Chapitre 20. Adoption
p. 325-338
Texte intégral
I. Adoption dans le pays
A. Droit hindou
1. Ancien droit
1La filiation est un phénomène naturel qui crée des droits et obligations aux parents et aux enfants. Chaque civilisation a donné des contours différents à ces droits et obligations. La civilisation hindoue a privilégié certains devoirs particuliers au fils. Il doit accomplir les rites funéraires pour confier le corps de son père au feu. Il doit, durant toute sa vie, faire des oblations aux ancêtres qui en ont besoin pour leur bien-être dans l’autre monde. Ces oblations constituent le lien visible entre les vivants et les morts. Le fils est donc une nécessité d’outre-tombe pour l’hindou. Pour éviter le malheur qui résulterait de l’absence d’un fils, il est indispensable, en cas de besoin, d’en adopter un qui puisse être intronisé dans cette grande famille dont les frontières s’étendent au-delà de ce monde. Il existe également d’autres mobiles de l’adoption qui sont à des degrés variables les suivants : se procurer un objet d’affection, s’assurer une protection pour la vieillesse, secourir un petit de son espèce en détresse, modeler un enfant à son image pour qu’il porte son nom, administre ses biens et perpétue son œuvre. Les différents modes d’adoption admis par le droit hindou répondaient à un ou plusieurs de ces mobiles :
- Dattaka : enfant donné de plein gré par ses parents à une autre personne.
- Kritima : orphelin attiré à accepter le statut de fils.
- Apaviddha : enfant abandonné et recueilli comme fils.
- Kritaka : enfant vendu par ses parents.
- Svayam dattaka : orphelin ou enfant abandonné qui s’offre à quelqu’un de son propre mouvement.
2La première forme exige un certain nombre de conditions. Elle s’opère par une cérémonie spéciale appelée datta homom. Devant le feu sacré, en présence des brahmes, des parents et amis, l’adoptant demande l’enfant à son père légitime. Sur son consentement, il prend l’enfant et prononce ces mots « je te prends pour continuer la lignée de mes ancêtres ». L’enfant est ensuite installé sur les genoux de la mère adoptive. Cette adoption entraîne la rupture des liens avec la famille d’origine et opère l’insertion totale dans la famille adoptive. Cette forme était utilisée par les brahmes et les castes supérieures. La deuxième forme d’adoption était devenue applicable dans tous les cas parmi les autres castes ; elle n’exige pas de conditions rigoureuses ni de formalités. L’adopté ne perd aucun de ses droits dans la famille d’origine. Les liens dans la famille adoptive existent seulement entre les adoptants et l’adopté et ne s’étend pas au-delà. En ce qui concerne les trois dernières formes, le sort de l’enfant dépend de l’intention de celui qui prend possession de l’enfant. Toutes ces formes d’adoption sont encore permises aux chrétiens non renonçants.
2. Droit moderne
3Le droit ancien de l’adoption a été profondément modifié par le Hindu Adoption Act, 1956, applicable à Pondichéry à partir du 5.09.1968 aux hindous. Cette loi a retenu seulement une seule de ces formes d’adoption, soit la première (dattaka) et l’a modernisée. On trouvera ci-après l’économie générale de cette loi :
a) Conditions de fonds
4Qui peut adopter ?
5Tout hindou de sexe masculin, sain d’esprit, et majeur (18 ans) peut adopter. Toutefois, s’il est marié, le consentement de sa femme est nécessaire à moins qu’elle n’ait renoncé au monde ou ait cessé d’être hindoue. La capacité d’adopter est également reconnue à une femme hindoue, majeure et saine d’esprit, si elle est célibataire, divorcée ou veuve ou si le mari a complètement renoncé au monde ou a cessé d’être hindou ou sain d’esprit. Il convient toutefois de remarquer que dans le couple, c’est le mari qui adopte et non les deux conjoints agissant ensemble.
6Pour pouvoir adopter un garçon, l’adoptant ne doit pas avoir de fils, de fils de fils ou de fils de fils de fils soit par voie de filiation légitime soit par voie d’adoption. Il faut et il suffit que l’enfant soit vivant et hindou au moment de l’adoption. La survenance postérieure d’un enfant est sans effet sur une adoption déjà faite. En revanche, l’adoption d’un enfant quand on en a un autre ne peut devenir valable, même après le décès du premier. Bien que le droit hindou reconnaisse des droits à l’enfant conçu, un tel enfant n’est pas un empêchement pour l’adoption. Dans l’ancien droit, un fils infirme, aliéné ou exclu de la caste était considéré comme inexistant, aujourd’hui la présence d’un tel fils est un obstacle pour l’adoption.
