Section du yoga
p. 355-381
Texte intégral
1V. 1. Je tourne ma pensée vers ce suprême domaine du Seigneur Tout-Puissant d’où procèdent l’omniscience et l’universelle activité ainsi que la suprême illumination, vers ce lieu de la paix et de l’inconditionné que les paroles de Vāgīśvarī elle-même n’atteignent pas.
2On aborde maintenant la Section du yoga. “Seule l’initiation libère de ce lien démesuré, obstacle à la condition suprême, et élève au séjour de Śiva”, c’est en ces termes que la Révélation désigne l’initiation comme la cause unique de l’accès à l’isolement spirituel absolu. Or, sous aucune de ses formes, elle ne peut être conférée sans une connaissance capable de déterminer la nature propre du Seigneur, du lien, de l’âme liée, une connaissance qui indique l’extension de toutes les voies, qui révèle la gloire des Mantra, Mantreśvara etc. La Section de la Doctrine qui, avec ses subdivisions, produit cette connaissance, a été ainsi présentée la première et consacrée à déterminer la nature propre du Seigneur, du lien et de l’âme liée. Elle a été suivie de la Section du Rituel consacrée à exposer les dispositions des divers types d’initiation avec leurs annexes. On introduit maintenant la Section du yoga qui procure la connaissance du yoga avec ses diverses branches, contrôle du souffle etc. L’idée est que les “fils spirituels” (putra) et les sādhaka1 auront beau être informés des Sections du Rituel et du Comportement, ils ne connaîtront pas l'ātman, et par suite ne seront pas à même de satisfaire à leurs obligations particulières, telles qu’on les leur prescrit, s’ils ne pratiquent pas la concentration mentale etc.
3Le rapport (de cette Section) avec la triple matière du traité, à savoir le lien, l’âme liée et le Seigneur, est établi par le fait que son intention propre est de faire apparaître la forme propre du Seigneur chez des âmes en qui déjà s’est amenuisé le lien. Son utilité a été par là-même indiquée. Au niveau du sūtra la liaison s’opère avec le sūtra commençant par : “Le Maître du monde...”. Celle au niveau de la phrase explicative s’opère avec des phrases comme : “dans les Sections du Comportement, du yoga et du Rituel on exposera la répartition...”. Celle au niveau de la Section s’opère en considérant que cette Section du yoga est nécessairement utile tant au simple adepte de la doctrine qu’au “fils spirituel” et au maître qui ont reçu la consécration (abhiṣeka). La liaison au niveau du chapitre est indirectement indiquée à la fin du chapitre précédent par les mots : “en faveur auprès des dieux et des meilleurs yogin”.
Ā. 1. Ceux qui ne possèdent pas l’ātman ne peuvent que très difficilement assurer leur fonction. Réalisant cela, les maîtres spirituels et d’autres, pleins d’ambition, se doivent de faire effort pour posséder l'ātman.
4V. Ceux qui “possèdent” l'ātman sont ceux qui le connaissent. Disciplinés, ils se réjouissent dans l'ātman auquel ils s’identifient directement. Le suffixe possessif (dans ātmavān) marque une association constante. Maîtres, fils spirituels, simples adeptes et sādhaka ont à considérer qu’ils ne pourront que très difficilement assumer leurs tâches propres tant qu’ils n’auront pas atteint cet état (la possession de l'ātman)2. Aussi tous, à commencer par les maîtres, désireux qu’ils sont d’accéder à des niveaux supérieurs, se doivent de “faire effort”, de s’exercer dans ce but. L’optatif a ici valeur de prescription.
5Mais, enfin, qu’est-ce que cette “possession de l'ātman” ? On répond :
Ā. 2. C’est la condition de yogin qui est possession de l’ātman. Elle est obtenue par celui qui dompte ses sens. Cela se réalise progressivement en contrôlant progressivement le souffle.
6V. Est “yogin” celui qui s’unit (yujyate) à la manifestation de sa forme propre caractérisée comme “état de Śiva”. Cette condition de yogin ne va pas sans la possession de l'ātman. Le terme “yoga” vient de la racine YUJ au sens d’“attelage” et non au sens de “concentration mentale”, car cette dernière est considérée comme un des articles du yoga. Elle est obtenue par celui “qui dompte ses sens” : en effet, celui qui n’a pas maîtrisé l’ensemble de ses sens ne saurait accomplir une œuvre quelconque, a fortiori atteindre la condition de yogin. On a dit : “Que le sage fasse effort pour discipliner les sens qui se dispersent vers les objets attirants, comme le cocher (discipline) les chevaux”. Au contraire, celui qui a vaincu ses sens ne tarde pas à accéder à ce qui est sa forme propre. Sanaka a dit : “Après avoir subjugué les sens, leurs objets, les éléments subtils et le manas, toute formation mentale disparue, on se dissout dans le suprême ātman”. Mais comment dompter les sens ? On répond : “Cela se réalise progressivement... etc.”.
7Cette mise au pas des sens s’opère “progressivement”, peu à peu, par la pratique des sept articles du yoga, contrôle du souffle etc., tels qu’on les caractérisera plus loin. Le second “progressivement” porte sur l’objet même des exercices : le contrôle du souffle et les autres (exercices) doivent être pratiqués de telle sorte qu’on les renforce peu à peu, selon la technique indiquée plus loin. En effet, chez ceux qui s’exercent avec trop d’ardeur, apparaissent des troubles qui font obstacle au yoga, tels que flatulence, dilatation de la rate, constipation, asthme. On décrit maintenant le yoga et ses articles :
Ā. 3. Discipline du souffle, rétraction (des sens), fixation, méditation et examen, prière marmonnée, concentration mentale, tels sont les articles ; le yoga ainsi articulé forme lui-même le huitième article.3
8V. Sept articles sont constitués par la discipline du souffle etc. Mais le yoga doit lui-même être considéré comme un article.
9On aborde maintenant la définition de chacun de ces articles, discipline du souffle etc. :
Ā. 4. Le souffle est le vent décrit plus haut. Sa discipline est sa conduite forcée. Elle consiste dans l’inspiration et l’expiration (dirigées) ainsi que dans le blocage. Elle chasse les défauts du jugement (kratu).
10V. Le vent a été décrit dans la Section de la Doctrine. Bien qu’unique il comporte cinq variétés, air inhalé, exhalé etc., en fonction des variétés du souffle et de ses fonctions. Ce vent est “conduit de force”, c’est-à-dire chassé vers l’extérieur, indépendamment de son mouvement naturel, puis, pareillement, entraîné vers l’intérieur Le “blocage” est la rétention, la cessation de l’inspiration et de l’expiration. Cette conduite forcée des divers souffles constitue la discipline du souffle. Le terme “jugement” désigne ici les sens ou bien la fonction de synthèse mentale (saṃkalpa). La (discipline du souffle) en “chasse les défauts”, les fait cesser. Ces défauts conduisent à ne pas faire ce qui est prescrit et à faire ce qui est défendu. C’est ainsi qu’il a été dit : “De même que dans des minéraux en fusion les impuretés sont consumées, de même, par le contrôle du souffle, s’évanouissent les défauts qui affectent les sens.”4 On définit maintenant la rétraction (des sens) :
Ā. 5. Ensuite, lorsqu’ils viennent à goûter une parcelle de jouissance, l’esprit engagé (dans cette expérience) doit être rétracté. Il s’agit d’un détournement total.
11V. “Ensuite”, après s’être entraîné à la discipline du souffle, on doit pratiquer la rétraction. Comment se définit-elle ? Lorsque l’esprit est “engagé dans une parcelle de jouissance”, adonné à un fragment de jouissance provenant d’un objet avec lequel “ils”, les sens, sont en rapport, sa rétraction doit s’opérer par rapport à tous les objets des sens. Qu’advient-il à celui qui se conforme à cette prescription ? On répond :
Ā. 6. Grâce à cela la pensée de l’esprit, par la cessation de tout contact avec les objets des sens, devient apte à se fixer sur tout domaine élu par son désir.
