rive gauche de la Godavari, avait été rendu avec ses dépendances aux français en février 1785. La rétrocession avait été faite au Conseiller Martin, l’ami de Sonnerat, et il l’avait administré pendant un certain temps. Aurait-il conseillé à Sonnerat de se porter candidat au poste ? Dans sa lettre à Antoine-Laurent de Jussieu du 30 septembre 1789, pour lui annoncer sa nomination, Sonnerat se confiait : « c’est la plus belle place de l’Inde, non pas pour les appointemens puisqu’il n’y a que dix mille livres attachées à cette place, mais par les Commissions, ce païs est à la côte d’Orixa à 150 lieues dans le nord de Pondichéry et c’est là où se font toutes les toiles ; il n’y a pas de doute qu’avec de la conduite, de l’honneur et du travail je n’acquière un bien être en quatre ou cinq ans... »
104Yanaon avait une autre ressource, celle d’exporter au Bengale une importante quantité de sel, dérivé de ses salines, droit acquis par traité. Mais la vigilance était de mise car les voisins anglais avaient la possibilité d’introduire sur le territoire le sel produit sur leurs terres qui était re-exporté comme produit français. Sonnerat s’explique longuement sur cette question litigieuse dans son chapitre sur le Bengale34. C’est aussi sur la question de l’exportation du sel que le Commandant eut des relations conflictuelles avec la petite poignée de ressortissants français engagés dans le commerce du sel. Concurrent de ses administrés, ceux-ci adressèrent des plaintes au Conseil de Pondichéry en demandant qu’il soit rappelé. Ce ressentiment atteignit son paroxysme au cours des événements liés à la Révolution française, lorsque l’Assemblée coloniale de Yanaon priva le Commandant de ses pouvoirs, en particulier celui d’octroyer des permis pour l’exportation du sel35.
105Les responsabilités du Commandant étaient multiples. Dès son entrée en fonction, Sonnerat eut à donner son attention à l’aménagement du territoire. Les débordements de la Godavari avaient produit des éboulements le long de ses bords : « plusieurs rues ainsi que la chapelle ont déjà été englouties ». Il conçut l'idée d’établir une digue sur la rivière, projet avorté suite aux désordres de la Révolution, lorsque la nouvelle municipalité s’arrogea la responsabilité de poursuivre le projet sans avoir la compétence de le réaliser36.
106Les relations diplomatiques avec ses voisins, parfois tendues, occupèrent une bonne partie de son temps. Il y eut d’abord la collaboration pour établir le projet de digue sur la Godavari. Les relations s’envenimèrent au cours des famines de 1791-92 lorsque les indigènes affamés se vendaient ainsi que leurs enfants, esclaves, et que français ou anglais cupides en profitèrent pour pratiquer la traite illégale et les expédier soit à l’Ile-de-France, soit à Ceylan. Les exportations se faisaient par le port de Coringui administré par les anglais qui n’avaient souvent pas les moyens de contrôle. Sonnerat avec l’assentiment des habitants de Yanaon fit une proclamation pour défendre ce trafic, et fit la police pour saisir les esclaves et les renvoyer au Chef d’Ingéram, comptoir anglais, mais en vain37.
107Enfin il eut à contenir l’invasion d’une partie de ses dépendances par des troupes du raja de Pedapour en 1792, mais s’il ne fit pas tonner les deux pièces de canon dont il disposait, il eut à passer une année en négociations pour que la dépendance lui soit rendue.
108Il devait aussi assurer la paix publique ; ainsi lorsque l’Assemblée composée d’une poignée de français le priva de ses pouvoirs, la question de la police et de la justice n’avait pu être résolue. C’est ainsi que l’énorme majorité de la population indigène fut invitée à se prononcer. Elle opta pour la continuation de Sonnerat dans cet exercice : « le chef de cette aidée qui depuis deux ans a toujours jugé selon nos castes sans manquer à nos lois ». Heureuse décision car lorsque la menace de conflit racial se concrétisa en octobre 1791, la population européenne prise de panique eut recours au Commandant et lui restitua tous ses pouvoirs.
