Chapitre 15. Modifications du droit indien
p. 251-266
Texte intégral
I. Approche
1On a constaté dans le chapitre précédent comment le code civil a progressivement supplanté le droit local en plusieurs domaines. Là où le droit local n’a pas été évincé, l’Administration, les professeurs de droit et les tribunaux se sont efforcés de le modifier de façon à le rapprocher du code civil.
2Au début, la métropole avait reconnu, sur recommandation de ses agents locaux, la nécessité de respecter les us et coutumes du pays pour ne pas s’aliéner la population. Mais c’était avec l’espoir de la conduire à l’état considéré comme normal, c’est-à-dire l’adoption de la loi française. Quant aux autorités françaises locales, elles étaient gênées d’avoir à s’en rapporter aux gens du pays pour rendre la justice ; elles désiraient avoir un code des lois tamoules et un recueil des usages particuliers à chaque caste pour pouvoir se prononcer elles-mêmes. Aussi, le règlement du 25 janvier 1778 relatif au tribunal de la chaudrie, en créant une chambre de consultation, imposa-t-il à ses membres comme devoir essentiel de travailler à un tel ouvrage. Mais le travail ne fut pas accompli. Quand le pouvoir français était bien assis, la métropole voulait s’assurer qu’elle ne cautionnait pas des dispositions trop barbares. Aussi, une dépêche ministérielle du 1er mars 1828 a-t-elle prescrit de constater la législation civile des Indiens et de faire examiner par une commission spéciale les modifications que cette législation serait susceptible de recevoir.
3On a fondé à cet effet beaucoup d’espoir sur le comité consultatif de jurisprudence indienne créé en 1827 à la place de la chambre de consultation. Ce comité a commencé le travail en 1833. Comme le travail n’avançait pas de façon satisfaisante, l’arrêté du 28 novembre 1835 prescrivit au comité de tenir des séances extraordinaires chaque semaine uniquement pour la constatation des lois. Le recueil de coutumes ne prit pas forme pour autant, les membres du comité, qui étaient des notables, propriétaires ou commerçants, n’étaient pas équipés pour la tâche de compilation de coutumes. Les coutumes ne viennent pas toutes à l’esprit quand on se met en quête sans référence à une situation déterminée ; on retrouve la solution coutumière quand on est en présence d’un cas précis ; c’est à cette fin que le comité a été constitué. Les membres ont pensé pouvoir donner satisfaction aux autorités françaises en recueillant les textes de droit hindou pour les traduire en français. Ils n’ont pas pu mener à bien cette tâche non plus. D’ailleurs, un tel ouvrage ne présentait pas grand intérêt ; les Anglais avaient déjà effectué le travail. Certaines de leurs compilations ont été aussi traduites en français. Il est à signaler en passant que les Hollandais avaient réussi à faire un recueil des coutumes des Tamouls de Ceylan. Les autorités hollandaises avaient confié le travail à un administrateur qui avait servi 30 ans dans le pays et qui a complété les connaissances qu’il possédait déjà en la matière par une enquête systématique auprès des notables de la localité.1
4L’initiative de l’administration de se doter d’un document donnant des lumières sur l’ensemble du droit indien s’est donc soldée par un fiasco. Mais cela ne l’empêcha pas de faire des modifications ponctuelles à ce droit. Quelques juges, qui ont accepté d’enseigner les droits hindou et musulman, ont pu acquérir une connaissance appréciable de ces droits. Ils ont également œuvré plus ou moins pour leur modification, chacun selon son tempérament. Le premier de ces professeurs, Langlard, s’est montré un farouche partisan de la réforme du droit hindou. Dans son introduction aux « Leçons de droit hindou », 1884, il s’adresse à ses étudiants comme suit :
« Par la comparaison qui s’établira dans votre esprit des deux législations qui vous sont enseignées, vous, Messieurs les Etudiants, que vous me permettrez d’appeler les pionniers de ce peuple en marche, vous les instruits parmi les hindous, vous vous convaincrez fatalement de la défectuosité de votre système juridique, vous vous empresserez d’abjurer, si déjà vous ne l’avez fait, de stériles privilèges pour un régime libéral. Vous stimulerez enfin le zèle de vos concitoyens moins éclairés que vous vers l’affranchissement définitif.
