IV. Réalisation de l’« ancien plan » par les Français (1699-1724)
p. 35-54
Texte intégral
1Au traité de Ryswick (1697), il avait été convenu que Pondichéry nous serait rendu, mais c’est seulement en 1699 que François Martin put reprendre possession du fort, de la ville indigène et des villages environnants (qu’il dut racheter aux Hollandais pour 16 000 pagodes)69.
Le territoire
2Le territoire correspondait à celui que géraient les Néerlandais. Les plans de Nyon de 1704 et celui de Beauvilliers de 1714 (CAOM, 32 A 7 bis, 11), montrant les dépendances de Pondichéry, reproduisent les grandes lignes du plan hollandais de 1694 (VEL 1097), même dans les détails, comme la « taupe aux chevaux », à l’est d’Ariyankuppam, bosquet abritant des divinités locales en terre cuite (qui existe encore). L’auteur de celui de 1714 a d’ailleurs cru bon de mentionner, sur la ligne de démarcation, « anciennes limites des terres de la Compagnie ».
3Le plan de 1700 (CAOM, 32 A 5) distingue, au nord et au nord-ouest de la ville, la « terre labourable » de la « mauvaise terre », ou marécageuse, ce qui veut dire que, tout autour de l’établissement, les champs étaient encore cultivés.
4A cela, devaient s’ajouter les acquisitions de l’aldée de Kalapet, entourée de forêts, en 170370 ; d’Oulgaret, en 170671 ; de Murungapakkam, Ulandai, Pakkamudiyanpet et dépendances (Karadikuppam ?), en 170972.
A. Les éléments défensifs : la clôture et le fort Louis
La clôture de terre (fig. 5 & 7)
5Pour mettre la ville à l’abri de toute incursion, les Hollandais avaient prévu d’élever une clôture avec parapet et fossé, jalonnée de redoutes tout autour de la ville projetée. Comme le peuplement des terres situées au sud de l’Uppar n’avait pas pu être réalisé pendant leur courte occupation des lieux, ils n’avaient, en 1699, enfermé que l’espace construit de la ville, au moyen d’une enceinte continue, munie de 6 redoutes et percée de deux portes : celle de Valdaour à l’ouest, celle de Madras, au nord73 [fig. 5 & 9]. Ce mur de terre n’était pas suffisant pour résister à une attaque sérieuse, aussi François Martin confia-t-il à l’ingénieur Denis de Nyon, nouvellement arrivé de France, la tâche de mettre la ville en état de défense.
6Dès son arrivée, ce dernier proposa de modifier la clôture et de construire à l’intérieur de la ville une forteresse régulière (décrite infra). Dans l’esquisse qu’il a tracée (CAOM 32 B 4), il projetait une ceinture, englobant la ville neuve et la vieille ville, formée de segments rectilignes, flanquée par des bastions et entourée d’un fossé avec, en plus, dans sa partie sud-est, un dehors retranché ou demi-lune [fig. 7]. Ce dessein ne fut pas réalisé.
7On se contenta de consolider les ouvrages anciens par des fascinages et terrassements, de les munir de chemins couverts74 et de renforcer les redoutes [fig. 9 & 10]. Trois d’entre elles, appelées fort Saint-Laurent au sud-est, fort Saint-Louis au nord-est et fort Sans-Peur à l’ouest, étaient des constructions fermées avec une entrée ménagée du côté intérieur ; les autres : Petite Batterie, redoutes du Nordou, de Valdaour, de Madras (ces deux dernières protégeant les portes principales de la ville) étaient des ouvrages pentagonaux faisant avant-corps sur l’enceinte et ouverts à la gorge. On avait bâti aussi, sur la courtine séparant la redoute de Valdaour de la redoute du nord, toutes deux refaites en 1702, un fer à cheval à gazon, ayant une forme demi-circulaire, comme le montrent les plans de 1704 et de 1714 (CAOM, 32 A 7 bis, 11). Pour assurer une surveillance régulière des dehors, cette haie était jalonnées de corps de garde et de topas.
Projets concernant le fort Louis
8Avant de construire le fort à l’intérieur de cette clôture, Nyon envisagea, pour mieux le protéger, des ouvrages de défense supplémentaires. Il hésita entre plusieurs projets.
