Enjeux fonciers et environnementaux : une introduction
p. 29-56
Texte intégral
Qu’est-ce que le foncier ?
1Les questions foncières et environnementales nous plongent au cœur de la vie de l’Homme1. Elles nous invitent à réfléchir sur les manières dont celui-ci construit ses rapports avec son environnement, comment il s’adapte à ses contraintes, comment il le modèle. Mais cette interaction n’est pas uniquement celle d’un sujet, l’Homme, et d’un objet, la Nature, voire l’action du premier sur le second... comme pourrait le suggérer une lecture en termes cartésiens où l’Homme apparaît surtout comme celui qui devrait soumettre la nature à travers sa volonté, volonté à laquelle cette dernière résisterait par son « inertie ». Sans entrer dans des considérations de deep ecology et sans adhérer à la théorie gaïa, celle d’une terre vivante, animée par une âme et à ce titre elle aussi sujet2, et tout en restant inscrit dans une vision anthropocentrée caractéristique des sciences sociales issues de la modernité occidentale3, il apparaît de manière de plus en plus évidente que l’action de l’homme sur son environnement est médié par ses représentations, par sa manière d’envisager sa place au monde, par son rapport avec celui-ci et par les relations qu’il doit établir parallèlement avec ses congénaires. La question foncière se pose car nous ne sommes pas des Robinson Crusoë vivant solitairement sur notre île, mais des êtres humains devant partager des espaces de vie et les ressources qu’ils recèlent4. Étienne Le Roy qui conçoit le juridique comme profondément marqué par nos imaginaires et qui considère que « [le] rapport foncier est [...] une relation ‘imaginée’ entre les hommes à propos de l’espace et qui n’existe que selon les conventions qui s’inscrivent dans les systèmes d’idées avant d’être matérialisées dans l’espace social » (Le Bris, Le Roy, Matthieu 1991 : 12), propose une définition qui résume les éléments que nous venons d’évoquer. Pour cet auteur, « [...] le foncier est l’ensemble particulier de rapports sociaux ayant pour support la terre ou l’espace territorial. Ces rapports sociaux sont principalement déterminés par les facteurs économiques (accumulation primitive de capital et extraction de rente), juridiques (normes d’appropriation et modalités de règlement des conflits) puis par les techniques d’aménagement pouvant matérialiser et caractériser ces rapports sociaux en autant de régimes distincts. » Il ajoute, et cette remarque est primordiale dans nos contextes de recherche contemporains que « [...] plus substantiellement, c’est le politique qui influe sur la manière de poser et de traiter la problématique foncière, la sensibilité du foncier au politique étant augmentée par la concurrence ou la contradiction des choix pouvant émerger aux échelles internationale, nationale et locale. » (Le Roy in Le Bris, Le Roy, Matthieu 1991 : 13-14).
Du foncier au « foncier-environnement »
2Aux éléments de l’analyse dégagés ci-dessus s’ajoute depuis une bonne décennie un élément nouveau. Après s’être principalement intéressés à la sécurité foncière des acteurs humains, les travaux scientifiques sur le foncier se sont progressivement ouverts à des considérations plus écologiques et intègrent davantage les enjeux environnementaux dans leurs analyses. Il apparaît de plus en plus insatisfaisant de ne réfléchir à l’environnement qu’en termes de son exploitation par l’homme et en se préoccupant principalement de l’organisation des systèmes de gestion et d’exploitation visant à sécuriser les acteurs concernés. La démographie mondiale exerce une pression toute nouvelle sur notre planète et nos modes de vie contemporains ont un impact important et parfois irréversible sur la nature. Nous comprenons petit à petit que l'environnement n’est pas uniquement un espace qui nous entoure et qu’il nous est loisible d’exploiter. C’est le milieu dans lequel nous nous inscrivons5. Nous avons la responsabilité de le préserver, ne serait-ce que pour assurer notre seule survie et celle de nos enfants. Il convient de réaliser un « juste milieu », une approche permettant de concilier les besoins humains et la sauvegarde de la planète et de ses écosystèmes (Ost 1995). Cette prise de conscience se reflète aux niveaux de l’action politique, économique et juridique. En témoigne la place croissante que prend le « développement durable » dans les discours et montages institutionnels aux niveaux tant internationaux que nationaux, voire locaux. Il est supposé d’une part équilibrer les piliers économiques, sociaux et environnementaux et d’autre part permettre aux générations présentes de répondre à leurs besoins tout en préservant la capacité des générations futures à en faire autant selon la célèbre formule du rapport Brundtland (La Commission mondiale sur l’environnement et le développement 1988 : 51). En témoigne aussi, dans le contexte francophone, le développement d’une recherche qui essaye d’émanciper le foncier du cadre propriétariste et de l’ouvrir à des approches en termes de « patrimoine », faisant ainsi écho à l’introduction de la notion dans le droit de l’environnement (voir Klemm 1996)6. On est bien face au défi d’un « droit à inventer » comme le soulignent Olivier et Catherine Barrière (2002 : 15-16) pour qui « [se] représenter le foncier comme étant assigné au seul rapport à la terre refléterait insuffisamment la portée réelle des actions des hommes sur le milieu, indispensable à intégrer dans la recherche d’une gestion environnementale. Il est nécessaire de considérer en même temps le rapport de l’homme à la ressource et à l’espace. L’étude de la conjonction du fonds, en tant que support, et de la ‘superficie’ permet d’aboutir à une combinaison de droits portant sur l’espace, la ressource et l’écosystème. Sur cette base, il est possible de réfléchir à un régime qui ne repose pas sur l’appropriation du fonds mais qui est contenu dans une dualité espace/milieu. Cette approche définit une forme de gestion patrimoniale de l’environnement, désignée par le néologisme ‘foncier-environnement’. Nous entendons par là dépasser une vision ruraliste du foncier, qui restreint son analyse aux rapports d’accès aux ressources et à leur distribution entre les différents acteurs car elle occulte la prise en compte des processus écologiques et de tous les éléments naturels. Le foncier ne peut plus se définir uniquement en termes de règles afférentes aux ressources renouvelables ou en termes de construction d’espaces ; il doit intégrer une dimension environnementale. »7
Foncier-environnement et foncier urbain
3Si l’approche du foncier-environnement semble se confirmer, il faut souligner l’émergence d’un autre enjeu majeur qui fait vaciller les approches traditionnelles ruralistes du foncier : l’explosion urbaine. L’humanité vient en effet de franchir un cap historique. Désormais, la majorité de la population mondiale habite en ville et cette tendance à l’urbanisation n’est pas prête de s’arrêter (Delcourt 2007 : 7)8. En outre, cette urbanisation qui va de pair avec une paupérisation des populations urbaines prend une forme inédite. À l’exode rural classique, s’ajoute maintenant une colonisation du monde rural par les villes. « Partout, ces villes émergentes et ces mégapoles ne cessent de s’étaler horizontalement, grignotent et empiètent de plus en plus sur les territoires alentours. De fait, le monde rural s’urbanise in situ. C’est maintenant non plus les paysans qui vont à la ville, mais la ville qui va aux paysans. Par de complexes processus de ‘co-urbanisation’, les villes repoussent aussi loin que possible leurs frontières ; établissent entre elles de nouveaux nœuds ; contournent les bourgades ; encerclent et enferment les villages. Et se dessinent de vastes zones polycentriques, entrecoupées d’espaces hybrides semi-ruraux, semi-urbains. » (Delcourt 2007 : 10). Cette évolution ne manque pas d’interpeller la recherche foncière qui est confrontée à l’effacement d’une distinction fondatrice entre monde rural et monde urbain qui s’est traduite jusque récemment par une séparation entre les approches du foncier rural et du foncier urbain que ce soit au niveau scientifique ou politique. Tout en reconnaissant les ruptures et les discontinuités entre foncier rural et urbain, il est de plus en plus inévitable d’articuler ces deux champs et de commencer à identifier les continuités et les dynamiques communes (Durand-Lasserve 2007).