Je crois donc pouvoir répéter, sans le moindre paradoxe, que l’enseignement du droit indigène au sein de l’école aura pour effet de gagner, sur ces bords, des citoyens complets à France. »2
5Étrange exorde à l’enseignement du droit hindou à l’école de droit de Pondichéry ! Les étudiants n’ont pas suivi le maître jusqu’au bout ; ils n’ont pas abjuré leurs coutumes. Mais avec l’enseignement du droit hindou en première année et du droit musulman en deuxième année, les étudiants de cette école ont eu la chance d’être initiés à la comparaison des lois dès le commencement de leurs études de droit et de se rendre compte de la relativité des lois. Avocats et notaires formés à cette école ont été des artisans de la greffe du droit français sur le droit hindou. Le rôle capital revient évidemment aux juges, notamment à la Cour d’appel de Pondichéry, qui a façonné le droit hindou en dernier ressort. La Cour de Cassation considérait les questions de droit hindou comme des questions de fait et n’intervenait pas en la matière alors que, dans l’Inde britannique, les questions de droit hindou étaient tranchées en dernier ressort par le Privy Council à Londres. La Cour d’appel de Pondichéry a pu ainsi modifier la loi locale selon sa tendance.
II. Modifications du droit hindou par les tribunaux
A. Adoption
6En Inde, l’adoption est un acte solennel et s’accompagne de cérémonies où toute la parentèle est invitée. Mais il n’y avait pas de constatation écrite de l’adoption. Dans le but d’éviter des contestations par les parties intéressées, le gouvernement a pris un arrêté le 29 décembre 1855 prescrivant que l’adoption doit être constatée par un acte authentique et homologuée par le juge de paix. Les tribunaux ont décidé que cette formalité n’était pas prescrite sous peine de nullité. Mais si l’adoption n’a pas été constatée comme indiqué dans l’arrêté, la partie qui l’invoque aura la lourde charge de la prouver, en cas de contestation.
7En principe, l’adoption, dont le but est de s’assurer une descendance masculine pour que les offrandes soient faites régulièrement aux mânes des ancêtres pour leur béatitude dans l’autre monde, ne pouvait être faite que par le père de famille. Il arrivait que le mari qui n’avait pas accompli ce devoir confiait le soin de le faire à sa femme avant de mourir. Les héritiers du mari qui convoitaient l’héritage et qui se trouvaient évincés par cet acte d’adoption le contestaient. Aussi, l’arrêté susvisé a-t-il prescrit qu’en cas d’une adoption par la veuve pour le compte de son mari défunt, cette adoption ne pourra pas être faite après l’expiration d’un délai de trois mois à dater du jour du décès du mari. Cette mesure était destinée à éviter dans une large mesure les adoptions faites par la veuve sans mandat du mari pour garder la fortune entre les mains d’une personne choisie par elle.
8En droit hindou, la veuve ne pouvait adopter que pour le compte de son mari défunt et non pour son propre compte. Au bout d’un certain temps, les tribunaux français ont reconnu qu’une veuve pouvait adopter pour elle-même. Il est intéressant de constater que les cours anglaises qui n’avaient pas reconnu ce droit à la veuve ont reconnu la validité d’une telle adoption effectuée sur le sol français comme conforme à une coutume locale reconnue par les tribunaux locaux. Ainsi, il a été décidé qu’une veuve domiciliée en Inde française pouvait adopter pour elle-même, et que le fils ainsi adopté pouvait succéder aux biens situés dans l’Inde anglaise.3
9Il est de principe en droit hindou que la lèpre constitue une incapacité. Cependant, la Cour de Pondichéry a décidé en 1864 que la lèpre, bien que maladie incurable, ne constituait pas une incapacité à adopter ; mais elle a fait remarquer qu’elle reste néanmoins une incapacité à succéder. En effet, un tel fils n’avait pas le droit de faire les offrandes.4
B. Renonciation à la succession
10En droit hindou, le patrimoine du défunt échoit aux descendants, lesquels ont la charge de faire des offrandes aux ancêtres. En contrepartie, les descendants ont l’obligation d’éteindre les dettes du défunt. D’après le droit hindou classique, le non-remboursement d’une dette est un péché dont les conséquences peuvent poursuivre le débiteur dans l’autre monde. Les descendants ont l’obligation morale et religieuse de sauver le père des punitions dans l’autre monde. Donc, la renonciation à la succession est inconcevable en droit hindou. Cette position est restée inébranlable dans l’Inde bien qu’il y ait eu des accommodements dans l’obligation d’éteindre les dettes.
11Les hindous des Établissements, qui ont eu connaissance de la possibilité de renonciation offerte par le code civil par une simple déclaration au greffe avec l’assistance d’un avocat, ont eu recours à ce moyen pour échapper aux dettes du père. Le comité consultatif de jurisprudence indienne a émis l’avis suivant en la matière :
« Attendu que les malabars renoncent à la succession de leur père depuis quelque temps, en cette ville, bien qu’il n’y ait pas de textes dans les livres de droit Dharmasastra qui se trouvent présentement ici, qui disent que le fils peut renoncer à la succession du père.