9En 1700 d’abord, il semble avoir été préoccupé par les dangers venant de l’intérieur des terres. Dans un premier état de la fortification (CAOM, 32 B 4), il envisageait [fig. 7], à l’ouest de la citadelle prévue, un ouvrage extérieur englobant le couvent des Jésuites, situé, note-t-il, sur une « hauteur qui incommode le fort » (cette élévation n’est pas évidente à l’observateur d’aujourd’hui) et formé d’un front bastionné compris entre deux ailes. Autrement dit, l’ingénieur proposait un ouvrage à cornes pour couvrir les approches de la forteresse dans cette direction.
10Il paraît ensuite particulièrement concerné par la protection de la ville du côté de la mer et la nécessité d’élever des ouvrages balayant la rade pour empêcher un débarquement possible, puisque, dans son plan particulier de 1704 (CAOM, 32 B 8-9), il prévoyait [fig. 7, carton a, & fig. 12], à l’est du corps de place, un fer à cheval, batterie ayant la forme d’une portion de cercle, pouvant servir « en cas d’alarme » (projet qu’il ne retint pas) ; l’année suivante, en février 1705, il construisait, à son emplacement, une double tenaille, « pour défendre la rade et couvrir la courtine du vieux fort », c’est-à-dire un dehors bas présentant un angle saillant entre deux angles rentrants, destiné à défendre l’approche de la ville, auquel, dans son plan détaillé du fort (V, SHAT art. 14, T 104), il envisageait d’ajouter un ouvrage au nord75 [fig. 7, carton b]. Il ne montre pas cette double tenaille dans son plan du fort de 1709 (CAOM, 32 A 10) [fig. 8] ; elle apparaît, cependant, dans tous les plans de la ville jusqu’en 1741 (CAOM, 32 A 11, 32 A 12 ; BN, SHM, port. 204 D4 4), sauf dans celui de 1739 (CAOM, 32 B 20 bis). Cela voudrait dire qu’elle aurait été détruite vers la fin du gouvernement de Dumas, à un moment où l’on commençait la construction d’un ouvrage défensif sur le bord de mer (infra). Il est quand même étrange que cet ouvrage ne soit nulle part mentionné dans les lettres du Conseil supérieur.
Construction du fort Louis
11Dès son arrivée à Pondichéry, Nyon avait proposé la réalisation du fort Louis, dont le plan, inspiré de celui de Tournai construit par Vauban, prévoyait un pentagone régulier de 450 toises, autour de l’ancien fort barlong que l’on démolissait progressivement.
12P. Kaeppelin76 a décrit en détail les étapes de sa construction, de juin 1702 à mai 1706. Il indique comment les bastions furent élevés : bastion Dauphin à l’ouest, en 1702 ; bastion de Bourgogne au sud, en 1703 ; bastion de Berry, au nord ; et demi-lune, au nord-ouest, en1704 ; bastion de Bretagne au sud-est, en 1705 ; enfin, bastion de la Compagnie, en 1706 ; comment aussi l’enceinte fut entourée d’un fossé avec escarpe et contrescarpe revêtues de maçonnerie, avec un chemin couvert “à parapet palissadé”.
13Le plan du fort de 1709, dessiné par de Nyon (CAOM, 32 A 10, C 10 bis-profils) [fig. 8], montre ces ouvrages et une demi-lune au sud-ouest (proposée mais non réalisée), ainsi que les magasins voûtés « à l’épreuve de la bombe » dans les souterrains de la porte Royale, face à la mer, et de la porte Dauphine, au sud-ouest77 (profils des ouvrages du fort et élévation de la porte Royale in CAOM, 32 C 10 bis & ter).
14Ainsi fut construit le fort Louis « qui allait rester, pendant plus de cinquante ans et durant la période des grandes luttes du XVIIIe siècle aux Indes, la citadelle de Pondichéry »78.
15Quant au centre urbain lui-même, les Français le retrouvèrent bien changé, en particulier à l’ouest de la dépression où une ville neuve, regroupant la population indienne, s’était développée au nord de l’Uppar. La Compagnie allait tout mettre en œuvre pour réaliser le même programme d’urbanisme au sud de ce cours d’eau. De plus, avec l’essor des activités commerciales et l’augmentation de la population, la vieille ville, où vivaient les Européens, employés de la Compagnie et autres, allait progressivement se structurer d’une manière plus rationnelle et se raccorder à l’autre à travers la zone basse intermédiaire.