12V. Grâce à “cela”, la discipline du souffle, l’esprit est coupé de tout contact avec les objets des sens. Cette “cessation”, cette suspension de ses propres opérations rend la pensée capable, comme on le montrera plus loin, de se fixer sur tout domaine élu par son désir. La “pensée” (mati) ne désigne pas ici l’intellect (buddhi) mais cette activité de l’esprit qu’on appelle “synthèse mentale” (samkalpa). En effet, c’est seulement de l’esprit qu’on dit qu’il se fixe. Patañjali déclare : “La fixation, c’est le fait de lier l’esprit à un endroit (déterminé)” et aussi : “Le manas devient apte à diverses fixations”.5 On définit la méditation :
Ā. 7a. La pensée portant (exclusivement) sur une chose est la méditation. On l'a indiqué de place en place.
13V. La méditation consiste, pour l’esprit déjà discipliné par la fixation, à se représenter cette forme (de Śiva) qui comporte trois yeux, cinq visages etc. Cela a été “indiqué”, énoncé de place en place en diverses occasions, ainsi : “Avec les quatre lotus formés par ses visages qui ont (respectivement) la couleur de l’or, des abeilles, de la neige, du sang..”.6
14On définit maintenant la concentration mentale :
Ā. 7b. En parvenant à l'identification elle prend le nom de “concentration mentale”.
15V. “Elle”, la méditation, lorsqu’elle accède à l’“identification”, lorsqu’elle ne fait plus que refléter son objet, est appelée “concentration mentale” dans les traités. C’est ainsi que Patañjali a déclaré : “C’est cette même (méditation) qui, devenue pur reflet de son objet et comme dépouillée de sa forme propre, constitue la concentration mentale”.7
16On définit la prière marmonnée :
Ā. 8a. La prière marmonnée — ô ascète — est une parole qui sert à se rendre présent l’objet de la méditation.
17V. On a défini la prière marmonnée comme la répétition de ce type de Mantra mental appelé “murmuré”, intérieurement récité et dont la faible résonance n’est perçue que de vous seul, joint à celui qui est exprimé et audible (pour tous), cela en vue de propitier l’objet de la méditation.
18On définit maintenant l’examen :
Ā. 8b. L’examen est une enquête qui succède immédiatement à un doute portant sur une chose.
19V. Dans la Section de la Doctrine on a dit : “La pensée des hommes, à la recherche d’une conclusion, erre en aveugle. Dans la mesure où elle accomplit cela elle s’appelle “souffle”. Là le vent était appelé “souffle” : grâce à sa subtilité il “repousse” (nudan) les objets. De même, dans le Svāyambhuva : “l’examen procède en repoussant”.8 Cet examen, consistant en une enquête, “succède immédiatement à”, est directement issu du doute produit par une insatisfaction relative à une chose que l’on a obtenue en accédant à un niveau d’expérience supérieur.
20Mais dans quelles activités cet examen s’avère-t-il utile pour le yogin ? On répond :
Ā. 9. Lorsqu’il connaît, grâce à l’existence de cette enquête, ce qui est à éviter et ce qui est à rechercher, ainsi que les facteurs positifs, négatifs et autres...
21V. L’“existence”, c’est la présence de cet examen. De par l’ordre (de la phrase) elle joue ici le rôle de cause. “Lorsque” a le sens de “parce que”. Grâce à cet examen, qui reflète toutes les choses qui se produisent telles qu’elles sont, le yogin connaît ce qui est à éviter et aussi ce qui tend à faciliter l’obtention de ces choses (indésirables), ce qui tend à s’y opposer, et enfin “ce qui facilite ce qui s’y oppose” à la fois. De même, dans l’ordre des choses à rechercher, il connaît ces trois ordres de facteurs. Il s’agit donc là d’un très noble article du yoga. Il est dit dans le vénérable Mālinīvijaya : “Bien que tous les articles du yoga soient sur le même plan, la discussion est l’article suprême, car elle examine ce qui est à éviter etc.9...”. De même (lit-on) dans le vénérable Svāyambhuva : “Que le yogin examine grâce à elle tout ce qui, de nombreuses manières, favorise ou fait obstacle aux réalisations yoguiques générales ou particulières”.
22Après avoir énoncé les articles du yoga on indique maintenant quels bénéfices on en retire :
Ā. 10. Chez le yogin qui s’est exercé dans tous ces articles, ou dans certains en particulier, resplendissent des pouvoirs qui pénètrent toutes choses, comme les rayons du soleil.
11. Splendide comme il est, aucun homme ne lui commande. Les Rākṣasa, les Dānava, les descendants de Manu sont éclipsés par sa connaissance, son activité, ses forces vitales, son éclat.
23V. Chez le yogin qui s’est exercé dans ces articles du yoga, discipline du souffle etc., soit dans toutes soit seulement dans certaines, tous les pouvoirs “resplendissent”, brillent, pénétrant toutes choses à la manière des rayons du soleil. Le sens est que, dans toutes ses activités, son pouvoir ne se heurte à aucun obstacle. Lui qui brille ainsi d’un éclat prodigieux ne se laisse subjuguer par aucun des Rākṣasa, des Dānava, des trente (dieux) ou des descendants de Manu. C’est qu’il est dans une situation où l’excellence de ses connaissances, de ses capacités d’action, de ses forces vitales et de son éclat lui permet de surpasser les Dānava etc. Le qualificatif “splendide comme il est” indique ici la cause (de sa supériorité).
24Ici l’ascète pose une question :
Ā. 12. La conduite forcée du souffle est cause de la répression du manas, car les deux sont en contact ; de cette répression procèdent fixation et autres (pratiques). La conduite forcée du souffle est ainsi le fondement de tout (le reste).
13. Expose-moi en détail — ô toi le meilleur des dieux — tous les autres moyens gui concourent moins directement10 à la réalisation des fins du yoga !
25V. En fonction du contact entre le manas et les objets des sens, la “répression”, la cessation des fonctions du manas, est produite par les exercices de contrôle du souffle. C’est en disciplinant le souffle que l’on soumet le manas. Détourner ainsi le manas des objets des sens débouche sur la fixation etc. La cause de cette cause, à savoir la conduite forcée du souffle, est ainsi le fondement de tous les autres articles, fixation etc. Cela fera l’objet d’un exposé détaillé. Quant au reste, tout ce qui sert de condition médiate à la réalisation des fin du yoga, par exemple une nourriture adéquate, mesurée et digeste, ou le fait de séjourner dans un lieu propice, ou encore la propreté, l’ascète demande au tout-puissant maître des dieux de le lui exposer.
26Et voici la réponse :
Ā. 14. Il n'est pas possible de faire un exposé détaillé, si on veut éviter que le Précepte tombe dans la prolixité. Néanmoins, comme toute question doit recevoir une réponse, on indiquera ici (ces moyens).
27V. Le Traité, en tant qu’il indique les préceptes (vidhi), peut être appelé luimême, par extension, “Précepte”. Mais, si on exposait en détail tout ce qui pourrait l’être, on tomberait dans une excessive prolixité. C’est pourquoi il n’est pas possible d’exposer ici en détail tout ce qu’il y aurait à dire sur le sujet. Les auditeurs, en effet, craignent à juste titre la prolixité. Cependant, comme la question doit nécessairement recevoir une réponse, on donnera ici une “indication”, une description sommaire de l’ensemble des prescriptions.
28On commence par présenter brièvement la pureté qui figure parmi les articles (secondaires) :
Ā. 15. Après avoir selon la règle évacué les excréments et autres impuretés, on devra nettoyer la verge, l'anus, la main gauche, (puis) les deux mains avec une, cinq, sept et dix poignées de terre respectivement.