Le comité est d’avis :
Le fils peut renoncer à la succession du père. »5
12Cependant, la cour de Pondichéry, constatant qu’une telle possibilité n’existait pas en droit hindou, avait d’abord refusé aux hindous le droit de renoncer à la succession du père. Mais le comité est revenu sur la ce point. Profitant de la question posée par le procureur général sur les matières où le droit français pourrait être déclaré applicable aux Indiens, le comité, dans son avis du 22 mars 1853, mentionne la renonciation à la succession comme une de ces matières. Compte tenu de ce vœu, la Cour d’appel, dans trois décisions de plus en plus fortement motivées des 27 mai 1862, 16 avril et 16 juillet 1867, a reconnu la validité de la renonciation. Elle a essayé également de prendre appui sur les enseignements des spécialistes anglais de droit hindou, qui n’ont cependant pas été retenus par les cours anglaises6. En fait, les juges indiens qui sont venus servir ici après le transfert ont été scandalisés par les demandes de renonciation à la succession par les hindous.
13On saisit là sur le vif un procédé utilisé pour la modification du droit hindou. Les parties qui ont connaissance d’une disposition du code civil qui les intéresse, soit par l’entourage soit par un avocat ou notaire, commencent à s’en prévaloir sans aucune inhibition ; le comité consultatif de jurisprudence indienne s’y montre favorable ; cette disposition devient loi de la localité quand les cours entérinent le choix effectué.
C. Droits de la veuve
14Les juges français aussi bien que les juges anglais ont eu de la peine à saisir exactement la portée des droits de la veuve en droit hindou. Les cours anglaises ont décidé au milieu du XIXe siècle que les veuves étaient héritières du mari et avaient un droit de propriété absolue sur les biens recueillis. Après un examen plus approfondi de la question, la cour de Madras a décidé en 1865 que, sur la succession du mari décédé intestat sans postérité masculine, la veuve n’avait qu’un droit viager et limité. Et sa jurisprudence n’a pas varié depuis. La Cour d’appel de Pondichéry adopta le premier point de vue dans un arrêt de 1851 ; elle opta pour le deuxième point de vue dans un arrêt du 4 septembre 1869, mais revint au premier point de vue dans deux arrêts du 18 juillet 1874 et 18 juillet 1876 ; elle retourna au deuxième point de vue dans son arrêt du 16 janvier 1917 abondamment motivé pour justifier le revirement. Depuis, cette jurisprudence conforme à celle de la cour de Madras n’a pas varié.7 Le dernier motif de l’arrêt mérite d’être reproduit car il indique bien la démarche d’esprit des tribunaux français :
« Mais attendu que si la jurisprudence locale doit être prise en considération quand elle consacre, dans l’intérêt bien compris des justiciables, une évolution raisonnable et conforme à l’esprit de nos institutions, il ne saurait en être de même lorsque la règle dont cette jurisprudence impose l’application aux indigènes, même pendant plusieurs années, et contre laquelle ils ne cessent de s’insurger de diverses manières, ne s’accorde ni avec les dispositions de nos lois, ni avec le véritable statut hindou que nous avons promis de respecter »
15Ainsi donc pendant tout un siècle les tribunaux français s’étaient écartés des dispositions du droit hindou en la matière non délibérément mais par une mauvaise compréhension de ce droit. Il est intéressant de constater que pendant cette période la cour de Madras a entériné l’erreur de la cour de Pondichéry ; elle a en effet décidé qu’en ce qui concerne une veuve originaire de Pondichéry les biens hérités de son mari lui appartenaient en toute propriété selon la loi coutumière de l’Inde française si les parties n’avaient pas adopté le système en vigueur parmi les hindous de l’Inde anglaise.8
III. Divergence avec la jurisprudence anglaise
A. Réserve
16Alors que, dans la précédente question, la Cour d’appel de Pondichéry s’est ralliée en fin de compte à l’opinion des cours britanniques, elle a conservé une position différente dans certaines matières importantes. En effet, les cours de l’Inde britannique s’étaient trompées sur la portée des textes sacrés hindous, elles avaient cru qu’ils constituaient le droit positif des hindous, alors qu’ils n’étaient que des normes que les hindous des castes élevées devaient s’efforcer de suivre dans la mesure du possible. Quand elles se sont aperçu de leur erreur, il était trop tard ; des décisions des cours supérieures ont été rendues sur la base de ces principes et ces décisions constituaient des précédents à suivre. La Cour d’appel de Pondichéry n’avait pas la même obligation. Après avoir suivi pendant un certain temps les auteurs anglais, la Cour s’est donné comme règle d’appliquer les coutumes telles qu’elles étaient en vogue parmi la population. En fait, l’arrêté du 6 janvier 1819 avait vu juste en se référant, non au droit hindou ou musulman, mais aux coutumes de castes. Le magistrat français qui a beaucoup œuvré pour le retour aux coutumes est Léon Sorg. Dans son manuel de droit hindou et autres écrits, il a montré que dans le pays tamoul la coutume était la loi fondamentale. Il s’est basé sur le Thesavalamai, recueil de coutumes des Tamouls de Ceylan que les Hollandais avait recueillies et publiées, et aussi sur les avis du comité consultatif de jurisprudence indienne qu’il avait pris soin de recueillir et de publier. Aussi, la jurisprudence de la Cour d’appel de Pondichéry se trouve-t-elle en désaccord sur bien des points avec le droit hindou tel qu’il s’est cristallisé dans le reste de l’Inde. On va donner ci-après quelques exemples.