B. La ville (1699-1706)
16De mars 1699 à 1702 (CAOM, 32 A 5 ; V, art. 14, T 104)79 [fig. 9 & 10], les Français se contentèrent de reprendre possession des terrains et constructions de la ville. Les jardins confisqués par les Hollandais, ceux des Jésuites, des Capucins, de M. Guesty (appelé jardin de Madame Martin), celui de la Compagnie au sud de l’Uppar, furent rendus à leurs propriétaires. Quant aux bâtiments principaux, ils continuèrent à être utilisés de la même façon. Notons que, dans la ville neuve, au nord de l’Uppar, le grand bazar se trouvait au nord de Jawaharlal Nehru Street (et non au sud comme aujourd’hui) ; sur son côté ouest, était la Balance, place contenant la balance publique, instrument servant aux contrôles fiscaux et aux mesures commerciales ; en face, de l’autre côté de la rue, bordant le terrain des Missionnaires, qui n’était alors qu’une « grande place enceinte de hayes », s’élevait le bureau des droits, chargé de percevoir les taxes sur les transactions, non loin de « l’endroit où on battait les toiles », au sud-est.
Fig. 12. Pondichéry (1704). Plan par Nyon (BN, SHM, port, 204 D.41 & V, CAOM, 32 A 7).
17Il s’était produit, cependant, quelques changements, près de la zone déprimée où avait été aménagée une longue rangée d’habitations servant de « logements aux serviteurs de la Compagnie » et où on avait construit en 1701, touchant presque la clôture de terre, la blanchisserie (sur Mission Street, côté est, couvrant une partie de Muttu Mariamman koil Street). Il y avait alors 500 métiers de tisserands80.
18Dans la vieille ville, on trouve peu de modifications autour de l’église des Malabars et du cimetière des chrétiens, sauf l’installation des Capucins en 1702, sur un terrain situé au sud de la dite église, en échange d’une parcelle qui leur avait été prise pour les fortifications81 (de Fer signale l’existence d’un petit bazar entre le fort et le quartier nord ?).
19Après 1702 (CAOM, 32 A 7 ; BN, SHM, port. 204, D4 2D)82 [fig. 11 & 12], la ville neuve, construite rigoureusement suivant le plan hollandais, n’allait plus changer, sauf sur des points de détail. Conçue sur la base d’un plan régulier à larges voies rectilignes, elle s’ordonnait autour d’un dispositif fondé sur deux axes se coupant à angle droit : la voie sud-nord aboutissant à la porte de Madras (Mission Street) et la rue est-ouest perpendiculaire à la précédente, menant à la porte de Valdaour (Nehru Street). C’était le siège des activités locales, artisanales et commerciales, avec les ateliers où les tisserands, dans leurs rues « presqu’aussi longues que le Cours de la Reine » (comme le dit joliment l’auteur d’un plan ancien) fabriquaient leurs toiles (ils représentaient en 1705 « au moins un tiers des habitants de cette ville »83) et le bazar où les marchands proposaient les produits qu’ils avaient achetés à l’extérieur.
20A noter, cependant, la construction par les Jésuites, en 1702, d’une nouvelle église, aussi appelée Notre-Dame de la Conception, au nord de la précédente84 et l’installation d’un cimetière des Malabars chrétiens, au sud de la blanchisserie (CAOM, 32 A 7 bis) (à l’emplacement du Calvé College, donnant sur Mission Street, entre Aurobindo et Kamakchi Amman Streets).
21En revanche, dans la vieille ville, les autorités, pour des raisons administratives, allaient s’attacher, outre la construction du fort Louis (mentionnée supra), au remodelage des rues pour créer une infrastructure propre aux besoins des employés de la Compagnie.
22Ils modifièrent, cependant, avec prudence le vieux tissu urbain, tout en envisageant des aménagements nouveaux. Dans cette zone où les artères nord-sud étaient déjà tracées, en particulier la rue Saint-Louis (qui reliait le fort à la redoute du même nom), progressivement de nouveaux axes est-ouest allaient s’ouvrir, fragmentant les anciens blocs d’habitations (probablement des paillottes), avec des alignements réguliers définissant un réseau de circulation plus dense : au nord apparurent les devancières de Lauriston Street, puis de Nehru Street ; au sud, l’axe ouest-est, le plus ancien et le plus important, était la rue appelée aujourd’hui Evêché Street, qui s’étirait légèrement en diagonale jusqu’à la rue des Français (Dumas Street) ; on perça alors une voie menant à la porte de Goudelour (Lal Bahadur Sastri Street).