109Au début de 1793, une nouvelle assemblée coloniale débattait encore la question de la légitimité des pouvoirs du Commandant lorsque la guerre éclata et les troupes anglaises envahirent le territoire prenant le Commandant prisonnier. « J’ai eu cinq vaisseaux [chargés de sel] pris par les Anglais », confiait-il à Jussieu38.
iii) Pondichéry-Madras, 1793-1813
110Prisonnier de guerre, il le fut pendant vingt années, accablé par des chagrins de famille et le déclin de sa santé. Marguerite mourut à Madras le 18 avril 1794 âgée de 37 ans. Pierre était tourmenté par l’avenir de son fils, adolescent en Europe. Il priait de Jussieu de veiller à ce que son ancienne pension du Cabinet du Roi puisse assurer son bien-être39. Claude Jean fit le voyage pour le revoir, mais lorsqu'il arriva en Inde les Anglais ne lui permirent pas de rencontrer son père. « Vous ne sauriez croire, mon cher Jussieu, le chagrin et les peines que j’ai éprouvé depuis huit ans ; l’arrivée de mon fils dans ce pays y a mis le comble par la manière dont on en a agi envers lui et envers moi. Le gouvernement anglais lui a défendu de mettre les pieds sur les terres de la Compagnie, et à moi on m’a fait un crime de son arrivée... »40.
111Il ignora que Claude, entré le 1er juillet 1800 comme fourrier au 4e régiment de hussards, fut tué en Espagne le 16 avril 180941.
112Le 4 octobre 1808, il écrivait à Jussieu que malgré tout le désir qu’il avait à passer en France, il ignorait encore quand il le pourrait : « les attaques cruelles de goutte que j’ai tous les six mois ne me permettent pas de demander au gouvernement mon passage sur un vaisseau anglais, qui aurait soin de moi à bord, si j’en avois une, car je suis ordinairement quinze jours sans pouvoir bouger, l’opium jusqu’à présent est le seul remède qui m’ôte les grandes douleurs, je suis donc obligé, malgré moi, d’attendre qu’on arme un cartel pour l’Europe, ou une autre occasion favorable où il y ait des français... »
113Malgré tous ces malheurs, il continuait ses recherches avec opiniâtreté. Déjà en septembre 1800, il annonçait : « je me proposais de publier ici un nouvel ouvrage en trois volumes, la souscription était presque remplie ; des raisons politiques et momentanées en ont retardé l'impression »42. En octobre 1803, il donne de nouveaux détails : « je joins ici le prospectus de l’ouvrage que je dois faire imprimer à mon arrivée en France, car il m’a été impossible de le faire imprimer ici comme je l'espérois, le travail immense qu’il comprend sous le rapport de la politique et du commerce ainsi que les recherches qu’il renferme sur quantité d’objets nouveaux d’histoire naturelle, le fera sans doute recherché »43.
114En octobre 1808, il est plus précis : « j’ai d’autant plus de désir de rentrer en France que mon ouvrage est entièrement terminé et dans ce moment il ne pourrait manquer de faire une grande sensation. Le Lord Bentick, Gouverneur de Madras, me propose de le faire imprimer aux frais du gouvernement, mais je n’ai pas cru devoir accepter une offre qui aurait pû me faire paraître favorisé d’un gouvernement ennemi... »44. William Cavendish Bentick (1774-1839), qui devait être le premier gouverneur général de l’Inde, esprit éclairé, le lui avait proposé alors qu’il était gouverneur de Madras avant son rappel en 1806. Comme l’auteur l’avait déclaré plus tôt, des raisons politiques s’opposaient à ce projet, sans révéler les critiques acerbes sur la domination anglaise en Inde que contenait l’ouvrage.
115C’est pour profiter du cartel La Suzanne que Sonnerat se rendit à Madras au début de 1811 après mille démarches et beaucoup de dépenses pour obtenir la permission de partir. Mais le vaisseau était si petit et dépourvu de toutes commodités, condition qu’il ne pouvait accepter vu son état de santé45. A cette déception s’ajoutait une mortelle inquiétude, car, depuis huit ou neuf ans, il n’avait reçu des nouvelles d’Europe, ni même de sa famille. Mais cela ne voulait pas dire qu’il avait été oublié : il avait été élu correspondant pour la section de botanique de la 1ère classe de l'Institut national le 28 novembre 180346. La Société d’Emulation de l’Ile-de-France en 180647, la Société académique des Sciences de Paris l’avaient nommé un des ses associés correspondants48.