Le foncier-environnement dans le cadre d’une globalisation de la « gouvernance » et du « développement durable »
4La prise en compte croissante de notre « milieu » qui oblige de croiser les regards et les disciplines, à dépasser des découpages disciplinaires qui ne font plus sens et à aborder les problématiques de manière plus holiste, s’inscrit par ailleurs dans un contexte de modification importante de nos représentations politiques, juridiques, économiques et scientifiques qui elles aussi complexifient nos « jeux modernes ». Nous sommes dans une transition paradigmatique où les formes de perception et d’organisation du réel issues de la modernité sont partiellement remises en question et complétées par de nouvelles approches (de Sousa Santos 1995 ; Arnaud 1998). Ainsi, la segmentation, la compartimentation voire le cloisonnement caractérisant l’approche scientifique moderne, de même que nos manières modernes de penser le politique, le juridique et l’économique se trouvent remis en cause. En science, on ne croit plus à la séparation radicale entre l’observateur et l’observé et on reconnaît l’importance d’inscrire les deux dans un tout. Du côté de la « gestion » de nos sociétés, il apparaît de moins en moins réaliste de séparer des champs comme l’économique, le social et l’environnemental comme en témoigne le concept de développement durable. La réalité est complexe et pour aborder les défis qu’elle nous pose, il apparaît nécessaire de s’ouvrir à l’interdisciplinarité, à l’intersectorialité, à des approches permettant de faire participer tous les acteurs concernés, à croiser les points de vue ainsi qu’à articuler des besoins, logiques et enjeux qui peuvent a priori sembler s’exclure (voir par exemple Calame 2003). Cette évolution nous émancipe des grands partages de la modernité qui ont été explicités par Bruno Latour (1997 : 132 ss) entre « eux » et « nous » et entre « humains » et « non-humains » qui peuvent se décliner par la suite de multiples manières : entre science et politique, entre profanes et experts, entre administrateurs et administrés, entre administrateurs des hommes (politiques) et administrateurs des choses (scientifiques). Au niveau politico-juridique, cette transition du « simple », du « pur », du « segmenté » au « complexe » et à « l’hybride9 » se manifeste par un passage de formes classiques de « gouvernement » à de nouvelles formes de « gouvernance » qui fait écho à une transition du juridique que certains ont analysée dans les termes d’une possible transition de la « pyramide » au « réseau » (Ost & van de Kerchove 2002) et qui serait le passage obligé vers une « démocratie dialogique » (Callon, Lascoumes, Barthes 2001).
5Mais si « gouvernance » et « développement durable » sont devenus des termes clefs dans le champ sémantique tel qu’il se redessine à l’heure de la globalisation, et qu’ils apparaissent souvent comme les deux faces d’une même réalité qu’il s’agirait de promouvoir dans l’intérêt de la survie de notre espèce et de notre planète, il est important de ne pas se perdre dans des approches idéologiques et déconnectées des réalités « de terrain ». De telles approches peuvent se révéler non seulement inefficaces, mais même hautement contreproductives au point d’aboutir à de véritables catastrophes humaines et naturelles10. Et l’enjeu est d’autant plus crucial que ces termes, outre le flou qui les caractérisent et qui contribue probablement à leur donner une apparence d’universalité, sont tout autant utilisés comme « concepts »11 scientifiques que comme mots d’ordre idéologiques12.
6Il est donc primordial d’alimenter les grands débats théoriques sur la prise en charge de notre présent et de notre futur commun à travers des études de terrains qui permettent d’illustrer et par là de comprendre les mécanismes et processus en jeu. À travers l’attention portée à divers terrains et problématiques à dimension plus locale ou globale se dégagent aussi les enjeux de traduction d’une échelle à une autre, d’un monde à un autre, voire d’un domaine d’action sur un autre13. La reconnaissance de cet enjeu de la traduction participe plus profondément à la prise de conscience de l’importance du dialogue interculturel autour des questions de gouvernance et de développement durable14.
Les origines d’une dynamique de recherche collective. Ses enjeux et les difficultés du dialogue
7Cet ouvrage est issu d’une dynamique de recherche collective visant à prendre à bras le corps les défis que nous venons d’exposer. Il s’agissait de s’interroger sur les enjeux et les perspectives du foncier dans le contexte actuel. Ce dernier est caractérisé, entre autres, par la globalisation, une pression de plus en plus insoutenable de l’Homme sur son milieu, une réorientation des approches politiques et juridiques en termes de gouvernement et de croissance vers des approches en termes de gouvernance et de développement durable. On peut y ajouter l’émergence d’une exigence de plus en plus incontournable de dialogue interculturel, cette dernière entraînant dans son sillage toute une série de problématiques liées à la traduction. À un niveau plus humble, il s’agissait dans la présente dynamique de faire se rencontrer plus particulièrement des chercheurs africains ou africanistes et indiens ou indianistes en vue d’engager des dialogues sur les enjeux fonciers et environnementaux tels qu’ils pouvaient apparaître à partir de ces deux contextes15. L’enjeu paraissait d’autant plus important qu’il semblait y avoir un intérêt réciproque de connaissance, mais que souvent ces mondes s’ignorent... car la recherche indienne est majoritairement anglophone tandis que la recherche dans une grande partie de l’Afrique (notamment dans les régions étudiés principalement par des chercheurs francophones) est francophone.
8C’est ainsi que ce projet se cristallisa dans le creuset de plusieurs institutions et dynamiques qu’il faut mentionner ici et sans la participation active desquelles nos envies de dialogue n’auraient pas pu aboutir, d’abord sous la forme de l’organisation d’un colloque à Pondichéry en mars 2006, puis sous celle de cette publication. Il s’agit, par ordre alphabétique, de l’Association Francophone d’Anthropologie du Droit (AFAD) dont un certain nombre de chercheurs travaillent depuis de nombreuses années sur la problématique foncière, mais surtout dans des contextes francophones (voir CAD 2002), du Dr. Ambedkar College of Law de Pondichéry très intéressé par une recherche comparative entre approches francophones et anglophones, africaines et indiennes, de la dynamique « Droit, gouvernance et développement durable » coordonnée à partir des Facultés universitaires Saint Louis à Bruxelles (FUSL), de l’Institut Français de Pondichéry (IFP), fenêtre de la France - et de plus en plus de l’Europe - sur l’Inde et inversement de l’Inde sur l’Europe et la France, d’un réseau informel de chercheurs indiens qui s’est constitué autour de la question du pluralisme juridique après une première publication collective sur le pluralisme juridique en Inde (Eberhard & Gupta 2005) et qui a maintenant créé une structure plus officielle la Asian Initiative on Legal Pluralism (AILP) et enfin la Société de Droit Comparé de Pondichéry qui ne pouvait pas rester indifférente à cette recherche comparative, même si elle débordait le cadre strict du droit16.
