Chapitre X. Kalā et les autres effets
p. 217-248
Texte intégral
1V. Après avoir établi, en s’appuyant sur le raisonnement et la Tradition, la catégorie du nœud, on entame un chapitre complémentaire destiné à en énoncer les effets, kalā etc. La quintuple liaison doit être opérée comme précédemment.
Ā. 1. Le nœud engendre successivement kalā, le Temps, le Savoir et la Passion, l’homme, la mère, les qualités, l’intelligence, l’orgueil, le manas, les sens, les éléments subtils et grossiers.
2V. A partir de la catégorie de la māyā sont d’abord manifestées, kalā et la Nécessité, toutes deux désignées ici par le terme “kalā”, le Temps, l’Esprit, c’est-à-dire le fondement de la notion d’Esprit qui est désigné ici par le terme “nṛ” (homme). Du principe de kalā proviennent le Savoir, la Passion et le non-manifesté, la Nature ou “non-manifesté” étant désignée ici par le terme “mère”. De cette dernière procèdent les qualités (guṇa), de celles-ci l’intelligence (buddhi), de celle-ci l’ego, de celui-ci sous sa forme lumineuse les sens de connaissance et le manas. De l’ego modifié procèdent les sens d’action, de l’ego appelé “Bhūtādi” procèdent les éléments subtils désignés par le terme “mātra” et, de ces derniers, les éléments grossiers. C’est dans cet ordre que procède la manifestation à partir du principe du nœud.
3D. On relie au contexte le nouveau chapitre : “Après avoir établi... etc.”. La liaison au niveau du chapitre a été indiquée à la fin du chapitre précédent par les mots : “De même les effets comme kalā etc...”. La liaison au niveau de la phrase explicative s’opère, par le simple fait qu’il s’agit ici de produits de la māyā, avec des phrases telles que : “La “couverture”, la force du Seigneur, le karman, les effets de la māyā... etc.”. Quant aux autres liaisons, ce sont les mêmes que celles qui ont été indiquées à la fin du chapitre précédent.
4Par les mots : “en énoncer les effets” on annonce l’émergence à partir du principe de la māyā des trente principes tels que kalā etc., ainsi que de la souillure inhérente à la condition d’Esprit (fini) appelée “principe de l’Esprit”. Par le terme “kalā” sont désignées en règle générale à la fois kalā et la Nécessité Et il s’agit ici de l’Esprit qui se trouve dans les mondes formés de kalā, de Nécessité etc. “C’est dans cet ordre... etc.” : selon le point de vue précédemment exposé de l’existence réelle des effets, on explique la production comme une manifestation.
Ā. 2. Ce qui est développé en vue de préparer des corps, immédiatement ou à partir d’un intermédiaire, comment et pour quelle raison (Ananta) met en œuvre ces principes, tout cela est exposé maintenant tel quel.
5V. Le Seigneur Ananta qui préside à la voie impure, développe à partir du principe du nœud des effets tels que kalā etc., en vue de procurer des corps aux âmes. Les principes du type de kalā sont développés “immédiatement”, sans intermédiaire ; les autres effets Savoir, Passion etc. le sont à partir d’un plan inférieur On indique maintenant à partir de quelle cause et par quel procédé il “met en œuvre”, c’est-à-dire attelle ces principes à l’œuvre de production des corps etc.
6D. Il convient, d’après le commentaire, de suppléer dans le sūtra commençant par : “Ce qui est produit...” un terme désignant un agent. Il est dit dans le Kirana : “Sur la voie pure, c’est Siva qui est réputé opérer ; sur la voie obscure, c’est le Seigneur Ananta”. “En vue de procurer... etc.” : en vue de procurer le corps subtil composé des trente principes. Il ne s’agit pas des corps grossiers produits par les régions cosmiques, car ceux-ci seront mentionnés dans le chapitre sur le monde. On déclarera : “Il existe ainsi pour la créature un corps subtil (descriptible) brièvement comme pensant parce que né d’un contact avec un principe conscient, et développé dans le sein de la maya. Jugeant que cela ne suffit pas, je décrirai une série de principes cosmiques destinés à la production des supports, des corps et des objets”. “Apartir de quelle cause...” : pour chacun de ces principes on indique la raison de sa manifestation. Le sens est qu’on ne se contente pas de s’appuyer sur la Tradition. Mais ce passage n’évoque pas la notion de cause matérielle qui a déjà été évoquée dans l’expression : “immédiatement ou plus tard.”
Ā. 3. La puissance active de l’âme est éternelle et omniprésente comme celle de Śiva. Etant recouverte par les ténèbres, elle n’apparaît pas telle par rapport aux objets, sans une aide.
4. Hara “secoue” la māyā et produit le principe appelé “kalā”, plein d’éclat, et qui vient en aide (à cette capacité) ; il est en effet l’élément déterminant de l’activité.
7V. Même si la puissance active de “l’âme”, du Soi, est éternelle et omniprésente comme celle de Śiva — car la Révélation nous apprend que dans la délivrance elle est telle — en face des tâches à accomplir une aide lui est nécessaire pour se manifester, recouverte comme elle est par la souillure sans commencement. C’est pourquoi le Seigneur Ananta, appelé “Hara” parce qu’il attire (harati) les âmes sur la voie inférieure en vue de l’expérience affective, après avoir “secoué” la māyā, après l’avoir fécondée, manifeste le principe appelé “kalā”. Ce principe “aide” cette capacité (de l’âme), la rend opératoire. Ce principe de kalā est l’élément déterminant de l’activité, ce qui rend l’âme propre à agir car elle n’agit que grâce à lui. (L’âme), si sa nature d’agent n’a pas été stimulée par ce principe, ne peut se mettre à agir. Et ce principe à la nature de l’éclat en en ce sens qu’en éclipsant la souillure originelle il rend l’âme partiellement lumineuse.
8D. D’abord, en vue d’établir le principe de kalā, on commente le sūtra qui commence par : “La puissance active...”.
9— Mais la capacité de l’Esprit, même si elle est entravée par le karman et la souillure, se réveillera au moment de la grande dissolution cosmique, par la Grâce de Śiva. Aussi, qu’a-t-on à faire d’un principe comme kalā ?
10— A cela on répond : “C’est pourquoi... etc.” : cette capacité ne procure l’expérience affective qu’en prenant appui sur un autre principe et non pas directement. S’il en allait autrement la conséquence serait la non-production de l’intelligence etc. On établit le principe de kalā en remarquant que l’Esprit est recouvert par la souillure, dont l’existence est établie, et donc incapable (par lui-même) d’éprouver le plaisir et la douleur, comme dans son isolement lors de la dissolution cosmique. Il faut donc qu’existe un principe qui écarte cet obstacle. “Ayant secoué la māyā... etc.” : comme le gonflement d’un germe, manifesté par sa propre chaleur, kalā est produit par la conjonction de la māyā et de la maturation du karman1. De même qu’en gardant l’association du grain et de son enveloppe on obtient (si on sème le grain) une pousse, de même kalā, principe non-pensant, est produit par l’association des objets d’une part, de la capacité d’être sujet jouissant de l’autre, (ces deux facteurs dérivant respectivement) de la māyā et du karman de l’Esprit.
11V. C’est cela même que l’on déclare :
Ā. 5. Grâce à (kalā) qui est comme une lampe, Il éclaire alors, après avoir percé d'épaisses ténèbres, une partie de l'âme dont la pensée est souillée.
12V. “Alors”, au moment où la māyā est prête à produire, le grand Seigneur mentionné plus haut écarte d’épaisses ténèbres à l’aide de ce principe appelé “kalā”. Celui-ci est “comme une lampe” en ce sens que, fait d’éclat lumineux, il procure un certain éclairement. Il révèle ainsi une partie du Soi dont la puissance de connaissance est extrêmement souillée ; du même coup, il renforce sa puissance d’action qui est, elle-aussi, limitée par la souillure.2
13D. — Mais, en écartant la souillure, (Ananta) révèle aussi bien la puissance de connaissance !
14— Certes, mais il n’y a pas ici de contradiction, car on indiquera que la puissance de connaissance ne se manifeste pas clairement, alors même que sa forme propre a été révélée, sans un instrument appelé “Savoir”.
15V. La Nécessité a été, par souci de concision, impliquée dans le terme “kalā”, à l’intérieur du sūtra qui donnait les indications préliminaires. On explique maintenant le terme “kalā” à la fois dans le sens de kalā (proprement dit) et dans le sens de “Nécessité” (niyati).
Ā. 6. La racine verbale KAL est employée dans le sens de “compter” et dans celui de “pousser”. Ainsi kalā (proprement dit) “pousse”, chasse les ténèbres.
16V. La racine verbale KAL a pour premier sens “compter” et pour deuxième sens “repousser, chasser”. Ici, le second sens est manifesté dans kalā (proprement dit) qui repousse, chasse “les ténèbres”, c’est-à-dire la souillure. Le premier sens est manifesté dans la Nécessité appelée aussi “kalā” parce qu’elle “compte”, délimite toutes les grandeurs.
17On énonce maintenant (la relation) d’agent à instrument de l’action qui existe entre l’âme et kalā :
Ā. 7. Ainsi — ô brahmane — (les maîtres) ont conclu que, dans l’effectuation de l’expérience affective et de l’activité chez la créature, ces deux éléments fonctionnent comme agent et instrument de l’action, eux que leur union fait paraître confondus.
18V. Chez la “créature”, c’est-à-dire l’âme non (encore) en possession de l’expérience affective, il faut que se réalisent l’expérience affective et l’activité. Dans cet esprit les maîtres ont “conclu”, ont enseigné que pour cela l’âme et kalā fonctionnaient, de la manière indiquée précédemment, comme agent et facteur d’action. On parle donc de l’âme comme sujet jouissant et sujet actif, de kalā comme facteur d’action, cause (auxiliaire) qui vient renforcer la puissance active (de l’âme). On désigne plus loin (cette cause) comme “incitatrice”, dans l’expression : “depuis l’incitatrice jusqu’à la terre”.