17La position ferme et constante prise par les tribunaux anglais est que la réserve héréditaire n’existe pas en droit hindou sur les biens acquis par le de cujus. Les magistrats français qui ont fait des manuels de droit hindou ont opiné en sens inverse. Gibelin, le premier des auteurs de manuels, s’étonne que Colebrooke et Macnaghten aient déclaré que le père de famille avait le pouvoir absolu et illimité de disposer de ses biens. Après avoir passé en revue divers textes du Dharamasastra sur la question, Gibelin arrive à la conclusion que le père de famille a le droit de procéder à des actes de libéralité mais seulement après avoir assuré la satisfaction des besoins de sa famille selon son statut, et que cette obligation s’étend à l’ensemble de ses biens. Les auteurs français qui ont suivi reconnaissent tous l’existence d’une réserve en droit hindou avec des variations sur les détails.
18Cependant, les cours voulaient chaque fois bien s’en assurer. La preuve : le comité consultatif de jurisprudence indienne a été saisi à neuf reprises sur cette question ! Bien qu’il y ait des légères variations, le comité a été toujours d’avis que, selon la coutume qui prévalait à Pondichéry, il existait une sorte de réserve. Les tribunaux ont, de façon constante, permis aux héritiers d’attaquer les actes de libéralités des parents, sielles avaient pour effet de les priver de façon notable de leurs droits successoraux.
19Quant aux héritiers pouvant prétendre à la réserve, bien que la veuve, les ascendants et la fille (en tant qu’héritière du père en l’absence de fils) aient été reconnus sporadiquement comme y ayant droit, les seuls héritiers reconnus de façon constante comme réservataires sont les fils quant à la succession du père et les filles quant à la succession de la mère.
20Il y eut beaucoup de variations quant à la quotité de la réserve. Gibelin, qui a consulté plusieurs textes, en est venu à la conclusion que la quotité devrait être laissée à l’appréciation du juge, qui doit prendre en considération toutes les circonstances, ce qui est tout à fait dans l’esprit du droit hindou. Ses successeurs étaient partisans d’une quotité fixe applicable à tous les cas. Laude hésitait entre la quotité fixée par le code civil et celle du droit romain figurant dans les Nouvelles de Justinien. En effet cet auteur voyait dans les dispositions du droit hindou en la matière une parenté avec celles du droit romain (querela inofficiosi testamenti). D’après la 18e Nouvelle, la réserve est de 1/3 quand il y a 4 enfants ou moins et la moitié en cas de plus de 4 enfants. C’est moins que le code civil, qui prévoit la moitié en cas d’enfant unique, les 2/3 en cas de deux enfants et les 3/4 en cas de 3 enfants et plus. Il est à remarquer que les fractions de réserve en droit romain correspondent davantage aux situations de familles nombreuses comme dans l’Inde à cette époque. Sorg affirme que, selon la coutume locale, la réserve est de 7/8, Sanner préconise l’adoption pure et simple de la quotité prescrite par le code civil.
21Le comité consultatif de jurisprudence indienne était embarrassé pour dire la coutume en la matière. Il avait plusieurs fois opiné que cela dépendait des circonstances. Mais, pressé de dire exactement le montant, il l’a fixé aux 7/8. La jurisprudence en la matière a été flottante durant toute l’époque française, sauf vers la fin où elle avait tendance à se rallier à l’opinion de Sanner. Les juges indiens venus après le transfert trouvaient que Sanner francisait trop le droit hindou ; ils ont opté pour les 7/8 conformément à l’opinion du comité consultatif ; le texte de Brihaspathi qui indiquait cette quotité et qui a été cité par le comité a pesé sur leur décision.