9Réunir des chercheurs de disciplines différentes est en soi déjà une entreprise difficile si l’on veut dépasser la simple juxtaposition de discours et tenter de s’orienter de la multi- vers une véritable interdisciplinarité (voir Kothari 1990 : 23 ss ; Ost & van de Kerchove 1987 : 25 ss). Or nous avons poussé ici encore plus loin le défi : d’une part, le colloque était non seulement ouvert à des chercheurs de disciplines diverses mais aussi à des praticiens17 ; et d’autre part, il se déroulait en deux langues, en anglais et en français. Le travail collectif a vite fait apparaître que derrière ces deux langues se cachaient aussi deux visions différentes du droit et du monde et que tout n’était pas toujours traductible. En effet, avant même de pénétrer les mondes africains et indiens, on était déjà confronté à deux manières fort différentes de penser le droit officiel étatique, Lune civiliste pour la plupart des pays africains abordés et l’autre de Common Law en ce qui concerne l’Inde18.
10S’il fallait se méfier des faux amis tels que « propriété » / « property » et veiller à traduire la « propriété privée » du Code civil plutôt par le « ownership » anglais, on se rendait vite compte que derrière les mots se dissimulaient des manières très différentes de découper les champs juridiques et de nouer les problématiques foncières et environnementales19. Le « foncier » français lui-même se transforma en anglais en « Land Law and Natural Ressources Management » et on s’aperçut vite qu’ainsi toute la problématique s’en trouva transformée. Si la majorité des contributions francophones s’inscrivent dans une approche du foncier perçu avant tout comme la sécurité foncière des terres surtout agricoles, les auteurs indiens délimitaient beaucoup plus largement le champ de leurs réflexions en y incluant la gestion de l’eau, la pisciculture, les activités de minage... Par ailleurs, dans le contexte francophone, « [le] terme Foncier renvoie à de multiples enveloppes juridiques, correspondant à autant de statuts, sinon de procédures, dites domaniales ou foncières, qui généralement, aujourd’hui, sont toutes conçues pour être situées au regard du droit de propriété. » comme le rappelle Alain Rochegude (2002 : 20). Ainsi, si pour les auteurs français ouvrir les approches d’un foncier pensé avant tout en relation à un droit étatique organisant la propriété de manière stricte et ouvrir la réflexion vers les nouveaux enjeux de la gouvernance constituaient des enjeux importants, il n’en était pas tout à fait de même pour les auteurs indiens. Ceux-ci, enracinés dans un système hérité de la Common Law, semblaient beaucoup plus naturellement croiser leurs analyses avec des approches en termes de gouvernance et de développement durable. Ceci semble s’expliquer de manière générale par une attitude plus pragmatique de la Common Law qui « ne privilégie [...] pas les valeurs de généralisation et d’uniformisation qu’autorise la voie commune du commandement législatif, mais bien l’individualisation et la particularisation » (Legrand 1999 : 97) ce qui conduit à nouer plus facilement des approches perçues comme distinctes à partir d’un contexte de droit civiliste. En effet, d’un point de vue de Common Law, « ‘les arguments fondés sur la cohérence sont susceptibles d’induire en erreur’, puisque la grande richesse du Common Law reste son ‘caractère pratique’ qui lui permet de ‘s’adapter à la riche diversité de la vie humaine’. Aussi ‘le fait qu’une doctrine donnée ne s’accorde pas logiquement avec une ou plusieurs autres n’est pas un motif pouvant fonder son rejet’. » (Legrand 1999 : 75). On peut ensuite relever le découpage beaucoup plus large du champ de recherche par les auteurs indiens et le fait que le régime de la « property » de la Common Law renvoie dès le départ à un « bundle of righ ts », qui de surcroît est assorti de certaines responsabilités comme l’illustrent les institutions du trust et du stewardship. Ainsi, il n’était par exemple pas toujours évident de faire comprendre la pertinence d’une approche patrimoniale pour s’émanciper du « tout propriété » à des interlocuteurs où le problème d’une catégorie absolue et fermée de propriété ne se posait pas puisque la « property » renvoie à un bundle of rights et contient aussi des devoirs qui peuvent être mobilisés dans le souci d’une prise en compte plus large des enjeux environnementaux voire sociaux. En retour, les discussions n’ont pas manqué d’interpeller le chercheur francophone quant à l’idéologie de la propriété privée promue par les agences de développement qui s’inscrivent dans une vision anglo-saxonne – il se pourrait que, replacé dans son contexte d’origine, le système promu se révèlerait plus nuancé que ne le laisse entendre la référence implicite au droit de propriété compris à la française et que ne manquera pas d’effectuer le francophone...
11L’exercice de dialogue bien que difficile fut néanmoins salutaire. Il permit de prendre conscience des enjeux énormes de la traduction entre différents univers linguistiques, juridiques et mentaux et de la nécessité de ne jamais perdre de vue qu’il ne saurait jamais y avoir de traduction parfaite... malgré l’illusion que peut créer la traduction simultanée lors des grands sommets internationaux... C’est l’exigence de respecter les topoi des uns et des autres qui nous a finalement convaincu de la pertinence de publier cet ouvrage en anglais et en français et de ne pas opter pour le choix d’une traduction de tous les textes en anglais en privilégiant ainsi la plus grande audience. En effet, si l’essence des problématiques a sans conteste pu être communiquée dans les deux langues, il reste néanmoins que les présentations en tant que telles ne font vraiment sens que dans leur langue d’origine et replacées dans leur contexte culturel et scientifique. Pour ceux qui ne sont pas bilingues, nous avons décidé de faire précéder chaque contribution d’un résumé élargi de deux pages permettant au lecteur de saisir l’essentiel de la problématique des articles écrits dans la langue qu’il ne maîtrise pas. Enfin, cette prise de conscience de la difficulté de dialogue entre deux langues et deux systèmes de droit d’origine européenne soulignent les enjeux énormes de la prise en compte des langues et visions du monde et du droit qui existent « à l’ombre » des droits étatiques dans les États africains ou en Inde. De nombreuses contributions de cet ouvrage pointent vers ces réalités, sans malheureusement les approfondir dans toute leur originalité. Ce sera l’enjeu pour une prochaine recherche.