16. Le double pour celui qui a fait un vœu. Après avoir bu trois fois de l’eau, on devra se rincer deux fois (la bouche), se purifier deux ou trois fois les lèvres et procéder à des attouchements sur les orifices, les bras, la région du nombril et celle du cœur, la tête.11
29V. On procède à l’évacuation des excréments et de l’urine “selon la règle”, c’est-à-dire en respectant les prescriptions communes à tous les traités. C’est ainsi qu’il est dit dans Vāsiṣṭha : “La tête voilée, après avoir recouvert le sol d’herbes impropres au sacrifice, on évacuera l’urine et les excréments. Le jour on sera tourné vers le Nord, la nuit vers le Sud”. Ensuite on doit nettoyer le pénis, l’anus, la main gauche, les deux mains avec une, cinq, sept et dix poignées de terre respectivement. “Le double pour celui qui a fait un vœu” : on indiquera dans la Section de la Conduite que chacun des quatre types d’adeptes comporte la distinction de ceux qui ont fait un vœu et des autres. On a ici les règles de pureté prévues pour ceux qui n’ont pas fait de vœu. Celui qui en a fait un accomplit les mêmes rites mais deux fois. Ensuite, après avoir “bu” deux fois de l’eau, après avoir procédé au rite d'ācamana, on se rince deux fois la bouche et l’on touche les “orifices”, c’est-à-dire ceux des sens, ainsi que les bras, les régions du nombril et du cœur, la tête. On devra se laver les lèvres à deux ou trois reprises.
30Immédiatement après...
Ā. 17. (Le yogin), rendu bien portant grâce à une nourriture appropriée et digeste, s’installera dans une posture favorable, à l’intérieur d’une maison enclose d’une triple muraille ou dans tout autre lieu propice, par exemple une forêt.
18. Il saluera le Grand Seigneur, Umā, Skanda et Gaṇapati.
Ensuite, en maintenant bien droits le cou, la tête et la poitrine, il fera converger vers la pointe du nez le regard de ses deux yeux.
19. Maintenant les testicules entre les deux talons, évitant de serrer les dents, bien installé, le corps ferme, appliquant la langue contre l’extrémité des dents,
20a. il évacuera l’air, de toute sa force, par une seule narine.
31V. Celui qui absorbe une nourriture “appropriée”, qui ne pèse pas, qui se prête à la digestion, se porte bien, grâce à l’équilibre ainsi maintenu entre les constituants de son organisme. Il se tiendra à l’intérieur d’une maison silencieuse parce qu’entourée d’une triple muraille, ou encore dans une forêt, sur une montagne, dans une caverne, dans tout lieu propice où il se sentira bien. Il sera installé confortablement sur un siège, chaise ou table recouverte d’une étoffe ou d’une peau d’antilope noire etc. Cela peut vouloir dire encore qu’il se tiendra à l’aise dans l’une de ces postures de yoga décrites dans d’autres traités, telles celles du lotus, de la svastika, de la demi-lune etc. Une fois entraîné, ces postures lui procurent fermeté et bien-être. Il fera face au Nord et rendra hommage au suprême Seigneur, à la Déesse, à Guha et à Ganesa. Il tiendra très droits la tête, le cou et la poitrine et gardera le regard fixé sur l’extrémité de son nez. Il maintiendra un intervalle entre les rangées de dents inférieure et supérieure. Il veillera à ne pas provoquer, par le choc de l’air dans son mouvement ascendant, de pression des talons sur les testicules. Sans courber le corps, maintenant la langue contre l’extrémité des dents, il devra de toutes ses forces expulser par la narine droite l’air situé à l’intérieur du corps, cela afin de purifier les conduits du corps.
Ā. 20b-21a. Telle est l'expiration forcée. En s’y exerçant on acquiert progressivement le pouvoir de percer et de faire éclater même des objets très éloignés.
32V. Le yogin qui s’exerce à pratiquer cette expiration forcée ainsi définie acquiert peu à peu le pouvoir de transpercer et de mettre en pièces des objets, même situés à grande distance : il les détruit sans avoir besoin de flèche pour cela.
33On définit maintenant l’inspiration forcée :
Ā. 21b-22a. L’inspiration forcée consiste à se remplir le corps, à la limite de ses forces, avec de l’air extérieur. Celui qui s’y exerce parvient à déplacer même des objets très lourds.
34V. Le remplissage violent du corps, dans la mesure de ses forces, avec de l’air extérieur constitue l’inspiration forcée. Celui qui s’y est exercé déplace aisément même une chose très lourde, comme par exemple un rocher.
35On décrit la rétention du souffle :
À. 22b-23a. Le blocage de l’inspiration et de l’expiration s’appelle la rétention. En s’y exerçant, on permet à la “puissance de blocage” de se manifester sans obstacle.
36V. En s’abstenant aussi bien de vider que de remplir (les poumons), on bloque l’air qui se trouve à l’intérieur, et c’est la rétention. Chez celui qui s’exerce à cela, la puissance de blocage s’avère capable, ne rencontrant plus aucun obstacle, de clouer sur place tout ce que l’on veut.
Ā. 23b-24a. Sachant que (cet air) circule sur les voies de la lune, du soleil et du Seigneur12 et connaissant ses propriétés, le yogin réalise ce qu’il veut.
37V. Connaissant comme étant en son pouvoir, grâce à son entraînement, la circulation de cet air, le yogin réfléchit à celle (de ses variétés) circulant dans les conduits médian, gauche et droit, qui s’adapte le mieux au but qu’il vise. Pour tel genre d’activité l’air circulant dans le conduit gauche conviendra le mieux, pour telle autre activité ce sera l’air du conduit médian, pour telle autre encore l’air du conduit “lunaire” sera le meilleur. Par cette réflexion le yogin obtient ce qu’il désire.
38Ainsi...
Ā. 24b-25a. En vue de sa propre prospérité et pour triompher de la mort etc. il pratiquera la rétention et l'expiration forcée de Pair circulant sur la voie de la lune. Pour le bénéfice d’autrui, (seule) l'expiration forcée sera pratiquée.
25b-26a. S’il s’agit de consumer sans feu, de faire se dessécher un arbre, d’anéantir ses graines, de provoquer la paralysie ou la folie, d’activer un poison, on pratiquera l’expiration forcée de l’air “solaire”.
26b-27a. Dans la méditation, l’hommage rituel, la prière marmonnée, et aussi à l’article de la mort, rétention et expiration forcée de l’air circulant dans le conduit de Śiva s’imposent. Il en va de même s’il s’agit de la cérémonie de l’initiation ou de l’installation (des dieux).
39V. S’il s’agit pour le yogin de réaliser “sa propre prospérité”, c’est-à-dire d’accroître son bien-être, ou s’il désire “triompher de la mort”, c’est-à-dire tromper le destin, il devra pratiquer la rétention et l’expiration forcée de l’air circulant dans le conduit gauche. Le terme “etc.” fait référence au succès des rites propitiatoires13 et autres. Mais si c’est d’autrui qu’il s’agit d’assurer la prospérité etc., il pratiquera (seulement) l’expiration forcée de l’air du conduit de gauche. Mais si les actions que l’on désire accomplir consistent à consumer sans feu, à faire se dessécher un arbre ou à le rendre stérile, à provoquer la paralysie ou la folie, à activer un poison, on devra pratiquer l’expiration forcée de l’air qui circule sur la voie du soleil. Il s’agit (dans le dernier cas)14 de faire croître, de renforcer un poison ou une flamme d’abord insignifiants.
40Quant aux actions de méditer, de rendre hommage, de marmonner une prière, elles mettent en jeu l’air circulant dans le canal médian, la suṣumnā ; il en va de même pour la mort (volontaire). C’est encore sur cet air circulant dans le canal médian qu’il conviendra de pratiquer rétension et expiration forcée, lors des cérémonies de l’initiation et de l’installation (des dieux). Par “installation” il faut entendre leur établissement (rituel).
41On énonce maintenant les règles qui déterminent la durée de ces exercices d’expiration forcée etc. :
Ā. 27b-28a. Les (exercices) bref, moyen et prolongé durent des multiples successifs de douze tāla. Le tāla équivaut à douze fois le temps mis à faire le tour du genou.
42V. La mesure de temps appelée “tāla” se compose de douze fois le temps nécessaire pour que la main fasse le tour du genou. Les exercices de discipline du souffle de durée “brève” s’étendent sur douze tāla, ceux de durée “moyenne” sur vingt-quatre tāla, les exercices “prolongés” sur quarante-huit tāla. Il est dit dans le vénérable Sarvajñānottara : “La discipline du souffle dure douze tāla quand elle est brève, vingt-quatre quand elle est moyenne, quarante-huit quand elle est longue”.