116La série des malheurs ne faisait que continuer. Durant le voyage de Pondichéry à Madras il perdit une partie de ses collections : « en venant à Madras, une des charrettes qui portait mes effets a versé dans la rivière de Palléar et mon domestique qui les suivait n’ayant pas les clefs des malles, l’eau a séjourné huit jours dans les malles et les caisses, tout le linge qu’elles renfermaient, mes livres, mes papiers, mes herbiers ont été pourris ». Une partie de la collection de poissons qui était dans un carton avait été perdue : « heureusement que les quadrupèdes, les oiseaux, les insectes, les coquillages et les dessins de mon ouvrage étaient dans une autre charrette. »
117Par bonheur, il n’avait pas pris place sur La Suzanne. Le 2 mai un terrible coup de vent s’abattit sur Madras faisant « périr tous les batimens qui étaient en rade, de 92, 19 ont été jetés et brisés sur la côte : 70 sont coulés sur leurs ancres ; les trois autres sont le cartel français, un Espagnol et un américain avaient mis à la voile... le cartel français est venu hier mouiller en rade » ; l’espagnol avait été se perdre dans le sud de Madras et l’on était sans nouvelles de l’américain.
118Son ouvrage était entièrement terminé ; il aurait été utile qu’il fût en France avant la paix « pour faire connaître l’Inde dont on n’a vraiment en Europe aucune idée ». Il demande à Jussieu et à ses collègues de l’Institut d’essayer d’obtenir du Ministre « qu'il me réclame comme appartenant au Muséum d’histoire naturelle et que par le moyen du Commissaire français qui est en Angleterre, il obtient mon passage sur le premier vaisseau de la Compagnie qui partirait de ce pays. » Cette supplique décida Jussieu d’en faire la demande à Joseph Banks. Dans une lettre du 29 février 1812 au cours de laquelle il parlait de grands développements intervenus dans la botanique en Angleterre : « Plusieurs savans de votre nation s’occupent de la botanique avec fruit, surtout Μ. M. Smith, Salibury, Koenig, Sims, Andrews et R. Browne (sic) qui doivent continuer leurs recherches savantes. Le dernier a sûrement publié à son excellent travail une suite que nous ne connaissons pas encore et que nous désirons beaucoup étudier. Il nous a donné dans le premier ouvrage [Prodromus... 1810] une série considérable de genres nouveaux que nous ne possédons pas, et que nous possédons peut-être en partie dans nos collections de la Nouvelle Hollande apportées par les compagnons du Capitaine Baudin. Ce ne serait peut être pas une indiscrétion de demander à vous ou à lui des échantillons secs de ces genres même les plus petits et suffisans seulement pour les faire retrouver dans nos herbiers »49.
119Il plaidait aussi la cause de certains prisonniers retenus en Angleterre. Il terminait sa lettre en ces termes : « Je ne vous écrirai pas plus longuement aujourd’hui. Je me bornerai seulement à vous prier instamment de procurer à M. Sonnerat dont le nom vous est sûrement connu et qui est actuellement à Madras les moyens de revenir ».
Le retour en Europe
120En décembre 1813, Sonnerat, après huit mois et cinq jours de traversée, se trouvait à Londres réuni à Joseph Banks et à Charles Blagden qui lui donnèrent les dernières nouvelles de son ami. Après 28 années passées dans l’Inde, et sans nouvelles de sa famille et de ses amis depuis plus de douze ans, il se sentait quelque peu désemparé. Sa sœur et son beau-frère (M. et Mme Delorme) étaient morts ; il ne savait rien de son fils50. Son procureur, M. Bernet ne lui avait rendu aucun compte depuis vingt ans. Seul son grand œuvre le soutenait « les trois premiers volumes in-4°, comme je vous l’ai marqué, sont entièrement finis, mais ils ont été augmentés depuis de plusieurs chapitres intéressans, les dessins, les cartes au nombre de plus de cent sont aussi achevés ; le 4ème volume a besoin d’être encore travaillé, les Anglais attendent cet ouvrage avec impatience »51.