19Mais comment y a-t-il deux éléments ? On répond : “eux que leur union fait paraître confondus”, c’est-à-dire que leur union empêche de remarquer leur différence. Le vénérable Brhaspati a déclaré également : “Dans la créature, elle apparaît comme une seconde conscience, parce qu’elle lui est très étroitement unie”. “Ô brahmane” : par cette interpellation celui qui parle cherche à maintenir l’attention de l’ascète, son auditeur.
20D. — Mais kalā est non-pensant, alors que le fait d’être un agent est une propriété de la pensée. Comment peut-on alors parler d’une (relation) d’agent à facteur d’action ?
21— A cela on répond : “Dans cet esprit les maîtres... etc.” ; par “facteur d’action” il faut entendre ici “incitateur” et comme celui-ci est contrôlé par la puissance de cèlement du Seigneur, il n’y a pas de contradiction.
22V. On décrit maintenant l’activité du principe appelé “Savoir” (vidyā) :
Ā. 8. Ainsi (l’âme) dont la puissance d’action a été manifestée est désireuse de connaître son domaine, mais sa connaissance est tributaire d’une aide extérieure, car d’elle-même elle est incapapable de connaître.
9. Dans ce but, le Seigneur (Ananta) mit en mouvement kalā qui est capable d'engendrer et il créa le Savoir, le meilleur instrument de l’âme3.
23V. L’âme, dont la puissance de connaître a été manifestée de la manière indidiquée plus haut, est “désireuse de connaître son domaine”, c’est-à-dire ce qu’on appelle son “intelligence” (buddhi) en laquelle les objets sont reflétés. Mais elle a besoin que sa connaissance reçoive une aide extérieure, “car d’elle-même elle est incapable de connaître”. La raison est donnée ici par le moyen d’une caractérisation de l’âme dont le sens est qu’elle n’est pas (encore) capable de comprendre par elle-même.
24Dans ce but, le Seigneur Ananta, ayant “secoué” kalā “capable d’engendrer”, c’est-à-dire l’ayant rendu apte à produire, a créé l’instrument appelé “Savoir” qui est “le meilleur”, c’est-à-dire éminent. Son excellence lui vient de ce qu’il joue sans intermédiaire son rôle de cause auxiliaire. L’absence d’excellence des autres organes internes et externes leur vient de ce qu’ils fonctionnent (seulement) après que la puissance cognitive de l’âme ait été excitée par ce (Savoir).
25D. On introduit les deux sūtra commençant par : “Ainsi (l’âme)...” et on passe à leur explication : “L’âme, dont la puissance...etc.”. Le sens est qu’elle est déjà devenue capable d’agir.
26— Mais, en ce qui concerne la connaissance, les traités généraux et particuliers indiquent seulement des organes tels que l’intelligence etc. D’où tirez-vous un organe distinct (de ceux-là) et que vous appelez “Savoir” ?
27— A cela on répond : “le meilleur”, c’est-à-dire éminent... etc.”. On dit par exemple : “Il voyage au moyen d’un char, d’une route, d’une lanterne...”, de même, par rapport à un résultat que seule la combinaison de plusieurs facteurs permet d’obtenir, le Savoir est le meilleur, parce que lui seul fait (directement) connaître l’objet de l’expérience.
28V. A savoir...
Ā. 10. Grâce à ce (Savoir) illuminateur, qui stimule la puissance cognitive, on vient à connaître l’autre objet accessible à tous les facteurs d’action.
29V. Grâce à ce principe appelé “Savoir” qui manifeste, par sa propre luminosité, la puissance cognitive, ce qu’on appelle le connaissable, “autre” que le domaine des agents et différent de celui des effets, vient à être appréhendé, c’est-à-dire connu, lui qui est accessible à tous les sens de connaissance et à tous les sens d’action pris individuellement. Ou bien le terme “autre” désigne ici le principe de l’intelligence comme une donnée immédiate, proche, parce que les objets extérieurs viennent s’y refléter. L’intelligence a la forme d’un objet de l’expérience car elle possède, reflétés en elle, des objets extérieurs tels que guirlandes, santal etc. Kheṭakanandana a dit : “L’intelligence revêt l’aspect des objets, extérieurs elle assume le forme du plaisir et de la douleur ; en bref, elle est un objet de l’expérience”.4 De même : “Même si le mahat possède une forme lumineuse, comme le soleil, il ne peut s’appréhender lui-même qu’en se servant d’un autre organe, parce qu’il est un objet”.5
30D. On commente maintenant le sūtra qui commence par : “Grâce à ce (Savoir)...”
31— Mais on a dit que les expériences n’étaient effectivement obtenues que grâce à l’intelligence !
32— On répond que ceci est incorrect : “qui manifeste... etc.”. Puisque l’intelligence ne saurait connaître les objets des sens et pas davantage ceux-ci les objets de l’intelligence, c’est seulement ce (Savoir) qui accomplit la connaissance. L’intelligence qui se subdivise en détermination, mémoire, imagination, est à son tour connue par le Savoir qui est l’instrument suprême. Donc, l’intelligence qui est un produit de la Nature n’est pas capable de se saisir elle-même, objectivée, en jouant le rôle d’un instrument. En tant qu’objet, en effet, elle serait extérieure (à elle-même en tant que sujet). De plus, l’ensemble formé par les sens et l’intelligence, qui est contrôlé par la pensée (citta) présente les choses de l’expérience en tant qu’objets du Savoir et l’Esprit (puruṣa) saisit cet (objet) une fois déterminé par l’intelligence qui a pour nature d’assurer la fonction de l’ego en la faisant précéder de la réflexion (parāmarśa). On a dit : “L’Esprit pense un objet déterminé par l’intelligence”.6
33Ainsi donc l’intelligence et les autres (organes) sont-ils employés à procurer à l’Esprit des objets proches ou à atteindre, mais ils ne servent pas à produire la conscience. On établit le principe du Savoir en posant qu’il est ce par quoi l’on discrimine un objet (préalablement) procuré par les fonctions de l’intelligence, de l’ego et des sens. Quant au facteur qui met en action le Savoir lui-même, il en sera longuement question dans le chapitre suivant où l’on prouvera son existence en répondant à une question : “L’existence réelle d’un autre facteur de manifestation... etc.”.
34V. Pour faire entrer en scène le principe de la Passion, on déclare :
Ā. 11. (L'âme), alors même que sa puissance cognitive a été manifestée et qu'elle connaît les objets, n'a pas (encore) soif : elle ne se dirige pas (vers les objets). Aussi le Seigneur (Ananta) a-t-il créé la Passion pour produire cette (soif).
35V. L’âme, dont la puissance cognitive a été manifestée par le principe appelé “Savoir” connaît les objets. Même ainsi “elle n’a pas soif”, le désir n’est pas né en elle, elle ne “se dirige pas” vers les objets, c’est-à-dire ne s’apprête pas à s’en emparer. La Passion est le facteur qui produit ce désir. C’est pourquoi le Seigneur Ananta, disposé à produire, l’a créée à partir du principe de kalā.
36D. On commente le stra qui commence par : “(L’âme), alors même…”. Le sens est que sa puissance de connaître a été rendue effective. “A partir du principe de kalā” : il est dit dans le Raurava : “A partir du principe de kalā ont été produits les deux principes de la passion et du Savoir ainsi que le non-manifesté”.7 Le sens est donc celui-ci : ce désir des objets extérieurs qui se rencontre dans l’âme “sakala” ne fait pas partie, comme les pouvoirs de connaître et d’agir, de sa nature, car on ne le rencontre pas dans la délivrance. Il n’est pas non plus sur le même plan que l’intelligence etc., toutes fonctions établies à partir de leurs effets, alors qu’on ne dispose pas ici de moyens de connaissance droite pour prouver que (la Passion) produit à son tour des effets. On établit donc ce principe simplement en posant qu’il est ce par quoi la passion (concrète) est rendue possible. — S’il en est ainsi, disons que c’est la puissance d’égarement déjà indiquée comme contenue dans la Māyā qui est la Passion. A quoi bon un nouveau principe ?
37— On répond que ce n’est pas directement mais seulement par l’intermédiaire de ses effets que la capacité d’égarer procède de la māyā. Quel défaut y a-t-il ici ? D’ailleurs, (la passion) ne vient troubler que les âmes affectées de la souillure et non celles qui en sont exemptes, Vidyeśvara etc.
38— Mais vous admettez avec les partisans du Sāṃkhya que la passion, faite de simples traces résiduelles, est une qualité de l’intelligence. Mais, comme des doctrines telles que le Nyāya n’admettent pas d’autres traces résiduelles que celles qui s’attachent à l’Esprit, la capacité de troubler, ne pouvant appartenir à l’ensemble (Esprit-qualités), appartiendra aux seules traces et ainsi l’existence distincte de la Passion n’est pas établie.
39— Certes la passion existe dans l’intelligence sous forme de traces résiduelles, comme les qualités etc., c’est ce que nous dirons. Mais celle-ci, étant une qualité de l’intelligence comme le sont les autres représentations caractérisées par leurs fonctions, vient en aide à l’Esprit en s’adjoignant des traces résiduelles, en s’unissant à des traces résiduelles qui ont acquis une forme grossière par suite de leur maturation. Ainsi donc, la passion, qui a la forme d’une représentation, devient cause de l’expérience affective, une fois renforcée par les effets de cette Passion qui réside dans le sujet, et non pas à elle seule. Autrement, l’existence de l’homme dépassionné ne serait pas possible. Et la Passion ne possède pas la nature des traces résiduelles. On l’établit comme un principe distinct en remarquant que cela entraînerait pour l’Esprit — l’intelligence étant toujours associée à une infinité de traces résiduelles — une diversité infinie d’expériences simultanées et contradictoires.
40— Mais le facteur de trouble sera tout simplement le karman !
41— Non, car celui-ci n’a d’autre rôle que de produire ses fruits et aussi parce qu’il n’y aurait plus de raison d’admettre une multiplicité de principes. Au chapitre suivant, dans des textes comme : “la Passion n’est pas quelque chose de dérivé”, on établira l’existence de la Passion en tant qu’elle réside dans le sujet. Il est dit dans le Mataṅga et dans d’autres textes que ces principes, kalā, Savoir, Passion etc. servent, aussi sur la voie pure, d’instruments pour discerner la grande māyā et l’Esprit, comprendre les réalités à commencer par Śiva, jouer le rôle de support de la passion (concrète)8. On déclarera aussi dans le chapitre du monde : “Ainsi — ô brahmane — a-t-on exposé brièvement comment les principes, les réalités, les mondes et les corps, tant sur la voie pure que sur la voie impure, (se résorbent dans leur cause)”.