12Une dernière remarque importante. Si nous avons essayé de respecter les topoi de tous les intervenants, il est clair que la dynamique de recherche générale était orientée à partir d’un topos particulier. L’initiative ayant été prise par l’AFAD et par la dynamique « Droit, gouvernance et développement durable » des FUSL, c’est l’approche francophone, et par surcroît une approche fortement inspirée par le point de vue de l’anthropologie du Droit qui fournit en quelque sorte la perspective organisant l’ensemble de la démarche, comme en témoigne cette introduction. J’espère que le lecteur ne verra pas ceci comme un défaut, mais comme une limite caractéristique intrinsèque de tout dialogue : il faut bien commencer à partir d’un topos donné... même si celui-ci influe ensuite forcément sur la suite du dialogue et sur la restitution de ce à quoi il a abouti. Comme le rappelle Pierre Legrand (1999 : 64) à propos de toute démarche comparative forcée de s’ouvrir au dialogue avec d’autres univers, « [le] comparatiste appréhende une culture juridique d’un lieu qui n’est jamais cette culture juridique même et qui se trouve toujours, dès lors, à tout le moins un peu ‘hors-elle’. Aussi reste-t-il en lutte contre la difficulté d’articuler une relation avec l’autre qui ne peut être qu’asymétrique et doit-il constater que son activité critique demeure assujettie à ce dilemme. »
Les fondements épistémologiques de la recherche
13Après avoir brossé une image impressionniste du champ de la recherche et avoir éclairé certains enjeux majeurs, il convient maintenant de présenter brièvement les contributions afin que le lecteur dispose d’une carte permettant de se repérer au fil de ses lectures.
14Il a semblé pertinent de prolonger cette introduction générale par deux autres textes à caractère introductif qui permettront au lecteur de profiter pleinement du voyage de découvertes qui lui est proposé à travers les multiples terrains africains et indiens présentés par la suite. Le premier texte repose les termes des enjeux actuels autour du foncier face à l’idéologie dominante de la « propriété privée ». Etienne Le Roy y soulève un certain nombre d’enjeux transversaux du foncier contemporain tels que l’émancipation nécessaire du cadre idéologique de la propriété privée promue par les institutions de développement et la nécessité de compléter les approches top down par des approches bottom up qui prennent en compte les réalités quotidiennes des acteurs concernés. Malgré les discours dominants, et d’autant plus dans des contextes où l’autorité censée garantir ce droit est défaillante - comme c’est le cas dans de nombreux États des « Suds » - la sécurité foncière ne tient que secondairement à la détention de titres et au caractère plus ou moins absolu du droit ainsi reconnu. Une approche en termes de « propriété Code civil » n’est pertinente que dans des contextes où existent un État de Droit et un marché généralisé. Avec un État défaillant, l’autorité représentative de l’intérêt général apte à garantir la propriété disparaît. Et lorsque le marché n’est pas généralisé mais que l’on observe des situations de marchandisation imparfaite de la terre, ce qui est caractéristique de la majorité des contextes des « Suds », la propriété privée peut se révéler non seulement inefficace, mais aussi dangereuse : « un marteau-pilon pour écraser une noix ». La contribution d’Étienne Le Roy souligne la nécessité d’une approche plus pragmatique, sensible aux réalités de terrain et tentant de rendre conciliables et opérationnels les dispositifs juridiques étatiques et les processus endogènes qui concourent à la stabilité des échanges et à la pacification de la société. Le concept de patrimoine et la gestion patrimoniale lui semblent fournir des outils précieux pour aborder les problématiques de développement durable qui pourraient offrir des solutions à la hauteur des enjeux contemporains en sortant des oeillères de l’idéologie de la mondialisation de la propriété privée.
15Matthieu Galey, met en perspective cette approche en analysant « l’adapteur cognitif » que représente la classification des systèmes de propriété élaborée par l’économiste Charles Reinold Noyes. Si les réflexions d’Étienne Le Roy renvoient à des problématiques que le lecteur retrouvera tout au long de l’ouvrage, elles s’inscrivent néanmoins dans une vision civiliste du droit. La présentation de Matthieu Galey met en lumière cette spécificité et permet de saisir l’importance des différences formelles par lesquelles il est possible d’opposer la manière dont l’appropriation du sol est juridiquement organisée dans les traditions juridiques de Common Law et les traditions romano-germaniques ou civilistes. Loin d’être de simples clauses de styles, elles recouvrent des différences institutionnelles substantielles qu’il est possible de caractériser à partir d’une modélisation de la structure des systèmes de propriété, conçus comme systèmes de relations entre personnes à propos d’un bien immeuble. Cette modélisation constitue un outil précieux pour naviguer entre mondes juridiques civiliste et de Common Law et pour préparer le lecteur à une transition en douceur entre les mondes africains explorés dans la première partie, en grande majorité inscrits dans un système civiliste et les mondes indiens explorés dans la deuxième partie qui s’inscrivent dans un univers juridique marqué par la Common law.
Points de vue d’Afrique
16Alain Karsenty nous introduit à la problématique foncière en Afrique en croisant les acquis de terrains au Maghreb, en Afrique noire et à Madagascar. Sa présentation souligne la nécessité d’approches interdisciplinaires dans le domaine et explore les contraintes et enjeux méthodologiques des recherches sur le foncier. La difficulté ne consiste pas seulement à parvenir à « penser ensemble » les niveaux d'analyse (voir à la fois les stratégies individuelles et les choix collectifs résultants de l’histoire et de la culture, par exemple), mais aussi de « faire penser ensemble » des chercheurs provenant de disciplines scientifiques ou de cultures institutionnelles différentes. Les catégories analytiques proposées par les différentes disciplines théoriques mobilisées pour comprendre les problèmes fonciers, si elles constituent d’indispensables faisceaux lumineux pour éclairer différents angles des phénomènes sociaux, peuvent également produire des effets d’inintelligibilité quand elles sont employées de manière exclusive pour saisir « l’essence » (et le sens) des phénomènes dont on entend « rendre raison ». On peut illustrer ce phénomène à travers « l’invention de la tradition » par le chercheur qui ne distingue pas soigneusement entre les données de terrain et la modélisation qu’il en tire. Dans son analyse diachronique de l’économie politique des réformes foncières en Côte d’Ivoire, et plus particulièrement la loi de 1998 sur les droits fonciers coutumiers qui redessine le régime de transfert de droits entre « autochtones » et « étrangers », Jean-Pierre Chauveau souligne l’importance de ne pas essentialiser les phénomènes observés mais de veiller à les inscrire dans un contexte historique et politique plus large. Les discours sur la décentralisation et sur le développement participatif qui redécouvrent « le local » et les « savoirs endogènes » ont tendance à essentialiser ces derniers. Ils approchent ces réalités comme si elles étaient anhistoriques et non-inscrites dans des luttes de pouvoir, de domination et de résistance. L’étude de Jean-Pierre Chauveau constitue une mise en garde envers de telles approches idéalistes d’une gouvernance ou d’un développement durable participatifs qu’il faudrait avoir à l’esprit lorsqu’on s’immergera dans d’autres contributions qui soulignent moins ces pesanteurs.