43On décrit maintenant la discipline du souffle en tant que totalité déterminée des exercices d’inspiration, d’expiration et de rétention :
Ā. 28b-29a. Celui qui s'accompagne de méditation et de prières marmonnées est dit “prégnant” (sagarbha), l’autre est non-prégnant. Celui qui est prégnant favorise la stabilité du manas ; il n'en va pas de même pour l'autre.
44V. L’exercice de discipline du souffle qui comporte méditation et prières marmonnées est connu sous le nom de “prégnant”. Celui qui ne les comporte pas est “non-prégnant”15. Etant donné que c’est la forme “prégnante” qui favorise la stabilité du manas, c’est elle qu’on doit s’efforcer de pratiquer ; tel est le sens.
Ā. 29b. Pratiquée le matin, elle détruit le mal de la nuit. Le soir, (elle détruit le mal) de la journée.
45V. Cette discipline du souffle prégnante détruit, lorsqu’elle est pratiquée le matin, le mal accompli pendant la nuit. Pratiquée le soir, elle détruit (le mal) accompli pendant la journée.
46Mais, puisque la forme non-prégnante de discipline du souffle ne fait rien, à quoi bon s’en préoccuper ?
47On répond :
À. 30a. Celle qui est non-prégnante, aussi, supprime la mobilité des sens (toujours) en mouvement.
48V. Cette forme de discipline du souffle, lorsqu’elle pratiquée régulièrement, supprime la “mobilité”, l’impétuosité des sens et du manas qui, sous l’empire de la nescience sans commencement, se précipitent vers leurs objets. L’idée est qu’elle permet de dompter les sens.
49De plus...
Ā. 30b-31a. Il s’est baigné dans toutes les eaux sacrées, il a été initié selon tous les rites, il est une barque pour ses ancêtres, celui qui pratique avec constance la (discipline du souffle) prégnante.
50V. Celui qui, constamment en état de yoga, s’exerce à cette (discipline du souffle) prégnante, c’est-à-dire accompagnée de méditation et de prières marmonnées, obtient les mêmes fruits que celui qui se serait baigné dans toutes les eaux sacrées, aurait été initié selon tous les rites. Pour ses ancêtres il est une “barque”, un radeau qui leur fait franchir les flots de la transmigration. Grâce à lui, eux-aussi échappent à l’océan de la transmigration.
51On définit la prégnance :
Ā. 31b-32a. On devra méditer sur le Dieu placé à l’extrémité de la voie et murmurer Son nom sans cesse. Ou bien (l’on méditera) sur la terre et les autres principes qui sont fondés sur Sa nature.
52V. Le suprême Seigneur se tient, en tant qu’il préside à toutes choses, à l’extrémité (supérieure) de la voie. On méditera sur Lui, la réalité suprême au-delà de toutes les causes. On murmurera le Mantra qui L’exprime. Il convient de ne pas séparer, lors de ces exercices de discipline du souffle, le sens et la forme extérieure des mots. Ou bien, si l’on désire le fruit de la fixation, on devra méditer sur la terre et les autres (principes) en tant qu’ils reposent sur la forme propre du suprême Seigneur. En effet, le Tout-Puissant qui préside à toutes les formes d’existence, pensantes et non-pensantes, est présent partout et toujours.
53Mais quel intérêt y a-t-il à évoquer le Tout-Puissant dans le cadre d’une méditation portant sur la terre et les autres principes ?
54On répond :
Ā. 32b-33a. Aucun principe non-pensant ne présente, même établi, d’utilité. On devra donc méditer sur tout ce à quoi on aspire, en l’identifiant à la forme propre de Śiva.
55V. Toutes les choses du genre de la terre, étant par nature non-pensantes, ne peuvent être d’aucune utilité à celui qui s’efforce de méditer sur elles, si elles ne sont pas rattachées à la forme propre de Śiva 16. On devra donc, au cours de la méditation, considérer que toutes ces choses sont la forme même de Śiva. Que l’on pratique ce genre de méditation sur toute chose non-pensante que l’on désire !
56Et, puisqu’il en est ainsi...
Ā. 33b-34a. Pour la réussite de la fixation etc. et des manipulations de l’air, on s’adonnera, sans se décourager, à la rétention prégnante.
57V. Afin de faire réussir la fixation et les autres articles du yoga, ainsi que les manipulations du souffle, respiration forcée etc., telles qu’on les a précédemment décrites, on devra s’“adonner”, s’exercer sans défaillance à la rétention prégnante.
Ā. 34b-35a. Cet (exercice), lorsqu’il est pratiqué douze fois plus longtemps, l’esprit pacifié, prend le nom de “fixation”, car il procure les réalisations propres à la fixation.
58V. Cette rétention “prégnante”, lorsqu’elle est pratiquée douze fois plus longtemps, tout en réprimant les mouvements de l’esprit, acquiert la dénomination de “fixation”. Pourquoi ? Parce qu’elle “procure les réalisations propres à la fixation”, parce qu’elle conduit, ainsi pratiquée, aux réalisations qui dérivent de la fixation.
Ā. 35b. Le terme “fixation” fait référence à un emplacement (du corps) ; par extension, il peut faire référence à un séjour (extérieur).
36a. Pour le débutant il n’y a pas d’autre résidence possible que les (principes) comme la terre etc.
59V. Le terme “fixation” désigne le fait pour l’esprit de s’établir dans une région (du corps) déterminée, le cœur, la gorge etc. Par extension, on désignera de ce nom le domaine contrôlé par l’esprit ainsi établi.17 Pour le “débutant”, pour celui qui est désireux d’aborder ces exercices, la série des cinq principes commençant par la terre forme son terrain d’exercice, à l’exclusion des principes invisibles comme le mahat, l’ego etc. C’est seulement après s’être exercé dans les domaines perceptibles constitués par la terre etc. qu’il lui sera aisé de s’exercer aussi dans ceux-là. Telle est la progression indiquée par tous les traités de yoga.
60On indique maintenant les couleurs, formes, utilisations et signes distinctifs de ces (éléments) :
Ā. 36b-37a. Dans l’ordre des couleurs, ils sont respectivement d’or, de neige, de lumière, noir et transparent. Dans l’ordre des formes, ils présentent respectivement celle d’un quadrilatère, d’un demi-cercle, d’un triangle, d’un cercle, d’un lotus.
37b-38a. Ils servent respectivement à affermir, à rafraîchir, à brûler, à mouvoir, à faire le vide. Ils ont pour emblèmes respectifs le foudre, le lotus, la flamme, le point, le zéro.
61V. Ces cinq principes, la terre etc., sont respectivement de couleur jaune, blanche, éclatante, noire et transparente. Leurs formes respectives sont celles du quadrilatère, de la demi-lune, du triangle, du cercle, du lotus. Ayant pour emblèmes respectifs le foudre, le lotus, la flamme, le point, le zéro, ils sont là pour “affermir” etc., c’est-à-dire qu’ils sont des moyens d’obtenir ces (qualités).18
62Et ces (éléments)...
Ā. 38b-39a. Le yogin, après avoir évalué leur caractère utile, nuisible ou indifférent, pris ensemble ou séparément, les fera servir à obtenir ce qu’il désire.
63V. Le yogin, ayant réalisé le caractère favorable, défavorable ou neutre de ces effets, terre etc., se concentrera sur eux afin d’obtenir ce qu’il désire L’ascète, désireux de connaître la nature de la fixation ainsi que ses fruits, pose maintenant une question :
Ā. 39b-40a. Dis-moi — ô roi des dieux — dans quelle région (du corps) le sage doit-il se représenter les couleurs (des éléments) sur lesquels il fixe sa pensée, et quel est le fruit de ces fixations, prises ensemble ou séparément.
64V. “Ces couleurs (des éléments) sur lesquelles on fixe la pensée, et qui ont été désignées comme celles de l’or, de la neige, de la lumière etc., dans quelle région (du corps) celui qui en est averti doit-il se les représenter ? Dis-moi également — ô chef suprême des dieux — quel est le fruit de ces fixations, prises ensemble ou séparément”, telle est la question.