22Dans le vaste ensemble de textes anciens, on trouve nécessairement des variations selon l’époque et la région. Chacun met l’accent sur une considération ou sur une autre, telles que l’importance des biens, leur nature, l’existence des biens ancestraux sur lesquels les pouvoirs du chef de famille sont restreints, le degré de parenté du de cujus avec les membres survivants de la famille, les besoins de ces derniers, etc. Même Brihaspathi a commencé par déclarer comme principe général que le surplus de ce qui est nécessaire à l’entretien de la famille pouvait être donné ; c’est à titre d’exemple qu’il a fixé la réserve à 7/8 et cela seulement quant aux biens immobiliers d’habitation et de production. Dans l’ancien temps, les juges décidaient en équité chaque cas en tenant compte de toutes les circonstances portées à leur connaissance. Ils pouvaient même arriver à la conclusion que la réserve était nulle dans certains cas. Les juges modernes, avec leur obsession de règles fixes, ont voulu fixer une quotité applicable à tous les cas. C’est conforme à leur manière de travailler ; de plus il était difficile à un juge français travaillant conformément au code de procédure civile, avec l’écran des avocats, sans contact avec les parties, de connaître les circonstances de chaque cas.
23Que sur la question de l’existence même de la réserve, les juristes anglais et français soient parvenus à des conclusions diamétralement opposées montre simplement qu’ils ont chacun retenu et privilégié les textes qui correspondaient à leur propres conceptions et préférences. En effet, le principe de réserve est l’un de ceux qui sont solidement enracinés en France ; il a été consacré par le Code civil et maintenu intact par la jurisprudence. De l’autre côté de la Manche, bien qu’il y ait une sorte de réserve en ce qui concerne les meubles en Écosse, bien que la réserve ait été en vogue également en Angleterre dans les temps anciens, cette institution y était inconnue au moment où ce pays a entrepris de gouverner l’Inde et s’est attribué la tâche d’appliquer le droit hindou. Ainsi, la réserve conçue à la française est devenue une notion familière pour les hindous de Pondichéry et le droit de disposition absolue est devenu un principe bien ancré dans le reste de l’Inde, alors que la véritable position du droit hindou dans ce domaine était plutôt nuancée.9
B. Famille indivise
24La commuauté de biens des membres mâles d’une famille est une institution originale du droit hindou. Elle est caractérisée par la communauté de patrimoine, de résidence, de repas et de culte. Font partie de la communauté un ancêtre commun et tous ses descendants mâles en vie sur trois générations. La mort de l’ancêtre commun ne met pas nécessairement fin à la communauté, mais le rattachement à un ancêtre commun est indispensable, on ne peut pas former une communauté par le seul consentement des parties. Le patrimoine étant commun, les gains de tous les membres rentrent dans le patrimoine de la communauté et les dépenses de chacun sont imputables à ce patrimoine. L’administration du patrimoine est entre les mains du chef de la famille qui est en général l’ancêtre commun ou un autre membre, le plus âgé de la famille, à moins qu’il n’ait abdiqué en faveur du suivant.
25L’appartenance à la communauté commence à la naissance et prend fin à la mort de ceux qui ont vocation de faire partie de la communauté. La part de chacun dans le patrimoine varie avec toutes ces entrées et sorties. Pour qu’une communauté commence, il est nécessaire que l’aïeul commun ait reçu des biens de ses ascendants, ces biens s’appelant le noyau initial. La communauté prend fin par le partage. Chaque membre a le droit de demander à tout moment le partage du patrimoine et se retirer de la communauté avec sa part. La communauté étant la norme, il y a une présomption en sa faveur entre les membres d’une famille. Voilà en résumé les traits généraux de cette institution du droit hindou telle qu’elle est encore pratiquée dans l’Inde avec quelques modifications législatives.
26Comme les principes qui sous-tendent l’institution avaient été un peu ébranlés par les conditions de la vie moderne et que les liens familiaux s’étaient un peu distendus, il y avait des litiges relatifs à la communauté qui parvenaient jusqu’aux tribunaux français. Ceux-ci ne dominaient pas très bien le droit très élaboré de la communauté de biens. Le chef du service judiciaire a imaginé de réduire le « champ de la chicane » en réformant la communauté hindoue. Ses propositions, qui ont pris la forme d’un arrêté du gouverneur le 28 novembre 1838, tendaient pratiquement à supprimer l’institution. La population hindoue, d’habitude assez docile, se rebella et se plaignit au ministre qu’il y avait eu violation de l’engagement de respecter les us et coutumes. Le ministère des colonies releva des irrégularités de forme, l’absence de l’information au ministère par le gouverneur sur la réforme, la futilité de la mesure et surtout l’inconvénient grave de toucher à la législation civile des indigènes ; aussi invita-t-il le gouverneur par dépêche du 21 février 1840 à abroger l’arrêté. C’est une indication que la population se soumettait aux modifications de ses coutumes mais qu’il y avait un seuil de tolérance à ne pas dépasser.