7Pour pouvoir adopter une fille, l’adoptant ne doit pas avoir de fille ou de fille de fils vivant au moment de l’adoption et qui soit hindoue. La prise en considération seulement de la fille du fils et non de la fille de la fille s’explique par le fait que la fille quitte le foyer alors que le fils vit généralement avec le père. Les restrictions imposées par la loi séparément pour l’adoption d'un fils ou d’une fille tiennent compte de leur rôle très différent dans un foyer hindou et de la part qui leur revient dans le patrimoine.
8Une dernière condition imposée aux adoptants est une différence d’âge de 21 ans quand l’adoptant et l’adopté ne sont pas du même sexe.
9Qui peut donner en adoption ?
10Seul le père ou la mère, peut donner un enfant en adoption. Le père exerce son droit avec le consentement de la mère. La mère agit en l’absence du père. Ce droit est reconnu seulement aux parents véritables et non aux parents adoptifs. Les autres conditions de capacité sont les mêmes que celles qui sont requises pour pouvoir adopter. En cas d’absence ou d’incapacité des deux parents ou quand les parents sont inconnus, le tuteur peut donner en adoption ; il doit à cet effet obtenir la permission du tribunal, même s’il est lui-même l’adoptant. C’est le seul cas d’intervention du tribunal en matière d’adoption. Le rôle du tribunal consiste à s’assurer que l’adoption est dans l’intérêt de l’enfant ; il peut également consulter l’enfant s’il est en âge d’exprimer un avis.
11Qui peut être adopté ?
12Pour être adopté, il faut et il suffit d’être hindou ; il n’est plus nécessaire d’appartenir à la même caste que l’adoptant. Dans la pratique, le mobile le plus important de l’adoption est encore de s’assurer un fils pour perpétuer les oblations aux ancêtres ; aussi l’adoption des filles n’est-elle pas fréquente.
13L’enfant adopté une fois ne peut plus être adopté une deuxième fois, même si le premier adoptant a disparu depuis.
14L’âge maximum pour être adopté est de quinze ans, mais la loi admet la validité des coutumes contraires à ce principe à condition qu’elles soient bien établies. La dernière condition est que l’adopté ne soit pas marié. Quand, en vertu d’une coutume contraire un homme marié est adopté, sa femme et ses enfants nés postérieurement font partie de la famille adoptive. Les enfants nés avant le mariage restent dans la famille d’origine.1
b) Formalités de l’adoption
15La loi n’admet la présence que d’une seule personne dans chacun des trois rôles : l’adoptant, l’enfant à adopter et le parent ou tuteur qui donne l’enfant à adopter. L’adoption simultanée d’un même enfant par plusieurs personnes est expressément interdite.
16La seule formalité exigée par la loi est la tradition réelle de l’enfant avec l’intention de le transférer de la famille d’origine à la famille adoptive. Pour combattre le trafic d’enfant, la loi interdit toute récompense en argent ou en nature en vue de la conclusion de l’adoption, quel qu’en soit l’auteur ou le bénéficiaire, sauf quand l’enfant est donné par le tuteur avec l’autorisation du tribunal. L’enfant adopté peut recevoir des cadeaux dans tous les cas, de toute personne.
17Aucun enregistrement n’est nécessaire pour la validité de l’adoption. Il est loisible aux parties d’y procéder ; en cas d’enregistrement, l’adoption est présumée avoir été faite en conformité avec la loi jusqu’à preuve du contraire.
c) Effets
18L’adoption régulièrement accomplie est irrévocable pour toutes les parties. La loi considère l’enfant à tout point de vue comme né dans sa famille adoptive et tout lien avec la famille d’origine est rompu. Elle ne prévoit à cet égard aucune exception coutumière et fait ainsi disparaître l’institution de la double paternité qui était admise dans certains cas dans l’ancien droit. Bien que tout lien juridique avec la famille d’origine cesse pour l’adopté, rien ne l’empêche d’offrir des oblations aux ancêtres des deux familles, ce qui est un acte purement religieux sur lequel la nouvelle loi n’a pas de prise.