65Et voici la réponse :
Ā. 40b-41a. Lorsque son esprit est distrait, qu’il fixe mentalement l’élément terre dans le cœur, celui qui connaît son importance. Accablé par la soif, (qu’il fixe) l’élément eau dans la gorge. S’il digère difficilement, (qu’il fixe) le feu dans l’intestin.
41b-42a. Pour favoriser les fonctions des souffles, on doit fixer le vent dans le cœur, la gorge etc. Pour triompher des poisons etc., on doit fixer l'espace dans l’une de ces régions, {ou bien) là où il peut être utile.
66V. Lorsque son esprit est distrait, le yogin conscient de l’intérêt de cette pratique, doit fixer l’élément terre dans la région du cœur. On a dit, en effet, que cet élément était un facteur d’affermissement. Lorsqu’il est tourmenté par une soif inextinguible, il doit fixer l’élément eau dans la gorge. On a dit, en effet, que cet élément était un facteur de rafraîchissement. Pour attiser son feu digestif, quand il est languissant, il doit fixer l’élément feu dans l’intestin. Pour obtenir les fruits qui dépendent de la bonne marche des “fonctions du souffle” mentionnées plus haut, conduite forcée du souffle etc., il doit fixer l’air19 sur les endroits mentionnés plus haut, le cœur, la gorge etc. Celui qui désire triompher des poisons, de la folie, de l’ivresse, de la maladie, doit fixer l’espace sur l’un de ces emplacements. Ou bien il le fixera “là où il sera utile”, c’est-à-dire sur la partie du corps affectée par la maladie etc.
67Maintenant, afin d’expliquer les affinités, répulsions et indifférences réciproques de ces éléments, terre etc., on indique d’abord que l’espace leur est commun à tous :
Ā. 42-43. L'espace se trouve dans tous les êtres, Ayant reconnu que dans ces (trois) tétrades : (1) eau-air et feu-terre, (2) eau-feu et terre-air (3) eau-terre et feu-air, les couples d’éléments sont réciproquement (1) indifférents, (2) ennemis, (3) en amitié, le sage les mettra en œuvre pour obtenir ce qu’il désire.
68V. Tout d’abord l’espace, qui est pervasif, se trouve en toute chose et fait de la place pour toute chose, possède une affinité universelle. On trouve ensuite trois tétrades : eau-air et feu-terre etc. Il faut savoir que, dans ces tétrades, les éléments sont réciproquement indifférents dans la première, s’opposent deux à deux dans la seconde, et présentent une affinité réciproque dans la troisième. Ainsi, à l’intérieur de la première tétrade, l’eau et l’air d’une part, le feu et la terre d’autre part, ne sont ni amis ni ennemis mais indifférents l’un à l’autre. A l’intérieur de la seconde tétrade, l’eau et le feu d’une part, la terre et l’air d’autre part, sont “ennemis”, opposés, parce qu’ils se supplantent réciproquement. Dans la troisième tétrade, l’eau et la terre d’une part, l’air et le feu d’autre part, sont “en amitié”, car ils se fortifient mutuellement. Ayant “reconnu”, réalisé cela, le “sage”, le & yogin les mettra en œuvre en fonction des circonstances, à titre de moyens d’agir ou d’empêcher, pour obtenir ce qu'il désire.
69On a déclaré dans la Section de la Doctrine, au chapitre sur les conceptions et à propos des variétés de l’air telles que les souffles etc.. Dans un autre chapitre le maître enseignera les lieux (du corps) où ces souffles peuvent être contrôlés par la fixation et quels fruits on en retire”. C’est pourquoi l'ascète demande maintenant à connaître ces emplacements ainsi que les fixations20 et les fruits correspondants :
Ā. 44. Quels sont, dans ce misérable corps, les emplacements de ces fonctions des souffles etc., et qu’advient-il si on réussit à les contrôler ? Dis-nous tout cela, ô toi le meilleur des dieux !
70V. “Quels sont les emplacements où s’effectuent les fonctions, conduction, excrétion etc., des souffles général, descendant etc. et où peuvent-elles être contrôlées ? A supposer qu’elles le soient à l’intérieur de ce misérable corps (śārīraka), quel bénéfice en retirera-t-on ? Que le tout-puissant Indra nous dise cela !”, telle est la question. Le suffixe ka (dans śārīraka) fait référence à la non-pervasivité, à la petitesse, au caractère méprisable de ce corps façonné par le Soi pervasif.
71Et voici la réponse :
Ā. 45. Par la fixation, le yogin contrôle ces fonctions, conduction etc., et cela au niveau du cœur, du nombril, de la poitrine21, de la gorge, du dos.
72V. Le yogin contrôle les fonctions des divers souffles, conduction etc., en fixant l’air, déjà décrit comme revêtant les formes du souffle général etc., en cinq endroits différents, depuis le cœur jusqu’à la région dorsale.
Ā. 46. Une fois la conduction contrôlée, il ne porte son propre corps qu’aussi longtemps qu’il le veut bien. Une fois l’excrétion contrôlée, il mange mais n’évacue pas.
47. Une fois l’expiration contrôlée, il acquiert des qualités telles que la maîtrise de la parole. Par le contrôle de la fonction du souffle digestif il devient libre d’échapper à la vieillesse.
48. Une fois le “ploiement” (vinamana) contrôlé, il circule à son gré à l'intérieur de son propre corps. La boue, l’eau et les épines n'adhèrent pas à lui. Il possède une force merveilleuse et indestructible.
73V. Une fois que le yogin a contrôlé la fonction du souffle appelée “conduction”, il (ne) soutient son propre corps (qu’)aussi longtemps que cela lui plaît22. La formule : “Sa fonction, nommée “conduction” est ce qu’on appelle la vie” désignait la conduction comme l’essence même de la vie. Mais lorsque la fonction du souffle descendant, appelée “excrétion”, est maîtrisée, le yogin n’a plus son corps souillé par ce qu’il mange. La nourriture et la boisson qu’il absorbe ne se transforment plus en excréments et en urine, mais seulement dans les sucs et constituants solides de son corps. Aussi est-il exempt d’excréments et autres souillures. Dès qu’il s’est assuré le contrôle de l’expiration, fonction du souffle ascendant, il acquiert des qualités de parole telles que des dons oratoires ou poétiques extraordinaires. Celui qui contrôle la fonction du souffle digestif acquiert un corps qui supporte tout, est exempt de vieillir et reste toujours soumis à sa volonté. Celui qui contrôle le “ploiement”, fonction du souffle circulant, se promène à sa guise à l’intérieur de son propre corps. Il est capable de faire rentrer ou sortir l’air par la fissure crânienne ou l’orifice de l’oreille.. De même, la boue, l’eau, les épines etc., lorsqu’elles entrent en contact avec son corps, n’y adhèrent pas. Une force invincible se manifeste en lui On revient maintenant, après avoir répondu à une question incidente, au sujet principal :
Ā. 49. Faite de douze fixations, la méditation procure la manifestation d’une lumière merveilleuse. Douze (méditations) constituent la concentration mentale qui procure l'atomicité etc.
74V. On a déjà dit que la fixation se composait de douze rétentions “prégnantes”. Il faut savoir que douze fixations constituent la méditation. Celle-ci procure “la manifestation d’une lumière merveilleuse”, c’est-à-dire la révélation d’une lumière transcendante23. Tel est le fruit obtenu par celui qui s’y exerce. Douze méditations constituent la concentration mentale. Celle-ci procure des realisations merveilleuses, telles que l’atomicité etc. A celui qui cultive ce genre de concentration sont révélés ces pouvoirs, atomicité etc.
Ā. 50. Celui qui, sans même recourir à la discipline du souffle, réside dans son propre esprit, se dominant lui-même, obtient immédiatement, grâce à cet exercice, les qualités en question.
75V. Le yogin qui, sans même recourir à la discipline du souffle, reste toujours maître de lui-même de la manière indiquée et se contente de réprimer ses fluctuations mentales, dans quelque direction qu’elles aillent, obtient immédiatement par cet exercice les qualités mentionnées plus haut, atomicité etc. ; de plus...