23Parmi les constructions, on note que l’église des Malabars était encore fréquentée, que le cimetière des chrétiens, renommé cimetière des Français, était toujours utilisé, et que, sur le côté est de la rue des Français (Dumas Street), on avait construit un hôpital et un parc à bestiaux. La pagode, signalée par Nyon, à l’est de la zone des étangs, ne peut représenter que le temple de Maṇakkuḷa Vināyakar. Aux deux extrémités de la ville, en dehors de la haie de terre, étaient les cases de pêcheurs (de Fer) et de parias (Nyon), avec, côté sud, le gibet pour les exécutions capitales.
24En ce qui concerne la zone basse intermédiaire, les ingénieurs se souciaient déjà de la régularisation des lagunes. En 1703-1704, une « pièce d’eau » fut « fouillée » sur la ligne des étangs, « pour retirer les terres qui manquoient pour former les chemins couverts et contrescarpe de la partie ouest du fort qui étoit plus basse que les fondations du bastion Dauphin ». Première mesure prise pour assurer le comblement et l’assainissement de la dépression qui allait permettre de relier les deux villes.
25Au sud-ouest, avant 1705, entre l’Uppar et le grand jardin de la Compagnie, zone incluse dans le plan d’urbanisme hollandais, ce n’étaient encore que jardins de bétel (Nyon), ou de ricin (āmaṇakku ney85) (de Fer), et terrains en friche, sur lesquels vivaient les parias, près de leurs fours à chaux et de leur cimetière, et aussi quelques Musulmans, puisqu’une mosquée est signalée à cet endroit.
26Mais, manifestement, en 1706, à la mort de François Martin, on envisageait d’urbaniser cette partie et on prévoyait des travaux pour que les artères est-ouest, dont nous venons de définir le tracé, pussent se souder aux voies de la partie ouest, en particulier au niveau de la porte de Goudelour qui perçait la haie de terre, sur les bords de l’Uppar, face aux chemins situés de l’autre côté du cours d’eau, l’un, perpendiculaire, menant à Villenour (Villiyanur) à l’ouest, l’autre en diagonale conduisant à Goudelour (Cuddalore), au sud.
C. La ville (1706-1724)86 [fig. 13]
27Les années qui suivirent furent marquées par des manifestations d’intolérance de la part des autorités françaises, à l’instigation des Jésuites, qui allaient accélérer la séparation des communautés87. Comment l’ensemble urbain a-t-il évolué pendant cette période ?
28Dans la ville neuve (CAOM, 32 A 11), on note peu de modifications, sauf l’allongement d’une rue. « Pour l’embellisssement et agrandissement de la ville, la commodité publique, la commodité des rondes et la facilité de la communication avec l’enceinte de la dite ville », on décida, en mai 1709, de prolonger jusqu’au bord de l’Uppar la « grande rue » (Mahatma Gandhi Street), « qui per[çait] entièrement la dite ville depuis la haye du nord jusqu’au sud dans la rue des Brames », interrompue, à ce dernier endroit, par deux paillotes bâties par les Jésuites88. Au commencement de 1710, le gouverneur Hébert fit ouvrir la voie, après avoir demandé aux Hindous d’abattre un « pagodin » (temple de Piḷḷaiyār), bâti au milieu de la rue89 (relevé par Nyon dans son plan).
29A signaler aussi, en 1723, la construction, avec l’argent donné par un riche arménien du nom de Coja Saffar, de l’église des Missionnaires, à l’emplacement du grand bazar actuel, du côté d’Ananda Ranga Pillai Street90.
30A l’intérieur du fort, en 1722, fut construite la chapelle Saint-Louis [fig. 17], desservie par les Capucins, dont nous avons conservé trois plans anonymes (CAOM, 32 B 16-18) : en forme de croix, elle comprenait le choeur, le transept et la nef à 3 vaisseaux ; sa façade tournée vers l’est, était percée de trois portes surmontées d’un fronton triangulaire.
31Dans la vieille ville, en dehors du fort, les deux quartiers s’organisèrent autour de marchés ou bazars désignés, dans des plans ultérieurs (BN, SHM, port. 204, D4 7), par petit bazar du quartier Saint-Laurent, au sud, et petit bazar du quartier Saint-Louis, au nord.