121De Londres il était arrivé à Morlaix et écrivait à Jussieu le 23 janvier 1814 qu’il avait demandé au préfet de Brest l’autorisation de se rendre à Paris tout de suite. Il espérait y être dans une dizaine de jours et donnait son adresse : « Hôtel de Bruxelles, rue de Richelieu ». Au cours des jours qui suivirent, il devait être logé à un hôtel situé rue du Boulloi où il s’éteignait52 le 31 mars 1814 à l’âge de 65 ans. Il fut inhumé le 2 avril 1814 au cimetière du Père-Lachaise.
122C’est son beau-frère François Jean Ménissier qui s’occupa de la succession de Sonnerat sur la procuration, datée du 26 août 1816, d’Adelaïde Sonnerat-Wilson, épouse de John Wilson, Capitaine d’infanterie de la Compagnie Anglaise dans l’Inde, fille et seule héritière de Sonnerat. Elle lui confiait aussi la mission de présenter à Antoine-Laurent de Jussieu le manuscrit de son père, pour qu’il puisse donner son « opinion franchement là-dessus... D’après l’opinion de quelques messieurs de Pondichéry... qui l’ont lu et qui sont capables d’en juger, il paraît que l’impression ne peut que faire honneur à la mémoire de mon Père, mais pour cela il faudrait y mettre la main d’un habile rédacteur car on nous a dit qu’il y a des passages qu’il sera prudent et même nécessaire de faire suppression, et d’autres qui demandent à être changés. Ces passages contiennent des observations et des réflexions sur des affaires qui étaient intimement personnelles à mon Père, et qui l’ont engagé à faire des remarques injurieuses sur le gouvernement anglois. Comme il y a beaucoup de souscriptions de cette nation, et que mon Père en étoit généralement respecté et estimé, je crois ainsi que mon mari, qu’il ne seroit pas décent qu’il parût de pareilles réflexions dans un ouvrage qui sera (je l’espère) généralement goutté, et qui porte pour titre Histoire philosophique et naturelle etc... Sans oser offrir une opinion à ce sujet, je m’en remets intimement à vous, bien persuadée que si vous trouvez l’ouvrage digne de l’impression, vous voudrez bien avoir la bonté de le faire rédiger. Je vous demanderai encore, Monsieur, votre opinion sur la maison dont il faudra le faire imprimer, peut-être l’Etat voudra-t-il s’en charger ? Mon plus grand désir est de remplir les engagements envers ceux des souscripteurs qui ont déjà payé la moitié de leurs souscriptions, pour cela il serait nécessaire de conserver un certain nombre d’exemplaires. »53.
123Jussieu eut certainement l’ouvrage entre ses mains puisque la description du Nagamelly dans la partie intitulée « Objets nouveaux relatifs à l’histoire naturelle » (Livre III, f. 432-38) porte une notation de sa main, et que les 29 aquarelles de plantes qui subsistent ont été identifiées par lui.
124A ce point, la trace de l’ouvrage se perd. Par quels cheminements le manuscrit a-t-il atterri à Sydney54, dépouillé des cartes et dessins qui en constituaient sa partie la plus précieuse ?
Remerciements
125Nous remercions vivement le Conseil de la State Library of New South Wales pour le don du microfilm et le personnel de la Bibliothèque Mitchell, particulièrement Mesdames Suzanne Mourot et Elizabeth Ellis, qui ont toujours été à l’écoute :
M.M. Barry C. Bloomfield et Graham W. Shaw de la British Library qui trouvèrent les fonds pour la photographie des peintures ;
M. Jean Bijasson qui nous communiqua des papiers de famille provenant de la succession Sonnerat.
126Nous exprimons notre reconnaissance au Professeur Pierre-Sylvain Filliozat et à Manonmani, sa fille, qui fut notre interprète auprès de lui. M. Filliozat s’employa énergiquement à faire connaître ce manuscrit aux personnalités compétentes et par son charisme réussit à les convaincre de l’utilité de son étude et de sa publication. Nous remercions l’Ecole française d’Extrême-Orient de nous avoir fait confiance.
127M. Yves Laissus, qui s’était vivement intéressé dès les débuts à la recherche sur le naturaliste Sonnerat qui déboucha sur une première publication, a de nouveau apporté au présent ouvrage le fruit de son expérience sur les oiseaux de Buffon.