Ā. 12. Affectée par elle, (l'âme) désire les objets de l'expérience, même impurs, et les prend. Mais ce n'est pas en jouissant qu'elle accède au dépassionnement.
42V. Affectée par la Passion, l’âme en qui est apparu le désir, désire les objets de l’expérience, “même impurs” c’est-à-dire faits de māyā, et se les approprie. Mais ce n’est pas ainsi, en jouissant d’eux, qu’elle se libère de la passion. Parce que les racines comme CUR ignorent l’indice du causatif, le forme spṛhan “désirant” (au lieu de spṛhayan) est correcte.
43On définit maintenant le principe du Temps :
Ā. 13. Ainsi mis en mouvement, l'Esprit fait l'expérience à l'aide d'organes qui ont (certains) effets pour support et qui sont accompagnés d'autres (organes) d'origine cosmique, ces divers objets qui se succèdent dans le temps, et cela dans diverses terres de jouissance.
44V. “Ainsi”, de la manière indiquée, l’Esprit dont l’activité a été stimulée par kalā est “mis en mouvement”, c’est-à-dire qu’il est prêt pour l’expérience affective. Dans diverses “terres de jouissance” il entre en contact avec les objets agréables et désagréables qui se succèdent dans le temps. A l’aide de quoi fait-il cette expérience ? A l’aide d’organes tels que les sens d’action et de connaissance accompagnés, ainsi que le triple organe interne, de corps d’origine cosmique. Les puissances cognitive et active, étant souillées, ont besoin des sens de connaissance et d’action. De quelle espèce d’organes se sert-il ? : “(D’organes) qui ont (certains) effets pour support”. Ils résident dans des effets constitués par les éléments grossiers et subtils : non-pervasifs, ils ne sauraient se mouvoir sans point d’appui. Kheṭakanandana aussi a déclaré :
45“Et cet ensemble d’effets, une fois investi de dix manières par les organes, (l’âme) le fait accomplir les mouvements. Mais les organes, n’étant pas pervasifs, agissent en prenant appui sur les effets”.9
46D. On introduit le sūtra commençant par “Affectée par elle”. Comment déterminer la forme propre du principe du Temps qui est issu de la māyā ? On répond à cette question à partir de : “Affectée par la Passion...”. Le sens est celui-ci : l’âme, tout en n’étant pas délimitée par le Temps, est rendue par lui apte à faire les expériences qui dérivent de la triple cuirasse, Passion etc., mentionnée plus haut. Le Temps qui, par la force des conditions limitantes extrinsèques, est facteur de manifestation de tous les effets de la māyā, doit être purifié dans l’initiation ; il concerne l’Esprit au-dessus du non-manifesté.10 Il conviendra d’énoncer la même règle pour la Nécessité. On dira dans le chapitre du monde : “Réceptacle de tous les sens, de tous les corps, de tous les organes internes, un régent se tient dans l’Esprit, la Nécessité et le Temps, doué du pouvoir de mettre en mouvement”. Sa purification est décrite dans le vénérable Svāyaṃbhuva au chapitre de la création. Pourquoi ? Tenons-nous en à ce passage même et ne concluons pas à partir d’un autre texte. La section des rites ne peut servir à contredire le traité (dans son ensemble), mais c’est l’inverse qui est vrai. On a dit : “On sait que le traité est divisé en plusieurs sections, celle des rites etc....aussi convient-il de suivre ce qui est dit à l’endroit même (où on le trouve) et non de se régler sur une autre partie du traité”11. (L’activité) du principe du Temps n’est possible, relativement au principe de l’Esprit, qu’assistée par la Puissance du Seigneur. On a dit en effet qu’une chose non-pensante ne pouvait agir qu’assistée par une chose pensante.
47V. Mais qu’appelle-t-on “le Temps” ? D’où vient-il ? Que fait-il ? A ces questions on répond :
Ā. 14. Le Temps est ce qui confère leur signification aux notions d’instant etc. Il “pousse” l’âme liée à laquelle la Nécessité, dès qu’elle apparaît, assigne (les fruits de son karman).
48V. Le Temps est ce qui “confère leur signification” à l’instant, la seconde, la durée d’un clin d’œil etc., ce qui les fait connaître. Son incessante révolution produit des notions comme : “Il est là un marnent, il circule pendant trois heures etc.” ; il provient de la māyā. On a dit :
49“Le Temps (kāla), en poussant (kalayan) (les êtres) à coups de mouvements semblables à ceux de l’eau qui se hâte dans la clepsydre, a reçu son nom de “kāla”.12
50Quelle sorte d’âme liée pousse-t-il ? On répond : “celle à qui la Nécessité...etc.”. L’“apparition” de la Nécessité est sa manifestation à partir de sa propre cause. Dès lors, et jusqu’à la dissolution cosmique, elle astreint l’âme liée à l’expérience du plaisir et de la douleur engendrés par son karman. Cette opération n’est pas du ressort du Temps dont la tâche consiste seulement à pousser.
51D. “Mais qu’appelle-t-on... etc.” : ces mots sont destinés à relier au contexte le sūtra qui commence par : “Le Temps est ce qui confère...”. Voici ce qu’il veut dire : “Est-ce que vous admettez avec les partisans du Nyāya etc. que le Temps, déjà mentionné, est éternel et omniprésent ?”. On a dit : “Cette substance unique, omniprésente, éternelle, qui en séparant les activités fournit une mesure aux réalités actives, est appelée “le Temps”.13
52Or, cela est incorrect. Des textes comme : “Le nœud engendre successivement kalā, le Temps... etc.” ne montrent pas qu’il est possible que (le Temps) exerce sa poussée directement en sortant de la māyā, sa cause matérielle : éternel et omniprésent, il s’étendrait alors jusqu’au principe de Śiva. Selon le point de vue des traités d’astronomie, le Temps n’est qu’un aspect particulier des astres. On a dit : “D’autres connaisseurs du Temps l’ont posé comme le le mouvement du soleil, des planètes, des étoiles etc., divisé selon leurs révolutions”.14 Dans ces conditions, il sera un trait particulier des actions, comme la maturation etc. et, en tant que tel, il ne sera ni substantiel ni omniprésent. S’il n’est pas omniprésent, il ne peut mouvoir tout ce qui est situé en-dessous du principe de māyā.
53Ou bien, selon l’opinion des Vedāntin et des bouddhistes, le Temps n’est fondé que sur l’activité empirique et n’est pas absolument réel. On a dit : “Certains affirment que (le Temps) est produit par la continuité des pensées ou bien invoquent une puissance inhérente à la connaissance ; pour eux, le Temps n’existe pas réellement à l’extérieur mais ils considèrent que l’activité empirique n’est pas possible sans lui”.15 Mais, s’il est omniprésent, c’est une erreur que de limiter son domaine à l’activité empirique. Et la raison invoquée — que le Temps serait irréel, ayant la forme de la nescience, comme la lune dédoublée etc. — (implique) l’impossibilité pour lui d’être cause de mouvement.
54— Mais les partisans du Sāṃkhya disent que le Temps, ayant la forme d’une évolution, est produit par la Nature ! On a dit : “L’évolution est une existence séparée, dérivant de la succession des états ; elle est reconnue comme le Temps qui revêt la forme du passé, du futur et du présent”.
55— Cela non plus ne constitue pas une base solide pour le Temps. L’évolution, étant un effet, ne peut constituer une base ferme et il sera donc impossible (au Temps) d’être cause de mouvement sur la voie qui s’étend en-dessous du principe de māyā. De plus, privé de base ferme et non-pensant, il ne peut, à la différence de l’intelligence, de l’Esprit et du Seigneur, mouvoir les corps pour qu’à leur tour ils meuvent les êtres. Le raisonnement aussi permet de situer le Temps au-dessus même du principe de māyā : il n’est pas disposé (comme vous le voulez), car là aussi création et dissolution se produisent. S’il se tenait entièrement en-dessous du principe de māyā, il ne pourrait, pendant la dissolution cosmique, rien mouvoir.16 Après avoir ainsi repoussé toutes ces hypothèses, on commente, pour défendre (de manière plus détaillée) notre position, le sūtra qui commence par “Le Temps est ce qui confère... etc.”.
56“En poussant...” signifie : “en mettant en mouvement selon les modalités du lent, du rapide etc.”. On a dit : “Le Temps est divisé par la pensée”. On veut dire, en somme, ceci : l’hypothèse des partisans du Sāṃkhya n’est pas recevable, parce que le Temps, inféré à partir des divers états, jeunesse, maturité etc. du corps qui est le support de l’expérience affective du sujet, est différent d’une transformation. On a dit : “Jusqu’à seize ans c’est l’enfance, ensuite la jeunesse, ensuite jusqu’à soixante-dix ans l’âge mûr”. Si la maturité n’était produite que par la transformation, elle existerait toujours et partout, car (la transformation) a une forme unique. Et si elle était produite par un trait particulier de la transformation, il faudrait demander d’où lui vient ce trait particulier.
57La (maturité) n’est pas non plus dépourvue de cause ou éternelle, ou encore à la fois existante et non-existante, cela en fonction de textes comme : “à partir de l’absence de cause... etc.”. Elle ne procède pas non plus simplement de la série personnelle, parce que celle-ci existe de manière durable. Elle ne procède pas de la nourriture et de la boisson etc. ou du chaud et du froid : comme ces choses existent toujours, le cas est le même que précédemment. Elle ne dérive pas non plus d’une succession d’états produite par le karman, car alors, nécessairement, elle existerait toujours. Ce qui est la cause par excellence de la maturité — au sens où l’espèce, la durée de vie et l'expérience affective sont conditionnées par le karman — c’est le Temps.