32A noter, entre le fort et le pâté de maisons du nord, la place prise par la maison et le jardin de l’ingénieur et, au sud, l’expansion des Capucins qui, en plus de leur jardin et hospice, construisirent, en 1707, leur église (la première Notre-Dame des Anges, à l’emplacement de l’actuel cimetière des notables). Le 15 août 1709, ils abandonnèrent leur ancienne église dédiée à Saint-Lazare (ou église des Malabars)91.
33Le changement le plus important fut la transformation de la zone sud-ouest, limitée au nord et à l’est par l’Uppar. Pour faciliter les communications entre cette zone et la vieille ville et permettre un meilleur approvisionnement de la ville, en février 1709, le Conseil décida de construire, face à la porte de Goudelour, sur l’Uppar, infranchissable à gué pendant les pluies, « un pont de pierre ou de brique composé de cinq arches, avec les parapets et le pont-levis pour fermer l’entrée de la dite porte », suivant le plan de Nyon92. Cette initiative allait favoriser l’urbanisation progressive de ces terres et permettre ainsi de réaliser la partie sud de la nouvelle ville prévue dans le plan hollandais.
Urbanisation de la partie sud-ouest [fig. 13 & 14]
34Avec l’accroissement de sa population (selon l’abbé Guyon, vers 1710, il y avait plus de 50 à 60 000 habitants93), Pondichéry devait agrandir son espace urbain (CAOM, 32 A 11)94. Les Musulmans, qui étaient bien implantés dans le sud de la vieille ville, furent probablement, à cause de la pression exercée par les Français pour qu’ils quittent les lieux, les premiers à venir s’installer de l’autre côté de l’Uppar. C’est de la mosquée, située sur Baslieu Street, qui était l’un des plus anciens édifices islamiques de la ville que, d’après la tradition, ils émigrèrent de l’autre côté de l’Uppar, au début du XVIIIe siècle ( ?), en emportant le corps d’un saint qui y était enterré95, pour le mettre dans le jardin d’une mosquée plus grande qui, selon les plans anciens (CAOM, 32 A 7 bis, A 12, B 15), semble correspondre à la Jamia Masjid (en fait Muhammadia Palli toute proche).
35Ils s’établirent ainsi solidement le long du chemin menant à Goudelour, laissant, cependant, un espace entre leurs habitations et les huttes et cimetière des parias chrétiens. Vers 1714, le faubourg des Maures était définitivement inscrit dans le tissu urbain. Manifestement, les autorités françaises qui voulaient, dans cette zone, réaliser le « plan ancien », orienté est-ouest et nord sud, ne purent pas les déloger, d’où cette anomalie dans le plan général de la ville où l’on trouve ces rues en diagonale, en direction du sud-ouest.
36Les autres communautés, fixèrent leurs demeures, entre le grand jardin de la Compagnie et la ville neuve, en tenant compte des alignements prévus, mais pas d’une manière systématique. Les blocs de maisons formaient des rectangles dont le côté le plus long était de direction nord-sud et non est-ouest. Tel était le cas du faubourg aux peintres. Dans les étendues restées vides, se trouvaient encore des fours à chaux et à briques. Le jardin de la Compagnie avait été l’objet d’une attention particulière. Il était « planté de fort belles allées d’arbres qui serv[ai]ent de promenades publiques »96, comme le montre avec ostentation le plan de Beauvilliers (CAOM 32 A 11). Enfin, dernière innovation, au nord de la haie de terre (en direction de Muttiyalpet), à l’emplacement d’une forêt de cocotiers, avaient été construites de nouvelles aldées, formant quatre rangées de blocs de maisons orientés nord-sud – est-ouest, avec, au milieu, un marché ; et, le long de la route de Madras, s’élevaient deux chaudries ou gîtes d’étape pour les voyageurs.
37Ainsi, ouvrit-on plus largement l’espace urbain aux flux qui l’animaient, divisant progressivement la ville en deux parties : la « ville haute habitée la plus grande partie par des noirs » et les « deux basses villes occupées en partie par des François », de part et d’autre du fort.