128Michel Roussel, ami de longue date, professeur à la Faculté des Arts (Etudes Anciennes) de l’Université d’Ottawa, nous a prodigué conseils et renseignements dérivés de son admirable connaissance de l’antiquité.
129Dr Laurence J. Dorr qui vint faire de la recherche à l'Ile Maurice en 1994, eut l’attention de me mettre en relation avec son collègue le Dr Dan H. Nicolson, alors Conservateur du Département de Botanique, National Museum of Natural History, Smithsonian Institution Washington, qui s’est intéressé à tout ce qui a trait à la botanique dans ce manuscrit. De plus il a généreusement assuré la liaison avec ses collègues qui ont procédé à la détermination des espèces étudiées dans le chapitre XIII. Nous disons notre vive appréciation pour leur contribution aux Drs Pam Rasmussen, Roy W. Mc Diarmid, James G. Mead, Victor G. Springer, Richard Thorington.
130M. Anthony Cheke, d’Oxford, spécialiste de l’écologie des Mascareignes a eu la bienveillance de compléter certaines déterminations.
131Mon collègue et ami Wahab Owadally a résolu certaines difficultés associées au vocabulaire botanique.
132M. Tim Thomas, AP AC Reference Services, British Library, a patiemment recherché l’identité de certaines personnalités qui eurent des relations parfois conflictuelles avec Sonnerat durant son commandement à Yanaon.
133Madame Ann Lum Reid du Geology Library, Natural History Museum. London, a répondu à mes questions sur divers aspects de la géologie avec générosité.
134Le personnel de la Bibliothèque du M.S.I.R.I, Réduit, Ile Maurice, dirigé par Madame Rosemay Ng, a été d’une assistance de tous les instants. Je suis particulièrement redevable envers mes anciens collègues André Mercier et Jugdish Sonatun qui assumèrent avec enthousiasme les travaux pénibles de la première phase pour la préparation du texte menant à l’étude critique. Jugdish a depuis veillé au déroulement de la phase finale. José Forget a été associé à la supervision des travaux concernant la reproduction et la photographie.
135Le Dr Indrani N. Gopauloo a assumé la responsabilité de me transmettre la documentation provenant de la bibliothèque du Mahatma Gandhi Institute, Moka, Ile Maurice.
136Les communications multiples à l’échelle globale ont été assurées grâce à la collaboration de M et Mme Jean-Louis Chatelain, de Mme Joyce Yan, de M.M. Hassan Khodabocus et Raymond Orré.
137Enfin, nous remercions M. Patrick Lagrange qui a fait la première saisie du manuscrit et M. André Couture, professeur à Faculté de théologie et de sciences religieuses à l’Université Laval, Québec, Canada, qui a relu notre texte avec un œil critique et proposé des additions utiles.
Notes de bas de page
1 Pierre Sonnerat, 1748-1814, An Account of his life and work, Mauritius, 1976.
2 Tome I. (458 p.) :
- ch. I. De l'Inde
- ch. II. De la côte de Coromandel
- ch. III. Des établissements européens sur la côte de Coromandel et des provinces dont ils dépendent
- ch. IV. Des moussons de l’Inde ; productions de ta côte de Coromandel
- ch. V. Des Cercars du Nord
- ch. VI. Du Bengale
- ch. VII. De quelques fêtes particulières des Bengalis
- ch. VIII & IX. De la côte de Malabar
- ch. X. De l’Isle de Ceylan – de l'Isle de Sainte Hélène.
3 Tome II (411p.) :
- ch. I. Des peuples de l’Inde
- ch. II. Religions, Mœurs et Caractère des Indiens
- ch. III. Sciences, Arts et Métiers
- ch IV. Des forces générales militaires de l'Inde
- ch. V. Des successions, de la propriété et des lois
- ch. VI. Du commerce de l’Indoustan
- ch. VII. De quelle manière les français doivent à l’avenir faire le commerce de l’Inde
- ch. VIII. Des soubas de l’Indoustan
- ch. IX. Chronologie et précis de la vie des rajas et empereurs qui ont régne dans l’Indoustan. Est ajouté (pp. 412436), un Livre III : Objets nouveaux relatifs à l’histoire naturelle : quadrupèdes, oiseaux, reptiles, poissons, plantes.