58On a dit : “Cette puissance du Temps appelée “la lente” entrave les autres puissances ; elle tient à distance et est née avec ce pouvoir d’entraver. Les caractères de lent et de rapide peuvent servir à établir le Temps. Relativement à la jeunesse et à l’âge mûr, les notions de “para” (antérieur ou lointain) et d’“apara” (postérieur ou proche) revêtent une signification différente selon l’espace et selon le temps. On peut dire d’un jeune homme qu’il est postérieur” (apara), alors même qu’il est “éloigné” (para), et d’un homme d’âge mûr qu’il est “antérieur” (para), alors même qu’il est “proche” (apara). Cette caractérisation de la notion du Temps ne tombe pas pour autant dans la confusion, car le Temps est précisément ce qui fonde les notions de para et d apara. Et c’est pourquoi il ne revêt pas la forme d’une transformation de la Nature. On repousse ainsi les hypothèses faites au sujet du temps par les partisans du Sāṃkhya, les astronomes et les Vedāntin.
59— Admettons donc, avec les partisans du Nyāya, que le Temps soit (une substance) indissociable des actions !
60— Soit ! Mais alors il ne sera ni éternel ni omniprésent, parce qu’il sera divers, multiple et non-pensant. Si le Temps (ainsi conçu) était unique, les réalités seraient toujours contemporaines. Or, on constate que certaines sont passées, d’autres futures. Donc le Temps sera multiple. On a dit : Les trois dimensions du Temps se disposent (les unes par rapport aux autres) comme la lumière et les ténèbres ; cette triade naît de la succession des réalités, elle-même dérivée de la succession de ces (dimensions)”.17
61— Mais les partisans du Nyāya etc. objectent que cela provient de l’action qui, en tant que condition limitante extrinsèque, porte les caractères de passé etc. et les confère au Temps en qui ils ne sont pas absolument réels !
62— Cela est incorrect : c’est au contraire l’action, en elle-même dépourvue des caractères de passé etc., qui les reçoit de son association au Temps. Comme il est évidemment impossible d’identifier l’action elle-même au Temps, on établit le Temps comme distinct de l’action. Donc (l’action), en elle-même dépourvue des caractères de passé etc., devient multiple en fonction de la condition limitante extrinsèque formée par le Temps qui, elle, posséde bien ces caractères. C’est de la même manière que les mondes viennent à être orientés selon les directions de l’espace. On a dit : “C’est par son association à un temps qualifié que l’action est manifestée comme divisée en instants, en minutes etc. et répartie en présente etc.”18 On admet donc les caractères de présent etc. qui appartiennent au Temps tel qu’il est décrit dans les légendes historiques etc. On a dit : “Ce qui (pour nous) durera mille yuga n’a duré qu’un jour (pour Brahma) et c’est ainsi qu’on parle (de Brahmā) comme “actuel”, ainsi concluent les gens ; c’est ainsi qu’on dit : “le temps est venu”. Le Temps possède trois dimensions, de même que le monde est multiple selon les directions de l’espace, le proche et le lointain etc. Mais les directions ne sont pas établies comme ayant une réalité différente de celle d’un assemblage de parties, tandis que la réalité du Temps est établie comme différente de celle de l’action, car la Nécessité est répandue à travers la totalité du Temps. Le Temps existe aussi sous forme pure sur la voie pure, comme kalā etc.
63— Mais, le Temps n’étant pas éternel, l’absence de règle limitative va apparaître avec la grande dissolution cosmique !
64— Non ! (notre position) est irréprochable, parce que le rôle de règle limitative sera alors tenu par la Puissance du Seigneur.
65— Posons donc que le Temps n’est autre que la Puissance du Seigneur ! A quoi bon un nouveau principe ? L’ascète Vyāsa a retenu ceci dans les paroles du Bienheureux Nārāyaṇa : “Je suis le Temps, puissant, qui provoque la ruine de tous les êtres”.19
66— A cela nous répondons : s’il en est ainsi, que la Puissance du Seigneur règle à elle seule toutes choses ! A quoi bon des principes tels que la terre etc. ? Or, on constate leur existence. C’est donc par une opération distincte de la Grâce que le Bienheureux accomplit pour les âmes, par l’intermédiaire d’autres réalités, la création etc. Le Temps est établi si l’on considère qu’il accomplit tout cela en prenant appui sur le Temps, qui est un aspect de sa Puissance, et non par sa seule Puissance (indifférenciée).
67Après avoir énoncé ainsi la forme propre du Temps on indique, après une question préliminaire : “Quelle sorte d’âme...”, celle de la Nécessité. Faite de māyā elle ne délimite que l’âme sakala, non les âmes vijñānākala et pralayākala, ni non plus les opérations de la māyā, car on constate que ces opérations sont délimitées là même où cette (Nécessité) est absente. Elle ne délimite pas non plus, et pour la même raison, kalā etc. Joue-t-elle d’elle-même, avec une puissance pour instrument, son rôle de facteur de délimitation ? A cela on répond : “Elle astreint l’âme liée... etc.”.
68— Mais c’est seulement le Temps qui assigne à l’âme liée (les fruits de son karman). A quoi bon la Nécessité ?
69— On répond : “Cette opération n’est pas du ressort du Temps... etc”. Si la Nécessité n’existait pas, les fruits des actes accomplis par les uns seraient goûtés par les autres, de même que si la loi du roi n’existait pas les brigands s’empareraient des récoltes etc., et l’on n’entreprendrait pas de traités sur l’accomplissement des actes. Or, on en entreprend ; c’est donc qu’il existe un principe de délimitation grâce auquel un homme récolte les fruits ou les existences correspondant aux actes accomplis par lui.
70V. Ici l’adversaire présente une objection :
Ā. 15. Certains, considérant que l'expérience affective avec ses conditions dépend du karman, ont posé le karman comme le principe qui la délimite. Tout autre principe de délimitation est, pour eux, superflu.
71V. En tout cas, il est nécessaire que l’expérience affective faite par le sujet dépende, avec ses conditions, du karman. Sans cette dépendance — a-t-on dit — on ne saurait rendre compte de la diversité des expériences affectives. La fonction de principe de délimitation échoit donc à celui-ci. Aussi tout autre principe, à qui on décernerait ce titre, est-il superflu. N’ayant aucune fonction particulière à remplir, il représenterait une hypothèse inutile. C’est ainsi qu’on a déclaré :
72“Quand un acte, bon ou mauvais, est accompli, son origine, son agent, sa modalité, son moment, son importance, son lieu dépendent de la volonté de son son ordonnateur”.
73Et voici la réponse :
Ā. 16. La fonction de tous les principes, relativement à l'expérience affective, est dépendante du karman.
— Posons donc qu'il en est l'unique condition !
— Alors, tous les autres (principes) seront inutiles.
74V. — Abandonnons le principe de la Nécessité ! Tous les autres principes qui contribuent à produire l’expérience affective sont dépendants du karman, En fonction de cette dépendance nécessaire, posons que le karman, en l’absence duquel les autres deviennent inopérants, est l’unique condition de l’expérience affective !
75— S’il en est ainsi, le corps, les sens, les objets etc., tout cela deviendra inutile.
76D. On commente le sūtra qui commence par : “La fonction de tous les principes Voici ce que le commentaire veut dire : le karman a seulement la capacité de produire des fruits, non celle d’en répartir (la jouissance). Les traces résiduelles des actes ne déterminent pas, à elles seules, l’assignation restrictive (des fruits) à l’auteur de ces actes, car elles ne sont que ce qu’elles sont, exactement comme les traces laissées par l’action de labourer etc. Un facteur de répartition qui relie les fruits de l’acte à l’agent doit donc exister indépendamment des actes particuliers. C’est ainsi que le roi joue le rôle de principe régisseur, reliant les fruits de l’action de labourer au laboureur. La Nécessité est donc bien établie dans son rôle de principe de délimitation. On a déjà indiqué, dans le chapitre consacré à la discussion du karman, qu’elle jouait un rôle dans le cas de l’égalisation des karman.
Ā. 17. Ou bien (l’acte) a besoin du corps etc. pour permettre d’atteindre les buts de l’homme. Posons alors que le principe délimitateur est le karman tributaire de la Nécessité.
77V.— Mais l’acte (karman) permet d’atteindre les buts de l’homme, non pas à lui seul mais en dépendance du corps etc. Un principe réduit à lui-même ne produit rien ; seule la totalité des conditions produit l’effet.
78— A cela on répond : “Posons alors... etc.”. De même que l’acte permet d’atteindre les buts de l’homme grâce à sa collaboration avec le corps, les sens etc., qui s’acquittent de leurs tâches respectives, de même — admettrons-nous — (le karman), grâce à sa collaboration avec la Nécessité qui produit ses propres effets, est le principe délimitateur. De la sorte, notre thèse est irréprochable.
Ā. 18. Ensuite est apparu le principe de l’Esprit (puṃs), fondement de la notion d’Esprit, et qui complète la série des principes au-dessus de la Nature. Sur le plan cosmique, il sert de support à des Rudra.
79V. Le principe de l’Esprit est sorti de celui de la māyā mis en repos par le Seigneur Ananta au moment de la dissolution cosmique. Il est “fondement de la notion d’Esprit”, cause du concept d’Esprit. Par là est indiquée sa différence d’avec les Rudra qui se tiennent dans le sein de la māyā et, chargés de fonctions, habitent les divers mondes : ces dernièrs, en effet, ne peuvent jamais être rattachés à la notion d’Esprit. Ce principe de l’Esprit “complète la série des principes au-dessus de la Nature”, puisqu’on admet que la Nature, avec ses productions, a pour fin l’Esprit. De la même manière, comme l’enseignement védique trouve sa raison d’être dans les élèves, on dit : “les élèves sont les enseignants”. C’est en ce sens qu’il convient d’interpréter l’expression : “qui complète... etc.”
80Sur le plan cosmique, ce principe de l’Esprit sert de support à des Rudra. Il est dit dans le vénérable Svatantra :
81“Apprends quels sont les mondes contenus dans le principe de l’Esprit : Divyāmbhas avec ses masses d’eau...”20
82Ce principe de l’Esprit qui englobe à la fois l’Esprit (proprement dit) et la Passion, doit être considéré comme supportant les Rudra. C’est ainsi qu’il est dit dans le Kiraṇa :
83“Vàmadeva, Bhīma, Ugra et celui qui s’appelle “Bhava”, Sarveśāna et Ekavīra, le Seigneur Pracanda, Pumān, l’époux d’Umā, Ananta non-né et Ekaśiva. Ces Rudra se tiennent dans le principe de la Passion et débordent d’une énergie terrible. Il faut savoir que c’est ici que réside l’Esprit, principal gardien de la demeure”.