17La découverte des situations africaines se poursuit ensuite avec cinq contributions qui, chacune à leur façon, mettent en évidence l’importance, mais aussi les limites, d’une gestion participative du foncier et des ressources naturelles. « Local is lekker. », « le local, c’est bon », lance Renaud Lapeyre dans le titre de sa contribution sur la mise en place d’une gestion participative de parcs naturels en Namibie. Sa réflexion porte sur le rôle du secteur privé dans le développement endogène. Alors qu’une réforme foncière plus profonde apparaît comme incontournable, si l’État namibien souhaite promouvoir efficacement le développement rural durable, on voit actuellement émerger un nouveau paradigme et une nouvelle forme institutionnelle face aux limites des structures communautaires : les contrats de joint-ventures qui lient les communautés locales au secteur privé pour la mise en valeur des actifs naturels des territoires. Si ces contrats locaux basés sur une sécurisation des droits fonciers des communautés permettent une redistribution de la rente touristique vers les populations rurales, la situation reste néanmoins instable puisque cette structure institutionnelle est source de conflits et marginalise encore trop les conservancies. Les enjeux de la participation du « local » et de la prise en compte des logiques et pratiques endogènes continuent ensuite à être éclairés par Robinson Tchapmégni et Christian Adonis Milol qui nous introduisent à la réalité foncière du Cameroun, en quelque sorte par les deux bouts de la lorgnette. Robinson Tchapmégni, juge, expose les difficultés provenant d’une déconnexion, qui semble s’exacerber, entre un droit de la propriété foncière étatique et les régimes de « propriété traditionnelle » qui constituent une réalité bien vivante bien qu’ils ne soient pas reconnus légalement. Christian Adonis Milol, quant à lui, s’intéresse aux jeux et enjeux fonciers à travers l’étude de la mise en place d’un ambitieux programme de réforme de la politique forestière et de gestion durable des ressources forestières renouvelables entrepris par le Cameroun depuis 1994. Cette réforme qui s’est traduite dans les faits par la promotion de la gestion participative et d’une foresterie sociale avec l’institution d’une nouvelle catégorie de forêts (les forêts communautaires) et d’espaces (territoires de chasse communautaire) donne lieu à une analyse qui se place explicitement dans l’entre-deux entre institutions étatiques et communautés locales. Il apparaît que les mécanismes de gestion participative/communautaire proposés reposent en dernière analyse la plupart du temps sur un modèle occidental préétabli qui s’inspire peu des modèles autochtones lesquels pourtant fonctionnent déjà. Les populations désabusées commenceraient même à résister aujourd’hui aux pratiques de gouvernance locale dans lesquelles elles ne se retrouveraient pas... L’expérience malgache relatée par Mustapha Omrane confirme la vitalité des modes non-étatiques de gestion de la terre, mais aussi la revendication croissante pour une sécurisation foncière formelle de la part des paysans dont la mise en œuvre ne pourra faire l’économie d’une reconnaissance des pratiques actuelles des exploitants ruraux en la matière. Sigrid Aubert et Manuela Lesage concluent cette série d’études sur le foncier rural par une étude de terrain à La Réunion, l’un des départements d’Outremer français. Le constat de la défaillance du droit étatique y a conduit à la tentative de mettre en œuvre des approches plus participatives, articulées autour de l’institution d’une médiation foncière. Cette dernière pourrait bien contenir en germe une approche renouvelée du droit foncier l’ouvrant vers une gestion plus participative.
18Nada Auzary-Schmaltz et Jellal Abdelkafi concluent cette partie par une exploration du foncier tunisien. Nada Auzary Schmaltz retrace l’évolution de la législation foncière tunisienne depuis son origine dans la promulgation de la loi foncière de 1885. Cette loi exogène inscrite dans le contexte de la colonisation n’aurait pu être qu’une législation de circonstance vite emportée par les vicissitudes de l’histoire. Or, elle s’est retrouvée élevée au rang de prototype peu de temps après sa promulgation inspirant d’autres législations. Elle a ensuite perduré au prix de réformes nécessitées par l’évolution de la Tunisie et a constitué le socle du droit positif foncier postérieur à l’indépendance en 1956. Après avoir été pendant longtemps la dynamique d’extension des surfaces agricoles, l’enjeu actuel du foncier tunisien semble de plus en plus être la gestion du foncier urbain. Jellal Abdelkafi montre l’imbrication des phénomènes de l’urbanisation dans le processus de développement d’une part et dans la construction juridique et institutionnelle de la République tunisienne d’autre part. En un demi-siècle, la pression des hommes et la concentration de leurs activités sur le littoral ont modifié les territoires et les sociétés, parfois de façon radicale. Elles ont bousculé les rapports traditionnels des gouvernants et des gouvernés et ont inauguré une tension exceptionnelle sur le double front de la création d’emplois et de la production de logements. En ce début de XXIe siècle, il s’avère que la structuration juridique et institutionnelle, incluant l’immatriculation de la propriété et l’inscription au livre foncier, reste inachevée et en partie aléatoire. La démocratisation des institutions locales et la participation des citadins à la planification semblent ici aussi un élément décisif pour affronter les défis d’une urbanisation qui va se poursuivre avec intensité pour encore au moins un demi-siècle.
Points de vue d’Inde
19Faisant écho à la réflexion de Jean-Pierre Chauveau, la contribution introductive à cette seconde partie explore l’économie politique des relations entre environnement et développement d’une part et la reconnaissance des droits des adivasi, ou populations indigènes, de l’autre. Ajit Menon démontre à travers une analyse diachronique que d’une façon générale les droits des adivasi ont été façonnés par les priorités du « développement » et de « l’environnement ». On ne peut nier ni les avancées réelles ni l’importance du champ du droit comme forum de luttes où les activistes peuvent faire avancer l’agenda de la reconnaissance des droits. Mais l’article souligne les limites du droit dans un contexte politique où le développement constitue la préoccupation hégémonique et où les représentations de l’environnement qui ont voix au débat sont surtout celles des classes moyennes et urbaines et non pas celles des adivasi. Si la reconnaissance des adivasi par le système juridique étatique à travers la reconnaissance des droits coutumiers demeure un objectif important, cette dynamique ne doit pas occulter les enjeux d’une lutte plus large qui ose affronter l’idée et les postulats mêmes du développement. Les développements de D. Parthasarathy complètent cette analyse à travers l’étude de l’exploitation des ressources minières qui sont principalement localisées dans des zones forestières habitées par les adivasi, ou dans des zones rurales dépendant largement de l’agriculture comme source principale de revenu. L’auteur s’interroge sur les enjeux d’une sécurisation de l’exploitation minière artisanale traditionnelle et/ou informelle qui est la base de survie pour de nombreux adivasi et d’autres larges sections pauvres de la société indienne. Comment faire participer ces « exclus » aux bénéfices de l’exploitation minière et non pas seulement leur faire supporter ses externalités qui se manifestent par exemple sous forme de déplacements forcés de populations en vue d’une exploitation minière industrielle de leur territoire ? La reconnaissance et l’articulation d’une pluralité des référents juridiques et politiques semblent indispensables. Si le passage du gouvernement à la gouvernance, tel qu’il est promu par un ensemble d’agences de développement nationales autant qu’internationales dans leurs agendas de « bonne gouvernance », est problématique quant à son contenu idéologique, il ouvre néanmoins des espaces susceptibles d’accroître la participation authentique des adivasi dans les processus de développement et de gouvernance des ressources naturelles. Lucie Dejouhanet, boucle cette première vague de textes relatifs aux droits des adivasi avec une étude plus géographique que politique sur les droits d’usage et de contrôle des produits forestiers non ligneux de la forêt keralaise lesquels sont surtout exploités par des collecteurs adivasi pour alimenter l’industrie pharmaceutique ayurvédique dévoreuse de plantes médicinales. Les cueilleurs se trouvent au centre d’un jeu de rivalités auquel ils se plient et auquel ils s’adaptent en développant des flux parallèles ou en profitant des brèches dans les structures qui les encadrent. À l’instar des autres contributeurs de cet ouvrage, l’auteur ne manque pas de noter que malgré la promotion d’un discours de « participation » la forêt reste régie de l’extérieur et les cueilleurs n’ont qu’un rôle très faible dans l’organisation de leur activité. Si les cueilleurs bénéficient d’un droit d’usage et s’ils peuvent récolter les produits, ils doivent faire confiance aux institutions ou contourner le contrôle des autorités en investissant des marchés parallèles pour sortir les produits de l’espace de la forêt. On constate aujourd’hui à une politisation croissante des adivasi et à un meilleur accès des cueilleurs aux informations sur leurs droits et les différents débouchés pour les produits de leur cueillette. Cette situation pourrait mener à l’irruption de la « société civile » dans le débat autour de la gestion de l’exploitation des ressources.