19Les liens de parenté dans la famille adoptive s’établissent ainsi. Quand un hindou marié adopte une personne, sa femme en devient la mère adoptive avec tous les droits et obligations qui s’attachent à ce lien de parenté. Quand un veuf ou un célibataire adopte un enfant et vient à se marier par la suite, sa femme est considérée comme marâtre de l’adopté. De même, celui qui épouse une femme qui avait déjà adopté un enfant en devient le parâtre.
20Bien que les liens avec la famille d’origine soient rompus par l’adoption, les empêchements pour cause de parenté en matière de mariage continuent à substituer. De même, tout bien déjà échu à l’adopté et provenant de la famille d’origine lui reste acquis, avec les obligations qui s’y rattachent telles que l’obligation d’assurer la subsistance du père ou celle de payer ses dettes dans la limite des biens échus.
21Dans la famille adoptive, les droits de l’adopté sont les mêmes que ceux d’un enfant légitime. Quand il est en concurrence avec ce dernier, il prend une part égale.
22En droit hindou, il n’y a pas de réserve héréditaire. Pour protéger l’intérêt de l’enfant adoptif, la loi autorise toute convention qui limiterait les droits de l’adoptant de disposer de ses biens par acte entre vifs ou par voie de testament.
23Le législateur semble avoir voulu une loi moderne de l’adoption calquée sur le modèle européen et basée sur l’égalité des sexes. Mais les réalités indiennes lui ont imposé des mesures particulières. On peut se demander s’il n’eût pas mieux valu de moderniser une des autres formes anciennes. Dans la réalité, les autres formes d’adoption sont toujours en vogue, mais n’ont plus la reconnaissance de la loi. Si les intéressés veulent créer un lien juridique, ils peuvent obtenir du tribunal la garde légale conformément au Guardian and Wards Act.
B. Droit français
24Il est applicable aux renonçants, aux personnes de nationalité française. Les chrétiens indiens peuvent y avoir recours.
25Le droit français distingue deux types d’adoption.
1. Adoption plénière
26La demande en vue de l’adoption peut être formulée par deux époux conjointement, mariés depuis plus de deux ans et âgés tous les deux de plus de 28 ans. Elle peut l’être aussi par une seule personne de plus de 28 ans ; la condition d’âge n’est pas requise si l’on veut adopter l’enfant de son conjoint. Si la personne est mariée, le consentement du conjoint est nécessaire. Il doit y avoir un écart d’âge de 15 ans entre l’adoptant et l’adopté, écart réduit à 10 ans si l’adopté est l’enfant du conjoint.
27L’adopté doit être âgé de moins de 15 ans. Il doit avoir habité dans la maison de l’adoptant pendant au moins six mois. Si l’enfant a été introduit à la maison avant d’atteindre 15 ans ou s’il y a eu au préalable une adoption simple, l’adoption peut être prononcée jusqu’à la fin de sa minorité et dans les deux mois suivant la majorité. Dans tous les cas, le consentement de l’enfant doit être obtenu s’il est âgé de plus de 13 ans.
28Pour être adopté, le consentement des parents ou du conseil de famille est nécessaire. Les enfants qui ont été déclarés pupilles de la nation ou qui sont abandonnés peuvent également être adoptés. Peut être déclaré abandonné, par le tribunal de grande instance, un enfant qui est sous la garde d’un particulier, d’une institution privée ou du département de l’assistance sociale et pour lequel les parents n’ont manifesté aucun intérêt.
29En ce qui concerne le consentement des parents ou du conseil de famille, le tribunal peut passer outre s’il estime que le refus du consentement n’est pas justifié ou si les parents ont négligé l’enfant au point de porter préjudice à sa santé ou sa moralité. Le consentement doit être donné devant le tribunal d’instance, ou un notaire, ou autorité équivalente. Le consentement peut être retiré dans un délai de deux mois par voie de lettre recommandée avec avis de réception adressée à la personne ou au service qui a reçu le consentement. Le retrait du consentement peut intervenir même après ce délai si l’enfant n’a pas déjà été placé en vue de l’adoption.