84D. Par le terme “principe de l’Esprit” on désigne ici ce qui, sous l’appellation d’“homme” (nṛ), a été établi posséder éternité et omniprésence ; à l’intérieur de la catégorie générale de l’âme liée ce principe fait suite immédiatement à celui de la Nécessité. “Le principe de l’Esprit est sorti... etc.”, c’est-à-dire que (l’âme) consacrée par l’initiation etc. est destinée à être soustraite au principe de la Nature ainsi qu’au monde de Śrīkaṇṭha et à être réunie au principe de l’Esprit, cela afin d’écarter la souillure qui s’attache à elle. Ce principe de l’Esprit ne mérite ce nom que si, lors de l’initiation etc., il est joint aux cinq principes qui vont de kalā à la Nécessité ; c’est seulement dans cette situation que peut s’opérer cette réunion (de l’âme souillée à l’Esprit).21 Aussi ce principe ne concerne-t-il que les âmes sakala, et non les âmes vijñānākala ou pralayākala. L’âme supportée par ces cinq principes, kalā etc., associée à l’égarement et au désir des choses accessibles dans la sphère de la Nature ainsi qu’au changement, qui est le non-Soi et relève aussi de cette Nature, peut alors être appelée “Esprit”.
85A ce moment sa différence d’avec la Nature n’apparaît pas. Le vénérable Patanjali a déclaré : “La nescience fait apparaître l’éternel, le pur, l’agréable, le Soi, dans ce qui est transitoire, impur, douloureux, non-Soi”.22 Donc, ici, c’est à cela seulement que l’âme est jointe. Le principe de l’Esprit est ainsi purifié par l’initiation, relativement à la douleur, au non-Soi etc. Mais sa nature de principe ne l’assigne pas, comme les autres principes, à une résidence particulière. Il va de monde en monde en jouant son propre rôle.
86— S’il en est ainsi, comme ce principe qui circule partout est pervasif, la conséquence sera que le principe de la terre lui-même devra être purifié !
87— Non ! Etant donné le caractère grossier de l’égarement relatif à la Nature, une règle de concomitance a été formulée qui a pour but d’exclure l’égarement subtil relatif à kalā etc. Il n’y a donc pas ici de contradiction. Il est dit dans le vénérable Mataṅga : “Il n’y a pas — ô tigre parmi les ascètes — un second principe qui tire son nom de l’Esprit ; pourvue des trois cuirasses, doucement poussée par le Temps, embrassée par la Nécessité, (l’âme) va accompagnée de sa nature d’Esprit qui réside en elle”23. De même “supportée par les cinq principes en vue des expériences nées de cela”. Parce qu’on a indiqué qu’il n’était pas sujet à transformation, le principe de l’Esprit ne se différencie pas selon les mondes.
88“Sur le plan cosmique... etc.” : le sens est qu’il convient, lors de l’initiation “par la voie des mondes” (bhuvanadīkṣā), de purifier la souillure consistant dans la condition d’Esprit, et cela en invoquant le Rudra appelé “Sarvendriya”.24 Partout où il est question des (divers) mondes, ce sont leurs Rudra qui doivent être purifiés. C’est pour montrer cela que le vénérable Svatantra a indiqué la succession des mondes. Mais où donc se tiennent-ils ? A cette question on répond “qui englobe à la fois... etc.” Cela doit être compris à partir de ce qui est écrit dans le vénérable Svatantra et dans d’autres textes. Tous les mondes qui s’étagent au-dessus de celui de la Nature doivent être purifiés. On parlera en effet du monde de la Passion comme situé au-dessus de celui du Temps et l’on admet ces mondes (divers) à cause de la diversité des actions etc.
Ā. 19. Ensuite, à partir du principe de kalā, il produit celui de la Nature qui est (cause) du principe des guṇa, lui-même cause des sept nœuds.
89V. “Ensuite”, immédiatement après la production du principe de l’Esprit à partir de la māyā, le non-manifesté est produit à partir de kalā. Quelle est sa nature ? Cette Nature est cause du principe des guṇa lequel, à son tour, est cause de la production des “sept nœuds”, c’est-à-dire du mahat, de l’ego et des cinq éléments subtils, (tous) causes d’effets (particuliers). De même que dans l’or les formes futures d’un éléphant, d’un homme, d’un cheval etc., ou dans les pierres précieuses les utilisations comme bracelets, boucles d’oreilles etc. existent à l’état potentiel, de même il y a production à partir du non-manifesté de la catégorie des guṇa qui, existant d’abord sous forme potentielle, est cause des sept nœuds, éléments subtils etc., lesquels (à leur tour) engendrent chacun des effets déterminés.
90D. Maintenant, en vue d’établir le principe de la Nature, on commente le sūtra qui commence par : “Ensuite, à partir...etc.”. “Après la production... etc.”, le sens est : à partir du principe de kalā, lui-même directement issu (de la māyā). “Cette Nature... etc.” : la cause de la naissance de cet univers qui consiste dans le système des principes et des mondes étagé entre les guṇa et la terre, c’est la Nature.
91— Mais les partisans du Sāṃkhya disent que le non-manifesté consiste simplement dans le fonctionnement du sattva et des autres (guṇa) !
92— Cette thèse est incorrecte : étant non-pensants et multiples, comme les cruches etc., ces (guṇa) doivent nécessairement avoir une cause, à savoir ici la Nature qui est distincte du sattva etc.25 On a ainsi réfuté ceux qui admettent l’éternité du sattva etc. Quant à la Nature elle-même, il est établi que son essence est celle d’un effet, parce qu’il en existe autant que d’Esprits et parce qu’elle est non-pensante. Donc ceux qui admettent (comme causes ultimes) ces divers principes n’atteignent pas la délivrance suprême. Cela est dit aussi dans le vénérable Mataṅga : “Ceux qui persistent à ne rien admettre au-delà de ce (principe) ne sont pas délivrés — ô tigre parmi les ascètes — toujours et toujours ils prennent le chemin d’en-bas”.26
Ā. 20. A partir de là (est produit) le principe des guṇa qui consiste en sattva, rajas et tamas et est la cause matérielle de l'intelligence etc. Ses fonctions, éclairement etc., sont amplement attestées dans l’expérience commune.
93V. “A partir de là”, à partir du principe de la Nature, la cause du surgissement de l’intelligence — accompagnée de ces dispositions et conceptions dont on parlera plus tard — a engendré le principe des guṇa qui revêt la forme du sattva, du rajas et du tamas ; ainsi convient-il d’opérer la liaison avec ce qui précède. Les fonctions de ces trois (guṇa), éclairement, mouvement et inertie, sont suffisamment connues pour qu’on ne les mentionne pas ici.
94D. Maintenant on se propose de décrire le principe des guṇa qui a la forme d’un effet et qui est distinct de celui de la Nature, lequel a la forme d’une cause indivise. “A partir du principe... etc.” : après avoir fait remarquer que le fonctionnement de ces guṇa, depuis l’intelligence jusqu’à la terre, s’opère de manière distincte pour chacun d’eux, on montre que le principe des guṇa est caractérisé par ses effets. “La cause du surgissement de l’intelligence etc.” : on a dit que le surgissement de l’intelligence à partir de ce principe s’opérait directement mais qu’il y avait production en succession pour les autres principes (ultérieurs). Dans l’expression : “cause matérielle de l’intelligence”, les principes (ultérieurs) ont été inclus. Cela avait déjà été indiqué aussi dans le sūtra immédiatement précédent qui commençait par : “il produit celui de la Nature...”. Il est dit également dans le vénérable Mataṅga : “Dans chacune des choses manifestées le principe des guṇa peut être clairement énoncé, et non autrement, ô le meilleur des ascètes !”27. Les partisans du Sāmkhya aussi ont déclaré : “De la Nature procède le mahat, de celui-ci l’ego, de celui-ci le groupe des seize, de cinq parmi ces seize les cinq éléments grossiers”.28
95“Les fonctions de ces trois (guṇa)... etc.” : on n’a indiqué ici que l’essentiel, car il existe encore d’autres fonctions des guṇa, telles que fermeté, solidité etc. Il est dit dans le Mataṅga : “La fermeté, la solidité, l’habileté, la douceur, la légèreté, le contentement, la rectitude, la pureté, la résolution, la mémoire, la satisfaction, le dévouement, la patience, la pitié, la générosité, la compassion, le zèle, telles sont les fonctions du sattva. La cruauté, l’héroïsme, l’énergie accompagnée d’orgueil et de fausseté, la dureté, le caractère implacable, la jouissance, la fraude sont les fonctions du rajas, telles que doit les établir ce traité consacré au suprême Seigneur. L’anxiété, la stupidité, l’abattement, la malignité, la pesanteur, la torpeur, l’alanguissement par l’ivresse, l’obstruction, l’hébétude, voilà énoncées les fonctions du tamas répandues dans tous les êtres..”29
Ā. 21. Les trois guṇa constituent un seul principe, parce qu'ils sont inséparables. Lorsqu'on parle de tel ou tel d'entre eux isolément c'est eu égard à la prédominance de sa fonction.
96V. Bien que les guṅa soient au nombre de trois on doit considérer leur principe comme unique, parce qu’ils ne peuvent être séparés les uns des autres.
97— Pourtant des textes comme : “les réalités sattviques, les râjasiques, les tâmasiques... etc.” présentent comme distincts les effets respectifs du sattva etc. !
98— On répond que ce principe est un à cause de leur inséparabilité. “Lorsqu’on parle de tel ou tel d’entre eux isolément... etc.” : cette manière de considérer à part chacun des guṇa en disant : “ceci est sattvique, ceci est râjasique, ceci est est tâmasique” est due à la prédominance de (telle ou telle) fonction. La réalité en qui prédomine la fonction du sattva est sattvique, et il en va de même pour les réalités râjasiques et tâmasiques.
99D. On explique le sūtra qui commence par : “Les trois guṇa”. Il est dit dans le texte même (du Mataṅga) : “Aussi vrai que ces guṇa sont mêlés l’un à l’autre, aucune cause ne permettant de poser leur fonctionnement isolé, aussi vrai ô tigre parmi les ascètes — sont-elles considérées dans ce traité comme séparées, en fonction de la prédominance observée (de tel effet dans telle réalité)”30.