Ā. 51-52. Après avoir reconnu par soi-même que toutes choses dans l’ordre extérieur donnaient lieu, une fois atteintes par la méthode indiquée, à une manifestation de sa pensée coextensive à elles, on abandonnera toutes les catégories pour se consacrer au principe de Śiva.
76V. Tous les principes, depuis la terre jusqu’à Śiva, qui sont “atteints”, que le yogin fait siens grâce à la méthode indiquée, fixation etc., donnent lieu à une manifestation de sa propre pensée qui leur est coextensive. Ainsi les principes, comme la terre etc., sont référables chacun aux sept “porteurs de puissance” : Śiva, les grands Mantresvara, les Mantresvara, les Mantra, les (âmes) vijñānākala, pralayākala et sakala. En y ajoutant les sept puissances et la forme propre (du principe), on obtient quinze modalités. S’y ajoutent les (trois) états,“éveillé” etc. qui correspondent aux formes physiquement individualisées. C’est ainsi qu’il est dit dans le Mālinītantra : “Le principe de la terre se subdivise en puissances et en possesseurs de ces puissances. En y joignant sa forme propre, on obtient en tout quinze espèces. Toutes les âmes, à commencer par Śiva, sont considérées comme des possesseurs de puissance. Et les savants doivent également connaître leurs puissances. Ainsi ce vaste groupe de principes, qui (après la terre) va de l’eau jusqu’à la Nature originelle, comporte ces divisions”.24
77Le vénérable Kāmika déclare que, chez le yogin “embrassant” tout cela, une conscience de même extension apparaît. Il comprend que, dans cet état, toutes les choses extérieures entrent dans la sphère de sa pensée. Il doit alors abandonner tous les principes à partir de celui du Savoir, car cette pratique permet d’accéder au domaine de Śiva situé à la limite extrême de l’ensemble des voies, et “se consacrer au principe de Śiva”, ne plus résider qu’en Śiva. Si l’on adopte la leçon : “on abandonnera les catégories à rejeter (heyān au lieu de sarvān)”, le sens reste clair.
Ā. 53. La créature qui meurt en pratiquant les exercices de discipline du souffle etc. qui comportent (une adoration de) Śiva, atteint l'état de Śiva.
78V. Considérons comme acquise cette manifestation de la pensée comme coextensive (aux principes). Indépendamment même du mode de délivrance qui sera exposé plus loin, la créature qui meurt en pratiquant les exercices de discipline du souffle qui comportent méditation et prières marmonnées adressées au suprême Seigneur, se voit offert “l’état de Śiva”, c’est-à-dire la délivrance.
79Ici, l’ascète pose une question :
Ā. 54. La méditation ne peut jamais atteindre la forme suprême du Grand Seigneur. Celle qu'elle projette est trompeuse, car elle comporte une variété d'aspects. Comment donc l'esprit pourra-t-il se reposer en Lui ?
80V. Certes, le Tout-Puissant est essentiellement dépourvu de parties. Il n’a pas de forme perceptible, de sorte que sa nature ne se laisse pas saisir par la méditation. On a dit : “C’est seulement dans la mesure où Tu possèdes une forme visible qu’on peut T’approcher. L’intellect ne peut approcher une chose dépourvue de forme visible”. Or, ceux qui méditent projettent sur (le Seigneur) dépourvu de forme, absolument parlant, une certaine structure produite par leurs propres fluctuations mentales. C’est pourquoi cette forme projetée, blanche, jaune, rouge etc., les induit en erreur. Comment l’esprit pourra-t-il alors “se reposer”, se fixer sur le Seigneur ? Comment astreindre l’esprit, instable par nature, à se fixer sur une forme irréelle projetée par l’imagination ?
81Et voici maintenant la conclusion :
Ā. 55. Dans ce cas, les deux fixations sur les (principes) de la terre et de l'eau, toutes deux affectées de diversité, ne devraient pas être intégrées dans la méditation. On sait pourtant que des yogin sont parvenus, en s’y exerçant25, à certaines réalisations.
82V. Il est vrai que la nature du Tout-Puissant, qui est dépourvu de forme visible, est inaccessible à la méthode de méditation indiquée. Mais cette nature propre pourra être atteinte par la méthode enseignée pour “la méditation sans support”. Quant à dire : “La forme projetée est trompeuse, car elle comporte une variété d’aspects”, ce n’est pas légitime. On ne saurait considérer comme une construction imaginaire, car elle est absolument réelle, la méditation enseignée dans les Āgama. Si l’on vient à admettre que la mise en œuvre des diverses dispositions enseignées dans ces textes relève également d’une construction imaginaire, des choses comme l’initiation seront elles-aussi considérées comme dépourvues de vérité. Les Āgama seront alors inutiles et c’en sera fait d’eux !
83Admettons, d’autre part, que la méditation, de par la diversité qu’elle implique, ne soit pas capable d’atteindre son objet. Il existe pourtant deux fixations bien connues, sous les noms explicites de “terrestre” et d’“aqueuse”, de tous les traités généraux de yoga. L’une et l’autre comportent une représentation extérieure du suprême Seigneur. Or l’une (la “terrestre”) contient des couleurs variées, ainsi que l’emblème-foudre etc., et l’autre (l’“aqueuse”) la couleur blanche et l’emblème-lotus etc. Elles ne devraient donc pas non plus servir à aucune méditation. Mais il n’est pas possible de soutenir cette thèse. En effet, bien que ces deux fixations comportent une variété de formes, les yogin qui s’y exercent sont réputés en tirer de multiples réalisations. Cette notion d’un fruit des fixations, enseignée dans les Āgama et confirmée par l’expérience renouvelée des yogin, correspond donc bien à la vérité.
Ā. 56. Comment celui dont l’esprit est ravagé par les jouissances pourrait-il connaître le repos de l’esprit ? Ce n’est pas à des âmes passionnées que Śiva destine ce moyen de réalisation.
84V. — Ceux qui, au cours de milliers d’existences, ont laissé leur esprit se disperser dans la multitude des jouissances, comment pourraient-ils stabiliser complètement cette chose extrêmement mobile, en réprimer toutes les fluctuations ? On a dit : “Le manas est instable — ô Kṛṣṇa — emporté, puissant, tenace. Il me paraît aussi difficile à dompter que le vent”.26 De même : “On réprime plus facilement le déchaînement de l’océan, aux vagues soulevées par un vent furieux, que l’élan du manas vers ses objets”.
85— Cela n’est pas exact. Le suprême Seigneur n’a pas enseigné le moyen de réalisation appelé “yoga” en s’adressant à des créatures passionnées mais plutôt en s’adressant à celles chez qui les souillures formées par le désir des jouissances mondaines ont été balayées par le puissant torrent du dépassionnement. C’est à certaines âmes seulement, dégoûtées de longue date des jouissances du monde qui sont sans valeur, qu’est destiné (ce moyen). Et, déjà dans le domaine visible, rien n’est difficile à atteindre pour ceux qui font des efforts.
86Et par conséquent...
Ā. 57. Ceux qui se disciplinent et sont riches de leur entrainement au dépassionnement peuvent, de proche en proche, se rendre présent27 ce monde tout entier, a fortiori la forme variée (du Seigneur).
87V. Tous ceux qui se distinguent (śalante), qui brillent par leur manière de s’entraîner constamment au “dépassionnement”, à l’absence de désir, sont “riches” (śālinaḥ) de cet entraînement. Ils se “disciplinent”, s’apaisent par leur yoga. De tels yogin deviennent capables de “se rendre présent ce monde tout entier”, d’en faire l’objet de leur (activité de) fixation, dans son extension progressive. A fortiori, sont-ils en mesure de faire porter leur méditation sur la forme variée du suprême Seigneur.
88Après avoir ainsi exposé le yoga “avec support”, on introduit l’exposé sur le yoga supérieur, celui qui est “sans support” :
Ā. 58. Comment le yogin, qui a prise sur toutes choses, pourrait-il alors confiner dans un nombre déterminé de formes (le Seigneur), lequel en tous temps, en revêtant toutes les formes, vient en aide à tous les êtres ?
59. Construisant avec son propre esprit les lieux, formes et dimensions, on devra diriger sa méditation vers ce qui apaise l’esprit.