4 Tome III (188 p.) : Histoire des guerres des Européens dans l'Inde.
5 Madeleine Ly-Tio-Fane, dans Pierre Sonnerat 1748-1814, An Account of his Life and Work, Mauritius, 1976, pp. 97-130, présente le plan de cet ouvrage et ses illustrations, analyse les sources européennes utilisées par l’auteur ainsi que l’influence des peintres indigènes sur ses œuvres picturales ; en même temps elle évoque les critiques sérieuses dont l’ouvrage fut l’objet de la part de ses contemporains et, finalement, insiste sur la valeur scientifique de ses études ornithologiques. Elle signale que cette grande enquête a été faite en 15 mois à peine et que manifestement elle ne peut pas être un travail original, en dépit des prétentions de l’auteur, sauf, évidemment pour la partie qui concerne l’histoire naturelle qui était sa spécialité. Il serait souhaitable qu’un travail critique du type de celui qu'a réalisé Sylvia Murr sur un inédit du père Coeurdoux qu’elle a comparé à la version de l’abbé Dubois (L’Inde philosophique entre Bossuet et Voltaire-1. Mœurs et Coutumes des Indiens [1777], Paris, 1987) soit entrepris pour déterminer avec précision la nature de ces emprunts.
6 Voir W. Willets, An Illustrated Annotated Annual Bibliography of Mahabalipuram, p. 2.
7 Pierre Sonnerat, 1748-1814, p. 138, Le dernier manuscrit de Pierre Sonnerat, p. 71-72.
8 Archives municipales de Lyon. Paroisse Saint-Nizier. Registre des Baptêmes no 95 année 1748. fo 105 v°. Registre no 164 de l’année 1736, fo 26 verso - Acte de mariage de Claude Sonnerat et de Benoîte Poivre, 29 janvier 1736. Claude est inscrit comme « marchand éguilletier », profession qui avait été celle de son père.
9 Poivre était né le 23 août 1719 et baptisé dans la même église, Paroisse Saint-Nizier. Registre no 70, années 1719-20. fo 79. Il est mort à Lyon (Ainay) le 6 janvier 1786.
10 Lettre de Beauvais au Chevalier de Mautort...au sujet d’un ouvrage intitulé Voyage aux Indes Orientales et à la Chine. Bib. Nationale de France, Dept. des Manuscrits N.A.F. 5071, ff 92-106.
11 Sorte de gros Martin-pêcheur terrestre qui a été décrit en 1783 par le naturaliste français Johann Hermann.
12 Voyage à la Nouvelle Guinée, 1776, p. 198.
13 Hunt Botanical Library, Coll. Adanson, AD 343. a) Sur la carrière de Poivre, voir Louis Malleret, Pierre Poivre, Paris, E.F.E.O, 1974 ; b) Sur les épiceries fines les deux volumes de Madeleine Ly-Tio-Fane, Mauritius and the Spice Trade : i) The Odyssey of Pierre Poivre, Port Louis, 1958. ii) The Triumph of Nicolas Céré and his Isle Bourbon Collaborators, Paris, The Hague, 1970.
14 Voir Adanson, The Bicentennial of Michel Adanson’s « Familles des Plantes », Part I, Hunt Botanical Library, Pittsburgh, 1963. La correspondance avec Sonnerat est établie au cours de la partie intitulée « The Adanson Collection » p. 279-368.
15 Madeleine Ly-Tio-Fane, « A reconnaissance of Tropical Resources during Revolutionary Years : The role of the Paris Museum d’Histoire Naturelle », Archives of Natural History (1991) 18 (3) : 333-362 ; voir p. 342-343 ; p. 346-347.
16 Annotation d’Adanson sur la lettre de Sonnerat, datée de Carton 29 décembre 1776.
17 Lettre du Ministre de la Marine à l’Intendant de l'Ile-de-France, du 4 juillet 1774, l’informant de cette nomination en lui envoyant le brevet. Archives de Ile Maurice OA., 1774.
18 D’Après de Mannevillette, Instructions sur la Navigation des Indes Orientales, Paris, de l'Imprimerie Royale, éd. 1819 : « De la route en partant des Isles de France et de Bourbon pour aller aux Indes, pendant la mousson du Sud-Ouest », p. 74-77.