27Les tribunaux se sont dès lors résignés à appliquer le droit de la communauté hindoue, qui leur était devenue accessible avec la parution de manuels anglais et français. Ils ont fait un pas de plus : restant à l’écoute du comité consultatif de jurisprudence indienne, ils ont discerné une autre forme de communauté de patrimoine plus réduite, en vogue dans le territoire de Pondichéry, auquel ils ont donné le nom de « propriété familiale ». Quand les fils vivent sous le même toit que le père qui ne fait pas partie d’une communauté pour une raison ou une autre, il se constitue une propriété familiale. Celle-ci se compose des biens ancestraux, des acquêts du père et des acquêts du fils. Les tribunaux ont constaté que la propriété familiale obéissait à des règles précises. Elles ressemblent un peu à celles de la communauté, mais le nombre de personnes concernées est beaucoup plus restreint.
28Le père a la libre disposition des biens ancestraux et de ses acquêts, sauf aux fils d’exercer le droit de réserve après le décès du père pour la réduction de ces dispositions. En ce qui concerne les acquêts des fils, ils sont présumés avoir été acquis avec les biens de la propriété familiale dont ils font partie, sauf preuve contraire. S’il s’agit des biens reçus à titre gratuit par le fils, la preuve est aisée puisqu’elle résulte en général de l’acte de libéralité lui-même. S’il s’agit en revanche d’un acte à titre onéreux, pour combattre la présomption de propriété familiale, il faut établir non seulement que l’acquisition a été faite avec les ressources propres au fils mais aussi qu’elles n’ont jamais été confondues avec le patrimoine de la famille. Quant à une dette, si elle a été contractée par le fils seul sans le concours du père, le créancier n’a d’action que sur les biens reconnus propres au fils. Pour pouvoir saisir les biens de la propriété familiale il faut prouver que la dette a été contractée dans l’intérêt de la famille toute entière. La preuve sera aisée si elle résulte de l’emploi des deniers empruntés ; autrement la preuve sera difficile à administrer. Les prêteurs éventuels doivent donc faire attention aux fils prodigues ; ils ne doivent pas se laisser illusionner par la fortune de la famille.
29Quand le père meurt laissant des biens, il se forme entre les fils une communauté de biens, sauf cas de séparation, auquel cas chaque fils deviendra avec ses propres fils le chef d’une nouvelle propriété familiale. Cette institution parallèle à la communauté n’a pas été reconnue par les tribunaux anglais, qui s’en sont tenus aux textes. Elle constitue une particularité du droit hindou pondichérien due à l’approche des tribunaux français, qui ont privilégié les coutumes en vogue plutôt que de s’en tenir aux textes.
IV. Mesures de réforme
A. Prête nom
30Parallèlement à ce travail en profondeur par la Cour sur le droit de la famille, l’Administration de son côté s’est attaquée à certaines pratiques considérées comme néfastes pour la société et contraires aux principes fondamentaux du droit français ; elle a essayé de les éliminer par une réglementation appropriée.
31La première de ces pratiques est celle du prête-nom qui était fort répandue dans le pays. Souvent, le mari achetait au nom de la femme pour éviter que la propriété ne rentre dans la communauté hindoue. Le prête-nom était aussi utilisé pour que la propriété ne rentre pas dans son patrimoine et échappe ainsi aux actes de saisie par les créanciers. L’usage répandu du prête-nom donnait lieu à bien des procès de la part de ceux dont les intérêts étaient atteints. Pour remédier à la situation, le gouverneur édicta un arrêté de règlement le 18 novembre 1769 pour interdire le prête nom.
32Ci-après l’article 5 du réglement portant cette interdiction :
« Tous Malabars, Maures, et autres Indiens feront passer en leur nom propre, les actes, contrats d’hypothèque, de vente, d’achat d’immeubles, et autres qui auront lieu entre eux, par devant le tabellion de la chaudrie seulement, leur étant défendu d’interposer le nom de leur maître ou autre tierce personne, sous peine, contre les contrevenants, d’amende et même de plus grande punition suivant l’exigence des cas. »
33Cette disposition a été reprise dans l’article 1er du titre IV du règlement du 25 janvier 1778.
B. Prêt d’argent
34Le même règlement de 1769 dans son article 12 cherche à ressusciter une pratique locale qui était tombée en désuétude, toujours avec la préoccupation de réduire le nombre de procès par des mesures préventives. Il s’agit de la forme de l’acte de prêt d’argent connu sous le nom de Pacha-reddi-pattiram, signifiant littéralement « acte effectué par le concours de cinq reddis » (caste télougoue). Cette pratique a été peut-être introduite par les reddis et adoptée par les autres communautés. Voici le texte du règlement :
« Le conseil sachant que la loi tamoule appelée Panchareddipattirame, a été ici en vigueur avec succès et que depuis qu’elle est négligée et pour ainsi dire abandonnée, il en naissait des abus qui étaient la source de mille procès entre Malabars, ordonne que désormais tous les Malabars, Chrétiens et gentils qui se feront des olles ou billets entre eux pour argent prêté, pratique la loi panchareddipattiram, ainsi qu’il a été anciennement, c’est à dire que le prêteur et l’emprunteur signent les olles et billets, qu’ils passent entre eux pour tous prêts quelconques et avec eux les deux témoins qui sont présents et celui qui écrit l’olle ou le billet. »
35Le règlement défend aussi à tous, y compris les Européens, d’accepter le transport des billets ou obligations malabars s’ils ne sont à ordre, à moins que la partie n’y ait consenti par devant le tabellion ou en présence du lieutenant civil. Ces deux dispositions sont réitérées dans le règlement du 27 janvier 1778.