100V. Et ainsi...
Ā. 22. Il n’existe en ce monde aucune réalité non pensante qui ne soit pénétrée par ces guṇa et il n’existe aucun guṇa pur de mélange.
101V. En ce monde il n’existe aucune réalité non-pensante qui ne soit pénétrée par les guṇa ou bien en laquelle un guṇa particulier, sattva etc., existerait “pur de mélange”, c’est-à-dire sans être associé aux autres. Toute chose en ce monde est pourvue des trois guṇa, sattva, etc., avec leurs fonctions potentielles ou manifestées. Voilà ce qu’on veut dire.
102D. “En ce monde il n’existe... etc.” : la possession du sattva etc. mentionnée ici ne concerne pas les choses pensantes. Un contact avec les guṇa est mentionné pour ces choses pensantes en tant qu’elles sont jointes à des corps subtils etc. : “en laquelle un guṇa particulier... etc.”.
103V. Le principe des guṇa ainsi décrit, on aborde celui de l’intelligence :
Ā. 23. Ensuite vient le principe de l’intelligence dont les diverses dispositions et conceptions constituent le signe d’inférence. Suprême objet de jouissance du Soi, elle est ornée d’objets dont on parlera plus loin.
104V. Ce principe de l’intelligence, “orné” c’est-à-dire influencé par divers objets dont on parlera plus loin, constitue l’objet de jouissance “suprême”, éminent du Soi. Des dispositions que l’on caractérisera plus loin, telles que le mérite, et des conceptions négatives telles que l’impuissance etc. nées des premières, en “constituent le signe d’inférence”, permettent d’en établir l’existence. Même si ce sont les choses extérieures qui (à proprement parler) sont objets de jouissance, comme elles sont reflétées dans l’intelligence, elles l’entraînent du côté du non-être, d’où son statut (relativement) inférieur. Le respectable Sadyojyoti a déclaré :
105“L’intelligence revêt l’aspect des objets extérieurs, assume la forme du plaisir et de la douleur ; en bref elle est est un objet de l’expérience”.31
106D. On commente le sūtra qui commence par : “Ensuite vient le principe... etc.”. “Que l’on caractérisera plus loin...” : des notions comme le mérite etc. deviennent objets de jouissance par l’intermédiaire de leurs effets. Voici ce que le commentaire veut dire : certains rites obligatoires, comme le jyotiṣṭoma etc., bien qu’ils possèdent la nature du mérite etc., ne produisent pas immédiatement leur fruit, obtention du ciel etc. Comme ils ne portent fruit que dans l’autre monde ils paraissent vains, aussi bien en eux-mêmes qu’en tant qu’activités du prêtre, du sacrifiant etc., Mais il ne faut pas dire pour autant que le rite ne produit pas de fruit, sous prétexte que cela est contredit par la perception. Nos adversaires eux-mêmes admettent que les rites produisent une certaine disposition appelée “apūrva” distribuée selon les individus ; autrement, les textes révélés qui parlent de “fruits” seraient dépourvus de sens. Mais cet (apūrva) ne réside pas dans le Soi, car celui-ci n’est pas sujet à transformation. On a dit que l’on n’observe pas que des actions comme le labourage etc. laissent des dispositions dans le Soi. Au contraire, c’est dans quelque chose de non-pensant, à savoir ici l’intelligence avec ses huit qualités, mérite etc., que ces dispositions sont déposées par les actes. On peut dire la même chose de dispositions comme la connaissance etc. C’est par leur seule influence que le rêve, la rémémoration, l’intuition etc. font apparaître des objets qui (en fait) n’existent pas.
107“Par divers objets dont on parlera plus loin... etc.” : c’est à partir de là qu’est établie l’intelligence dont l’appréhension mentale est le signe d’inférence. La compréhension est de deux espèces : celle qui implique l’appréhension mentale et celle qui ne l’implique pas. On a dit : “Il existe une première connaissance, dépourvue de construction mentale, semblable à celle des petits enfants ou des muets, elle est purement née de la chose même ; il y a ensuite une autre connaissance où la chose avec ses propriétés, espèce etc., est appréhendée par l’intelligence et qui est appelée “perception”.32 Celle de ces (connaissances) qui ne comporte pas l’appréhension mentale apparaît toujours— avons-nous dit — sous la forme du sujet connaissant et elle a la nature du Soi. Quant à l’autre, celle qui comporte l’appréhension mentale, elle apparaît comme impermanente en tant que produite et elle n’appartient pas à la nature propre de l’Esprit. En effet, quelque chose de permanent ne peut posséder une nature impermanente. Ce n’est pas non plus par elle (seule) que ces (propriétés) peuvent être appréhendées.
108— Mais le Tout-Puissant ne pourra-t-il pas produire, à l’aide des guṇa, les effets (attribués à) l’intelligence ? Qu’a-t-on besoin de celle-ci ?
109— Dans ces conditions, la Puissance du Seigneur produira à elle seule tous (les effets) ; à quoi bon les guṇa ?
110— C’est seulement par l’intermédiaire des guṇa etc. qu’il produit les effets !
111— Posons alors qu’il produit les effets tels que l’appréhension mentale de telle ou telle chose en s’appuyant sur l’intelligence etc. ; où est la contradiction ?
Ā. 24. Les dispositions sont des qualités de l’intelligence, mérite, connaissance, dépassionnement, puissance. Elles sont sattviques et leurs opposés, à part la passion, sont tâmasiques.
112V. Les dispositions sont au nombre de quatre. Mérite, connaissance, dépassionnement, souveraineté sont des qualités de l’intelligence connues sous le nom de “dispositions” (bhāva). On les appelle ainsi parce qu’elles font apparaître (bhāvayanti) le signe d’inférence du Soi. On doit les considérer comme sattviques. Leurs opposés, “à part la passion”, à l’exception de l’absence de dépassionnement, sont tâmasiques. Ce sont le démérite, la nescience, la nonsouveraineté qui constituent respectivement leur nature. Quant à la disposition formée par l’absence de dépassionnement, elle est râjasique.
113D. “Les dispositions sont au nombre de quatre” : on commence par expliquer la signification du terme “bhāva” (disposition). Les huit dispositions, mérite etc., résident dans l’intelligence à l’état de traces résiduelles, tel est le sens. “On doit les considérer... etc.” : l’Esprit dont l’intelligence fonctionne, pure et sattvique, possède les quatre (premières) dispositions, mérite etc. Il en va de même pour les (dispositions) râjasiques et tâmasiques.
114V. On explique les conceptions :
Ā. 25. Les conceptions ont (les dispositions) pour cause matérielle. Elles sont (l'une) de huit espèces, (l'autre) de neuf espèces ; sept (autres) sont de quatre espèces ; cinq ont déjà été énoncées.
Telles sont — ô ascète — les réalisations etc. rangées par groupes.
115V. Les conceptions (pratyaya), appelées ainsi parce qu’elles “font connaître” (pratyāyanāt) l’âme transmigrante, ont le mérite etc. pour “cause matérielle”, pour origine. Combien sont-elles ? La realisation (siddhi) est de huit espèces, le “contentement” (tuṣṭi), dont on indique les caractéristiques, est de neuf espèces. Cela a été dit par les partisans du Sāṃkhya :
116“Le raisonnement, la parole (du maître), l’étude, la suppression de la triple douleur, le commerce amical, le don sont les huit réalisations”.
117“On compte neuf formes de contentement ; quatre sont internes : Nature, moyens, Temps et Fortune ; cinq sont externes et sont le fruit du renoncement aux objets extérieurs”.33
118Sept sont de quatre espèces, ce qui fait vingt-huit. C’est là le nombre des “incapacités” admis dans le Sāṃkhya. Les infirmités de chacun des sens de connaissance et d’action, ajoutées à celle du manas, sont onze : surdité, cécité, absence d’odorat, mutisme, absence de goût, démence, absence de toucher, infirmité de la main, impuissance, constipation, paralysie des membres inférieurs. Quant aux infirmités de l’intelligence, elles sont les contraires de réalisations et contentements décrits plus haut et sont donc au nombre de dix-sept ; ce qui fait bien en tout vingt-huit espèces. C’est ainsi que les disciples de Kapila ont déclaré :
119“Les défauts des onze organes joints à ceux de l’intelligence constituent l’incapacité. Les défauts de l’intelligence sont au nombre de dix-sept, puisqu’ils sont les contraires des réalisations et des contentements”.34
120Cinq (conceptions) ont été déjà énoncées : ce sont les cinq variétés de l’erreur, à savoir l’obscurité, l’égarement, le grand égarement, les ténèbres et les profondes ténèbres. Si l’on ajoute à ces cinq les huit réalisations, les neuf contentements et les vingt-huit incapacités, on trouve que les conceptions “rangées par groupes”, énumérées par groupes, sont au nombre de cinquante.
121D. “Les conceptions, appelées ainsi... etc.” : le mérite etc., ayant atteint un certain degré d’excellence, accèdent, sous une forme grossière, à la condition d’objet de jouissance, tel est le sens. On a dit : “On les appelle “conceptions” (pratyaya) parce qu’elles font connaître (pratyāyayanti) l’âme (kṣetrajña)”. Le mérite se subdivise aussi en fonction des réfrènements et des disciplines. Les réfrènements concernent l’esprit (citta), les disciplines les sens. Il est dit dans le Mataṅga : “On subdivise le mérite en réfrènement et discipline. Le réfrènement est quintuple : non-violence, véracité, honnêteté, chasteté, absence de bassesse ; la discipline est également quintuple : absence de colère, obéissance au maître spirituel, propreté, contentement, droiture”. L’obéissance au maître spirituel est ici simplement un exemple d’action à accomplir régulièrement. On cite dans ce même texte : “le don, le jeûne, les pélerinages, les chants religieux, le logement”35 ; il s’agit ici de la psalmodie du Veda, de la préparation des feux.