20Les deux contributions suivantes de J. B. Rajan & T. P. Haribabu et d’Ignatius Prabhakar, qui quittent la problématique des adivasi, nous présentent deux autres facettes de la « participation » des acteurs de terrain à leur propre développement, l’une en partant du secteur « formel », l’autre de « l’informel ». J. B. Rajan et T. P. Haribabu décrivent la réforme radicale de la décentralisation au Kérala qui attribue une grande autonomie aux institutions de Panchayati Raj (Panchayati Raj Institutions - PRI) dans le domaine de la planification et de la mise en œuvre de projets de développement adaptés à l'environnement local. Leur analyse se focalise plus particulièrement sur les pêcheries maritimes et leur impact sur les écosystèmes côtiers. La gestion décentralisée du Panchayati Raj qui organise une autonomie de décision jusqu’au niveau des villages pousse très loin la décentralisation et l’essai d’une mise en place d’une démocratie participative. Cette architecture ne permet cependant pas de complètement répondre aux besoins locaux ni à refléter les jeux politiques, économiques, juridiques qui s’observent sur les terrains. Ignatius Prabhakar approfondit cet enseignement à travers une exploration de l’agriculture illégale dans les étangs-réservoirs servant à l’irrigation au Sud de l’Inde, et plus particulièrement au Tamil Nadu et à Pondichéry. L’empiètement des populations locales sur les étangs-réservoirs, bien qu’illégal et constituant une menace à l’existence de telles réserves d’eau, est néanmoins largement répandu et semble perçu comme une « infraction légitime ». La multitude de pratiques illégales et stigmatisées comme immorales à « petite échelle » forment néanmoins, dans leur ensemble, une pratique d’empiètement des étangs-réservoirs qui semble jouir d’une légitimité certaine puisqu’elle n’est véritablement remise en cause par personne. L’auteur, qui privilégie une approche anthropologique, insiste sur l’importance du politique local, sur les jeux et enjeux de pouvoir entre les stakeholders locaux. Le « local » qui s’organise de manière semi-autonome20 face aux institutions officielles n’est pas un champ homogène21. Il constitue au contraire une arène où s’affrontent de multiples acteurs et stratégies22. La création d’associations d’usagers d’eau qui est promue depuis peu par le gouvernement et les organismes non gouvernementaux dans une optique de bonne gouvernance et de développement participatif complexifient encore la situation. Le transfert de la gestion et de l’entretien des étang-réservoirs du gouvernement aux associations s’inscrit en effet dans une idéologie qui perçoit le local comme un vacuum à remplir et nie l’existence de structures et de pratiques de gestion de l’eau déjà existantes.
21Philippe Cullet introduit un changement d’échelle en se penchant sur la question des réformes du secteur de l’eau au niveau national. Leur nécessité s’est affirmée au cours des trois dernières décennies. Mais les réformes de l’eau proposées sont basées sur un nombre limité de principes considérés comme LA solution appropriée pour tous les pays en développement. Elles sont centrées autour de l’idée que l’eau doit être considérée avant tout comme un bien économique en évacuant toute autre perspective sociale. Le discours de la participation et de la responsabilisation des acteurs qui les accompagne perd ainsi en crédibilité. La formation d’associations d’usagers, censée donner aux usagers directs d’eau d’irrigation de surface un contrôle plus important sur l’eau qu’ils reçoivent sous couvert de décentralisation et de participation, ne donne pas dans les faits, un contrôle effectif aux agriculteurs sur l’eau d’irrigation. La « participation » leur impose surtout la prise en charge de la gestion des projets au niveau local. Elle légitime un transfert des responsabilités financières du gouvernement vers les agriculteurs. Si les réformes actuelles sont importantes et redéfinissent le cadre juridique du droit de l’eau pour les décennies à venir, elles ne sont cependant pas satisfaisantes parce qu’elles ne prennent pas suffisamment en compte la priorité qui doit être accordée au droit de l’homme à l’eau et aux autres aspects sociaux de l’eau.
22V. Balaji conclut cette seconde partie en inscrivant la problématique d’un développement durable en Inde devant prendre en compte non seulement la croissance économique mais aussi la préservation de l’environnement et la prise en charge de ses aspects sociaux dans le contexte plus large des droits de l’homme. Comme la jouissance effective des droits de l’homme implique la garantie d’un environnement viable, elle peut à son tour concourir à développer une sensibilité plus grande aux enjeux environnementaux. Après un rappel du contexte international, l’auteur retrace les évolutions du droit indien dans lesquelles la jurisprudence de la Cour Suprême joue un rôle primordial. Une jurisprudence environnementale fondée sur la reconnaissance des droits à l’eau potable, à une atmosphère non polluée, à un environnement sain etc. s’est développée. Elle est fondée sur une interprétation extensive de l’article 21 de la Constitution indienne par la Cour Suprême selon laquelle le droit fondamental à la vie qui est reconnu dans cet article comprend le droit à un environnement qui puisse permettre une vie saine. En Inde, le droit de l’environnement qui régule la gestion des forêts, de la pêche et de l’eau et qui a un impact considérable sur la vie et les moyens de subsistance de nombreuses communautés se trouve par ce biais de plus en plus couplé à une approche des droits de l’homme.
Conclusions et ouvertures
23Les contributions à cet ouvrage mettent en évidence la richesse des terrains et la complexité de la question foncière qui est encore exacerbée par la prise en compte, incontournable, des préoccupations environnementales. Elles soulignent la nécessité d’enlever les œillères que constituent les approches idéologiques, qu’elles soient néolibérales ou autres, pour être capable de prendre en compte les contraintes et potentialités concrètes qu’il faudra apprendre à articuler.
24Deux enjeux abordés dans la recherche collective qui semblent bénéficier d’un contexte actuel (tout au moins discursif) favorable à leur approfondissement et qui dépassent la question foncière et environnementale au sens strict, me paraissent particulièrement importants. Il s’agit de l’enjeu de la « participation » et de l’enjeu de la « traduction » et du « dialogue » qui lui est lié.