89V. On peut bien dire : “Le yogin, qui a prise sur toutes choses, devra méditer exclusivement sur cette forme du suprême Seigneur où il apparaît comme blanc, avec dix bras et cinq visages”, mais pourquoi se restreindrait-il à une forme ? L’idée est qu’il n’y a aucune raison de le faire. Il est, certes, inadéquat d’approcher méditativement le Tout-Puissant en Lui attribuant une couleur, une forme, un emplacement déterminé, alors qu’il se déploie dans l’immensité de sa gloire.
90C’est pourquoi le yogin, après avoir construit avec un esprit libre de fluctuations, à l’intérieur et à l’extérieur, les emplacements, couleurs, formes et dimensions, s’efforcera d’utiliser les moyens indiqués par son maître pour diriger sans relâche sa méditation sur tout objet, abstrait ou concret, dans lequel s’immobilise le psychisme. Et il est dit dans le Pārameśvara : “Il n’y a plus de sens, plus de manas, plus d’effort de la pensée ; je ne suis plus ni moi ni un autre. C’est la dissolution de l’esprit, ô Gaṇāmbikā, et cette destruction de l’esprit est l’obtention du bien suprême, telle est la vérité”.
Ā. 60. Grâce à cela, chez celui qui a triomphé des obstacles, apparaît une stabilité de l’esprit assortie de qualités éminentes, cela au fur et à mesure que se manifestent les formations mentales (saṃskāra) du yoga.
91V. Ce passage se rapporte à l’objection formulée plus haut : “Comment donc l’esprit pourra-t-il se reposer en Lui ?”. “Grâce à cela”, grâce au yoga décrit plus haut, le yogin obtient une “stabilité”, une extraordinaire immobilité de l’esprit : tout ce qui est forme étrangère vient reposer sur la forme propre (de sa pensée). De quelle nature est cette stabilité ? Elle est “assortie de qualités éminentes”, elle comporte les éminentes qualités, déjà mentionnées, d’atomicité etc. Selon quel processus cela se produit-il ? “Au fur et à mesure que se manifestent les formations mentales du yoga” : la stabilité de l’esprit se produit là où le yogin, libéré des obstacles, pratique couramment ce yoga, contrôle ainsi ses traces résiduelles et fait se révéler progressivement les formations mentales qui revêtent la forme (de ce yoga) ; tel est le sens.
Ā. 61. A celui qui assume ainsi totalement cette position, dont l'imagination ne construit aucune forme et qui ne pense à rien, se dévoile sa propre nature,
62. faite d'une vision et d’une opération portant sur toutes choses, bienheureuse, impérissable. Une fois qu’on l’a atteinte, on n’entre plus en rapport avec la douleur qui véhicule le malheur.
92V. Ainsi le yogin qui, sans construire de formes par l’imagination, s’est consacré à fond à cette méthode du yoga précédemment décrite, et “qui ne pense à rien”, parce que son esprit est dissous, voit se “dévoiler”, se manifester à l’intérieur de lui-même, lorsqu’il est aussi apaisé que la mer étale, sa propre nature infinie28. Le sens est qu’il s’identifie au jaillissement sans obstacle de sa nature propre. Quelle est cette nature qui se dévoile ainsi ? Elle est “faite d’une vision et d’une opération portant sur toutes choses”, elle est constituée par une connaissance et une activité s’étendant à tous les domaines. Elle est faite de félicité, cette nature de Śiva enseignée par les Āgama : “En Śiva, connaissance et activité ont été proclamées universelles, immaculées, suprêmes”. Du même ordre, propice à la joie, “impérissable”, c’est-à-dire indestructible, est cette nature qui se révèle au yogin qui s’exerce ainsi. En l’obtenant, “on n’entre plus en rapport avec”, on ne récolte plus cette douleur de la transmigration, celle de naître et de mourir, qui “véhicule le malheur” (aśivāvaham) en ce sens qu’elle amène (āvahati) le funeste (aśivam), le malheur C’est ainsi que le maître Avadhūta a déclaré : “De même que les minéraux transformés en or, grâce au mercure, ne reviennent pas (à leur ancien état), de même ceux que cette doctrine entraîne (vers la délivrance)”.
93Après cet éloge de la nature propre (du yogin), on indique maintenant que le caractère ésotérique (de la doctrine) impose de ne pas la révéler à tous :
Ā. 63. Ce secret des secrets, loué par les Siddha et les immortels, cette contemplation directe de Śiva, ce suprême moyen de purification,
64. ne doit pas être communiqué au disciple de fraîche date, à l’homme excessivement négligent ou irréfléchi, ou à celui qui ne pratique pas l’ascèse ou n’adore pas Śiva.
94V. Ce mystère entre tous les mystères est la source du bonheur suprême. Aussi est-il loué par les Siddha et les immortels. Révélant directement l’éclat du suprême Seigneur, il est le moyen de purification le plus éminent. C’est pourquoi il ne doit pas être communiqué “au disciple de fraîche date”, car on ignore encore, faute de l’avoir fréquenté assez longtemps, s’il possède la perfection de la dévotion, de la foi et du yoga. Il n’est pas destiné non plus “à l’homme excessivement négligent”, pas davantage a celui de peu de sagesse, car ces deux-là ne seront pas capables de le garder. Il n’est pas non plus pour “celui qui ne pratique pas l’ascèse”, qui ne s’impose pas certaines restrictions, ou pour celui qui n’adore pas le suprême Seigneur. Ces deux derniers, même s’ils sont exempts de légèreté d’esprit et de stupidité, sont disqualifiés, l’un par son manque d’ascèse, l’autre par son manque de dévotion.
95On doit comprendre ainsi que le fruit de la discipline du yoga consiste en jouissance et en délivrance. Un śloka résume cela, tout en se référant à la Section de la Conduite qui va suivre :
Ā. 65. Grâce à son entraînement à cela, (le yogin), illuminé par les flots de rayons des divines réalisations, séjourne à son gré dans les mondes de son désir. Quittant à un moment donné son corps exempt de flux, il ne réside plus qu’en lui-même, tout en ayant à sa portée l'accomplissement des merveilles29.
96V. “Cela” désigne le type de yoga dit “sans support”. L’“entraînement” est la pratique constante qui produit les soixante-quatre réalisations “divines”, supramondaines, telles que l’atomicité etc. Elles sont des “flots de rayons”, des courants de puissance qui font “briller”, qui illuminent (leur possesseur) car elles forment d’immenses masses de lumière éclatante. (Leyogin) “séjourne à son gré dans les mondes de son désir”, se prélasse un moment dans des mondes tels que le ciel etc. “Son corps exempt de flux...” : les sens, enclins à saisir les seuls objets extérieurs et rebelles à la perception du Soi intérieur, “s’écoulent” sans cesse vers l’extérieur et méritent ainsi le nom de “flux” ; le corps d’où ils ont disparu, en ce sens que l’abandon de toute fluctuation extravertie les maintient tous perpétuellement tournés vers l’intérieur, est “exempt de flux”. Bien que divin, il le “quitte”, l’abandonne à un moment quelconque, c’est-à-dire qu’il se retire (de l’existence). Comment est-il alors ? “Il a à sa portée l’accomplissement des merveilles”. Il s’agit ici de la quintuple opération, maintien (de l’univers) etc., merveilleuse au sens d’extraordinaire, de prodigieuse ; et cette opération est à sa portée. Bien que capable, à l’image du suprême Seigneur, d’accomplir la quintuple opération, maintien de l’univers etc., “il ne réside plus qu’en lui-même”, n’ayant plus rien à accomplir. Mais cela a déjà été expliqué, pour l’essentiel, dans la Section de la Doctrine.
97Une expression concise brille en pénétrant un vaste objet. Compte tenu de l’ordre de succession (des thèmes), elle ne comporte pas de répétition. Elle s’en tient au sujet, sans le déborder et sans rester en-deçà de ses limites. Ainsi s’impose le yoga, tel que l’enseigne avec ses articles le vénérable Mṛgendra.