19 Référence aux campagnes de Suffren dans les Mers des Indes, citées dans le chapitre sur Ceylan du Nouveau Voyage.
20 Sonnerat à Adanson, de Canton 29 décembre 1776, Hunt, Pittsburgh, AD 238, 296 et 376.
21 Sonnerat à Adanson, de Cadix, 25 février 1781. Hunt, Pittsburgh, AD 240.
22 Sonnerat à A. L. de Jussieu, Pondichéry, 28 Vendémiaire an 12 (21 octobre 1803) Paris, Académie des Sciences – Institut de France – Dossier Sonnerat.
23 Nous remercions M. Jean Bijasson qui a eu l’amabilité de nous communiquer des pièces de famille conservées au Minutier Central des Notaires, Archives Nationales, Paris.
24 Voir, vol. 1, p. 99-101 – Texte identique dans le Nouveau Voyage..., livre III, Chap. 2-3.
25 Oiseau de la famille des Columbidés (pigeons, tourterelles, colombars, carpophages, etc.), en français, Founingo hollandais.
26 Dan. H. Nicolson, C.R Suresh and K S. Manihal, An Interpretation of Van Rheede's Hortus Malabaricus. Koeltz Scientific Books, 1988. D-6240 Königstein. Federal Republic of Germany.
27 Sonnerat à A. L. de Jussieu, 30 sep. 1789. « Rendu à ma destination (Yanaon), n’ayant pas autant d'occupations que les détails que j’avais à Pondichéry me donnoient, je pourrai donner plus de temps à la botanique et à l'histoire naturelle, j’aurais pu chercher comme vous le désirez à me procurer les plants de l'Hortus Malabaricus, mais je n’ai point cet ouvrage, mais dans mes courses, je ramasse tout, ce serait à vous, Messieurs les botanistes, à mon retour à les débrouiller » (Paris, Académie des Sciences, Institut de France, Dossier Sonnerat).
28 France - Archives Nationales, Outre-Mer, Série O1, carton 1817, f. 153.
29 Sonnerat à Banks, 12 avril, 23 juillet, 12 novembre 1783, London, British Museum, Add.ms 8095, 228-230 ; 231 ; 8096, 169-170, Blagden à Banks, 11 et 18 juin 1783. London British Museum (N.H.), Dawson Turner Collection, v.3, 46-48 ; 49-53.
30 Sonnerat à Adanson. 20 juin 1788. Hunt. Pittsburgh, AD. 241.
31 A M. Dantic à Paris, Pondichéry 22 juin 1788, Paris, Académie des Sciences, Dossier Sonnerat.
32 Nouveau Voyage... livre I, chap. 10.
33 France, Archives Nationales, Outre-Mer. Ser. Col. E 372, f. 33.
34 Nouveau Voyage... vol. 1, chap. 6.
35 S.P. Sen, The French in India, 1763-1816, Calcutta, 1958, p. 486-490.
36 Nouveau Voyage... vol. 1, chap. 5.
37 Nouveau Voyage... vol. 1, chap. 2, f. 83-84.
38 A de Jussieu, 28 Vendémiaire An 12, (21 octobre 1803). Inventaire après décès : 29 pièces relatives à cinq vaisseaux chargés de sel dont plusieurs ont été confisqués à Yanaon.
39 A de Jussieu : « Rendez-moi le service, mon cher de Jussieu, si par quelques événemens que je ne puis prévoir on avait discontinué de payer ma pension de 300 # que j’avais sur le Cabinet du Roi, de vous employer auprès de l’Intendant du Jardin des Plantes pour qu’on me la paye à l’avenir et que mon fils puisse la toucher pour subvenir à ses dépenses, ce qui me fait craindre qu’on n’ait pas continué à la payer, c’est que j’apprends que mon fils s’est embarqué novice sur le Formidable et je ne puis croire qu’il eut pris ce parti s’il avait joui de ces 300 # et de quelques revenus que je lui avais laissés » (Pondichéry, 25 septembre 1800).
40 Lettre non datée mais qui est probablement de 1801.
41 Minutier Central des Notaires. Acte de décès de Claude Jean Sonnerat délivré par le Secrétaire général du Ministère de la Guerre sous le no. 1579 du registre matricule.