36L’emprunt d’argent est un mal chronique dans tous les pays. Il résulte soit du dénuement des gens soit de leur incapacité à gérer leur budget soit des deux. Quand ils empruntent, ils ne se demandent jamais s’ils seront en mesure de rembourser. Ils sont prêts à accepter n’importe quel taux d’intérêt, qui est en général à tant par mois et même par jour. Ils acceptent même que le prêteur déduise du montant prêté les intérêts pour la période de prêt convenu. Impuissant à réduire le phénomène lui-même, le gouvernement français est intervenu constamment pour éviter les contestations. Le dernier acte du gouvernement français est l’arrêté le 7 novembre 1936 prescrivant que les actes sous seings privés constatant des prêts d’argent seront soumis à la signature du président du tribunal du lieu. Le seul effet de l’arrêté est que, faute de se soumettre à cette formalité, le créancier ne pouvait pas saisir le tribunal en cas de non paiement. Les prêts avec taux d’intérêts usuraires n’ont pas cessé pour autant.
C. Louage de service à perpétuité
37Le mal de surendettement a donné lieu à l’émergence d’une forme de contrat de travail à durée illimitée. L’origine de cette institution est le plus souvent une petite dette grossie par les intérêts exorbitants qu’on n’arrive pas à éteindre. Alors on s’engage à servir, en principe, le temps d’éteindre la dette. La pratique semble très ancienne, car on en trouve une référence dans une œuvre poétique du 12e siècle, de façon naturelle comme s’il s’agissait d’une pratique bien établie.10
38Les intérêts et les salaires sont calculés par le patron de telle façon que la dette n’est jamais éteinte. Le débiteur, ainsi que sa famille, se trouve engagés de génération en génération à un patron qui en général prend en charge toutes leurs dépenses y compris celles des cérémonies familiales. Arrive un moment où les parties en présence oublient l’origine de leur liens et les trouvent naturels. C’est une situation proche du servage dans ses effets. On la trouve encore présente de nos jours, surtout dans les carrières de granit, travail pénible pour lequel le recrutement est difficile. Auparavant, le phénomène était très fréquent dans le domaine agricole. Il persiste encore ici et là, pour des travaux saisonniers ; les personnes engagées sont emmenées parfois très loin, hors des frontières de leur État.
39L’administration française a constaté au milieu du XIXe siècle que, dans la dépendance de Karikal, de tels liens de dépendance étaient en existence. Elle les trouvait incompatibles avec le principe de la liberté individuelle tel qu’il est écrit dans les lois et les institutions françaises notamment l’article 1780 du code civil ; mais l’administration était consciente que les intérêts de l’agriculture pourraient être profondément atteints si l’on bouleversait le système en existence. Le gouverneur préféra en informer le ministère et solliciter ses instructions. Celui-ci, par dépêche du 16 juillet 1844, prescrivit à l’administration locale d’appliquer intégralement les principes du droit français relatifs aux contrats de louage de service. Pour résoudre le problème, l’administration locale prit d’abord un arrêté le 27 avril 1854 dont l’article 1er prescrit que la population agricole de Karikal ne peut être soumise à aucune obligation, ni revendiquer aucun droit qui ne résultent des lois, arrêtés ou règlements en vigueur dans les Établissements français dans l’Inde, sauf dérogations expresses. L’article 2 prévoit que, toutefois, les contrats existants sont et demeurent maintenus. L’article 3 renvoie pour les détails à un règlement particulier. Après ce coup de sonde, l’administration sortit le règlement le 23 septembre de la même année.
40D’après ce règlement, à l’avenir, l’engagement de travail à titre de panéal (littéralement « homme de la ferme ») doit, pour être valable, avoir été librement consenti et ne doit pas dépasser cinq ans. Le contrat liant le panéal et le propriétaire de la ferme sera reçu par l’agent domanial de la circonscription sur un registre à souches en présence de deux témoins. Un tel contrat prend fin à l’expiration du terme convenu, même si le panéal ne s’est pas libéré de sa dette, ou à la mort du panéal ou par sa libération par le maître. L’engagement de travail souscrit par le panéal au propriétaire ne peut être transporté.