Achèvement du « plan ancien »
38Rapidement, les terrains encore non construits furent occupés par les nouveaux arrivants (CAOM, 32 A 12). Dans la vieille ville, le quartier nord s’agrandit en direction de la haie de terre. Dans la partie sud-ouest, nouvellement peuplée, en dehors des rues occupées par les Musulmans, il est clair que l’installation humaine s’est faite suivant le « plan ancien ». Les blocs de maisons déjà édifiés furent modifiés. On perça de nouveaux axes ; on prolongea vers le sud les grandes rues de la partie nord et, dans le sens est-ouest, on découpa les pâtés de maisons en rectangles allongés, comme l’avait prévu l’ingénieur hollandais. Enfin, on créa (à l’intersection de Montorsier et Bharati Streets) un marché, appelé, dans un plan ultérieur « place à l’huile » (CAOM, 32 B 20 bis).
39La ville avait atteint ses limites vers 1721. L’abbé Guyon97 ne tarit pas d’éloges sur les réalisateurs de ce projet urbain : « Les changements que Messieurs de la Compagnie y ont apportés depuis qu’ils en sont paisibles possesseurs est presque incroiable. […] On a rebâti la plus grande partie de la ville qui s’augmente et s’embellit de jour en jour. Les murs y sont tirés au cordeau ; les maisons des Européens y sont de brique, bâties à la romaine, à un seul étage, parce qu’on y manque de bois et qu’on y craint les vents. Quoique celles des Indiens n’y soient que de terre mèlée avec une espèce de chaux qu’ils font des coquilles d’huitres calcinées, elles ont leur agrément parce qu’elles forment des rues droites. On y voit de belles allées d’arbres à l’ombre desquels les tisserands travaillent ces toiles de coton si estimées en Europe ». Il restait, en 1724, à protéger cet espace urbain par une véritable enceinte, capable de résister aux agressions.
Notes de bas de page
69 P. Kaepelin, op. cit., p. 444-446.
70 P. Kaeppelin, op. cit., p. 501.
71 E. Gaudart, Procès-verbaux, t. I, p. 30, 37, 112.
72 Ibid., p. 71-73, 77-79, 81, 246-247.
73 Elle consistait en « une espèce de rempart avec les haies et les épines qui sont plantées dessus », jalonné de 6 redoutes qui n’étaient pas « en égale distance l’une de l’autre » et entouré d’un fossé qui n’était pas « pourtant ni assez creusé ni assez large […] pour empêcher même des gens du pays un peu déterminés de le passer » (lettre de François Martin à la Compagnie, datée du 14 septembre 1699, citée par P. Kaeppelin, op. cit., p. 444).
74 P. Kaeppelin, op. cit., p. 500.
75 L’ouvrage proposé devait comprendre un corps de garde, un magasin à poudre, un magasin des agrès des vaisseaux, un magasin pour le riz, des chambres pour loger quelques canonniers et une écurie.
76 P. Kaeppelin, op. cit., p. 499-523.
77 Les souterrains de la porte Dauphine comprenaient un passage de la porte à pont-levis, un corps de garde, un passage de la petite porte à pont-levis et prison, un magasin à poudre, un magasin de vivres, des fausses portes pour les sorties du fossé, une fontaine pratiquée dans le passage de la fausse porte du bastion Dauphin, une contre-mine avec son boyau. Ceux de la porte Royale comprenaient un passage de la porte au pont à bascule, un corps de garde avec une prison, un passage de la petite porte à pont-levis, cinq grands magasins de vivres, deux grands magasins à poudre (voir la description détaillée que donne M.V. Labernadie, op. cit., p. 69-72).
78 P. Kaeppelin, op. cit., p. 522.
79 Pour établir le plan de la fig. 9, nous utilisons deux plans : le Plan de la forteresse de Pondichéry et de ses environs de 1700, anonyme (CAOM, 32 A 5), qui, comme nous l’avons dit, s’inspire des plans hollandais, et celui de N. de Fer, Plan de Pondichéry à la côte de Coromandel occupé par la Compagnie Royale des Indes orientales (BN, SHM, port. 204, D. 4, 2D), qui fut imprimé en 1705, mais qui manifestement ne reflète que la réalité de 1702, puisqu’il ne montre, parmi les nouvelles constructions, que la blanchisserie élevée en 1701, les redoutes de Valdaour et Nordou, faites en 1702, et ne représente pas la grande réalisation de l’ingénieur Nyon, le fort Louis et ses bastions, Dauphin, Bourgogne, Berry, bâtis entre 1702 à 1704.