25De nombreuses contributions ont souligné le potentiel émancipateur mais aussi les contraintes, les limites, voire les effets pervers d’approches en termes de participation. « L’idéologie de la participation » promue par les agendas de « bonne gouvernance » et de « développement durable » ouvre une fenêtre bienvenue à la prise en compte des « réalités locales » tout autant en ce qui concerne la préservation de l’environnement que la prise en compte des besoins de survie des populations locales. C’est en termes de prise en compte de la complexité des situations qui ne se résume pas à la vision que peuvent en avoir des experts du développement et de la gouvernance inscrits dans des logiques institutionnelles nationales et internationales qu’il faut aborder ses enjeux. Le « local » pur n’existe pas plus qu’un « national » ou un « global » pur. Les différentes échelles et les différents réseaux d’acteurs et leurs actions s’enchevêtrent à chaque niveau. Or cette complexité reste souvent ignorée dans des approches top down caractéristiques de l’action politique, juridique et économique et de plus soumis la plupart du temps à des points de vue sectoriels23. Si approfondir les enjeux de la participation est bienvenu, il faut cependant veiller à ce que la répétition incantatoire du mantra de la participation ne rende pas inaudible la diversité des logiques et des points de vue. Jean-Pierre Olivier de Sardan (1995 : 189) rappelle les malentendus dans le dialogue entre chercheurs en sciences sociales et opérateurs du développement en s’interrogeant sur la notion d’enquête nécessaire à la prise en compte des réalités locales qui ne se résume pas à une attitude bienveillante à une éthique de l’ouverture de la part des « développeurs ». Dire que l’on est « sensible au terrain » n’implique pas forcément qu’on l’est, si l’on ne se donne pas les moyens de l’être et que l’on accepte de tenir effectivement compte des enseignements dans son action. Aborder la complexité des problématiques foncières et environnementales dans des terrains donnés exige un travail rigoureux de recherche couplé à une attitude dialogale qui permet au chercheur de prendre conscience de la diversité et de l’originalité des visions du monde, logiques, pratiques, stratégies et enjeux impliqués, prise de conscience qui doit ensuite être traduite pour devenir accessible aux acteurs institutionnels de la gouvernance et du développement durable. Au-delà de l’enjeu de ne pas la réduire à la pure et simple délégation hiérarchique de responsabilités aux exécutants d’un projet décidé ailleurs et niant la participation à l’élaboration du projet lui-même24, promouvoir la participation oblige à s’atteler à la mise en place d’espaces de dialogue à la hauteur des forums hybrides qui en sont la condition et où les enjeux de la traduction sont centraux (voir Callon, Lascoumes, Barthe 2001 : 209 ss).
26S’engager sur les voies du dialogue, ce qui est inhérent à toute approche se voulant véritablement participative, éveille ainsi graduellement nos consciences à l’horizon d’un pluralisme de visions du monde qui pourrait se révéler bien plus profond que ne le suggèrent les développements de cet ouvrage25. Tout en jetant un regard critique sur la gestion foncière et environnementale et tout en dégageant un certain nombre d’enjeux importants, cette recherche collective ne s’est cependant pas vraiment émancipée d’un point de vue informé par le vocabulaire et la grammaire dominants des sciences sociales et humaines, du politique et du droit. Tel n’était pas son objectif. Mais la dynamique a tout de même contribué à aiguiser nos sensibilités à l’altérité et a démontré qu’un dialogue entre disciplines et cultures différentes était possible et pouvait aller au-delà d’une simple juxtaposition de discours comme en témoignent dans cet ouvrage les enrichissements mutuels qui ont résulté des échanges et qui se sont cristallisés dans les contributions de certains à des renvois explicites aux idées de leurs collègues.
27J’espère qu’au-delà de l’approfondissement des questions foncières et environnementales, cet ouvrage en promouvant un dialogue « Sud/Sud » participera à un décentrement de regards sur la gouvernance et le développement durable qui restent dominés par les « Nords », même si le croisement de points de vue africains et indiens n’était pas uniquement le fait d’indiens et d’Africains, mais plus largement de personnes travaillant sur ces régions et sensibles à leurs situations. Un tel décentrement permettra peut-être de repenser autrement un certain nombre de nos questions afin de dégager des modes de vie respectueux de l’Homme et de son milieu26.
28Étant donné que ce livre est le fruit d’une dynamique de travail collective qui a été accueillie en Inde en 2006, il semble approprié de conclure cette introduction par une interpellation indienne, un appel de Rajni Kothari (1990 : 49-50, 63-64), l’un des importants politilogues indiens du siècle dernier pour qui :
29«Increasingly, such a quest for alternative systems of thought and being is making intellectuals turn to non-Western cultures known for long standing humanist traditions and for integrated perspectives on the human condition. What is the role of the Third World in such a quest? (...) It would be a real tragedy if cultures strong in speculative thought and deductive logic were to fall prey to the lure of positivist science, imported from the West at a time when the world was in fact crying out for new worldviews and meaning and value systems. (...) First, modernity is not something that can be wished away. Both as a doctrine of life and a guide to prudence, and as a framework for attending to the affairs of society, it has shaped our world in a fundamental manner, so fundamental, indeed, that we so often call it the ‘modern world’. Modernity is not just Western or Occidental; it is part of us all. (...) Secondly, it is incumbent upon us all - in the West and in other regions - to relate this presently dominant tradition to other civilisational traditions and meaning systems, and to evolve a process of critical interaction between them. (...)
30To the western mind, science, like all knowledge, is an instrument of secular power for creating a good social order. We must reject this as at once inadequate and dangerous. It is dangerous because power as the end of knowledge usually degenerates into power of the few over the many. It is inadequate because creation of a good social order can be no more than a means, the end being the liberation and self-realisation of each being. We come here to the Oriental conception of knowledge as a means of seeking truth which, in turn, is a means of liberating the self. (In Oriental thought truth is not an end in itself.) This harmonises perfectly with the conceptions of diversity and decentralization. But Gandhi’s basic principle must be borne in mind, namely, that such liberation is to be of all individuals, not only of the educated and the better-off. Such a conception rejects the dualism inherent in the Western paradigm and seeks the ends of individuals as well as of society in a composite philosophy of nature. With this also, incidentally, the discord between development and ecology disappears.»
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Notes de bas de page
1 Entendu comme « être humain ».
2 Pour une présentation de ces approches de la « nature sujet » et sur les problèmes qu’elles soulèvent pour penser un droit de l’environnement, voir Ost 1995.
3 Notons que les prémisses naturalistes sous-jacentes à cette approche sont fondées sur le grand partage entre Nature et Culture ne vont pas de soi et ne sont en rien universelles. Philippe Descola (2005 : 127-128) s’interroge ainsi : « Est-il encore plausible de ranger parmi les universaux une opposition entre la nature et la culture dont l’antiquité ne remonte guère au-delà d’un siècle ? Faut-il (...) conserver un découpage du monde aussi historiquement déterminé pour rendre compte des cosmologies dont maintes civilisations nous offrent encore le vivant témoignage ou qui, consignées dans les rayons de nos bibliothèques, n’attendent que notre curiosité pour revivre ? » Il y répond par la négative et son appel à une approche « par-delà nature et culture » permettant de « réfléchir à la diversité des usages du monde sans céder à la fascination du singulier ni à l’anathème contre les sciences positives » nous paraît important dans le contexte actuel.