30L’adoption est prononcée sur la requête de l’adoptant par le tribunal de grande instance de la juridiction dans laquelle il réside. S’il réside à l’étranger, par le tribunal de la juridiction dans laquelle réside l’enfant à adopter. Si tous les deux résident à l’étranger, par le tribunal choisi par l’adoptant. Après enquête, le jugement est prononcé dans les six mois en audience publique, sans indiquer aucune raison. Dans les quinze jours à partir de la date où le jugement est devenu définitif, il est transcrit dans les registres de l’état civil à la requête du Procureur de la République. Il ne doit contenir aucune indication relative aux parents biologiques. Le jugement ainsi transcrit tiendra lieu par la suite d’acte de naissance de l’adopté. L’acte de naissance originel sera à la diligence du parquet marqué de la mention « adoption » et sera à partir de ce moment annulé. Personne ne pourra en obtenir une copie. Lorsque l’adopté est né à l’étranger, la décision est transcrite sur les registres du service central d’état civil du ministère des Affaires Etrangères.
31L’adoption une fois prononcée prend effet à partir de la date de présentation de la requête. Pour l’adopté, le lien de filiation change totalement. Il cesse d’appartenir à sa famille d’origine, mais les empêchements en vue du mariage subsistent. L’adoption confère à l’adopté le nom patronymique de l’adoptant. L’enfant adopté a les mêmes droits et les mêmes obligations que les enfants légitimes. Il prend la nationalité de l’adoptant si elle est différente de celle qu’il avait jusque-là.
32L’adoption une fois prononcée est irrévocable. Certaines personnes utilisent l’adoption en vue de conférer la nationalité française à un enfant de leurs proches. C’est une adoption fictive à leurs yeux. Le plus souvent, les deux familles règlent à l’amiable les effets d’une telle adoption. En cas de conflit, la famille adoptante pense à annuler l’adoption et se trouve désemparée face à l’irrévocabilité à laquelle elle n’avait pas pensé. Dans ces cas, c’est l’enfant qui en fait les frais.
2. Adoption simple
33Cette forme d’adoption a beaucoup de traits communs avec la précédente. Les différences importantes sont les suivantes. Aucune condition d’âge n’est requise de l’adopté. Celui-ci ajoute le nom patronymique de l’adoptant au sien. L’adoptant peut obtenir que son nom seul figure, avec le consentement de l’adopté s’il est âgé de plus de 13 ans. L’obligation alimentaire continue entre la personne adoptée et ses parents biologiques ainsi que les droits héréditaires. Toutefois, l’obligation des parent biologiques peut être invoquée par l’adopté seulement si la famille adoptante ne peut pas y faire face. L’enfant adopté n’a pas droit à la réserve dans la succession des adoptants. En cas de décès de l’adopté sans descendance, les biens provenant de la famille adoptante et les libéralités reçues des parents biologiques retournent aux familles respectives. Le reliquat est partagé entre les deux familles.
34L’adoption simple est révocable. Si la demande de révocation émane de l’adoptant, il est nécessaire que l’adopté ait plus de 15 ans. Le jugement de révocation doit être motivé. Le dispositif du jugement doit être mentionné en marge de l’acte de naissance et de la transcription du jugement d’adoption dans les 15 jours à la diligence du Procureur de la République. L’adoption simple n’a aucun effet sur la nationalité.
C. Loi musulmane
35La situation des musulmans est assez particulière. Le droit musulman ne reconnaît pas l’adoption. L’adoption a été proscrite par le prophète comme étant susceptible de créer des complications à l’intérieur de la famille. Le principe de base est que l’homme ne peut pas créer des liens de parenté fictifs semblables à ceux établis par Dieu. Cependant la loi musulmane reconnaît un lien de parenté entre la nourrice et l’enfant semblable à celui de la filiation, mais seulement en ce qui concerne les empêchements au mariage ; ainsi un musulman ne pas épouser sa sœur de lait. Mais ce lien de parenté n’a aucun effet sur la succession.
36Les hindous convertis à l’Islam ont cependant continué pendant assez longtemps à avoir recours à l’adoption,2 mais il semble qu’ils y ont renoncé par la suite. Il existe des régions de l’Inde, comme celle d’Oudh, où la coutume continue. Il est théoriquement possible à un musulman d’adopter selon le Code Civil à Pondichéry, mais il risque l’ostracisme de la part de sa communauté.
37Cependant, il arrive aux musulmans de recueillir des enfants et de les élever. Mais aucun lien juridique n’existe entre eux. S’il choisit de régulariser vis-à-vis de la loi la garde de l’enfant, soit pour l’exercice de l’autorité parentale soit pour le représenter dans les actes officiels ou les transactions juridiques, il doit se faire nommer tuteur par le tribunal conformément au Guardian and Wards Act.