42 A de Jussieu, Pondichéry, 25 septembre 1800.
43 Au même, Pondichéry, 28 vendémiaire an 12 (21 octobre 1803).
44 Au même, Pondichéry, 4 octobre 1808.
45 Au même, Madras, 1er mai 1811.
46 Institut de France, Index biographique des Membres et Correspondants de l’Académie des Sciences du 22 décembre 1666 au 15 décembre 1967, Paris, 1968.
47 Lettre de remerciement à M. Epidariste Colin, Secrétaire de la Société d’Emulation de l’Ile-de-France, 23 janvier 1807. Société royale des Arts et Sciences de l'Ile Maurice. Réduit, Ile Maurice.
48 A de Jussieu, le 4 octobre 1808.
49 De Jussieu à Banks, 29 février 1812. L’original de cette lettre se trouve au B. M., London, Add. Ms. 810f. 129-130.
Sir James Edward Smith (1759-1828), acheta la collection de Linné et fonda la Société Linnéenne à Londres dont il fut le Président de 1788 à 1828, publia la Flora britannica, 1800-1804. 3 v. l’Exotic Botany,1804-5.
Richard Anthony Salisbury, (né Markham) (1761-1829), Secrétaire, Horticultural Society of London, 1805-1816, publia Generic Characters in the English Botany... 1806.
Johann Gerhard Koenig (c. 1728-1785). Elève de Linné, employé à Madras, Compagnie des Indes Orientales, 1778, voyagea au Siam, à Malacca, Ceylan et réunit des collections dont la grande partie fut envoyée à Joseph Banks.
John Sims (1749-1831), éditeur du Botanical Magazine, 1801-1826.
Henry Charles Andrews (fl. 1790-1830), artiste et graveur, publia le Botanists’ Repository, 1797-1811.
Robert Brown (1773-1858). Naturaliste de l’expédition de Matthew Flinders à la Nouvelle Hollande (Australie), 1801-1805, publia en 1810 le Prodromus Florae Novae Hollandiae, et le Supplementum en 1830.
Nicolas Baudin (Ile-de-Ré, 17 février 1754 – Ile-de-France, 16 septembre 1803), commanda la prestigieuse expédition recommandée par A. L. de Jussieu et les autres Professeurs du Muséum d’histoire naturelle et ordonné par le Premier Consul en 1800. Sur les navires le Géographe et le Naturaliste, ses officiers et ses scientifiques étaient chargés d’effectuer la cartographie des côtes australiennes et de ramener en France des collections de botanique et de zoologie. Voir Jacqueline Bonnemains et autres, éds. Mon Voyage aux Terres Australes : Journal personnel du Commandant Baudin. Imprimerie nationale, 2001 ; Frank Horner, The French Reconnaissance. Baudin in Australia, 1801-1803, Melbourne University Press, 1987 ; Madeleine Ly-Tio-Fan, Le Géographe et le Naturaliste à l’Ile-de-France, 1801-1803. Ultime escale du Capitaine Baudin, Port-Louis, Ile Maurice, M.S.M., 2003.
50 Tué en Espagne en 1809.
51 A de Jussieu, de Londres, 10 décembre 1813, son duplicata du 29 décembre 1813 et post-scriptum daté du 23 janvier 1814 de Morlaix.
52 Copie du certificat d’inhumation, cimetière parisien d’Est (dit du Père-Lachaise) en date du 18 novembre 1977.
53 Adelaide Sonnerat - Wilson à de Jussieu, de Pondichéry, 9 septembre 1816, Coll. Académie des Sciences, Paris.
54 Mitchell Library, State Library of New South Wales, Sydney. ML 157-159. ML D83.
Auteurs
Ancien responsable du centre d’histoire et d’archéologie à l’Ecole française d’Extrême-Orient, Pondichéry, a consacré toute sa carrière à l’histoire de l’Inde. Il est aujourd’hui membre associé de l’Ecole française d’Extrême-Orient et de l’Institut français de Pondichéry.
Specialist in natural history, has carried out in-depth research on Sonnerat, bis life, his relations with the scholarly world of the eighteenth Century, his works and bis contribution to science. We are already indebted to her for a precise biography of the naturalist.
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012