Notes de bas de page
1 Le “fils spirituel” (putra) est — en gros — l’adepte qui a reçu la nirvāṇadīkṣā. Le sādhaka a reçu une onction spéciale (en plus de la dīkṣā modifiée à son intention) qui va l’orienter vers la pratique d’un certain Mantra et la recherche de pouvoirs supra-normaux. Sur tout ceci, voir H. Brunner, Le sādhaka..., op. cit., p. 411-416.
2 Derrière ces brèves indications de Nārāyaṇakaṇṭha se profile une importante et difficile question : dans quelle mesure les rites — dont l’exécution à chaque niveau qualifie pour le rang de “fils spirituel”, sādhaka etc. —se suffisent-ils à eux-mêmes ? Cette question se pose tout spécialement pour la nirvāṇadīkṣā dont le but avoué est bien de faire accéder l’adepte à la “possession de l'ātman”, à la récupération de son omniscience et de son omnipotence “natives”, semblables à celles de Śiva, une fois le karman et le mala supprimés. D’une part, il est clair qu’une certaine ascèse yoguique (au sens large) — mais aussi bien le respect des règles de comportement indiquées dans le caryāpāda — est requise pour l’accès à toute dīkṣā ; sinon, le rite ne porterait pas de fruit (cf., par exemple, SP III, p. 112n). D’autre part, on peut se demander si la nirvāṇadīkṣā — en tant que parcours de l’ensemble de la Voie jusqu’à Śiva — est autre chose que l’anticipation symbolique d’un processus qu’il faudra ensuite effectuer réellement, pas à pas, et justement par la voie du Yoga, faute de quoi elle demeurerait stérile. Voir à ce propos les remarques de H. Brunner, SP III, p. XII-XIII et le travail fondamental de G. Oberhammer, Strukturen..., op. cit., p. 62-71.
3 Par rapport à la liste classique des Yogasūtra manquent ici les yama et les niyama, “réfrènements et disciplines”. On peut estimer cependant que leur contenu se retrouve dans les règles du caryāpāda. Les “postures” (āsana) manquent également. En revanche, la “prière marmonnée” (japa) et l’“examen” (vīkṣaṇa) ne figurent pas dans la liste classique. Pour d’autres répartitions des aṅga dans les yogapāda des divers Āgama, voir N.R. Bhatt, Introduction au Raurava, vol. II, p. II.
4 Manusmṛti, VI 71.
5 Yogasūtra, III I et II 53 ; (D) est complètement corrompu ici.
6 Kriyāpāda, III, śl. 50, p. 36.
7 Yogasūtra, III 3.
8 Leçon de (C) : nudan ūhaḥ.
9 Mālinīvijayottara, adhikāra 17, śl. 8.
10 viprakṛṣṭam. G. Oberhammer, op. cit., p. 59, comprend : “qui ont été (jusqu’ici) laissés de côté”. Pour lui, à partir du śl. 15, commence un second exposé du Yoga, plus détaillé que le premier et parfois divergent par rapport à lui. Voir le “plan” de cette section, p. 60-62 (Oberhammer se réfère uniquement à l’édition du Cachemire).
11 Ces indications seraient tout aussi bien à leur place dans un kriyāpāda ou dans un manuel de rituel quotidien. On pourra les comparer à celles de la Somaśambhupaddhati I, p. 3-12. Le rite d'ācamana y est exposé de manière détaillée en I śl. 47-50 (p. 42-44).
12 Les trois “artères mystiques” connues de toute la littérature de Haṭhayoga : Iḍā, Piṅgalā et Suṣumnā.
13 Manque dans (D).
14 Assez curieusement, stobha, “paralysie”, d’abord inclus dans les effets de la “magie noire”, est ensuite expliqué comme un synonyme d’“activation” (uddīpti)..., à moins qu’il ne faille lire stoka, “petit” ? Dans l’une et l’autre édition, le texte de ce passage paraît peu sûr.
15 Cette distinction — développée dans les śloka suivants — pourrait peut-être s’interpréter ainsi : dans le type “non-prégnant” de discipline du souffle il n’y a ni visualisation de la forme divine, ni récitation de mantra. D’où son incapacité à “stabiliser” définitivement le manas en le fixant sur un contenu déterminé. Il ne pourrait que l’“apaiser”, en un sens très général (cf. G. Oberhammer, op. cit., p. 80).
16 Ceci doit sans doute être compris dans le sens le plus fort : “Si elles ne sont pas considérées comme faisant partie du corps même de Śiva.”
17 Le texte sanskrit de ces trois lignes manque dans (D).
18 En combinant ainsi forme, couleur, élément symbolique (par exemple, pour la Terre : jaune, quadrilatère, foudre), le yogin se construit une sorte d’échelle symbolique visuelle par le moyen de laquelle il va s’efforcer de s’élever méditativement vers les tattva invisibles. La connaissance d’une telle échelle, et des systèmes d’équivalences qui la rendent possible, est requise aussi bien pour la bhūtaśuddhi (cf. SP I, p. 120-126), la dīkṣā et même les rites funéraires (SP III, p. 584-588).
19 Et non pas “l’eau” comme l’indique, par erreur, (C).
20 Leçon de (C) : sadhāraṇam, meilleure que : sadhāraṇam, “commun”, leçon de (D) et variante de (C).
21 Leçon de (C) ; (D) a aṅga, “membres”, qui est très imprécis.
22 On a traduit cette expression en référence à la possibilité d’une maîtrise, par le yogin, de sa propre mort (de son moment comme de ses modalités), telle que le śl. 65 semble y faire allusion. Mais on peut le comprendre aussi, à la manière d’Oberhammer (op. cit., p. 77) comme la promesse d’une immortalité potentielle. En fait, les deux interprétations ne font que souligner l’une l’aspect négatif, l’autre l’aspect positif d’une seule et même idée.
23 Ceci n’est probablement pas à comprendre au sens d’une sensation extraordinaire de luminosité, ou de radiance, qui serait à mettre sur le même plan que les pouvoirs merveilleux indiqués au śloka précédent, mais plutôt au sens d’une progression décisive vers la manifestation intégrale de la citśakti, donc vers la “possession de l'ātman”, but de tout ce yoga.
24 Mālinīvijayottara, adhikāra II, śl. 2-4.
25 Version de (C) : abhyāsatas ; (D) : ābhāsatas, “apparemment” est très ambigu.
26 Bhagavadgītā, VI 34.
27 viṣayīkartum (C).
28 Sur cette seconde forme de méditation, voir les remarques de G. Oberhammer, op. cit., p. 124-128.
29 āścaryacaryādhivāsaḥ. Ceci paraît faire clairement allusion au statut du délivré qui, “devenu Śiva”, ne se tient pas moins à l’écart de la “quintuple opération” (cf. n. I du chap. II), et telle est bien l’interprétation de la vṛtti. Oberhammer, pourtant, op. cit., p. 72 sq., comprend tout autrement. Pour lui, adhivāsa (litt. : “le fait de séjourner auprès de...”) a ici le sens technique qu’il revêt dans le contexte du rituel où il désigne la “préparation” des instruments du culte, ou de l’adepte lui-même (dans le cas de la dīkṣā) par une sorte de veillée sainte dans le temple de Śiva (cf. SP II, p. 36, n. 1). D’autre part, tirant argument du fait que Nārāyaṇakaṇṭha lui-même trouve dans le śl. 65 une allusion à la “Section de la Conduite” qui va suivre, il prend caryā au sens de “conduite” et traduit en conséquence : “dûment préparé par une conduite sortant de l’ordinaire”. Ainsi apparaîtrait nettement la dépendance du Yoga par rapport à la Conduite, prise comme sa condition de possibilité. Cette interprétation séduisante, a tout de même quelque chose d’arbitraire. D’une part, le qualificatif “sortant de l’ordinaire” sonne étrangement, appliqué à la conduite du dévot śivaïte auquel on demande plutôt de satisfaire à certaines “normes”. D’autre part, il est avéré que les commentateurs indiens n’ont souvent besoin que d’un mot pour déceler aussitôt, dans un texte, une allusion au chapitre ou à la Section qui va suivre (cf. le sort fait au mot “kriyā” dans la présentation du dernier śloka de la Section de la Doctrine (śl. 199), p. 351).
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
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Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
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