38En résumé, les hindous de nationalité indienne doivent obligatoirement se conformer au droit hindou moderne. Les hindous de nationalité française ont en plus la possibilité de suivre le code civil puisque l’adoption volontaire du code civil leur a été permise. Les chrétiens ont le choix entre le droit coutumier hindou et le code civil. Les renonçants doivent suivre les dispositions du code civil.
II. Adoption internationale
A. Adoption en France d’enfants étrangers
39La loi française s’applique d’une manière générale à l’adoption des enfants étrangers. Toutefois, si l’adoptant est étranger, sa loi nationale prévaut quant aux conditions de l’adoption. En cas d’adoption par deux époux, c’est la loi qui régit les effets de leur mariage qui s’applique. L’adoption ne peut être prononcée si la loi nationale de l’un ou l’autre époux la prohibe. La loi de l’enfant est applicable quant aux conditions qu’il doit remplir, le consentement, et les conditions de l’abandon, le cas échéant. C’est d’après sa loi nationale qu’on déterminera les personnes et les organismes appelés à donner leur consentement ainsi que la forme dans laquelle ce consentement doit être donné. Ce consentement doit être obtenu sans aucune contrepartie et après s’être assuré de la rupture irrévocable avec la famille d’origine. Les organismes étrangers régulièrement habilités dans leurs pays pour procéder à des placements adoptifs sont considérés comme l’étant également en France.
40L’adoption ne pourra pas être prononcée si la loi de l’enfant le prohibe, sauf si l’enfant est né et réside habituellement en France.
B. Reconnaissance en France des adoptions effectuées à l’étranger
41En principe, en matière d’état civil ou de capacité des personnes, le jugement obtenu à l’étranger est valable en France sans autre formalité.
42Si le jugement obtenu n’équivaut pas à une adoption plénière et si les parents en sont satisfaits, inutile de faire une démarche quelconque. Si les parents veulent compléter le jugement pour avoir une adoption plénière, ils doivent obtenir un jugement à cet effet en France et satisfaire aux conditions requises par le droit français.
43Si les parents sont en possession d’un jugement étranger ayant appliqué la loi française ou ayant prononcé une adoption analogue à l’adoption plénière française, ce jugement aura plein effet en France et les parents peuvent s’en contenter si l’enfant est de nationalité française ou s’ils n’ont pas l’intention de lui obtenir la nationalité française. Si, au contraire, ils veulent faire reconnaître sa nationalité française, ils doivent obtenir l’exequatur du jugement étranger durant la minorité de l’enfant car l’acquisition de la nationalité française ne peut pas résulter d’un jugement étranger obtenu sans l’accord des autorités françaises. Comme il y a des cas d’adoption fictive avec le seul but de conférer la nationalité française, le tribunal français examinera le cas avec grand soin avant d’accorder l’exequatur. Les tribunaux français peuvent éventuellement invoquer des considérations d’ordre public pour refuser l’exequatur. Ainsi, la cour de Cassation avait décidé en 1931 que l’adoption faite par un hindou alors qu’il avait des enfants légitimes ne saurait produire effet en France, comme contraire à l’ordre public.3 Cette raison ne peut plus être invoquée maintenant.
44Dans tous les cas, il est bon de consulter le procureur de la république pour savoir ce qu’il y a lieu de faire compte tenu du résultat désiré. Dans certains cas, le Procureur peut lui-même saisir le tribunal, épargnant aux parents les frais. Les parents qui sont en France ou qui désirent se rendre en France ont intérêt à obtenir directement un jugement français au lieu de faire les frais d’une double procédure, une à l’étranger et une deuxième en France. Dans tous les cas, il est risqué de procéder à une adoption dans l’Inde sans être sûr de la voir avalisée en France. En effet, l’enfant aurait perdu son lien de parenté d’origine en Inde et sa nouvelle parenté ne serait pas reconnue en France où il se trouverait juridiquement orphelin.