41Quant aux contrats en cours, il est vrai que l’arrêté les avait maintenus. Par le biais du règlement d’application qui avait suivi, l’administration a modifié ou supprimé toutes les clauses illégales. Le panéal n’est responsable pour l’exécution des obligations respectives du panéal et du propriétaire que dans la limite de 48 francs (70 roupies) et encore à condition que le propriétaire soit porteur d’un contrat écrit. Le reliquat dû ne pourra être recouvré que comme une simple dette rentrant dans le régime du droit commun. Si aucun terme n’est prévu dans les contrats en cours, ils arriveront à expiration dans le délai d’un an. Les contestations entre panéals et propriétaires seront décidées en dernier ressort par deux arbitres choisis par les parties et un tiers arbitre choisi par l’autorité domaniale.
42On voit que l’administration française s’est d’abord équipée d’une parfaite connaissance de l’institution, de ses fondements et conséquences. Après, elle a fait preuve de détermination et de souplesse pour faire respecter les règles du code civil tout en ne perturbant pas brusquement l’ordre établi. Cette réglementation est un chef d’œuvre dans le genre. Elle est également intéressante par les détails minutieux relatifs au travail agricole et les tarifs de rémunération pratiqués à cette époque. Le règlement ne contient pas moins de 34 articles. Chose curieuse, sur cette question épineuse, le législateur n’est jamais revenu. On a l’impression qu’il a réussi le tour de force de résoudre le problème d’un seul trait de plume.11
43La réglementation de 1854 avait calmé la conscience de l’administration française et lui donnait les moyens d’intervenir en cas de besoin, mais ne dérangeait pas outre mesure ni le patron ni l’ouvrier. Elle a dû avoir un effet adoucissant. Mais l’institution n’a pas disparu immédiatement, car le décret du 12 mars 1880 instituant les municipalités déclare non éligibles les domestiques attachés à la personne. Une telle disposition ne se retrouve pas dans les textes subséquents relatifs aux conseils électifs. La loi du 11 avril 1946, applicable à tous les territoires d’outre-mer, interdit de façon absolue le travail forcé et prévoit des mesures correctionnelles. On n’éprouva pas le besoin de prendre de telles mesures. L’institution a dû s’estomper lentement avec l’expansion de l’instruction, le suffrage universel, la pénétration des idées modernes et l’action administrative dans divers domaines.
44Quand le gouvernement de l’Inde s’est saisi du problème après l’indépendance, il a fait voter le Bonded Labour System (Abolition) Act, 1976. Il avait donné l’ordre à tous les États de libérer toutes les personnes assujetties. A cette occasion, l’administrateur de Karikal, dans une allocution radiodiffusée le 12 octobre 1983, a affirmé qu’il n’y avait pas ce genre de lien de dépendance à Karikal.
45Faute de pouvoir remplacer totalement le droit de l’Inde par le droit français, juges et administrateurs ont, par divers moyens, modifié le droit du pays. Cette opération n’a pas soulevé des protestations sauf dans un ou deux cas où, par excès de zèle, les dirigeants ont voulu aller trop loin trop vite. Les règlements pour éliminer certaines pratiques jugées pernicieuses n’ont pas tous été couronnés de succès
Notes de bas de page
1 David Annoussamy, Le droit indien en marche, Société de législation comparée, Paris 2001, p. 59.
2 L. de Langlard, Leçons de droit hindou, Imprimerie Rattinamoudaliar, Pondichéry, 1884, p. 4.
3 C. S. Nataraja Pillai vs. C. S. Subburaya Chettiar, A.I.R. (37) 1950 Privy council 34, 22.
4 Arrêt de la cour d’appel de Pondichéry du 17 septembre 1864, L. de Langlard, ouvrage cité, p. 101.
5 Avis du comité consultatif de jurisprudence indienne, publiés par Léon Sorg, 1896, No 49 du 16 août 1835.
6 L. de Langlard, ouvrage cité, pp. 279-285.
7 J. Sanner, Le droit civil applicable aux hindous, 2e édition, 1935, Imprimerie de Sri Aurobindo Ashram, Pondichéry, pp. 231-241.
8 Mailataha anni vs. Subburaya modaliar - Indian law reports - Vol. XXIV, Madras series, p. 650.
9 “Legitim in French Law and its extension to Hindus”, Indian Law Institute Journal, 1978, Vol. 20 (4), p. 535.
10 Siva plaideur, Le Trait d’Union, Vol. XXXIV, No VII, Juin 1983.
11 « Le travail forcé dans l’Inde », Le Trait d’Union, Vol XL, No VI, Avril 1984.
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