122“La réalisations est de huit espèces... etc.” : ces cinquante conceptions, les réalisations etc., ont été dénombrées par les partisans du Sāṃkhya mais non pas une fois pour toutes, puisque des textes comme le vénérable Mataùga les définissent et les dénombrent autrement. Le sens est donc que l’objet décrit par l’auteur des sūtra est bien connu dans le Sāṃkhya etc. et c’est en référence à cela que l’auteur du commentaire déclare : “Cela a été dit par les partisans du Sāṃkhya”. Mais quelles sont les conceptions établies de manière définitive ? A cela on répond : “le mérite est de dix espèces, en fonction de la distinction des réfrènements et des disciplines”. La connaissance, lorsqu’elle a atteint un certain degré d’intensité, s’appelle “réalisation”. Seule mérite ce nom la connaissance qui, sans dépendre (directement) de l’enseignement du maître spirituel, est produite par le seul effort de l’intelligence de l’individu. On a dit : “Les “voyants” (ṛṣi) réalisèrent directement le dharma ; quant à celui qu’ils avaient obtenu indirectement d’autrui, par l’enseignement, ils en firent des Mantra”. Ainsi y a-t-il (réalisation) par soi-même, à partir de l’étude de traités religieux, de l’enseignement magistral relatif au Soi etc., et par la suppression de la triple douleur. La (réalisation) est ainsi octuple en fonction de la diversité de ses causes, commerce amical, don à de saints personnages etc. Il est dit dans le Parākhya : “Toujours la connaissance est réalisée par l’effort de sa propre intelligence”. On le dira également ici : “Les qualités qui apparaissent conformes au bien sont celles acquises à partir d’une vue (objective) du monde et (de la parole) du maître spirituel...”. Par là sont désignés aussi indirectement le don etc. Les partisans du Sāṃkhya aussi ont déclaré : “Le raisonnement, la parole (du maître), l’étude, la suppression de la triple douleur, le commerce amical, le don sont les huit réalisations”.
123Et il est montré dans le Mataṅga que ces conceptions sont considérées par les philosophes qui, des Vedāntin aux matérialistes, mettent (respectivement) la conscience dans le Soi suprême, le non-manifesté, les guṇa, l’intelligence, l’ego, le manas, les sens, les éléments subtils et grossiers comme conduisant à l’obtention de ces divers niveaux. Ici même on dira : “La pensée relative à l’Esprit, à la Nature etc. est appelée ici “réalisation”. Cette réalisation, donc, qui revêt la forme de telle ou telle connaissance est décuple en fonction de la diversité (des systèmes) et, en fonction de la diversité des causes mentionnée plus haut, elle est octuple. Elle est donc (finalement) de quatre-vingt espèces.
124Les partisans du Sāṃkhya ont indiqué que les contentements étaient distincts de ces connaissances. On a dit : “On compte neuf formes de contentement ; quatre sont internes : Nature, moyens, Temps et Fortune ; cinq sont externes et sont le fruit du renoncement aux objets extérieurs”. On a dit : “Il se contente de la moitié ; il se contente du quart”. Ici même on dira : “Le contentement, c’est la pensée : “J’ai atteint mon but” chez un homme qui (en fait) n’a pas atteint son but”. Il en va de même ailleurs, tout cela ayant été énoncé en fonction de la diversité des réalisations, il n’y a pas ici de contradiction.
125Mais quels sont, derechef, les contentements ? La diversité des contentements procède ici de celle des dépassionnements, elle-même liée à la connaissance ici des éléments grossiers, là des éléments subtils. Il est dit dans le vénérable Parākhya : “De chacune de ces connaissances découle un dépassionnement”. Ici également des facteurs tels que la vue des êtres vivants accablés par les soucis 1), la triple douleur d’origine interne, externe et divine 2,3,4,), l’obtention des richesses etc. 5), les lamentations 6), les femmes 7), un désenchantement spontané 8), la (réflexion) de l’intelligence 9), les cadeaux reçus etc. 10) produisent dix contentements différents. Ils procèdent des différents dépassionnements appelés respectivement “dégoût” 1), “(horreur de la douleur) d’origine interne externe ou divine” 2,3,4), “détachement des possessions” 5), “né des lamentations” 6), “déception” 7), “ivresse” 8), “né du désir” 9), “propre aux ascètes” 10). En accédant à ces divers états le Soi est satisfait. On a dit : “L’homme qui trouve son plaisir dans le Soi, son contentement dans le Soi36. délivré de tous les maux, il va au brahman éternel”. Ce contentement qui est ainsi décuple se subdivise à nouveau en fonction de la diversité des systèmes qui a été mentionnée plus haut, selon qu’ils associent la conscience aux éléments grossiers, aux éléments subtils etc.. On arrive ainsi au nombre de cent.
126La souveraineté est elle-même octuple : capacité de se rendre aussi petit qu’un atome etc.. Finalement, ces huit variétés deviennent soixante-quatre, multipliées qu’elles sont elles-mêmes par huit en fonction de la variété des espèces divines, des Piṡāca à Brahmā, du monde terrestre divisé en terre ferme et en eau, et des lieux de séjour affectionnés par eux. En posant que l’intelligence de l’homme se comporte envers les contraires des mérites — à savoir des règles et réfrènements énonçés plus haut — comme envers les mérites eux-mêmes on conclut que le démérite est lui-même de dix espèces. La nescience est de cinq espèces : obscurité, égarement, grand égarement, ténèbres et profondes ténèbres. C’est à cause de l’obscurité que les réalisations susdites ne sont pas le lot de l’homme. Les mécontentements qui procèdent de l’absence de dépassionnement, au sens où les contentements procèdent du dépassionnement, sont dix, de par la différence indiquée plus haut des systèmes. Comme ce sont les (dépassionnements particuliers), dégoût etc., qui conduisent au contentement, la diversité (toute négative) de leurs (contraires respectifs) ne se traduit pas par une diversité des (mécontentements). Comme la souveraineté s’exprime par huit capacités particulières, par exemple celle de se rendre aussi petit qu’un atome, l’absence de souveraineté s’exprimera par les incapacités correspondantes et sera ainsi elle-même octuple. Il y en aura en tout vingt et une si l’on y ajoute l’incapacité du corps, les dix espèces d’incapacité des sens, celles enfin du marias et de l’ego.
127En subdivisant l’incapacité de l’intelligence, l’absence de réalisation, le mécontentement, la nescience et l’absence de dépassionnement nous contredisons la thèse du Sāṃkhya selon laquelle : “les défauts des onze organes joints à ceux de l’intelligence constituent l’incapacité”. Ces (dispositions et conceptions), mérite etc., sont ainsi au nombre de trois cents. Le vénérable Rāmakaṇṭha a dit : “En fonction des dix divisions du mérite, la connaissance est de quatre-vingt espèces, le dépassionnement de cent, la souveraineté de soixante-quatre, le mérite de dix, le démérite de dix, la nescience de la moitié (i.e. cinq), l’absence de dépassionnement de dix et l’absence de souveraineté de vingt et une. En bref, dispositions et conceptions se subdivisent en trois cents espèces”.37
128Mais que faut-il entendre par “obscurité”, “égarement” etc. ? L’obscurité qui consiste à mettre le Soi dans ce qui n’est pas le Soi est de dix espèces, puisqu’elle est la cause des dix absences de réalisation. L’égarement, cause des incapacités — par exemple celle d’atteindre la petitesse d’un atome — est octuple. Le grand égarement est de dix espèces ; il est ce qui fait passer pour excellents de (simples) objets du témoignage verbal indignes de la Révélation et de la Tradition. Les ténèbres, de dix-huit espèces, sont la souffrance de celui qui constate qu’il n’obtient pas, alors même qu’il a mis en œuvre les moyens nécessaires, les dix objets comme la parole etc. et les huit (pouvoirs) comme celui d’attendre la taille d’un atome, ou encore qui les perd après les avoir obtenus. Les profondes ténèbres, de dix-huit espèces, sont la douleur qui apparaît lorsque les dix-huit (objets ou pouvoirs) susdits vous sont ravis par la puissance d’un autre yogin. Les contraires respectifs de ces sub-variétés (de nescience) sont aussi (en tout) soixante-quatre. C’est ainsi que le vénérable Mataṅga déclare : “A cause de l’irruption de la force possédée par la puissance de l’obscurité... ”.38
129V. Et de ces (principes) présentés par voie d’énumération, Ā. 26a. Les dispositions et les notions, on indique brièvement les caractéristiques.
130V. De quoi s’agit-il ? On répond :
Ā. 26b. Ces (dispositions) de l’âme sont innées (ou) conformes au bien, (ou) relevant de la Nature.
131V. Pour l’âme transmigrante ces dispositions sont de trois espèces en fonction des distinctions de l’inné etc.
132D. Après avoir formulé une question on indique ce qui caractérise les dispositions. Ces dispositions doivent être considérées comme innées chez des êtres tels que Brahmā etc.
133V. On indique maintenant la forme propre des dispositions innées ou autres :
Ā. 27. Chez ceux en qui des dispositions laissées par le mérite ont stimulé l’esprit les qualités innées sont celles qui continuent à se manifester même après le départ du corps.
134V. Chez ceux dont l’esprit a été convenablement stimulé par des dispositions laissées par le mérite sous forme de sacrifices et d’œuvres pies, certaines qualités se manifestent non seulement pendant la durée de l’union avec le corps mais aussi après que le corps s’en soit allé. Elles sont considérées comme innées.
Ā. 28. Les qualités qui apparaissent conformes au bien procèdent d’une vue (objective) du monde, (de la parole) du maître spirituel ou des traités religieux. Elles sont acquises par une activité de l’esprit, de la parole et du corps.
135V. Mais les qualités qui procèdent d’une compréhension du monde tel qu’il est, (de la parole) du maître spirituel ou des traités religieux “apparaissent”, se manifestent comme conformes au bien.
136D. A partir de : “Mais les qualités” on commente le sūtra qui commence par “Les qualités”. “De monde tel qu’il est” : il s’agit d’une juste compréhension de ce que sont fortune, amis etc. ; cela désigne aussi indirectement les choses comme le don etc. qui ont été mentionnées plus haut. “Elles sont acquises... etc.” : cette triade est expliquée ici par une autre voie.
Ā. 29a. Les (qualités) relevant de la Nature sont celles qui se manifestent lorsque (Pâme) reste unie au corps, comme lorsqu’on se réveille d’un rêve.