C. Transfert d’enfants à l’étranger en vue d’adoption
45Au début des années 70 une forte demande de parents étrangers voulant adopter des enfants s’est faite sentir. Les orphelinats dirigés par des missions étrangères ont été les premiers à capter cet appel. Mais il n’y avait aucun mécanisme pour effectuer le transfert des enfants. Les cours supérieures, saisies de la question, ont opiné qu’il était dans l’intérêt des enfants déshérités d’avoir des parents voulant leur offrir une vie confortable. On chercha un moyen pour autoriser le transfert et l’on se tourna vers le Guardian and wards Act. Cette loi donne pouvoir au juge de district de nommer un tuteur pour les orphelins ou les enfants abandonnés. Il prévoit aussi que le tuteur ne doit pas sortir l’enfant hors de la juridiction du tribunal sans sa permission. C’est cette disposition restrictive qui a été paradoxalement utilisée avec l’approbation des cours supérieures ou sur leur exemple. Le processus adopté est le suivant : les parents étrangers obtiennent la garde légale de l’enfant et simultanément la permission de sortir l’enfant hors du district pour l’emmener à l’étranger en vue de l’adoption. Cette manière de procéder avait l’accord tacite des gouvernements des pays d’accueil, car les visas d’entrée et de séjour ont pu être obtenus sans difficulté.
46Cette pratique en marge de la loi prenant de plus en plus d’ampleur, le gouvernement de l’Inde sentit la nécessité de réglementer ce transfert d’enfants pour sauvegarder leurs intérêts. Il voulut saisir cette occasion pour uniformiser la loi sur l’adoption et présenta au parlement un projet en 1972. Il y eut immédiatement une opposition féroce de la part des chefs religieux musulmans qui y voyaient une brèche à leur loi personnelle qui ne reconnaissait pas l’adoption. Le gouvernement fut contraint de retirer le projet. Il présenta un autre projet en 1980 stipulant que la loi ne s’appliquerait pas aux musulmans. Ce projet n’eut pas plus de succès. Par la suite, la Cour Suprême fut saisie d’une lettre portant à sa connaissance les abus de trafic d’enfants par des institutions établies dans l’Inde. La Cour inscrivit l’affaire au rôle en tant que litige d’intérêt public. Beaucoup d’associations et institutions indiennes et étrangères sont intervenues dans l’affaire. La Cour a également requis les organismes gouvernementaux et semi-gouvernementaux s’occupant de l’enfance de donner leurs points de vue.
47Au cours de l’instruction de l’affaire, la cour prit connaissance des dispositions relatives à la protection des enfants destinés à être envoyés à l’étranger contenues dans le projet de loi avorté. Elle prit également connaissance du projet de déclaration et des principes à suivre formulé par le groupe d’experts nommé à la requête du Conseil Economique et Social des Nations Unies, projet approuvé par le conseil en 1981. Sur la base de ces documents et de ce que les parties ont porté à la connaissance de la cour, celle-ci a formulé en 1984 une série de principes à suivre.4 Ce jugement a été complété par deux autres en 1986 et 1987.5 Le gouvernement de l’Inde a pris le 4 juillet 1989 une résolution incorporant le contenu de ces jugements et l’a communiqué à tous les États et ambassades sous forme de règles à appliquer6. On a ainsi une réglementation détaillée en la matière dont les grandes lignes peuvent être résumées comme suit :
48Le principe cardinal à garder toujours présent à l’esprit est que les enfants doivent rester avec les parents et que toutes les mesures doivent être prises à cet effet. On doit s’abstenir d’exercer la moindre influence sur les parents pour obtenir la possession de l’enfant. Par contre, l’institution à laquelle l’enfant a été confié doit aider les parents à prendre une décision en toute connaissance de cause, leur expliquant toutes les implications de l’adoption et leur faisant comprendre que l’enfant pourrait être donné en adoption même à un étranger. Elle doit notamment les informer qu’une fois l’enfant adopté ils ne pourront plus avoir aucun contact avec lui. De toutes façons, les parents n’ont pas le droit de prendre la décision de se séparer de leur enfant avant sa naissance ni dans les trois mois qui suivent la naissance. Après que les parents ont pris la décision de se séparer définitivement de l’enfant, un nouveau délai de réflexion de trois mois doit leur être accordé. Passé ce délai, leur décision doit être considérée comme irrévocable et la procédure pour donner l’enfant en adoption peut être amorcée par l’institution concernée.
49A ce stade, on ne doit épargner aucun effort pour trouver des parents adoptifs dans le pays même. C’est seulement en cas d’échec dans cette entreprise qu’on peut envisager des parents adoptifs étrangers.