4 Et même en étant seuls faudrait-il encore inventer un mode de relation à notre environnement. Lire dans ce contexte la réflexion de François Ost (2004 : 205 ss) sur le roman de Daniel Defoe et sur le mode de relation au monde en termes d’appropriation qu’il véhicule.
5 Sur le passage de la notion « d’environnement » à celle de « milieu » voir par exemple Ost 1995, Papaux 2007.
6 Voir aussi les développements sur « Le patrimoine, un statut juridique pour le milieu » dans Ost 1995 : 306 ss.
7 Voir aussi sur cette approche Barrière 2005.
8 Sur les enjeux de l’explosion urbaine et la mondialisation, se reporter au Volume 14 2007/2 d’Alternatives Sud entièrement dédié à cette thématique.
9 Voir à ce sujet les analyses de Callon, Lascoumes et Barthe (2001) sur l’émergence des forums hybrides et des enjeux dont ceux-ci sont porteurs. Les rapports dialogiques et l’importance du paradigme de la traduction ébranlent en effet profondément nos approches modernes de la science et du politique. Voir aussi plus particulièrement sur les rapports entre les sciences et le droit de l’environnement Gutwirth 1996.
10 Lire comme illustration de ce point par exemple, l’analyse critique que fait Joseph Stieglitz (2002) des programmes d’ajustement structurels qu’a imposés le Fonds Monétaire International à de nombreux pays les menant ainsi au désastre. Selon l’auteur, l’aveuglement du FMI face à certaines réalités résulterait du fait que son action, plutôt que d’être basée sur une analyse économique et financière « neutre », s’inscrit dans une idéologie qui ne souffre pas la contradiction.
11 Sur les ambiguïtés du concept de gouvernance voir par exemple, Arnaud 2003 : 330 ss & Baron 2003.
12 Voir sur cette ambiguïté entre science et idéologie et sur les enjeux d’un travail de terrain dans le domaine du foncier échappant à la chape idéologique, la réflexion de Frank Muttenzer (2002) sur l’introuvable gouvernance de la biodiversité à Madagascar. Voir aussi de manière plus générale, sur l’idéologisation de la « gouvernance » à travers la promotion de la « bonne gouvernance » Arnaud 2003.
13 Comme par exemple, les enjeux de croiser logiques et attentes environnementales, économiques et sociales à des échelles locale, nationale, régionale et mondiale.
14 Une publication récente de la dynamique de recherche internationale « Droit, gouvernance et développement durable » coordonné par les Facultés universitaires Saint Louis à Bruxelles (voir Eberhard 2005 et 2006), coorganisatrice de la présente recherche en est une illustration, ainsi que la recherche sur la « traduction » qui est actuellement menée au sein de son Séminaire Interdisciplinaire d’Études Juridiques.
15 Dans le cadre de la dynamique « Droit, gouvernance et développement durable » il est prévu de mener un travail comparable entre chercheurs indiens et chinois. Par ailleurs, un colloque international « Droit, gouvernance et développement durable. Les nouveaux chemins de la responsabilité » qui se tiendra à Bruxelles en octobre 2007 réunira des chercheurs des cinq continents.
16 Outre les membres du Comité consultatif dont la liste figure en début d’ouvrage, T. V. Kamalambal qui s’est occupée de la mise en page finale de l’ouvrage, Tai Walker qui a relu les textes anglais, N. Ravichandran qui a réalisé la couverture, l’IFP, Alain Karsenty, Manuela Lesage et Jean-Pierre Muller qui ont mis à notre disposition les photos pour la couverture et tous ceux qui ont participé de près ou de loin à l’organisation de cette dynamique de recherche, j’aimerais remercier plus particulièrement pour leur soutien dans cette entreprise collective David Annoussamy (AFAD / Société de droit comparé), Kandasamy Chandrasegaran (Dr. Ambedkar Government Law College, Pondicherry), Marie-Claire Foblets (AFAD), Abdul Razak Kaffur Khan (Dr. Ambedkar Government Law College, Pondicherry), Etienne Le Roy (AFAD), Jean-Pierre Muller (IFP) et Laurent Pordié (IFP).
17 Les participants étaient anthropologues, économistes, géographes, juristes, politistes, juges et urbanistes. Ceci explique la non-uniformité du langage employé dans les diverses contributions pour renvoyer à des phénomènes similaires. Pour une synthèse des différentes approches politique, économique, juridique, anthropologique autour de la property et sur les dangers et enjeux d’une démarche interdisciplinaire qui court toujours le risque de ne devenir qu’un cherry picking sélectif par une discipline dans d’autres pour enrichir son argument voir von Benda Beckmann & Wiber 2006 : 4ss. Sur les requis méthodologiques d’une approche interdisciplinaire du foncier voir par exemple Le Roy, Karsenty, Bertrand 1996, plus spécialement p 185 ss.
18 Pour une présentation du droit indien moderne et de ses enjeux voir par exemple Annoussamy 2001, Galanter 1992, Menski 2003. Voir aussi Menski 2006.
19 Sur ces questions le lecteur se rapportera avec intérêt aux travaux de Pierre Legrand (voir par exemple Legrand 1999) qui met en évidence les enjeux liés à la traduction juridique et à un droit comparé sensible à l’altérité et qui les illustre à travers une comparaison entre traditions civilistes et Common Law. Voir aussi sur le défi de l’altérité en Droit, Eberhard 2003.
20 Voir dans ce contexte les importantes réflexions de Sally Falk Moore sur les champs sociaux semi-autonomes qu’elle développe et illustre de manière approfondie dans Moore 1983.
21 et certainement pas un ensemble de coexistance harmonieuse tel que se le représente une certaine idéologie du « small is beautiful » ou « local is beautiful » qui semble imprégner une bonne partie des discours sur la « participation ».
22 Voir sur ce point les réflexions sur les arènes et groupes stratégiques en jeu dans le développement local dans Olivier de Sardan 1995 : 173 ss.
23 Notons sans l’approfondir et en reconnaissant que nous pêchons ici nous-mêmes par l’emploi de ce vocabulaire, que les analyses « global / local », « top down / bottom up » contribuent à entretenir un dualisme dans l’organisation des données et de nos discours qui est problématique et qu’on essaye d’ailleurs de dépasser à travers de nouveaux concepts comme « glocal » (Arnaud 1998), « study through » (Randeria 2002). Ces divisions reproduisent les grands partages évoqués plus haut entre nous et les autres, les sujets et les objets, l’universel et le particuler, la théorie et la pratique etc. et nous inscrivent par ailleurs dans le principe de l’englobement du contraire dégagé par Louis Dumont et dont j’ai explicité quelques implications dans nos manières d’aborder le Droit dans Eberhard 2002 et 2003.
24 Voir sur ces questions par exemple Campbell 1997, Eberhard 2006 : 145 ss, Eberhard 2007, Rahnema 1997.
25 Voir sur ces horizons pluralistes par exemple Eberhard 2002, Panikkar 1982 & 1990, Vachon 1990, 1997 & 1998.
26 Voir déjà dans cette optique Eberhard 2005 et 2006.
Auteur
Chercheur et professeur invité aux Facultés universitaires Saint Louis, Bruxelles, et chercheur associé à l’Institut Français de Pondichéry.
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