137V. Ces qualités qui se manifestent seulement lorsqu’il y a union au corps, et non pas lorsque le corps se retire, et qui revêtent la forme de dispositions dont (les effets) ont commencé à apparaître, comme chez celui qui se réveille d’un rêve, d’une ivresse, d’un engourdissement, sont considérées comme relevant de la Nature.
138On parle ensuite des divers fruits de ces qualités, innées etc. :
Ā. 29b. Les (dispositions) “conformes au bien”, d’une part, et “relevant de la Nature”, d’autre part, aboutissent respectivement les unes au ciel, à la délivrance, à l'absorption dans la Nature, à l’absence d’obstacles, les autres aux renaissances, à l’enfer, à la servitude, aux obstacles.
139V. Certains objets sont le fruit des (dispositions) “conformes au bien”, d’une part, et “relevant de la Nature”, d’autre part. Quels sont-ils ? On répond : “le ciel... etc.” : du mérite résulte le ciel, de la connaissance la délivrance, du dépassionnement l’absorption dans la Nature, de la souveraineté l’absence d’obstacles, l’obtention de tout ce qu’on désire. Du démérite résultent les renaissances animales et autres, de la nescience l’enfer, de l’absence de dépassionnement la servitude, de l’absence de souveraineté les obstacles.
140D. “Certains objets...” : il s’agit ici des dispositions constituées par le mérite etc. “De la connaissance la délivrance...” : la “délivrance” de ceux qui adhèrent à tel ou tel des systèmes mentionnés plus haut trouve sa limite dans tel ou tel principe (admis par eux comme suprême). On a dit : “Les bouddhistes se tiennent au niveau du principe de l’intelligence”. Ce n’est pas la délivrance suprême dont nous avons dit et dont nous redirons qu’elle n’est pas possible sans l’initiation. “De l’absence de souveraineté les obstacles” : il s’agit de l’incapacité mentionnée plus haut.
141V. On énonce maintenant le résultat des (dispositions) innées :
Ā. 30. Les (dispositions) innées aboutissent d’une part à un pouvoir exercé sur des êtres dominés et lié à leur connaissance complète, à l’éloignement de la foule des obstacles, à l’absence de désir envers les jouissances, d'autre part à l'attachement aux jouissances, à l'humiliation, à l'obtention d'un corps, aux obstacles.
142V. Lorsque telle ou telle (disposition) comme le mérite etc. est présente telle chose advient ; ainsi s’opère la liaison avec ce qui précède. Qu’est-ce qui advient ? “Le pouvoir... etc.” : il vient du mérite inné. “Lié à leur connaissance” signifie “provenant d’une connaissance de ce type”. Du dépassionnement vient l’absence de désir envers les jouissances, de la souveraineté l’éloignement des obstacles, du démérite inné l’attachement aux jouissances, d’une nescience de ce type l’humiliation, de l’absence de dépassionnement l’obtention d’un corps, de l’absence de souveraineté les obstacles à l’activité.
143D. “Le pouvoir” est le contrôle exercé sur des mondes que l’on régit dans les limites de leur principe. “Une connaissance de ce type”, c’est-à-dire une connaissance que l’on obtient et qui porte sur cela. Cela a été dit aussi dans un passage des Bhogakārikā qui commence par les mots : “La triade formée par le démérite etc., la passion, et la tétrade formée par le mérite etc.” et se termine ainsi “Elles ont pour fruits d’une part le chemin d’en-bas, la servitude, les obstacles, la transmigration, d’autre part le ciel, la délivrance, l’absorption dans la Nature, l’absence d’obstacles. (Les dispositions innées) ont pour fruits d’une part l’existence, la déchéance, les obstacles, l’incapacité à surmonter la jouissance, d’autre part le contrôle d’êtres moins haut placés, la connaissance des saines doctrines, l’absence de désir des jouissances ; il peut s’agir également d’obstacles à ce qu’on se propose d’accomplir. Pour les (dispositions) conformes au bien, c’est l’ensemble des fruits mentionnés plus haut”.39
Notes de bas de page
1 Il ne s’agit évidemment pas ici de la production du kalātattva en tant que tel. La question est plutôt celle du passage de l’universel au particulier. Māyā est cause matérielle universelle (dans le domaine impur), donc non seulement des corps individuels mais aussi des mondes. L’intervention de la “maturation du karman”, c’est-à-dire d’un coefficient par définition individualisant, représente l’ensemble des conditions qui, “localement”, vont la faire évoluer vers la production d’un individu avec son corps grossier, ses sens etc. L’émergence de kalā marque ainsi la première étape de ce processus d’individuation.
2 Cette précision est légitimée par le fait que la “pensée” (citśakti, ou ici citi) englobe toujours les deux puissances distinctes de connaissance et d’activité.
3 A partir d’ici, on assiste à la production (sous l’égide d’Ananta) du Savoir, de la Passion etc. à partir de kalā. Ce principe apparaît donc ici quasiment comme une troisième cause matérielle (Ananta la “met en mouvement” comme il avait déjà “agité” la māyā). La différence est grande avec le śivaïsme du Nord où kalā ne possède aucun privilège de ce genre et où les cinq “cuirasses” sont définies en parallèle comme autant de limitations des attributs du suprême Seigneur (omniscience, omnipotence, éternité etc.). Voir, par exemple, J.C. Chatterji, Kashmir Shaivaïsm, p. 77-85.
4 Tattvasaṃgraha, 13
5 Ibid., 14
6 Voir Syādvādaratnākara, éd. d’Ahmedabad, 1914, p. 35.
7 Rauravāgama, vidyāpāda II, śl. 15a, vol. I, p. 6.
8 Dans la mesure précisément où ils possèdent encore une individualité, habitent des mondes, et surtout sont affectés de la “souillure attachée à l’exercice d’une fonction” (adhikāramala), les êtres purs qui peuplent la voie pure sont encore concernés par rāga. Par exemple, ils “s’attachent” à bien remplir leur fonction. Mais cet attachement est lui-même pur, indépendant des traces résiduelles et n’engendrant plus de nouveau karman.
9 Tattvasaṃgraha, 4.
10 Sur le rôle du principe du Temps dans le contexte de la dīkṣā, voir SP III, p. XLII et 372-378 (notes).
11 Voir Mataṅgavṛtti, p. 336, n. 11 et 12.
12 Vākyapadīya, III 9 14.
13 Ibid., III 9 1.
14 Ibid., III 9 76.
15 Ibid., III 9 57b-58.
16 En effet, pendant la dissolution cosmique, au-dessus de māyā tout continue comme avant et exige donc la présence du Temps. Cela paraît nécessaire, en particulier, pour conserver un sens à l’idée selon laquelle karman et mala continuent à mûrir pendant cette période. Il y a donc quelque chose comme un temps pur, ou subtil, qui “précède” le kālatattva. La question mériterait un examen approfondi.
17 Vākyapadīya, III 9 52 (sous une forme légèrement différente ; cf. Mataṅgavṛtti, p. 340, n. 6-8).
18 Ibid., III 9 16.
19 Bhagavadgītā, XI 32.
20 Citation approximative du Svacchandatantra, X, śl. 1069, éd. KSTS, vol. 5B, p. 441.
21 Dans le contexte de la dīkṣā, le puṃstattva est toujours directement associé aux cinq tattva qui sont au-dessus de lui (rāga, vidyā, kalā, niyati et kāla) ; cf. SP III, p. 327. L’ambiguïté provient peut-être du fait que ce tattva est tantôt englobé dans la même kalā (du bindu) que les cinq au-dessus de lui et tantôt forme le sommet de la kalā Pratiṣṭhā.
22 Yogasūtra, II 5 (avec khyāti changé en pratipatti).
23 Mataṅgapārameśvara, vidyāpāda XIV, śl. 1-2, p. 362.
24 Il est difficile de dire pourquoi — dans la bhuvanadīkṣā— l’Esprit (puṃstattva) n’est purifié qu’à ce seul niveau, alors que dans tous les autres types de diksā (par les kalā, les tattva etc.) il l’est à tous les niveaux (communication orale d’H. Brunner). Pour l’intelligence de toute cette discussion, il est nécessaire de garder en mémoire le point suivant : Partout où les textes parlent de la “purification” de tel ou tel tattva, ils entendent par là une séparation de l’âme d’avec les impuretés qui la souillent, ou pourraient plus tard la souiller, en provenance de ces divers tattva. On remarquera également qu’Aghoraśiva n’accepte ici de parler de puṃstattva qu’en un sens figuré. Ceci est cohérent avec sa position doctrinale fondamentale d’après laquelle “il n’y a de tattva que matériel, inerte et inconscient” (P.S. Filliozat, op. cit., p. 253). Voir à ce propos le commentaire d’Aghoraśiva sur Tattvaprakāśa 49 (ou III 12).
25 Les guṇa ne sont pas universellement considérés dans les philosophies śivaïtes comme constituant un tattva à part entière. Aghoraśiva a cependant besoin de le faire afin de retrouver le nombre “canonique” de 36 tattva, puisqu’il n’admet précisément pas le puṃstattva ; cf. son commentaire sur Tattvaprakāśa 23 (ou II 3).
26 Mataṅgapāramesvara, vidyāpāda XV, śl. 7, p. 369.
27 Ibid., XVI, śl. 16, p. 377.
28 Sāṃkhyakārikā, 22.
29 Mataṅgapārameśvara, vidyāpāda XVI, śl. 17-22a, p. 377 sq.
30 Ibid., XVI, sl. 23, p. 378. (en lisant vimiśrāśca).
31 Déjà cité, p. 223, n. 4.
32 Ślokavārtika sur I 1 4 (pratyakṣasūtra), 112.
33 Sāṃkhyakārikā, 51 et 50.
34 Ibid., 49.
35 Mataṅgapārameśvara, vidyāpāda XVII, śl. 31 et 47a (en corrigeant kīrtita en kīrtana), p. 390 et 392.
36 Bhagavadgītā, III 17a.
37 Voir Mataṅgavṛtti, XVII, 157, p. 417.
38 Mataṅgapārameśvara, vidyādpāda XVII, śl. 175a, p. 421.
39 Bhogākdrikā, 39 et 57-59.
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012