50Les parents étrangers désirant adopter un enfant indien doivent obligatoirement s’adresser à une institution de leur pays et reconnue par le gouvernement de ce pays. Si cette institution considère les candidats dignes de recevoir chez eux un enfant, elle entre en contact avec une institution indienne dûment reconnue. Si celle-ci a un enfant pour lequel elle n’a pas pu trouver des parents indiens, elle le propose aux parents étrangers demandeurs. Ces derniers, en cas d’acceptation, doivent préparer leur requête au tribunal et la faire parvenir à l’institution indienne qui doit la présenter au tribunal, sans délai. A ce moment, les véritables parents ne seront pas appelés. Le tribunal décidera après une enquête à huit clos et fera mettre le dossier sous scellé.
51En ce qui concerne les institutions habilitées pour opérer dans le domaine de l’adoption internationale, le gouvernement de l’Inde doit obtenir une liste des institutions étrangères reconnues à cet effet par les gouvernements respectifs et la porter à la connaissance de tous les tribunaux compétents ainsi que des institutions indiennes agréées par chaque État. Celles-ci ont seules capacité pour présenter les requêtes en vue de l’adoption internationale. Pour être agréée, l’institution indienne doit être convenablement équipée en personnel et en matériel et engagée d’une façon générale dans la mission d’assistance à l’enfance. Une institution dont l’activité primordiale consisterait à placer les enfants en adoption ne sera pas reconnue. L’adoption internationale doit être considérée comme une mesure d’appoint dans l’ensemble de l’action en faveur de l’enfance.
52L’institution qui a recueilli l’enfant est autorisée à recevoir des parents adoptifs étrangers des frais d’entretien n’excédant pas une certaine somme, fixée provisoirement à 60 roupies par jour, depuis la date du choix définitif par les parents jusqu’à la date de mise en route. Il est loisible aux parents adoptifs de faire une donation spontanée à l’institution, mais pas avant que l’enfant ait rejoint son nouveau foyer.
D. Convention internationale
53L’arrangement mis en place par la Cour Suprême n’est qu’une mesure provisoire. Il n’assure pas une véritable adoption internationale par une seule décision de justice qui, une fois prononcée, produise effet partout. Le Conseil Économique et Social des Nations Unies poursuit son effort pour aboutir à un tel arrangement. D’un autre côté, la conférence de la Haye sur le droit international privé, dans sa 17e session du 10 mai 1993, a mis au point une véritable convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Quand cette convention entrera en vigueur, les arrangements existants deviendront caducs. Cette convention contient dans les grandes lignes les garanties incluses dans les jugements de la Cour suprême qui elle-même s’est inspirée, avons-nous dit, du projet du groupe d’experts des Nations Unies.
54La convention tient compte de la résidence de l’enfant et non de sa nationalité. Elle envisage dans chaque pays une Agence centrale chargée de coordonner et de superviser les opérations d’adoption, par elle-même ou à l’aide d’autres organismes publics. Elle prévoit dans chaque pays des institutions accréditées qui doivent aider l’Agence centrale. L’adoptant prospectif doit adresser sa demande à l’Agence centrale de son pays, laquelle, après enquête, la transmet à l’Agence centrale du pays de l’enfant. Celle-ci, après enquête et obtention du consentement requis, en avise l’Agence centrale du pays de l’adoptant.
55L’adoption peut être prononcée dans l’un des deux pays. Les Agences centrales des deux pays se tiendront mutuellement informées du progrès de la procédure d’adoption. Les deux Agences doivent cumuler leurs efforts pour obtenir les autorisations nécessaires pour que l’enfant puisse sortir de son pays et entrer dans le pays de destination. Une adoption prononcée dans un pays conformément à la convention aura plein effet dans l’autre pays. Au cas où il y a pluralité de statuts personnels dans un pays, toute référence à la loi de ce pays sera le statut déclaré applicable aux intéressés dans ce pays.
Notes de bas de page
1 Dhanu vs. Ramakrishna, I.L.R. 10, Bom. 80 ; Kalgovda Tavanappa vs. Somappa Tamangovda, I.L.R.33, Bom. 699.
2 Jean-Claude Bonnan, « Islam et intégration », Droit et Cultures, 27, 1994, p. 89.
3 Req. 21 avril 1931, D. P. 1931. 1. 52, rapport Pilonet, Rec. Sirey. 1. 377, note Niboyet.
4 Lakxmi Kant Pandey vs. Union of India, AIR, 1984, S.C. p. 469.
5 Idem, AIR 1986, p. 272 et AIR 1987, p. 232.
6 Resolution of the Government of India, Ministry of Welfare dated 4th july 1989.
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