Préface
p. XIII-XV
Texte intégral
1L’homme, issu de la terre, se conduit en enfant dénaturé, oubliant son origine et malmenant sa mère au risque de causer sa propre ruine. Cette perspective au fur et à mesure qu’elle se précise l’invite quand même à réfléchir. Va t-il s’arrêter dans sa course folle d’autodestruction et limiter les dégâts ? Quelques tentatives nous permettent de l’espérer. Avant de les évoquer il est utile de savoir comment on en est arrivé là.
2Les dangers sont d’origine récente. L’homme a longtemps vécu de cueillette, puis s’est mis à cultiver le sol pour obtenir les denrées désirées. Il a érigé des demeures pour se protéger des intempéries, puis des usines pour diversifier les biens de consommation. Il s’est même enhardi à fouiller les entrailles de la terre pour y trouver des produits devenus rares à la surface.
3Dans l’utilisation de la terre, il ne se trouvait pas seul ce qui donna lieu à compétition. Des querelles à l’intérieur des groupes et des guerres entre groupes pour le trésor de la richissime terre sont apparues. Il a fallu se répartir la surface, fixer les bornes et les protéger. Toute une réglementation s’en est suivie. On a dû quand même laisser certains terrains pour l’usage commun et les protéger contre les empiètements.
4Le problème a commencé quand l’humanité, améliorant son alimentation et les soins de santé, s’est mise à croître rapidement et la pression sur la terre s’est accrue causant déforestations, désertifications et pénuries d’eau. La sonnette d’alarme a été tirée, le mot magique « d’écologie » a été prononcé, d’où une nouvelle série de prescriptions, qu’on a appelées « environnementales », pour assurer à nos enfants une terre vivable. Normes acceptées sur le plan des principes mais auxquels chacun voudrait se dérober.
5Par ailleurs l’instinct grégaire des hommes les a poussés à s’agglomérer. Ils s’y sont engagés les yeux fermés et ont érigé à grands frais des cités monstres, composées essentiellement de cellules manquant de lumière et d’oxygène. Etouffant dans ces prisons personnelles ils cherchent à s’évader périodiquement en masse, risquant parfois la vie. Pour réduire les dangers on a été obligé d’élaborer toute une réglementation d’urbanisme et de circulation qu’on a toujours de la peine à appliquer.
6Malgré tous ces inconvénients et servitudes, l’homme a une tendance naturelle à s’attacher au coin de la terre où il est né, où il a grandi ou fondé une famille. Cet attachement s’étend au village ou à la ville et même au pays. À cause de cette valeur sentimentale, l’homme n’est pas disposé à échanger son coin de terre contre de l’argent ou un autre coin de terre. L’expropriation, même à des fins d’utilité publique, est rudement ressentie et combattue si possible. Dans l’Inde les journaux annoncent périodiquement la triste nouvelle des personnes ayant perdu leur vie dans la défense de leurs terres !
7Acceptée ou pas, une législation abondante et détaillée est sur pied pour protéger la parcelle de terre de chacun et sauvegarder le domaine public utilisable par tous. Cet ensemble de prescriptions est devenu envahissant et cependant il est jugé insuffisant car on demande constamment des ajouts ou des améliorations. Ce sont ces normes et ces insuffisances qui se présentent immédiatement à l’esprit quand on pense au foncier.
8Parallèlement à ce rapport utilitaire ou sentimental, l’homme s’est donné le loisir de sonder son rapport avec sa mère, la terre. Il s’est interrogé sur sa nature et sa vocation. L’occident s’est longtemps cantonné à sa vision anthropocentrique, héritée de la version biblique de la genèse, considérant la terre comme un objet créé pour l’usage exclusif de homme. Certains penseurs modernes ont rompu avec cette tradition et ont trouvé une âme à le terre.
9Certaines autres civilisations ont depuis longtemps pensé que chaque parcelle de terre était habitée par des esprits qu’il ne faut pas offenser. L’Inde pour sa part a divinisé la terre comme tout le reste. Il y un beau temple à Tirouvottiour dans le pays tamoul, où Siva est adoré sous forme de Terre. Dans le parler populaire la terre est désignée à l’occasion sous le nom de Déesse Terre. Avant toute érection de bâtiment, on procède à une invocation accompagnée d’offrandes à l'endroit de la pose de la première pierre, pour propicier la Terre contre toute mésaventure pour la nouvelle structure qui va être mise sur son dos.
10Ainsi dans toutes les civilisations, au rapport utilitaire de l’homme avec la terre qui est apparent, s’ajoute en filigrane un rapport métaphysique. C’est ce rapport double de l’homme à la terre que des chercheurs provenant de divers horizons réunis à l’Institut français de Pondichéry ont cherché à explorer dans une conférence internationale. Ils ont chacun dirigé leur projecteur sur l’aspect qui leur est familier ou qui leur tient à cœur. Ils l’ont fait chacun à travers la formation disciplinaire qui lui est propre.
11Au fur et à mesure que le colloque se déroulait les participants ont pu s’émerveiller sur les vues kaléidoscopiques, mais n’avaient pas le loisir de faire une pause suffisante pour assimiler les vues neuves qui leur étaient présentées. La publication de cette riche gamme de pensées va leur permettre de revivre ces moments, de réfléchir et de faire un essai de synthèse dans laquelle leur propre vue puisse être sertie. On ne saurait trop féliciter les maîtres d’oeuvre de cet effort collectif.
12Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de participer à ce colloque, cet ouvrage offre une grappe de présentations qui permet de percevoir la diversité et la complexité du phénomène et la possibilité d’approches différentes. C’est cela qui fait son originalité et sa richesse. Mais toutes les présentations convergent vers un point, la nécessité de l’utilisation harmonieuse des ressources de la mère nourricière pour que chaque homme ait sa part légitime aujourd’hui et pour que les générations à venir puissent en espérer autant. Si, pour accomplir une tâche aussi légitime, la raison n’est pas suffisante, on peut appeler au secours le sacré.
David Annoussamy.
Pondichéry le 30 Juillet 2007
Auteur
Former judge of the Madras High Court.
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