80 Selon François Martin, dans une lettre du 19 février 1700, in P. Kaeppelin, op. cit., p. 459.
81 Terrain concédé le 14 décembre 1702 (E. Gaudart, Procès-verbaux, t. I, p. 5-6).
82 Pour établir le plan de la fig. 11, nous analysons le Plan général des dépendances de Pondichéry aux Indes orientales sur la coste de Coromandel avec les ouvrages proposez et faits en 1702 et 1703, par Nyon, 9 février 1704 (CAOM, 32 A 7), ainsi que le Plan du fort de Pondichéry où les ouvrages proposez et ceux faits jusqu’à la fin de l’année 1704 sont marquez, par Nyon, 17 février 1705 (V, SHAT, art. 14).
83 E. Gaudart, Procès verbaux, t. I, p. 24.
84 F. Bertrand, op. cit., p. 524-529.
85 Dont l’huile était utilisée pour s’éclairer la nuit.
86 Pour établir le plan de la fig. 13, nous utilisons ici deux plans : le premier, Carte générale des villes, forts et dépendances de Pondichéry sur la coste de Coromandel avec les nouvelles acquisitions faites depuis l’année 1707, par Beauvilliers, 1714 (CAOM, 32 A 11, copie à la BN, SHM., port. 204, D4 3) ; le second, Plan du projet des fortifications proposées des villes hautes et basses de Pondichéry, anonyme, daté de 1721 (CAOM, 32 B 15) : ce plan qui ne tient pas compte de l’urbanisation de la zone sud-ouest ne peut pas être postérieur à 1714.
87 En effet en octobre 1709, on essaya d’interdire aux marchands cométis (kōmuṭṭi) de construire un maṇḍapa dans leur pagode (temple de Kāḷattīśvaraṉ), situé dans la rue de Madras (Mission Street) ; en octobre 1713, on s’en prit aux Musulmans qui avaient réparé et blanchi la petite mosquée qui se trouvait au sud du fort (Baslieu Street) et on décida d’interdire aux deux communautés de réparer à l’avenir tous les lieux de culte situés à l’intérieur de la ville, de façon à ce que « par ce moyen l’on puisse parvenir à la destruction et anéantissement des dites mosquées et pagodes suivant l’intention de sa Majesté et celle de la Compagnie » ; enfin, en 1714, il était question de démolir la pagode voisine de l’église des Jésuites (temple de Vēdapuri Īśvaraṉ) et, le 9 mars, le Conseil décida de ne laisser aux Hindous pour leurs cérémonies que cette dernière pagode, ainsi que celle de Perumāḷ dans la rue des Tisserands (Perumal koil Street) (E. Gaudart, Procès-verbaux, t. I, p. 85-126, 139-143).
88 Ibid., p. 79-80
89 Olagnier P., Les Jésuites à Pondichéry et l’affaire Naniapa, in CIDIF, oct. 2003, No 28-29, p. 97-98, 101
90 C’est Ananda Ranga Pillai qui nous fournit ces précisions sur la date de sa construction (The Diary, vol. IX, p. 81, 82), lorsque il décrit comment, en octobre 1754, le grand beffroi que Dupleix avait fait construire, cette année-là, au-dessus de l’église, s’écroula.
91 E. Gaudart, op. cit., t. II, p. 207.
92 E. Gaudart, op. cit., t. I, p. 75-76.
93 Abbé Guyon, Histoire des Indes orientales, t. III, p. 247.
94 Nous utilisons ici un plan, Pondichéry, anonyme [après 1714] (CAOM, 32 A 12), qui doit être postérieur au plan de Beauvilliers de quelques années et pourrait être daté de 1721.
95 Selon M. Husain, le kazi de la ville, à cet endroit était enterré un saint homme appelé Maula Sahib. Un jour, le vénérable apparut en rêve à des hommes de cette localité et leur aurait dit que son cercueil se trouvait précisément à cet endroit, qu’il fallait le déterrer et le transporter dans la grande mosquée de l’autre côté de l’Uppar. Les Musulmans vinrent donc prier le gouverneur français (?) de leur donner la permission d’effectuer ce transfert dans le jardin de la masjid et s’engagèrent à payer une amende s’ils ne trouvaient pas sa dépouille à cet endroit-là. Un vendredi, ils se mirent à creuser la terre ; soudain, du sang jaillit, éclaboussant les vêtements blancs des employés de la Compagnie qui suivirent le cortège des croyants jusqu’à la mosquée.
96 Abbé Guyon, op. cit., t. III, p. 249.
97 Ibid., t. II, p. 104.
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